Bureau d’Albus Dumbledore, 5 janvier, quelques heures après,

« Il ne soupçonne donc rien à propos de l’Occlumancie, Severus, vous en êtes certain ? »

Le susnommé leva un regard profondément las à son supérieur. Relativement éreinté par les efforts requis par son entrevue avec Voldemort, Snape n’était pas dans les meilleures dispositions pour essuyer les questions idiotes de son mentor. Décroisant les jambes pour s’affaler davantage sur son fauteuil moelleux, il lui lança une œillade condescendante :

« Certain, Monsieur le Directeur. Il croit même tourner tout ceci à son avantage.

— Il compte utiliser Harry, n’est-ce pas ?

— Tout juste. Il semblerait qu’il ait décidé de manipuler l’esprit du garçon et de l’utiliser afin de récupérer la prophétie…

— Parfait. »

A ce stade de la conversation, bien que fatigué, l’homme en noir arqua un sourcil de surprise. Si le mage lui avait demandé de former Potter à l’art de la protection mentale, il devrait être au minima inquiet par cette nouvelle !

« Albus… Aucun de nous ne peut penser décemment que Potter arrivera à protéger son esprit. Du moins, suffisamment, pour empêcher le Seigneur des Ténèbres d’y accéder.

— Pour une fois mon garçon, je dois vous avouer que je n’ai pas grand espoir non plus. Soupira le mage.

— Mais… Mais alors, dans ce cas : pourquoi me demander de lui enseigner l’Occlumancie ? Répliqua Snape interloqué.

— Harry doit avoir toutes les chances de son côté. Oui, Severus, je sais combien il peut être borné, et je connais la puissance de notre adversaire. J’ai également peur que leur lien…

— Vous voulez tester une théorie en somme ?

— Et tenter le tout pour le tout.

— Pourquoi m’avoir dit de lui souffler cette nouvelle en ce cas ? Vous savez comme moi que cette information est trop dangereuse dans les mains du Seigneur des Ténèbres ! S’exclama Snape. Qui sait ce qu’il murmurera à Potter pour le pousser à se rendre au Ministère ?!

— En effet, qui sait ? Voldemort cherchera par tous les moyens à obtenir cette prophétie. Il poussera Harry à la rechercher également. Seul lui ou Tom peuvent y avoir accès, et il le sait très bien. Et que croyez-vous qu’il fera, alors mon ami ? Lorsqu’Harry aura l’artefact dans les mains, pensez-vous donc que Voldemort se contentera de lire dans l’esprit du garçon ? »

Snape ne répondit pas immédiatement. Il ouvrit la bouche, la referma, puis se leva pour arpenter la pièce en réfléchissant longuement. Il jeta un ou deux regards scrutateurs en direction du vieil homme, sans parvenir à se décider s’il comprenait ou non ce qui se tramait. Devant l’air grave et résigné du Directeur, Severus n’eut d’autre choix que de capituler :

« Vous voulez que Potter aille au Ministère…Commença-t-il avec prudence. Vous voulez qu’il trouve… Non. Que le Seigneur des Ténèbres vienne en personne ! Oh, Albus. Vous comptez utiliser l’enfant comme un appât ?

— Serait-ce un reproche Severus ? L’année dernière encore, n’était-ce pas vous qui me suggériez la même méthode face au mystère de la coupe de feu ?

— Mais c’est totalement différent ! Cette année nous savons qu’Il est de retour ! Vous le conduisez à une mort certaine.

— Non, je ne compte pas laisser Harry affronter cela seul.

— Mais alors, pourquoi… ? »

Il se tut une nouvelle fois, avant d’écarquiller les yeux de compréhension. Le grand danger à côtoyer des gens tels que Dumbledore ou Voldemort, résidait surtout dans les vérités que l’on apprenait. L’un n’était pas nécessairement moins cynique que l’autre, et Snape était régulièrement obligé de s’en rappeler.

« Vous amenez le Seigneur des Ténèbres à se montrer au Ministère de la Magie… Souffla-t-il dans un mélange de consternation et d’admiration profonde.

— J’amène le Ministère à ne plus ignorer son retour. Là est toute la nuance, Severus. Acquiesça le vieil homme en souriant sans joie.

— C’est… » Mais Snape n’arriva pas à trouver le mot.

Habile ? Serpentard ? Calculateur ? Pragmatique ? Digne d’un réel chef de guerre ? Cruel ? Oui, une partie de Severus trouvait effectivement cruel de laisser un enfant se faire torturer à des fins stratégiques. Mais dans la position de Dumbledore, il aurait probablement opté pour la même solution. Il était vital que la résistance s’organise. Le retour de Voldemort était délibérément ignoré depuis trop longtemps, et le Seigneur des Ténèbres tirait grand avantage de cette complication. A lui seul, traqué et conspué par le Ministère en personne, l’Ordre du Phoenix ne pesait guère dans la balance. Et tant que la populace se refusait à s’imaginer en guerre, les familles continueraient leur train-train, au risque de provoquer l’ascension silencieuse de l’homme serpent.

Severus reprit sa place face au Directeur, soupirant d’épuisement. Quels que soient les dangers auxquels sa position d’espion l’exposait, il restait soulagé de ne pas avoir à prendre de telles décisions.

« Incontournable. » Termina Dumbledore en le considérant gravement.

Snape acquiesça silencieusement avant de jeter un regard à la fenêtre qui donnait sur les jardins de Poudlard, plongés dans les ténèbres.

« Il y a plus grave, Reprit l’homme en noir. J’ignore quand, mais Il compte réunir les cercles.

