5 septembre, Hall du Ministère de la Magie, 15h41,

Excitée par l’attente, la foule qui s’était rassemblée devant le pupitre, frémissait d’anticipation. Les uns agacés par le retard que prenait la conférence, les autres toujours piqués de curiosité quant à l’annonce. Agents de l’Administration, journalistes, petits chroniqueurs, grands reporters, nantis, le gratin avait été convié pour une annonce exceptionnelle, l’avait-on promis.

Certains péroraient sur la possible démission du Premier Ministre, incapable de supporter la montée de la brutalité des Mangemorts, d’autres imaginaient des excuses publiques faites à l’encontre d’Harry Potter, et de pourquoi pas, Dumbledore. À moins que Dumbledore ne prenne carrément des fonctions au sein du Ministère ? À moins que Potter n’entre directement au bureau des Aurors ? Non, non, attendez, et si c’était le nouveau Lord Black qui se voyait promu ? Ou bien ils ont arrêté le meurtrier d’Amélia Bones… ? C’est peut-être ce traite, là, ce Pettigrow… Ah non, lui avait été exécuté à l’été, eh bien alors, ça serait…

Les hypothèses les plus plausibles se disputaient au plus stupides, et au milieu de tout ce chaos, les scribouillards grattaient sans relâche leur parchemin, couchant à peu près tout ce qu’ils entendaient, de peur de rater une information croustillante. Comme la couleur du costume que porterait Scrimgeour au moment de son allocution… Ou encore ce qu’il avait mangé ce matin. Adossée à une des colonnes qui soutenaient les arcades du hall, Nathalie Delorme gardait son carnet et sa plume en main, sans pour autant esquisser le moindre geste. Elle, comme certains d’entre-eux, pressentait la nature de la conférence, mais elle préférait observer et s’imprégner de l’ambiance pour mieux la retranscrire dans son papier. Le bruit était insupportable, cela discutait Politique, Quidditch, People, et Guerre. On entendait çà et là des gens hausser le ton pour tenter de convaincre leur voisin, et cette cacophonie atteint son paroxysme quand une tête rousse s’approcha d’un pas raide du pupitre pour y déposer quelques feuilles. Percy Weasley, Sous-Secrétaire du Premier Ministre, se racla la gorge, et chercha à capter l’attention des journalistes. En vain. Le voir se donner une contenance amusa profondément la Serpentarde qui ne put s’empêcher de laisser naître un rictus goguenard sur son visage. Bien que Sang-Mêlé, Nathalie avait appris dans sa maison à mépriser férocement tout ce qui était Weasley. Une manie qui datait de l’époque de Lucius et Arthur, et qui perdurait encore aujourd’hui.

« Mesdames et Messieurs… Heu… Votre attention, s’il vous plaît… Heu… De la tenue, nous ne sommes pas dans un…

— Quoi ? Hey, parle plus fort petit on entend rien !

— J’AI DIT…

MONSIEUR LE MINISTRE !! »

Pauvre Percy, la foule lui coupa la chique en se tournant comme un seul homme en direction de Rufus Scrimgeour qui hochait la main en signe d’apaisement. Nathalie remarqua, non sans froncer les narines, que Skeeter s’était empressée de commenter sa tenue, la plume à papote griffonnant frénétiquement le vélin.

« Du journalisme d’investigation pur jus…, marmonna-t-elle.

— Mesdames et Messieurs, merci de votre venue. Je vous ai rassemblé pour vous faire part d’une annonce importante pour notre communauté. Comme vous avez pu le lire dans la Presse, un drame récent est venu endeuiller cette rentrée, et a lourdement pesé sur l’ensemble des collaborateurs du Ministère de la Magie. Je veux parler, bien sûr, du meurtre d’Amélia Bones, ancienne Ministre du Département de la Justice… »

La foule s’ébroua légèrement, mais Scrimgeour hocha négativement la tête pour refuser toute interruption. Quelques jours auparavant était sorti un papier dans le Veritascriptum, avec les déclarations de Lucius Malefoy. On y lisait toute la détermination du Ministre à lutter contre les Mangemorts. Malefoy semblait être catégorique quant à l’implication de ces derniers dans cet acte, et avait longuement détaillé les preuves laissant à penser cela, ainsi que les mesures prises par le Ministère pour la guerre. Le papier s’était vendu comme jamais, et Oaken avait même offert une bouteille à la journaliste pour fêter leurs chiffres qui étaient passés devant ceux de la Gazette et du Chicaneur.

« … les Sorciers de Grande-Bretagne sont en guerre. Cet acte commis est un acte de guerre. Il constitue une agression contre notre société, contre ses valeurs, contre sa Justice. Ils sont le fait d’une armée de fanatiques, de sorciers adeptes des Ténèbres qui nous combattent parce que nous représentons ce qu’ils haïssent : des sorcières et des sorciers libres. Ma volonté est de mettre toute la puissance du Ministère de la Magie au service de la protection de nos frères et sœurs. Je sais pouvoir compter sur le dévouement des Aurors, des Ministres, des Langues de Plomb, de vous-mêmes, porte-paroles de notre communauté. Vous connaissez le sens du devoir, et lorsque les circonstances l’exigent : l’esprit de sacrifice. Les Mangemorts croient que notre peuple se laisserait impressionner par l’horreur, il n’en est rien. Et la Communauté Magique a surmonté bien d’autres épreuves, et elle est toujours là. Et ceux qui ont entendu la défier ont toujours été annihilés, et il en sera de même une fois encore. Au moment où tout laisse à penser que la menace va grandir, nous voyons qu’au cours de ces derniers mois, au milieu des difficultés de toutes sortes, une nouvelle ère a commencé à se construire… »

Balayant l’auditoire des yeux, Nathalie chercha à repérer le ou la journaliste envoyé par le Chicaneur. Ce torchon ne pouvait manquer un tel discours, et après avoir arrosé son lectorat de décryptage de prises de paroles officielles et ou même de décisions de Justice pendant l’été, Delorme s’attendait à trouver au moins une paire d’oreilles venue recueillir cette envolée lyrique. La reporter tendit le cou, sans trop savoir quel genre de physique elle cherchait, mais rien de très loufoque ne ressortait dans la masse. Elle secoua la tête. Bien que concurrente, elle devait admettre qu’elle appréciait lire des analyses politiques et rhétoriques, c’était bien trop exceptionnel et audacieux pour la société sorcière pour qu’elle ne ressente pas un semblant d’admiration pour cette Lane.

