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Chapitre 50 : La Marque des Ténèbres

 

Le vide s’étendait en dessous d’elle, sans pour autant qu’elle ne le voit. Et la gravité, puissante, impérieuse, l’entraîna comme un aimant dans des profondeurs qu’elle ne désirait jamais atteindre. Le noir, le silence, le froid terrible l’enveloppa quand soudain, là, quelque chose de chaud lui brûlait les doigts. Comme une source intarissable, un fluide gouttait lentement sur ses paumes, glissait sur ses bras. C’était presque agréable, le contraste avec l’inexistence de l’endroit où elle était la rassura. Brièvement. Quand elle commença à sourire aux ténèbres, une odeur terrible s’empara de ses sens, le liquide devint visqueux, et le sentir ramper sur son corps était insupportable. Dans la noirceur de la nuit, ou peut-être même d’elle-même, elle vit deux billes de lumière. Deux billes furieuses et incrédules qui s’éteignaient peu à peu. La chute se poursuivit, comme si l’air avait cessé d’exister et que plus rien ne pouvait empêcher l’inévitable. Alors qu’elle allait s’écraser dans ses remords, son corps entier sursauta brutalement et Jane ouvrit les yeux et la bouche, en soupirant d’effroi. Ce ne fut pas le regard mourant de Bellatrix qui la cueillit, mais celui concentré de Severus. Elle était toujours dans ses bras, s’était-elle endormie ? Dormait-il lui-même ? Quelle heure était-il ?

« Rendormez-vous, Jane, murmura-t-il. Il n’est pas encore midi. »

Elle hésita et son corps se réveilla doucement à mesure que sa vue s’habituait peu à peu à la luminosité environnante. Les restes du feu laissaient filtrer une légère lueur depuis le salon, assez pour qu’elle distingue les contours du Sorcier. Il n’avait pas bougé. Quand elle gigota d’impatience, il raffermit sa prise et l’intima une nouvelle fois au calme :

« Profitez encore, il nous reste quelques heures de sommeil avant le départ de Dumbledore. »

Elle allait répliquer qu’elle préférait de loin l’épuisement à ses songes, mais ses yeux brûlaient et elle dut battre plusieurs fois des cils pour tenter de chasser les larmes de fatigue qui lui virent. Severus tendit le cou et baisa doucement ses paupières, avant de laisser son souffle caresser son nez. Ce geste d’une rare tendresse surprit Jane et quelque chose de doux – une vague sensation de sécurité – s’empara d’elle, et elle retomba dans un sommeil agité.

***

Debout face à un miroir Moldu, Lucius fixait le regard de son reflet avec gravité. Les bras le long du corps, il laissait les mains agiles et rompues à l’exercice de sa femme nouer son étoffe de soie autour du cou. Il devait se changer, montrer que les nouvelles n’affectaient ni son élégance ni son humeur. Ce qu’il s’était passé durant la nuit de Noël allait tout juste se propager dans le pays, et après les obligations rituelles, Lucius avait vu sa routine politique brutalement interrompue. La veillée de Noël était un exercice particulier pour les Malefoy : le repas se faisait chaque année en famille, Narcissa, Draco et lui. Puis, la maisonnée se déplaçait à Sainte-Mangouste pour offrir des cadeaux aux enfants malades, et faire quelques nouvelles promesses de dons. Lorsque minuit sonnait, ils se donnaient alors en spectacle en chantant en compagnie du personnel hospitalier et de l’affreuse Directrice aigrie, avant de rentrer enfin au manoir digérer toutes ces manières.

Lorsque Moky, leur plus vieil elfe de maison, était venu les déranger après cela, Narcissa et Lucius passaient un temps délicieux dans un des boudoirs de Madame. Moky avait gardé les yeux résolument au sol en suppliant Monsieur de bien vouloir comprendre Moky. Moky avait dit à Albus Dumbledore qu’il ne pouvait déranger Monsieur ! À peine le nom du vieil homme prononcé en cette soirée si particulière que Lucius s’était relevé rapidement avait passé une robe de chambre et tenté d’affecter un visage neutre et profondément ennuyé à l’idée de perdre du temps avec le Directeur de Poudlard. Mais Lucius savait que jamais le vieil homme ne se serait déplacé si cela n’avait pas été en rapport avec la guerre, et une désagréable peur s’était emparée du Ministre. Que s’était-il passé ? Ils avaient alors convoqué Scrimgeour dans les flammes de la grosse cheminée de son cabinet privé. Que Dumbledore choisisse de voir en personne Lucius et pas Scrimgeour signait ici le fait que le vieil homme voulait s’assurer que le Ministre de la Justice ne soit pas auprès de Voldemort, l’attachant au service du Ministère, et pas à celui du Mage Noir…  Mais peut-être avait-il eu envie de voir la réaction de Lucius ? La paranoïa devenait une seconde amie qui ne le quittait guère plus.

Narcissa termina de nouer le tissu et passa ses mains sur les hanches de son mari, lissant sa tunique avec un soin légèrement inhabituel. Lucius quitta son questionnement pour revenir dans le présent et observer sa femme à travers le miroir. Il posa délicatement sa main sur la sienne et elles s’emmêlèrent immédiatement.

« Il attend peut-être que tu viennes de toi-même…

— Non. Rien n’expliquerait que je sache précisément ce qu’il en est.

— Les journaux vont en parler… ! Et puis, il y avait le fils Weasley, persista Narcissa. Des Aurors sans doute… Notre cousine, peut-être… ? Nym…

— Non, coupa brutalement Lucius en lançant un regard froid à sa femme. Rien n’est dit, Severus est officiellement un traître, je ne prendrai pas le risque de m’y précipiter. J’irai si et seulement si le Maître souhaite que je vienne.

— Severus…, répéta Narcissa les mains légèrement tremblantes. Est-ce lui qui… ? »

Lucius avait tout dit à son épouse dès que Dumbledore s’en était allé. La colère avait tout d’abord explosé chez sa femme, la poussant à dévaster le salon bleu où elle l’avait attendue, avant qu’un terrible chagrin ne s’empare d’elle et que Narcissa ne tombe à ses pieds en pleurant longuement sa sœur. Sa sœur, sa folle de sœur… Sa sœur tout de même. Lui n’avait aucun regret, la disparation de Bellatrix remettait un peu de calme dans la guerre, bien que ce fait soit survenu plus tôt qu’il ne l’aurait cru. La réaction de Voldemort était impossible à prévoir, sa marque le brûlait constamment et il savait que la colère de son Maître ne se tarirait que lorsqu’il aurait attrapé Snape et lui aurait fait payer. Mais était-il l’assassin de Lestrange ? Dumbledore n’avait rien dit à ce sujet, si ce n’est qu’il s’était opposé à sa belle-sœur et qu’il en avait payé un lourd prix. Qui était intervenu ? Potter ? Dumbledore ? Severus lui-même ?

« Severus…, le coupa une nouvelle fois Narcissa dans ses pensées. Aurais-tu imaginé qu’il…

— Et toi ? »

Ils étaient pourtant en sécurité au manoir, ils pouvaient parler librement, agir librement. Quoi que Draco se trouvât dans la bibliothèque à quelques pièces de là. Mais ils pouvaient se comprendre à demi-mots. Oseraient-ils avouer qu’ils n’apprenaient rien et qu’ils avaient caché ce fait à leur Maître… ? Malgré son éducation très aristocratique, Narcissa avait toujours bien aimé Severus qu’elle trouvait intelligent et doué, digne du respect et de la concurrence de son mari. Elle regardait à présent Lucius sans savoir comment lui dire, son index caressant ses phalanges d’un air absent. Il cligna longuement des yeux et se retourna avec lenteur, réfléchissant avec soin à cette épineuse question. Quand les époux se firent face, il posa ses lèvres sur celles de sa femme et souffla contre elles sa réponse.

« Oui.

— Moi aussi. Mais depuis quand… ? »

Lucius mordit légèrement dans la lèvre inférieure de sa femme, comme s’il s’agissait d’un fruit qu’il pouvait goûter à sa convenance. L’heure n’était certainement pas à la sensualité et cela ne fit qu’accentuer son désir. Il observa Narcissa avec gravité, tira de sa poche sa montre à gousset qui lui confirma qu’il n’avait plus guère de temps avant de solliciter une nouvelle fois Scrimgeour, puis il soupira d’agacement.

« Je l’ignore, finit-il par concéder. Je suis seulement certain qu’il a été des nôtres. »

Ce fait semblait très important à l’instant pour le blond, qui chassa une brève impression de solitude. Mais rien n’entravait ses plans, cette nouvelle serait peut-être même un avantage, se répéta-t-il pour la quatrième fois depuis la venue de Dumbledore. Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit, et maintenant qu’il était presque onze heures, il se dit qu’il pouvait bien déranger le Ministre de la Magie pour proposer une nouvelle fois l’aide de la Brigade pour sécuriser le Ministère ou même l’école…

« Et s’Il te convoque ?

— Il sait que ma tâche est très importante au Ministère…

— Et s’Il décrétait que tu utilisais cela pour… »

Narcissa ne termina pas sa phrase. Lucius l’observait avec défi, un sourd agacement montant lentement.

« Je ne dis pas que…

— Non, tu ne le diras pas. » Confirma-t-il.

Il s’approcha à nouveau d’elle et planta son regard sans chaleur dans le sien. Elle ne pouvait ni ne devait le dire, et ils n’évoqueraient plus jamais cette éventualité. Lucius devait retrouver le Ministre de la Magie et tenter de le convaincre de ratifier certaines mesures d’exception supplémentaires, il ne faisait que ce qu’il avait à faire. Fin de la conversation.

***

La Salle sur Demande avait été un lieu de retrouvailles pour le groupe, d’entrainement. Un vrai refuge pour des jeunes gens qui ne savaient pas comment prendre la guerre imminente, comment y survivre, comment se frayer un chemin entre les adultes qui gonflaient la poitrine en tremblant discrètement de peur, et les autres élèves qui se voyaient comme des gamins qui vivraient toujours en sécurité. Pour une raison qui leur était toujours inconnue, eux avaient tout de suite compris la gravité des choses. Il n’y aurait pas toujours un adulte pour les protéger. L’ennemi se moquait de leur âge. L’ennemi ne portait pas nécessairement la Marque des Ténèbres. En ça, Dolorès Ombrage avait été le meilleur des professeurs : leur faire comprendre que le danger pouvait venir de ceux prétendant vous protéger.

Retrouver la salle dans des dispositions plus cosy était un vrai soulagement : la pièce s’était naturellement dotée de grands lits moelleux, de coussins éparpillés au sol pour ceux qui souhaitaient s’y prélasser, d’une grande salle de bain avec une baignoire impressionnante et d’une étrange cheminée centrale réchauffant inutilement l’endroit. Ils s’étaient couchés et endormis immédiatement la veille, épuisés par leurs émotions, incapables d’en parler alors même qu’ils étaient blessés moralement et parfois physiquement. Mais au réveil, alors qu’une délicieuse odeur de chocolat chaud et de petits pains au lait les tirait du lit, les jeunes gens s’étaient retrouvés sur les coussins, lavés, peignés, prêts pour une réunion aussi sérieuse, si ce n’est plus, que celle montée à la va-vite par les adultes la veille.

