Comme attristé par les malheurs survenus durant la nuit, le château de Poudlard se murait dans un silence mortuaire quasi total. Les portraits allaient et venaient, racontant aux uns et aux autres ce qu’ils n’avaient pu voir ou entendre de leurs propres oreilles peintes. L’air ambiant était glacial, la flamme des torches tremblotait d’une lueur blafarde et maladive. Les escaliers magiques, habituellement facétieux, se contentaient de délivrer le bon chemin aux habitants, et les fantômes ne se montraient guère, si ce n’est pour afficher une mine préoccupée.
Élèves et Professeurs n’ayant pas eu connaissance des événements ne pouvaient ignorer que quelque chose de grave s’était produit. Une lourdeur régnait sur les lieux, une sorte de voile mortuaire se posait sur les esprits, les rendant instinctivement moroses et mélancoliques. Et lorsque le ballet des hiboux se fit au petit-déjeuner, lorsque la Grande Salle s’ébroua pour se rendre compte de l’absence d’Harry Potter, et d’un certain nombre de Professeurs et d’autres élèves… Lorsque La Gazette du Sorcier, Le Veritascriptum et même le Chicaneur furent distribués et lus ; plus personne n’ignora que durant la nuit, le village tout entier de Godric’s Hollow avait été décimé.
C’est dans cette ambiance délétère que Jane Smith marchait à grands pas d’un air profondément déterminé, malgré des cernes d’un violine jamais atteint auparavant. Drapée dans une superbe robe noire austère à col haut, de grandes bottes de cuir épais claquant au sol furieusement, la Moldue ressemblait à une héroïne de vieux romans anglais. Une héroïne forte et indépendante, destinée à changer radicalement le cours d’une histoire. Une héroïne qu’elle n’était pas. Malgré sa coiffure qui retenait ses premières mèches en arrière, laissant sa crinière tomber en boucles dans son dos. Malgré le joli peigne en argent qui relevait le tout… Malgré ces artifices, la jeune femme n’était pas plus forte que la veille. Mais elle parvenait à donner le change. Et après tout ce qui s’était passé, après sa nuit blanche entrecoupée de courses-poursuites, de révélations, de rapports macabres, de Mangemorts, de destin du monde Magique ; après tout ceci, elle tirait une certaine satisfaction à avoir réussi à se lever, s’habiller, déjeuner… Et c’est ragaillardie par sa propre résilience qu’elle arriva devant la porte en métal brossé sans rougir.
Mais quand elle fixa son regard sur le serpent gravé d’argent, Jane hésita un instant. Elle resta devant la porte une ou deux minutes, puis, quand son esprit épuisé s’évada dans les souvenirs des pleurs d’une élève le matin même à la découverte de la Presse, Jane cogna deux fois d’un geste qui ne souffrait aucun tremblement. Elle attendit. Un certain temps. Trop pour que son courage ne s’étiole pas quelque peu, mais quand la porte s’ouvrit et qu’elle croisa le regard las de son ami, sa résolution n’en fut que plus forte.
« Que me voulez-vous ? lui demanda-t-il sans s’embarrasser de politesse.
— Je peux entrer ?
— Non. Peu importe ce dont il s’agit, ça ne peut attendre demain ?
— Non. » Répliqua-t-elle aussi laconiquement qu’il venait de le faire.
Elle s’attendait à se faire envoyer sur les roses, mais peut-être pas à ce qu’il laisse autant transparaître une fatigue. Une nouvelle fois, sa décision se renforça, et Jane posa une main sur la porte pour s’y appuyer voulant montrer qu’elle prendrait le temps qu’il faudrait pour qu’il la laisse passer. Severus grimaça, mais il disparut dans l’embrasure et Jane en profita pour s’y engouffrer avant qu’il ne change d’avis.
Les restes d’un feu crissaient doucement sur des bûches incandescentes et écarlates. Ça donnait à la pièce une lumière très sombre et brûlante, quelque peu mystique. Snape se repliait littéralement dans une atmosphère romantique…
« Voilà, satisfaite ? » Lui demanda-t-il en soupirant d’agacement dans son cou.
Jane sursauta, et s’écarta vivement, très mal à l’aise en ayant un souvenir de la veille se superposant brièvement au présent. Elle ne répondit pas immédiatement et se réfugia près de la cheminée, où elle attrapa le tisonnier qui pendait à côté de l’âtre, et elle se pencha en donnant quelques coups dans les bûches pour les aérer. Quand une flamme vive et joyeuse s’éleva du bois presque entièrement carbonisé, elle ferma les yeux de soulagement et se retourna lentement en direction du Sorcier pour lui répondre. Mais sa voix mourut lorsqu’elle le vit.
Les pieds chaussés dans de grandes pantoufles épaisses, le corps drapé dans une robe de chambre élégante et cintrée qui laissait entrevoir au col un pyjama en lin, qui lui-même laissait entrevoir au col…
« Smith, que croyez-vous faire au juste ?
— Je me demande si vous n’avez que le haut du torse poilu, ou si vous avez…
— Pardon ?
— Je ne m’attendais pas à vous cueillir au saut du lit, Severus, se reprit-elle. Il est treize heures et…
— Et je n’ai pas dormi, la coupa-t-il.
— Je sais que je tombe mal, mais…
— Écoutez, je n’ai pas envie de parler de ce qu’il s’est passé hier, ni même de ce que vous avez vu, ni de la statue, ni de ce que j’ai fait, ni de rien… Ne me faites pas ça, Jane. Je vous ai sauvé la vie, oui. Mais n’en tombez pas amoureuse pour autant. »
Il avait dit cela avec tant de froideur et d’agacement que la Moldue écarquilla les yeux, sous la brutalité, avant de rougir d’une sourde colère. Elle se redressa rapidement et pointa le tisonnier dans sa direction d’un air menaçant.
« Je ne suis pas une gamine dans ce genre ! asséna-t-elle d’une voix dangereusement calme. Ne vous avisez jamais plus de me prendre de haut sur ça, ou de…
— Je n’ai aucune envie d’une scène au réveil, Smith.
— … Ou de me manquer de respect sur la question des sentiments. De quel droit me parlez-vous sur ce ton ? Qu’est-ce qui vous permet de me dire un truc pareil ? » Continua-t-elle en s’approchant lentement de lui, le tisonnier en main.
Il la gratifia d’une œillade insondable avant de tourner la tête en direction de la porte pour la chasser, mais le masque se fissura lorsqu’elle haussa le ton en même temps qu’elle l’obligeât de la pointe du tisonnier à croiser le regard à nouveau :
« Je vous parle, Severus, regardez-moi ! Aie-je une tête à fondre au premier homme venu qui me sauverait ? »
L’espion cligna des yeux, choqué qu’elle ose lui parler et agir ainsi. Il tenta de s’emparer du tisonnier d’un geste habile, mais se prit un coup sec sur la main qui le rappela à l’ordre, et Jane le garda au bout de sa tige avec une autorité qu’il ne soupçonnait pas. Il fronça les sourcils, puis tendit le bras pour écarter le l’objet et pivota sur lui-même. Jane fit une arabesque avec son sabre improvisé pour chercher à parer le bras qui lui arrivait, mais trop tard. L’espion avait un entraînement qu’elle n’avait pas, et elle se retrouva rapidement désarmée et bloquée par dans une étreinte puissante qui lui maintenait ses bras contre ses cuisses. L’espion l’enserrait, le torse contre son dos, le visage contre le sien. Mâchoire contre mâchoire, elle vibra tout entière quand sa voix profonde résonna dans leurs deux corps.
« Non, répondit-il lentement contre elle. Mais au premier meurtrier venu, peut-être… »
Il détendit sa prise, assez pour qu’elle redresse les bras et enserre à son tour celui qu’il passait autour de son ventre. Jane posa la main sur la sienne, et elle sentit le Sorcier tressaillir contre son visage, hésitant manifestement lorsqu’elle tourna la tête dans sa direction. Mais il se détendit et sourit quand il sentit son autre main caresser celle qui tenait le tisonnier et esquiva le vol en se reculant avec l’arme avant de prendre une posture martiale et de pointer le bout de l’acier dans la direction de la Moldue.
« Bien tenté. Vous venez pour cela ?
— Non, je n’avais pas prévu de faire des câlins ou des passes d’armes. »
Jane sourit et se rapprocha de l’âtre pour retrouver un peu de distance entre eux. Elle lui lança un regard grave et ouvrit un instant la bouche, mais il la coupa d’un mouvement de la tête. Elle n’aurait pas les excuses attendues. La jeune femme inspira longuement, agacée, et changea de sujet :
« En réalité, je voulais vous proposer de venir avec moi. Je vais à Pré-au-Lard récupérer un truc particulier pour mon cours et je voulais que vous m’accompagniez.
— Pourquoi ? Si c’est une question de sécurité…
— Vous êtes à ce jour le mieux placé, le coupa-t-elle d’un air entendu. Mais ce n’est pas ça. Je me suis dit que ça pourrait nous faire du bien d’aller boire un verre ensemble après tout ça. »
L’homme en noir la regarda avec un air de profonde surprise accroché au visage. Il ne paraissait pas savoir comment réagir, et finalement il avança vers la cheminée pour suspendre le tisonnier au bout de son clou. Le feu mourant projetait une lumière qui découpait plus que jamais son profil et donnait à son nez la courbure qui terrorisait tant les jeunes élèves. Il donnait aussi à son regard cette lueur qu’elle lui avait vue la veille, et la Moldue souffla doucement en voyant cela. Severus arqua un sourcil en l’entendant, et se moqua :
« Vous soupirez en m’observant, maintenant, Jane ?
— C’était moins romantique qu’inquiet. Bon ! se tourna-t-elle vers lui décidée. Vous êtes d’humeur taquine… Je vous laisse trente minutes pour vous habiller, après quoi je pars sans vous.
— Pourquoi voulez-vous que je vienne au juste ?
— Parce que nous ne sommes pas obligés à chaque fois de nous faire imposer des excuses pour nous fréquenter ni de risquer nos vies… On peut aussi décider de faire comme bon nous semble. »
Elle tapota son bras avec dynamisme, comme pour l’enjoindre à s’activer lui aussi, et traversa la pièce à grandes enjambées. Avant qu’elle ne disparaisse derrière la porte, l’homme en noir l’interpella :
« Qu’est-ce que vous allez chercher là-bas, déjà ?
— Un ordinateur. »
***
Harry se mâchait la lèvre d’un air inquiet en lisant la lettre qui lui était adressée. La veille, Dumbledore et Snape avaient tâché de le prévenir de ce qui allait advenir, et bien que le garçon ne connaisse pas les arrangements pris par les deux parties, il tira très vite les conclusions qui s’imposaient. Quoi qu’il se soit décidé dans un probable boudoir du très probablement immense domaine Malefoy, l’Ordre du Phoenix jouait le jeu avec le Ministre de la Justice. Et le Ministère en général.