— Je le craignais. Nous avons eu beaucoup de chance qu’il ne s’en prenne pas à Azkaban plus tôt. Cornélius a refusé de m’entendre sur le risque que représentent les détraqueurs. Quand Tom décidera de libérer ses sbires, il n’y aura aucune résistance.

— Aucune. Confirma Snape. Et les Mangemorts ne seront pas les seuls à grossir ses rangs.

— Nous devons nous préparer, Severus. Dès la rentrée, je souhaite que vous commenciez vos leçons avec Harry.

— Et je suppose qu’il n’en sait rien… ?

— Non, je vous laisse le soin de régler ça.

— Merveilleux, je brûlais d’envie d’aller rendre visite à Black et à Potter. Maugréa Snape.

— Allons, allons, Severus ! Ce n’est l’affaire que d’une petite heure. Si vous ne traînez pas comme la dernière fois, cela sera vite réglé… Répondit le Directeur d’un air entendu.

— De quoi parlez-vous, Albus ? Je ne traîne jamais à Square Grimmaurd, j’ai en horreur cet endroit !

— Oui, oui, j’ai bien compris que vous préfériez la banlieue de Londres.

— Je n’habite pas… Commença Snape, avant de comprendre. Monsieur le Directeur, entendons-nous bien, je n’ai pas traîné chez les parents de Jane.

— Vous y êtes resté deux jours, mon ami. Releva le vieillard en le fixant avec malice.

— Parce que vous m’aviez obligé à y aller. Contra-t-il.

— Je vous avais demandé d’escorter Jane chez eux. C’était l’affaire d’une petite heure, et de deux transplanages dans la journée. Je dois admettre que j’ai été surpris de ne pas vous trouver au repas du soir à Poudlard.

— J’ai été… retenu. Renifla Snape soudainement mal à l’aise.

— Je ne vous juge pas, mon garçon ! Je suis heureux que vous ayez passé un Noël en famille. Pouffa Dumbledore.

— Albus, je n’ai jamais… !

— Oui, oui. Deux jours et une nuit. Je suppose qu’ils vous ont grandement apprécié pour vous laisser dormir avec leur fille. Souffla le vieillard avec un air de conspirateur.

— Qui vous a dit que nous… ? »

Snape se tut immédiatement, une grimace d’horreur figée sur un visage qu’il ne parvenait pas à garder impassible. Dans les yeux du Directeur une lueur profondément amusée dansait derrière ses lunettes en demi-lunes. Le vieux mage fixait son cadet avec l’air d’un farfadet ayant fait une mauvaise blague. Satisfait, il s’autorisa même un bonbon au citron qu’il chipa dans la coupelle posée sur son bureau. L’espion, lui, grogna, rougissant légèrement.

« Il ne s’est rien passé.

— Je n’ai rien dit de tel, Severus.

— Nous avons dormi ensemble, oui, mais nous y étions obligés.

— Parce qu’il n’y avait pas d’autre lit ?

— Non, parce que ses parents croyaient que… Merlin, Albus, mêlez-vous de vos chaudrons ! Gronda l’homme en noir brusquement.

— Ah. Vous serez donc à nouveau absent l’année prochaine, Severus ?

— En avons-nous fini, Monsieur le Directeur ? Demanda Snape d’une voix polaire.

— Oui, oui, vous pouvez disposer. »

Et l’homme en noir se leva d’un pas raide pour s’échapper du regard inquisiteur de son mentor. Lorsqu’il claqua la porte – non sans panache – le vieil homme éclata de rire dans son bureau.

***

Samedi 11 janvier, Square Grimmaurd, 16h20,

Dans la chambre qu’Harry, Ron et les jumeaux partageaient, le désordre régnait. Vêtements sales se mélangeaient aux vêtements propres, divers livres de cours s’éparpillaient sur le sol, ouverts, ou jetés à la va-vite. Quelques papiers de bonbons crissaient sous les pieds, et, pour les narines affûtées des adultes, une odeur de renfermé, de sueur de jeune garçon flottait désagréablement dans l’air.

Mais Harry s’en moquait éperdument, ne trouvant pas la force de ranger ce joyeux bordel. Quand bien même il devait préparer sa valise pour son retour prochain à Poudlard, cela faisait une belle demi-heure qu’il tentait de se trouver toutes les excuses du monde pour ne pas se mettre à la tâche. Il n’avait pas envie de repartir. Après ce qu’il était arrivé à Monsieur Weasley, Harry avait été soulagé de s’éloigner de Poudlard, des journaux, et de Voldemort. Il avait passé ses vacances à se reposer, à discuter avec Sirius qui ne le lâchait plus, et à organiser les prochaines réunions de l’AO. Pour la première fois depuis longtemps, le jeune homme avait eu l’impression d’être un adolescent normal, dont la seule préoccupation à ce moment précis, était de trouver une nouvelle excuse pour ne pas ranger sa chambre.

Tandis qu’il établissait mentalement un plan de bataille pour le rangement, l’on frappa à la porte. Harry s’arrêta brusquement dans sa stratégie, une chaussette rouge et or puante dans la main, pour tendre l’oreille. Personne ne prenait la peine de frapper avant d’entrer. On toqua une deuxième fois, et Harry alla enfin ouvrir sur un Severus Snape passablement renfrogné.

« Oh, c’est vous. Commenta le jeune homme en allant s’asseoir sur son lit.

— Bonjour, Monsieur Potter. Ravi de vous décevoir. Répliqua le Maître des Potions avant de froncer les narines de dégoût en entrant dans la pièce.

— Que me voulez-vous ? Demanda Harry, tout en faisant à présent tournoyer sa chaussette sale sur son index.