Harry revenait à peine de la salle de bain que ses amis posèrent de concert leur tasse et l’observèrent. Il eut la désagréable impression d’être un chef de bande, et malgré les événements, ses « soldats » restaient pourtant en attente de ses ordres. Il ravala un soupir et les rejoint, alors qu’Hermione lui servait un jus de citrouille. Avant même qu’on ne lui pose cette question qu’il préférait tant éviter, il demanda immédiatement à Ron :

« Comment tu te sens ? »

Le jeune homme avait retrouvé quelques couleurs, son regard était à nouveau fixe et il parvenait sans mal à discuter. Cette nuit, lui, Neville, Hermione, Ginny et Fred avaient gémi, crié parfois, dans leur sommeil. Harry, qui avait cette habitude, avait déjà jeté un charme sur son lit pour ne pas les déranger. Il se retrouva donc aux aurores, alors qu’ils n’avaient pu glaner que quelques heures fébriles, à leur enseigner ce sortilège et il avait vu dans le regard de son meilleur ami une certaine compréhension triste. Oui, ils commençaient à parler la même langue…

Ron haussa les épaules en montrant son poignet argenté et soupira :

« Diminué, avoua-t-il. Et ridicule.

— Ce n’est pas ridicule ! s’emporta Ginny qui semblait tout faire pour que son frère retrouve le sourire.

— Ah, si, si…, confirma Fred amusé. Regarde ça : on dirait une batte de batteur version Halloween, à moitié faite de chair et de…

— Vous ne pouvez pas dire ça ! s’offusqua Hermione.

— Si, ils ont raison, soupira Ron. J’pense que ma carrière de gardien est terminée.

— Non, Maugrey a promis que tu aurais une prothèse efficace.

— Et après, Neville ? Tu penses que je vais pouvoir payer quelque chose aux gobelins ? Tu as une idée du prix d’une de leur…

— Ce que tu peux être con, coupa Harry en mâchonnant un cookie. Tu crois vraiment que qui que ce soit te laisserait payer seul un tel truc ?

— Je n’ai pas besoin de ta charité, répliqua Ron plus brutalement qu’il ne l’aurait voulu.

— Peut-être, mais j’ai besoin de toi. Donc tu fermes ta gueule et tu te fais réparer comme un roi. »

Harry et Ron s’observèrent gravement, et le roux offrit un pauvre sourire en coin avant de baisser la tête.

« J’ai peur, t’sais… J’veux pas ressembler à Maugrey.

— T’as encore ton nez, ton œil, ta jambe… Et tu n’as pas la gueule de travers, ne t’en fais pas, s’amusa George. Harry a raison t’façon : nous pouvons payer, Sirius peut le faire, Harry aussi…

— Moi aussi, confirma Neville gravement. Maintenant, ce ne sera plus vraiment un problème. Il n’est pas question de charité, nous devons pouvoir compter les uns sur les autres. Personne ne nous sauvera. »

Il avait dit cela avec une certaine raideur, comme digérant mal de n’avoir pu faire face au bourreau de ses parents. Neville restait globalement silencieux depuis l’attaque. Parfois tremblait-il encore, inquiétant ses amis qui se demandaient alors s’il n’avait pas quelques séquelles du Doloris. Malgré la cohue de la bataille, certains sons s’étaient imprimés dans leur inconscient. Dans l’obscurité de leur nuit, ils avaient pu goûter à l’écho des hurlements que leurs oreilles n’avaient pu totalement ignorer. À commencer par ceux de leur ami. Harry se rembrunit, repensant à Snape et à ce qu’il avait dû faire lui-même. Luna passa une main fraîche contre sa joue en observant silencieusement la troupe.

« N’empêche, s’il n’avait pas réagi…, reprit Neville, soucieux.

— Tu parles de Snape, n’est-ce pas ? demanda Ginny.

—  Oui. S’il n’avait pas décidé de griller sa couverture… Et pour moi, putain ! Est-ce que ça valait vraiment le coup, en plus ?

— Bien-sûr que ça vaut le coup, t’es vraiment secoué, en fait ! Tu crois qu’on aurait pris comment que tu crèves, ou pire que tu deviennes un légume ?

— Ron, je pense que tu peux faire preuve de diplomatie…, nuança Hermione.

— Ouais, mais il a raison, n’empêche. J’pense pas que la guerre y gagnerait à te perdre, t’sais.

— Merci George, mais je m’interroge tout de même : un espion contre un gamin… vraiment ?

— … Je pense que ce choix se serait posé à lui tôt ou tard, intervint Harry en fronçant les sourcils. Je… Je connais pas vraiment Snape, même pas du tout, parfois… Mais j’pense qu’il n’aurait pas pu rester longtemps dans ce rôle.

— Pourquoi pas ? Tu nous as bien dit qu’il avait pu tuer ta tante sans sourciller, non ?

— Oui. Mais c’était très différent. Il n’avait vraiment pas le choix : il était un Mangemort, au milieu de Mangemorts. Là… Là il était un membre de l’Ordre en train de voir ses compagnons se faire massacrer… Et c’était l’occasion de s’en prendre à Bellatrix.

— C’est dingue qu’il n’ait pu lui tenir tête plus que ça, quand même. J’aurais pas cru qu’elle puisse le vaincre à la baguette, t’avais l’air de dire qu’il était méga-puissant, Harry.

— Il l’est. Mais j’crois que Lestrange le haïssait assez pour faire la différence.

— Pourquoi il a bougé ? Il aurait pu rester planqué, non ? s’obstina Neville. Il me méprise en plus…

— Nev’, il me méprise aussi et pourtant : vous voulez qu’on reparle de son aide en première année ? C’est peut-être un salaud, mais…

— Mais il reste un héros, termina Luna d’un air absent.

— Ouais, confirma Harry en fixant Ron. C’est juste qu’on nous a plutôt appris que les héros étaient sympathiques et facilement identifiables.

— Tu repenses à Skywalker, hein… ? s’amusa son ami, heureux que la conversation s’allège l’espace d’un instant.

— Inutile, on peut repenser à Smith. »

L’attention se tourna vers Hermione qui se beurrait une tartine grillée tout en scrutant leur réaction. Ils n’avaient pas eu l’occasion d’en reparler et la conversation de la veille avait habilement dévié sur un autre sujet. À croire que Smith ou Dumbledore avait tenté de les empêcher d’interrompre la réunion avec cela.

« C’est vrai, on peut repenser à Smith… Vous croyez ce qu’elle a dit, hier, d’ailleurs ?

— À propos de quoi ? Du fait qu’elle ait tué Lestrange, ou du fait qu’elle soit Moldue ?

— Lestrange, j’y étais, je confirme, soupira Neville.

— Et Moldue, elle l’est, c’était même évident.»

Luna les gratifia d’une de ces œillades dont elle avait le secret quand elle les estimait légèrement lents et butés. Elle remua contre Harry et ce dernier ouvrit les bras et les jambes instinctivement pour qu’elle se blottisse devant lui. Le groupe n’avait jamais fait de réflexion à leur sujet, et ce statuquo leur convenait totalement. Elle reprit la parole :

« Elle enseignait l’Étude des Moldus, non ?

— Oui… certes, Luna, s’agaça Hermione. Mais le Professeur Burbage aussi, et elle n’était pas Moldue pour autant.

— Le Professeur Dumbledore a peut-être décidé qu’il fallait quelqu’un qui connaisse vraiment cette culture ? proposa Neville.

— C’est ce que je me suis dit aussi, acquiesça Luna. Cela me semble plutôt logique quand on y pense, non ?

— Non, infirma Harry le nez dans ses cheveux. Mais pour une raison que j’ignore, j’ai l’impression que je le savais déjà, sans jamais avoir percuté…

— T’as peut-être une connexion avec elle, qui sait ? se moqua George.

— Ouais, ou bien je traîne trop avec Snape, peut-être.

— Pourquoi encore lui ?

— Parce qu’on a eu tendance à pas mal se balader dans la tête de l’autre, quoique lui prenait carrément ses quartiers chez moi. »

Ginny toussa, bientôt rejointe par Hermione et Harry secoua la tête et continuant de humer le parfum léger de laurier que dégageaient les cheveux de Luna.

« Je n’ai pas l’intention de reparler de ça, coupa-t-il court fermement.

— Heu… quand même, t’as vu ce que tu as dit ou comment t’as parlé à Luna… ?

— Justement, j’en parlerai avec elle si elle le désire, mais ne me harcelez pas à ce sujet. Vous vous souvenez de ce qu’a dit Dumbledore ?

— Te fous pas de notre gueule, il parlait des journalistes ! s’emporta Ron.

— Non, pas seulement. S’il voulait partager ces détails avec l’Ordre, vous le sauriez, persista Harry intraitable. Faites la gueule si vous voulez, mais je n’en parlerai pas, fin de la discussion.

— Mais on est tes amis ! s’énerva à son tour Ginny. Ta famille, même.

— Et alors ? répliqua Harry glacial. Sirius lui-même ignore certaines choses et lui comme moi savons ce que coûte la confiance.

— Alors c’est ça, tu nous compares à Pettigrow, Snape te rend parano, ma parole !

— Non, Ron, réfléchis un peu, s’il te plaît. Si l’un de vous tombe dans les mains de Tom, si l’un de vous se fait torturer ou…

— On ne parlerait pas ! le coupa Hermione courageusement.

— C’est ça, se moqua Harry dans une parfaite imitation de Snape. Et quand votre tête sera retournée et fouillée plus profondément que votre chambre par Mme Weasley quand elle pense qu’on planque du Whisky Pur-Feu, vous ferez quoi ? L’un de vous apprend l’Occlumancie, hum ?

— Non, mais…

— Mais rien. Si je vous le disais, je serais obligé de vous jeter un Oubliettes après ça, et même ainsi, quelqu’un de très habile pourrait… Ah putain !»

Harry s’arrêta soudain dans sa réflexion et se dégagea du cercle, se relevant. Luna secoua lentement ses cheveux et attrapa le pinceau qu’elle avait coincé de travers, pour enrouler dans l’autre sens ses mèches. Harry ricana en regardant l’assistance qui crut, un instant, qu’il avait reperdu l’esprit.

« Heu… Ça va, Harry ? demanda Hermione, incertaine.

— Ouais, je viens juste de me dire que peut-être… j’pense qu’ils m’ont déjà collé un Oubliettes, en fait.

— QUOI ? Mais genre pourquoi ?

— Tu me poses, vraiment, la question Ginny ? se moqua Harry.

— Non, non, t’as raison, c’était con.

— Très bien, très bien, j’ai compris, capitula Ron. Toi aussi t’es pas dans tous les petits papiers, enfin, tu le crois, parce que t’as peut-être juste la tête en gruyère à force d’y avoir l’autre louche dedans… Et je suppose que ce que tu vas faire avec Dumbledore ne nous regarde pas non plus ?

— Tu supposes bien. Mais j’aimerais que vous fassiez attention à vous et que vous vous entraîniez un peu. À moins qu’on vous déloge, eh… Je ne sais pas comment ils veulent s’organiser, ya plus personne au château.

— C’est dingue, hein ? Ils ont dû bouffer au repas juste entre profs, et quelques gamins nés-Moldus, sans doute…

— Leurs parents ne saisissent pas très bien les enjeux, confirma Hermione avec tristesse. Le Professeur Smith a raison : c’est assez mal foutu notre intégration.

— C’est pas Malefoy Sr. qui dit ça, plutôt ?

— Non, lui il raconte qu’il nous faut des cours et des certificats pour bien marquer notre différence. Smith, elle, elle parlait de discussions entre nos mondes… Nos mondes, répéta Hermione. C’est fou comme j’aurais jamais pensé qu’on en arriverait là.

