Enfoncé dans l’énorme fauteuil qui faisait face à l’âtre, Draco Malefoy affectait de ne pas s’intéresser à la conversation qui se tenait entre Pansy Parkinson et Théodore Nott. Tout aussi silencieux et apparemment désintéressé, Blaise Zabini nettoyait sa baguette avec application en gardant les yeux rivés sur son ouvrage. La salle commune des Serpentards était pratiquement vide à cette heure d’interclasse et celles et ceux qui auraient pu lézarder avec eux se tenaient à l’écart, conscients de ne pas être les bienvenus dans ce petit cercle restreint.

« C’est une perte de temps ! se plaignit Pansy pour la quatrième fois de la soirée. Pourquoi doit-on faire ces stupides devoirs sur ces stupides Moldus ?! Ce n’est pas nous qui nous intégrons, c’est aux Sang-de-Bourbe d’apprendre, non ?

— Et puis qu’est-ce qu’on s’en fiche de leur pollution ? De leurs guerres…, renchérit Nott. Ils n’ont qu’à étouffer sous leur bêtise et s’entre-tuer, pour ce que ça me concerne !

— Smith ne nous faisait pas faire de devoirs au moins !

— Parce que lire ces stupides comiques et être coincés à ses stupides séances de ciné ne te suffisaient pas, peut-être ?

— Des comics, corrigea Zabini sans relever les yeux de sa baguette.

— Peu importe, c’était de la merde. Voilà ce que c’était ! De stupides images pour nous dire que c’était mal la guerre, et qu’il ne fallait pas détester les gens… C’est vrai, elle racontait n’importe quoi, mais au moins, on n’avait pas des rouleaux entiers de parchemins pour décrire les facteurs d’autodestruction de ces imbéciles.

— Hyde est vraiment bizarre, si vous voulez mon avis… Je ne crois pas qu’il soit réellement de notre côté pour nous surcharger comme ça, compléta Nott. Après tout, ces cours sont là normalement pour les Nés-Moldus, non ? Pourquoi nous obliger à faire autant de paperasse pour quelque chose d’aussi insignifiant que l’impact du plastique dans l’océan. Du plastique ! répéta-t-il. Quelle invention débile, franchement !

— Tu ne dis rien, Draco, minauda soudain Parkinson en tournant son attention vers le blond. Tu regrettes les cours de l’autre Australienne ? »

Malefoy esquissa un rictus déplaisant et répliqua sans pour autant concéder à Parkinson le regard qu’elle attendait tant.

« Je ne dis rien parce que comme toujours, vous ne comprenez rien à la Politique. »

Le simple rappel de la position de son père agaça les deux autres qui se raidirent en attendant la suite. Zabini tira un carré de soie sauvage pour terminer de polir sa baguette.

« Il ne s’agit pas de nous intéresser, nous, au plastique, mais de faire prendre conscience aux Nés-Moldus qu’ils échappent à une civilisation décadente et vouée à l’autodestruction. »

Il avait dit ça comme s’il s’agissait d’une évidence, et cela sembla frustrer Pansy au plus haut point.

« Pourquoi nous donner à nous les devoirs, alors ? Il ne pourrait pas se contenter de les filer uniquement à ces…

— Pas étonnant que tu n’aies rien noté dans ton projet d’après ASPICs, se moqua Draco avec cruauté. Tu crois vraiment que filtrer les devoirs et les sujets est pertinent dans une guerre de propagande ? Sais-tu au moins ce que ce mot veut dire, Parkinson ? »

Il plongea son regard gris acier dans le sien, affichant un mépris tel que la jeune fille s’enfonça un peu dans son fauteuil pour y échapper.

« Hey, calme-toi le Petit Ministre, cracha presque Nott. Elle pose une question légitime. Pourquoi on devrait se cacher ? Ton père ne contrôle-t-il pas pratiquement tout le Ministère ? Pourquoi on devrait faire dans la Politique Politicienne, hein ?

— Pourquoi tant de pincettes, de quoi on devrait avoir peur ? renchérit Pansy rassurée dans ses positions.

De quoi ? De l’opinion publique peut-être, qui n’est pas prête… de l’opposition possible aux idées du Seigneur des Ténèbres… ? Des résistants qui continuent de…

— C’est une tactique de lâches ! Dumbledore est mort, Scrimgeour est mort, Black n’est pas près de devenir Premier Ministre et Potter est au pire en fuite, au mieux mort également ! coupa Pansy. Il n’y a aucune raison de continuer cette mascarade plus longtemps. Qu’on tolère ces Sang-de-Bourbes dans l’école le temps de la transition, soit. Mais qu’on se retrouve à fouiller les mêmes merdes qu’eux c’est…

— La guerre est très loin d’être finie ! s’ébroua soudain Draco. Et crier victoire alors même qu’on n’a pas le corps refroidi de nos ennemis est la pire des erreurs. Du reste, Parkinson, ce ne sont pas les Sang-de-Bourbe que le Ministère cherche à faire plier, mais les Sorciers à convaincre. Ces devoirs, entre autres, sont aussi là pour nous rappeler notre supériorité.

— Et en quoi ça sert les intérêts du Seigneur des Ténèbres ?

— Sont-ce vraiment les siens, d’ailleurs ? »

Nott avait marmonné ça d’un air rogue en fixant Draco comme s’il était le représentant même de son père. Zabini s’arrêta immédiatement, guettant avec la plus grande attention la réaction du blond. Ce dernier plissa des yeux en reniflant de dédain.

« Les intérêts de mon père sont ceux du Seigneur des Ténèbres, puisque c’est votre question.

— Vraiment ? Ne brigue-t-il pas le poste de Premier Ministre pour son bénéfice seul ? continua Nott.

— À qui profiterait sa nomination, hein ? Le Seigneur des Ténèbres a besoin d’une interface policée pour ses idées, c’est précisément ce dont il a manqué lors de la dernière guerre et c’est une erreur qu’il ne semble pas vouloir reproduire, il…

— Es-tu en train de dire qu’il s’est trompé ? le coupa, horrifiée, Parkinson.

