La forêt était incroyablement silencieuse, aucun bruit d’animal ne venait à filtrer entre les ronces et les fougères. Le son même de leurs pas semblait englouti par les ténèbres, et eux… Eux étaient incapables d’échanger le moindre mot. Le Sorcier avançait devant elle, tenant fermement sa main et la guidant jusqu’à la lisière. Drapée dans sa cape, la Moldue obéissait, dépossédée d’elle-même, encore flottante dans les méandres de ses propres terreurs. L’étoffe noire qui réchauffait ses épaules puait le sang, le charbon et quelques herbes fortes et mystérieuses. C’était définitivement son odeur, et elle avait un pouvoir apaisant sur elle.

Courbé, les muscles entièrement tendus et la baguette en main, Severus fendait les herbes hautes et sillonnait dans la Forêt Interdite comme un animal habitué des lieux. Jane gardait les yeux rivés sur la main qui tenait la sienne, sans pour autant la voir. Lorsque la forêt les vomit, ils débouchèrent sur le parc de Poudlard qui était baigné d’une lueur argentée délicate. Dans le ciel, la lune rousse avait laissé place à un astre blême et mortuaire. Ne relâchant pas pour autant la main de sa protégée, l’homme en noir avança jusqu’aux portes du château d’un pas alerte. Ils montèrent les marches du perron d’un même mouvement, Jane surprise d’apprécier la froideur de la pierre sous ses pieds nus, et ils passèrent la porte comme on passerait un portail vers un autre monde. Là, dans le grand hall désert et lumineux, l’un et l’autre expirèrent lentement. La chaleur bienveillante pénétra profondément dans les membres engourdis de la jeune femme, et son ami détendit ses doigts, jusqu’à laisser enfin sa main libre. Délicatement, il en posa une au creux des reins de la brune et la poussa en avant. Jane se remit en marche, le Sorcier observant les alentours comme cherchant des réponses. Ils se dirigèrent rapidement vers les appartements de la Moldue, et là devant sa porte, Severus s’arrêta et après avoir jeté un dernier regard autour de lui, croisa enfin celui de la scribouillarde. Jane cilla en frissonnant, arrivant difficilement à supporter l’intensité primale de ces ténèbres. Elle s’y astreint, comme une marque de respect, incapable d’émettre pour autant le moindre mot. La voix rendue rauque par ses efforts précédents, Severus rompit le silence :

« Changez-vous. Rapport dans quinze minutes maximum dans le bureau du Directeur. Attendez qu’on vous donne l’autorisation d’entrer. Ne parlez à personne.

— À vos ordres. » Répondit-elle mécaniquement.

Il n’attendit pas davantage et tourna les talons, agrandissant le pas jusqu’à ce qu’il devienne une course qui le fit tourner à l’angle plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. Restée seule dans un couloir désert, pieds nus, blessée, une robe en lambeau et une cape de Mangemort sur les épaules, Jane sentit un picotement intense remonter le long de son nez et brûler les yeux. Elle s’engouffra par la porte quand sa gorge se noua, et qu’un sanglot l’étrangla, jusqu’à ce que ses jambes cèdent. Elle hurla, une fois. De rage. De terreur contenue. D’impuissance. Un miaulement triste lui répondit, et Jane sourit par-delà ses larmes, écartant les bras de soulagement en direction de Merlin qui s’y engouffra.

Allons bons… Que lui avait fait l’homme en noir pour qu’elle soit dans un tel état ?

 ***

Severus arriva rapidement à la gargouille qui gardait les escaliers menant au bureau de Dumbledore. Sa colère n’avait fait que monter d’un cran à mesure qu’il évoluait dans Poudlard. Son cœur cognait fort, à un point tel qu’il sentait une veine pulser sur sa tempe douloureusement. Il était essoufflé, incapable de se calmer. La gargouille sembla se rendre compte de son état, car elle grimaça presque, mais elle obtempéra quand l’homme cracha le mot de passe d’une voix glaciale. Snape monta les marches, et donna deux gros coups sur la porte du Directeur, en menaçant :

« Ouvrez immédiatement ! »

La porte coulissa dans un grincement interrogateur, comme choquée elle-même du langage du subalterne. L’espion passa l’encadrement et braqua un regard de défi en direction du fauteuil… Mais il était vide. À sa droite, un clapotis caractéristique le fit pivoter et il retrouva le mage la tête plongée dans sa Pensine. Albus en ressortit presque immédiatement, l’air intrigué et l’ébauche de sourire qu’il avait eus en voyant son cadet mourut sous le regard brûlant de l’espion :

« Par Merlin, Severus… Que s’est-il passé ? Vous attendez depuis longtemps ?!

— Non. Vous avez passé la soirée à cela ?

— Je… J’ai pratiquement trouvé… Severus, répondez-moi, que s’est-il passé ?

— Envoyez Maugrey et cinq baguettes d’élite à Godric’s Hollow. S’y trouvent Bellatrix, les Carrows, Dolohov, Nott… Et quatre cadavres, j’ignore dans quel état. Lestrange y a fait un Sabbat…

— Que… ?

— ALBUS ! Envoyez immédiatement une escouade pour les cueillir, il faut confiner la zone avant que la Presse ne voie ça.

C’est à moi d’en décider, Severus. Que s’est-il passé ? redemanda Dumbledore d’une voix autrement plus autoritaire.

— Mais… Vieux sénile ! Nous n’avons pas le temps pour votre jeu, ni… Où sont les Aurors ?

— Severus, vous êtes incohérent, reprenez-vous !

— Les Aurors… Les deux gamins qui arpentent les couloirs ce soir… OÙ… SONT… ILS ?! »

Snape avait hurlé cela d’une voix terriblement grave et rocailleuse, ce qui déclencha un mouvement sec chez son aîné. Sans cesser de le fixer de ses yeux bleus glacés, le vainqueur de Grindelwald tenait à présent en joue son protégé d’une baguette ferme et déterminée. Aussi vieux et usé par le sortilège noir qui lui rongeait le corps depuis l’été, Dumbledore dégageait toujours une aura puissante qui ne fit qu’augmenter la rage de son vis-à-vis. Inspirant profondément, Snape recula d’un pas, hochant la tête. Tous deux savaient exactement ce qu’il se passait. Ce n’était pas la première fois que le mage blanc le voyait dans cet état. Cependant, quelque chose de différent filtrait dans l’attitude de l’espion.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? redemanda Albus une pointe d’inquiétude dans la voix.

— Figg et les Dursley ont été amenés chez les Potter pour y être torturés et tués. C’est un vrai massacre…

— Par le souffle du…

— Et je viens de décapiter un jeune vampire dans la forêt interdite… Pendant qu’il essayait de tuer Jane.

— … Comment ? Miss Smith était… »

Severus le coupa d’un regard si dense que le feu de la cheminée s’y refléta jusqu’à incarner la colère qu’il couvait. Dumbledore serra instinctivement ses doigts autour de sa baguette, sentant la magie noire tournoyer dans la pièce.