— C’est que le début, s’inquiéta Harry. Même les vieux l’ont compris hier soir : si on nous laisse jouer avec eux, c’est que ça n’est que le début.

— Jouer, eh ? Tu passes trop de temps avec Snape, renifla Ron.

— Et vous pas assez. J’y vais, j’dois être à la tour d’astronomie au zénith. Je prends ma cape, le miroir et…

— Harry, c’est Sirius qui a l’autre miroir, comment on te contacte, nous ?

— Justement, Hermione, j’ai aussi pris un de tes Gallions. S’il y a le moindre pépin, prévenez-moi. »

Neville se leva lui aussi et regarda gravement son ami en lissant sa chemise.

« Tu crains quelque chose ?

— Je sens quelque chose, précisa Harry. Je suis peut-être parano pour rien. Peut-être que Tom est juste en train de s’énerver tout seul dans son coin, mais…

— Tu ne dis plus son nom, remarqua Hermione avec stupéfaction.

— … Non, c’est vrai… Snape ne supportait pas de l’entendre.

— Tu passes trop de temps avec ce taré.

— Peut-être, mais ça m’a déjà sauvé la vie. »

***

Il était impossible pour lui de dormir sereinement. Les restes de la nuit avaient été un enchaînement chaotique de phases de repos, de douleur, et de tension instinctive. Et puis… Jane bougeait trop. Elle gémissait dans son sommeil, parfois même elle tremblait. Quand il avait pu l’aider à se rendormir, il sentit qu’il ne pourrait plus retrouver la quiétude et son bras le démangeait affreusement. Il se contenta d’observer vaguement la jeune femme dans la pénombre en réfléchissant intensément aux derniers évènements.

Il savait que Dumbledore et Potter partiraient à la recherche d’un nouvel Horcruxe, et le vieil homme lui avait dit la veille qu’ils en avaient déjà trouvé un autre. Il y en aurait donc deux à détruire rapidement. Est-ce que le Seigneur des Ténèbres s’en rendait compte lorsque cela arrivait ? Non, probablement pas. Qui avait-Il lancé à ses trousses, d’ailleurs ? Severus était peut-être un peu trop orgueilleux de penser qu’il avait cette importance-là. Et Lucius ? Comment Malefoy réagissait à ce qu’il s’est passé ? Avait-il vu le Mage Noir ? Allait-il Lui livrer Severus ? Snape fronça les sourcils, ses pensées allaient trop vite, il était trop fatigué pour les mettre en ordre. Il se fit la réflexion que Potter avait une désagréable influence sur lui, il n’était pas question de laisser sa tête devenir un tourbillon de questions. Mais les questions, justement, celles-ci du moins, étaient pareilles à un rideau qu’il tirait pudiquement sur une multitude d’autres. Du bruit pour éviter la mélodie qui ne le quittait plus ces dernières heures. Maintenant qu’il n’avait plus l’excuse de l’espionnage, qu’est-ce qui l’empêchait de faire face à ces interrogations ? Sa peur, évidemment. Naturelle, compréhensible vu les circonstances. Son doute aussi, et il le suivra éternellement. Quoi encore ? Son désir ? Oui, quelque part il y prenait beaucoup de plaisir. Elle aussi, il le savait. Ils aimaient cela, c’était très bien comme ça.

Sans s’en rendre compte, Severus écarta un pan de ce rideau et jeta un œil mental derrière, alors que ceux qui s’accrochaient à la réalité tombaient soudain sur le dessin des lèvres de Jane. L’image de la veille s’imprima. Dans la cuisine, pour commencer. Cette retenue, ce jeu, cette danse, il était très heureux qu’elle se laisse porter par le même rythme que lui. Jusqu’ici ils avaient eu tout le temps du monde. Soudain, aussi brutalement que la nuit précédente, le souvenir d’un corps s’imprima derrière sa rétine, il inspira légèrement en gouttant avec le recul au baiser qu’ils avaient échangé. Il se souvint avec une précision saisissante de la chaleur de sa peau, de la cambrure de ses reins, et de la courbure de leur chute. Severus ferma les yeux un instant, voyant sous un angle très différent cette étreinte. Elle était si désespérée, si pressée, si furieuse. Ils avaient tout dit à cet instant. Tout. Pourquoi d’ordinaire des amants se répandent-ils en mots doux quand il suffit simplement de boire le souffle de l’autre ? Cette question coupa celui de Severus qui revint brutalement dans le présent et croisa le regard bien éveillé de Jane. Il rougit, et eut la stupidité de se demander si elle pouvait le voir dans cette pénombre.

« À quoi pensez-vous ? » Lui demanda-t-elle légèrement inquiète.

Severus hésita à dire quelque chose de grave, quelque chose de brusque, n’importe quoi sauf la vérité. Et puis il se ravisa. Après tout, à quel point leurs rythmes étaient-ils semblables ?

« À votre corps. »

Non, en effet. On ne pouvait pas voir quelqu’un rougir dans cette obscurité. Il ne lisait pas dans son esprit, mais il comprit pourtant qu’elle devait être écarlate. Son pouls s’accéléra brutalement.

« Et cela donne quoi ? murmura-t-elle la voix légèrement rauque.

— C’est une pensée plaisante. »

Elle gloussa légèrement, et se lova plus encore dans ses bras. Mutine, elle lui demanda, alors qu’elle connaissait déjà la réponse :

« À quel point ? »

Au point qu’il en oubliait la douleur de la Marque, à dire vrai… Cette réplique n’était pas à la hauteur de la cour qu’elle lui faisait, alors il se pressa légèrement contre elle pour imprimer un autre langage, mais s’arrêta soudain, se redressant brusquement.

« Quoi ? Severus ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

— Attendez, attendez… »

Il regarda autour de lui, remettant de l’ordre dans son esprit, dans son corps, calmant ses sens, réfléchissant. Était-ce l’émoi ou quelque chose de bien plus grave qui apaisait la brûlure incessante ? D’un geste compulsif, il releva sa manche et observa la Marque, comme si le tatouage pouvait lui révéler des choses inconnues. Elle était toujours noire, mais la sensation lancinante s’était arrêtée. Aucune chaleur n’en émanait. Jane se releva sur ses genoux et regarda à son tour le dessin en fronçant les sourcils.

« Quelque chose d’inquiétant ?

— Je ne sais pas. Habillez-vous, j’ai peut-être encore le temps d’attraper Albus avant qu’il ne parte. »

Il ne lui laissa pas le temps de répliquer qu’il bondit hors du lit pour se précipiter à la tour d’astronomie. Jane observa la porte de la chambre grande ouverte en se mordant la joue. Devait-elle avoir peur, ou rire parce que Severus gambadait dans Poudlard en pyjama ?

***

« Non, Lord Malefoy. Je ne risquerai pas d’affoler la population avec un tel mauvais signal.

— Monsieur le Premier Ministre, persista Lucius avec une patience marquée dans la voix. Cela montrerait au contraire que vous prenez la pleine mesure des évènements ! Les journaux sont déjà sur les tables, les Sorciers parlent déjà de ce qu’il s’est passé. Maintenant, là… au repas en famille, après avoir ouvert les petits cadeaux, vous croyez que le sujet sera quoi ?

— Et à cause de qui ?! Par Merlin, Lucius, vous nous avez foutu dans une belle merde avec votre reportrice de malheur ! Qu’est-ce qu’il vous a pris ?! En échange de scoops elle vous… ?

— Reprenez-vous, Rufus ! »

Jamais Malefoy n’avait usé de ce ton avec le Ministre de la Magie, et Scrimgeour bougea légèrement sur sa chaise, adoptant instinctivement une posture plus défensive. Il avait beau avoir décrété que Malefoy était effectivement un Mangemort acquitté, à l’instant même les poils de son dos se dressaient pour l’avertir d’un danger. Lucius préféra leur servir un nouveau verre de vin cuit en jouant avec un des cristaux de sucre qui coiffaient une petite brioche. Il avait interrompu Scrimgeour dans son repas étonnamment solitaire, et un elfe leur avait amené un dessert dans la bibliothèque. Le blond tenta de se calmer, sentant la colère et la fatigue lui faire perdre pied. Il avait manqué de menacer le Ministre de la Magie ! L’ancien chef du Bureau des Aurors ! Il porta le morceau de sucre à ses lèvres et le laissa fondre sur sa langue. Peu de choses le faisaient sortir de ses gonds. Ce n’était pas le sous-entendu d’adultère qui le choquait – il s’en moquait éperdument. Mais il n’avait besoin d’aucune monnaie d’échange pour obtenir les faveurs d’une femme !

« Si Miss Delorme est au courant, c’est effectivement parce que je lui ai donné les éléments que le Ministère était prêt à partager avec la Presse, reprit-il en choisissant ses mots avec soin. Parce qu’il est hors de question de laisser qui que ce soit écrire les premiers papiers sans que nous en ayons l’entier contrôle.

— Mais justement ! Nous ne l’avons pas ! Cette Delorme est réputée impartiale, La Gazette aurait…

— La Gazette, Monsieur le Premier Ministre, est vue comme un organe de propagande depuis que votre prédécesseur en a fait un torchon à charge contre Dumbledore et Potter, coupa Lucius avec froideur. Ai-je perdu votre confiance pour parler à la Presse ? »

Scrimgeour gigota encore et planta un regard fatigué dans celui de Lucius. L’exercice du pouvoir était un fardeau très lourd qu’il portait de plus en plus mal. L’ancien guerrier à la posture droite et dynamique laissait peu à peu place à un homme qui s’affinait par la vieillesse et se courbait légèrement sous le poids des responsabilités. Combattre les mages sur le terrain, ou encadrer des cadets n’avait rien à voir avec la Politique. Et Scrimgeour resterait à jamais un Gryffondor : quelqu’un qui voulait que le monde soit aussi beau qu’il le voyait. Son âme souffrait des contradictions croissantes que lui imposait sa charge.

« Non, rectifia-t-il avec un léger sourire. Je suis toujours aussi soulagé que vous vous chargiez de cette délicate partie. Mais je crains que Delorme ne jette le doute sur notre collaboration.

— Et comment cela, Monsieur le Premier Ministre ?

— Vous avez lu le Veritascriptum de ce matin, non ? Elle dit bien que nous sommes en désaccord, vous et moi, au sujet du déploiement de la Brigade ! C’est une catastrophe si le Ministère se montre faible et…

— Delorme verse un peu dans le sensationnel, voilà tout ! s’amusa Lucius en levant une main apaisante. Il n’y a pas lieu de s’alarmer et montrer que vous n’êtes pas un tyran est une bonne chose. Rien ne vous oblige à ne pas changer d’avis, d’ailleurs…

— Hors de question !  Si ces gens ne sont pas des Détraqueurs, je n’ai pourtant pas l’intention que l’opinion fasse le lien entre ce geste et celui de Fudge il y a trois ans !

— … Vous faites finalement plus de Politique que vous aimez à le dire, Monsieur le Premier Ministre. »

Lucius souriait légèrement à son hôte, comme pour le défier de le contredire. Scrimgeour serra les dents, il n’aimait pas qu’on lui rappelle qu’il n’était pas arrivé à son poste à l’insu de son plein gré. Il appartenait à cette race de gens qui préfèrent se prétendre au-dessus du pouvoir, au-dessus de l’ambition. Et pourtant… Il était là, dirigeant le monde Sorcier de l’Angleterre, et il n’avait pas été le seul nom d’évoqué pour reprendre la suite de Fudge, il avait seulement été plus à même de se présenter comme étant le seul candidat solide. L’ancien Auror renifla, détestant la légère ressemblance qu’il perçut soudain entre lui et Lucius.