— Il a décidé de changer de tactique, contra Draco la gorge sèche. Père ne serait pas à son poste si le Seigneur des Ténèbres ne le désirait pas. Du reste, il ne serait pas le premier Premier Ministre qu’on ait eu dans la famille, ça n’a rien à voir avec l’argent ou le prestige, nous, Malefoy, n’en manquons pas. »

Cette dernière saillie était assez vulgaire pour que les deux l’entendent pour ce qu’elle était et la prennent fort justement pour eux-mêmes. Ça eut le mérite de faire cesser la conversation, du moins sur l’instant. Sous le regard bien trop intelligent de Zabini, Draco prit congé de ses collègues et s’enfuit dans les couloirs, prenant soin d’afficher la mine satisfaite du gosse privilégié qu’il devait être. Mais quand il put enfin sortir des cachots, il expira soudainement, s’affalant légèrement sur lui-même. Il était épuisé de cette tension perpétuelle entre lui et les autres Serpentards. De tout temps, Draco avait été persuadé qu’il aurait tiré grand bénéfice d’une haute position de son père. Maintenant que la guerre était à nouveau là et qu’il n’était plus question que de Politique, qu’on scrutait ses moindres faits et gestes comme ceux d’un fils de, ou d’un potentiel futur Mangemort de premier cercle, il sentait sur ses épaules un poids considérable. Et pour la énième fois depuis quelque temps, le jeune homme se surprit à repenser à sa némésis en fuite. Potter avait-il vécu ça toute sa vie ? Connaissait-il cette solitude ? Draco se secoua mentalement, il n’était pas l’heure des apitoiements de Gryffondor. Il était né pour ce rôle et saurait le tenir. Mais dans quel but ? Lui souffla une petite voix mentale et mesquine. Était-ce seulement ses intérêts à lui qu’il servait en jouant cette comédie ? Instinctivement, il caressa l’arête du petit carnet qui était dans la poche de son veston et médita un moment sur cette question. Une sorte de soupir le tira de sa réflexion. Draco remis les bras le long de son corps et se tendit, prêt à accueillir l’impudent qui croisait sa route. Mais il attendit quelques secondes sans que rien ne vienne, jusqu’à ce qu’un petit éternuement lui fît plisser les yeux, il s’approcha, tirant doucement sa baguette jusqu’à voir derrière une statue un petit chat blanc renifler le bas d’une tenture. Draco resta immobile, observant le chat se frotter au tissu, puis lui faire dos avant de lever la queue. Une forte odeur d’ammoniaque s’éleva et le Sorcier comprit que l’animal venait de marquer son territoire. Il eut une brève pensée pour Miss Teigne qui n’allait pas apprécier, avant de se souvenir que la créature avait subi un sort similaire à son maître.

« Ce n’est pas chez toi. » Lui dit de but en blanc Draco en se disant qu’il passerait sans doute pour un fou à parler avec un simple chat.

Merlin se retourna et le toisa de ses grands yeux en lui lançant un regard que Malefoy avait déjà vu chez quelqu’un. Puis, il tourna le dos au Sorcier et s’en fut d’un pas nonchalant.

« Hey ! Mais… Je t’interdis de m’ignorer ! » Bredouilla le blond en se sentant de plus en plus ridicule.

Il suivit l’animal qui trottait désormais dans les couloirs, jusqu’aux abords des anciens quartiers de Snape. Là, Merlin marqua une nouvelle fois, non sans jeter un regard de défi à Draco, puis il reprit sa route, se pavanant avec un toupet qui couperait la chique à plus d’un. Le jeune homme ouvrit la bouche, incertain quant à l’origine du chat, puis il décida de tenter tout de même :

« Tu connais Severus ? »

Les chats ne roulent pas des yeux, pourtant, ils semblent parfaitement capables d’en donner l’impression. Et Draco se sentit aussi stupide que s’il eut été confronté à l’homme en noir après une question malhabile. Il se raidit soudain. Si cet animal était proche du traitre, il était peut-être dangereux de traîner dans ses pattes. Mais s’il était effectivement proche, il n’avait désormais plus de maître et déambulait dans les couloirs sans…

« Tu étais son chat ? » Lui demanda-t-il en le suivant bêtement.

Merlin s’arrêta, sembla réfléchir un instant, puis retourna le dos à Draco.

« D’accord, mais tu savais que c’était ses appartements, n’est-ce pas ? À qui appartiens-tu ? As-tu un maître, seulement ? »

Merlin s’arrêta à nouveau et le fixa avec un air plus féroce, désormais. Draco se sentait incapable d’interpréter de tels comportements. Il n’avait jamais eu d’animaux domestiques, sa mère estimant cela sale pour un enfant et son père voyait cela comme une lubie prolétaire. Avec le temps, il s’était persuadé que les créatures magiques et non magiques n’avaient aucun intérêt si ce n’est de servir les Sorciers. Et c’était tout juste s’il accordait deux sous d’intelligence aux hiboux et autres chouettes qui apportaient les courriers. Pourtant, au fond de lui, Draco restait un petit garçon à qui on avait refusé d’acheter un Boursouf pour son cinquième anniversaire. Il se vexa de l’attitude du chat.

« Très bien, ben reste seul, puisque c’est comme ça, je m’en fiche !

— Je n’avais pas forcément envie de ta compagnie, Malefoy. »

Draco se mordit la langue pour s’empêcher de jurer et se retourna très lentement, composant un masque parfait pour faire face à Neville. Le Serpentard ne s’était pas rendu compte qu’il était arrivé au niveau du Grand Hall et qu’à présent, lui et Londubat se faisaient face sous les sabliers colorés. Pourquoi le Gryffondor traînait dans les couloirs à cette heure ? Pourquoi ici, alors que nous étions loin du repas, et que personne ne se souciait plus des scores ? Merlin ronronna, montant quelques marches du grand escalier et les toisant avec suffisance. Neville cligna légèrement des yeux, mais tenta de rester fixe sur Malefoy qui comprit pourtant immédiatement :

« Tu connais ce chat ! accusa-t-il. À qui il est ?

— Pas à moi, en tout cas.

— Il traînait dans les cachots, à marquer partout avec sa pisse. Il connaît Snape, j’en suis certain. À qui est ce chat ?!

— Tu es parano, il est au Directeur, je crois. Je le vois souvent redescendre de son bureau. »

Draco manqua de se tourner vers Merlin pour lui demander confirmation, mais il se retint. De toute façon, le félin remontait déjà les escaliers comme pour donner raison à Neville. Le blond fronça les narines et réattaqua :

« Que fais-tu ici ?

— La même chose que toi : je passe.

— Tu allais où ?

— Tu es préfet de Serpentard, Malefoy, pas de Gryffondor. Alors, lâche-moi avec ton interrogatoire. »

Draco s’apprêtait à répliquer quelque chose de puéril, quand il vit Neville monter les marches à la suite du chat sans lui prêter la moindre attention. Ça l’agaça au plus haut point, Potter, lui, avait au moins la décence de terminer proprement les joutes verbales.

« Tu ne sais pas ce qu’est un vrai interrogatoire, lança-t-il méchamment, il paraît qu’au Ministère, les gens craquent… et il n’y a personne pour témoigner des conditions dans lesquelles ils le font. »

Neville s’arrêta un instant et redescendit lentement quelques marches. Il se posta plus ou moins à la hauteur du blond et lui murmura :

« Oui, on raconte qu’au Ministère, on a appris des meilleurs pour inspirer la terreur. Et que leurs méthodes sont aussi efficaces que troubles. Le Ministère ne doit combattre que ceux qui portent la Marque, ou hésitent à le faire, n’est-ce pas Draco ? »

Il releva ses manches lentement, avant d’ajouter :

« Est-ce vraiment moi qui dois trembler à l’évocation de la Brigade ?