En résultait cette lettre manuscrite, rédigée avec une encre noire aux reflets argentés somptueux, dont l’écriture pleine d’arabesques inutilement complexes – et définitivement arrogantes – trahissait l’émetteur. En d’autres circonstances, voir Lord Lucius Malefoy, Ministre de la Justice s’adresser pour la première fois poliment à Harry lui aurait tiré une sacrée tranche de fou-rires. Mais les ronds de jambe et la sollicitude feinte lui donnaient au contraire la nausée. Ça, et la raison de la missive.
Assis en tailleur sur son lit, le garçon tenait la lettre fermement, le visage entièrement tourné vers sa fenêtre embuée. Il hésitait. Un an seulement auparavant, il aurait rétorqué qu’il n’était pas intéressé, qu’il se foutait très éperdument des condoléances du Ministère, des funérailles en grandes pompes et de tout le bordel occasionné… Il y aurait probablement glissé une ou deux insultes à l’encontre de Malefoy, rappelé que ce même Ministère se contrefoutait de son sort lorsqu’il était question de le croire, et enfin, Harry aurait terminé la missive par une formule de politesse odieuse, griffonnée rageusement et avec un semblant de fierté somme tout très propre aux jeunes de son âge face à la possibilité d’envoyer paître un adulte. Mais voilà… Beaucoup de choses s’étaient produites depuis, et de son acceptation de l’invitation dépendait l’alliance entre l’Ordre et le Ministère.
Mais était-il bien certain que c’était ce qu’il se produisait ? Qu’avaient donc planifié Dumbledore et Snape ? Que s’était-il finalement passé à Godric’s Hollow ? Qu’en pensait Sirius ? Et est-ce qu’il avait le courage d’endurer… Harry soupira une nouvelle fois, relisant la phrase la plus intrigante du pli :
« […] Il va de soi que le Ministère de la Magie prendra à sa charge les frais liés aux funérailles de la famille Dursley, cela en reconnaissance de la responsabilité que la Communauté Sorcière porte dans cette terrible tragédie, nonobstant leur appartenance au monde Moldu […] »
À quel moment Lucius Malefoy aurait pu décréter qu’il était normal de payer pour ce qu’il considère lui-même comme une sous-race ? Harry fronça les narines, la récupération politique du Lord ne lui plaisait absolument pas, mais il devait reconnaître qu’il était entièrement d’accord : oui, le monde magique avait une part de responsabilité. Cette décision n’allait probablement pas plaire aux autres familles de Sang-Pur, c’est donc que Malefoy y voyait un intérêt plus grand, mais pour l’heure, Harry ne parvenait à pas à comprendre.
Il se redressa, et mit sa chaussette gauche en réfléchissant intensément. Prouver sa bonne foi auprès de Dumbledore ? Il attrapa la droite, et étira les orteils pour qu’ils s’y glissent parfaitement. À moins que cela ne soit pour rassurer l’opinion publique quant à sa position… ? Enfin, il se décida à prendre ses chaussures de villes cirées, et les laça, après avoir posé la lettre au sol à leur pointe, gardant un œil farouche dessus, comme si elle pouvait lui révéler des secrets incroyables. Quand il eut terminé, il ne se sentait pas davantage à l’aise et il attrapa le parchemin d’un geste sec et le fourra machinalement dans sa poche de costume, ce qui le déforma. Il pesta, copieusement.
« Hey, tout doux mon pote ! souffla Ron en arrivant et en levant les deux mains en signe de reddition. C’est juste une cravate à mettre ! Je pars deux minutes, et tu fais déjà un carnage avec ton beau costume…
— Désolé, je ne sais juste pas comment réagir. J’ai beau tourner ça dans tous les sens, je ne comprends pas ce qu’on attend de moi, je ne sais même pas si je vais réussir à supporter…
— Tu m’as froissé tes manches, regarde ça ! Quant à Malefoy, laisse Sirius s’en charger, tu veux ? C’est leur première rencontre officielle, et elle se fait dans les pires circonstances possibles, crois-moi, ils vont se jauger et chercher à montrer qui a le plus gros patronyme. Tu n’auras rien à faire : juste à avoir l’air abattu, profondément reconnaissant et déterminé, bref : fragile, mais fort.
— Attends, reconnaissant de quoi, au juste ? s’exclama Harry en retirant son bras des mains de son ami qui cherchait à lui retendre le tissu proprement.
— De l’action du Ministère, de la sollicitude de Malefoy. Et puis de leur formidable réactivité dans la nuit, répondit Neville qui passait tout juste la porte de leur chambre. Luna est au portrait si tu veux, Harry, elle a quelque chose pour toi apparemment. »
Cela eut le mérite de couper la chique de l’Attrapeur qui préféra rougir que de s’agacer de devoir faire des ronds de jambe aux bureaucrates. Ses amis ne firent aucun commentaire et s’écartèrent pour le laisser rejoindre la blonde. Il déboula bien plus vite qu’il ne l’aurait voulu au bas des escaliers, à un point tel que la Grosse Dame s’offusqua de son empressement. Luna l’attendait sagement contre une barrière, discutant avec un jeune garçon peint dans un tableau représentant la grande période Florentine :
« Pourquoi ne pas ajouter un peu plus d’œuf dans ta préparation pour mieux fixer la fresque ?
— Parce qu’elle s’effrite davantage après et que Mestre Cosimo ne… Oh, je vous laisse. À bientôt Luna !
— Au revoir Arduino ! N’oublie pas d’accrocher une botte de radis à la nymphe du patio ! Salut Harry Potter. »
Le Survivant sourit en l’entendant l’appeler ainsi, et lui répondit gaiement :
« Salut Luna Lovegood. Tu voulais me voir ?
— Tu en as besoin, tiens. »
Se saisissant de sa main, la jeune fille lui glissa un sachet de velours mauve tout doux. Le simple geste délicat fit frissonner Harry, qui cligna des yeux en rougissant plus fortement encore. Il défit le cordon de la petite bourse et fit rouler dans sa paume une petite pierre violette aux reflets orangés-dorés très étranges. Il releva la tête en direction de son amie qui lui expliqua :
« C’est une amétrine. Celle-ci c’est la mienne, je n’ai pas eu le temps de t’en trouver une, encore… Mais elle est chargée, ne t’en fais pas.
— Chargée… ?
— Oui. Oh, Harry, c’est vrai que tu crois que la magie se borne à utiliser ta baguette. Mais il n’y a pas que ça qui compte dans la vie. » Ajouta-t-elle en refermant sa main en posant la sienne dessus.
Cela eut pour effet de faire virer les joues de l’Attrapeur au cramoisi, tandis qu’il se demandait si la blonde avait volontairement fait un sous-entendu. Mais Luna ne le laissa pas tergiverser :
« Tu verras, c’est une pierre qui apaise et qui t’aidera à y voir plus clair. Il va te falloir être Harry Potter pendant quelques heures…
— Viens avec moi, la coupa-t-il.
— Je ne peux pas, tu le sais.
— Mais non ! Pourquoi ? Viens, qu’est-ce qui t’en empêche ? J’ai besoin de toi, Luna.
— Je sais, je serai là : tu as ma pierre, maintenant. Mais je ne peux pas venir, Harry, l’Elu n’est pas mon ami. »
Cela lui fit plus mal qu’il ne l’aurait cru. Il accusa le coup, avant de comprendre ce qu’elle voulait lui dire. La Presse se déchaînerait sur la présence de la jeune fille, au lieu de s’intéresser aux enjeux qui les obligeaient tous à jouer cette comédie. Il grimaça, et rangea l’objet dans sa poche, se moquant qu’il la déforma. La Serdaigle le fit sursauter quand elle passa une main chaude sur sa joue et le poussa à relever la tête pour la regarder. Ses grands yeux bleus délavés le scrutaient avec malice au travers de sa frange emmêlée, elle lui sourit, avant de lui ajouter d’un ton particulièrement sérieux :
« Aller, Harry Potter, ne fais pas cette tête d’enterrement. »
***
Un peu moins d’un an auparavant, il aurait probablement fermé à double tour sa porte, et aurait passé un certain temps à imaginer la mine déconfite de la jeune femme, en tirant un certain plaisir du mal qu’il lui aurait infligé par son refus. Quelques mois auparavant, il aurait très certainement répondu « non », directement, avant de s’enfermer dans sa chambre et de se répéter toutes les raisons qu’il avait de ne pas y aller.
Mais nous étions aujourd’hui. Et aujourd’hui, Severus Snape traversait les couloirs avec une lourde cape d’hiver sur les épaules, une grosse écharpe enroulée autour de son cou et masquant à moitié son visage, tout ceci en évitant soigneusement de croiser qui que ce soit sur le trajet. Parce que s’il acceptait bien volontiers de reconnaître que Jane avait raison, il était hors de question que cela s’ébruite. La jeune femme visait juste : oui, sortir de leurs rôles était probablement la seule chose à faire… Et il voulait définitivement savoir si elle se moquait de lui avec son histoire d’ordinateur. Quand il arriva au niveau du hall illuminé des sabliers magiques, il constata que Poufsouffle était encore en tête, et cela tira un froncement de sourcils au potionniste. En effet, les blaireaux avaient bel et bien remporté la coupe pour la première fois depuis des décennies. Il accéléra le pas pour les dépasser et chasser de son esprit la défaite cuisante de sa propre maison, avant qu’un rictus mesquin n’éclaire brièvement son visage à la pensée que les Gryffondors avaient terminé bons derniers. En fin de compte, quand il arriva à la grande porte pour rejoindre la jeune femme, il était d’une humeur relativement égale, quoiqu’un peu nerveux. Car si l’homme savait gérer Mangemorts et Vampires, ce genre de virées – plus particulièrement à Pré-au-Lard – n’étaient plus dans ses habitudes depuis plus de dix ans… Passer les portes pour arriver aux côtés d’une Jane emmitouflée comme lui dans un gros manteau noir, le visage mangé par une énorme écharpe à fourrure épaisse, lui rappela un étrange souvenir. Un souvenir qui s’effaça au profit d’un présent bien réel lorsque la paire d’yeux verts clairs s’ancra dans les siens, avant d’exprimer une joie sincère.
« On y va ? lui demanda une voix étouffée par une belle couche de poils magiques.
— Je suis prêt. » Rétorqua-t-il comme un condamné un mort.
Mais son regard démentait son ton résigné, et la paire d’yeux s’illumina plus encore. Jane prit la tête et commença à descendre le long du chemin qui menait au village. Ses bottes faisaient crisser l’herbe gelée dans les premières rosées du matin et un pas sur trois, elle descendait la jambe de quelques centimètres de trop. De toute évidence, elle glissait à moitié, mais Severus la laissa faire, amusé de la voir gérer leur entreprise d’une main de maître. Alors qu’ils passaient la cabane d’Hagrid, non sans un regard angoissé de Snape en direction de la bâtisse pour vérifier que le Garde-Chasse ne les voyait pas, Jane ralentit quelque peu, l’air retrouvant un ou deux degrés de plus avec le dénivelé. Là, ils tournèrent légèrement à l’Ouest, en suivant toujours le chemin parfois balisé d’une ou deux grosses pierres moussues, et quand le sol retrouva une inclinaison normale, ils arrivèrent sur la grande place de Pré-au-Lard, et Jane s’exclama :
« Eh ben… ! Qu’est-ce que c’est mort, en fait !