« Certes. Mais il est hors de question que Poudlard soit le terrain de jeu de la Brigade. Je ne nie pas qu’elle soit une force opérante efficace sur le terrain, Lord Malefoy, mais une école n’est pas le lieu pour recevoir des baguettes autorisées à…

— La Brigade d’Interventions Tactiques d’Elite n’est pas si différente des Aurors pendant l’ancienne guerre, Monsieur le Premier Ministre, glissa Lucius avec malice. Si c’est le permis de tuer qui vous inquiète…

— Bon sang ! Vous savez très bien que ce n’est pas ça qui m’effraie, c’est… C’est tout ce qu’ils peuvent faire… ! »

Scrimgeour avait participé à la précédente guerre, lui et Maugrey à l’époque se déchiraient à propos des droits et des devoirs d’un Auror… Le premier estimait qu’ils ne devaient pas user des mêmes armes que leurs adversaires, et le second rappelait qu’être un guerrier supposait de verser le sang. Ce n’est finalement que la paranoïa de Maugrey qui lui fit passer le poste de Scrimgeour sous le nez et l’ambitieux Gryffondor était devenu Chef du Bureau peu de temps après la première chute de Voldemort. Et pourtant… Et pourtant, malgré ses convictions, au poste qui était désormais le sien, Rufus Scrimgeour avait accepté les propositions de Lucius concernant cette fameuse Brigade. Sa création, ses droits, ses artifices… Il allait radicalement contre ses principes, et cette dualité le rongeait. De temps à autre, il s’opposait à Lucius, mollement, avant de toujours céder…

« Ils font ce pour quoi ils ont été sélectionnés, Monsieur le Premier Ministre, contra Lucius d’un air entendu.

— Mais tout ce folklore… C’est…

— C’est le seul langage que les Mangemort comprennent. La peur doit changer de camp, martela Lucius en appréciant toute la puissance de son discours à cet instant. »

Scrimgeour sembla vouloir ajouter quelque chose, mais son elfe arriva en trombe avec un air affolé :

« Pardonnez-moi Monsieur, mais votre nouvel assistant me fait dire que le Ministère croule sous les hiboux et les demandes d’interviews des journaux…

— La peste soit ces vautours ! Lucius, comptez-vous m’aider dans cette tâche ?

— Bien entendu, Monsieur le Premier Ministre, je… »

Mais le blond s’arrêta l’espace d’une seconde, écarquillant les yeux. Son vis-à-vis se méprit sur la cause de son trouble, car il s’esclaffa :

« Je vous avais dit que ça serait l’enfer. Allons, Lord Malefoy, faites donc votre devoir.

— Naturellement. »

Lucius inclina la tête et s’avança à sa suite. Jamais Rufus Scrimgeour ne capta le bref mouvement qu’avait eu le blond en direction de sa Marque. Il fallut toute la volonté du monde à Lucius pour garder les yeux rivés devant lui et ne pas tirer sa baguette instinctivement. Après la souffrance endurée pendant la nuit, le calme terrible du tatouage ne pouvait signifier qu’une seule chose : le contentement de Lord Voldemort.

***

« Attendez ! »

Mais pourquoi diable le Directeur de Poudlard avait-il un droit de transplanage dans l’enceinte de l’école ? Pourquoi ? Il ne pouvait pas se farder tout le trajet aux grilles, comme le commun ? Au moins, cela aurait donné l’occasion à Severus de l’attraper au vol ! Quoi qu’il y soit finalement arrivé, et l’ancien espion n’avait pas à rougir de sa condition physique. Remonter les sept escaliers qui menaient au point le plus haut de Poudlard en moins d’une quinzaine de minutes était un exploit assez remarquable ! Mais c’est essoufflé et à peine au moment où Harry et Albus allaient transplaner qu’il avait pu se faire entendre. Les joues colorées par l’effort, il se plia en deux pour reprendre le souffle, alors que Potter le regardait avec effarement, et Dumbledore avec inquiétude :

« Que se passe-t-il ? Par Merlin Severus, vous êtes en pyjama ?!

— On… On s’en fiche… Albus ! Albus la Marque… La Marque ne me fait plus mal… Je crains que… »

Dumbledore inspira longuement en lançant un regard terrible à Harry et à Snape. Il leur sembla à tous deux qu’il réfléchissait et mesurait la pire des pesées à effectuer. Harry se sentit très mal à l’aise, et comprit le problème. Severus, quant à lui, gardait un regard résigné. Un bref instant, une certaine lucidité flotta entre les trois protagonistes, avant que la tension ne se rompe comme une bulle qui éclaterait sur le doigt d’un enfant :

« Prévenez Minerva, préparez une évacuation si nécessaire, ordonna Dumbledore.

— Alors vous pensez donc que…

— Vous savez comme moi ce qu’Il est, Severus. Préparez l’équipe enseignante, prévenez Hagrid qu’il affrète les bateaux et les calèches. Il doit y avoir le minimum de pertes.

— Attendez, Professeur… ?! s’étrangla Harry en comprenant soudain l’ampleur du problème. Si vous partez…

— Si nous ne partons pas, Harry, nous ne trouverons pas cet Horcruxe qui doit être récupéré. Et celui-ci est gardé par des choses et une magie à laquelle je ne compte pas t’exposer seul. Nous devons agir maintenant.

— Mais si Poudlard…

— Nous la tiendrons si nécessaire, Potter. Faites ce que vous avez à faire, récupérez cet artefact de malheur. Albus ? Où sont le Diadème et l’épée… ?

— Je m’en suis occupé. Faites-moi confiance, Severus, c’est tout ce qu’il nous reste désormais. »

Instinctivement, Snape et Harry jetèrent un regard à la main atrophiée du vieil homme, avant de croiser le regard tous deux. Snape hésita un bref instant, et se ravisa en hochant la tête :

« Soit. Potter, vous savez comment l’Ordre se contacte d’ordinaire.

— J’utiliserai mon patronus.

— Bien. D’autres instructions, Albus ? »

Dumbledore planta son regard bleu dans le noir de son ami et lui sourit doucement :

« Non, vous êtes prêt mon garçon. »

Quand il emporta Harry avec lui, Snape se rendit compte qu’il ne savait pas s’il parlait à l’enfant ou à lui… Il tourna des talons et redescendit en grandes trombes pour retrouver Minerva.

***

Malgré la charge conséquente de travail, de temps à autre, Joseph jetait un œil à son bras gauche. La douleur restait cuisante, mais la fierté qu’il en tirait le remplissait d’une joie qu’il n’aurait jamais cru pouvoir ressentir. Lord Voldemort l’avait marqué, il avait fait de lui un de ses Mangemorts, un de ses Mangemorts liés. De toutes les nouvelles recrues, il était le seul. Il était non seulement l’un des rares survivants, mais il avait la confiance du Maître. Sinon, pourquoi l’aurait-il envoyé convoquer les autres cercles ? Pourquoi aurait-il eu ordre de trouver les pires gredins et dépravés pour les rameuter aux abords de cette fichue forêt… ? Les plus anciens fidèles prenaient très mal cette reconnaissance fulgurante. Pourquoi cet avorton nouvellement débarqué et pas eux ?

Mais aucun n’osa poser la question. Si l’on murmurait depuis des mois que Lord Voldemort s’était affaibli, les dernières heures avaient balayé tous les ragots. On racontait même depuis que Bellatrix avait alimenté la rumeur pour destituer le Maître. Aujourd’hui, alors qu’ils étaient un peu plus d’une trentaine, alors que le Seigneur des Ténèbres semblait plus que jamais au sommet de sa puissance et de sa détermination, aucun d’eux ne pouvait douter. Aucun d’eux ne se risqua donc à le contrarier.

Quelle folie impensable allaient-ils commettre ! Alors que Dumbledore était réputé pour être le plus grand Sorcier – à l’exception de leur Maître – ils allaient attaquer l’un des endroits les plus protégés et les plus magiques de toute l’Angleterre… et peut-être même du monde ! En plein jour, qui plus est ! Qui pouvait imaginer une telle attaque se faire ? Jamais Voldemort n’avait pris un tel risque ! La grisante sensation du danger s’empara d’eux, alimentée, pour ceux tatoués, par l’excitation du mage lui-même.

Ils avaient eu ordre de transplaner aux abords de la Forêt Interdite, à la limite même des protections de Poudlard. Il n’était guère difficile de les sentir pulser à un ou deux mètres d’eux, bien que totalement invisibles. La forêt, quant à elle, masquait leur présence et ils évoluaient à sa lisière pour remonter en direction du portail principal, leur laissant tout le loisir de se rassembler et de préparer l’assaut. Comment le Seigneur des Ténèbres comptait pénétrer les défenses ? Une fois encore, aucun ne posa la question. Mais une fois l’assaut donné et la surprise passée, Poudlard lèverait contre eux tout ce dont elle était capable, et on racontait beaucoup d’inepties à son sujet qui ne faisaient que renforcer son mystère.

C’était un mélange de peur et d’envie qui les rendait fébriles et Voldemort aimait sentir ce fragile équilibre excitant. Il déambulait au milieu d’eux, sa baguette tirée et parfois s’agitant doucement, humant de temps à autre l’air glacial de ce mois de décembre. Bien qu’il soit aux environs de 16h, le soleil blafard d’hiver commençait déjà à décroître et l’obscurité s’abattrait bientôt sur le vieux château. Le ciel était dégagé, mais c’était une nuit sans lune qui s’annonçait, laissant tout le loisir à des créatures d’ombres comme eux de fondre sur la petite populace. Le Mage Noir les dépassa et s’approcha de son nouveau favori, les pans de sa cape traçant un sillon dans la neige.

« Greyback a-t-il daigné t’obéir ? » Lui demanda-t-il en gardant les yeux rivés sur le bâtiment qui se découpait entre deux arbres.

Abernathy frissonna légèrement au souvenir de l’entrevue avec le loup-garou. Il devait sa survie à sa Marque, et sans doute aussi à son sens de la soumission… Il acquiesça :

« Oui, il vous promet sa meute, ils viendront. »

Une dizaine de Mangemorts marqués, une quinzaine de baguettes sans retenue ni état d’âmes, une dizaine de loups enragés… Abernathy comptait mentalement les forces qui partiraient à l’assaut de ce qui avait été pour tous un foyer. À l’intérieur, combien étaient-ils ? Quelques Aurors en équipe restreinte, Noël oblige, le corps enseignant et ensuite ? Les élèves ? Pour la plupart des Nés-Moldus qui leur offriraient peu de résistance et beaucoup d’amusement. Si l’attaque avait lieu sans que les baguettes ne doutent au point d’en perdre leurs moyens, c’était parce que le nouveau jouet du Mage Noir leur avait certifié avoir vu Harry Potter et sa bande chez les Weasley, et il supposait qu’ils y resteraient, ou iraient se mettre à l’abri dans une sorte de place secrète. Inutile de dire combien la perspective de ne pas trouver leurs pires ennemis les enchantait !

« Tu te trompes, Joseph. »

Voldemort avait susurré cela avec un plaisir évident. Abernathy regarda autour de lui, voyant que personne d’autre n’avait entendu et balbutia :

« M-Maître… ?