— Qu’insinues-tu ?

— Qu’il serait temps que tu décides de la posture officielle que tu vas adopter, Malefoy. Car tu es pour l’instant l’ennemi de tous et l’ami de personne. »

Neville remonta les marches, pensant que le jeune homme ne prendrait pas la peine de répondre.

« Et que sais-tu de mes amitiés, au juste ?!

— Qu’elles sont inexistantes, sinon tu n’aurais pas couru après un chat dans les couloirs. »

Il accéléra le pas, coupant court à toute réplique et plantant là Draco qui observa un instant les marches, songeur. Il aurait aimé répondre qu’il n’en avait pas besoin, que la recherche du lien amical était une quête de Poufsouffle en mal d’affection, mais seul dans le hall de Poudlard et avec pour unique perspective les cachots humides et pleins de suspicion, les mots ne vinrent pas. Pire, il savait parfaitement que Londubat avait pleinement raison, et qu’il devenait de plus en plus dangereux pour lui de ne pas clairement s’identifier. Son père jouait un jeu qui semblait peu à peu plus personnel, et lui devenait la cible des questions toujours plus pressantes concernant son engagement. La position importante de Lucius écartait la possibilité de prendre la Marque, pour des raisons politiques évidentes, mais Draco l’aurait-il prise de toute façon ? Aurait-il pu être un bon Mangemort ?

***

Son corps trembla soudain et elle ouvrit les yeux, paniquée. Avait-elle crié ? Dans la noirceur de la chambre, elle ne distinguait pas grand-chose. Il lui fallut quelques instants pour se souvenir où elle était. Avec qui elle était. Une main se posa sur son torse, entre ses deux seins, contre son cœur qui semblait vouloir sortir de sa poitrine. Elle était encore sous le choc de son cauchemar et ce geste lui fit énormément de bien.

« Vous ne dormez pas ? chuchota-t-elle du bout des lèvres.

— Ça m’est difficile avec votre agitation.

— Je suis désolée.

— Qu’avez-vous vu ? »

Jane frissonna à nouveau et elle se serra instinctivement contre lui. Severus sembla perdu un bref instant, avant d’ouvrir ses bras et de l’accueillir. Il allait répéter sa question quand elle daigna répondre du bout des lèvres.

« C’était confus. Cette fois-ci, je cours dans Poudlard toute nue pour échapper à Sebastian. Il rit. Mais c’est le rire de Bellatrix. Je trébuche et je tombe. Je ne sais pas où je suis, ça sent l’herbe et le feu, le sang et la sueur. Je suis seule et désespérée, Bellatrix-vampire se rapproche et je rampe pour lui échapper. Je rampe et je finis par tomber sur un couteau, je le sens du bout des doigts. J’entends votre voix. Vous… Vous hurlez. Vous suppliez. Vous me suppliez de faire ce qu’il y a à faire. Votre voix change. Elle… Votre ton… C’est un ordre, doucereux. Vous… Vous me dites de le faire. Que c’est facile. Que ça… »

Jane attrapa les poignets de Severus pour l’obliger à passer ses bras autour d’elle. Elle se verrouilla dans son étreinte, s’enfonçant contre sa poitrine comme s’il pouvait à lui seul éloigner ces images. Le Sorcier se garda de la couper, écoutant avec attention pour la première fois quelqu’un raconter ce qu’il avait l’habitude de prendre dans les pensées des gens. Jane inspira, tendit l’oreille pour vérifier que les enfants dormaient toujours à côté, puis continua en baissant plus encore la voix.

« … que ça me soulagerait, souffla-t-elle. Alors je lève le bras. Je lève le bras et au moment où ils me tombent dessus, je tranche, je taillade, je m’agite et je sens le sang couler à flots sur moi. J’en ai partout, il s’infiltre dans ma gorge, il me brûle les yeux. Quand il cesse de couler, je baigne dans une rivière pourpre. Et j’entends votre voix à nouveau. « Vous êtes mienne, maintenant », me dites-vous. Je regarde partout et je n’ai plus le couteau dans les mains, seulement une tête sans corps. Je hurle et je la jette au loin. Elle roule, et quand son visage se tourne vers moi…

— C’est le vôtre, termina Severus d’une voix profonde. »

Jane acquiesça en silence et posa sa tête contre son épaule. L’homme la tourna légèrement contre lui, et posa ses lèvres sur ses tempes avant de lui murmurer :

« C’est normal. Vos rêves sont parfaitement normaux, Jane.

— Pour une meurtrière, vous voulez dire… ?

— … oui.

— Je sais. Je sais que c’est mon esprit qui tente de digérer tout ça. Mais…

— Vous cauchemardez souvent ?

— Depuis Halloween, en fait. Avant, ça tournait autour de Sebastian et de…

— De moi. Nous échangions de rôle selon la nuit, n’est-ce pas ?

— Comment savez-vous…

— Je vous ai fait peur ce soir-là. Le contraire me choquerait. Votre esprit ne dissocie pas les deux monstres que vous avez vus. Il tente de vous mettre en garde. »

Jane se redressa lentement dans le lit et sembla hésiter un instant à se lever. Mais Harry et Luna dormaient toujours paisiblement à côté, elle ne pouvait aller et venir comme bon lui semblait dans son appartement. L’impression d’être envahie la saisit brutalement, et elle se trouva perdue dans ses décisions l’espace d’un instant.

« Ne me faites pas le laïus sur l’homme dangereux à fuir, s’il vous plaît, soupira-t-elle, épuisée. Je n’ai vraiment pas envie de jouer ce couplet dramatique.

— Je ne le ferai pas. Vous êtes adulte et lucide. J’ai déjà été stupide la dernière fois en évoquant le béguin pour votre sauveur donc…

— Je n’avais pas attendu cet évènement pour… »

Elle se tut. Severus hocha la tête sans qu’elle ne le voie et répondit.

« Je sais. Je pense même que je le savais, et que c’est précisément la raison de cette mauvaise phrase. Vous rêvez souvent ? changea-t-il légèrement de sujet.

— Pratiquement tous les soirs. Quand ça n’est pas sur lui, elle ou vous, c’est toujours le pont qui cède, je me réveille en ayant l’impression de tomber.

— L’attaque du Hungerford Bridge, comprit-il. Je n’avais pas réalisé que ça pouvait vous choquer.