« … Nous ne cèderons rien aux vents qui soufflent la peur dans nos cœurs. Les Mangemorts se fracasseront sur le Ministère comme les vagues s’écrasent sur Azkaban. Nous ne cèderons pas un pouce de terrain, ni médiatique, ni politique, ni juridique ! Nous ne changerons pas nos habitudes et nos coutumes par peur des représailles ! Mais tant que la menace est là, nous nous devons d’utiliser tous les moyens, et le Département de la Justice, plus que jamais, doit être soutenu par une personnalité aussi noble et forte que celle d’Amelia Bones. Plus que jamais, nos lois doivent être appliquées pour protéger les sorcières et les sorciers de ce pays. Plus que jamais nous nous devons de lutter contre ces Ténèbres, sans tomber dans les travers ayant conduit aux erreurs juridiques que nous connaissons tous… »

Nathalie toussa pour dissimuler son ricanement. Quel bel élément de langage pour dire qu’ils avaient, entre autres, enfermé Black injustement pendant 12 ans.

« … C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous annonce la nomination de Lucius Malefoy au poste de Ministre du Département de la Magie… »

Des exclamations fusèrent, tandis que le blond apparaissait théâtralement d’une alcôve plus magnifique que jamais. Drapé dans un complet anthracite, brodé d’argent, les cheveux détachés, et peigné parfaitement, Lucius ressemblait davantage à une créature surnaturelle, presque divine, qu’à un simple Sorcier. L’effet était saisissant, l’expression « homme providentiel » n’avait jamais autant pris corps. L’aristocrate s’avança en souriant à la foule, et rejoint l’estrade d’un pas conquérant.

« Merci, Monsieur le Premier Ministre. Mesdames et Messieurs, avant de répondre à vos questions, je souhaiterais évoquer avec vous mon émotion. Je suis, en effet, le premier surpris, car il y a quelques semaines encore je travaillais sous l’égide de Mrs. Bones, en tant que Secrétaire chargé de l’Éducation, et quelques années encore, je craignais de ne pas être à la hauteur d’un engagement au service de nos frères et sœurs. Et, en même temps… Fier et obligé par la confiance qui m’est faite par le Premier Ministre, de prendre la suite, et d’occuper ces responsabilités au Ministère de la Justice. Alors, depuis des années, beaucoup a été fait, et je veux, ici, rendre un sincère hommage à ma prédécesseure. Et je tiens à vous dire qu’il n’y a pas la moindre hésitation, pas le moindre doute quant à ma détermination à poursuivre l’œuvre qui a été entamée, et nous la continuerons ensemble, et étendrons son champ d’action à de nombreux domaines. Le Département de la Justice, comme vous le savez, est un des Départements primordiaux de notre système de valeurs, de notre société. Alors, au-delà de l’hommage qui est rendu, je vais maintenant rentrer dans les dossiers, et si notre action doit être une action axée sur le combat, ma conviction profonde est que la Justice doit être au front. Je ne vais pas ici être très long, parce que je veux avant tout me mettre à travailler. Simplement quelques messages pour vous avant de finir. Je connais le Département, je connais les hommes et les femmes, je connais leurs qualités, et j’ai besoin de leur aide. Ensuite, ma conviction c’est qu’on ne peut réussir sans travailler en équipe. J’arrive tout auréolé d’une réputation qui m’est faite, par mon nom, je dois le dire, mais… Jugez-moi sur les actes. Il n’y a que ça qui compte. Et donc, je travaillerai pour ma part dans le respect de nos valeurs, et dans le contrôle de celles-ci. Je lutterai avec conviction contre celles et ceux qui menacent notre monde, tout en garantissant que les changements auxquels nous faisons face, nous soient bénéfiques, sans altérer pour autant notre culture. Pour cela j’ai besoin de vous. Je ne crois pas au grand sauveur. Je n’aurai qu’une boussole, quels que soient les débats du quotidien : c’est l’intérêt de notre pays, et je compte sur vous pour le sauvegarder. Je vous remercie. »

Les journalistes se précipitèrent en avant, chacun hurlant plus fort que son voisin pour tenter d’avoir la primauté des questions. Scrimgeour fronça les sourcils, agacé par ce manque de discipline, mais Malefoy, lui, continuait de sourire. Il observa ses différentes options, avant de donner la parole à Rita Skeeter qui pépiait de plaisir :

« Monsieur Malefoy, minauda-t-elle en gonflant la poitrine, est-ce que c’était déjà acté au moment où vous avez su pour la mort – paix à son âme – de cette pauvre Amélia ? Ou avez-vous observé quelques heures de deuil ? »

L’accusation, à peine voilée, choqua l’assistance et Rufus Scrimgeour s’avança pour répliquer, mais Lucius sourit doucement, comme pour signifier qu’il pouvait gérer ça :

« Merci pour cette question, Miss Skeeter, elle me permet de préciser quelque peu les circonstances de ma nomination. Le Premier Ministre a souhaité me rencontrer hier, et nous avons pris la décision de convoquer la Presse dans un même temps. Lorsque nous avons su pour Miss Bones, je travaillais à de possibles pistes pédagogiques à soumettre au Directeur de Poudlard, à la demande de notre ancienne Ministre de la Justice. Vous savez tout, quelqu’un a une autre question… ?

— Oui, moi. Nathalie Delorme, du Veritascriptum. Vous avez parlé tout à l’heure de préserver notre culture, êtes-vous en train de dire que les suprématistes, que sont les Mangemorts, sont une menace pour celle-ci ? Ou parlez-vous d’autre chose… ?

— Les deux, Miss Delorme. Merci pour cette question d’ailleurs, car je suis ravi d’entrer directement dans le vif du sujet. Les Mangemorts veulent nous diviser brutalement sur la question du sang, et des privilèges à accorder à ceux-ci. Apeurés par les enjeux et les transformations structurels de notre époque, ils se recroquevillent sur des positions et des méthodes qui ne peuvent être tolérés. Cependant, je crois qu’il doit être possible de parler de la question de l’intégration des nés-Moldus dans notre société, sans être associé à cette dérive, et c’est sur cet axe que je souhaite que mon Département se penche, parallèlement à la lutte contre la corruption de nos administrés, bien entendu.

— Une intégration qui se ferait au sein de Poudlard, c’est cela ?

— Le Directeur Albus Dumbledore fait un travail remarquable au sein de cette école, mais nous avons pu constater par le passé qu’il y a une certaine forme d’idéologie qui est pratiquée. Je crois sincèrement, pour ma part, que l’école de nos sorciers de Grande-Bretagne doit être un vecteur de nos valeurs, de nos coutumes, afin qu’elles perdurent.

Qu’entendez-vous par là ?

Oui, que comptez-vous faire ?

Mais vous disiez encore il y a peu qu’Albus Dumbledore était…

— MESSIEURS-DAMES ! tonna Lucius sans se départir de son sourire, les yeux pourtant incroyablement fixes. Le Département va entrer en discussion avec Poudlard afin de mettre en place un programme clair et structuré pour la classe d’Étude des Moldus, et à terme, proposer également aux Nés-Moldus de suivre une classe d’Étude de la Culture Sorcière.

— Selon-vous, l’Étude des Moldus serait source d’idéologie ? Relança Nathalie.