« Ja… Smith était presque nue sous un vampire assoiffé, au beau milieu de la forêt. Alors je vous le redemande, Albus : où sont Cook et McArvis ?

— Je l’ignore, nous les convoquerons plus tard. Nous avons plus urgent. Que s’est-il passé à Godric’s Hollow ?

— PAR MORGANE ! Dumbledore, vous allez m’écouter ?! Personne ne l’a protégée !

— … Vos sentiments obscurcissent votre jugement, Severus…

— PERSONNE, répéta Snape en s’approchant lentement. Ni un Auror, ni un fantôme, ni un portrait, ni un elfe, RIEN. Albus, est-ce que vous allez laisser mes sentiments là où ils sont et comprendre ce que je suis en train de vous dire ?! »

Le mage blanc abaissa la baguette et jeta un regard sévère à son Professeur de DCFM. Snape hocha la tête à de nombreuses reprises et tous deux s’assirent silencieusement dans leurs fauteuils respectifs.

« … C’est… Fâcheux, répondit lentement le vieil homme.

Fâcheux ?! Elle a ordre de venir ici et de faire son rapport. Est-ce que vous allez me faire confiance et envoyer Maugrey sur place ?!

— La partie va être dangereuse, il n’y a pas que l’Ordre que je dois prévenir… Cela serait suspect que…

— Laissez-moi… »

 

Severus reprit son souffle, épuisé, le cœur cognant toujours aussi douloureusement à mesure que son corps cherchait à retrouver un rythme normal sous ce débordement magique.

« Laissez-moi un peu de temps avant d’aller voir Lucius. Il était à la réunion préliminaire de toute façon, il… Il sait que quelque chose de grave s’est passé. Il donne une soirée mondaine avec le Premier Ministre…

— Les Dursley avez-vous dit ? le coupa le Directeur en faisant un rapide calcul.

— Oui, Albus… Les Dursley. Les Dursley qui nous expliquaient que c’était impossible, que le vieillard là… Le Dumbledore, les protégeait. »

Enfoncé dans son fauteuil préféré, le visage dans les mains, Snape n’avait pas haussé le ton en disant cela, mais l’accusation sonna violemment dans la pièce. Le Directeur plissa les yeux et répliqua, d’une voix dangereusement calme :

« Ne vous prenez pas l’envie de me juger, Severus.

— Sinon quoi ? Vous allez promettre d’assurer ma sécurité à moi aussi ?

— Severus…

— Taisez-vous ! Nous avons quatre morts sur la conscience, et soyez soulagé de ne pas en avoir eu un cinquième.

— Ça suffit ! Vous entendez-vous me parler ?!

— ET VOUS ? ENTENDEZ-VOUS LEURS HURLEMENTS ET LEURS SUPPLIQUES LA NUIT ? SAVEZ-VOUS CE QUE VOS DÉCISIONS IMPLIQUENT DE FAIRE ? JUSQU’À QUAND VAIS-JE FAIRE VOTRE SALE BOULOT ?! »

On frappa à la porte, des coups timides, et c’était tout à fait compréhensible. Il y avait de grandes chances pour que Jane ait entendu la dernière partie malgré les dix centimètres de chêne brut. Mais ces coups eurent le mérite de stopper net la querelle, et les deux Sorciers échangèrent un regard lourd de sens, avant que Snape n’hoche la tête :

« Entrez, Smith !

— Monsieur le Directeur… Professeur Snape… »

Jane se faufila dans la pièce, comme une automate mal remontée. Elle s’était changée, mais avait eu la présence d’esprit de mettre une robe sorcière. Noire, simple, épaisse, elle semblait destinée à la cacher. La Moldue avait lavé ses cheveux, mais ne les avait pas peignés, ils s’éparpillaient en boucles humides et indisciplinées partout autour d’elle. Quand elle prit place dans le fauteuil adjacent, Severus cilla et se traita mentalement d’idiot. Le visage tuméfié de la Moldue témoignait de sa précipitation, et Dumbledore le regarda par-dessus ses lunettes en demi-lunes, comme pour lui faire prendre conscience qu’il était lui-même négligent.

« Pardonnez-moi, Smith…, murmura-t-il en tirant sa baguette. Je n’avais pas réalisé que…

— Ca va, je suis en vie…

— Grâce à Severus. Je suis désolé, mon enfant. »

Le vieil homme les surprit tous les deux, et tandis que Snape appliquait une série de sorts sur la Moldue, soulagée de voir les douleurs disparaitre, il se leva et lança une poudre dans sa cheminée. Le visage de Maugrey s’y matérialisa l’instant d’après, l’ancien Auror étonnamment alerte :

« Un Sabbat a lieu chez les Potter. Trois Moldus sont morts, une Cracmolle également. Lestrange mène une troupe de 4 Mangemorts d’élite. Il y a peut-être d’autres victimes…

— Bien. Snape ? appela le guerrier derrière le rideau de flammes. À quel point sont-ils avancés dans leur rituel ?

— Ils sont très dangereux Maugrey. La lune est puissante ce soir… Soyez prudents.

— Je vois. Des ordres particuliers, Albus ? »

L’homme à la barbe échangea un bref regard avec son espion, avant de le reporter vers le chasseur de mages noirs :

« Aucun prisonnier. »

L’âtre reprit une couleur normale, et un silence de plomb tomba sur le bureau. Dumbledore donna un coup de baguette et un plateau d’alcools et liqueurs se matérialisa, un second apparu dans un autre « pop », proposant thé, café, et chocolat chaud. Jane inspira longuement et se servit un verre de vin cuit, se leva et se dirigea vers la cheminée, une cigarette déjà dans la main. La tige tremblait, et la Moldue lui jeta un regard noir, avant de l’allumer et d’en tirer une bouffée rageuse. Puis, elle soupira :

« Okay… Okay… Par quoi je commence ?

— Le début, Miss, proposa Albus tandis que Snape hésitait à l’accompagner sur la boisson. Severus, prenez un verre, vous aussi, nous disposons d’un peu de temps avant que vous ne soyez obligé d’aller voir Malefoy, alors profitez-en.

— Bon… Je suis allée à la soirée de Slughorn avec Minerva. Ça se passait plutôt bien, Sirius y a même fait une apparition. »

La bouteille de whisky Pur Feu protesta quand le Sorcier la reposa avec violence. Jane fronça les sourcils, lançant un air interrogateur à l’espion, qui se refusa à croiser son regard, et préféra avaler une première rasade. Dumbledore repositionna ses lunettes sur son nez et agita doucement la main pour inviter la Moldue à continuer.