— Je n’avais jamais survécu à un attentat, avant ça. Vous savez, avant votre entrée dans ma vie, le plus grave que j’ai pu vivre a été une agression dans le métro, donc…

— Une agression ? »

Severus semblait tendu et perplexe, comme comprenant difficilement la possibilité que la femme ait pu avoir une vie avant cette aventure. Jane se mordit légèrement la langue, se maudissant d’aborder la question, elle n’avait pas envie de s’étendre en détail ou même de se justifier. Elle répondit néanmoins :

« Oui. Une agression sexuelle, Severus. Quand quelqu’un vous touche alors que vous ne le voulez pas.

— J’ai compris. Qui est-ce qui… ?

— Je n’ai pas envie d’en parler, coupa-t-elle. Mais avec le recul, je crois que j’aurais cyniquement préféré que cela reste le point culminant de mes traumatismes. »

Elle se dégagea tout à fait et Snape accusa le coup, comme si elle le rejetait soudain, lui. Il tendit une main incertaine vers elle, jusqu’à toucher du bout des doigts son poignet. Jane ne bougea pas, il laissa ses doigts glisser le long de sa main, avant de la lui prendre délicatement. Elle serra ses doigts et s’approcha.

« Ça va. Pour cette histoire, ça va. Ça fait longtemps que j’ai réglé ça. Même si cette soirée d’Halloween, je n’ai pas su si Sebastian allait me dévorer ou…

— Ou les deux. Il aurait pu.

— Si vous n’aviez pas été là…, murmura Jane en se lovant à nouveau contre lui. Je n’ai pas compris comment ai-je pu me retrouver dans cette situation. Pourquoi n’ai-je pas eu le réflexe d’aller voir Minerva ou…

— Le charme du vampire, coupa Severus. Il vous pousse à agir comme la créature le désire, c’est même surprenant que vous ayez pu vous enfuir, même si c’était toujours sous son emprise. Peut-être est-ce que votre expérience Moldue vous a permise d’y faire face ?

— Vous n’avez pas hésité une seconde, souffla-t-elle. Pas une seconde, vous lui avez foncé dessus, vous étiez… Bon sang, vous étiez… »

Jane s’humecta les lèvres, comme à la recherche du bon mot. Il remua contre elle, la conversation qu’il avait eue avec Voldemort lui revenant désagréablement en tête.

« Vous étiez terrifiant. Mais aussi terriblement envoûtant. Peut-être même plus que lui. Bon sang, je parle vraiment comme une ado dépressive. »

Les doigts de l’espion remontèrent pour se nicher dans son cou, prenant son pouls d’une simple caresse. Jane sembla le comprendre, car elle soupira.

« C’est… je ne sais pas si je suis…

— Je crois que vous êtes normale, Jane. Les ténèbres sont fascinantes. C’est comme cela que l’on tombe dans la Magie Noire, que l’on prend la Marque. »

Dans la rue, un scooter passa en pétaradant, son phare projetant une lumière qui filtra à travers les volets. Snape croisa brièvement le regard de Jane, et se saisit de son menton.

« … Et que l’on peut se lier à quelqu’un de mauvais.

— Ce n’est pas le Mangemort qui m’attire. Pas particulièrement. C’est l’homme qui me faisait jouir hier soir. Celui qui me fait rire, parfois à mes dépens. Celui qui essaie de sauver les gens auxquels il a appris à s’attacher.

— Je suis tous ces hommes, Jane.

— C’est pour ça que vous êtes dans mes cauchemars. »

Elle posa un bref baiser sur sa bouche et il sentit un poids descendre dans son estomac, puis s’y dissoudre étrangement. Comme si le fait de faire enfin face à cela le libérait.

« Mais c’est aussi pour ça que vous êtes dans mon lit, que je me suis blottie dans vos bras quand j’en ai eu besoin. Vous pouvez comprendre ce que je ressens, vous pouvez comprendre que…

— Que vous avez pris du plaisir à la tuer. Que vous ne ressentez aucun remords à l’avoir fait. Et que vous êtes même… satisfaite de pouvoir partager ça avec moi. D’avoir cela en commun.

— C’est… malsain. Je sais.

— Je ne suis pas le mieux placé pour vous dire si c’est sain ou non. Je ne peux que recueillir vos confidences si vous en avez besoin. Je les comprends. »

Ils s’observèrent dans les ténèbres. Severus abaissa son visage à sa hauteur et caressa ses lèvres des siennes. La langue de la jeune femme effleura sa bouche, qu’il entrouvrit pour l’accueillir. Lorsqu’il la sentit soupirer contre lui, il la bascula à nouveau dans le lit, la couchant tout à fait sous lui. Il l’embrassa avec possessivité, puis piqua ses lèvres d’une série de baisers de plus en plus effacés. Jane releva légèrement ses cuisses, pressant ses hanches contre elle en le poussant de ses genoux. Elle se redressa et l’embrassa pleinement, sa langue goûtant la sienne avec avidité, mais Severus passa une main sur son front, comme pour l’enjoindre à la retenue. Il murmura, incertain quant à la justesse de ses mots, une inquiétude nouvelle lui tiraillant le ventre :

« Vous n’êtes pas seule.

— Vous non plus. »

Ils se pressèrent l’un contre l’autre, prêt à terminer cette conversation en muets.

« À L’AIDE ! »

Le cri douloureux de Luna les interrompit brutalement et ils se relevèrent pour passer chacun une robe de chambre. Severus fut le plus rapide à rejoindre le salon et ils trouvèrent Luna nue, tentant manifestement de plaquer Harry par les épaules au sol.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda immédiatement Severus en inspectant le visage de Harry.

— Nous faisions l’amour et il a… d’un coup, il a ralenti avant de ricaner. Et là il a repris et…

— Il vous a fait du mal ?

— Non, répondit Luna avec le visage fermé. Mais on aurait dit qu’il le souhaitait.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’il convulse ainsi ? s’alarma Snape qui ne comprenait pas pourquoi le jeune homme s’agitait les yeux fermés.

— Je l’ai frappé. Quand j’ai vu son regard, j’ai attrapé la statuette de… je ne sais pas et je l’ai frappé avec.

— Je crois que vous avez bien fait, souffla Jane en jetant un regard au buste de Nazgûl éclaté au sol.

— Vous dites que vous étiez en pleins ébats. Ils étaient tendres ou au contraire…

— Severus ?! À quel putain de moment ça nous regarde ?!

— À partir du moment où ça peut nous mettre tous en grave danger. Miss Lovegood, est-ce que oui ou non vous en étiez à des ébats sauvages ?

— Mon Dieu Severus, essayez…

— Oui. Plutôt. Vous pensez que ça serait Lui qui en profiterait pour… ?

