Soirée de Slughorn, 31 octobre, 21h15,
« … Si tu le dis Malefoy. Mais je fais toujours face à mes peurs. Je ne m’en détourne pas et les affronte, baguette en main. Peux-tu en dire autant ? »
Harry fixait sa Némésis le torse bombé, comme un lion fier. Il était campé sur ses deux jambes dans une posture profondément guerrière, et cela sembla acculer quelque peu le blond qui esquissa un mouvement en arrière. À moins que cela ne soit le rappel du premier cours de DCFM qui soit en cause ? Draco sourit néanmoins et répondit presque en murmurant :
« Tu devrais au contraire souhaiter que je m’en détourne, à jamais, Potter…
— Tu pourrais les affronter au lieu de fuir.
— On pourrait en finir avec cette conversation ? interrompit Sirius d’un ton badin. Car je n’ai nullement l’intention de fuir une excellente soirée, ni la perdre en affrontements politiques. Est-ce qu’il vous est possible de retourner à vos inquiétudes de jeunes de votre âge ? »
Était-ce parce que l’Animagus ne souhaitait pas engager davantage le terrain avec Malefoy, ou parce qu’un certain nombre de convives les regardait, qu’il disait cela… ? Jane balaya la pièce des yeux, et pâlit en croisant le regard noir du vampire, elle se décala instinctivement derrière Sirius et ajouta pour la forme :
« Oui, allez boire, faites des rencontres, tombez amoureux, et arrêtez de vous menacer à couvert. Laissez-nous ce privilège.
— En fait, je ne le menaçais pas, Professeur.
— En réalité, Potter ne me menaçait pas. »
Les deux garçons avaient dit cela en même temps, se tournant d’un même geste vers leur enseignante, et la Moldue tordit la bouche dans une impression de voir trouble. Elle se remémora ce que les jeunes gens se disaient juste avant pour tenter de comprendre leur réponse énigmatique, tandis que Luna pressait Harry de s’écarter du cercle qu’ils avaient formé. Ron inspira longuement pour se calmer, et prenant Hermione par la taille la poussa en direction du buffet. Quant à Sirius, il adressa un bref signe de tête vaguement poli à Draco, et s’effaça quand Morgan Doyle reparue devant lui. Ne restaient que le blond et la Moldue qui tentèrent en vain d’éviter de croiser le regard. Jane amorça un geste en direction d’un plateau flottant, quand le fils de Mangemort attrapa rapidement un verre posé dessus, pour le tendre avec galanterie à son enseignante. Mais la brune ne lui offrit qu’un froncement de sourcils, suivi d’un remerciement pincé.
« Vous devriez accepter de répondre à l’invitation de mon père, commença le plus jeune.
— Vous devriez vous mêler de ce qui vous regarde.
— C’est exactement ce que je fais, Professeur. J’assiste – contraint et forcé – à ce cours, je suis donc concerné.
— Très bien, je vais le dire plus clairement dans ce cas, Draco : si je ne souhaite pas en discuter avec le père, ce n’est pas pour être obligée de le faire avec le fils.
— Vous avez peur ? se moqua-t-il.
— Je me méfie. Et pour l’heure, n’ayant aucune obligation de m’y plier, je décline la proposition.
— Vous ne devriez pas.
— Vous faites toujours les courses pour votre père, Draco ? s’agaça Jane en grinçant les dents sous l’âpreté du vin.
— Je fais ce que ma position me demande. Vous ne comprenez rien à notre monde, n’est-ce pas, Professeur ? »
Jane cligna des yeux par réflexe, elle changea de pied d’appui, tout en tentant de ne pas paraître apeurée par la réplique du garçon. Que savait-il ? Pourquoi disait-il cela ? Pourquoi elle n’était pas restée avec Minerva, au fait ? Elle sentie une vague de panique la submerger, et repensa brièvement à son mentor. Que répondrait Severus, le maître espion, le pro de la réplique cinglante, le roi de l’évasion sémantique, le…
« Vous m’écoutez, Professeur ?
— Veuillez m’excuser, Draco, mais non. La conversation a perdu tout intérêt après que vous m’ayez servi un verre. » Répliqua du tac-o-tac la Moldue.