— Toujours aussi poli… Le Directeur m’envoie vous informer que vos entrevues avec Miss Smith sont terminées, et que…

— Mais pourquoi ?! Elle n’a rien fait de mal ! S’emporta rapidement le garçon.

— Laissez-moi terminer, Potter ! Gronda Snape. Vous ne pouvez continuer de la voir car ces heures seront mises à profit pour apprendre l’Occlumancie.

— L’O-quoi ?

— L’Occlumancie, Potter. L’Oc-clu-men-cie. L’art de protéger ses pensées de toute intrusion mentale due à la Legilimancie. Le Directeur semble penser que vous partagez un lien particulier avec le Seigneur des Ténèbres et que ce lien serait à l’origine de vos visions.

— Pourquoi vouloir m’en protéger ? Demanda le Gryffondor surprit. N’est-ce pas utile, justement ?

— Toujours aussi arrogant, Potter. C’est surtout dangereux. Le Seigneur des Ténèbres n’ignore plus ce lien. Plus depuis que vous êtes intervenu l’autre nuit. Il cherchera à l’utiliser, et à le retourner contre vous.

— On se demande comment il peut être au courant, hein…

— Non, personne ne se le demande Potter. Parce que ce « on » sait très bien que c’est moi qui le lui ai dit. Et je n’ai pas à me justifier. Ajouta Snape alors qu’Harry s’apprêtait à répliquer. Le Seigneur des Ténèbres est passé maître dans l’art de la Legilimancie. Il sait manipuler et détruire l’esprit. Et croyez-moi lorsque je vous dis que vous êtes une cible bien trop facile. A compter de la rentrée, vos heures de colle se feront avec moi, et uniquement avec moi. »

Snape s’attendait, presque avec délectation, à faire face à un enfant à la mine déconfite. Mais le jeune homme le surprit en affichant un visage concentré et inquiet. Dire qu’il fut déstabilisé par sa question était un sacré euphémisme :

« Ai-je une chance d’y arriver ? » Demanda Harry d’une petite voix.

L’espion fut un instant tenté de lui répondre que non. Il considéra le rouge et or d’un œil critique, avant de plisser des yeux :

« Si vous êtes enfin disposé à travailler dur, il est possible que vous ne soyez pas irrémédiablement perdu. Concéda-t-il. Mais ne vous y trompez pas. L’Occlumancie est une branche de la magie extrêmement complexe et difficile à maîtriser. Rares sont les sorciers capables d’une telle discipline mentale !

— C’est pour cela que c’est vous qui me donnerez des leçons, Professeur ?

— Me flatter ne vous facilitera nullement la tâche, Potter. Répliqua Snape légèrement désarçonné. Je ne vous épargnerai pas. Aucun traitement de faveur, aucune considération ni pour votre âge ou votre renommée. Dans mes cachots, Potter : vous ne serez que la victime de mes assauts tant que vous n’apprendrez pas à surpasser vos maigres capacités.

— Oui, c’est pour cela que c’est vous, et personne d’autre. » Confirma le Survivant en achevant de surprendre l’espion.

Severus ne répondit pas, se contentant d’observer Harry avec attention, comme s’il tentait de déterminer si le garçon se moquait ou non de lui. Le Golden Boy le fixa d’un air de défi, les épaules droites, et l’ex-Mangemort fronça les narines, avant de tourner les talons sans rien dire.

Harry resta un moment seul à ruminer ses pensées, rendu inquiet par la nouvelle. Ainsi, ses rêves n’en étaient pas, et l’idée même que Voldemort puisse fouiller dans sa tête le répugnait. Il se sentait sale, vulnérable, et pour la première fois depuis son arrivée à Square Grimmaurd, il se senti oppressé, comme prisonnier de son propre corps. Il regarda sa pauvre chaussette, et se rendit compte qu’elle puait atrocement, qu’elle était moite dans sa main, et chaude à force de la serrer trop longuement. Cela le dégoûta, et il la jeta au loin. A quel point était-il connecté au Mage Noir ? A quel point avait-il été corrompu ?

Cette seule pensée provoqua un haut-le-cœur extrêmement violent, et il se précipita hors de la chambre pour vomir dans les toilettes en crachotant. Le visage ruisselant de larme et de sueur mêlés, il tressailli lorsqu’il senti une main réconfortante sur son dos :

« A ton père aussi il donnait la nausée. Plaisanta Sirius sans joie dans la voix.

— Il… Il est venu pour me dire que…

— Je sais. Dumbledore a eu besoin de mon autorisation pour cela. » Répondit Sirius avec douceur.

Harry s’assit au sol, regarda l’Animagus avec surprise.

« Ton autorisation ?

— Je suis ton parrain, Harry. Tu es sous ma responsabilité, ne l’oublie jamais.

— Tu n’as pas ma garde. Releva le garçon. Cela ne serait pas plutôt légalement aux Dursleys, de… ? » Mais il se tut, comprenant qu’il venait de blesser Sirius.

Le Maraudeur soupira, et s’assit aux côtés du Survivant. Ils étaient tous deux coincés dans des cabinets lugubres et minuscules, une désagréable odeur de bile flottant dans l’air.

« L’Occlumancie n’est pas quelque chose d’anodin, Harry. Commença Sirius sans même le regarder. Pour t’apprendre à te défendre, Snape violera tes pensées, jusqu’à ce que tu parviennes à le repousser.

— Tu veux dire que c’est illégal ?

— L’esprit est une chose complexe. Complexe et privée. Tes souvenirs, tes rêves, tes désirs y sont inscrits, et c’est un sacrilège que d’y accéder sans ton autorisation. Cette discipline n’est pas enseignée car il existe que peu de Maîtres. Et rares seraient les parents qui accepteraient d’exposer ainsi leurs enfants.