« Potter et Lovegood étaient ensembles, très beaux eux aussi. À un moment, Draco s’est joint nous et a plus ou moins présenté ses condoléances à Harry et Sirius, mais il s’est surtout intéressé à ce dernier… Et puis il est resté aussi avec moi pour me suggérer de répondre à l’invitation de son père… Après… Après il est parti et… C’est là que Sebastian a commencé à me coller. »

Jane se mordit la lèvre, les narines frémissantes de colère. Elle tira une nouvelle bouffée furieuse sur sa cigarette, si longue que le foyer dévora une belle partie de la tige. Relâchant la fumée par les narines, la main droite fermement verrouillée sur le rebord de la cheminée, Jane continua :

« Il me matait déjà depuis un bail. Sirius m’avait déjà mise à l’écart parce qu’il disait que le vampire… Qu’il sentait, ce que j’étais. Mais quand les petits sont partis, Malefoy y compris, il est intervenu, et ne m’a plus lâchée ensuite.

— … Sirius n’était pas avec vous ? demanda le Directeur, après un regard hésitant en direction de son protégé.

— Non. Il était… Enfin, il faisait sa vie, c’est normal, vous savez… Il n’a rien à se… »

Cette fois-ci, c’était le verre que tenait dans sa main le Mangemort qui craqua légèrement. Mais Snape ne décocha ni un mot ni un regard. Il se resservit du whisky, sans interrompre l’explication de la jeune femme.

« … Peu importe, éluda-t-elle. Je sais pas ce qu’il m’a fait, mais j’étais… Au début j’ai tenté de l’éviter, mais à un moment il a… Je… Je ne sais pas, j’étais… »

La Moldue inspira brutalement, jetant sa cigarette terminée dans le feu et vidant d’une traite son verre. Elle ne parvenait pas à les regarder en face en leur disant cela. Rien que de repenser à la main du vampire enserrant sa taille, son regard de mort la perdant totalement, elle sentait son ventre se contracter douloureusement en un…

« Absente, souffla-t-elle avec précipitation tandis que la bile remontait dans sa gorge. Incapable de lutter, j’ai essayé.

— Les vampires ont ce charme particulier. Cela fait partie de leurs nombreuses armes pour chasser, expliqua Dumbledore d’une voix professorale. Vous ne pouviez pas résister.

— Si je n’avais pas été…

— Certaines Sorcières peuvent aussi succomber à l’attrait d’un vampire, Miss… Ce n’est pas de votre fait, continuez. »

Jane secoua négativement la tête, comme pour réfuter le propos du mage blanc et elle s’approcha du bureau du Directeur où se situaient les plateaux. Elle pose son verre, et avança une main tremblante vers la bouteille, mais Snape la prit de court et la resservit sans un regard. Elle acquiesça, reprit une nouvelle clope et retourna près de la chaleur réconfortante du feu. Pourtant, même proche des flammes, la morsure glaciale de la terreur revenait la hanter.

« Il a lancé une chasse, continua-t-elle précipitamment. Jusqu’à ce qu’elle débouche dans la forêt, et que Severus ne me retrouve.

— Miss… Je comprends que vous ne souhaitiez pas en dire davantage, mais il nous faut certains détails pour comprendre ce qu’il s’est passé.

— Lesquels ? grinça-t-elle ? Le fait que je me sois vautrée dans les couloirs ? Que j’ai hurlé à l’aide sans que cela ne change rien ?! Le fait que j’ai bêtement pris le chemin de cette putain de forêt de monstres ou encore le moment où, comme une conne, j’ai cru qu’un bout de bois allait faire mal à un vampire ?!

— … Vous avez fait quoi ? balbutia Albus, surprit.

— Je l’ai frappé avec une branche, mais il l’a arrêtée. J’ai pu lui en coller une quand il a essayé de me… »

Un jappement rauque la stoppa. Elle lança un regard colérique à Snape qu’elle croyait en train de se moquer d’elle, mais le Sorcier l’observait intensément, l’ombre d’un rictus accroché aux lèvres.

« Vous avez quand même réussi à le toucher…

— Il avait une belle longueur d’avance sur moi de ce côté, répliqua Jane, glaciale. » Incapable d’aller au-delà de l’humour noir. « Mais j’en ai profité pour détaler. Et j’suis arrivée sur cette clairière, avec cette statue…

— … Quelle… ?

— Et quand il m’a mis la main dessus, et qu’il allait me… Me… »

La jeune femme releva les yeux vers eux, comme incertaine du terme à employer. Aucun des deux hommes ne lui fut d’un grand secours, alors elle trancha :

« Me détruire. Quand il allait me détruire, Severus est arrivé, et il s’en est chargé.

— Pardon… ? Miss, qu’entendez-vous par « il s’en est chargé » ?

— Il lui a foncé dessus. Sebastian lui a dit de ne pas le faire, qu’il allait le réduire en charpie, mais… Je crois qu’il n’avait pas pris la pleine mesure de qui il avait en face. Severus a lancé un sort, je ne sais pas lequel. Le vampire s’est mis à saigner, de partout ! Et il est tombé à terre. Et là… Là, Severus en a lancé un autre et… Il a attrapé la tête, et il l’a décapité. À mains nues. »

Albus cligna des yeux, Snape ricana d’autosatisfaction, et Jane rougit en baissant la tête. D’un même geste, la Moldue et l’espion vidèrent leur verre et se resservirent, étonnamment rejoints par le mage blanc qui s’empara de la bouteille de Limoncello.

« Personne d’autre n’est intervenu, répéta-t-il à voix haute alors que son verre se remplissait de liqueur dorée.

— Non. On aurait dit le château vide. Même les portraits… Les fantômes…

— Il est de tradition qu’ils se rejoignent les uns et les autres pour fêter la Sanhaim entre morts et personnages immatériels. Mais que vous n’ayez croisé aucun Auror…

— Cook et McArvis, vous ne les avez pas vus ?! coupa Snape pour la première fois.

— Le petit blond et la grande perche timide, là ? Si… bien sûr que je les ai vus, à la soirée. Slughorn leur a proposé de boire un peu avec nous, plutôt que de garder des vieilles pierres, qu’il leur a dit. »

Jane avait dit cela précipitamment en voyant le regard furieux des deux sorciers. Mais elle se demanda si ce n’était pas la pire des idées, précisément. Elle balbutia presque un « désolée », qu’aucun d’eux n’entendit, et s’empressa de s’allumer une troisième cigarette.

« Nous règlerons cela plus tard, Severus, ordonna le mage blanc d’une voix qui ne souffrait aucune discussion. Nous avons bien plus urgent. Miss, est-ce que vous savez si Sirius et Harry sont toujours sur place ?

— Eh bien… Je suppose, je ne sais pas, il n’est pas si tard, je crois ?

— Peu importe, Albus. Vous comptez les faire venir tous les deux ? Là ? Maintenant ?

— Harry doit être au courant, et Sirius est un membre de…

— Qu’est-ce que… ? tenta de savoir Jane, mais l’espion leva la main pour la faire taire.