— Quand il n’y a pas de sortie d’élèves, c’est un endroit calme, lui répondit Severus avec une touche de soulagement dans la voix.
— Et c’est dans ces moments que vous sortez, c’est ça ?
— Moi… Minerva, Pomona… Tout le monde en fin de compte. Si on peut éviter les élèves le week-end, on le fait. »
Et un samedi en début d’après-midi, lendemain d’une fête aussi importante que celle de la Samhain, les rues étaient désertées, les maisons paraissant presque inhabitées. La Moldue jeta une œillade un peu inquiète autour d’elle, comme déçue de voir le village aussi calme, mais s’avança tout de même en direction de la grande bâtisse branlante qui hébergeait la volière. Snape arqua un sourcil, comprenant que si elle trouvait son chemin aussi facilement, c’est bien qu’elle avait l’habitude de venir ici, mais ne dit rien. Lorsqu’ils franchirent le petit portail de fer rouillé qui ouvrait sur la file d’attente vide, Severus ne put s’empêcher de jeter aux alentours un regard inquisiteur, cherchant à trouver quelque chose d’anormal, de suspect, de potentiellement dangereux.
« Détendez-vous, lui murmura son amie en faisant tinter le carillon du service postal.
— C’est probablement la phrase la plus entendue avant de mourir…
— … Ou pendant un rendez-vous médical. Ah ! Bonjour ! »
Severus s’étouffa avec sa salive, mais la jeune femme souriait déjà au vieil homme qui ressemblait étrangement à une chouette. Un homme avec d’épais sourcils et des yeux globuleux grossis par d’énormes verres lui donnant l’air constamment étonné de ses volatiles. Il opina du chef avant d’agiter une main tremblante parsemée de taches brunes :
« Entrez, Miss, entrez ! Je me souviens, oui… Un gros paquet que vous me faites entreposer, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de si important pour votre classe ou pour Dumbledore que ça soit aussi lourd ?!
— Classé secret défense, Monsieur Pilgrimm, merci de m’avoir avertie qu’il était bien arrivé, j’avais peur qu’il soit abîmé ou qu’il… »
Mais elle ne termina pas sa phrase quand l’étrange homme se retourna avec une vivacité que sa condition ne laissait pas imaginer, tirant sa bouche dans un « O » tel, qu’il aurait pu servir d’illustration au mot « Offusqué » dans un dictionnaire. La brune se mordit la lèvre en souriant et en balbutiant des excuses et promesses qu’elle n’y avait vu aucune malice, tandis que Severus toussotait en reportant son attention sur les étagères de travers recouvertes de plumes, de fiente, et de papier mal collé. Chacune avait des paquets et lettres munies d’une étiquette propre où figuraient le destinataire et la date d’arrivée. Severus haussa un sourcil intrigué quand il remarqua qu’un paquet remontait à plus d’un siècle en arrière, et il s’apprêtait à se tourner vers l’homme-oiseau lorsqu’il entendit distinctement le son de gallions trébuchant sur une table.
Jane, penchée en avant, signait un reçu tout en payant généreusement l’homme étrange. Severus resta en arrière, préférant éviter de s’éterniser dans l’étrange endroit, et il rebroussa chemin tandis que son amie saluait l’homme, en portant un lourd paquet sous le bras.
« Bonne journée, Miss Smith, bonne journée, Professeur Snape… »
Ils sortirent promptement, et la Moldue jeta un regard désolé à son vis-à-vis qui haussa les épaules en réponse.
« Ça occupera les cancans jusqu’à Noël… Maintenant, si vous m’expliquiez votre affaire…
— Autour d’un verre. Invitez-moi, déjà.
— … Vous plaisantez ? s’étrangla Snape. Et… comment avait dit votre amie Diane, déjà ? Ah oui ! « L’indépendance de la femme », vous y pensez ?
— Justement, je vous demande de façon très indépendante de m’offrir un verre.
— Soit… Dans ce cas… Est-ce que vous auriez l’amabilité de m’expliquer ce dont il retourne en rassasiant votre alcoolisme latent, à mes frais ? »
***
« Certainement pas. »
Voldemort avait sifflé si violemment la première partie de sa réponse, que Bellatrix en cligna des yeux, incertaine. Il n’avait pas haussé le ton, n’avait même pas daigné relever le nez de ses satanés parchemins. La Mangemort n’arrivait pas à déterminer s’il n’avait plus d’intérêt que pour la résolution de la prophétie, ou s’il était réellement en désaccord avec sa proposition.
Agacée depuis des mois à cause de cette fichue prédiction, des tentatives de son seigneur pour la traduire, et de sa lâcheté – bien que Bellatrix ait encore du mal à l’admettre, elle commit une terrible erreur en tentant d’argumenter.
« Maître… Le Premier Ministre sera présent, Potter et Black seront présents… Lucius a décidé de faire payer à la communauté Sorcière des funérailles de… D’engeances. Il s’agit…
— Il s’agit d’atténuer la stupidité de tes actes. »
La brune devint blême, se mordant la langue pour contenir un sentiment d’injustice croissant qui menaçait d’exploser face au Mage Noir. Mais si elle parvint à maîtriser sa voix, elle ne put s’empêcher de continuer ce qu’elle croyait être une discussion :
« Je ne comprends pas, Monseigneur. Qu’ai-je pu faire pour vous déplaire ? »
Voldemort reposa brusquement le parchemin gribouillé dans une tentative de copie de fourchelangue, et planta son regard écarlate dans celui qui devenait fuyant de sa servante.
« Qu’as-tu fait, me demandes-tu… ? Es-tu à ce point inconsciente de la gravité de tes erreurs que tu oses paraître devant moi et me poser la question ?! »
Bellatrix fronça les sourcils, mais lorsqu’elle se rendit compte que le Mage Noir tenait sa baguette, la main posée sur son bureau, et que cette dernière tremblait légèrement, elle recula instinctivement d’un pas. Un sentiment de colère monta en elle, et elle eut la sagesse de baisser les yeux. Seulement, la colère prit le dessus, doucement, franchissant les digues qu’elle tentait de mettre en place à la va-vite pour s’empêcher de rétorquer ceci :
« Je n’ai rien fait que vous n’auriez approuvé il y a dix ans. »
***
De la fureur. Coincé là sur son estrade, entre Sirius et Malefoy, coincé là à avoir les larmes qui lui montaient aux yeux tant les flashs des appareils photo l’aveuglaient, Harry sentait un incroyable sentiment de fureur grandir en lui. Ça, et un profond sentiment de culpabilité. Son parrain lui avait pourtant bien fait un long discours à ce sujet, lui expliquant qu’il n’était en rien responsable, le Survivant ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable.
Car à présent qu’il était planté sur ce stupide promontoire, à entendre la déclaration du Premier Ministre, Harry avait tout le loisir de contempler les quatre cercueils qui s’étalaient devant lui… Quatre cercueils ouvrant la farandole d’une bonne trentaine d’autres, recouverts pour l’heure d’un drap noir. Le jeune homme voyait allongés sous ses yeux presque une trentaine de vies fauchées. Fauchées toutes, sans exception, parce qu’il était Harry Potter.
« […] l’occasion pour nous de nous rappeler que cette barbarie nous touche tous. C’est une terrible épreuve qui, une nouvelle fois nous assaille… Nous savons d’où elle vient, qui sont ces criminels. Nous devons, dans ces moments si difficiles, faire preuve d’unité. Ce que les Mangemorts veulent c’est nous faire peur, nous saisir d’effroi, et il y a effectivement de quoi avoir peur, il y a l’effroi, mais il y a face à l’effroi, une Communauté Sorcière qui sait se défendre, qui sait mobiliser ses forces, et qui une fois encore saura vaincre cette menace […] »
Sirius était immobile à côté de lui, droit, digne. Il était Lord Black, il était l’ancien meilleur ami de James Potter, il était le parrain de Harry Potter, il était l’un des défenseurs de la Lumière. À sa gauche, Lucius Malefoy, tout aussi superbe, tout aussi moulé dans son rôle de Ministre de la Justice luttant contre des temps terribles et les ténèbres. Côtes à côtes, ils annonçaient à la Presse, et ce faisant à toute la communauté Sorcière, que la guerre avait trouvé ses opposants, et que rien n’empêcherait le Gouvernement d’y mettre un terme.
Et bien que Sirius se tienne tout près, bien que le jeune homme sente son parfum frais et arrogant picoter ses narines, Harry savait qu’il ne s’agissait pas réellement de son Parrain, c’était « Lord Black ». Lui-même n’était plus celui qui, la veille encore, découvrait avec rougissements qu’il aimait danser pourvu qu’il ait dans ses bras…
« […] Enfin, je veux rappeler ici que la mobilisation des Aurors est entière, dès cette nuit j’ai tenu une réunion de crise avec les baguettes ayant su réagir au moment le plus critique, et nous renforçons, avec le Ministre de la Justice, Lord Malefoy, les moyens déjà déployés pour lutter contre cette menace qui réclame une réponse à la mesure de la violence et de l’horreur dont elle nous accable. Notre pays ne doit pas céder. Notre pays ne doit pas reculer. Nous sommes déterminés à vaincre la barbarie des Mangemorts, et la guerre que nous devons livrer doit être totale. […] »
Le Survivant regarda les quatre premiers cercueils. Impossible de savoir dans lesquels se trouvaient les Dursleys… Qui n’avaient pas été nommés une seule fois, lui semblait-il, de tout le discours. Un flash violent lui fit fermer les yeux une grosse seconde, avant qu’il ne les ouvre à nouveau avec une myriade d’étoiles volant dans tous les sens. Deux larmes accompagnèrent le tout, et Harry les sentit s’enfuir sur son visage en sachant pertinemment qu’elles n’étaient cette fois-ci pas dues aux photographes. Derrière le ton mordant et militaire de Scrimgeour, le jeune homme put entendre quelques bruissements du côté des gratte-papiers, et de nouveaux flashs l’éblouirent. Ah ! Ils avaient enfin le cliché de l’Élu en train de pleurer comme un enfant.