Les joues de son élève rosirent légèrement, et les yeux gris se plissèrent. Non pas de colère, comme elle aurait pu s’y attendre, mais tout d’abord de surprise, puis d’amusement. Enfin, Draco porta la coupe à ses lèvres pour y dissimuler un rire naissant, puis après avoir bu une gorgée, s’inclina rapidement. Il la laissa à son interrogation. L’avait-il trouvée vraiment drôle au point de lui accorder ce répit ?
Jane était plantée au milieu de la piste, toute habillée de sa belle robe rouge, seule et regrettant d’avoir mis un pied à cette détestable soirée. Une sueur brûlante lui picota soudain le bas des reins, et remonta en se glaçant le long de sa colonne, jusqu’à sa nuque. Elle se retourna lentement, en sentant que c’était au contraire la pire chose à faire, et croisa le regard noir du vampire qui ne cessait de l’observer avec intérêt. Jane déglutit, paralysée, et quand un élève préposé au service passa devant Sebastian en portant un lourd plateau de gambas, la Moldue perdit la trace de la créature qui semblait comme volatilisée. Ayant vu assez de films d’horreur dans sa vie, Jane s’ébroua en direction du buffet sans demander son reste. Elle esquiva un couple d’élèves qui s’élançait sur la piste au rythme de la musique langoureuse qui démarrait, percuta du coude un autre qui servait une pièce-montée de petits fours, et pivota pour éviter une chandelle volante. En se retournant, le souffle coupé, elle put voir au travers de la flamme brûlante un regard embrasé la fixer.
« Bonsoir… »
***
« Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous voulez ? »
Le vieil homme observait Severus d’un air méfiant. Il s’agrippait à sa porte comme si elle pouvait le protéger. Sa main parcheminée blanchissait à vue d’œil sous l’effort, et l’espion comprit que le Moldu s’y tenait également pour ne pas chanceler. William Dale était vieux, très vieux, et il semblait également malade. Ses yeux avaient le voile opaque d’une cécité galopante, et son teint était d’un blanc presque verdâtre. En somme, il était au crépuscule de sa vie, et l’espace d’un bref instant cela rassura Snape qui se repris immédiatement mentalement.
« Est-ce que vous avez emménagé ici courant novembre 2001 ? » Lui demanda-t-il.
Le Moldu observa Snape un instant sans comprendre, réfléchissant à la date et, fronçant d’immenses sourcils broussailleux, répondit d’une voix sèche et cassante :
« En quoi ça vous regarde, qui êtes-vous d’abord ?! Fichez-le camp d’ici où j’appelle la Police ! »
Il lui claqua la porte au nez. Derrière lui, les Carrow ricanèrent en tournant leur masque l’un vers l’autre. Snape ferma lentement les yeux, et pivota dans leur direction en levant légèrement sa baguette. Ils se turent immédiatement sous le regard qu’il leur offrit. Perchée sur la boîte aux lettres du Moldu à l’entrée du jardin, Bellatrix caqueta de plaisir devant l’animalité du Mangemort. Son rire se répercuta dans la rue déserte de ce petit lotissement coquet, tranchant nettement dans le style. Elle sauta de son promontoire, et s’avança presque en dansant en direction de l’espion :
« Alors… ? »
Il ne répondit pas. Severus pointa sa baguette en direction de la porte, qui explosa, projetant des débris de bois dans l’intérieur qui puait le vieux et la mort. Quant au vieux en lui-même, il était tombé à la renverse, soufflé par le choc et se recroquevilla en tremblant lorsque la horde de Mangemort pénétra chez lui.
***
Il n’était pas beau. Mais il était envoûtant. Particulièrement fascinant. Alors, quand il prit sa main dans la sienne et enserra sa taille d’un geste ferme pour les emmener danser, Jane eut à peine le temps de cligner des paupières, avant de se reprendre. Entraînée sur une musique au milieu des autres corps, elle sentit avec effroi qu’elle devrait attendre. C’est un regard courroucé qu’elle lança au vampire, qui ne parut pas s’en émouvoir.
« Vous reprenez vite pied. » Lui glissa-t-il en souriant.