— Oui. Et il m’est impossible d’aider Harry par l’Occlumancie cette fois. Potter, écoutez-moi. Écoutez-moi bien. Calmez vos émotions, oubliez la peur que vous avez de lui avoir fait du mal, elle va très bien. Calmez vos hormones et votre ardeur générale, ne repensez qu’à Luna, qu’à elle et seulement elle. Pensez… »

Un instant, Severus chercha du regard une réponse, les mains posées sur chaque tempe du jeune homme pour tenter de le rattacher à la réalité. Il jeta un œil à Jane qui semblait toute aussi désemparée que lui, quand Luna reprit la suite :

« Tu te souviens de notre première fois ? Juste la première fois, Harry, juste à l’instant où nous nous sommes couchés dans le grand lit de la Salle sur Demande. Tu te souviens de nos gestes ? De la douceur des draps ? »

Jane et Severus échangèrent un bref regard, profondément gênés d’entendre ça. Ils comprirent où la Serdaigle voulait en venir et ils l’aidèrent comme ils purent.

« Les émotions ressenties à ce moment, Harry. La joie de découvrir l’autre, le plaisir de cette connexion, de cette compréhension.

— La puissance de votre amour, l’ivresse de le partager sans avoir à le formuler. Pensez à cette sensation d’être submergé par ce sentiment, Potter. Focalisez-vous dessus. »

Harry ouvrit brutalement les yeux et les posa sur Luna, avant de voir enfin Snape et de les écarquiller d’horreur. L’homme n’eut pas besoin de lire dans ses pensées pour comprendre et se releva, tirant un des draps pour le lui jeter sur le corps. Luna prit Harry dans ses bras, sans s’inquiéter le moins du monde d’être toujours sans vêtements.

« Reprends ton souffle, lui dit-elle impérieuse. On a le temps de te questionner.

— Non… Je crois que non… Il était…

— Calmez vos émotions Potter, vous l’avez repoussé, mais vous êtes encore vulnérable. »

Jane alla dans la cuisine et lui servit un verre d’eau fraîche, donnant un coup de tête en direction des placards pour demander silencieusement à son compagnon si le temps réclamait du chocolat. Il hocha la tête et attrapa un des tabourets de bar pour s’asseoir près des jeunes gens.

« Vous faites énormément de progrès.

— Il est toujours là, je Le sens. Il rôde. Luna ? Passe-moi le Gallion s’il te plaît ! Jane ? Y a-t-il un message sur le portable ?

— Je l’ignore, pourqu…

— Vérifiez, s’il vous plaît ! Je crois qu’Il a eu son compte. Je ne sais pas ce qu’Il venait faire là, Il était très… très excité par quelque chose, je crois. Par Merlin, Luna, je…

— Tout va bien. Le Gallion ne dit rien.

— Le téléphone non plus, confirma Jane. Qu’est-ce que vous avez en tête, Harry ?

— Je ne sais pas. Ça m’avait déjà fait cela avant, de le sentir pas loin. De sentir parfois ses émotions, mais là, on aurait dit… Tu es nue, se coupa-t-il en observant la demoiselle.

— Toi aussi, répliqua-t-elle comme si c’était absolument normal. »

Elle passa néanmoins un t-shirt et continua de fixer Harry, rappelant à tous l’importance de ce qu’il allait dire plutôt que de ce qu’ils étaient en train de faire.

« On aurait dit quoi, Potter ?

— Ça ressemblait à l’année dernière, au début. Quand j’étais tout le temps en colère et que je le sentais l’être aussi souvent. Comme si nous nous nourrissions l’un de l’autre, vous voyez ? Comme si nos émotions s’attisaient à travers nous. J’ai cru qu’il y avait une attaque ou quelque chose dans le genre, car il était excité comme avant un assaut. Je me demande si…

— Si cette excitation n’a pas été attisée par la vôtre et inversement, au point qu’il s’infiltre à nouveau en vous, termina Snape en refusant le chocolat d’un geste de la main et en se dirigeant vers les placards pour prendre un verre à pied.

— J’ai eu le même problème à Noël après l’Impardonnable. Et face à l’Hor… son morceau d’âme, j’ai senti des choses, une fois encore. J’ai l’impression qu’Il m’observe en permanence. Là, c’était comme s’Il nous regardait vraiment, essayait vraiment de prendre possession de moi pour… je ne sais pas, faire quelque chose de terrible.

— Psychopathe et frustré, grommela Jane en tentant de détendre l’atmosphère sans grand succès. Peut-être aurait-Il simplement besoin de s’envoyer en l’air.

— Smith, ce n’est…

— Et si elle avait raison ? demanda Luna très sérieuse. Et si, justement, Il était curieux de certaines expériences à cause de Harry et cherchait à le dominer pour les comprendre ?

— Sans vouloir vous vexer tous les deux, je pense qu’Il a autre chose en tête que de goûter aux ébats d’adolescents qui découvrent à peine ces questions. Il a une guerre à mener et à moins de chercher à atteindre Harry par ce biais, Il n’a… »

Severus se tut immédiatement en écarquillant les yeux légèrement. Assez pour que ceux qui le côtoyaient en permanence se rendent compte de la différence. À savoir les personnes présentes dans la pièce.

« Quand avez-vous « senti la douceur des draps » de la Salle sur Demande au juste ?

— Severus, est-ce qu’on est à ce point obligé de s’introduire dans leur vie privée ?

— Juste avant Noël, je suis arrivé en train en retard à cause de ça, mais vous saviez que c’était avant, vous l’aviez déjà vu, non ?

— Oui, mais je voulais une date précise. Votre connexion se renforce, il est impossible de le nier, et elle se tisse à mesure des émotions très vives que vous éprouvez. Je ne pense pas que ça soit anodin que le meurtre et le sexe aient déclenché des attaques aussi violentes. Il connaît votre lien depuis l’année dernière et a déjà cherché à en tirer avantage, Il prend peut-être conscience du fait que la guerre vous pousse à faire des choses susceptibles de vous éloigner de l’enfant que vous étiez jusque-là.

— Le meurtre, d’accord, mais le sexe… Enfin, Severus, la guerre n’a pas grand-chose à voir avec ça, ils sont ados, c’est normal.

— Ça a tout à voir. On n’est jamais plus enclin à la passion que lorsque sa vie est hautement menacée. Ça ne fait que les ancrer dans des émotions animales puissantes qui génèrent des magies puissantes. Il s’en sert pour vous atteindre. J’ignore encore le but. »

Il avait murmuré cela, songeur, se versant finalement un Porto comme il l’avait prévu, sans pour autant le boire. Il le fit tournoyer au fond du verre tout en regardant Jane qui s’ébroua pour donner les deux chocolats chauds. Elle revint ensuite près de l’îlot de sa cuisine, et opta, elle aussi, pour un alcool. En versant son verre, elle se racla la gorge :

« Bon, admettons qu’Il se prenne de curiosité pour les expériences de Harry… Vous avez déjà dit par le passé qu’Il aimait s’identifier à vous, non ? demanda-t-elle en s’adressant au jeune homme.