Il trembla une nouvelle fois. De douleur, mais sa colère était montée d’un cran, et lui vrillait à présent les tempes. Harry redressa la tête, relevant le menton pour le pointer par-delà la ligne des journalistes et des curieux venus assister au spectacle. Il planta son regard émeraude sur l’horizon, le poing et la mâchoire serrés, déterminé à ne rien laisser transparaître d’autre. Il ne se rendit pas compte qu’il faisait écho aux propos belliqueux du Ministre de la Magie :
« […] Notre devoir est de prendre en compte l’extrême gravité de la situation et d’en tirer toutes les conséquences. Rien ne doit être comme avant. Les Mangemorts ont fait trop de victimes. Nous devons déterminer pourquoi de telles attaques sont possibles, et en tirer les conséquences. Notre politique de sécurité, Sorcière et Moldue, doit prendre en compte ces conclusions. Notre histoire est chargée d’épreuves, mais nous avons toujours su les surmonter. Avec sang-froid, et avec force. […] »
Il s’enfonçait les ongles dans la paume de ses mains, tant il serrait les poings. Il pouvait presque sentir ses dents grincer sous la pression de ses mâchoires et il ne pouvait empêcher ses narines de se dilater sous la fureur. Harry ne les regardait plus, mais il savait que les cercueils n’avaient pas disparu, que ces morts seraient éternelles. Son pouls s’accéléra, alors qu’il repensait au choix de Dumbledore, à ce qu’avait fait Bellatrix… À ce qu’avait fait Snape. À la seule pensée de l’homme en noir, Harry sentit un mélange de haine et de désespoir l’étreindre. Allait-il, lui aussi, devoir faire de choses aussi terribles « pour le plus grand bien ? ». Il esquissa un rictus carnassier, jetant une œillade assassine en contre-bas, balayant le parterre de journalistes venus discuter de sa tenue et de sa réaction, venus commenter sa poignée de main avec le Ministre de la Justice, venus se repaître des détails encore sanguinolents de l’affaire. Sans même s’en rendre compte, Harry passa son pouce le long de l’étui à baguette que lui avait offert Sirius pour son anniversaire. Il le cajola sans pour autant quitter des yeux ces vautours de sensations fortes qui lui donnaient la nausée.
C’était mal, mais il n’arrivait pourtant pas à s’empêcher de se dire que s’il utilisait sa baguette, là, maintenant, ça lui ferait beaucoup de bien…
***
« … Mon… Monseigneur… Je ne…
— ASSEZ ! Je n’entendrai que tes cris… »
Bellatrix roula de côté, crachotant et tentant de se relever malgré le sortilège, son corps convulsionnait, son esprit tout entier prenait feu dans un mélange de souffrance absolue et de rage viscérale. Elle percevait la fureur de son Maître… Mais aussi la sienne, les deux ne faisant qu’accentuer ce sort qui se nourrissait goulûment des émotions du Sorcier et de sa victime. Elle sentit son genou craquer douloureusement alors qu’elle relevait la jambe pour prendre appui, cherchant à faire face.
« JE T’INTERDIS DE TE DRESSER ! » Siffla Voldemort en contournant son bureau pour se concentrer totalement sur la Mangemort à ses pieds.
Au travers de la masse épaisse de boucles et frisottis de jais, deux perles enflammées le fixaient avec insolence, le poussant à forcer davantage. Bellatrix hurla, mais ne baissa pas le regard pour autant. Voldemort sentit un certain plaisir nuancer sa colère en voyant sa plus fidèle servante se dresser par-delà les Ténèbres. Elle était forte, très forte. Il la materait.
« … Des… Des… Moldus, cracha-t-elle entre deux hurlements, les lèvres rendues carmin par le sang qui s’écoulait.
— ET DES SORCIERS ! TOUT GODRIC’S HOLLOW !
— … Idolâtres de traitres… Faibles…
— TROIS MANGEMORTS ONT ÉTÉ TUES PAR TA FAUTE !
— Nous… Nous ne bâtissons pas un monde… Pour les faibles. »
Voldemort releva sa baguette, laissant un court instant de répit à sa zélote, il s’approcha doucement de son corps secoué de spasmes violents, et agrippa sa crinière de sa main arachnéenne pour révéler son visage. La bouche encore tordue et les lèvres éclatées par les morsures réflexes qu’elle s’était infligées, Bellatrix dardait malgré tout un regard brûlant sur son Maître, parfaitement lucide en dépit du Doloris. Le Mage Noir inclina violemment sa nuque en arrière, ses doigts raclant presque le crâne de la brune, il la jaugea un long moment, et la vit avec plaisir baisser les yeux. Un puissant sentiment de contrôle s’infiltra dans ses veines. Approchant lentement sa face serpentine de son visage, il murmura :
« JE ne bâtis pas un monde pour les faibles. Toi, tu te contenteras d’abattre l’ancien. À mes ordres, et à mes ordres seulement.
— … Je les attends, Mon Seigneur… Il en sera fait… Selon… Selon votre…
— Mon désir, pour l’heure, est que tu sois châtiée pour ton erreur. »
***
« Oh, désolée. »
Jane marmonna cela en rougissant derrière son écharpe à un Severus embarrassé et agacé. Ils étaient tous les deux plantés dans la rue, juste devant l’enseigne du magasin de farces et attrapes de jumeaux. Severus remit de la distance entre eux, et lança à la Moldue un regard courroucé :
« Pouvez-vous ne pas vous arrêter soudainement en pleine course, et me percuter ?
— C’est vous qui venez de me rentrer dedans, rectifia la jeune femme en relevant le gros paquet qu’elle tenait coincé entre son bras et sa hanche. Ils sont ouverts, vous croyez ?
— Merlin, je l’ignore, et je m’en moque ! Nous devions prendre un verre…
— On boira, Severus, j’y veillerai, mais…
— Je n’en doute pas, glissa-t-il goguenard.
— …Mais on peut y faire un tour si c’est ouvert, au moins on aura la paix, pas comme la dernière fois. Vous y êtes déjà allé ?
— Non, et je doute qu’en dehors d’une sortie officielle la boutique soit… Oh, misère. » Marmonna Severus en voyant une Jane ravie arriver à pousser la porte d’entrée.
Elle ne l’attendit pas, et s’engouffra directement dedans, sous le bruit d’un carillon bariolé qui agaça instinctivement l’ancien Maître des Potions. Snape resta interdit devant la vitrine qui bougeait sans cesse et dans laquelle se trouvait surtout une gigantesque toile peinte et animée où l’on voyait les frères Weasley danser une gigue sous une banderole annonçant des prix « fracassants ». L’homme en noir fronça les narines en jetant un regard venimeux au duo d’acrylique. Il n’avait aucune envie d’être vu en compagnie de la jeune femme à une sortie… Severus toussa lorsqu’il se rendit compte qu’il pensait des mots tels que « privée », « personnelle », ou encore :
« Rien qu’à voir leur rayon, on comprend que vous étiez un excellent Professeur ! » Coupa la jeune femme en repassant la tête du chambranle. « Quoi que je vous imagine mal faire apprendre ce genre de potions à vos élèves, c’est peut-être trop…
— Trop quoi ?
— « Touchy » » Répliqua Jane comme une parfaite Londonienne en plissant les yeux.
Snape n’eut pas besoin de comprendre une expression aussi moderne pour se laisser avoir, et son orgueil passablement froissé le fit franchir le pas de la porte sous le ricanement satisfait de sa comparse. Si sa cadette n’avait pu retenir une exclamation de surprise, lui, ne laissa rien transparaître de ses émotions. Il resta une seconde entière interdit, ses yeux allant et venant de chaque côté de la pièce, d’abord sur les jumeaux, puis sur la porte de l’arrière-boutique, les fenêtres, les escaliers menant à l’étage… Et enfin le contenu chaotique. Il ne se rendit compte que la Moldue l’avait regardé faire avec attention, que lorsqu’elle lui demanda, narquoise :
« Le périmètre est-il sécurisé ?
— … Pas le moins du monde.
— Professeur Snape ! » Crièrent en chœur les jumeaux Weasley qui apparurent à ses côtés comme des lutins démoniaques.
La joue de l’espion tressaillit légèrement, témoignant de son malaise, et il se contenta de secouer la tête en jetant un regard lourd d’avertissement que les deux roux comprirent parfaitement.
« Oh, rassurez-vous ! commença George.
— … Nous garderons cette escapade secrète…
— … Y compris aux yeux de l’Ordre…
— … Et aux oreilles, surtout…
— … Oui, surtout. Et nous ne vous ferons pas l’affront de croire qu’il est inutile de vous présenter notre belle fontaine…
— … Bien qu’en tant que Maître des Potions vous devriez en apprécier toute sa…
— IL SUFFIT ! Gronda Snape les narines frémissant sous l’agacement. Je vous remercie, Messieurs pour votre volonté de discrétion, mais…
— … Mais il n’y a rien à cacher, le coupa Jane en plantant son regard dans celui de Fred, alors que son ami parlait à son frère. »
Les deux adultes regardaient l’un et l’autre les frangins, et un léger silence s’installa entre eux, silence pour le moins éloquent. Fred s’inclina comiquement en direction de la Moldue, et s’éclipsa, bientôt suivi par George qui leur demanda nonchalamment :
« Thé, ou café, Messieurs-Dame ?
— Paix ! » répondirent les deux en déclenchant un haussement de sourcils entendu chez le Weasley qui repartit en pouffant de rire.
Enfin seuls, les adultes échangèrent un bref regard satisfait, avant de se séparer et de vaquer à leur découverte de part et d’autre de la salle. Severus observait avec attention l’étagère pleine de potions diverses, quand Jane pesta au bout d’un moment derrière lui :
« J’aimerais quand même bien savoir pourquoi vous vendez un tel truc ! »
Il se retourna pour voir qu’elle pointait du doigt l’immense fontaine ruisselante dont George faisait mention plus tôt. Dans une boutique vidée de ses occupants, elle semblait plus imposante encore et les bulles rosées éclataient un peu partout autour, jusque sous le nez de la Moldue qui l’avait, pour l’heure froncé devant l’agacement. Les jumeaux ressortirent de leur retraite pour se faufiler à sa rencontre, amusés.
« Parce que ça se vend, Professeur !
— … Et particulièrement bien à côté d’une école !
— Mais c’est immoral ! protesta Jane. D’une part, ça devrait être interdit, d’autre part, ce que vous faites est immoral : vous vous faites de l’argent sur la misère affective des élèves et sur le mensonge ! »
Les bulles papillonnaient autour de son visage, sans qu’elle ne s’y intéresse le moins du monde. Elle pointait à présent un index accusateur en direction du duo :
« Vous en avez conscience, au moins ? »
Les deux s’observèrent un bref moment avant d’éclater de rire.
« Oui, et alors ? Ce n’est pas illégal, contra Fred.
— Et les effets ne sont pas permanents.
— Parfois même les gens finissent par tomber réellement amoureux…
— Et en attendent, ils… »
La phrase s’envola avec les bulles, ces dernières éclatèrent dans une petite pluie fine et fuchsia. La métaphore était on ne peut plus explicite, et Severus eut tout le loisir de voir son amie rougir sous la colère :
« Et quoi ? Ils baisent alors que l’un des deux n’aurait pas envie ?! »
Cela surprit l’espion que les jumeaux s’offusquent du langage fleuri. Ils devinrent aussi écarlates que certaines nuances de leur potion, et ça lui tira un rictus moqueur.