— Mais Snape connaît cette magie. N’est-ce pas ? C’est grâce à cela qu’il peut tromper Voldemort.

— C’est en effet l’argument qu’il avance. Voldemort est le Légimens le plus accompli que nous connaissions. Il n’est pas exclu que Dumbledore lui-même n’arrive pas à le surpasser. Et Snape est… Un Occlumens hors-pair. Il peut mentir à qui il veut.

— Tu ne lui fais pas confiance.

— Je ne lui ferai jamais confiance, Harry. Quelqu’un qui a cherché si désespérément à cacher ses pensées doit avoir de trop gros secrets pour que l’on puisse s’y fier.

— Mais Dumbledore…

— Dumbledore peut se tromper.

— Toi aussi, tu sais.

— Peut-être… Mais je te demanderai d’être extrêmement prudent avec Snape. Il est vicieux, et l’on ne peut être certain de ses réelles motivations. Il cherchera à te faire du mal. A cause de sa haine de ton père, alors ne le provoque pas Harry. Prends ce qu’il y a à prendre de lui, et protèges-toi. Et si tu as le moindre problème, s’il se passe la moindre chose : tu me préviens immédiatement ! »

Sirius releva un genou, pour accéder à l’une des poches de son manteau. Dans un bruit de froissement d’étoffe, il tira un objet à la forme incertaine, recouvert d’un morceau de soie noire. Il le tendit à Harry, avant de le regarder avec attention.

« Lorsque nous étions enfants. Ton père et moi en possédions un. Nous communiquions grâce à cela. C’est indétectable : ni le Ministère, ni Voldemort, ni Dumbledore n’ont accès aux échanges.

— Un miroir ? Demanda Harry en révélant l’artefact sous le tissu.

— C’était celui de ton père. J’ai toujours le mien. Il te suffit de penser à la personne qui possède son jumeau pour pouvoir lui parler. Ainsi, tu n’auras plus à t’inquiéter que l’on intercepte ta chouette, ou que je prenne trop de risque à venir te parler par cheminée. Conclut-il dans un clin d’œil. Si tu as le moindre problème, ou si tu as simplement besoin de parler à quelqu’un, tu l’utilises. Peut-importe l’heure !

— Je… Merci, Sirius.

— Ne me remercie jamais Harry. Répliqua l’homme en se relevant. C’est mon rôle. »

***

Poudlard, mardi 13 janvier, 14h30,

Après son Noël mouvementé, Jane Smith n’avait pas été mécontente de retourner à Poudlard. Bien qu’elle ait apprécié revoir ses parents, la jeune femme avait passé deux jours à devoir se dépêtrer d’un quiproquo qui semblait sans fin. Sa mère et son beau-père avaient mis un véritable point d’honneur à refuser l’idée même que Snape n’était pas son compagnon. En avait résulté, au matin de Noël, une scène des plus surréalistes : Elle, déballant ses cadeaux avec le taciturne Maître des Potions. Mais le coup de grâce leur avait été donné par l’entremise d’une invitation : l’année prochaine, Severus Snape était convié au repas, et il aurait, lui aussi, sa petite chaussette accrochée près du sapin. Jane n’avait pas protesté, décidant d’abandonner là un combat perdu d’avance, et choisissant plutôt l’option purement sadique d’observer Snape se décomposer devant la nouvelle.

Leur retour à Poudlard s’était déroulé dans un silence pesant, où chacun prenait bien soin de ne pas croiser le regard de l’autre. Depuis, ils s’évitaient comme la peste, sous le regard inquisiteur et amusé de Dumbledore. Il y avait fort à parier que le vieux fou en vienne à s’imaginer, lui aussi, des choses.

Contrainte par la neige qui tombait sans interruption depuis quelques semaines, de rester à l’intérieur du château, Jane s’ennuyait profondément. Depuis qu’Ombrage avait interdit et dissout toute réunion d’élèves. Aucun de ses anciens étudiants ne venait la rejoindre. Les petites retrouvailles où elle dissertait longuement, voire continuait son programme, n’étaient plus que de vagues souvenirs. Et, pour couronner le tout, Harry Potter n’aurait plus de jus de citrouille à déguster avec elle. Elle devait céder sa place à son mentor, pour des leçons obscures d’une magie obscure. Certes, Dumbledore lui avait expliqué succinctement ce dont il retournait. Et Jane s’était empressée de se renseigner sur l’art de l’Occlumancie à la bibliothèque. Mais bien qu’elle comprenne parfaitement la nécessité de ces leçons, elle jalousait quelque peu l’espion. La jeune femme n’avait plus d’occupation, et traînait à nouveau sa carcasse dans le château, regrettant parfois que le Directeur l’ait autorisé à rester.

Errant au gré de ses pensées dans les couloirs, Jane percuta une petite silhouette pas plus connectée à la réalité qu’elle. L’ancienne enseignante et la jeune fille se cognèrent avec fracas, gémissant toutes deux et titubant.

« Pardon, Professeur Smith, je ne vous ai pas vu me marcher dessus. » S’éleva une voix vaporeuse.

Ce timbre, léger et presque chantant, appartenait à l’une des élèves favorites de Jane. La Moldue, qui mettait un véritable point d’honneur à ne pas avoir de chouchous, ne pouvait s’empêcher d’adorer l’esprit créatif et vif de la petite blonde. Derrière de grands yeux clairs au regard toujours voilé, bouillonnait un cerveau incroyable, capable des meilleures et des plus insolites associations d’idées. Ne s’exprimant pratiquement que de façon métaphorique, Luna Lovegood était une élève d’une vivifiante sagacité. Faire cours aux quatrièmes années, dont la Serdaigle faisait partie, était un exercice que Jane avait adoré.