— Oui, il a plusieurs fois sous-entendu que nous étions faits du même bois. Que nous étions tous deux des orphelins, par exemple…

— À ceci près que votre mère est morte pour vous. Lui a grandi dans un orphelinat, non ? Il était abandonné, peut-être ?

— Pas vraiment, sa mère est morte en couches et son père Moldu ne voulait rien avoir à faire avec lui. Où voulez-vous en venir, Jane ?

— Je ne sais pas. Qu’il n’est pas rare de voir les psychopathes s’identifier à leur antagoniste principal. Il est possible qu’Il se cherche à travers vous. Peut-être souhaite-t-Il vous salir en vous contrôlant et en vous poussant à quelque chose d’atroce pour vous ? Peut-être cherche-t-Il à se rassurer sur sa monstruosité ? Peut-être est-Il seulement jaloux de certaines choses que vous vivez… Je ne sais pas si le repousser est une bonne chose pour comprendre ses motivations, peut-être que…

— Vous plaisantez ?! s’étrangla Severus, soudain. Est-ce vous qui suggérez d’utiliser Harry comme appât ? Ça n’a rien à avoir avec l’attaque du Ministère, là, nous parlons de son esprit, de son essence, de son… »

Harry inspira brutalement et fixa durement son Maître Occlumens. Il chercha le contact visuel que l’aîné prit grand soin de lui refuser. Il se leva avec fureur et le força à le regarder :

« De mon âme, c’est ça que vous alliez dire. Que je pourrais y perdre mon âme dans ce combat ? »

Un bref éclair passa dans les yeux d’onyx et il daigna les poser enfin sur l’enfant de son premier amour.

« Tout, je pense que vous pourriez tout y perdre et qu’Il a l’intention de vous dépouiller de tout. »

Harry frissonna, se souvenant brièvement de l’impression de s’être noyé dans lui-même quelques semaines auparavant et jamais la sensation de ne pouvoir être pleinement lui ne l’avait autant submergé.

***

Le sort rebondit sur le couvercle de poubelle que tenait fermement Sirius. Jamais de sa vie l’héritier honni des Black n’aurait pu s’imaginer combattre dans sa propre rue, se cachant derrière le métal d’un container de poubelle parfaitement moldue. Des traits verts, orangés, bleus et parfois d’un blanc étincelant fusaient autour de lui et tentaient tant bien que mal de l’atteindre. Là, habillé aussi richement que son rang le demandait, il se prostrait contre son portail grinçant, devant le 12 Square Grimmaurd, salissant ses capes et transpirant dans ses gants qui tentaient de maintenir une poigne ferme sur ce petit capuchon manufacturé qui le séparait de la mort. Les Mangemorts hurlaient les sorts sans se soucier un seul instant des oreilles moldues qui pouvaient les entendre, frappant parfois aveuglément les femmes et les enfants qui passaient encore dans le Square habituellement bondé à cette heure. Comment en était-on arrivé là ? Qui avait frappé le premier parmi les zélotes de Voldemort ? Abernathy avait-il vraiment donné le premier ordre ou avait-il lancé le sortilège en voyant Black s’avancer conquérant vers sa demeure ? Pourquoi ce dernier rentrait-il à visage découvert en direction de l’ancestral hôtel particulier, alors même que la guerre battait son plein et que les ennemis ne manquaient pas à leurs portes ? Sirius se maudit pour son orgueil, alors que l’impact du dernier sort déforma le métal du couvercle dans sa direction. Il savait la porte ouverte, prête à l’accueillir et certainement les enfants derrière, en posture de combat. Mais pouvait-il lever, même temporairement, le sortilège de protection pour s’abriter ? Pouvait-il prendre ce risque ?

Et il n’y avait plus d’Ordre du Phoenix à contacter, il n’y avait que la Brigade, la Brigade à la solde du Ministère, de Lucius Malefoy. Et donc peut-être à Voldemort… ?

« Il va crever si on le laisse tout seul, Hermione ! » Beugla Ron en observant brièvement par le judas magique.

Sirius avait vu juste, contre le bois se terraient Ron et Hermione qui surveillaient les autres entrées et tentaient tant bien que mal d’échafauder un plan.

« Il faut contacter la Brigade ! Il faut que le Ministère envoie des hommes. Peut-être Tonks ? Et Snape… ? Doit-on… ?

— NON ! coupa Ron. Ni lui ni Harry ne doivent être détournés de leur mission. Voldemort nous attaque parce qu’il sait que ça pourrait fragiliser Harry s’il nous arrive quelque chose. Prends la poudre de cheminette, chope Tonks, donne-lui notre situation.

— Tu ne vas tout de même pas…

— Je vais faire ce qu’il y a à faire. »

Il se redressa et planta son regard dans le sien. À cet instant, Hermione revit la même détermination qui brillait 5 ans plus tôt dans les yeux d’un enfant qui s’apprêtait à se sacrifier dans une partie d’échecs. Elle frissonna. Ce n’était plus un enchantement de McGonagall qu’il allait affronter. Elle aurait aimé trouver quelque chose à lui dire, un mot d’encouragement, un geste fort, mais rien ne lui vint en tête. Rien qui ne soit pas cliché et mièvre, et à les voir si résolus tous deux, si résignés, elle comprit qu’ils n’étaient pas de ce genre. Qu’ils n’auraient jamais besoin de ces instants. Ron serra fermement sa baguette tandis que sa main de métal encerclait la poignée de l’entrée. Il fit un signe de tête à Hermione qui se mit en position pour contrer tout sort et refermer la porte d’une flexion de poignet. Dans la seconde qui précéda son action, le roux lui sourit et glissa :

« T’es sacrément épatante comme nana, tu sais… ? »

Elle n’eut pas le temps de répondre qu’il ouvrit la porte et que dans un flash de lumière vive, se propulsa dans la rue. Il lui fallut un peu moins d’une seconde pour s’ébrouer mentalement et filer droit en direction de la cuisine prendre la poudre… Mais après ? Devait-elle vraiment contacter Tonks, ou bien… ? Elle hésita, consciente que chaque seconde de retard pouvait tuer ses amis. Puis elle jeta la poudre dans l’âtre et cria d’une voix forte :

« Manoir Malefoy !

— Qui demande à contacter le Manoir de la Noble et très ancienne famille Malefoy ? s’éleva une voix aigrelette et bien trop pompeuse au goût de la jeune fille.

— Hermione Granger, dites à Lucius Malefoy que c’est urgent.

Le Ministre et Lord Lucius Malefoy n’est pas…

— FAIS CE QU’ON TE DEMANDE ! » Hurla-t-elle en faisant trembler jusqu’aux badges de la S.A.L.E. stockés dans sa chambre.