— Soit. Faites-les mander, en ce cas. »

Albus se leva rapidement, et alla cette fois-ci devant un petit miroir, pour y scruter à l’intérieur. Snape en profita pour prendre la bouteille de vin cuit et en servir encore à la Moldue. La bouteille se faisait plus légère, la tête de Jane plus lourde. S’approchant d’elle pour verser le liquide, il ouvrit la bouche, mais ne trouva aucune façon de le dire. Il se contenta de la regarder d’un œil critique, et la jeune femme hocha la tête.

« Je me doute. » Murmura-t-elle, et Severus sut qu’elle avait compris où il voulait en venir.

Ils attendirent une dizaine de minutes, jusqu’à ce que la porte ne s’ouvre sur un Sirius Black particulièrement inquiet, suivi d’un Harry Potter suspicieux. Le mage blanc conjura deux nouveaux fauteuils et quand le Survivant croisa le regard de son Maître Occlumens, il comprit qu’il y aurait d’autres morts à pleurer à cette date.

 ***

Rassemblée près d’un grand dolmen gravé de runes, l’équipe se tenait prête à partir. Ils seraient sept, en comptant le vieil Auror qui jetait un dernier sortilège sur sa jambe de métal. Maugrey leva sa baguette, et son escouade se mit en cercle autour de la pierre, prête à transplaner, quand un « pop » arrêta net le Sorcier.

Tous s’accroupirent et mirent en joue le nouvel arrivant qui leva les mains en signe d’apaisement.

« ATTENDEZ ! Attendez ! Alastor… À Noël dernier avec Sirius nous avons échangé votre Whisky par de la crème de marrons frelatée…

— Par Merlin ! Lupin que foutez-vous ici ? RECULEZ ! Vous avez pris votre Potion ?! NYMPHADORA ! COMMENT SAIT-IL QUE…

— Ca n’a pas d’importance ! Je refuse que vous l’emmeniez, vous ne pouvez pas la mettre ainsi en danger !

— Mais de quoi… ? Lupin, tu vas te ressaisir ?! Elle est l’une de mes meilleures baguettes, il est hors de question que l’on se passe d’elle pour une telle mission ! »

Le lycanthrope jeta un regard implorant à la Sorcière qui vit ses cheveux gris virer au rouge carmin sous l’effet de la colère. Son mentor ne lui accorda aucun intérêt et darda son œil magique vers l’ancien Professeur de DCFM.

« Nym… Tonks ! Je sais que tu m’en veux de chercher à t’éviter, mais je t’en prie, ne te mets pas en danger pour me punir !

— Je rêve… ! »

La jeune femme rompit le cercle formé par l’escouade pour s’approcher, furieuse, de l’homme qu’elle aimait, mais elle fut arrêtée par la main noueuse de l’ancien Chef du Bureau des Aurors.

« CA SUFFIT ! tonna-t-il de sa voix rocailleuse. Je me fous de vos problèmes de couple. TONKS, retournez dans le rang, on décolle.

— Non, s’il te plaît… Je te jure que si…

— Je fais mon devoir, Rémus. Ne t’avise plus de croire que le tien c’est de décider à ma place.

— REFORMEZ LE CERCLE ! ordonna Maugrey en tournant le dos au loup-garou blême d’inquiétude. Retourne dans ta tanière, Lupin, avant que tu ne cèdes et ne fasses de gros dégâts, tu es fou de sortir par une telle nuit. Quant au reste… Ta femelle est mon soldat ce soir. »

Avant même que le Mauraudeur ne puisse répliquer quoi que ce soit, la troupe disparut dans un grand flash argenté, la grosse rune inscrite dans le granit scintillant encore quelques minutes après. Ils déboulèrent sur la place où se trouvait normalement la statue des Potter, mais au lieu d’y voir la petite famille heureuse, une odeur de sang séché et de chair en putréfaction les cueillit. Ça, et un trait vert qui percuta Williamson à la poitrine. Son corps s’arcbouta, et il tomba au ralenti sur le sol pavé de la rue. Maugrey envoya une main ferme en direction de Tonks pour la faire pivoter à sa gauche, mais la jeune Auror avait déjà réagi et elle entraînait Savage et Cox à l’angle d’une maison. Rhodes, Pearce s’abaissèrent derrière un muret d’ardoise. Contre le piédestal fracassé du monument, aux pieds des corps hissés macabrement à la place des Potter, Maugrey se tenait, baguette levée, et observait ses hommes, tandis que son œil magique était totalement retourné dans son orbite. De cet œil se dessinait la place commémorative autrefois si bien entretenue, devenue un cimetière ouvert. Snape avait vu en deçà de la réalité : il n’y avait pas que quatre cadavres, mais bien le quartier entier. La maison des Potter était béante, le salon déversant une sorte d’aura maléfique très puissante dont semblaient émerger des formes. Les demeures voisines les plus proches affichaient des fenêtres illuminées de l’intérieur, mais avec des perrons défoncés, parfois le corps d’un de leurs occupants gisant à même l’allée. Godric’s Hollow était un village mixte… Et Sorciers et Moldus se côtoyaient à présent dans la mort, leur sang ayant de toute évidence la même couleur une fois versé.

Par le passé, Alastor Maugrey n’avait interrompu qu’un seul Sabbat, et il y avait perdu la moitié de son nez, tué quelques Mangemorts, et capturé de nombreux autres. Mais pas ce soir. Ce soir, Azkaban n’aurait aucun nouvel occupant, les ordres étaient très clairs. Et vu l’accueil réservé par ces pourritures, pensa l’Auror, c’était amplement mérité. Il fixa Tonks de son œil valide, agitant la baguette dans un certain sens, et elle se jeta un sort la rendant floue et impalpable, avant de ramper au sol. Cox et Savage projetèrent des rayons mauves en direction des ombres qui leur faisaient face, et on entendit le rire caractéristique de Lestrange. Un rire que Maugrey n’avait plus entendu aussi joyeux depuis la nuit où les Londubat…

« Oh oh ! Snape n’a pas mis longtemps à cafter auprès du vieux à c’que je vois… ! Et Dumby m’envoie son chien enragé en prime ! Severus a dû lui donner de sacrés détails pour qu’il flippe comme ça… »

Fol Œil ne répondit pas, son globe magique s’élevant dans son orbite jusqu’à lui offrir la vue parfaite de ce qu’il avait au-dessus de lui. Ses sens ne le trompaient pas. Il y avait bien de la chair suintante pendue sur le socle… Il n’avait pas besoin de voir précisément l’ensemble pour comprendre que les cadavres des Dursleys avaient été agencés de façon à reprendre la posture des Potter. Malgré des années d’entraînement, le corps du Sorcier se tendit de fureur, et il prit une grande bouffée pour se maîtriser.

« Houhou… Maugrey, tu m’entends ? On va te tuer, toi et tes petits soldats de chiffon !