Par l’enfer, sa voix n’était ni plaisante, ni douce. Elle semblait aussi tranchante que les canines qu’il dévoilait et pourtant, elle coulait à ses oreilles pour résonner en elle comme un rythme lascif puissant. Le contraste alarma la Moldue qui jeta un regard paniqué autour d’elle, mais les couleurs tournaient, les visages se mélangeaient les uns aux autres dans une difformité telle que la créature en face de lui n’en paraissait que plus majestueuse.
« Et vous êtes maligne, pour votre race… »
À l’allusion de sa condition, Jane envoya volontairement un coup de talon que le vampire esquiva avec grâce et rapidité. Elle jura, refusant de croiser à nouveau le regard avec Sebastian. Il en profita pour l’approcher de son torse, posa sa joue glacée contre la sienne, ses lèvres au creux de son oreille, de sorte qu’elle était la seule à pouvoir l’entendre.
« Je me demande à qui vous appartenez, petite chose. »
Le cœur de Jane rata un battement. Elle voulut s’écarter, mais il la tenait fermement. La musique ne cessait pas, et s’y mêlaient les rires et les applaudissements des convives. Ça en devenait insupportable.
« Lâchez-moi, ordonna-t-elle.
— Non. Votre Maître ne semble pas ici pour m’y obliger.
— … Je n’ai pas de Maître, espèce de timbré. Lâchez-moi.
— Chut-tu-tu, murmura le vampire en changeant de direction, l’obligeant à croiser le regard. Ne craignez rien petite Moldue, pour le moment, vous ne risquez rien… »
***
« Ne me faites pas de mal ! »
Le vieil homme suppliait d’un air misérable, et cela tira un rire mauvais au groupe de Mangemorts. À l’exception de Severus qui entra dans le vestibule, et réassembla la porte d’un simple coup de baguette. Les éclats de bois vinrent se ficher dans l’encadrement, se montant les uns sur les autres, jusqu’à ce que la poignée s’y encastre, et que le tout sautille sur les gonds. Le judas s’y accrocha en dernier dans un bruit de marteau qui secoua de frayeur la carcasse de Mr Dale.
Dans l’entrée du Moldu se trouvait le meuble haut avec son vide-poches et son téléphone. À un mètre au-dessus était accroché un somptueux miroir doré dans lequel Severus se refléta un bref instant. Le Mangemort croisa son propre regard, et détourna rapidement les yeux, ne pouvant le supporter lui-même. Il soupira d’agacement, et empoigna le col du Moldu pour le redresser sur son séant. Bellatrix ricana en redécouvrant ce Snape-là. Il était impossible de rater l’aspect méthodique et froid de ses gestes. Il n’accordait aucun intérêt ni au Moldu, ni à ses comparses qui se réunissaient en cercle autour du vieil homme, se moquant de la flaque odorante qui s’étalait doucement sous lui. Dale tournait la tête d’un côté, puis de l’autre, ne voyant que des masques moqueurs et inquiétants. Seul l’homme en noir était à visage découvert, mais son profil d’assassin aux traits anguleux ne le poussa pas à se tourner vers lui pour autant. Attendant totalement que l’homme compisse son pyjama, Severus lui reposa la question :
« Avez-vous acheté cette maison aux Evans en novembre 2001 ?
— Je… Je n’sais pas ! Je ne me rappelle pas ! Oh, mon Dieu, pourquoi me demander ça ? Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
— Oh, oh ! Il reste du liquide à l’intérieur de lui…, se moqua Alecto. Regardez !
— Contentez-vous de vous me répondre : avez-vous acheté cette maison à quelqu’un s’appelant Evans ? »
Chaque fois que Severus prononçait ce nom, son ventre se contractait légèrement. Mais son esprit, rompu à l’Occlumancie, barrait toute pensée douloureuse et la seule chose qu’il s’autorisa à ressentir était son agacement croissant devant l’absence de réponse.
« On pourrait pas le tuer pour aller plus vite ? se plaignit Yaxley.
— Non, on a besoin de lui pour connaître l’adresse de Potter.
— J’vois pas l’rapport. De toute façon, on va le tuer à la fin, on peut pas abréger ?