— Tu te trompes dans ton calcul… Je ne viens pas chercher uniquement le vieillard. Le traitre et l’enfant seront également morts ce soir. »

C’était pure folie ! Si l’Ordre était sur place, leurs chances diminuaient considérablement ! Voldemort sembla sentir le doute de son esclave, car il serra légèrement les dents :

« Qui suis-je, Joseph ?

— Le Maître…

— Qui suis-je ?! »

Un froid terrible s’empara du pauvre vendeur de balais, son souffle se coinça dans sa gorge tandis qu’il voyait pratiquement la buée se glacer au simple contact de l’air. L’esprit s’engourdissant lentement, il parvint à surmonter une terreur croissante pour crachoter :

« L-Lord… V-V-Voldemort. »

L’homme-serpent tourna son visage vers lui avec un rictus cruel affiché au visage. À sa gauche, sortant lentement de la brume qu’il n’avait pas vu les encercler, de grandes ombres inquiétantes flottaient avec déférence.

« L’Ordre du Phoenix est dévoré par la peur… Et je vais lui en donner… »

***

Minerva regarda gravement Severus avant d’hocher la tête en direction de Flitwick. Ils étaient réunis dans la Grande Salle, alors que les rares élèves avaient été sommés de se tenir prêts à quitter le château en direction du lac pour prendre les barques. Hors de question de prendre le risque de les amener aux grilles pour prendre les calèches, si Voldemort attaquait bien – et c’était une hypothèse folle basée sur un mauvais pressentiment – il le ferait probablement de là. Severus prit la liberté de désobéir à Dumbledore et de prendre le moins de risque. Les elfes, quant à eux, avaient eu ordre de surveiller les passages secrets les plus connus, les fantômes d’assister la poignée d’Aurors qui effectuait des rondes. Le petit groupe de l’Armée d’Ombrage avait, après une grande discussion, été invité à encadrer les élèves de chaque maison concernée. Minerva et Pomona s’opposaient totalement à l’idée que Neville et les autres jouent le rôle de Généraux, mais Severus, aidé de Filius et Horace avait eu gain de cause : les gamins devaient mener leurs troupes. Malheureusement, aucun d’eux n’était Serpentard et Severus avait décidé de prendre le risque de s’occuper de ses élèves.

« C’est noble, c’est responsable, mais qu’est-ce que c’est con ! avait contré Jane furieusement inquiète.

— Je me moque de votre réticence, Miss, je ne les laisserai pas seuls sous prétexte qu’ils sont…

— Dangereux. Severus, avec ce qu’il s’est passé, si vous avez raison, qui vous dit qu’ils ne chercheront pas à vous vendre ?

— Ce sont aussi vos élèves, Jane ! tonna Snape furibond. Vous savez quels sont les gamins qui restent : des nés-moldus, des sang-mêlés, des rebuts que leur famille ne peut ou ne veut pas prendre en charge pour Noël. Vous les connaissez, vous les laisseriez crever ou se faire torturer, si jamais ça dérapait ? »

Jane le regarda d’un air buté avant de pincer des lèvres.

« Non, jamais. Mais putain, faites attention à votre cul, par pitié…

— Arrêtez d’y penser, justement, vous en oubliez l’essentiel. Rejoignez Hagrid plutôt.

— Pourquoi ? On aura besoin de toute l’aide nécessaire ! contra Horace qui pâlissait à mesure que les minutes s’égrenaient.

— Minerva, c’est vous la Directrice-Adjointe, à vous de décider.

— Partez au port, Jane, c’est le mieux, trancha la vieille Dame.

— Bien, laissez-moi le temps de récupérer… »

Jane fut coupée par les portes de Poudlard qui s’ouvrirent soudain sur un jeune Auror gravement blessé, il se précipita vers eux affolé et hurla :

« IL EST LA ! »

Le jeune homme s’effondra au sol, et tous tirèrent leur baguette. Snape donna un coup de menton en direction de Minerva et de Fillius, puis en direction des autres Professeurs.

« On se charge des pierres ! promit la Directrice des Gryffondor.

— Je crains que nous n’ayons pas le temps de lever un bouclier, il nous a pris par surprise ! couina Flitwick.

— Tant pis ! Il faut palier le plus urgent : les ralentir, évacuer.

— Et Dumbledore ? Et Potter ?!

— Je m’en occupe, répliqua Snape d’un air concentré. Smith ?! Foncez chez Hagrid, encadrez les gamins pendant qu’ils foutent le camp.

— Mais Severus, et…

— C’EST UN ORDRE ! QUITTEZ CE CHÂTEAU IMMÉDIATEMENT ! »

Un grondement au loin sembla faire écho à sa propre fureur. Jane tressaillit violemment, hésita à désobéir, ne pensant qu’à une seule chose, mais il l’attrapa par le bras et planta son regard dans le sien :

« Les élèves, Jane. Une centaine d’enfants contre un seul animal… »

Elle cilla, manquant de le gifler, mais il la repoussa pour l’obliger à obtempérer, fonçant déjà en direction de la salle commune des Gryffondor. Il monta quatre à quatre les escaliers enchantés qui n’opposèrent aucune malice. Arrivé au portrait de la Grosse Dame, il cracha :

« Londubat, convoquez-le immédiatement.

— Professeur, ce n’est pas dans…

— Je te jure que je te décadre si tu ne bouges pas ta carcasse de Prima Dona dans la seconde ! » Menaça-t-il en levant sa baguette vers elle.

Elle piailla d’indignation, mais s’effaça, avant que le portrait ne pivote et révèle un Neville, baguette tirée, et alerte :

« Professeur ?

— Contactez Potter, ils arrivent. »

Puis il repartit en direction des cachots pour nettoyer ses propres appartements.

***

Les inferis semblaient hurler au milieu du vrombissement des flammes que le feudeymon lâché par Dumbledore dévorait. Épuisé par la terrible potion qui gardait l’Horcruxe et par cet exploit magique, Albus titubait, accroché à Harry qui sentait l’inquiétude le gagner à mesure qu’il comprenait que l’excitation ressentie n’avait rien à voir avec sa propre entreprise. Il était si difficile de rester accroché au présent, de fermer son esprit, de s’empêcher de penser à ce qu’il faisait, tout en sachant que Voldemort n’était guère loin dans sa tête. Si difficile de résister à l’envie de jeter un œil pour comprendre. Snape et Dumbledore avaient-il raison de redouter une attaque ? Alors que le vieil homme trébuchait légèrement et qu’il lui fallut toute sa force pour le garder sur pied, Harry tenta de promettre d’une voix assurée :

« Ca va aller, Professeur, on y est presque, ne vous en faites pas !

— Je ne m’en fais pas, Harry, je suis avec toi… »

Une légère sensation de chaud dans la poche du jeune homme l’empêcha de répliquer et il comprit que le Gallion avait été activé. Il pressa le pas :

« Ils nous appellent, je crois que vous aviez raison, Professeur…

— C’est un fardeau auquel je suis habitué.

— Vous pouvez encore nous faire transplaner ? »

Dumbledore hocha fébrilement la tête, alors qu’ils parvenaient enfin à la bouche de la grotte, l’air glacé de la mer les revigorant immédiatement. Harry lui attrapa le bras et ils disparurent aussitôt.

***

À l’entrée de Poudlard, aux abords de l’immense pont d’où déboulaient chaque année les calèches, les Mangemorts échangeaient déjà des tirs nourris contre la poignée d’Aurors qui tentait de les ralentir. Personne ne les avait vu contourner le lac et se poster à cet endroit si aisément défensable, et toutes les troupes étaient en place. Attaquer par la forêt était impensable. Bien qu’il n’y ait pas de défense de levées avant leur assaut, la lisière était truffée de pièges à destination des créatures pour les empêcher de sortir et de croquer des élèves si l’envie leur prenait. Ils marchaient à présent en direction du pont, faisant lentement reculer les maigres défenseurs qui, pour la plupart, semblaient être des bleus fraîchement nommés à ces postes. Voldemort se contentait d’avancer lentement, satisfait de la terreur qu’il propageait doucement à ses adversaires, se montrant ostensiblement et goûtant à leurs hurlements qui répétaient sans cesse qu’Il était arrivé. Où était Dumbledore ? Pourquoi n’était-il pas en première ligne ? Et pourquoi cette vieille peau levait la baguette comme si elle était capable à elle seule de l’arrêter ?

Minerva se retourna lentement, balayant du regard l’immense hall qui offrait plusieurs rangées de statues encastrées dans des alcôves. Chacune faisait deux mètres de haut, portait une lourde armure et un casque, arborait au choix lances, épées, haches, hallebardes et boucliers. Le Professeur de Métamorphose redressa lentement la pointe de sa baguette dans leur direction prononça d’une voix forte :

« Piertotum Locomotor ! »

Un grondement sinistre lui répondit, puis une première armure perchée sur les hautes rangées s’anima légèrement. Elle abaissa sa grosse tête vers le bas et avança sa jambe, sautant au sol dans un fracas assourdissant. Elle se releva, leva sa longue hallebarde, et attendit sa consoeur qui la rejoignit immédiatement. Deux par deux, rangée après rangée, statue après statue, une petite armée de pierre se formait, avançant d’un pas militaire.

« Poudlard est en danger ! Faites votre devoir ! » Ordonna Minerva impérieuse.

Le bataillon se mit en marche, flanqué d’une cohorte de gargouilles animées par Flitwick. Les immenses créatures immortelles se déplaçaient comme un bouclier géant, et faces à eux, les Mangemorts reculèrent sidérés. Abernathy eut un mouvement de panique aux côtés de Voldemort, et ce dernier lui jeta un regard méprisant. Il inspira longuement, et agita sa baguette pour que sa voix porte au-delà des murs et des jardins du château :

« Livrez-moi Harry Potter, Albus Dumbledore et Severus Snape ! hurla-t-il. Livrez-les, et j’épargnerai cette école ! Livrez-les et aucun mal ne vous sera fait ! »

Abernathy fronça les sourcils, surpris que son Maître ne demande pas également la tête de la femme qu’il avait clairement décrite à Voldemort la veille. Se moquait-il de tuer celle qui avait égorgé son ancienne favorite ? Ou avait-il l’intention de tout détruire… ? Il n’eut pas le temps de s’interroger que Minerva répliqua avec force :

« JAMAIS POUDLARD NE SE RENDRA JEDUSOR, TU N’ES PAS EN TERRAIN CONQUIS ICI ! »

***

Les larmes aux yeux, Jane avait obtempéré et commencé à aider Ginny, Ron et Hermione à faire évacuer les autres élèves. C’était une opération terriblement longue, récupérer les gamins, leur faire lâcher les affaires inutiles, les presser pour qu’ils sortent par le parc, qu’ils traversent l’immense terrain pentu, qu’ils descendent les escaliers serpentant jusqu’au petit port où les attendait la grande silhouette d’Hagrid et une centaine de petits bateaux douteux. L’Armée d’Ombrage était redoutablement efficace, les gamins avaient parfaitement conscience que Jane était là non pas pour les encadrer, mais pour fuir. C’était à eux de la protéger, et l’enseignante ne devait que faire illusion auprès des élèves.

Installant les gamins les uns après les autres, donnant des instructions à suivre pour Pré-au-Lard, l’équipe jetait de temps à autre des regards aux alentours pour prévenir toute intrusion Mangemort. Snape finit par les rejoindre, flanqué d’une poignée de verts et argents particulièrement méfiants.