« Oui, trancha-t-il, alors que les jeunots peinaient à trouver une réponse adéquate. Et oui, c’est légal, Miss… Rappelez-vous que le monde Sorcier est à cheval sur les convenances et sur le mariage, permettant toutefois…
— Et alors ? Vous allez me dire que la virginité supposée d’avant le sacrement empêche toute tentative de…
— L’Amortentia se repère facilement pour un Sorcier mûr. Quant aux enfants… Oui, le modèle social Sorcier les protège de ce genre d’actes.
— Ah bon ? Parce que vous croyez que les nés-Moldus sont aussi coincés, et n’ont pas de vie sexuelle en dehors du mariage, peut-être ? »
Severus cilla, puis inclina légèrement la tête, ancrant son regard dans celui de sa collègue.
« Vous n’êtes pas la seule à évoquer ce problème, Miss, mais la guerre nous oblige à considérer d’autres priorités. »
La Moldue pencha la tête sur le côté, observant avec attention son vis-à-vis en réfléchissant. Severus se détourna de son regard pour se saisir d’une fiole sur l’étagère et reprendre son examen. Les jumeaux profitèrent de cet instant de silence pour amener la brune sur un autre terrain concernant la potion :
« Elle sent bon, au moins, n’est-ce pas Professeur ? Que vous évoque…
— Ne répondez-pas ! coupa l’espion d’une voix glaciale, en reposant la fiole.
— Dites-le si je n’ai tout bonnement pas le droit de l’ouvrir, Severus…
— Cela n’a rien à voir. L’Amortentia prend l’odeur de ce qui plaît à la personne qui la sent. Ils veulent simplement vous faire révéler quelque chose d’aussi intime que vos inclinaisons.
— Ça vous gêne ? s’amusa, espiègle George. Vous n’avez pas envie de savoir ce que vous, vous sentiriez ?
— Je n’ai pas besoin d’une potion pour savoir que je n’aime rien d’autre que l’odeur des larmes séchées de mes élèves, comme de mes anciens élèves, menaça l’homme en noir. »
Mais cela fit éclater de rire autant les jumeaux que Jane qui hocha la tête en comprenant que la patience de son ami était arrivée à son terme. La Moldue le pressa de l’attendre à l’extérieur, lui expliquant qu’elle avait encore quelque chose à régler avec eux, et Severus referma la porte d’un mouvement rageur, une petite bulle rose s’échappant toute guillerette de la boutique. Elle éclata sous son nez, et il pesta en fermant les yeux.
***
La fureur qui avait fait trembler tout son corps, l’instant d’avant, laissa place à une profonde félicité, et un sentiment d’apaisement intense qui l’enveloppa. Pendant un court moment, il en oublia la cérémonie, son esprit s’échappant vers une brume cérébrale tentante. Harry inspira dans un accès de panique en reconnaissant le phénomène, entraîné désormais à percer à jour les moments où son âme vibrait à l’unisson de celle de Voldemort. Le jeune homme fixa son regard sur le grand saule pleureur qui tombait sur le lac loin derrière l’assemblée, et il glissa instinctivement sa main dans sa poche droite. Lorsqu’il sentit les contours de la pierre que lui avait donné Luna, les images d’une Bellatrix hurlant de douleur s’effacèrent totalement de son esprit, et il retrouva pleinement les sensations de son corps.
Et il avait mal aux jambes et au dos à force de rester debout sur cette fichue estrade…
La foule lança quelques applaudissements pour saluer la fin du discours du Premier Ministre, de nouveaux flashs fusèrent de part et d’autre, et Harry sentit Sirius remuer légèrement lorsque Malefoy s’avança pour prendre la parole. Il déposa sa canne contre le pupitre, et balaya l’assemblée d’un regard intense dont il avait le secret. Les journalistes habitués à couvrir ce genre d’événements savaient qu’il aimait cet instant où tous avaient la plume suspendue à ses lèvres, et Lord Malefoy laissait une bonne minute de silence précéder chacune de ses interventions. L’attente générée par cette absence de discours ne faisait que renforcer l’effet dramatique. Qu’il maniait admirablement bien pendant ses tirades, du reste.
Jamais Harry ne l’avait entendu directement. Jusqu’ici, Lucius Malefoy était pour lui un ennemi contre lequel il se battait, jusqu’à échanger des sortilèges dangereux dans un couloir sombre du Ministère… À présent, il l’écoutait tout d’abord avec lassitude, puis un intérêt croissant. Le blond délivrait un hommage puissant, mêlé d’une peine intense, mais totalement feinte. Personne ne connaissant l’aversion du Mangemort pour les Moldus et les Cracmols ne pouvait s’y laisser prendre… Mais même en sachant qui il écoutait, Harry ne put s’empêcher de se laisser à admirer le sens de la mise en scène du Ministre de la Justice, sa voix mélodieuse, le rythme d’une prose parfaitement calibrée. Un sens Politique qu’Harry ne faisait que pressentir, et qui, déjà, le berçait doucement par des mots tels « Unité », « Devoir », ou encore « Détermination ». À l’entendre, ils étaient une Communauté puissante, noble, digne, au-dessus de la barbarie et de la peur. À l’entendre aussi, ils garantiraient la sécurité et l’équité entre tous les Sorciers, indépendamment de leur statut ou de leur « pureté de sang ». Harry se surprit à hocher la tête vigoureusement, se sentant en accord complet, alors même que Sirius fronçait les sourcils devant l’expression choisie. Enfin, lorsque Malefoy exprima toute sa volonté de ne pas fléchir face aux inquiétudes de ses contemporains, tout en assurant rester à l’écoute de celles-ci, le garçon accompagna quelques-uns des spectateurs dans leurs applaudissements.
Lucius pinça les lèvres pour s’empêcher de sourire devant l’accueil réservé à ses mots, et leva la main pour retrouver le calme :
« […] Que cet évènement nous exhorte à un nouveau jour, à une nouvelle ère : celle de la cohésion. Par le passé, et nous le voyons devant nous aujourd’hui, nous nous sommes trop longtemps, trop souvent, divisés. Les débats sont nécessaires, les désaccords sont légitimes, mais les divisions irréconciliables minent notre Communauté. Nous désirons plus de concorde, pour cela nous voulons avant toute chose miser sur l’intelligence de nos forces. En les unissant, en acceptant de travailler de concert, nous permettrons à notre Communauté de survivre à ces temps troublés et de faire face aux défis qui l’attendent. Y faire face, non plus la baguette dissimulée, en petits groupes effrayés des uns et des autres, mais y faire face en tant que force soudée et coordonnée. […] »
Harry approuva une nouvelle fois, les deux pieds campés solidement sur l’estrade, il se surprenait à éprouver une certaine pugnacité. À ses côtés, Sirius changea de jambe d’appui, et Harry ne perçut pas la contraction de sa mâchoire.
« […] Et parce que les forces en temps de paix ne peuvent être équivalentes à celles en temps de guerre, il est nécessaire d’ajuster nos actions pour être pleinement capables de faire face aux situations inédites que nous connaissons. Dans cette optique, le Ministère de la Justice décrète la mise en place d’un état d’exception permettant de rouvrir l’Académie des Aurors aux baguettes volontaires et de reformer la Brigade d’Interventions Tactiques d’Elite. […] »
Une série de flashs fusa, des questions, des demandes d’explications, des affirmations ; un brouhaha global s’empara de la foule, oubliant jusqu’à la raison de leur présence à cet enterrement. Les trente-quatre cercueils écoutaient en silence les décisions prises sur le corps de leurs occupants. Le Ministre de la Justice haussa le ton pour couvrir les questions et continuer son discours :
« […] Notre peuple peut faire face, il doit faire face. Et il fera face. Cela implique des règles, et de la rigueur aussi, et je sais parfois quelques tensions éthiques – que je ne sous-estime pas, et que j’assume pleinement. Comptez sur ma détermination entière en la matière […] »
Cette fois-ci, Harry jeta un œil à Sirius lorsque ce dernier lui tapota discrètement la main. Il n’arriva pas à comprendre la demande muette de son parrain, et se contenta de lui sourire discrètement, reportant toute son attention sur la suite du discours, le cœur battant.
« […] Enfin… La cohésion et la victoire dépendent aussi de votre engagement. Oui, la force d’une Communauté ça n’est pas seulement le travail du Premier Ministre, de son Ministre de la Justice, ou de de son Gouvernement. C’est le travail de chacune et chacun d’entre vous. […] »
Le Survivant hocha une nouvelle fois la tête, pensant avec soulagement que c’était une bonne chose que le Professeur Slughorn ait remplacé Snape en Potions, cela lui permettait de continuer son cursus, et… Pourquoi pas s’engager en tant qu’Auror… ? Après tout, il était peut-être mieux de se renseigner dès maintenant, plutôt que de chercher à entrer dans l’Ordre… Finalement… ?
***
« Ah, quand même ! »
Snape n’avait pu s’empêcher de s’exclamer après avoir dû attendre Jane une bonne vingtaine de minutes et cela, alors que le soleil d’un automne glacial commençait à se coucher. Il commençait à ressentir l’humidité ambiante, et le bas de son dos se raidissait à attendre dans le froid sa collègue. Elle lui répondit par un sourire qu’elle masqua très rapidement par son écharpe, avant de lui demander d’une voix étouffée :
« Vous voulez aller où ? Au Trois Balais, ou…
— Suivez-moi, je préfère qu’on soit discrets.
— J’espère qu’ils font des chambres au quart d’heure… » Marmonna la Moldue, vexée.
L’espion ne répondit pas, ni ne s’arrêta pour afficher l’air choqué qui s’était installé sur son visage. Il prit les devants pour les diriger à travers le village, tandis que les lampadaires s’allumaient comme des soldats à leur passage. Quand il les fit bifurquer en direction d’un pub miteux, Jane ralentit l’allure en grommelant :
« Heu… Vous vouliez être discret… Ou louche ?
— Au calme. »
L’homme en noir entra sans un mot supplémentaire dans le bâtiment, alors que la jeune femme jetait un regard peu assuré à l’énorme tête de sanglier qui pendait au-dessus de la sienne. Vue d’en dessous, la créature lui jetait un regard courroucé avec ses yeux de billes de verre, et semblait lui tirer les défenses dans un rictus menaçant. La scribouillarde frissonna et se dépêcha de passer la porte, avant de le regretter immédiatement lorsqu’une odeur forte et aigre de chèvre humide lui sauta à la gorge, et la fit toussoter. Snape défit son écharpe et s’approcha du comptoir où un homme grand et au visage dissimulé par une épaisse barbe broussailleuse grommelait en réponse. Jane resta plantée un moment sans savoir que faire, avant d’aviser un angle reculé de la salle où étaient dressés un gros tonneau et deux tabourets hauts. Elle déposa avec soin son paquet au sol, puis se hissa sur sa chaise collante, remerciant mentalement son manteau de supporter la poussière, la bière, et probablement d’autres choses renversées un peu partout. Elle l’ouvrit néanmoins, commençant déjà à étouffer sous la désagréable chaleur de l’endroit, déroulant son écharpe au passage, en fixant, incertaine, les nombreuses bougies fondues et incrustées qui s’étalaient sur le dessus du tonneau. À peine restait-il de la place pour y poser deux verres, ce qui arriva l’instant suivant lorsque l’espion revint avec deux chopes que Jane préféra imaginer naturellement brunes. L’homme en noir planta également une nouvelle bougie au monticule improvisé et l’alluma d’un geste simple de la main.