— J’ai pleine confiance dans le Directeur, mais nous savons qu’il lui arrive de méjuger un Professeur, comme l’expérience malheureuse avec Lockhart nous l’a appris… Je ne souhaite pas jeter l’opprobre sur Jane Smith, mais je désire soulever la question de son engagement auprès de la communauté Sorcière Bretonne… Et plus particulièrement de sa pédagogie envers nos enfants. »

 

***

 

« BON, ÇA SUFFIT ! Donnez-moi ça ! »

Jane haussait rarement le ton avec les deuxièmes années, mais elle ne supportait plus d’entendre ce bruit vrombissant. Le garçon rougit furieusement et lui tendit une sorte de grosse toupie bariolée qui tournait sur elle-même.

« Johnson, vous aussi ! J’en ai marre de voir ces trucs dans ma classe, vous ferez des combats en dehors de mes cours. C’est confisqué jusqu’à la fin de l’année !

— Mais… Professeur…

— Ne me poussez pas à ne vous les rendre qu’à la fin de la septième ! répliqua l’enseignante en se faisant l’effet de ressembler à ses vieux profs. Maintenant, si vous pouviez vous concentrer, j’apprécierais que l’on avance sur le mythe d’Arthur et… »

Mais le tintement caractéristique de son horloge l’interrompit, et les élèves se levèrent et s’en allèrent, les deux élèves punis ne la saluant même pas. Jane soupira de fatigue, et s’adossa à son bureau, déposant machinalement les deux toupies qui se mirent à se défier et à se foncer dessus en provoquant de multiples explosions, dont une qui mis le feu à ses notes.

« PU…TAIN…DE MERDE ! » Hacha-t-elle en tentant de sauver ses écrits.

Devant elle, une gravure représentant Merlin – qu’elle avait spécialement sélectionnée pour sa ressemblance avec Dumbledore – se recoquillait sous l’effet des flammes qui dévoraient à présent son bureau. Jane ferma les yeux avec lassitude, et se lança dans une litanie de jurons marmonnés dans le seul but d’exprimer une incroyable frustration.

« Par la barbe de Merlin ! Jane, qu’est-ce qui s’est passé ?! »

Minerva se précipita dans la salle, baguette au clair, et d’un geste vif, souffla les flammes. Le bureau était noirci, l’encrier avait explosé, son contenu s’était déversé en grosses bulles visqueuses incrustées dans le bois, les rares papiers sauvés de la catastrophe ne racontaient plus rien de cohérent… Tout était bon à jeter. À l’exception de ces fichues toupies qui continuaient de se battre, se fonçant dessus à grande vitesse, dans un ballet furieux qui projetait toujours des gerbes d’étincelles.

« Ah. Je vois… »

L’enseignante agita encore son bout de bois et les engins stoppèrent net, retombant sur leur tranche. Jane avait été dépassée par des jouets, et cette idée acheva son humeur.

« J’en ai marre de leurs conneries aux Weasley, mais marre !

— Jane, allons… ! Surveillez votre langage. Et puis ce n’est rien comparé à ce qui va nous arriver : j’ai cru comprendre qu’ils ouvraient une boutique à Pré-au-lard à l’occasion d’Halloween… Les élèves vont pouvoir se fournir directement à chaque sortie.

— Oh, pu…naise. Est-ce qu’on ne peut, tout simplement, pas interdire leurs produits ?

— Ca ne vous ressemble pas d’être aussi extrémiste, Jane, sourit McGonagall en l’enjoignant à la suivre. Vous dites ça parce que vous êtes fatiguée.

— Ah ! Non, je crois que je suis quand même un peu sérieuse. D’accord, l’année est dure à démarrer, mais sans magie, ces trucs me rendent vraiment folle.

— Vous savez, même avec des pouvoirs nous ne sommes pas davantage sereins. C’est de la belle magie qu’ils font ces petits, c’est même très impressionnant, mais en tant que Professeur, je reconnais que moi aussi ça m’impacte, et ça m’est pénible. Mais essayez de voir les choses du bon côté : quand ça ne perturbe pas nos cours, c’est assez amusant !

— Ouais, ouais… J’irais peut-être à leur boutique, on verra si je vais trouver ça plus drôle dans un autre contexte, mais en attendant… »

Elles descendaient les marches de leur étage, s’apprêtant à rejoindre la salle commune des professeurs. Le vendredi, ils se retrouvaient brièvement entre collègues pour s’échanger les dernières informations concernant les punitions, et décider de pédagogies communes. Et puis pour boire une petite bière-au-beurre parfois… Quand Minerva ouvrit la porte de leur salle, Jane passa rapidement la tête avant de cligner des yeux, et de soupirer.

« Il gère les retenues de Potter.

— Hein… ? Qui ? »

La Directrice de Gryffondor sourit brièvement, puis jeta un regard entendu à la Moldue en lui répondant :

« Eh bien Severus…

— Quoi Severus ? Pourquoi vous me parlez de lui, Minerva ?

— Parce qu’il est en retenu avec Harry Potter…

— Oh ! Mais ça c’est son problème ! Je m’en fous royalement ! »

La jeune femme entra dans la salle en haussant les épaules, et se jeta presque avec férocité sur la cafetière fumante posée sur le guéridon. Quand Minerva la vit gober presque sans le mâcher un petit beurre, elle dû réprimer un rire devant la mauvaise foi – et humeur – de sa protégée. Elle allait ajouter une remarque quand Slughorn la coupa d’un air préoccupé :

« Pauvre Harry, je tenais absolument à ce qu’il soit présent à ma soirée de rentrée. Vous pensez que je peux peut-être convaincre Severus de décaler sa retenue… ? Disons… À demain ?

— Horace, réprimanda Minerva, Severus est plutôt du genre inflexible concernant la discipline, de plus, Monsieur Potter doit faire son premier entraînement en tant que Capitaine de l’équipe, donc…

— Ah ! C’est pour ça qu’il ne tenait pas en place ce matin à mon cours, s’amusa Flitwick. Il l’a su au courrier du jour ?

— Oui, la nouvelle lui a été envoyée ce matin même. Il faut qu’il se prépare et qu’il prépare son équipe. Je n’ai pas l’intention de voir la coupe de Quidditch ailleurs que dans mon bureau. C’est important !

— Mais mes soirées également, Minerva ! se défendit le nouveau professeur de potions. Elles sont importantes pour leur avenir, pour leur réseau. Tu sais combien se faire des alliés est…

— Tout autant que le sport et la discipline, Horace. Et Monsieur Potter doit… »

Jane secoua la tête. La salle était encore vide, mais les trois enseignants faisaient un bruit infernal autour de cette histoire de Quidditch, et la Moldue voyait bien que Minerva n’était pas prête de lâcher le morceau. « Pauvre Monsieur Potter », pensa-t-elle. Il ne devait pas se contenter de leur faire gagner la guerre, voilà qu’il devait assister à des soirées, et remporter un tournoi sportif…

 

***

« Je ne vous demande pourtant pas grand-chose ! »

Severus était exténué, il était bientôt 19h30, et cela faisait deux heures qu’il fouillait l’esprit d’Harry Potter. Le garçon semblait avoir beaucoup travaillé durant l’été, car il était difficile d’accéder à ses souvenirs. En cela, Snape était très satisfait. Sans être une forteresse, l’esprit du jeune-homme étaient beaucoup moins accessible que l’année précédente. Mais ils ne travaillaient pas sur ça, mais sur sa capacité à gérer les images mentales, et à empêcher son cerveau d’aller chercher des moments antérieurs correspondants. En clair : à rester psychologiquement impassible, quitte à suggérer de faux souvenirs. Mais ça… Harry en était incapable.