« Vous montez, si j’apprends que l’un de vous a déshonoré sa maison, je vous jure que…

— Et si vous mourrez, Professeur ? répliqua une certaine Lucie White d’un ton neutre.

— C’est moi qui me chargerai d’exécuter ses dernières volontés, répliqua Jane en espérant paraître convaincante. Allez, montez tous, il faut foutre le camp d’ici.

— Levez l’ancre dès que la bataille commencera, ne vous laissez pas détourner de votre mission. Arrivés à bon port, vous savez qui et comment les contacter. »

Oui, Jane savait, mais elle n’avait aucun moyen de le faire. Cependant elle hocha la tête et croisa le regard assuré d’Hermione qui lui confirma qu’elle, elle s’en chargerait. Snape allait faire demi-tour quand la voix de Voldemort le coupa dans son geste. Les enfants tressaillirent et tous observèrent gravement Snape. Jane et lui échangèrent un regard lourd de sous-entendus, et un tic anima la joue de l’ancien espion quand un de ses étudiants demanda :

« Où est Harry Potter, d’ailleurs ?

— Avec Dumbledore, Mc Laughlin. Quant à moi, je suis pour l’instant ici, ajouta Snape en les défiant du regard. »

Jane se mordit la lèvre et une énorme tension traversa le groupe comme un courant puissant. Les Serpentards frémirent de concert, leurs robes faisant le bruit d’une horde de serpents sifflants. Sans même se concerter, les enfants – pour la plupart âgés de 11 et 13 ans – se redressèrent et Mc Laughlin qui était un des rares aînés, répondit :

« Je ne sais pas où vous êtes, Professeur, je ne vous ai pas vu. »

Dans le regard de Snape passa furtivement l’éclat de la fierté et de la reconnaissance, mais il ne pipa mot et préféra remonter les marches en direction du château. Hagrid commença à faire partir les premiers bateaux, menant les barques et brandissant son étrange parapluie rose. Fred et George entrèrent dans une des barques pour continuer la cohorte et ainsi, l’Armée d’Ombrage s’organisa pour que les élèves ne soient jamais seuls. Jane observa l’immense escalier, incertaine, et se mordit la lèvre en regardant Hermione et Ron donner des ordres comme de vrais leaders. Non, elle ne pouvait pas.

Elle s’ébroua et s’échappa, elle aussi. Neville se retourna et hésita à lui lancer un sortilège pour l’empêcher de partir, mais Luna abaissa son bras en murmurant :

« Laisse, elle ne te le pardonnerait jamais.

— Mais si…

— Nous avons plus urgent, Neville ! cria Ron. Gardez les yeux ouverts, aucune bataille ne se fait jamais sur un seul front ! »

***

Albus et Harry trébuchèrent quand ils arrivèrent en haut de la tour d’astronomie. Un instant, Harry se demanda si le vieil homme serait en état de combattre. Baguette au clair, il observa les alentours et sursauta quand une grande chouette argentée lui ordonna avec la voix de Snape :

« Il est ici, les enfants sont aux barques, nous gardons la porte, l’Ordre se tient prêt à recevoir les fuyards.

— Fuyez, vous aussi ! S’il vous voit, il… »

Harry s’interrompit quand la chouette sembla lui lancer un regard de mépris. Même son patronus savait être désagréable ! Albus jeta un œil en contrebas, et Harry l’imita, tandis que la créature disparaissait lentement. Au bout du pont, Voldemort avançait et faisait face à une armée de soldats de pierre. Il s’arrêta devant elle et sa voix porta son avertissement. Harry grogna dans sa barbe.

« Jamais il ne tiendrait parole… Ah ah ! Bien envoyé ! ajouta-t-il en entendant la réponse de Minerva. Les défenses le tiendront en respect, venez Professeur, on a encore le temps de fuir !

— Fuir ? répéta lentement Dumbledore en planta son regard bleu clair dans le sien. Oui… Il te faut fuir Harry. Il n’est pas l’heure pour toi de mourir. Pas encore.

— … Non… Non, mais vous non plus en fait ! Allez Professeur ! On peut encore se tirer d’ici ! Si vous restez en vie, il aura échoué une fois encore ! »

Harry chercha à tirer la manche du Mage Blanc qui se redressa lentement, redéployant ce qu’il lui restait d’énergie et de vie. Son corps fut secoué d’un petit rire :

« Tom échouera toujours tant qu’il continuera de vouloir nous tuer… Il te cherche, toi aussi… Il cherchera également le Professeur Snape. Harry, va-t’en, il ne reste plus beaucoup de temps.

— Certainement pas ! J’ai promis d’obéir pour la caverne, pas ici ! Ce n’est pas quelques Mangemorts qui… »

Il fut interrompu par le rire glacial et triomphant de Voldemort. Il frissonna, sentant une pointe d’amusement le transpercer lui aussi. Harry repoussa loin derrière ses maigres barrières cette sensation, et se pencha lui aussi vers la fenêtre qui donnait sur le pont. De là où ils étaient, le Mage Noir n’avait aucune raison de s’esclaffer, mais il répondit pourtant, usant toujours de sa voix magiquement amplifiée :

« Au contraire… J’obtiendrai ce que je suis venu chercher !

— EN FORMATION ! » cria Mc Gonagall à l’attention des statues.

Un bruit sourd fit trembler le pont et se répercuta dans toute la vallée. Comme un seul homme, elles reprirent leur marche en direction des ennemis, martelant de leurs pieds lourds le pas militaire d’une armée qui se battrait jusqu’à complète désintégration. Harry sourit, sentant son pouls s’accélérer, excité par cette vision proprement épique. Les Mangemorts reculèrent instinctivement, certains gémirent de peur. Abernathy fit ce qu’il put pour s’imposer de rester là où Voldemort l’avait laissé. Ce dernier tourna légèrement la tête vers lui, esquissant un sourire de satisfaction et le Mangemort sentit sa propre dévotion monter d’un cran, allait-il… ?

Voldemort s’avança lentement, alors que les statues continuaient de marcher dans sa direction. Il ne ralentit pas le pas, et le sourire de Harry mourut progressivement à mesure qu’il fronçait lui-même les sourcils. Sans trahir le moindre signe de doute ou de bluff, Voldemort avança jusqu’à pratiquement toucher la première rangée de statues, ces dernières s’arrêtèrent soudain.

Une seconde flotta, durant laquelle le vent glacial les traversa tous, des enfants prenant le lac en direction de Pré-au-Lard aux Professeurs massés dans la cour derrière l’armée enchantée, en passant par Harry et Albus qui observaient depuis les hauteurs la scène. Là, dans ce court intervalle, l’issue de la bataille se révéla.

D’un seul geste, les deux premières statues pivotèrent de part et d’autre du pont, droites, dos au précipice, leur arme fermement serrée contre la poitrine.

« Non… » Balbutièrent Harry et Minerva sans s’entendre pour autant.

Voldemort darda un regard terrible en direction de la vieille dame et avança d’un pied. Les deux premières statues s’agenouillèrent immédiatement, suivies par toutes les autres, qui lui firent une haie d’honneur.

***

Snape s’arrêta en entendant Voldemort. Il comprit immédiatement que son ancien Maître savait tout de ses prétentions sur Poudlard. Plus rien ne l’arrêterait. Il reprit la marche, décidé à retrouver Potter et à l’exfiltrer d’ici. Rien d’autre ne comptait, il fallait mettre en sécurité les derniers pions.

Il quitta ses appartements où il avait détruit ou récupéré les éléments les plus importants. Il ne devait rien laisser à l’ennemi. Il remonta en direction du Grand Hall et s’apprêta à retourner à la tour d’astronomie quand il vit Jane débouler et se diriger droit vers les cachots :

« Par Morgane, je vous avais dit de rester avec les gosses ! »

Elle ne lui répondit pas et accéléra au contraire pour tenter de retourner dans les cachots. Snape bondit de quelques marches et l’attrapa d’un geste brusque. Elle le repoussa violemment et il tira sa baguette :

« Jane, ne m’obligez pas…

— Lâchez-moi ! Je dois aller le chercher !

— Il s’en sortira ! Ne m’obligez pas à… »

Jane hoqueta, outrée, et Severus comprit qu’elle n’hésiterait pas à le frapper s’il persistait, il ouvrit la bouche, mais la grande porte s’ouvrit brutalement, un corps vola et alla s’écraser contre les marches qu’il venait de gravir. Jane cria, et Snape n’eut pas le temps de vérifier qu’il s’agissait bien de Mc Gonagall, sa Marque le brûlait terriblement et il s’empara de Jane pour la pousser en direction de la Grande Salle. La jeune femme se débattit pour tenter de retourner dans les cachots, lui donnant de violents coups de pieds. Voldemort arriva dans le hall et porta toute son attention sur eux. Aux pieds des escaliers, Minerva tenta de se relever difficilement, un terrible craquement trahissait de nombreux os brisés. Aux côtés du Maître, Snape vit une silhouette malingre lever sa baguette en susurrant méchamment :

« Oooh, comme j’en avais envie depuis longtemps… »

Un trait vert fusa en direction de la Directrice de Gryffondor qui s’effondra, assassinée par un de ses anciens élèves.

***

Incertains, les fuyards glissaient sur l’eau en espérant que le calamar ne les détruise pas sur le passage. Quand la porte de Poudlard céda dans un bruit terrible, tous levèrent la tête en direction de l’Ouest et frémirent.

« ON ACCÉLÈRE ! hurla Ron en brandissant son moignon argenté.

— Oh mon Dieu, RON ! cria Hermione à sa droite. »

L’eau commença à se glacer, zébrant les flots d’une fine pellicule de glace qui se renforça immédiatement. Une des barques s’arrêta brutalement et craqua dangereusement. Une nuée d’ombres sortit du crépuscule et fondit sur eux. Neville arma sa baguette :

« DES DETRAQUEURS, EN POSITION ! »

La plupart des élèves se mirent à frissonner, certains à pleurer. L’Armée d’Ombrage lança les patronus, et chiens, loutre, lapins, aigles et toutes autres créatures jaillirent des baguettes pour les entourer. À leur grande surprise, un serpent s’éleva dans les airs pour se dresser à leurs côtés, accompagné par un superbe hippogriffe argenté :

« Nous ne sommes pas encore des Mangemorts, précisa inutilement Mc Laughlin. Et je n’ai pas l’intention d’embrasser une de ces choses… »

Neville hocha la tête. Et ils formèrent un solide rempart en attendant que les monstres s’y fracassent. Un vrombissement d’air et une voix rocailleuse leur donnèrent immédiatement du baume au cœur :

« TENEZ LES RANGS. HAGRID, PLUS VITE LES BARQUES ! »

Couché sur son balai qui crachotait des flammes, Maugrey Fol’Oeil arriva à leur hauteur.

« Maugrey ! Qui d’autre arrive en renfort ? cria Hagrid.

— Je suis les renforts, mon grand ! Tiens ton embarcadère, je tiendrai en respect la peur. »

Il se pencha soudain et son balai dérapa sur la droite, se postant devant leurs Patronus. D’un seul geste de la baguette, il produisit une formidable lumière aveuglante qui balaya les monstres en un instant. Les nombreux râles et sifflements des détraqueurs furieux s’élevèrent, mais ils rompirent leur formation et s’éloignèrent en s’éparpillant, manifestement blessés.

« Ils reviendront ! Londubat, Lovegood, gardez l’œil au sud et Weasley et Granger à l’ouest. Où est Dumbledore ?

— Avec Harry ! cria Ginny.