Il fallut un court d’attente durant lequel Hermione tendait l’oreille en direction de la rue, morte d’inquiétude. Quand elle hésita à tourner les talons pour aller prêter main-forte, c’était la voix, glaciale de Lucius qui s’éleva :

« Miss Granger, que se passe-t-il ?

— Vous le savez ! cracha-t-elle, sans s’embarrasser de faux-semblants. L’attaque est en cours, Sirius Black est sous les feux des Mangemorts, et après notre conversation pour prévenir le Ministre de la Justice et lui demander d’envoyer officiellement la Brigade, je préviendrai le Chicaneur et le…

— Inutile, coupa-t-il brutalement. Je contacte la Brigade immédiatement. Une estimation des forces ennemies ?

— Vous les connaissez mieux que moi.

— …Vous êtes combien ?

— Trois. Sirius et Ron sont tous les deux dehors contre… je ne sais pas combien.

— Vous avez fait le bon choix, Granger. »

Les flammes redevinrent jaunes sous ces mots sibyllins et Hermione cria à la cheminée :

« MAIS C’EST TOUT ?! »

Incapable de savoir ce qu’il allait se passer ou quelles étaient les conclusions de Malefoy, elle retourna dans le vestibule pour observer à travers le judas. Ron et Sirius tenaient tant bien que mal en respect les Mangemorts, cachés de par et d’autres de l’entrée, faisant face à un feu nourrit.

« Il va te falloir rentrer ! hurla le plus jeune. Tu dois te mettre en sécurité !

— As-tu perdu l’esprit, Ronald ?! À quel moment on laisse la jeune…

— Derrière toi, Diffindo ! »

Il eut un cri de douleur et une éclaboussure de sang s’étala sur le couvercle de la poubelle que tenait toujours Sirius. Un Mangemort éructa et retomba au sol, s’éloignant pour se soigner. Ron pensant à Snape et se surprit à se demander si ce sort n’était pas la base du… Il secoua la tête.

« La jeune génération s’en sort bien, et on a besoin de toi pour mener la bataille politique ! Alors, tu bats en retraite et on se replie tous.

— C’EST CA, FUIS COMME LE CHIEN QUI NE SAIT QUE SE PLANQUER » Railla Abernathy du côté du parc.

Frustré de n’arriver à atteindre Sirius directement, l’homme s’en prenait aveuglément aux Moldus qui passaient encore dans la rue, faisant du lieu de l’attaque un carnage égalant presque celui de Hungerford Bridge. Les cadavres d’enfants et de mères qui jouaient au parc jonchaient les environs et Sirius savait que leurs suppliques et cris resteraient à jamais gravés dans sa mémoire. Son sang ne fit qu’un tour, il abaissa le couvercle, s’apprêtant à se relever pour faire face à cet homme qui le haïssait tant qu’il répandait aveuglément la mort autour de lui.

Abernathy ricana en voyant Black mordre à l’hameçon et, contre tous les ordres de son Maître, arma le bras pour lancer une nouvelle fois l’Impardonnable. D’autres Mangemorts profitèrent de l’occasion et dans un concerto de hurlements, une salve multicolore fusa en direction du Maraudeur. Ron plongea en avant et repoussa Sirius de sa puissante main enchantée, roulant à terre et tentant de se protéger comme il le pouvait d’un sort de bouclier. Mais un trait orangé l’atteint à l’estomac, il cracha du sang. Hermione hurla derrière le judas, ouvrant la porte presque à la volée. Sirius envoya le bras pour tenter de prendre la main du plus jeune quand un coup de pied le repoussa et que la voix autoritaire de Tonks filtra derrière un masque blanc terriblement impassible.

« Dans la maison, vite !

— Ron, il…

— REPLIS IMMEDIAT ! »

De part et d’autre de la ruelle, des flashs blancs aveuglèrent les Mangemorts qui se retrouvèrent bien vite en sous-nombre tandis qu’un à un, les membres de la Brigade d’Intervention Tactique d’Elite arrivaient sur les lieux du combat. Indissociable des autres membres de la Brigade, Tonks se plaça devant Sirius pour faire bouclier et lui permettre de retourner à l’intérieur de la maison. Hermione cria qu’il fallait aider Ron, resté à terre, mais sa supplique ne fut entendue que par les murs délabrés du 12 Square Grimmaurd. Une ombre fonça dans leur direction, et Tonks para l’attaque sans effort, poussant Sirius contre la porte :

« RENTRE PAR MERLIN !

— Mais le petit, il…

— SOUVENEZ-VOUS DES ORDRES DU MAÎTRE ! » Hurla un des masques noirs.

L’ombre redevint consistante le temps de laisser apparaître un bras et un masque de métal représentant une fureur sans nom. Sirius put à peine entrapercevoir du coin de l’œil le mouvement, qu’Hermione ouvrait la porte et que Tonks le poussait d’un coup de pied sec à l’intérieur. Le bras du Mangemort se referma sur celui de Ron Weasley, resté à terre, et les deux transplanèrent. Tonks esquiva d’une roulade une attaque d’Abernathy qui lui lança, goguenard avant de transplaner :

« Le cabot ne pourra rester indéfiniment dans sa niche… »

Hermione pressa les épaules de Sirius :

« Tu n’as rien ? Où est Ron ? On en est Tonks ? »

Sirius ouvrit la bouche et eut le bon réflexe de prendre la jeune femme fermement dans ses bras. Quand il lui répondit, il eut toutes les peines du monde à la retenir de se ruer dehors.

« Il a été emmené. Je suis désolé, il a été emmené. »

***

Dans la salle commune des Serpentards, la tension était palpable. Enfoncé dans l’énorme fauteuil qui faisait face à l’âtre, Draco Malefoy attendait, comme les autres, les premières informations. Silencieux et immobiles, les étudiants des dernières années patientaient dans une sorte de messe improvisée d’avoir la confirmation ou non des derniers évènements. Ceux qui savaient ce qui se tramait présidaient face à d’autres qui ne faisaient que pressentir. Soudain, un élève bougea légèrement de son fauteuil et se leva, tenant fermement un miroir dans la main. Il se replia dans un recoin de la salle, jetant un sortilège pour que personne n’entende la conversation. Sans même relever les yeux dans sa direction, Draco savait qu’il prenait le soin de remuer les lèvres le moins possible malgré le sortilège mis en place. Justin Rollers revint et sa face de comptable avant l’heure s’anima enfin. Draco ne l’aimait pas celui-là. Son père était un de ces nouveaux Mangemorts recrutés par cet intrigant Abernathy. Rollers était moyen en tout, discret, peu loquace et surtout : difficile à cerner. Il découpait avec un soin et une précision chirurgicale ses ingrédients de potion, arborait une raie de cheveux parfaitement au milieu et respectait scrupuleusement les étiquettes. À bien y réfléchir, Rollers lui faisait l’effet d’un Percy Weasley Serpentard. Autrement plus dangereux, donc.