À chaque fois que Severus lui imposait une image, le garçon pensait immédiatement à un équivalent réel, et son nouveau Professeur de Défense Contre les Forces du Mal avait à présent une certaine idée de l’été que le Survivant avait passé. Harry lui jeta un regard agacé, avant de s’asseoir et de conjurer un verre d’eau.

« J’y arrive pas.

— Je constate.

— Je sais pas comment faire, dès que vous me montrez quelque chose, j’y pense immédiatement… Je sais pas comment bloquer ça.

— De la même manière que vous bloquez mes intrusions en temps normal. Par Merlin, Potter, je n’aurais pas cru dire ça un jour, mais vous pensez trop. »

Severus agita sa baguette et s’offrit également un broc d’eau qu’il but d’une traite. Sa dernière phrase déclencha un petit rire rauque à son cadet, qui se transforma en toussotement hilare. Severus pinça des lèvres en arquant un sourcil interrogateur.

« Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

— Ce que vous avez dit. Vous faites souvent de l’humour, comme ça.

— Je n’ai aucun sens de l’humour, Potter.

— Si, au contraire, même. En fait, je ne sais pas pourquoi je n’avais jamais remarqué cela avant…

— Peut-être que vous étiez trop occupé à me haïr sans savoir pourquoi, et à vous intéresser uniquement à vous-même ? »

L’homme en noir avait dit ça d’un ton égal, mais Harry sentit qu’il n’était pas aussi détaché qu’il le prétendait. Bien que fatigué par sa semaine, est les intenses réunions de l’Ordre et des Mangemorts qui avaient ponctué ses soirées, Severus était alerte, assis contre son bureau, les bras derrière lui et les épaules rentrées, le corps totalement tendu. Il semblait prêt à bondir sur le garçon à la moindre saillie verbale. Et son jeune âge le poussa à prendre ce risque :

« Vous vous souvenez du premier regard que vous m’avez jeté ? lui demanda le lion. Et de la première heure de cours… ? »

Snape soupira et observa le jeune homme sans vraiment le voir.

« Et vous, Monsieur Potter, vous en souvenez-vous ?

— Attendez, évidemment ! Pourquoi vous retournez la conversation, comme ça ? Je veux seulement qu’on mette les choses au clair.

— Je ne vous dois aucune explication, Potter. Et je viens de vous répondre. »

L’homme en noir commença à se relever, mais la rapidité de l’Attrapeur le surprit quand la main d’Harry tenait fermement son poignet :

« Non, on n’a pas terminé. Vous me haïssez, et je veux savoir pourquoi.

— Lâchez-moi. Je ne vous hais pas, je vous l’ai déjà dit.

— C’est parce que je ressemble à mon père, c’est ça ?

— On a terminé avec la leçon de ce soir. Potter, nous sommes vendredi, j’ai bien l’intention de me reposer, et de…

— Sortir en bonne compagnie ? le coupa le brun avec insolence.

— Qu’est-ce que… ? »

L’espion plissa des yeux devant la réplique, et avant même que son vis-à-vis puisse réagir, s’infiltra dans son esprit. Harry hoqueta sous le choc, et Severus put voir immédiatement à quoi il faisait référence. Agacé, l’homme en noir allait cesser ses pérégrinations mentales quand il entendit une phrase qui l’intrigua : « Mais arrête un peu les bons sentiments, Harry ! Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu es capable d’imaginer Snape en train d’aimer quelqu’un. » Choqué, Severus se propulsa en avant, défonçant la maigre barricade mentale que dressait en hâte le Gryffondor, et il déboula dans le souvenir. Harry était installé confortablement dans un fauteuil, faisant face à Sirius Black qui semblait mal à l’aise. De toute évidence, la conversation n’avait rien d’agréable pour le Maraudeur. Il regardait son filleul avec un air de défi, et quand ce dernier lui répondit, il grimaça d’horreur. Sensiblement la même grimace que fit Severus en ressortant de l’esprit du jeune homme, entendant son « Oui. En fait, oui. ».

Relevant la tête dans une expression glaciale, Snape s’apprêta à chasser Harry de son bureau sans ménagement, mais il fut coupé dans son élan :

« Je suis désolé. On a parlé de vous, je voulais savoir pourquoi, en fait…

— Pourquoi, quoi, Potter ?

— Pourquoi mon père et vous ne pouviez vous encadrer. Je dis pas que ça lui a coûté la vie… Je sais que ça a manqué de vous coûter la vôtre en fait…

— Ca, c’est plutôt la haine que son cabot me voue…

— Sirius.

Pardon ?

— Il s’appelle Sirius. Ou Black. Mais c’est pas un cabot. De la même manière que je lui ai demandé d’arrêter de vous appeler Snivellus, et de…

C’est très touchant de votre part, Potter, mais je ne suis pas votre parrain. Vous n’avez pas à me fixer des limites. Je m’exprime comme je l’entends. Par ailleurs, votre père et Black me haïssent parce qu’ils aimaient bien détester tous ceux qui leur semblaient différents, moins riches, ou… moins de sang-pur.

— Je sais ce qu’ils étaient plus que cons, qu’ils se sont comportés comme de vrais enfoirés, et vous n’avez pas idée d’à quel point j’ai honte, et d’à quel point je peux comprendre ce que vous avez enduré.

— Ah vraiment ?

— Professeur… Vous avez déjà vu ce que mon cousin m’a fait subir, je sais ce que c’est.

— Alors pourquoi chercher des détails croustillants auprès de Black, eh ? Qu’est-ce qui vous prend de parler de mes sentiments, en quoi ça vous regarde, au juste ?

— Nous parlions de votre véritable allégeance. De la preuve que dit avoir Dumbledore de vous croire. » Répondit Harry avec une sincérité qui le surprit lui-même.

Un tic agita la joue du Mangemort, et Harry hocha la tête. Ils se regardèrent tous deux durant un temps interminable, jouant un dialogue muet qu’étrangement tous les deux comprirent. C’était surréaliste, Harry se sentait plus que jamais lucide sur cette question. Était-ce le fait de passer autant de temps avec Snape ? De laisser leurs esprits se frotter aussi longtemps l’un à l’autre ? Est-ce que ce n’était tout simplement pas Severus qui faiblissait et laissait transparaître bien plus de…

« Asphodèle… » souffla soudain Harry, comme frappé violemment.