— Fermez-là ! gronda Severus en voyant que son prisonnier tournait de l’œil sous l’effet de la peur. Laissez-le me répondre.
— Arrête de jouer, Snape, contra Bellatrix. Prends les réponses. »
L’espion fit un déplaisant rictus et obéit. Il s’accroupit près du vieillard et releva sa tête pour plonger son regard dans le sien. Sans aucune délicatesse, Severus fouilla l’esprit du William, tournant et retournant le moindre souvenir comme un tiroir en contreplaqué, blessant irrémédiablement le vieil homme. Il prenait les morceaux immatériels et les jetait après les avoir brièvement examinés, jusqu’à trouver un vieux fragment, là, dissimulé sous une épaisse couche de quotidien bien triste. L’écho d’une conversation s’étant déroulée quinze ans plus tôt.
« … Et si jamais je reçois du courrier, où dois-je l’envoyer ? »
Un homme massif à la carrure charpentée du paysan nouvellement arrivé dans la ville soupira de contrariété, son visage arborant une superbe moustache impeccablement peignée s’empourprant. Il leva les yeux au ciel, et balaya la requête de William Dale d’un impatient geste de la main.
« Eh bien, vous l’adressez à Madame Pétunia Dursley, au 4 privet drive à Little Whinging, dans le Surrey ! »
Snape ressortit rapidement du souvenir, lâchant le col du pyjama du pauvre Moldu qui lâcha un râle lamentable. Le corps vacilla, alors qu’il gardait les yeux grands ouverts, l’esprit totalement brisé.
« J’ai l’information, annonça le Mangemort en jetant le sortilège de mort sans sourciller. Allons chasser. »
***
La musique s’arrêta, et Jane en profita pour s’éloigner rapidement du vampire, avant qu’il ne l’attrape à nouveau. Elle marchait rapidement à travers la salle, ses hanches ondulant à cause de ces fichus talons tandis qu’elle cherchait un équilibre dessus et que la terreur qu’elle ressentait lui donnait le tournis. Quand elle arriva au buffet, elle s’y cogna, les deux mains s’y agrippant avec force, n’osant pas se retourner. Elle inspira profondément, le bourdonnement de la soirée l’empêchant de penser raisonnablement. D’un geste désespéré, Jane attrapa le premier verre à sa disposition et en vida le contenu d’un seul trait. Elle grimaça, sentant son ventre protester face à ce qui ressemblait à l’équivalent du champagne chez les sorciers. Elle détestait le champagne, cela l’enivrait trop violemment et lui donnait la nausée. Mais quand elle sentit le monde se fixer à nouveau sous ses yeux et l’alcool alléger sa peur, la Moldue gémit de soulagement. Après une inspiration profonde pour se donner du courage, elle se retourna. Le chasseur n’était plus là.
Jane avisa Harry et Luna qui dansaient étrangement sur la piste, comme s’ils n’écoutaient pas la même musique qu’eux. Les observer se mouvoir l’un et l’autre en harmonie, et pourtant totalement désynchronisés du reste de la salle avait quelque chose d’à la fois étrange et reposant. La Moldue chercha un autre visage familier, Slughorn, là, qui discutait avec Minerva, qui échangeait elle-même avec quelqu’un que Jane ne connaissait pas. Mais ce n’était pas la personne que la jeune femme voulait retrouver. Pour l’heure, perdue au milieu des Sorciers et des créatures magiques – bon sang, combien en avait-il d’autre ? Jane voulait à tout prix retrouver Sirius qui semblait avoir éloigné un temps le vampire. Mais aucune trace de l’Animagus. Un ricanement méchant à son oreille la paralysa. Elle s’agrippa à la nappe du buffet, cherchant des yeux les convives, voir si quelqu’un réagissait, mais personne ne semblait s’intéresser à ce qu’il se passait. Jane se refusa à se tourner. Elle ne voulait pas le voir. Cela n’empêcha nullement Sebastian de s’approcher assez d’elle pour déposer l’ombre d’un baiser sur son épaule, en susurrant :
« Derrière le voile qui s’agite, se trouve votre chien de garde.
— Ne. Me. Touchez. Pas.