« C’est moi qui suis navrée, Luna. Et je ne suis plus votre Professeur. Répondit la Moldue en aidant la petite à se relever.

— Enseigne celui qui parle à qui veut apprendre, Professeur. Répliqua la blonde en rajustant d’étranges lunettes sur son nez. »

Jane lui sourit, et observa avec curiosité l’espèce d’appareil qui lui mangeait la moitié du visage. Il était composé d’argent, semblait-t-il, recouvert d’une fine couche de papier glacé scintillant, et de paillettes roses. Les verres, qui n’étaient évidemment pas totalement transparents, étaient de forme ronde. Probablement extraits de tessons de bouteilles de Bière au beurre à en juger par leur teinte ocre.

« Ce sont des Vitravera. Précisa Luna, anticipant la question de la Moldue. Je les ai fabriquées moi-même. Elles sont utiles pour voir ce qui ne peut être vu. J’en ai besoin pour retrouver mon livre d’Histoire de la Magie. Les Nargoles me l’ont encore volé.

— … Tu es sûre que ce n’est pas plutôt un collègue de dortoir qui… ?

— Oui, oui. Je remonte la piste de ces créatures depuis plus d’une heure. J’étais concentrée sur leur flux lorsque votre corps est entré en collision avec le mien. D’ailleurs, je ne vous vois jamais arriver, Professeur. Avez-vous une amulette ?

— Une amulette, pour… ? Demanda Jane déconcertée par toute cette histoire.

— Pour vous protéger des Nargoles, bien sûr ! Mais je ne vois aucun radis sur vos oreilles. »

Jane se pinça l’arête du nez, tentant de se souvenir de sa première rencontre avec la fillette. Lors de leur toute première discussion, la jeune femme avait eu le malheur de demander pourquoi Luna portait des radis en guise de boucle d’oreilles, et celle-ci lui avait alors expliqué la théorie des Nargoles. Naturellement, toute Moldue qu’elle était, Jane avait fait des recherches, et avait osé poser la question à Severus. L’espion n’avait pu retenir un éclat de rire, avant de lui claquer la porte au nez. Jane comprit par la suite que les sorciers ne croyaient pas en cette théorie. Et pourtant, Luna se trouvait face à elle, avec ses lunettes du futur.

« Je ne me protège pas des Nargoles, à dire vrai.

— C’est étrange, aucun ne gravite autour de vous. Tous les sorciers attirent les Nargoles, ils adorent danser dans la magie, vous voyez… Attendez, un instant, nous allons faire une expérience. Lui répondit la Serdaigle. »

Lovegood retira son appareil, et en détacha les verres, avant de fouiller dans sa chaussette droite et d’en tirer d’autres, de couleur violette. Elle remit ensuite les lunettes sur son nez, et observa la Moldue sous toutes les coutures, finissant de mettre son ancienne enseignante mal à l’aise.

« En fait… Murmura doucement la petite. Rien, strictement rien ne tourne autour de vous. Vous êtes même invisible, Professeur.

— Heu… Peut-être que les verres sont sales ? Tenta la brune.

— Non, pas du tout, ils fonctionnaient encore lorsque j’ai croisé Harry Potter. Il était tout rouge en sortant de la classe de Défense Contre les Forces du Mal.

— Tout… ?

— Attendez, essayez donc de les mettre et de me regarder. » Coupa Luna d’un air si sérieux que Jane eut l’impression d’avoir affaire à un scientifique de la Nasa.

Elle s’exécuta néanmoins, regardant la Serdaigle au travers des vitres violettes. Mais en dehors d’un étrange mal de crâne, rien ne l’interpella.

« Je dois voir quoi ? Demanda-t-elle incertaine.

— Je ne suis pas blanche ? S’étonna Luna en enroulant une de ses mèches autour de son index. Je devrais être blanche. Je suis toujours blanche dit papa lorsque je réfléchis.

— Mais… Comment ça : blanche ?

— Oui, blanche. Professeur. Vous devriez savoir que les émotions ont des couleurs ! Et vous, vous n’en n’avez aucune.

— Des couleurs… Répéta Jane à mille lieues de comprendre le problème.

— Oui, vert de rage – ou de jalousie. Mais ce n’est pas le même vert. Rouge de honte – ou de colère. Blanc de peur – ou de réflexion. Des couleurs, Professeur. Des couleurs magiques !

— Heu… Il faut croire que je domine parfaitement mes sentiments. Hasarda la Moldue en rendant les lunettes à l’enfant.

— Non, le Professeur Snape est toujours bleu nuit. Le Professeur Dumbledore est lumineux. Ses émotions tournent trop vite pour être vues. Mais vous, Professeur Smith, vous êtes invisible, et vous ne me voyez pas.

— Peut-être est-ce vous qui avez un don, Luna… ?

— Pas du tout, je peux voir, mais ce sont les Vitravera qui me montrent. Quelque chose chez vous ne marche pas. » Murmura la petite pour elle-même.

Une alarme de panique s’alluma brusquement dans l’esprit de l’écrivain. Elle pâlit sensiblement, et chercha rapidement comment changer les idées de cette élève bien trop perspicace.

« Vous dites que c’est vous qui les avez fabriquées, elles ne répondent peut-être qu’à votre signature magique.

— Papa les fait fonctionner. Se contenta de nier Luna. Mais ce n’est pas grave Professeur, cela montre seulement que Dumbledore avait de bonnes raisons de vous recruter pour ce poste. »

Et avant même que Jane ne puisse lui répondre, Luna reparti en sautillant dans les couloirs, ses cheveux flottant dans l’air. Les jambes tremblantes, la Moldue regarda interloquée l’ombre de son ancienne élève, avant de paniquer et de se précipiter dans le bureau d’Albus tout lui rapporter.