« Quoi ?

— L’Asphodèle… ! Vous m’avez demandé ce que…  À notre première rencontre, vous… Oh mais quel con !

— … Je pensais avoir statué à ce sujet, Potter.

— Non, je parle de vous : comment avez-vous pu croire qu’un gosse de 11 ans aurait compris telle énigme ?!

— Quelle énigme, Potter ?

— Mais vous, à notre première rencontre ! Vous vouliez… Mais comment j’étais supposé comprendre ça ?

— Il n’y a rien à comprendre, Potter. Allez-vous en, j’ai déjà répondu a suffisamment de questions comme ça.

— Mais je…

— Et ne m’insultez plus jamais.

— Mais Professeur… »

Snape frappa d’un grand coup de poing sur son bureau, et soupira sèchement. Quand il releva la tête, c’était pour jeter un regard froid au jeune homme. Harry comprit qu’il ne pourrait jamais lui en donner davantage. Le garçon sentit une piqûre lui agacer les entrailles et le faire frissonner. Il aurait tant aimé être certain que… Il hocha la tête, et jeta un dernier regard dans l’entrebâillement de la porte.

« Merci.

— C’est ça. »

***

« Ça ?! T’appelle ça, « Ça » ?! Putain Ron, c’est juste tellement énorme !! Ça vaut bien plus que ça ! »

Harry souriait jusqu’aux oreilles. La perspective de la première sortie à Pré-au-lard l’avait mis dans d’excellentes dispositions depuis quelques semaines, mais là… La petite surprise faite par son meilleur ami était juste incroyable. Il se tenait là, devant l’immense boutique des frères Weasleys, devant leur seconde succursale, et elle était tout aussi magnifique que celle qui se dressait sur le Chemin de Traverse.

L’ambiance, toutefois, était très différente. Là où la grande rue Londonienne était quasi-déserte, à cause de la peur croissante des gens face au retour de Voldemort, ici, ça grouillait d’étudiants soulagés de pouvoir échapper à la morosité de leur époque. Poudlard avait cela de magique : leur offrir cette ultime protection. Ici, pour quelques temps encore, ils pouvaient n’êtres que des gosses qui se demandaient comment ils allaient dépenser leurs Gallions… Ron rendit son sourire à son meilleur ami, et après un clin d’œil lui répondit :

« Tu vois qu’t’es pas l’seul à faire des cachoteries avec eux… Aller viens, j’dois passer commander ton cadeau d’Noël en plus. Espérons qu’il reste encore un peu de filtre d’amour parce que sinon, je sais pas comment tu vas pouvoir…

— Oh non, Ron ! Harry n’est pas obligé d’avoir une fille dans son lit ! Le rabroua Hermione en secouant la tête. Et c’est malsain ces trucs, c’est…

— Tu pourras leur demander la composition, si tu veux, coupa Ron qui connaissait très bien la demoiselle.

— Ah ? Ah ! Eh bien par intérêt pour les potions je…

— Tu vas te dévouer, ‘Mione, et entrer. »

La petite troupe d’amis s’engouffra, non sans mal, dans la boutique bondée, dans une cacophonie de rires et d’exclamations stupéfaites devant les premières découvertes.

À deux pas d’eux, emmitouflées dans de grands manteaux d’automne, l’un vert bouteille à carreaux bleutés écossais, et l’autre brun noisette, Minerva McGonagall et Jane Smith se tenaient le bras d’un air peu assuré. Elles devaient rejoindre Pomona et Renée aux Trois-Balais, mais toutes deux étaient étrangement arrivées en avance. Et s’étaient rejointes bizarrement au même endroit. À présent, elles se tenaient l’une contre l’autre, un sourire amusé impossible à déloger de leur visage.

« Vous êtes trop curieuse, Jane.

— Plaît-il ? J’vous vois faire depuis tout à l’heure et on dirait un chat devant une nouveauté.

— Soit, soit… Vous vouliez faire des achats ?

— J’hésitais à entrer, il y a beaucoup d’élèves, je sais pas si ça fait très sérieux en fait… Et puis, s’il se passait un truc et…

— Alors je viens avec vous, pour vous protéger, bien entendu.

— Bien entendu ! »

Aucune n’était dupe, elles entrèrent en riant comme les gosses avant eux l’avait fait, et le rire de la Moldue se coinça dans sa gorge lorsqu’elle passa la porte. Elle resta interdite, ses yeux grands ouverts, bouche formant un « o » muet. C’était magique. Juste magique ! Doucement, un sourire naquit sur son visage, puis un petit rire enfantin, et elle tapa dans ses mains d’un air ravi.

« C’est… C’est… C’est Wow ! »

Dans le brouhaha de la boutique, personne n’entendit le Professeur d’Étude des Moldus dire quelque chose d’aussi peu spirituel. Tout le monde était à sa petite découverte et à sa petite affaire. Jane elle-même ne s’entendit pas, tant elle était captivée par les couleurs, les odeurs, les sons et autres bizarreries qui virevoltaient autour d’elle et s’élevaient jusqu’à trois mètres de hauteur de plafond. La boutique était certes plus petite que celle de Londres, mais ses étagères regorgeaient de produits, et Jane, qui n’avait jamais vu le siège, était folle de joie.

À droite, un bol de licornes en gelée frémissait, Jane sursauta quand elle vit l’une d’elles, multicolore, sauter du rebord et lui lancer un regard courroucé avant de tenter d’échapper à la main gourmande d’un étudiant. Juste au-dessus, une grande pancarte peinte en rouge vif hurlait « ATTENTION AU TROU PEINT » avec une grande flèche bariolée qui pointait le sol. Et, en effet, un étrange rond semblait peint sur la pierre. L’enfant qui tentait d’acheter les LiPOPcornes s’écria quand l’une d’elle perça son sachet transparent de sa corne, avant de s’extraire et de sauter. Le rond l’avala, et Jane cligna des yeux devant le phénomène. Est-ce que les jumeaux avaient inventé le trou d’Acme… ? La Moldue recula légèrement, et percuta quelque chose qui tinta. C’était une grande fontaine rose sculptée dans un verre avec de grandes pampilles facettées qui sonnaient au moindre frémissement. De grosses bulles enivrantes s’élevaient du bassin, et une foule de jeunes filles gloussait autour.

« Ah, attention à ça, Jane.

— C’est…

— Oui. Mais autant en parler ailleurs, je crois qu’elle est prise d’assaut et connaissant votre opinion sur ce genre de choses, vous n’allez pas aimer savoir que c’est en vente libre ici.

— Pu…naise. C’est peu de le dire !