— Qui m’en empêchera ? Vous ?… » Se moqua le vampire.
Jane se retourna pour lui jeter à la figure ce qui lui restait de champagne, mais il attrapa son poignet d’un geste ferme. Elle ouvrit la bouche de stupeur, mais aucun son n’en sortit. Il la toisait, goguenard, prenant la coupe de sa main et la reposant sur le buffet. Puis, délicatement, il prit son poignet et le présenta à sa bouche, avant d’y appliquer ses lèvres glacées. Une vague de panique sans précédent s’empara de la Moldue, qui retira violemment son bras. Elle le vérifia sous toutes les coutures, déclenchant un nouveau rire moqueur de la part de la créature.
« Que d’inquiétude… Je ne vous ai encore rien fait… Nous avons toute la nuit pour ça. »
***
« Où est-ce ?! piaillait d’impatience Bellatrix.
— Patience, cherche le numéro 4.
— Quel quartier pathétique ! C’est ici que Harry Potter a grandi ? »
Snape ne répondit pas. Il n’avait vu la rue que dans les souvenirs du garçon, jamais de ses propres yeux. A la vérité, après les événements de la quatrième année, Dumbledore ne s’était plus contenté de garder secrète l’adresse de l’Elu, il avait rattaché sa protection à sa présence. Personne, en dehors de Dumbledore, ou d’une personne portant son sceau ne pouvait retrouver la maison. Mais lorsqu’Harry avait déménagé à l’été…
Ils trouvèrent la plaque parfaitement lustrée qui affichait le numéro, et l’espion sentit la troupe de Mangemorts s’exciter en voyant qu’il y avait encore des lumières dans le salon des Dursley. Alors que Bellatrix s’avançait d’un pas pressé en direction de la porte, Snape lui enserra le poignet pour la stopper. La Mangemort pivota sur le champ, et il eut à peine le temps de décider de ne pas bouger, qu’elle lui avait collé l’extrémité de sa baguette sur la carotide. Mais avant qu’elle ne le menace verbalement, Severus s’approcha d’elle pour la prévenir tout bas :
« La maison d’en face. Arabella Figg. Cracmolle au service de l’Ordre, chargée de surveiller les Moldus. »
Bellatrix regarda par-dessus l’épaule de l’espion dans la direction de la maison de la pauvre dame, et sourit méchamment.
« Que suggères-tu ? lui demanda-t-elle, sans pour autant s’écarter de l’homme.
— De la tuer. D’éviter qu’elle n’appelle la cavalerie. » Répondit Severus en déployant des trésors de maîtrise de soi pour ne pas reculer et remettre de la distance entre eux.
Bellatrix n’approchait jamais personne, certainement pas un homme. Sauf dans un cas très précis, et Severus n’aima pas pouvoir sentir son souffle chaud contre son cou. Mais il n’esquiva aucun mouvement, et parvint à ne pas frissonner de dégoût quand elle lui répondit, presque sur les lèvres :
« Oh non… J’ai très envie de m’amuser ce soir, Severus… »
Elle se décala, abaissant sa baguette et fit signe aux autres Mangemorts de l’attendre. Juste avant d’aller frapper à la porte, elle se ravisa et tendit la main à l’espion. Snape s’approcha, sans mot dire, et la laissa cogner le bois. On entendit quelqu’un maugréer à l’intérieur et une litanie de miaulements divers surmonta l’agacement de l’habitante. Le verrou coulissa bruyamment, et la porte s’ouvrit sur une femme âgée qui perdit immédiatement tout sourire feint quand elle vit le visage de ses visiteurs.
« Oh par Merlin ! »
Mais Bellatrix ne lui laissa pas l’opportunité de dire quoi que ce soit de plus et lui jeta le maléfice de pétrification. Arabella retomba au sol dans un bruit mat qui souleva assez d’air pour faire voleter les touffes de poils disséminées sous les meubles. Un chat noir à l’œil jaune feula menaçant, et la Mangemort cracha dans sa direction avec la même animosité. Snape observa circonspect la brune, incertain quant à ses projets. Mais elle ne lui offrit aucune explication, et claqua des doigts en direction de Yaxley, qui entra et fit léviter le corps. Puis, elle sortit d’un pas joyeux, et arriva presque en sautillant sur le perron du 4 Privet Drive. Là, elle sonna en s’humectant les lèvres par anticipation. Et ils attendirent.