Harry, qui avait eu toutes les raisons du monde d’être rouge de rage après un cours avec Ombrage désastreux. Était désormais blême. N’ayant pas eu l’appétit au repas du soir, le Gryffondor voyait ses maigres forces l’abandonner, tant il angoissait à l’idée de franchir la porte qui le séparait de son premier cours d’Occlumancie. Il redoutait ces séances, ignorant totalement de quoi il en retournait. Évidemment, le garçon en avait parlé à ses amis, et Hermione lui avait immédiatement donné une liste d’ouvrages à consulter sur le sujet. Mais, comme à son habitude, Harry n’avait pas ouvert un seul livre. Il se sentait donc démunit face à l’inconnu. Il se redressa pour se donner contenance, et frappa, attendant de pouvoir commencer la torture.

La porte s’ouvrit dans un grincement sinistre, sur le bureau de Snape. Conforme à ses souvenirs, la pièce était lugubre, plongée dans une relative obscurité oppressante. Le Maître des Potions était installé à son bureau, corrigeant des copies, et ne relevant pas la tête lorsque son étudiant entra dans la salle. Harry referma la porte, et resta debout, les bras ballants, attendant les premières instructions. Écoutant sagement le conseil de Sirius, l’Attrapeur ferma résolument les lèvres, pour éviter de déranger, et donc d’agacer, le terrible Maître des Potions. Une demi-heure durant, seul le grattement de la plume sur le parchemin rompit le silence. Severus continuant son manège comme si son élève n’était pas présent. Les genoux douloureux, les jambes se raidissant à force de rester immobile, Harry pinça plus fortement encore les lèvres pour tenter de s’imposer un mutisme parfait.

Dix minutes de grattements plus tard, Snape reposa la dernière copie sur une pile de parchemins parfaitement rangée, et daigna enfin regarder son cadet.

« Je vois que vous ne connaissez toujours pas les bonnes manières, Potter. Glissa-t-il.

— Mes excuses, Professeur. Bonsoir, Professeur Snape. Répondit le jeune homme en tentant tant bien que mal de ne pas paraître insolent.

— Vous êtes fatigué de rester debout ?

— Oui.

— Parfait, Légimens ! » Souffla Snape en pointant sa baguette en direction du garçon.

L’assaut prit Harry par surprise. Il ne s’attendait absolument pas à ce que l’espion l’attaque directement sans même le prévenir. Immédiatement, il sentit une pression au niveau de ses pensées, comprenant que l’homme ne faisait qu’accéder à ses réflexions immédiates. Que devait-il faire ? Comment le faire sortir ?

« Répondez à ces questions, Potter, ne les posez pas. »

Severus savait parfaitement qu’il en était incapable. L’homme voulait surtout constater la base sur laquelle il devrait travailler. Sans surprise, l’esprit du jeune homme était désordonné, mêlant pensées présentes et souvenirs. De nombreuses émotions tournaient, mais aucune résistance ne s’opposait à lui. Harry Potter avait bel et bien un cerveau aussi épais qu’un gruyère oublié dans une cave. L’espion perçut un vague « Je dois repousser ce connard, aller, je peux le faire ! » auquel il fut tenté de répondre, mais il laissa le garçon continuer de s’encourager, en vain. Sans pour autant forcer vers le passé, Snape resta bel et bien en place dans la tête du Gryffondor. Un quart d’heure plus tard, et une multitude d’insultes à son encontre, il se retira.

Harry tomba à la renverse sur un fauteuil qui sortit de nulle part. Severus abaissa sa baguette, et prit appui sur son bureau.

« Ce que vous venez de subir, c’est de la Legilimancie, Potter. Retenez qu’il n’est pas nécessaire de pointer sa baguette, ou de prononcer la formule. Un Maître n’a qu’à fixer son regard sur sa cible pour pouvoir entrer dans son esprit. Et sa victime, bien souvent, est incapable de ressentir la présence intruse. Qu’est-ce qui vous a permis de comprendre que j’étais là ?

— Han… Vous m’avez prévenu avec le sort, Professeur ? Tenta Harry en reprenant son souffle.

— Exact. A quoi ai-je accédé ? »

Le Survivant ne répondit pas immédiatement, cherchant à se souvenir de ces quelques minutes. Il n’avait en tête que son échec, l’impression d’être froidement observé, en tête. Il haussa les épaules.

« Je ne sais pas, Professeur. Concéda le garçon.

— C’est bien ça le problème, Potter. Sachez à l’avenir que j’apprécierai que vous m’appeliez « Professeur », même mentalement, et même si vous pensez que je suis un connard. Claqua l’homme en faisant rougir son élève.

— Ah. Vous m’avez entendu.

— Non, vous m’avez laissé entendre. Je vais chercher vos souvenirs à présent. Vous devez sentir la différence, et tentez de vous protéger.

— Mais comm…

Légimens ! »

Une nouvelle fois, Snape fut avalé avidement par l’esprit du garçon. Se tournant immédiatement vers les souvenirs de la journée, il ne sentit ni résistance, ni protestation se fracasser contre sa volonté. A peine croisait-il la présence d’Harry. Ce garçon ne maîtrisait absolument rien. L’espion assista à l’heure du repas d’Harry, où celui-ci boudait son assiette, les entrailles nouées. Il ressorti immédiatement :

« On a peur, Potter ?

— Ah… Attendez, Professeur, comment je peux me protéger ? Haleta-t-il.