— Aucune importance, vous avez vu les plumes ? Les frères Weasley proposent des gammes adaptées des stylos Moldus, ça pourrait vous intéresser ! »

Jane se désintéressa de la fontaine dite « d’Aphrodite », et se dirigea vers une sorte d’écritoire géant garni de tiroirs et d’étagères où étaient exposées plumes et encres. Observant une « Plic », sorte de mix entre le Bic et la plume classique, Jane sursauta quand la voix enjouée de Fred, ou George, peu importe, l’interpella :

« Alors, Professeur ? On décide de symboliser la belle rencontre entre nos deux mondes ? L’équilibre parfait entre la technologie et la magie, l’ingéniosité et le génie ?

— Ça fait combien de fois que vous dites ça aujourd’hui ? répondit-elle un sourire en coin.

— Quatre, mais j’ai des dérivés sur l’équilibre et le sport pour notre gamme Quidditch, par exemple. Blague à part, ça vous plaît Professeur ?

— C’est… Franchement, ce que vous avez fait est incroyable, c’est génial ! C’est vraiment super que vous ayez pu monter votre petite affaire comme ça.

— Bah ! On a eu de la chance, et puis… Certaines personnes ont eu les bons mots pour rassurer maman quant à la question de l’entrepreneuriat chez les jeunes. D’ailleurs, cette plume vous est offerte, et l’encre rouge-maîtresse avec, si vous voulez ! »

La Moldue devint écarlate et balaya le remerciement et le cadeau d’un geste de la main.

« Je ne peux pas accepter, c’est juste… Trop. Je…

— Vous allez repartir avec ça, et puis comme ça, vous nous ferez de la pub au château ! Vous êtes les premiers enseignants à venir nous voir, répondit le roux en inclinant la tête poliment en direction de son ancienne Directrice de maison. D’ailleurs, Professeur McGonagall, vous ne voudriez pas une plume spéciale « punitions ? ».

— Oh, depuis que vous êtes partis, je pense qu’elle ne servirait plus à grand-chose, pouffa l’aînée. Il me faudrait peut-être une pour ne pas soupirer devant la copie de votre frère ceci dit…

— On a de tout ! Dites-moi ce que vous voulez, et je vous l’offre ! »

Ils avaient effectivement du choix, et les encres n’étaient pas en reste, c’était assez impressionnant. Quand elle était petite, Jane était déjà entrée dans une boutique spécialisée en calligraphie, sa mère en faisait beaucoup – et était très douée à cela. Jane avait pu voir une quantité de plumes et de couleurs, de textures et parfois même d’odeur. Mais là…

« Comment ça se fait que vous puissiez avoir autant de choix… ? finit-elle par demander à voix haute.

— C’est le résultat de réflexions, d’idées, et parfois de suggestions. Les collections changent aussi. Vous verrez à Noël, on va sortir une encre glacée qui ne fond pas. J’parie que l’enchantement va plaire à ce vieux Flitwick !

— Et vous prenez des commandes spéciales, parfois ?

— Ça dépend si l’idée est intéressante, ou pas… » Lui répondit, mutin, le jeune Weasley.

Harry manqua de lâcher le globe en cristal qu’il avait dans les mains quand Neville lui tapota l’épaule en regardant en direction du rayon des plumes. On pouvait y voir Smith et McGonagal discuter avec Fred.

« Tu crois qu’elle va leur demander de fabriquer un truc pour son cours ?

— C’est pas impossible, Neville, mais j’pense qu’elle est là par curiosité. Ça a l’air d’être quelqu’un de curieux.

— Comme toutes les personnes saines d’esprit, sourit Luna. Qu’est-ce que tu caches derrière ton dos, Harry ? lui demanda-t-elle après l’avoir vu planquer la boule de cristal.

— Heu… Rien, rien. Qu’est-ce que tu voulais ?

— Vous dire qu’on a trouvé une table aux Trois-Balais et que la commande est passée, on vous y attend. Et quoi que ce soit, merci, Harry ! »

Elle lui offrit un sourire rayonnant et le Survivant balbutia en la voyant se faufiler entre les uns et les autres pour ressortir de la boutique. Quand il se retourna en direction du comptoir avec la caisse, Harry croisa le regard inquisiteur et amusé de Neville.

« Rien, hein… ?

— S’il te plaît, n’en parle à personne. C’est…

— Son cadeau de Noël ?

— Ouais, ouais… Un petit truc. »

Harry haussa les épaules et se dirigea vers la caisse pour payer. Le fils d’Aurors, le regarda faire sans rien dire, sans même lui faire remarquer que son « petit truc », valait plus d’une centaine de Gallions.

Ils ressortirent les bourses un peu plus légères qu’à l’arrivée, flanqués de Ron qui avait terminé de discuter avec George. Se dirigeant vers la taverne pour y rejoindre leurs amies, ils croisèrent en chemin Draco Malefoy qui marchait seul d’un pas digne. Il ne leur prêta aucune attention, et Harry cligna des yeux en soufflant de surprise.

« Vous avez pas remarqué que Malefoy ne nous fait plus chier… ?

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que ça fait… Quoi ? Un mois et demi que les cours ont repris ? Et pas une seule fois il n’est venu nous importuner. Tout ce que je vois, c’est un gamin qui se la pète et qui change de costard maintenant jusqu’à deux fois par jour…

— Ah parce que t’as remarqué ça, toi aussi ? s’étonna Ron. Je me disais que j’étais peut-être un peu étrange pour porter autant d’attention aux tenues de Malefoy, mais de le voir coquet comme ça, c’est…

— Il agit comme le fils du Ministre de la Justice doit agir, je pense, les coupa Neville. Rien de très étrange.

— Ah ben si, carrément ! En deuxième année, quand son père était encore au conseil, il passait son temps à faire son connard prétentieux. Là, j’suis assez choqué qu’il n’en profite pas davantage.

— Ouais… Enfin il a seize ans, maintenant, Harry. Je pense que c’est normal qu’il soit plus malin. Et c’est un Serpentard, quand même.

— Raison de plus, je me demande ce qu’il compte obtenir comme ça… »

La chaleur de la taverne lui coupa souffle et parole lorsqu’ils ouvrirent la porte. À l’intérieur, ça riait, ça buvait et ça fumait. Les restrictions concernant le tabac n’avaient décidément pas cours chez les sorciers, et si cela ne choqua pas le trio, quelques minutes plus tard, lorsque Jane et Minerva entrèrent, la première se surprit à se dire que c’était désagréable.

Les garçons repérèrent bien vite la table réservée par Hermione et Luna, et bientôt, ils s’y assirent pour profiter des premières Bières-au-Beurre commandées. La conversation démarra tout naturellement par la question des achats, puis glissa en direction de la soirée d’Halloween de Slughorn à laquelle Harry, Neville et Hermione étaient conviés.

« Je ne pense pas que tu puisses y couper cette fois-ci, sourit Hermione en regardant son ami. Et puis ce n’est pas si terrible. D’ailleurs, puisqu’on en parle, il faut y aller accompagné, est-ce que tu veux venir, Ron ? »

Le roux s’étouffa avec son breuvage, et malgré la lumière tamisée des chandelles, on put le voir nettement rougir. Hermione se retint de sourire, lui laissant le temps de reprendre contenance. Finalement, il opina du chef sans vraiment arriver à parler.