 ***

 

Harry refusa tout d’abord de prendre une tasse de chocolat chaud. Sirius lui, lui proposa directement un Whisky qui fit s’offusquer Albus, gronder Severus, et arquer un sourcil à Jane. On décida donc d’en rester au jus de citrouille cuit et épicé. Le jeune homme s’humecta les lèvres en tentant de patienter devant les réticences des adultes. Dans ses atours de soirée, il semblait avoir deux à trois ans de plus et son regard lui en donnait bien davantage. Albus joignit ses mains sous son menton, et se racla la gorge avec insistance. L’Attrapeur craqua :

« Bon, venez-en au fait ! Qui est mort ?

— Les Dursley et Mrs Figg. »

Snape lui avait répondu ça avec calme, et un silence mortuaire tomba entre eux. Harry cligna des yeux plusieurs fois, cherchant à assimiler la nouvelle, et avança la main en direction du jus de citrouille. Il jeta à de nombreuses reprises un drôle de regard à l’espion.

« Oui, j’étais là, anticipa ce dernier.

— Vous… Vous pouvez m’expliquer ce qu’il s’est passé ?

— Êtes-vous certain d’avoir envie de connaître ces détails ?

— Je les ignore moi-même, Harry, murmura Albus en plongeant son regard bleu dans celui de Sirius.

Pour l’instant, Monsieur le Directeur. Mais je ferai mon rapport à l’Ordre à votre demande.

— Harry ne fait pas partie de l’Ordre. Prévint Sirius en posant une main possessive sur l’épaule de son filleul.

— Il pourrait. »

C’était Jane qui avait dit cela. Ses cheveux séchaient vite à être si proches de la cheminée, et ses boucles remontaient dans tous les sens, entourant ses épaules, l’une d’elles soulignant le poignet qui tenait la main tremblante où était fichée une cigarette. Harry comprit à son allure et à son air qu’elle était on ne peu plus sérieuse, et qu’elle avait une certaine idée de ce qu’il allait devoir entendre. La différence entre l’enseignante qu’il connaissait, et la femme adossée à la cheminée en train de… fumer ?! était frappante et le garçon déglutit en sentant que quelque chose échappait à sa mémoire. Severus croisa son regard, et une fois de plus, le Gryffondor se rendit compte que l’homme ne portait pas ses robes habituelles, mais quelque chose de bien plus sinistre… Il était encore en tenue de Mangemort. Il frissonna. Il aurait aimé être certain que c’était à cause de la main de Sirius sur son épaule, mais non, il hésitait.

« Je n’ai pas changé d’avis à propos de l’Ordre. Mais si vous voulez hypocritement attendre que je sois majeur, ça n’est pas un problème. Mais dites-moi au moins ce que j’ai le droit de savoir. »

Sa voix n’avait pas tremblé. Il n’avait marqué aucun arrêt, il n’avait ni cherché ses mots, ni le soutien visuel d’un de ses aînés. C’est cette détermination qui fit ouvrir la bouche de Severus, mais Sirius le coupa :

« Attends, je n’ai encore rien décidé moi…

— Ne nous fais pas le coup de l’adulte responsable, siffla Severus dangereusement. Il a rendu son verdict, et je n’ai pas que ça à faire. Dépêchons !

— Severus doit voir Malefoy après cela, expliqua Dumbledore.

— Ils verront bien ! Ce soir, ce soir Bellatrix a eu l’honneur de mener une troupe faire un Sabbat comme nous en faisions à l’époque. Tu vois de quoi je parle, Black… ?

— Des orgies bestiales et cruelles où vous couchiez avec des pauvres âmes et massacriez des animaux. Ou serait-ce l’inverse, Severus ?

— Tu as passé trop de temps dans la peau d’un chien… Nous ne touchions pas aux animaux. Mais le rituel… Le rituel restait puissant et sanglant, c’est vrai. »

Harry regarda son Professeur, la bouche s’ouvrant de dégoût. Il jeta un regard paniqué au Professeur Smith, mais elle semblait à peine surprise d’entendre ça.

« Heu… C’est vrai ? demanda le garçon, gêné.

— Quoi donc, Potter ? Le massacre, ou le folklore autour ?

— Severus… Je ne pense pas qu’il ait besoin d’en savoir davantage, recadra le mage blanc.

— Soit. Le dernier a eu lieu le soir de la mort de vos…

— Du meurtre, coupa Harry. Je voudrais que vous disiez « le meurtre ».

— Harry, ce n’est pas…

— Sirius, je peux aussi avoir mon mot à dire.

— Bon, vous voulez que je vous dise les choses comme je le ferais à n’importe lequel d’entre nous, ou non ?! »

Snape avait soupiré cela en se pinçant l’arrête du nez entre son pouce et son index. Il n’avait que faire des problèmes sémantiques du jeune homme et luttait toujours pour rester maître de sa magie. À la fenêtre, la lune restait aussi imposante, bien qu’ayant retrouvé une couleur plus normale. Ses rayons caressaient le dos du Mangemort, et il pouvait en apprécier toute la puissance. Jane s’écarta de la cheminée, et sous prétexte de resservir tout le monde, elle remplit à nouveau le verre de son ami.

« Le dernier Sabbat a eu lieu il y a seize ans. Et Bellatrix tenait à marquer le coup. Elle nous a ordonné de la suivre pour une virée spéciale. Elle avait en tête de s’en prendre à votre oncle et à votre tante, Potter… Et bien évidemment à votre cousin également.

— Mais comment auraient-ils pu… ?

— Laissez-moi terminer. Nous ignorions où vous habitiez à l’époque. En dehors de Dumbledore et des Weasley, Privet Drive n’avait jamais été visité…

— En dehors de moi également, Snape, tu oublies que j’ai pu…

— Ouais, si tu veux. Depuis le retour du Seigneur des Ténèbres, votre maison est sous la protection d’Albus. Personne à l’exception de lui ne peut la retrouver. Ce qui a considérablement compliqué le travail de Mrs Figg l’année dernière…

— Attendez, vous dites que vous, vous ne saviez pas où j’habitais ?

— C’est ça.

— Mais attends, Sirius, comment tu as fait pour savoir où…

— J’étais là quand ta mère a reçu le faire-part de naissance pour ton cousin. Elle y apprenait la nouvelle adresse de sa sœur. J’savais plus ou moins où c’était, il ne m’a pas fallu longtemps pour retrouver le souvenir.

— Mais les lettres de l’école ?

— Tu sais qu’elles sont inscrites par magie, Harry… expliqua le Directeur. Si quelqu’un voyait les adresses, j’aurais immédiatement réagi pour celle sous…

— Je peux continuer ? »

L’espion avait grondé cela d’une voix forte et menaçante. Il semblait qu’évoquer ce qu’il s’était passé là-bas était douloureux.

« J’ai forcé un Moldu à me révéler la nouvelle adresse, celui qui a repris l’ancienne maison des Evans. Et je l’ai tué. Puis nous avons transplané à Privet Drive. Avant d’entrer chez votre fa…

— Attendez. Vous avez dit que la maison n’était même pas visible pour Mrs Figg… Pourquoi soudain… ? »

Mais la question mourut sur les lèvres du garçon qui se tourna instinctivement vers le mage blanc. Il pressentait la réponse, il n’attendait qu’une confirmation. Jane et Sirius inspirèrent de concert en comprenant à leur tour. Severus releva la tête en direction du Directeur, un rictus malveillant accroché aux lèvres.