— Comment vous protégez-vous habituellement ? Légimens ! »

Snape arriva directement au souvenir d’Harry vomissant dans les toilettes, accompagné de Sirius. Lorsqu’il entendit l’Animagus confesser qu’il n’avait aucune confiance en lui, il ricana, et continua sa plongée jusque dans les émotions ressenties à ce moment-là par le garçon. De la terreur, une profonde nausée, du dégoût pour soi-même, un sentiment d’impuissance… De son côté, Harry essayait d’empêcher l’homme de voir tout ceci. Il avait l’impression de brasser de l’air invisible dans sa propre tête, ne parvenant pas à chasser le souvenir qui restait irrésistiblement ancré en pleine lumière. « Comment vous protégez-vous habituellement ? » Entendit-il tandis que l’espion s’attardait sur la contemplation du garçon en proie à de violents relents. Harry hurla dans sa tête « Protego ! Protego ! » Mais il semblait que la magie n’avait aucune prise dans l’espace immatériel de l’esprit. Pourquoi le sort du bouclier ne marchait-il pas ?

« Parce qu’il est physique, Potter. Répondit Severus en sortant soudainement de la tête du garçon qui s’affala plus encore dans son fauteuil. Concentrez-vous, comment vous protégez-vous habituellement ?

— Je ne sais pas.

— Ce n’est pas une réponse, Potter. Comment vous protégez-vous ?

— Je ne sais pas !

— Potter. Comment vous protégez-vous ?!

— J’EN SAIS RIEN ! Hurla le Gryffondor. »

Snape claqua la langue contre son palais de désapprobation. Il s’approcha de son élève, et lui saisit le menton entre son pouce et son index, forçant leurs regards à se croiser :

« Je répète ma question, Potter. Comment votre esprit, obtus, se protège habituellement de la connaissance ?

— Vous n’avez pas à m’insulter… Je ne suis pas ici…

— Vous êtes ici pour transformer cette passoire en forteresse !

— Mais vous ne me dites même pas comment faire ! S’exclama Harry.

— Je ne fais que ça. Votre esprit borné est trop sélectif pour s’en rendre compte ! Légimens ! »

Harry était en train de ranger sa chambre, regrettant de ne pouvoir utiliser la magie pour ce faire. L’instant d’après, il se faisait engueuler par une Hermione furieuse qu’il n’ait pas terminé sa valise la veille de la rentrée. L’ex-Mangemort continuait sa fouille minutieuse, ne recherchant pour le moment que les événements récents. « Protego Protego ! » Continuait de répéter mentalement Harry. Toujours sans succès. Il senti la pression se relâcher, et son Professeur le regarder avec mépris :

« Vous n’écoutez pas. Ce bouclier ne peut être invoqué ! La magie ne peut être invoquée dans la tête, Potter !

— Alors dites-moi comment faire !

— Non, je vais vous montrer. Lancez-moi le sort, Potter.

— Quoi ? Mais comment ça ?

— Un instant, un seul instant, admettez que vous n’avez qu’à obéir. Pointez votre baguette vers moi, regardez-moi, et d’une spirale, dites : « Légimens ».

Légimens… » Souffla craintif Harry.

A raison. Il fut projeté en avant, dans un océan de noirceur et de vide. Alors qu’il pensait arriver sur une sorte de sol mental, Harry se rendit compte que ses pieds s’enfonçaient dans quelque chose. Le cerveau de Snape ? Voulant bouger, il prit rapidement conscience que le moindre mouvement ne faisait que le faire sombrer davantage. Il était aux prises avec des sables mouvants. Cette idée le paniqua, et il se débattit. Il lui fallait impérativement arriver à remonter à la surface ! Brassant le sable noir qui n’en finissait pas de l’étreindre, Harry réussi, petit-à-petit, à remonter, lentement, à mesure que la panique l’envahissait. A force d’angoisse, le garçon parvint à s’extirper in-extremis de ce qui semblait être un piège mortel. L’esprit de l’homme était si puissant qu’Harry avait la désagréable impression que tout ceci était réel. Au loin il entraperçu vaguement ce qui semblait être un souvenir. Harry s’y précipita, courant dans un corridor plongé dans les ténèbres, tentant d’atteindre la lueur projetée par la mémoire, mais se heurta violemment à une force qui l’éjecta immédiatement de l’esprit du Mangemort.

L’impact fut si réel pour le garçon, qu’il en tomba de son fauteuil, sous l’œil goguenard de son enseignant.

« Alors, Potter… ? Comment je me protège ? »

L’Attrapeur eut toutes les peines du monde à reprendre pied avec la réalité. Tout tournoyait autour de lui et ses pensées lui échappaient. Le bureau du Serpentard s’était mis à tanguer dangereusement sous ses yeux, et un goût de bile emplissait déjà la gorge du garçon. Il avait mal à la tête, précisément à l’endroit où il s’était cogné :

« Comment… Comment avez-vous utilisé un bouclier ? Demanda-t-il.

— Qui vous dit que c’était un bouclier ?

— Je pensais que…

— Précisément, Potter. Vous pensez à votre sort ridicule, et vous rencontrez sa présence physique dans mon esprit. Rien ne vous choque ?

— Était-ce réel ?

— Avez-vous mal ?

— Mais… Mais vous dites que le Protego ne peut marcher car c’est un sort physique, et vous me parlez de bouclier réel dans votre tête, ça n’a aucun sens !

— Vraiment ? Alors comment avez-vous réussi à vous échapper de vos sables mouvants ?

— J’ai cru que… Oh. »

Harry se massa les tempes, l’impression furieuse de saisir un détail important, sans pour autant arriver à le formuler distinctement. Cela le frustra. Tout était là. Dans cette étrange nuance. Et pourtant, il ne parvenait à la comprendre. Il repensa à son sauvetage mental des sables vivants.