Jane écarquilla les yeux comme une enfant, et cela lui tira un franc sourire :
« Oui, nous pouvons faire quelques tours sans baguette.
— Et quoi d’autre ? Dites-moi, allez !
— Susciter votre intérêt… ? proposa Severus en étirant son sourire. Je me suis permis de vous prendre de la bière cendrée. Je doute que vous n’ayez jamais bu une telle chose. »
Jane trempa ses lèvres dans le liquide noir et mousseux, avant de tousser bruyamment, les larmes montant aux yeux et la gorge soudain sèche. Elle avait l’impression d’avoir avalé un cendrier entier et son premier réflexe fut donc de reprendre une lampée qui, étrangement, fut beaucoup plus forte et fruitée. Elle leva un regard surpris à son ami qui avait déjà descendu un bon quart de sa pinte, puis elle continua, hochant la tête d’un air appréciateur.
« C’est bon… C’est particulier, mais c’est très bon, qu’est-ce ?
— De la bière cendrée, comme je vous l’ai dit. Sa particularité réside dans le fait que les céréales prises pour sa composition ne poussent que sur des cendres. Par ailleurs, l’eau utilisée est également filtrée à travers une roche volcanique. C’est une bière rare… Et plus rarement appréciée encore. Vous pouvez fumer dans nos établissements, Jane. Les Sorciers n’ont pas d’interdiction en la matière.
— Oui, c’est vrai… Dites, vous parlez librement, c’est pour cela que nous sommes ici ?
— La Tête du Sanglier est le lieu parfait pour les gens désirant échanger informations ou objets qui ne concernent qu’eux. De plus, son propriétaire sait ne pas se mêler des affaires des autres, ce qui n’est pas rien, termina Snape d’un air entendu.
— Nous allons donc échanger des informations ne regardant que nous ? demanda-t-elle en tirant une cigarette d’une de ses boîtes.
— Madame Rosmerta m’a connu lorsque j’étais étudiant, et comme beaucoup de femmes de son âge… Et qui plus est de sa profession, elle adore commérer à propos du devenir des gens.
— Je crois que depuis le temps elle est au courant que vous êtes Professeur à Poudlard, quand même.
— Je parlais de nous, Jane. »
La Moldue haussa les sourcils si hauts qu’ils s’échappèrent dans les frisottis qui entouraient déjà son front à cause de l’humidité. Elle garda un long moment la cigarette en bouche sans mot dire, au point tel qu’elle s’éteignit, avant que Snape ne daigne passer la main devant, la rallumant. De là, Jane s’étouffa en prenant une grosse bouffée angoissée, et les yeux pleins de larmes, elle lui demanda :
« Nous sommes bien d’accord que j’ai interprété ça, de la façon dont vous ne voudriez pas qu’elle le prenne, mais que sur le fond, nous nous comprenons en fin de compte, n’est-ce pas ? »
L’espion avança le visage, assez pour que la petite lumière se reflète dans ses yeux d’encre. Il joignit ses mains sous son nez et hocha la tête avant de murmurer, conspirateur :
« Nous comprenons parfaitement ce que je sous-entends qui pourrait être interprété de telle façon qu’ils comprendraient des sous-entendus allègrement déformés sur le fond.
— Tout à fait. Heu… Quoi ? s’exclama Jane en faisant la grimace et en relevant un sourcil perdu.
— Je me moquais de vous. À l’origine, je voulais seulement vous dire que Rosmerta fait un excellent hydromel, mais que c’est une femme bavarde qui cache des grimoires à l’eau de rose sous son comptoir.
— AAAAAH !
— Qu’aviez-vous compris, au juste ?
— Laissez tomber. Vous pouvez allumer d’autres choses avec vos mains ? » Demanda Jane pour tenter de changer de sujet.
Mais quand Snape ouvrit la bouche, avant de plonger son regard dans le sien, avec un rictus moqueur, la Moldue rougit tant que malgré la faible lueur de ce simulacre de bougie, il n’en perdit pas une miette. Il ferma les yeux, s’autorisant un ricanement qui ressemblait presque à un rire, et elle l’accompagna rapidement en reprenant une lampée. Leur hilarité monta, assez pour que l’homme au comptoir grommelle quelque chose, et ils s’observèrent amusés, avant que Severus n’hoche la tête en contrebas :
« Vous avez parlé d’un ordinateur.
— Et vous à Malefoy.
— Je vois… Ce n’était pas seulement pour ma compagnie que vous vouliez me voir. »
Jane fit tournoyer sa bière dans sa chope, et tira une nouvelle bouffée de nicotine avant de lui répondre, penaude :
« Si, au contraire. Mais… Je voulais aussi comprendre quel accord l’Ordre et lui ont passé.
— Et il fallait venir ici pour ce faire ?
— Non. C’est pour ça que je vous assure de ma sincérité quant à mon envie de… »
Snape soupira, lui jetant un regard qu’elle aurait préféré ne pas interpréter comme de la déception. Elle baissa la tête, et bredouilla précipitamment :
« Je ne voulais pas vous donner l’impression de vous manipuler…
— Du coup vous le faites directement, la coupa-t-il. Pourquoi cela vous intéresse ?
— … Je ne connais pas Malefoy autant que vous… Mais j’en lis assez, et j’en vois assez pour comprendre que ce n’est pas anodin, et qu’Albus est peut-être en train de faire une grave erreur.
— Précisez.
— Eh bien… J’ai cru comprendre que l’Ordre voudrait coincer Malefoy dans ses obligations et l’obliger à coopérer, mais c’est aussi dangereux de lui donner du crédit. Même s’il faut lutter contre Lestrange, je ne pense pas que Malefoy soit un homme qui ait besoin de passerelles en or pour atteindre ses objectifs. »
L’espion releva le menton légèrement, l’appuyant nettement sur ses mains jointes, il observait avec attention Jane dérouler son idée. La Moldue cligna des yeux, incertaine, et continua :
« Quoi qu’Albus lui ait promis… N’est-il pas risqué de l’offrir à un Mangemort ? Il pourrait très bien user de sa position… Enfin, non, je dirais même qu’il le fait déjà. Est-ce qu’Albus a décidé, de…
— De ?
— De… Choisir le moindre mal ? »
L’homme ne répondit pas, décroisa les mains, et vida d’une traite sa pinte. Là, il se leva avec rapidité et souplesse et fusa au comptoir. Jane se sentit stupide perchée sur son tabouret et le regarda échanger quelques mots avec le tenancier. Lorsque Severus revint avec deux verres crasseux et une grande bouteille cachetée de cire, la Moldue vit le vieil homme fermer les volets intérieurs, et mettre une grande plaque de bois sur l’entrée. Elle ouvrit la bouche d’incompréhension, mais Severus prit les devants :
« Je n’ai pas envie que nous soyons interrompus.
— Qu’est-ce qui vous pousse à me raconter ça ?
— Votre intelligence, c’est assez rare pour que cela soit récompensé.
— Ça sera long ? murmura la jeune femme en comptant le nombre de cigarettes qu’elle avait roulé.
— Beaucoup plus qu’un quart d’heure, Jane. »
***
Manoir des Malefoy, la nuit précédente,
« Je ne m’attendais pas à te voir ce soir, Severus… »
Après avoir patienté une quinzaine de minutes dans un boudoir aux lumières tamisées, l’espion s’était relevé et avait incliné la tête en direction de Lucius Malefoy. Ce dernier irradiait de beauté et d’autosatisfaction, signe que la petite sauterie se déroulait à sa convenance. Le nouveau Ministre de la Justice arborait un complet vert anisé brocardé d’or blanc, le tout accessoirisé par une canne en ivoire surplombée par un serpent sculpté dans de l’or blanc étincelant. La tenue avait dû lui coûter une véritable fortune, même pour quelqu’un de son rang, et Snape retint un reniflement dédaigneux devant la coquetterie exacerbée de son ancien comparse. Ce dernier sembla deviner le cheminement mental de son invité, et lui rendit la pareille dans un sourire mêlant condescendance et moquerie :
« J’apprécie que tu te sois changé pour l’occasion, lui lança-t-il.
— Je ne souhaitais pas t’embarrasser devant tes nouveaux amis. Tu es dans la cour des grands, maintenant Lucius.
— Je l’ai toujours été, s’agaça le blond piqué au vif. La Presse n’en faisait cependant pas les gros titres. »
L’aristocrate prit place dans un immense fauteuil près d’un feu ronflant en faisant un délicat signe de main à son vis-à-vis pour qu’il l’imite. Severus obéit docilement, mais quand son corps se plia, une violente douleur le fit tressaillir. Il eut la faiblesse de jeter un coup d’œil à son hôte qui, de toute évidence, avait su percevoir sa micro expression.
« La nuit a été longue… ?
— Intense. Et je viens à toi pour que le Ministre de la Justice ne l’apprenne pas par voie de Presse demain. »
Le blond se redressa légèrement dans son fauteuil, conjurant immédiatement des boissons qu’il s’empressa de servir. Snape sut qu’il avait piqué son intérêt, et que l’aristocrate cherchait à dissimuler son excitation en s’occupant les mains. L’espion prit son temps, jaugeant son interlocuteur avec toute l’attention que requérait la manœuvre. Attendant de pouvoir boire une ou deux gorgées d’un alcool qu’il savait hors de prix, Severus pesait ses mots avec soin. Quand il sentit le liquide brûlant lui réchauffer la gorge et la poitrine, il ajouta :
« Je ne viens pas te voir sur ordre de notre Maître. Je suis là parce que l’Ordre du Phoenix le désire. »
***
« Il a dû tirer une de ces gueules ! s’exclama Jane tout aussi choquée.
— Miss, votre… Peu importe. Oui, il en a même avalé de travers. Mais Lucius est habile, il a l’habitude de dissimuler ses émotions, probablement même mieux que moi. Quoiqu’il n’ait guère l’habitude d’être surpris, je pense…
— Ce n’était pas risqué, justement, de jouer la carte de l’Ordre ? Pour votre position, je veux dire…
— Oui et non. Il n’y a que moi qui peux faire le lien, même si j’avais été fidèle au Seigneur des Ténèbres, j’aurais été envoyé.
— Malefoy croit en votre fidélité ?
— Lucius Malefoy ne croit en rien d’autre que lui-même. »
***
Le Ministre de la Justice joua avec sa cane un instant, tout en buvant de petites gorgées de whisky. Il garda le silence un moment, se concentrant sur son instrument, avant de lancer une œillade méprisante à son comparse :
« Et… Ils t’envoient comme un chien faire la commission… ?