« Alors c’est réglé. Et vous, vous y allez avec qui ?

—  Hannah Abbot, on s’est mis à correspondre depuis cet été et sa réponse dans « L’Ent causeur ».

— Le quoi ?

— C’est un magazine de botanique. Ils ont publié un article erroné sur une plante médicinale et Hannah leur a écrit pour… Bref, on s’est mis à parler après ça. Et toi Harry ? changea vite Neville, sa pudeur reprenant le dessus.

— Ben…

— Avec moi. Il cherchait juste un peu de courage dans la boutique pour me le demander… C’est ça que tu cachais derrière ton dos, Harry ? lui demanda Luna avec un air si étrange qu’on ne sut jamais si elle était sérieuse ou le taquinait.

— Ouais… Ouais, mais je suis grillé, je crois. Du coup… T’es okay ?

— Oui, pourquoi pas ? Vous avez l’air de trouver ça intéressant.

Chelou, corrigea Ron. C’est ultra chelou ses soirées paraît-il. Mais ça doit être un synonyme chez toi. »

La blonde opina sans répondre, et termina sa chope. Harry soupira d’agacement en voyant Slughorn entrer à son tour et s’extasier de voir la bande d’enseignantes en virée entre filles. Apparemment, il ne comprenait pas bien le concept car il s’y précipita, et les dames eurent toutes les peines du monde à cacher leur embarra.

« En fait, j’crois que j’aurais préféré que Dumbledore me demande de me rapprocher de Snape… marmonna Harry.

— Il ne t’a rien dit de plus depuis le temps ? J’veux dire, ça fait trois bonnes semaines qu’il t’a demandé de sympathiser avec lui, mais sans t’en dire davantage ?

— Oui, et je me doute que ça a un rapport avec le travail qu’on fait, mais je vois pas bien ce que je dois faire. Aller aux soirées ? J’ai déjà tellement peu de temps ! Entre les cours, le Quidditch…

— Aaaaah ! M’en parle pas ! s’ébroua Ron qui travaillait deux fois plus, depuis ses premiers déboires en tant que gardien.

— Et puis les cours avec Snape, ceux avec Dumbledore… Ma tête va exploser, et je commence à ne plus trop savoir distinguer la réalité. Je plaisante ! ajouta l’Attrapeur précipitamment quand il vit Hermione ouvrir la bouche inquiète. Je plaisante, Hermione ! Je veux juste dire que je suis crevé. Et franchement, c’est… Enfin c’est glauque ce que je vois quand même.

— Ouais, il a l’air bien barré ton mage noir, en fait… J’dis pas que j’aurais préféré qu’il ait des raisons de faire ça, mais quand même.

— Heu… Ron, ya pas de raison de faire ce qu’il fait, glissa Neville mal à l’aise.

— Si, je vois ce qu’il veut dire. Chez nous, on a souvent des œuvres fictives qui font état de psychopathes, comme ça, devenus fous à la suite de traumatismes. Là… » Hermione se pinça les lèvres comme pour signifier qu’elle n’en voyait aucune.

Harry fronça les sourcils. Lors de sa deuxième année, le souvenir de Jedusor lui avait dit qu’ils se ressemblaient beaucoup. Et à le voir dans les souvenirs récoltés par Dumbledore, le mage avait très largement exagéré le propos. Déjà, sa famille était plus normale que…

« … J’sais pas, tu lui trouverais des excuses, toi ?

— Non ! sursauta Harry ramené brutalement à la réalité. Non, aucune ne peut être trouvée pour ça. Peu importe qu’on explique un état mental, peu importe la maladie, ou je sais pas quoi… Non, j’crois pas qu’on puisse lui trouver d’excuse. Il est maléfique. Au sens strict. C’en est presque pathétique. Je peux avoir de la pitié pour lui, mais l’excuser ? Jamais. »

L’ambiance était devenue glaciale à la table des jeunes gens. Tous pensaient à quelque chose qu’ils auraient préféré laisser aux portes de Poudlard. C’est un rire gras, reconnaissable entre mille, qui mit fin à leur morosité. Dans le coin où leurs enseignantes essayaient de se débarrasser de Slughorn depuis près d’une demi-heure, ce dernier riait aux éclats face à une Smith passablement gênée. Il parlait fort, mais pas assez pour que sa voix grave passe par-dessus le brouha de l’endroit. Et cela contraria légèrement les élèves qui auraient bien aimé savoir pourquoi leur Professeur regardait autant autour d’elle comme ne voulant surtout pas que qui que ce soit entende.

« Horace, je pense qu’on a compris, souffla-t-elle discrètement. Ma vie privée ne regarde personne d’autre que moi.

— Oh, oh ! C’est une vie privée alors ? Alors, pourquoi refuser, Jane ? Je suis certaine que Sev…

— Par Merlin, Horace ! coupa à temps Minerva horrifiée. Laissez donc cette pauvre enfant aller aux soirées qui l’intéressent et avec les personnes qui l’intéressent ! »

Jane fit une grimace désagréable, la conversation partait vraiment mal. Pourtant au départ, elle avait correctement commencé : quelques amabilités, et « Voyons pourquoi vous ne venez pas à mes événements, Miss ? » et autres « Il faut impérativement que vous assistiez à… » jusqu’à ce que le Professeur de Potions évoque la question du cavalier, et ça avait dérapé sur ce qu’il pressentait comme « une grande amitié » entre elle et Snape. Mais là, Minerva avait beau essayer de l’aider… Jane leva les yeux au ciel et balança quelques mornilles sur la table collante :

« Écoutez, je vais y réfléchir, en attendant, laissez-moi faire comme je l’entends, et évitez de pérorer partout à propos de – oui, c’est le cas – ma vie privée, d’accord, Horace ?

— Parfait, parfait ! Mais dépêchez-vous de vous trouver une robe et de lui demander, parce que c’est dans deux semaines seulement et…

— Horace ! Je n’ai jamais dit que je viendrai accompagnée. Maintenant, excusez-moi. »