« Je n’ai pas maintenu le sort après ton départ. Et la protection liée au sang ne concernait que toi… À condition que toi sois près de…

— Mais pourquoi ?!? Ils étaient des cibles potentielles, alors pourquoi ?

— Parce que je n’ai pas jugé la dépense d’énergie utile, Harry.

— Maintenir un tel sort en permanence est si épuisant ? demanda Jane sans timbre.

— Terriblement, confirma Sirius en s’humectant les lèvres. Pour se passer de ça, il faudrait rattacher la maison elle-même à quelque chose, mais… Même Square Grimmaurd n’est pas autant cachée. Elle dispose de sortilèges différents et…

Vous n’avez pas jugé la dépense d’énergie utile… »

Le brun avait répété cela doucement, en hachant les mots comme munit d’un tranchoir effilé. Il dardait sur son Directeur un regard si furieux qu’on aurait dit deux émeraudes incandescentes. L’air s’épaissit, tandis que la magie crépitait autour de lui. Cela devenait désagréable d’être dans une pièce avec autant de Sorciers en colère. Jane jeta sa clope dans le feu.

« Vous allez devoir vous habituer à entendre ce genre de choses, Monsieur Potter, murmura-t-elle. Cela fait partie du boulot.

— Choisir qui doit vivre et qui doit mourir ?

— C’est plutôt « qui peut », Harry. Qu’avez-vous dit à Maugrey avant qu’il ne parte, Albus… ?

— « Pas de prisonnier. », répéta le vieil homme.

— Mais… Mais si on en faisait, on…

— … Prendrait de gros risques pour les attraper, et pour quoi ? coupa Jane son regard planté dans celui du garçon. Vous croyez qu’il y a beaucoup de procès en temps de guerre ? Beaucoup d’arrestations triomphantes ? En général, les… Échanges de tirs finissent par être surtout mortels du côté des ennemis de ceux qui racontent les faits.

— Et vous cautionnez ça, Professeur Smith ?

— Oui. »

Harry hoqueta de stupeur, alors que Sirius écarquillait les yeux. Dumbledore avala de travers sa gorgée de Limoncello et Snape se tourna si vite vers Jane que son masque se fissura le temps d’afficher une profonde surprise. Jane haussa les épaules et tira de sa blague à tabac une autre cigarette qu’elle alluma.

« Je préfèrerais vous dire que non. Que je suis contre. Parce que c’est le cas, je voudrais qu’il en fût autrement. Mais je n’ai rien d’autre à proposer. Et je crois de plus en plus qu’il n’y a pas d’alternative. Pas de guerre propre. Alors… Je préfère ne pas être hypocrite et le dire : ce faisant, je cautionne.  Vous n’avez jamais douté d’une décision de clémence qui vous aurait coûté cher, Potter ?

— C’est bon, Smith ! Par Merlin, ce taré déteint sur vous, cracha Sirius. Harry, tu n’es pas obligé d’écouter la suite, tu sais.

— Ca m’arrangerait, car nous prenons du retard. Si Potter veut aller au lit avec un chocolat chaud, qu’il y aille, j’ai encore une mission qui m’attend.

— NON ! Non. Allez-y, Snape.

— C’est Professeur…, commença à corriger Albus mécaniquement.

— Non, pas ce soir, répliqua Severus en fixant Harry. Nous avons transplané, mais avant qu’on ne s’en prenne à votre famille, j’ai prévenu pour Mrs Figg. Il était hors de question que je me trahisse. Alors j’ai choisi : sa vie, ou ma couverture…

— Et la vie d’une Cracmolle vaut moins que celle d’un Sorcier-espion, termina Jane.

— Vous apprenez vite, Smith. »

 ***

Cox hoquetait de terreur, les deux mains serrées autour de son cou tandis qu’il se vidait de son sang. Dans sa panique, il semblait croire encore qu’il avait d’une chance de survie et ses yeux exorbités suppliaient Alastor Maugrey de faire quelque chose. Mais l’Auror se détourna de lui, lançant un nouvel impardonnable en direction d’une brune trapue qui venait de frapper le gamin. Ils n’étaient plus que cinq, et en face les Mangemorts ne faiblissaient pas. Gavés d’énergie noire, ils semblaient inarrêtables. Le craquement horrible d’un os qui se rompt et qui sort de son axe crissa au-dessus du vieil Auror qui releva l’œil magique pour n’avoir que le temps de rouler en avant. La main de… De la tante de Potter ?! venait de se détacher de la statue pour descendre dans sa direction. Tombée au sol, elle rampait en griffant les pierres à la recherche de sa proie.

« PRÉ-INFERIS ! hurla Maugrey à l’attention de ses troupes.

— Vous arrivez trop tard Fol Œil, pépia Bellatrix. Plus personne ne vit ici en dehors de nous… Vous vous battez pour rien, vieillard.

— Qu’est-ce qui te fait croire nous sommes là pour sauver qui que ce soit ? »

Tonk vit Bellatrix éclater de rire à cette réplique. Elle rejeta sa crinière et sauta dans la maison des Potter d’un geste souple. Un dernier mouvement de baguette en arrière, elle poussa Nott en avant :

« Tuez les bébés Aurors, nous les ajouterons au mémorial. L’estropié est à moi… VIENS M’ATTRAPER ! »

Nott et Dolohov ne laissèrent pas le temps à Bellatrix de s’engouffrer dans le salon des Potter, ils lancèrent une pluie de sorts cuisants en direction des autres assaillants. Tonks continua d’avancer, dissimulée par son sortilège de flou et lorsqu’elle dépassa le cadavre d’une femme Moldue en peignoir, elle donna un coup violent de baguette qui fit lâcher la sienne à Nott. Il grimaça, et fondit sur elle dans une nuée de vapeurs sombres. Rhodes à sa gauche déboula et dans un claquement sonore, fit s’élever des cordes qui encerclèrent le Mangemort aux chevilles, s’enroulèrent autour de ses poignets, et sa gorge. Tonks esquiva un trait émeraude lancé par Yaxley avec dextérité, mais elle dut sauter derrière un murer quand Dolohov projeta un cône de feu puissant dans sa direction.

Des voix s’élevèrent doucement, une litanie macabre et envoûtante, l’air devint plus putride encore et la magie noire ondoya tout autour d’eux. Tonks frissonna, et alors que Rhodes clignait des yeux de surprise face au changement environnant, le sort de liens qui maintenait Nott en place se rompit et le Mangemort se précipita pour le frapper à mains nues. La métamorphomage se redressa d’un bond et sauta par-dessus le muret, hurlant un sort d’expulsion. Nott fut projeté trois mètres vers la gauche et il alla s’entasser contre des cadavres. Tandis que Savage aidait son ami à se relever, Maugrey les dépassa en courant plus rapidement qu’aucun Sorcier présent n’aurait pu l’imaginer avec sa jambe. Il dépassa ses trois derniers Aurors en vie, et partit à la suite de Bellatrix. Quand il arriva dans le salon qui puait le sang et la pisse, il se retourna frénétiquement dans tous les sens, son œil magique à la recherche de la moindre signature.