— Et Snape, où il… ? »

Un hurlement animal particulier s’éleva en direction du pont et l’expression de Maugrey changea du tout au tout. Il ne prit pas la peine de terminer sa phrase et donna un violent coup de talon au mécanisme furieux de son engin, fonçant droit en direction de l’entrée du château. Il parvint jusqu’à la cour bordée des colosses de pierre, et croisa le sourire carnassier de Fenrir Greyback.

« Je fais toujours sortir l’Alpha du bois, grogna le loup-garou avec une grande satisfaction.

— J’vais t’apprendre à donner la patte… Et je lui briserais tous ses petits os. »

Pleine lune ou non, un loup-garou restait un adversaire de taille, et Greyback était le plus dangereux de tous. La simple idée de se battre contre lui et ses chiens exaltait le guerrier. Ils se jaugèrent un instant, se tournant autour, l’hybride reniflant de temps à autre l’air, sa meute sagement arrêtée autour d’eux.

« Tu as peur, vieil homme, tu sens la pisse et la bile…

— C’est ta propre haleine de chacal que tu sens, imbécile, arrête de renifler comme une fillette et viens te battre !

— Que personne ne nous interrompe, ordonna Greyback avec orgueil. Regardez-moi tailler en pièces une légende. »

***

« Severus… » susurra Voldemort particulièrement satisfait. Il observa l’improbable duo et plissa des yeux en fixant Jane. Elle eut l’intelligence de baisser les yeux, mais Voldemort caqueta.

« Severus…, répéta-t-il. Tes critères ne cessent d’être revus à la baisse… »

Snape raffermit instinctivement sa poigne sur Jane et la poussa dans la Grande Salle, baguette tirée en direction de son ancien Maître qui rit à gorge déployée.

« Je vais tous vous tuer. Toi, elle, Potter, et…

— Il me semble que mon âge m’offre une certaine, primauté, Tom. »

Dumbledore apparut en haut des escaliers, fixant durement son ancien élève. Voldemort releva la tête et renifla :

« Où est Potter ?

— Penses-tu vraiment que je ne l’aurais pas mis en sécurité, déjà, Tom ? demanda doucement Albus en descendant lentement les escaliers.

— Alors c’est ainsi… Tu le sauves, lui, et tu sacrifies les autres… Potter n’est rien, il ne survivra pas longtemps sans toi, vieillard. »

Dumbledore arriva tout à fait à leur niveau, contournant agilement le corps sans vie de Minerva. Il se pencha à sa hauteur et lui ferma les yeux en glissant une main fatiguée sur le visage. Albus inspira longuement, et Voldemort sourit méchamment à son égard. Le vieil homme pouvait affecter de ne pas être touché, sa douleur était palpable pour des gens comme le Mage Noir ou Severus.

« Aucune mort n’est vaine si c’est pour t’arrêter.

—Mourir, c’est échouer ! Et tu vas perdre très bientôt.

— Oui. Je sais. »

Dumbledore se releva et se posta devant Minerva, fixant Voldemort en levant sa baguette.

« Nous en auront terminé toi et moi ce soir, Tom…

— Cesse de jouer d’énigmes, je les tuerai tout à l’heure aussi, railla-t-il en désignant le couple.

— Je suis au regret de te contredire.

— Ça suffit ! Abernathy, Mac Nair, attrapez ces imbéciles ! »

Snape repoussa Jane derrière lui et tira en direction de celui qui lui ressemblait définitivement trop, le projetant en arrière. Abernathy se blessa en retombant contre une vieille armure.  Dumbledore arma rapidement son coup et une langue de feu balaya brusquement les Mangemorts qui retombèrent grièvement blessés au sol.

« Cesse de fuir, Tom. Ce soir, c’est contre moi que tu te bats. »

Voldemort gronda furieusement et leva sa baguette à son tour, Albus se mit dans une drôle de posture et une ombre rougeâtre en forme de phénix lécha brièvement les pierres derrière lui. Voldemort sourit de plaisir, et agita sa baguette qui produisit un étrange sifflement.

Snape profita du mur de feu qu’avait dressé Albus entre eux et les Mangemorts pour aller jusqu’à la Grande Salle. Quand il vit les flammes s’écarter légèrement, il fronça les sourcils et avança la main à l’aveuglette. Ses longs doigts touchèrent la douceur caractéristique de la cape de Potter. Ils disparurent sous l’étoffe et sa main agrippa celle, tremblante, de Harry. Le garçon était plein d’une rage qu’il n’arrivait plus à tenir. La sienne, cette fois-ci, mais il était hors de question de se trahir maintenant. Snape s’empara de Jane qu’il tint contre lui et il se concentra intensément pour invoquer le sort sur lequel il avait tant travaillé étant jeune. Les ombres les enveloppèrent soudain et les emportèrent dans les airs, défonçant les vitraux qu’ils traversèrent.

***

Greyback esquiva un nouveau sort par une roulade habile. Il se rétablit sur ses puissantes cuisses et, restant dans une posture animale, jappa presque :

« C’est ça ton combat ? Bats-toi en égal !

— Le chasseur n’est pas l’égal de sa proie. » Rectifia Maugrey avec dédain.

Il lança un autre trait vert, obligeant le loup-garou à bondir. Greyback se propulsa dans les airs et décocha un maléfice d’un seul geste de sa baguette.

« Aaah… Je savais qu’elle était tirée…, apprécia Maugrey. Aller, montre-moi ce qu’un animal peut faire ! »

Le loup gronda furieusement, rejoint par les grognements insultés de ses congénères et il bondit contre l’Auror qui ouvrit ses bras. Sa baguette dans la main droite, attachée à son poignet, Maugrey attrapa les poings du lycanthrope et les enserra de ses grandes mains tordues, l’empêchant de le griffer. Greyback faisait au moins une tête de plus que lui, et son bond apporta une force telle que l’Auror recula sur ses appuis de quelques centimètres, sa jambe mécanique raclant le sol dans un bruit sinistre. Fenrir joua des maxillaires et donna quelques coups de dents menaçant en souriant.

« Tu fatigues déjà, se moqua-t-il.

— Tais-toi donc ! »

Maugrey relâcha soudain sa prise avant de faire le dos rond et de pousser soudain le colosse dans le ventre, il ajouta à son geste un terrible sort de découpe qui rata de peu le loup-garou et atteint les jambes d’un de ses comparses. Le pauvre homme se tordit au sol en hurlant de douleur. Greyback répliqua en envoyant la tête et en serrant la mâchoire sur la première chose qu’il eut à sa portée, mais il les claqua dans le vide, le guerrier roulait sur lui-même pour se soustraire à son étreinte.

« Tu fuis, lâche ! gronda le loup.

— Tu combats comme un enfant qui pense qu’il y a un arbitre… » Se moqua Maugrey en pointant sa baguette en direction d’un des jeunes loups qui beuglait des encouragements à son mâle dominant.

Fenrir glapit quand il comprit, trop tard, ce que le Sorcier allait faire. Un trait vert faucha un de ses soldats, et le loup vit rouge. Il gronda d’une fureur sans nom :

« TU NE VAUX PAS MIEUX QUE MOI !

— Bien… Là, tu deviens un peu sérieux. »

Maugrey se redressa et tapa dans ses mains qui se mirent à luire d’une belle aura dorée. Greyback bondit sur lui et le renversa.

***

Les Mangemorts ne savaient pas comment réagir, dans le hall de Poudlard, les sorts entre Voldemort et Dumbledore fusaient sans que l’on sache ce qu’ils invoquaient. Ce n’était plus des sortilèges vaguement vus en classe ou dans des ruelles sombres. Deux créatures de magies se broyaient et se faisaient face, l’une de feu et l’autre de glace, l’énorme serpent invoqué par Voldemort cherchait à s’enrouler autour du phénix rougeoyant pour étouffer sa flamme. L’oiseau cria terriblement, une sorte de vrombissement désespéré, et Dumbledore vacilla légèrement. L’immense serpent glissa et fit un tour complet broyant les ailes de feu et s’enroulant toujours plus autour du corps qui semblait peu à peu mourir. Voldemort riait.

« Tu es si diminué, maintenant… J’aurais dû te balayer depuis longtemps…

— La peur a toujours été ton point faible, Tom, murmura avec difficulté Dumbledore qui tentait de maintenir le sortilège.

— Lord Voldemort n’a PAS peur ! »

Il leva sa baguette et d’un seul geste d’inflexion du poignet, poussa le serpent à broyer totalement l’invocation enflammée. Le phénix mourut dans une gerbe d’étincelles bleutées, et Albus gémit, comme lui-même suffoquant.

« Je tuerai ton élu, comme j’ai tué ses parents et comme je t’ai tué, Dumbledore. Je tuerai ce traitre de Severus et je détruirai ton Ordre, je règnerai en Maître sur l’Angleterre, et ça sera un règne acclamé par les Sorciers, tu as perdu. Tu as perdu le jour où tu as cru qu’un enfant pourrait me tenir tête. »

Albus esquissa un léger sourire et secoua la tête.

« Tu continues de croire que c’est moi qui aie mis Harry sur ta route, Tom…

— JE NE CROIS PAS EN TES PROPHETIES ! »

Le hurlement du mage trahit sa pensée, et les quelques adeptes qui n’étaient pas aux prises avec les Professeurs dehors, frissonnèrent d’effroi en se rendant compte qu’ils savaient tous que c’était faux.

« Je suis Maître de mon destin, vieil homme, la mort ne me touche pas, le destin n’a pas de prise sur moi.

— Tu as toujours cru en la destinée, Tom. Je n’ai pas oublié ce que tu m’as dit le jour de notre rencontre.

— ASSEZ ! »

***

Snape les rejeta sur le ponton et Harry et Jane roulèrent maladroitement sur les planches blanchies de sel. Il se releva rapidement et d’un geste de la baguette amena la dernière barque à leur niveau.

« Montez, dépêchez-vous !

— Sev…

— Pro…

— Fermez-la tous les deux. Montez. »

Harry resta un instant à fixer son enseignant d’un air buté, jetant de temps à autre des regards en direction du château. Au-dessus d’eux, les vitres de l’école clignotaient sous les divers sortilèges qui fusaient, quelques ombres sur des balais s’enfuirent au loin, des hurlements de loups montaient, des cris aussi… Jane enjamba le rebord de la barque et s’y glissa.

« Harry ! Venez.

— Mais le Professeur Dumbledore…

— Est déjà condamné. » Coupa Severus en le poussant presque dans l’embarcation.

Il monta également, posant un genou sur le pontage avant, agrippant le capian de la main gauche, la droite tenant sa baguette en l’air.

« Chargez-vous de la faire avancer vers le Nord, je m’occupe de nous défendre en cas de besoin.

— Heu… Je…

— Potter ! Dites-moi que Black vous a enseigné ce sort !

— …

— Par…

— Invoquez des rames. Severus, on va faire ça à l’ancienne.

— C’est ça, pour que le calamar se réveille et nous emporte… Potter, sur le pontage, baguette tirée, patronus prêt. Il y a des Détraqueurs par ici. »

Harry et lui échangèrent de place et le cerf argenté sortit de sa baguette pour flotter à côté d’eux. Fronçant les sourcils, Harry balbutia :

« La chouette, Professeur, c’est…

— Pas le moment. »

En effet, Jane frissonna brusquement en serrant ses mains autour de ses bras, de la buée sortit de sa bouche et elle regarda Snape avec un drôle d’air :

« Qu’est-ce qui se passe ? » Murmura-t-elle, les larmes montant aux yeux alors qu’elle entendait en écho des hurlements qui la terrifièrent.