Elle le bouscula presque, et avec l’air d’un animal traqué, fondit en direction de la porte sans même remarquer les regards inquisiteurs de ses jeunes étudiants braqués sur elle. Quand la première bouffée d’air frais s’infiltra dans ses poumons, Jane ferma les yeux de contentement. Le soleil se couchait lentement à l’ouest, et la rue principale était vidée. Les boutiques commençaient à baisser le rideau et on voyait le long du chemin menant au château qui dominait le paysage quelques élèves remonter la pente douce en se montrant des choses, d’un air excité. Le froid humide de la fin de l’automne la fit frissonner, et elle resserra son grand manteau, avant de rabattre la large capuche sur son nez. Elle remit les gants que Minerva l’avait obligée à prendre, et amorça un pas en direction du château, quand elle hésita. Elle repensait à la conversation qu’elle venait d’avoir, et secoua la tête. Pivotant, Jane se dirigea vers le chemin qui menait à la cabane hurlante. Le long du trajet, elle rumina la question, sans parvenir à prendre de décision, et s’arrêta net quand elle atteint la clôture de bois pourrie qui encadrait l’accès à la cabane. L’édifice était encore loin, mais le vent écossais charriait le bruit de ses grincements sinistres. Dans ce décor fait de gris, de vert délavé et de mauve chardonneux, Jane sourit, se sentant apaisée et conquise par ce tableau. Ses épaules se détendirent, et, même lorsqu’une brume dévala lentement le pré qui menait à la cabane, même lorsqu’une légère bruine se mit à tremper légèrement son dos, Jane resta là, appréciant le spectacle et le calme. Elle ferma un instant les yeux en frissonnant, quand elle sentit quelque chose de dur se presser légèrement contre son épaule et y diffuser une douce chaleur. La jeune femme sursauta, et se retourna, sa capuche masquant à moitié la personne à côté d’elle, ne dévoilant qu’un menton et le début d’un sourire léger qu’elle commençait à connaître.

« Vous cherchez à attraper la mort et à vous faire porter, pâle ?

— … Zut. Mon plan machiavélique tombe à l’eau.

Littéralement. »

Elle se tourna tout à fait pour voir Severus l’observer d’un air sérieux, un paquet emballé dans du papier craft sous le bras, ramenant à lui la baguette qu’il venait d’utiliser contre elle. Avant même qu’elle n’ait pu lui demander quoi que ce soit, il lui répondit :

« Il y a un apothicaire ambulant qui passe deux fois l’an pour moi, justement. La période est propice pour certains ingrédients et certaines potions.

— Halloween, vous voulez dire ?

— Oui, et puis une grosse lune se prépare aussi. Vous comptez rester ici prendre l’eau ?

— A la base je voulais… »

Mais elle se tut en l’observant. Severus arqua un sourcil interrogateur, avant de hocher la tête.

« Pourquoi ai-je l’impression que vous alliez me demander quelque chose d’impossible ?

— Pas du tout, j’allais surtout dire que je tentais d’échapper à Horace et à ses invitations, ses questions et son… Enfin, sa façon qu’il a de forcer l’intimité des gens. »

L’espion serra les dents un instant, et la jeune femme se mordit la joue en se traitant mentalement d’idiote pour sa maladresse. Il ne pouvait pas avoir oublié que son remplaçant était spécialiste de l’indiscrétion ! Mais Severus ne fit nullement allusion à la dernière fois avec son ancien Directeur de maison. À la place, il préféra tarauder directement la Moldue, non sans un certain plaisir pervers à lui faire subir ce genre d’interrogatoires.

« Et qu’est-ce qu’il a dit à votre sujet ? Il ne vous connaît pas, je vois mal comment il a pu vous gêner.

— Détrompez-vous, il… Ah ! Bien joué. Nous parlions de sa soirée, en effet.

— Et… ? »

La pluie se mit à tomber avec rudesse sans que cela ne les intéresse le moins du monde. Jane remarqua à peine qu’elle ne ressentait pas l’humidité, ou le froid de l’averse. Les gouttes formaient juste une sorte de rideau sous lequel ils se seraient glissés tous deux pour échanger quelques confidences. Le bruit aurait dû la forcer à hausser le ton pour qu’il entende bien la suite, mais elle tremblait. De peur. Et se contenta de marmonner.

« Et il m’a demandé si je comptais… Eh bien… Si je… Je comptais y aller avec… Heu… Vous. »

Jane avait baissé le regard bien avant d’avoir achevé sa phrase, mais elle cligna si fort les yeux en se traitant de gamine, que quand elle les rouvrit pour regarder la tête que faisait Snape, de petites étoiles blanches picotaient au coin de la rétine. Le Mangemort avait froncé les sourcils et l’observait comme s’il était face à quelque chose d’insondable. La Moldue déglutit péniblement, prête à lui demander de tout oublier, mais il répondit lentement :

« Mais… Pourquoi est-ce que j’irais avec vous ? »

Jane chancela sous la réplique, comme si elle venait de prendre un coup et elle avala une grande goulée d’air qui se coinça douloureusement dans sa gorge. Jamais elle ne s’était sentie aussi bête. Du moins, pas depuis un certain temps, et à ce moment, elle aurait préféré être n’importe où qu’ici. Qu’est-ce qui lui avait pris de dire ça ? Un violent tremblement s’empara de ses entrailles, remontant le long de sa gorge, et ce qui était l’ébauche d’un sanglot douloureux se mua dans une sorte de rire nerveux.

« C’est… C’est exactement ce que je lui ai dit ! Je sais pas ce qu’il a, il est vraiment bizarre ce type ! »

Elle tourna les talons en riant comme une perdue, et repris assez vite le chemin qui menait à l’école, sans même attendre son aîné. Ses jambes étaient cotonneuses, et sa vue était brouillée. Mais il pleuvait beaucoup, n’est-ce pas ? Elle venait de bifurquer pour reprendre le sentier, quand une main attrapa son bras par le creux du coude, pour la faire pivoter. Jane se retourna pour voir le visage de Severus totalement fermé. Ses cheveux ruisselaient sous l’averse, et ses yeux noirs la fixaient avec intensité. L’espace d’une fraction de seconde, la jeune femme sentit son cœur manquer un battement quand elle repensa à une lecture de sa jeunesse. Snape ferma les yeux lentement et soupira, avant de les ouvrir et de déclarer d’une voix douce :

« Je ne suis pas Monsieur Darcy. »

Jane se mordit la lèvre en regardant vers le bas. Elle posa sa main sur son torse. Severus posa la sienne dessus, ne se dérobant pas. Elle secoua la tête.

« Je sais. Je sais, c’était très con de ma part.

— Pas plus que d’ordinaire…

— Severus, s’il vous plaît… »

Ma pauvre fille, se dit-elle. Pourtant, avant même qu’elle n’ait l’occasion de s’insulter plus encore, elle sentit la main de Snape presser doucement la sienne.

« Est-ce que vous vous contenterez de boire un verre avec moi, au chaud ? » Lui demanda-t-il après un instant.

Severus écarquilla les yeux de surprise devant le sourire que sa proposition déclencha chez elle. Cela le mit particulièrement mal à l’aise et… Et soudain il n’était plus aussi trempé et glacé qu’il ne l’était l’instant d’avant. Il esquissa un rictus, et lui tendit son bras, auquel elle s’accrocha pour remonter en direction du château.

« Pourquoi vous ne vous êtes pas jeté un sort d’imperméabilité à vous aussi… ?

— …

— …

— … Parce que je sais que vous aimez l’archétype du brun ténébreux dégoulinant. »

Jane éclata de rire, et avant qu’ils n’atteignent l’enceinte proche de Poudlard, elle lui avait fait remarqué qu’il était quand même sacrément de mauvaise foi.