Contrairement à Arabella, cela ne se contenta pas de râler mollement derrière la porte, on entendit clairement les protestations tonitruantes et imagées d’un homme, puis les gémissements plaintifs et aigrelets d’une voix qui demandait le calme. Enfin, le raclement caractéristique d’une paire de chaussons traînée au sol précéda l’ouverture de la porte. C’était un jeune homme massif. Musclé et enrobé, il faisait pratiquement la taille de Severus, mais cela ne l’empêcha pas de couiner en voyant leurs baguettes.
« MAMAN ! PAPA ! YA… YA… OH MON DIEU ! »
Bellatrix éclata de rire, et entra, tandis que Dudley se précipitait dans le salon, trébuchant presque sur le parquet impeccablement ciré. Les autres Mangemorts s’engouffrèrent dans la maison, tripotant bibelots et jouant avec les lumières en ricanant. Yaxley posa sans ménagement Arabella contre la porte du placard sous l’escaliers, et on entendit le jeune garçon s’étrangler :
« ILS ONT TUE LA FOLLE AUX CHATS !
— Chut, ne regarde pas mon chéri, ne regarde pas, balbutia Pétunia sans oser relever le visage vers les Mangemorts.
— QUI ETES-VOUS ? QUE FAITES-VOUS DANS MA MAISON ?! » Hurla Vernon en gonflant sa poitrine autant qu’il le put pour impressionner la bande d’assassins. Mais son pull se tendit sous l’effet et ne projeta que les quelques miettes de chips qu’il grignotait l’instant d’avant en regardant un blockbuster.
« Je suis la vengeance, je suis la nuit. » Répondit la télévision d’une voix grave. « Je suis Batman. »
Alecto grimaça et pointa sa baguette en direction de la télévision qui explosa à l’impact. Severus cligna des yeux en entendant la réplique du personnage, et secoua la tête. Pendant que la famille Dursley hurlait de terreur en regardant l’écran plat fondre et s’affaisser sur lui-même, l’espion chassa rapidement l’association d’idées, et se replongea dans son rôle.
« Vous êtes la famille du petit Harry Potter, n’est-ce pas… ? répondit Bellatrix.
— Qu’est-ce que… ? On n’a plus rien à voir avec lui ! Il n’habite plus ici ! On nous avait promis qu’on nous protégerait ! Qui êtes-vous ?!
— SILENCE, Moldu ! Tu n’as pas à poser de question ! cracha Alecto en pointant sa baguette, menaçante vers Vernon.
— Qui vous a promis une protection ? enchaîna Bellatrix, comme si elle devinait la chute d’une excellente blague.
— Le vieux-là… Dum… Dumbledore ! »
Les Mangemorts éclatèrent de rire, la favorite du Maître plus encore, se tournant vers ses comparses pour partager cette plaisanterie douteuse. Snape grimaça, repensant à son mentor et sachant pertinemment qu’il ne s’agissait-là que d’un de ses innombrables mensonges « pour le plus grand bien ». Bellatrix ne le laissa pas s’appesantir davantage mentalement sur le mage blanc, et lui sourit.
« Explique-leur. »
L’espion s’avança, les autres s’écartant sur son passage. Quand il arriva devant la famille recroquevillée il leur dit froidement et lentement :
« Dumbledore vous a menti.
— Severus Snape…, murmura Pétunia pétrifiée. Je… Je savais que tu finirais mal ! Je savais qu’Elle n’aurait jamais dû… Si Elle te voyait…
— Sauf qu’elle ne me voit pas, Evans, cracha Severus avec toute la hargne que la douleur du souvenir fit remonter. Et si tu tiens vraiment à savoir ce qu’en pense ta sœur, sois patiente. Tu auras ta réponse très bientôt. »
***
Elle était en train de manger un grain de raisin que lui glissait Sebastian entre les lèvres quand elle crut entendre son prénom gueulé à travers sa boîte crânienne. Jane cilla, comme hésitant à s’éveiller, mais les yeux noirs, luisants d’une teinte écarlate intense la fixaient. Elle était bien, là, noyée dans ces yeux, la chair tendre du grain qui croquait sous ses dents. Son jus sucré qui coulait et qui picotait sur ses papilles. Les doigts du vampire, pressés contre ses lèvres, étaient toujours aussi glacés mais la sensation avait quelque chose d’électrisant. Quelque chose d’infiniment sensuel. C’était comme goûter à sa propre mort et en apprécier toutes les subtilités. La voix cria encore dans sa tête. Tiens… En fait, c’était elle en train de se traiter, de… Quoi ?