« Tu cherches surtout la vengeance, hein vieillard… ? Tu as le goût du sang, entendit-il derrière les poutres effondrées.

— Je n’ai rien à voir avec des ordures telles que vous. Je ne suis pas un criminel.

— Que tu aie un permis de tuer ne change pas ce que tu es, Fol Œil… »

Une ombre se colla à sa vision, et la caresse de cheveux bouclés fit frissonner de dégoût le combattant de l’Ordre. Il ne put que pivoter, mais un coup furieux s’abattit sur sa nuque et le fit chanceler. Il cligna des yeux, devant lui se tenait Bellatrix qui lui souriait :

« … Un meurtrier. »

 ***

Harry se leva, puis se rassit. Il se leva à nouveau et tourna plusieurs fois sur lui-même, jusqu’à gémir, et donner un violent coup de poing dans la bibliothèque en face de lui. Son poing écarta les livres et se ficha dans le fond du meuble, qui éclata sous l’impact. Les épaules tendues et tremblantes, il resta un instant planté là, incapable de contenir sa rage. Sirius regardait leur chef, blême, le souffle coupé devant le récit de Snape. Jamais jusqu’ici le Mangemort n’avait autant explicité son rôle. Jamais, il en était pratiquement certain, il n’avait entendu pareille chose, ce qu’avait fait Bellatrix dépassait de très loin ce que Voldemort avait bien pu commettre. Du moins, il essayait de s’y rattacher, la mort dans l’âme. Snape s’était levé à son tour et s’était approché de la cheminée pour y prendre appui, le visage tourné vers le foyer qui le réchauffait quelque peu. À sa droite, Jane continuait de fumer, la bouteille de vin cuit vide et juchée sur le manteau de pierres.

Harry dégagea son poing, en se raclant la gorge, et Sirius se leva pour lui servir son premier Whisky Pur Feu. Il le lui tendit, alors que le garçon reprit place dans son fauteuil, observant la silhouette de l’espion grandie par la lumière des flammes.

« Ca… Ca vous fait quelque chose de faire ça ? murmura l’Attrapeur en grimaçant à sa première gorgée.

— Non. Je suis une créature morte dépourvue d’âme et de sentiments, Potter. »

Snape n’avait pas daigné se détourner du feu en lui disant cela, et Sirius soupira d’agacement. Avant même qu’il ne puisse répliquer quoi que ce soit de cinglant, Jane acquiesça :

« Tout le monde sait cela, Severus. Harry voulait juste vérifier une évidence…

— C’était une question stupide…, comprit le plus jeune, appréciant qu’elle ait désamorcé l’espion.

— Ce n’était pas votre première. » Confirma Snape en relevant la tête du feu.

Il croisa rapidement le regard de Jane, qui décela pour la première fois de la soirée quelque chose d’humain dans l’encre noire de ses yeux, et il laissa son dos se réchauffer, offrant son attention au jeune homme.

« Tuer déchire l’âme, Potter, lui expliqua le Maître des Potions en déclenchant un tic nerveux chez son mentor. Torturer, et assister à ces boucheries est au-delà. Oui, il m’arrive d’y prendre plaisir, si cela rentre dans votre catégorie des émotions que ça pourrait me déclencher.

— Vous essayez de me choquer, mais…

— Vous l’êtes déjà, coupa Snape. J’en ai terminé avec ça, Albus, je vais devoir me changer et me rendre à la sauterie de Lucius.

— Attendez ! Attendez, qu’est-ce que vous comptez faire ?!

— Calmez-vous, Harry, son job, rien de plus… Vous n’êtes pas encore dans l’Ordre, alors calmez-vous.

— Mais… Si vous lui parlez, il saura que vous êtes un… Enfin, que vous venez parce que Dumbledore vous a dit de le faire, non ? »

Snape releva un sourcil amusé, et vola le verre de la Moldue pour en terminer le contenu.

« Oui, c’est exact Potter, et il en déduira que l’Ordre préfère travailler avec lui, qu’avec elle.

— Il va falloir te préparer, Harry…, coupa Dumbledore. Si je t’ai fait venir, c’est parce que tu vas avoir à gérer ça dans les jours à venir. La Presse sera probablement au courant, selon ce que Malefoy souhaite faire de cette affaire. Et je ne voulais pas que tu l’apprennes par le journal.

— Très bien. Et les funérailles ?

— Je m’en charge, Harry, répondit Sirius. Concentre-toi sur ton rôle et récupère un peu.

— Et… Potter ? ajouta, incertaine Jane. Pensez à la possibilité de devoir endurer la Presse le jour même.

Pardon ?

— Réfléchissez-y : à la place de Scrimgeour, ou de Malefoy, je ferais probablement une allocution, ou un truc dans le genre. Les tragédies servent les intérêts d’un…

Pas quand il s’agit de Moldus, Smith, coupa Severus. Ça ne touchera personne. Cela dit, Potter, anticipez, c’est une – infime – possibilité.

— C’est bon, j’ai eu ma dose… J’vais y réfléchir, je peux y aller ?

— Oui, oui, je crois que nous avons tous besoin de repos.

— Parlez pour vous Albus… Vous devriez réfléchir à notre autre problème, si vous voulez un conseil.

— Selon le rapport d’Alastor, j’envisagerais de vous reconvoquer. Mais reposez-vous en attendant. »

Snape grogna et sortit rapidement suivit de Jane, Sirius et Harry. Jane retourna sans demander son reste à ses appartements. Harry étreignit un instant son parrain, encore ébranlé par ce qu’il venait d’apprendre :

« Tu es certain que ça va aller ?

— Oui. Je ne réalise pas encore, je crois que ce n’est pas plus mal. Je verrai demain.

— Je suis désolé que tu aies à endurer ça.

— Je préfère encore qu’on me dise les choses plutôt qu’on ne me les cache, Sirius… Alors je vais être assez fort pour supporter ce que j’ai demandé à savoir.

— Tu… Viens là. »

Le Maraudeur le serra une nouvelle fois dans ses bras dans un geste protecteur.

« J’oublie à quel point tu es courageux, Harry.

— Et moi à quel point tu es une mère poule… Bonne nuit Sirius.

— Bonne nuit. »

Le Gryffondor monta les escaliers et disparut en haut de l’étage. Le gros escalier se détacha de celui-ci et coulissa pour aller se reconfigurer autrement, comme pour signifier à l’Animagus qu’il n’avait pas le droit d’y monter. Ce dernier soupira, et descendit en direction du hall. Il n’avait pas encore atteint la dernière série de marches qu’une poigne l’envoya s’écraser contre un mur, et qu’une baguette se ficha contre sa gorge, tandis qu’une main ferme la tenait en écrasant sa trachée. Sirius toussa, cherchant à tirer sa baguette, mais un genou colla sa main contre le mur avec rapidité. Des larmes de douleur et de suffocation perlèrent à ses yeux, qu’il écarquilla quand il croisa un regard meurtrier.