« Une attaque de Mangemorts a eu lieu au 12 Square Grimmaurd, à Londres. Au domicile de Lord Sirius Black, expliqua-t-il comme s’il faisait une annonce devant des actionnaires à une AG. La Brigade d’Intervention Tactique d’Elite s’est rendue sur les lieux pour protéger Lord Black et Ronald Weasley. »

Draco ne put s’empêcher de lever les yeux en direction de Justin pour l’observer un bref instant. Son intérêt ne passa pas totalement inaperçu et il s’imposa de justesse de ne pas baisser les yeux par réflexe. Il assuma au contraire et se redressa dans son fauteuil. Justin continua son rapport avec la concentration et la rectitude que la fonction qu’il s’était créée l’imposait.

« La Brigade a permis à Lord Black de se replier en direction de son domicile, mais Ronald Weasley a été emmené par les forces du Seigneur des Ténèbres. »

Draco se sentit bizarre à cette annonce. Il aurait cru qu’il aurait été satisfait de savoir Weasley entre les mains de ses ennemis et pourtant, à cet instant, il eut l’étrange pensée que le jeune homme devait se sentir bien seul.

« Peut-être qu’il perdra plus qu’à Noël ? se moqua Nott méchamment.

— Rien ne permet de préciser son état, répondit Rollers d’un ton absent.

— Peu importe, ce n’est que Weasley, cracha Parkinson. Ils devaient vouloir atteindre Black et au lieu de ça…

— Au lieu de ça, ils obtiennent le meilleur ami de Potter, coupa une Serpentarde aux cheveux corbeau. Ce n’est pas anodin non plus.

— Peuh ! On ne sait même pas où est Potter, qu’est-ce que ça changerait ?

— Cette attaque va renforcer la position de Black face à Malefoy-père, il risque d’avoir la faveur des médias, après ça.

— Ou alors, il comprendra qu’il n’est pas inattaquable et qu’on…

— Il n’y a pas de « on » !

— La demeure Black était dans un quartier Moldu, il me semble, tu sais s’il y a des blessés ou des morts dans les environs, Rollers ?

— Rien ne me permet d’affirmer ou d’infirmer que…

— Et toi, tu en penses quoi, Draco ? »

Il sursauta presque. Pansy avait demandé ça sans même élever la voix par-dessus le brouhaha qui commençait à monter dans la salle. Le silence retomba immédiatement, en même temps que le poids dans l’estomac du blond. Il inspira légèrement, cherchant ses mots, sous les yeux scrutateurs de Zabini.

« Cette opération est un semi-échec pour les Mangemorts… » Commença-t-il alors que certaines bouches s’ouvraient déjà pour protester. « Reste à savoir ce qu’ils pourront tirer de Weasley pour rentabiliser l’opération. Penser que c’est par rapport à Potter me semble un peu tiré par les cheveux, rien ne dit qu’il apprendra la nouvelle. Déstabiliser les forces autour de Black me semble plus logique.

— Ce n’est pas parce que ton père est obsédé par lui que le Seigneur des Ténèbres place la priorité au même endroit ! contra Nott, agacé.

— Peut-être que tu devrais arrêter de croire que leurs intérêts diffèrent et alors, tu commencerais à mieux comprendre les desseins du Seigneur des Ténèbres.

— Prétends-tu les comprendre ?

— Non, je ne…

— Quelle connaissance tu as de ses projets, au juste ? Tu n’es même pas marqué. »

Draco dévisagea Nott avec froideur, une sourde colère transparaissait dans ses yeux. Les Serpentards n’abordaient jamais frontalement ces questions. Surtout pas celle-ci. Il se leva brutalement, leur faisant face, sachant que c’était un sujet qui brûlait entre eux depuis quelque temps en coulisse.

« Je ne me contente pas d’avoir des informations de second cercle, cracha-t-il en faisant référence au rang du père de Rollers. Et je réfléchis au-delà de mes détestations d’étudiant. Parce que je sais que nous n’allons pas rester à Poudlard éternellement, que dehors, la guerre peut aussi se mener au Ministère, dans un combat où la baguette ne sert à rien. Dans un combat de coulisses, où il faut savoir être subtile et avancer à visage dissimulé, malgré les projecteurs. »

Il tourna des talons sur cette phrase, espérant avoir su taire les discussions à venir à ce sujet, mais entendit nettement Nott évoquer le nom de son père. Draco s’enfuit presque des lieux, espérant mettre de la distance entre cette conversation et lui. Entre les informations qu’il venait d’avoir et lui. Entre ce camp… et lui.

Il ne se rendit pas compte qu’il retournait vers les sabliers de Poudlard, et quand il se trouva au milieu d’eux, dans le Grand Hall, à contempler les grains s’amonceler devant chaque bannière, il fut pris d’une étrange sensation de vide. Pour la première fois de sa vie, Poudlard lui sembla être un lieu étranger, où il errait sans savoir où il pouvait se permettre d’aller. La sensation de tournis s’intensifia, assez pour qu’il prenne appui contre le pilier qui soutenait le sablier de Serpentard.

« Tu essaies de faire tomber d’autres grains pour gagner la coupe, Malefoy ? »

Draco sursauta. Une fois encore, il n’avait pas vu Neville et ne comprit pas d’où il pouvait provenir à cette heure perdue de la nuit. Que faisait le Gryffondor, d’ailleurs ? Y avait-il une tradition chez eux qui les poussait à braver les interdits et à déambuler dans les couloirs ? Il repensa alors au trio d’or, et la tête qu’il fit sembla suffisamment éloquente pour que Londubat fronce les sourcils. Draco ouvrit la bouche, se disant qu’il allait répliquer quelque chose à propos des points volés par les Gryffondors grâce à un certain vieux sénile, mais au lieu de ça, sa bouche asséchée répliqua :

« Weasley est aux mains des Mangemorts. »

Neville écarquilla les yeux de stupeur et fit un pas en avant, Draco un pas en arrière, mais le sablier le bloqua. Il se sentit acculé et hésita à fuir. Mais pour aller où ? La salle commune n’était pas envisageable.

« Qu’est-ce que tu dis ?!

— Ron Weasley a été pris par les Mangemorts lors d’une attaque au domicile de Black. Black va bien, de ce que j’en sais.

— Et comment tu…

— Je le sais. C’est tout.

— Et pourquoi tu me le dis ?

— Parce que… Parce que… »

Draco chercha du regard la réponse, il le posa sur chacun des sabliers avant de comprendre pourquoi il se sentait si vide à cet instant.

« Parce que c’était ton ami. »