— Cela serait dommage que tu ne comprennes pas une chose aussi simple que la raison de ma présence, contra Snape.
— Ils pensent que tu peux plus facilement me convaincre. Que t’ont-ils demandé de dire ?
— C’est laissé à ma discrétion. L’important est leur message. Leur proposition. Et elle est intéressante.
— Oh, l’est-elle ? »
À présent, le Chef de la maison Malefoy observait avec grand intérêt son invité, plongeant son regard gris acier dans les ténèbres de l’espion. Mais il n’était pas Legimens, ce n’était donc pas une intrusion mentale que craignait Severus, mais bien la formidable empathie dont le politicien savait faire preuve. D’une façon ou d’une autre, l’aristocrate avait une connaissance de la nature humaine suffisante pour être un dangereux interlocuteur. Snape préféra parler plus franchement, sachant d’expérience qu’il avait en face de lui quelqu’un de tout à fait raisonnable… Pour autant qu’un Mangemort puisse l’être.
« Oui, sans aucun doute.
— Est-ce l’avis partagé par le Maître ? »
Nous y étions. Severus plissa légèrement les yeux, ne détournant pas le regard d’un cil. Sur son beau visage, Lucius avait un sourire satisfait qu’il ne parvenait plus à dissimuler.
***
Jane tira une très grosse bouffée sur sa cigarette. Si grosse que le foyer doubla de volume et éclaira brièvement son visage en s’embrasant furieusement. Elle souffla la fumée par le nez, comme chaque fois qu’elle était pensive, l’ongle de son pouce droit caressant sa lèvre inférieure alors qu’elle fixait la bougie. Jetant de temps en temps une œillade inquiète à l’espion, elle finit par lui demander :
« Il a l’air vachement au courant de votre affiliation, quand même… Ou bien est-ce qu’il bluffe ?
— Impossible de savoir. J’ai répondu comme s’il savait et qu’il était hors de question que je confirme. Je crois que l’important pour Lucius était surtout de comprendre jusqu’où l’Ordre était prêt à aller.
— Pourquoi lui parler de ça ? N’est-ce pas le meilleur moyen qu’il aille tout… Cafter à l’Autre ?
— Pourquoi lui en aurait-il parlé ? Quel intérêt pour lui ?
— Je ne sais pas, confirmer sa position auprès de Vol… Lui, et éclipser un rival ?
— Lucius est vaniteux et notre compétition existe bien, lorsque nous sommes faces à Lui. En dehors, seuls comptent nos intérêts. Nous sommes des Serpentards, Jane. Et avec ce que je lui apportais sur un plateau, j’aurais très bien pu lui avouer que j’aimais secrètement jouer au Quidditch avec Black, qu’il n’en aurait pas pipé mot au Seigneur des Ténèbres. »
***
Snape se leva et se resservit un verre en faisant fi des convenances. Cela acheva d’attiser la curiosité du Serpentard qui fixa avec envie l’espion s’accouder à l’âtre qui mangeait le tiers du mur. Severus observa à la dérobée le Ministre qui faisait mine de ne pas prêter grand intérêt à sa présence. Il laissa le petit jeu s’installer, jusqu’à voir le blond replacer une mèche de cheveux sur sa poitrine, signe qu’il savait être lié à l’agacement. Nourrir l’impatience faisait partie des armes d’un Serpentard, et il se trouvait que c’était Severus, et non Lucius, qui en était le Directeur de maison.
« Le Seigneur des Ténèbres ignore tout de ce que je m’apprête à te dire. À l’heure actuelle, seuls Dumbledore, toi et moi sommes au courant de la situation. Si… L’on excepte les personnes concernées dont je vais te dévoiler le nom.
— De grâce, Severus ! Que de mystères et de suspens ! L’on croirait presque à un comploteur… Qui te dit que je suis la bonne oreille ?
— Mais toi, voyons… »
Le blond haussa sincèrement les sourcils de surprise devant le sourire carnassier que lui offrait son comparse. Pour masquer son embarras, il se leva à son tour et remplit une nouvelle fois son verre, tournant ostensiblement le dos à Snape. Ce dernier continua :
« J’ai mis un certain temps à comprendre la comédie que tu m’avais jouée ce jour-là, mais tu n’étais pas venu te dévoiler à moi, mais au contraire t’assurer que je savais être discret, n’est-ce pas ? Quand tu as ouvertement fait part de tes doutes vis-à-vis du Seigneur des Ténèbres. Tes doutes, concernant son obsession pour la prophétie, concernant l’attitude de Bellatrix… Bellatrix qui a, de façon si utile à ta carrière, massacré Amélia Bones… Si ton rang t’importe plus que le reste, alors oui, Lucius, tu me dis toi-même que tu es la bonne oreille pour entendre ce que j’ai à te dire.
— Je ne cherchais pas à m’assurer que tu serais discret, Severus, rectifia Lucius en se tournant lentement. Je voulais vérifier une idée personnelle.
— … Et aujourd’hui encore tu essaies, car tu ne peux être certain de rien. Excepté de notre volonté commune d’endiguer la folie de ta belle-sœur.
— Qu’a-t-elle fait, cette fois-ci ?
— Nous avons enlevé et massacré la partie Moldue de la famille de Potter. Nous nous en sommes pris également à un membre de l’Ordre chargé de les protéger… Et à l’heure actuelle, Fol’Oeil doit conduire une escouade contre Bellatrix et les autres, avec ordre de ne laisser aucun survivant. »
Pour la première fois de leur entretien, Malefoy considéra son hôte gravement. Il vida son verre avec moins d’élégance qu’à l’accoutumée, et les servit une troisième fois.
« En d’autres termes, une poignée de Sorciers est en train de chercher à en tuer une autre, après le massacre d’une troisième particulièrement négligeable, et tu viens me le conter, alors même que le Seigneur des Ténèbres ignore tout et que l’opération suit son cours ?
— Non, Lucius. Je viens prévenir le Ministre de la Justice que la guerre bat son plein à Godric’s Hollow, et que des Aurors formés luttent pour le bien de la Communauté. »
***
Snape passa la langue sur ses lèvres, fronçant les sourcils et avalant sa salive alors qu’il avait la gorge légèrement sèche à force de trop parler. Jane leva la main, et sauta de son tabouret, en vérifiant que sa petite bourse était toujours à sa ceinture. Elle revint quelques minutes plus tard avec de nouvelles chopes, ambrées cette fois-ci, qu’elle posa sur leur tonneau :
« Il a dit que ça allait vous plaire. C’est marrant… On pourrait croire que lavé, il ressemblerait au Directeur, quand même…
— On pourrait le croire… Merci pour l’hydromel. Le sien est fort, mais plutôt bon passé un certain désarroi.
— Et qu’en a pensé Malefoy ?
— Il n’aime pas l’hydromel.
— Severus, ça n’est vraiment pas le moment de faire de l’humour… Vous êtes en train de parler de quelque chose de grave.
— Quelqu’un m’a dit un jour que s’il y avait un moment propice à l’humour, c’était bien dans les moments dramatiques.
— Qui ça ? Albus ?
— Vous. Mais Lucius a accusé le coup. Car il a immédiatement compris où l’Ordre voulait en venir.
— Contrairement à moi, vous voulez dire…
— L’alcool ne vous aide pas, en effet. »
***
Le Politicien s’éloigna de l’âtre pour s’approcher de la fenêtre du petit salon. Elle donnait directement sur le superbe parc du manoir Malefoy, et avec la pleine lune, offrait toute l’étendue de sa beauté nocturne. Lucius fronça les sourcils en fixant l’ombre des haies parfaitement taillées.
« Combien d’hommes a envoyé Dumbledore ?
— Je l’ignore. Il a envoyé Maugrey, et je suppose que lui-même aura pris Tonks, et un certain nombre de baguettes. Sous mon conseil.
— Sous ton conseil… répéta Lucius. Tu cherches à faire tuer Bellatrix ?
— Je cherche à gagner cette guerre, répliqua Severus sans mentir.
— Quelle est donc cette proposition ?
— L’opération va prendre fin. Je doute que Lestrange se fasse tuer, même en présence de Maugrey. Lui, par contre… Non, l’opération va prendre fin et il y aura un rapport. Il ne tient qu’à toi d’en avoir une copie.
— Un rapport fait à… Comment s’appelle cette ridicule organisation, déjà ?
— L’Ordre du Phoenix. Et oui, nous parlons bien de cela. Tu auras la pleine connaissance de la situation, et la pleine possibilité de décider si, oui ou non, la Presse révélera les événements demain matin.
— Quel intérêt pour Dumbledore ? Pourquoi ne pas vous contenter de… »
Malefoy s’interrompit et son regard étincela de satisfaction. Un sourire naquit sur son visage, trop machiavélique pour être un beau sourire, mais quelque part, l’espion aima cela. Snape aimait voir l’intelligence se peindre sur les gens.
« Vous voulez couvrir vos hommes… Dumbledore veut le permis de tuer… ! Je vois qu’il est prêt à tout. Pourquoi ne négocie-t-il pas avec Scrimgeour ?
— Tu sais très bien pourquoi, Lucius. »
***
Snape s’interrompit en voyant Jane gonfler les joues et rougir en frissonnant. Il cligna des yeux plusieurs fois, avant d’oser lui demander :
« Est-ce que vous venez tout juste d’étouffer un…
— Pourquoi Dumbledore ne traite pas avec le Premier Ministre directement ? coupa Jane, en rougissant davantage.
— À votre avis ?
— Je ne sais pas, c’est tout de même l’ancien Directeur du Bureau des Aurors il me semble, non ? Ce n’est pas logique de discuter avec un… Un militaire, je suppose qu’on peut appeler ça comme ça ?
— Non, ça n’a pas grand-chose à voir. Et non, Dumbledore n’obtiendrait rien de Scrimgeour. Parce que ce dernier est trop à cheval sur la loi, et parce qu’il y a l’Histoire derrière nous qui freine ce genre de décisions.
— Comment ça ? Je n’ai pas souvenir d’avoir lu… »
Severus ricana en prenant une nouvelle gorgée, et sourit très franchement à son amie, avant d’ajouter, un brin condescendant :
« Vous avez l’air de croire que nos livres d’Histoire sont plus honnêtes que les vôtres. Les crimes et les exactions commis lors de la précédente guerre, grâce au permis de tuer notamment, ne figurent nulle part, mais restent gravés dans la mémoire. Scrimgeour ne permettrait jamais qu’une organisation illégale, et sous le contrôle de Dumbledore, puisse avoir un tel poids. Cela serait saper officiellement son autorité, et cela serait potentiellement dangereux.
— Alors que nommer Ministre de la Magie un Mangemort notoire, ça n’est pas un problème…
— Acquitté. Malefoy n’a jamais été officiellement un Mangemort. Du reste, il a su parfaitement convaincre Scrimgeour… Grâce aux agissements de Bellatrix, entre autres.