« Si tu manques une nouvelle fois, rien qu’une seule fois, à ton devoir, Black… »

Severus le tenait en joue et semblait exprimer ici une rage qu’il avait contenue tout le long de la réunion. Sirius cligna des yeux en crachotant :

« De quoi… ? De quoi tu parles ?! »

Snape ne répondit pas et le lâcha aussi prestement qu’il l’avait attrapé. Il tournait déjà des talons, lui offrant ostensiblement son dos en représailles lâches. Mais Sirius ne tira pas, il n’avait plus seize ans. Quand il comprit ce que l’homme en noir voulait dire, ce dernier s’était déjà éclipsé.

 ***

Maugrey frappa violemment de son bâton noueux au sol et cela le propulsa sur ce qu’il restait de l’étage. Baguette pointée en direction du couloir poussiéreux et pratiquement détruit, il avançait doucement, passant ce qui semblait être les ruines de la salle de bain des Potter. L’œil valide fixait les ténèbres en face de lui, le globe magique roulant à toute vitesse dans son orbite pour scruter l’arrière est les côtés à la recherche de la moindre embuscade. Il ne connaissait pas bien les lieux, il n’était venu qu’après la destruction de ceux-ci et n’avait jamais eu l’occasion de monter à l’étage. Il était même probable que personne depuis la mort des Potter n’avait osé y grimper, en témoignaient les bibelots intacts qui jonchaient le sol.

L’Auror passa la chambre du couple, le lit encore fait accueillait des éclats d’un miroir qui semblait avoir été soufflé par l’explosion. L’œil magique se braqua sur le sol devant lui quand sa jambe en métal marcha sur quelque chose qui craqua. C’était un vieux cadre dans laquelle reposait une photo animée de James et Lily en train de faire un tour de manège Moldu. Ils riaient tous les deux, malgré le pied articulé qui recouvrait une bonne partie du corps de James. N’importe qui aurait relevé la jambe, un ami aurait même remis le cadre à sa place, mais Maugrey était en chasse, et son gibier était bien plus dangereux qu’un quelque manque de délicatesse. Il avança. Instinctivement, il avança en direction de la dernière chambre, celle de l’enfant.

La porte y était fermée, recollée par de la magie, sans doute… De grosses lettres rouges et or en bois peint à la main formant le prénom de Harry ornaient le bois blanc. Au travers, son œil magique lui proposait une vision brouillée d’une chambre étrangement rangée et baignée d’une lumière. Bellatrix attendait dedans, il pouvait la voir : assise dans un fauteuil à bascule, berçant quelque chose enroulé dans un linge. Le guerrier banda les muscules et bloqua sa respiration. D’une formidable poussée, il donna un coup sec de baguette qui ouvrit en grand la porte et déboula dans la pièce pour voir la Mangemort se lever en hurlant théâtralement de terreur. Elle lâcha ce qu’elle tenait dans les bras pour plaquer ses deux mains sur la bouche, et Maugrey gronda lorsque son œil bleu lui imprima l’image d’une tête humaine qui roulait à ses pieds.

« PAR MERLIN ! IL NOUS A RETROUVÉS ! hurla la folle en souriant méchamment. PITIÉ ! PITIÉ ! ÉPARGNEZ MON TOUT PETIT !

— Que…

— CODE NOIR ! »

La peur dans la voix de Tonks le fit pivoter, assez pour que Lestrange en profite et pointe sa baguette dans sa direction. Il esquiva un trait menaçant, et fit un demi-tour sur lui-même pour lui asséner un coup brutal à la mâchoire. Elle recula en éclatant de rire, et l’obligea à se protéger du nouveau sort par l’armoire en chêne réassemblée.  Le dos calé contre le meuble, l’œil magique sifflant tant il roulait entre la sorcière et ce qu’il se passait à l’extérieur, Maugrey réfléchit rapidement à la situation.

« Tu vas devoir choisir… Moi, ou eux… Tic tac… »

Dehors, Tonks reculait en tirant Savage, Pearce rampait au sol et gargouillait des suppliques dans leur direction alors qu’une forme se hissait sur son dos pour l’attraper et le ramener vers une horde d’Inferis. Les Carrows débitaient toujours d’un ton concentré le chant nécrotique, leurs comparses les couvrant. Tonks avait eu de toute évidence Dolohov qui gisait à deux pas du groupe, mais à présent, la Métamorphomage était dépassée. La situation était critique. Le rire de Bellatrix agaça une nouvelle fois l’Auror, et l’espace d’un instant il hésita. Mais il prit violemment appui sur l’armoire et replia les deux bras devant son visage lorsqu’il passa la fenêtre du gamin. La vitre éclata bruyamment, alors qu’il entendait clairement Lestrange disparaitre en transplanant. L’Auror tomba dans le salon, un genou à terre et se redressa d’un bond, les deux yeux furieusement dirigés vers les Carrow, de là, il donna une autre poussée, et fonça directement sur la sœur, qu’il pointa de sa baguette. L’heure n’était plus à la subtilité. Un trait vert fusa et percuta Alecto qui ouvrit de grands yeux surpris et tomba dans les bras de son frère. Il y eut un instant de silence, et soudain, le Sorcier hurla d’une rage sans nom en braquant un visage déformé par la haine en direction du chasseur de Mages Noirs.

Les corps des Inferis tombèrent au sol comme des poupées de chiffon, et Tonks se releva pour reprendre la suite du combat. Nott hurla quelque chose à Amycus avant de transplaner, mais le brun n’écoutait plus, il arma le bras et donna un coup de baguette vers Maugrey qui esquiva en roulant au sol, se releva, et répliqua tout aussi sec. L’Auror sourit d’un air mauvais au Mangemort, avant de viser le corps de la sœur. Amycus beugla un « NON ! » précipité, et il envoya son propre bras dans le dos de sa jumelle. Il hurla quand le sort l’atteint et nécrosa presque immédiatement le membre. Mais il tint bon, refusant toute profanation du corps de sa moitié. Maugrey tira encore, toujours en direction de la jeune femme, ricanant de voir le Mangemort chercher si désespérément à protéger sa dépouille. Il marcha lentement, arrivant à la hauteur du Sorcier qui tenait sa sœur enlacée contre lui. Amycus gardait son front contre le sien, les yeux fermés dans un masque de douleur et de résignation.

« Vous avez tous des faiblesses, et je les trouve toujours. » Gronda Alastor en levant sa baguette.

Amycus pressa ses lèvres contre celles glacées de sa sœur, et accueillit avec soulagement le sort qui le délivra du maléfice cuisant qui le rongeait.