« J’ai cru que ma vie était en danger… Que je devais me débattre, et tenter de grimper…

— Continuez.

— Ce n’était pas réel, si ?

— Avez-vous les fesses par terre, Potter ? »

Harry fronça les sourcils. N’étant pas certain de la réponse. Il lança à Snape un regard de défi qui le prit pour ce qu’il était. Et l’homme pénétra une nouvelle fois la tête du garçon. Cette fois-ci, Severus fit face à un énorme écusson rouge et or, dont la consistance vacillait. Avec un ricanement mental, il en fit le tour, pour accéder directement à la pensée immédiate de l’enfant : « Merde. »

« C’est exact, Potter. Mais vous semblez comprendre. Cela n’est pas suffisant, encore. Et débarrassez-moi de cette couleur ! Légimens

L’écu arborait désormais un lion d’or, qui tentait de faire les gros yeux à l’intrus. Peine perdue, Snape fonça dessus, et l’illusion mentale vacilla pour finir par imploser. « Fait chier ! Protego ! Protego ! » Mais cela n’arrêta pas l’espion, qui alla directement chercher un souvenir gênant. Celui où Harry digérait très mal le repas de Noël dans les toilettes. Alors que le Survivant du passé devenait aussi rouge que sa maison à force de pousser sur le trône de porcelaine, celui qui était coincé en leçon d’Occlumancie n’en finissait plus de brailler mentalement des « Protego » dans tous les sens. Mais l’homme en noir restait désespérément planté devant le Gryffondor qui retapissait les toilettes de Square Grimmaurd. Dans une tentative désespérée, Harry se posta devant son souvenir pour claquer la porte mentale de ces toilettes. Jetant ainsi un voile pudique sur son désordre intestinal.

« Voilà qui est mieux… Commenta le Maître des Potions en ayant toutes les peines du monde à ne pas rire devant l’air gêné du garçon. Ce sera tout, Potter.

— Mais on vient à peine…

— Il est vingt-trois heures trente-sept. Le temps dans l’esprit, est très relatif. Répliqua le Professeur en retournant à son bureau pour placer les copies corrigées dans un tiroir fermé à clef.

— Ah, heu… Bien. Bonne nuit, Professeur, alors.

— C’est ça. Videz votre esprit avant de dormir si vous espérez pouvoir en passer une correcte. Et, Potter, Ajouta Snape alors que le garçon avait la main sur la poignée, vous me ferez le plaisir de lire ce que Miss Granger vous a recommandé ! »

***

La nuit venue, au bord d’une falaise abrupte,

Harry Potter cru bêtement qu’il était parvenu à s’endormir l’esprit apaisé. En effet, ses songes ne furent pas troublés par des visions. Il ne put donc voir les flots salins déchaînés se fracasser contre la roche dans un vrombissement incroyable. Cela n’était en rien dû à ses talents. Si Harry Potter n’était pas le témoin de la scène, c’était précisément parce que Lord Voldemort ne le souhaitait pas.

A l’est de Norwich, sur la côte bordant la Mer du Nord, le mage noir se tenait droit dans un élégant kimono noir, la capuche dissimulant son visage blafard. Seul, l’homme observa pendant de nombreuses minutes la courbe de Vénus dans le ciel. Il attendait le moment propice. A ses pieds, la mer tourbillonnait furieusement sous le souffle du vent, et au loin, malgré la noirceur de la nuit, se distinguait une gigantesque forme s’élançant vers le ciel. Sans prononcer le moindre sort, le sorcier s’éleva soudainement dans les airs, flottant en direction de la construction. Il s’arrêta à une trentaine de mètres de ce qui se révélait alors être une immense tour de pierre plantée sur un rocher minuscule, perdu au milieu de la mer. Tout autour, des ombres menaçantes virevoltaient en cercle, dissuadant tout malheureux de s’approcher. Mais Lord Voldemort ne les craignaient pas. Les ténèbres étaient siennes, il gouvernait sur la peur et le désespoir.

Le mage s’éleva plus encore au-dessus des flots et écarta les bras en silence. Autour de lui, les ombres fondirent dans sa direction, attirées par la puissance qu’il dégageait. Voldemort entendait distinctement les râles désincarnés de ces créatures, et un sourire satisfait déforma plus encore son visage. Pendant un bref instant, il fut tenté d’user de ses nouveaux alliés pour purger intégralement le bâtiment. Mais il n’était pas là pour ça.

Tirant de sa manche sa longue baguette magique, le Fourchelangue lévita jusqu’à n’être plus qu’à une dizaine de mètres du mur épais qui lui faisait face. Il pointa l’arme en direction de la forteresse, et un rayon bleu électrique transperça la pierre dans une détonation assourdissante. Au moment de l’impact, des alarmes stridentes retentirent, et quelques lumières s’allumèrent aux pieds de la prison. Mais il était trop tard.

Dans un trou béant de la paroi, trois silhouettes décharnées s’approchèrent lentement. Ajustant plus encore son capuchon sur son crâne, le sorcier se contenta d’invoquer une barque flottante, et de la proposer aux prisonniers encore étourdis par cette évasion inespérée. Dans l’encadrement du mur, les cheveux volants furieusement autour d’un visage tordu par la joie, se tenait Bellatrix Lestrange, riant aux éclats. Ce fut elle qui sauta la première par-dessus le vide pour rejoindre l’embarcation magique, suivie, quelques secondes d’hésitation plus tard, par d’autres Mangemorts.

A aucun moment les détraqueurs ne tentèrent de les arrêter. Et les gardiens paniqués ne comprirent pas pourquoi ces monstres se retournaient soudainement contre eux.