Jane se redressa instantanément, giflant la main de l’Italien et lui lançant un regard particulièrement mauvais. Le vampire sourit et inclina la tête :
« Je ne suis pas aussi docile que vous le croyez ! cracha-t-elle.
— Ah non ? Peut-être est-ce moi qui vous laisse la bride sur le cou, car j’aime vous voir cavaler avec votre volonté… »
Elle n’aima pas ce qu’il sous-entendait, et s’écarta de lui rapidement, prenant la direction de la sortie. Pourquoi personne ne venait les interrompre pour lui parler ? Où était Slughorn avec ses réflexions déplacées ? Pourquoi était-elle seule ? Jane avait à peine atteint les tentures qui fermaient la pièce, qu’elle sentie la créature en émerger, comme si elle s’était déplacée si vite qu’elle avait pu la précéder. La Moldue serra les dents, repoussant une réflexion toute personnelle sur le fait que Stoker avait peut-être été le plus juste à propos de ces monstres.
« Vous ne pourrez pas fuir. Seulement courir. »
Sebastian glissa une main autour de sa taille et une autre dans son dos pour l’obliger à se tourner vers lui. Ça rappela à la jeune femme vaguement un gars au lycée, un peu lourd… Sauf que ce dernier n’avait pas des pouvoirs psychiques.
« C’est juste, je peux vous obliger à beaucoup, lui répondit-il comme ayant lu dans ses pensées.
— À cause de ce que je suis… ? tenta de reprendre pieds la demoiselle.
— Précisément. Les sorciers ne sont pas affectés de la même façon par nos pouvoirs. Ils ont même tendance à y résister et à nous repérer efficacement.
— Des Van Helsing dans l’âme, murmura-t-elle.
— Vous êtes vraiment distrayante … Ça doit être pour ça qu’on vous garde au chaud ici. C’est l’inverse, en fait. Van Helsing était sorcier. Dans le sang. »
Jane fit l’erreur de relever les yeux et de croiser à nouveau le regard avec lui. La créature lui offrit un sourire satisfait et enjôleur, resserrant sa prise autour de sa taille, comme voulant l’emmener derrière une tenture. Il se pencha vers elle, espérant sans doute voler un baiser, mais elle s’écarta en bredouillant :
« Arrêtez… Arrêtez de jouer avec moi.
— Et où serait le plaisir ? »
***
Bellatrix était en joie. Ils avaient transplané avec leurs prisonniers, et à présent, elle chantonnait une vieille comptine de la Samhain. Si tous connaissaient l’adresse parce qu’ils l’avaient lue dans les livres d’Histoire, ou encore dans les coupures de journaux, seul Severus était déjà venu. 15 années auparavant, pour être exact.
La rue était silencieuse, si l’on exceptait la chansonnette poussée par la Mangemort. Les rues désertes serpentaient entre de grandes maisons de traviole aux façades striées de poutres et à la toiture de chaume. C’était un village médiéval absolument charmant, respirant la magie et la bonhommie, le bien-être et la vie bien rangée. De gros arbres poussaient dans les jardins, touffus et rebondis comme le ventre d’un homme jovial, et la lumière des nombreux réverbères les faisait luire d’une aura verdâtre rappelant étrangement le sortilège de la mort. Et là, au milieu de cette profusion de vies et de vitres embuées par la chaleur des familles heureuses, se dressaient de bien tristes ruines que l’énorme lune de ce 31 octobre découpait nettement dans le décor.