— Vous voulez dire que cette folle va si loin qu’elle éclipse la malfaisance des autres ? cracha Jane.
— Lucius ne massacre personne à ce que l’on sache.
— Donc Dumbledore s’allie avec Malefoy parce qu’il sait que ce dernier a tout intérêt à utiliser la force de frappe de l’Ordre pour… Putain de merde ! Ne me dites pas que c’est pour ça que la Gazette parlait de la « remarquable réactivité du Ministère » !
— Alors je ne vous le dirai pas, Jane. »
***
« Avec le temps… murmura Lucius comme s’il savourait son propos. Je finis par croire que les rumeurs à propos de ce vieux fou sont vraies… J’ai peut-être manqué de discernement à son sujet. »
Snape resta silencieux, observant le blond revenir vers lui en jouant avec sa canne, allongeant inutilement son mouvement. Le Mangemort fit un signe de tête en direction de l’espion, comme pour lui poser une question muette.
« Ne t’ai-je pas souvent répété de ne pas le sous-estimer ? capitula Severus.
— Si, et j’ai clairement fait cette erreur il y a quatre ans. Alors comme ça, Dumbledore veut s’associer avec moi contre elle, n’est-ce pas ? Jusqu’où croit-il que j’irais ?
— Jusqu’à la pleine atteinte de tes objectifs.
— Que sait-il de mes objectifs, Severus ? » Se moqua le blond en souriant avec arrogance.
Snape inspira longuement, dépassant l’aristocrate, et lui tournant le dos alors qu’il reprenait librement un verre. Il s’apprêta à boire lentement ce superbe whisky quand le claquement de langue de son interlocuteur lui tira un franc sourire.
« Tu le sous-estimes une nouvelle fois, Lucius. Dumbledore ne peut ignorer tes véritables aspirations.
— … Et si je demandais à ses hommes l’impossible… ?
— Tu sais très bien qu’il garderait des atouts dans sa manche, et cela même quand il la secouera pour te serrer la main. »
Accompagné du claquement de sa canne, Lucius se rassit près du feu, laissant son regard dériver sur les ondoiements des flammes. Son visage parfaitement symétrique s’illumina délicatement quand il murmura :
« Quel dommage qu’il aime tant les Moldus… »
***
« Quoi, c’est tout ?
— Cela ne vous suffit donc pas ? Vous êtes insatiable, ma parole !
— Vous ne soupçonnez même pas à quel point… » Répliqua la Moldue en inclinant sa chope grossièrement en arrière pour en tirer la dernière goutte. « Non, sérieusement, qu’est-ce que vous avez décidé, du coup ?
— Moi ? Rien. Par la suite, je suis retourné auprès d’Albus, et nous avons attendu le rapport de Fol’Oeil. De là, une décision a été prise, par voie de cheminée, si vous voulez tout savoir.
— Quoi ? Ils se sont parlé ?!
— Brièvement.
— Et, alors ?! Par Merlin, Severus, quel est l’accord ?!
— Doucement, Miss… Vous allez manquer de salive pour la suite. Attendez un instant. »
Il s’empara d’un geste simple de sa pinte et récupéra la sienne, avant de se diriger vers le comptoir. Le tenancier semblait avoir anticipé le mouvement, car il lui poussait déjà deux autres chopes, que la jeune femme ne vit même pas être payées. À quel point le vieillard comprenait qu’ils n’étaient pas prêts de s’arrêter de boire ? Snape revint auprès de la Moldue, poussa une autre bière d’une autre sorte.
« Vous allez me faire descendre la carte, ou quoi ?
— Certainement pas ! Vous en mourrez… Un géant pourrait en mourir, en fait. Vous y êtes ?
— Ah ça… Je ne sais pas, non.
— Tant pis, Lucius a obtenu non pas la collaboration entre l’Ordre et le Ministère, mais la dissolution pure et simple du groupe, et la mise sous tutelle des baguettes. »
Jane recracha sa gorgée en une pluie fine mêlée de salive, éteignant au passage la bougie. L’espion la ralluma d’un geste, avant de jeter un regard courroucé à la jeune femme.
« Ma parole, il vous faut un bavoir.
— Dumbledore a fait quoi ?!?
— Calmez-vous Jane, vous réagissez exactement comme les journalistes doivent être en train de le faire actuellement…
— À quel moment je dois trouver normal le fait de renoncer à la seule force de frappe dissidente du monde Sorcier à un Mangemort, qui plus est en quête de pouvoir ?! Vous êtes complètement inconscients ma parole !
— Décidément, tout le monde sous-estime le vieil homme. Il n’a pas l’intention de renoncer à l’Ordre, il…
— Il lui arrive de se tromper, Severus ! De commettre de graves erreurs ! La nuit dernière en est bien la preuve, il me semble ! »
Jane avait presque crié cela, et elle se mordit la lèvre en voyant que le barman avait cessé de feindre de nettoyer ses chopes pour les observer. Quand elle se redressa, elle fut surprise de le voir s’approcher pour lui déposer un verre de vin d’un rouge parfait, puis de disparaître sans un mot. La Moldue jeta un œil interrogateur à l’espion qui pinça les lèvres :
« Vous n’êtes pas la seule à trouver qu’Albus fait des erreurs, répliqua-t-il sans qu’elle sache si cela le concernait lui, ou le tavernier. Quoi qu’il en soit, l’Ordre ne va pas disparaître, il va au contraire bénéficier de plus de libertés. Les membres vont pouvoir agir au grand jour…
— Et au nom du Ministère.
— Et donc plus efficacement.
— Putain, Severus… ! Je ne comprends pas comment vous pouvez passer à côté du fait qu’il s’agit d’une décision dangereuse. »
L’homme cligna des yeux et attrapa le verre de vin qui avait été offert à son amie pour le porter sous son nez. Il en apprécia toutes les senteurs en fermant doucement les yeux, puis le lui tendit.
« Moi ce que je ne comprends pas, c’est comment vous avez pu passer à côté du fait que ça m’était égal.
— Mais… Entre les mains de Malefoy, un corps d’armée capable de…
— Jane, que croyez-vous que soient les Aurors ? Qu’est-ce que vous n’avez pas compris de notre système judiciaire ?
— Mais Malefoy est un Mangemort, non ? Qui cherche à s’emparer du pouvoir ! Après que la menace de Bellatrix ait été écartée, il se passera quoi ? Combien de temps avant que le Ministère ne soit offert à…
— Parce que vous croyez que Lucius renoncerait soudain à tout pour se remettre à genoux ? »
Elle resta interdite. Au bout d’un moment, elle chercha une nouvelle cigarette qu’elle alluma en se penchant en direction de la bougie. Toute à sa réflexion, elle ne prit pas garde et une mèche bouclée tomba devant son visage. Cette dernière ne dû sa survie qu’aux réflexes de l’espion qui attrapa la mèche au vol pour la replacer rapidement en arrière. Ce geste intime leur tira un bref regard échangé, et la Moldue reprit sa place, en faisant quelques ronds de fumée.
« Dumbledore mise beaucoup sur les aspirations de Malefoy, et s’il se trompait, là encore… ?
— Non, là non, il ne le peut.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que je partage son analyse, et que pour ma part, je ne me trompe jamais. »
***
Harry observait, captivé, les reflets rosés qui ondulaient sur l’amérite. Sa petite surface polie renvoyait une myriade de tons dorés et violines, un étrange mélange qui le maintenaient dans une profonde sérénité. Il ne comprenait rien à la magie des pierres, pas plus qu’il ne comprenait la divination, d’ailleurs… Mais cela n’avait aucune importance. Étrangement, serrée dans sa main, pulsant légèrement au rythme de son cœur, la gemme lui évoquait son amie, et cela l’apaisait. Il se sentait à sa place, il se sentait rassuré.
Sirius revint de la cuisine et déposa deux verres de Whisky Pur-Feu sur la console de bois. Ils s’étaient arrêtés à Square Grimmaurd, l’Animagus insistant auprès de Dumbledore pour garder son filleul à dîner le soir même. Alors qu’il agitait sa baguette pour allumer des chandeliers supplémentaires dans la bibliothèque, Black jeta un œil à son cadet, quelque peu amusé.
« Tu avais tant que cela peur de perdre le contrôle de toi-même… ?
— C’est Luna qui me l’a donnée, répondit Harry en rougissant. Et au final, ça s’est plutôt bien passé. »
Le meilleur ami de son père défit les boutons de sa redingote et l’enleva d’un geste las, avant de l’envoyer pendre négligemment à un autre fauteuil de la pièce.
« Tu trouves ? murmura-t-il en s’asseyant enfin.
— Oui… Certes je ne m’attendais pas tellement à ce genre d’annonce, plus à des… Un discours plus personnalisé, mais… Au final, ce qui compte c’est qu’enfin, ENFIN ! Le Ministère se bouge. Pas comme l’année dernière à ne rien faire, ne pas nous croire, continuer de faire comme si de rien n’était…
— L’action, peu importe le prix, Harry ?
— Quel prix ? On va enfin avoir les moyens de se défendre. Il fallait prendre des mesures plus sérieuses ! On est en guerre, non ? »
Sirius soupira par le nez, agacé, et reprit une gorgée, bientôt imité par son filleul. Il l’observa longuement, avant de lui demander :
« Et quoi ? Des Aurors qui patrouillent dans une école, une réforme à venir sur l’insertion des nés-Moldus, un changement de tête à la Gazette du Sorcier… Tout ceci ne te suffisait pas déjà ?
— C’est pas ça, c’est que là… Là on va pouvoir faire quelque chose. Là, on va pouvoir se défendre. Je sais qu’il s’agit de Malefoy, mais il a raison, et puis Dumbledore…
— Et puis Dumbledore ne recule devant rien quand il s’agit d’obtenir des résultats, le coupa Sirius d’un air entendu.
— Et alors ? C’est comme ça qu’on gagne une guerre, non ?
— En ne sacrifiant aucun effectif pour surveiller une famille Moldue, Harry ? En autorisant le renforcement des pouvoirs des Aurors ? En leur donnant l’autorisation de décider de vie ou de mort sur les gens ? En concentrant tous les pouvoirs au sein d’un seul Ministère ? »
L’ancien détenu n’avait pas haussé le ton, mais cela suffit au jeune garçon pour se tortiller, mal à l’aise sur sa chaise. Il fixa le feu, caressant la pierre instinctivement, et bredouilla :
« Ca ne sonnait pas pareil, tout à l’heure… Tout à l’heure…
— Tout à l’heure t’étais au garde-à-vous prêt à t’engager à l’Académie. J’ai vu le moment où j’aurais dû te choper par la ceinture pour t’empêcher de prêter serment à « Lord Malefoy ». » Se moqua Sirius.
Harry sourit pauvrement, les joues rosies de gêne. Maintenant que son Parrain le lui disait… Il secoua la tête, riant presque.
« C’est plus facile sur le terrain.
— Oui, nettement. Les sorts ont l’avantage sur les décisions politiques d’annoncer leur couleur. »