Snape tendit la main pour l’attraper et il la cala contre lui, produisant à son tour son propre patronus. La Moldue ne pouvait les voir, mais autour d’eux s’amassait un certain nombre de Détraqueurs que les patronus tenaient de justesse en respect.

***

Maugrey décocha un coup de poing qui fit craquer la mâchoire du loup-garou et l’envoya bouler quelques mètres plus loin. Essoufflé, se tenant le foie où il avait reçu un coup vicieux, Fol’Oeil regarda son ennemi se relever avec amertume. Quelques années plus tôt, il ne lui aurait jamais donné cette opportunité. Il vieillissait…

« Mais je fais toujours le poids ! rugit l’Auror en terminant sa pensée à voix haute.

— Ouais…, je t’ai sous-estimé, acquiesça Greyback la gueule ensanglantée. TUEZ-LE ! »

Comme un seul homme, la meute bondit sur Fol’œil qui se recroquevilla sur lui-même, balançant un sort de mort au passage à un autre lycanthrope. Mais l’un d’eux lui arriva sur le dos, il accusa le coup, lui en donna un dans les côtes. Un autre le frappa de la pointe du talon dans le mollet, celui qu’il lui restait et Maugrey tomba à genoux en sentant la douleur irradier dans les muscles. L’Auror attrapa l’épaule d’un assaillant et en le tirant, la lui déboita avant de s’emparer de sa nuque et de la briser entre ses deux énormes bras. Un coup sur la tête lui fit cependant lâcher sa baguette, un dans le dos lui arracha un gémissement. Il plongea au milieu des lutteurs et en agrippa un par la queue. Hybride ou non, personne n’aime qu’on la tire. Le hurlement de sa victime qui se baignait de sang lui tira un sourire de satisfaction, il donna un coup de pied avec sa jambe de métal qui écrasa la face du loup geignard et le fit immédiatement taire. Un autre essaya de la mordre, mais s’y brisa les dents. Maugrey pivota et lui envoya aussi la prothèse qui le projeta plus loin. C’était l’ouverture dont il avait besoin. Il roula sur lui-même malgré les quelques cadavres qu’il commençait à entasser et s’extirpa de la mêlée. À tâtons, il retrouva sa baguette et la pointa à sa droite. Un autre cadavre. À sa gauche. Un autre encore.

Une douleur le transperça soudain à l’épaule et il sentit son sang se répandre sur sa poitrine et sur sa gorge. Le ricanement satisfait de Greyback s’associa à sa force caractéristique, et l’œil magique de Maugrey se braqua enfin derrière lui pour lui confirmer les choses. Il retomba à genou et il sentit qu’on lui arrachait sa jambe de métal. Dans un sursaut, Maugrey balança un coup de poing derrière lui qui fractura le nez de Fenrir, le loup gronda et le ramena à lui brutalement. Il l’observa un moment et envoya la main pour arracher le cache-nez de l’Auror. Il envoya une nouvelle fois la main pour lui arracher dans son orbite l’œil magique qui tourbillonnait dans tous les sens. Il ne restait plus beaucoup de suivants pour admirer la victoire de Greyback, et cette simple pensée tira un rictus de satisfaction à Maugrey. Même lorsque le monstre lui arracha son second œil valide, il continua de sourire, malgré l’atroce douleur qui lui vrillait l’orbite. Trop occupé à le démembrer, l’Alpha ne se rendit pas compte que Fol’œil avait tendu la main en direction de son balai. Ce dernier fusa et se lova dans sa paume, et Alastor décocha un coup formidable au Mangemort qui se prit un des pieds de métal dans le torse. La tige argentée se ficha dans sa chair et l’obligea à lâcher prise.

Maugrey jappa, fier de son dernier coup fourré, rendu aveugle et privé de son odorat, il se laissa légèrement retomber, se vidant doucement de son sang et refusant de rendre les armes. Il écoutait, tentait de percevoir par-delà ses battements de cœur l’approche d’un jeune premier qui ne pourrait résister à l’envie de l’abattre. Son instinct lui servit une fois de plus et il eut à peine le temps de ramener le manche de son vieux balai contre lui que la créature s’empala dessus stupidement dans un râle pathétique.

Le silence tomba, rompu seulement par le souffle erratique de Fenrir et le sifflement morbide de la respiration de Maugrey.

« Tu es… tu es fini… » Cracha finalement Greyback en éructant du sang.

L’Auror éclata de rire, se couchant peu à peu, épuisé. Il soupira de contentement, et porta une dernière estocade mentale à son adversaire :

« Comme ta meute… »

Autour de lui, une dizaine de loups-garous jonchait le sol dans une mare de sang qui s’étendait jusqu’aux portes de Poudlard. Greyback prit enfin conscience de son terrible échec, et se jeta sur le guerrier pour le déchiqueter à pleines dents.

***

Au port de Pré-au-Lard, des sorts fusaient quelque peu, mais le village était baigné d’une légère aura rassurante. Neville soupira légèrement, bondissant le premier hors de la barque pour rejoindre le ponton glissant. Il manqua de déraper, et une poigne forte s’empara de son col pour le remettre sur pieds. Rémus Lupin lui offrit un léger sourire et il l’aida bien vite à faire amarrer les autres barques. Il n’y avait qu’une poignée de baguettes, Bill, Fleur, par exemple, mais nulle trace d’un Auror ou de Sirius Black. Enfermés chez eux, les habitants de Pré-au-Lard ne se montrèrent à aucun moment, pas même lorsqu’un Mangemort qui avait tenté de fuir par le petit village se retrouva encastré dans une fenêtre après avoir été pétrifié en plein vol.

« Combien êtes-vous ? demanda Lupin, inquiet.

— Les petits du groupe d’Harry et une vingtaine d’élèves. Répliqua Hagrid. Il faut qu’ils prennent le train, qu’ils rentrent chez eux !

— C’est beaucoup trop long, ils vont passer par le réseau de cheminées, nous n’avons pas le choix.

— Où sont les autres ? cria Ron qui s’aidait d’Hermione pour redescendre.

— Tes parents attendent à une planque et Sniffle prépare votre retraite.

— Pourquoi des codes… Où sont… ?

— LA REGARDEZ ! »

Ginny pointa du doigt les lumières tremblantes des patronus de Snape et Harry qui filtraient entre les ombres des Détraqueurs, les créateurs se refusaient à abandonner trois proies aussi délicieusement mélancoliques. Harry luttait pour fermer totalement son esprit, se rendant compte qu’aux hurlements de sa mère s’ajoutait un nombre incalculable de choses.

« Tenez bon, Potter, on y est presque…

— Occupez-vous d’elle, plutôt. » grinça le garçon en chassant de ses pensées certains vieux souvenirs.

Jane semblait secouée de tremblements compulsifs contre Severus et gardait son visage contre son torse, chantant doucement une chanson pour tenter de ne pas céder au désespoir.

« C’est ça, continuez, encouragea Severus en se focalisant sur son patronus.

— And if I only could, I’d make a deal with God…

— Snape ? Harry ? C’est vous ?

— LUPIN, C’EST LE MOMENT DE FAIRE TON NUMERO DE PROFESSEUR DE DÉFENSE ! » cria Severus.

Rémus leva sa baguette et lança lui-même une lumière sublime qui obligea les monstres à s’écarter. La barque accosta enfin et ils en bondirent rapidement, Harry et Severus tournant leurs patronus en direction des Détraqueurs qui fuirent immédiatement.

« Où est le point d’exfiltration ? demanda Snape.

— À la volière, aller ! »

Ils coururent en direction de l’immense bâtisse biscornue et l’homme-hibou leur ouvrit immédiatement.

« Vite, vite ! Que personne ne vous voit, oh bon sang… J’espère avoir assez de poudre de Cheminette !

— Professeur ? Où irons-nous ? demanda une jeune Serdaigle apeurée.

— Dans vos familles, si vous en avez et qu’elles ont des cheminées. À Sainte-Mangouste pour les autres, répliqua sans tact Snape. Mettez-vous en rang ceux qui doivent aller à l’hôpital, les autres, préparez votre point d’arrivée. ALLEZ !

— Professeur ? appela un jeune Serpentard. Est-ce que c’est la fin ? »

Severus ouvrit la bouche, haussant un sourcil et balaya l’assemblée du regard. Il ne s’attendait pas à ce que les enfants se tournent soudain vers lui pour les rassurer. Harry se redressa et prit enfin son rôle au sérieux :

« Non, Poudlard est tombée mais nous sommes en vie. Nous allons nous battre. Sauf si on se faire prendre avant. ALORS EN RANG ! »

Jane reprit son souffle, secouant la tête, libérée de la morsure mentale des Détraqueurs. Elle se posta près d’une des fenêtres encrassées pour surveiller leurs arrières.

« Combien de temps il faut pour évacuer tout le monde ? demanda-t-elle pour se donner bonne contenance.

— Restez en place, je me charge de les presser.

— Doit-on attendre les autres Professeurs, ou… Ou le Directeur… ? mais Ginny ne put terminer sa phrase, instinctivement, la fin se coinça dans sa gorge.

— Pensez à sauver votre peau Weasley, c’est tout ce qu’il y a à faire. »

***

Le chant léger du phénix s’éleva au-dessus de la voûte de la Grande Salle où le combat entre Voldemort de Dumbledore les avait menés. Les Professeurs encore en vie ne luttaient plus, tenus en respect par les Mangemorts qui s’étaient relevés. Albus soupira, soulagé, quand il entendit Fumseck lui confirmer qu’Harry et les autres étaient en sécurité. Il s’autorisa un instant à baisser la baguette, le corps tremblant d’un épuisement sans précédent.

« Enfin tu comprends… Tu as perdu ! »

Voldemort s’approcha lentement de lui et s’empara de la baguette noueuse qu’Albus n’avait plus guère de force de tenir droite. Elle lui glissa des mains et il leva un regard las à son ancien élève.

« TU AS PERDU ! répéta-t-il comme s’il avait besoin de l’entendre confirmer. TU VAS MOURIR !

— C’est inévitable, Tom… Mais c’était une belle vie…, soupira Albus à bout de souffle. Peux-tu en dire autant de la tienne ? »

Les fentes verticales qui servaient de narines au Fourchelangue frémirent un court instant, on aurait pu croire que Voldemort allait répondre à cette question. Mais il leva la baguette de Sureau et hurla :

« AVADA KEDAVRA ! »

***

 

Les élèves disparaissaient les uns après les autres, quand ce fut au tour du groupe en partance pour Sainte-Mangouste, des adultes les accompagnèrent. Lupin attrapa la main de Ron et d’Hermione et transplana. Posté près de la fenêtre aux côtés de Jane, Severus inspira profondément et posa sa main sur le dos de son amie. Au travers de la crasse, une puissante lumière verte éclaira le château, montant et dessinant doucement un crâne vomissant un serpent. Jane frissonna sans pour autant détourner les yeux, sachant pertinemment ce que cela voulait dire. Derrière eux, Harry et Luna s’approchèrent et observèrent le phénomène. Harry glissa sa main dans celle de Luna, et laissa une larme rouler sur sa joue en pensant à son vieux Professeur.

Juché sur une colline abrupte, ses grandes tours noires glacées d’un éclat émeraude, le château de Poudlard leur sembla être un lieu soudain menaçant.

Le couronnant, la Marque des Ténèbres flottait, triomphale.