Severus laissa son regard d’obsidienne passer sans la voir sur la maison. Il se concentra davantage sur l’afflux magique provenant de sa baguette, sur les énergies qui volaient autour d’eux, sur l’aura maléfique que dégageait la troupe. Tout ceci était décuplé sous l’effet de l’astre immense, et il en avala de grandes goulées pour s’aveugler de cette puissance. C’est comme ça qu’il arriva à s’approcher de l’immense statue érigée au centre, comme ça qu’il garda le silence quand Bellatrix singea ce qu’il y avait de gravé dans la pierre.
« À James et Lilly Potter, en mémoire de leur sacrifice pour le plus grand bien. » Le plus grand bien… Ah ! Voilà une phrase de faible ! Et regardez le petit chéri qui n’a pas de cicatrice, ooooh… C’est mignon tout plein, ils nous ont mis le bébé Potter comme s’il était mort quelque part cette nuit-là… Ah ah ah. Bientôt, bientôt. Décrochez-moi cette horreur, elle n’a rien à faire au centre d’un village ! »
Nott et Dolohov pointèrent leur baguette en direction du pied du monument, et une énorme fissure trancha nette le socle. Après quoi, ils firent léviter la famille de marbre jusqu’à l’entrée de l’ancienne maison de James et Lily. Yaxley et les Carrow, eux, amenèrent les quatre prisonniers toujours pétrifiés. Bellatrix menait la procession, Severus la terminait, son esprit se refusant à penser à autre chose qu’à la méthode dont il allait devoir faire preuve.
La Mangemort donna un grand coup de pied dans le petit portillon en bois qui branlait à l’entrée du jardin en friche des Potter. Le bruit n’intéressa personne, et la rue resta toujours aussi déserte. Elle continua de trottiner jusqu’à la porte sortie de ses gonds, et la fit exploser d’un coup de baguette. Ils entrèrent dans l’ancien salon, dont la cheminée centrale ne montait plus au-delà d’un mètre. La toiture s’était effondrée sur la cuisine, et la charpente coupait une partie de l’espace. Les escaliers qui avaient un jour porté Severus jusqu’à la chambre de Lily, étaient en grande partie détruits, mais l’espion se coupait trop de ses propres émotions pour en être rassuré.
Il n’y avait plus de meuble. Avec le temps, de nombreux sorciers étaient venus pour prélever un morceau et l’emporter chez eux. Un bout de chaise. Une pièce de rideaux… La maison des Potter avait été gardée en l’état, et devait témoigner de ce qu’il s’était passé, sans pour autant bénéficier d’une protection particulière : seul le temps devait effacer les traces. Le temps, les pillards et autres pèlerins. Alors on jeta à même le sol les prisonniers, qui s’écrasèrent dans un drôle de bruit, les membres rendus raides par le maléfice. Gisaient donc entassés dans des postures improbables Arabella Figg, Vernon, Pétunia et Dudley Dursley.
« On les torture avant de les libérer, ou on commence tout de suite ? s’impatienta Alecto.
— Ah ! Ma chère… J’ai en tête quelque chose de beaucoup plus amusant… Mettez la statue au centre-là. Ah, et voyons… Nous risquons d’avoir un public, ouvrons le rideau. »
Elle se tordit pour tracer un rectangle invisible en pointant le mur. Lentement, comme criant de stupeur, la maison grinça et la pierre crissa. Les poutres couinèrent, et doucement, soulevant une quantité de poussière, le pan de mur s’affaissa pour dévoiler la rue. À présent, le salon donnait directement sur l’extérieur, comme une petite boite à chaussures dans laquelle un enfant aurait découpé une grosse fenêtre. Et eux, au milieu, s’y mouvaient comme des marionnettes destinées à jouer une pièce.
« Voyons… Gardez la sœur-là… Et son fils, laissez-les dans ce coin. Levez le sort, je veux qu’ils puissent crier.
— Ne nous faites pas de mal ! Je vous en prie, ne nous faites pas de mal ! Ne faites rien à mon fils ! suppliait Pétunia tandis qu’ils la collaient contre une poutre effondrée, son ado dans les bras.
— La Cracmolle et le gros, vous me le mettez aux pieds des Potter, là, continua la Mangemort en haussant la voix pour couvrir celle de la mère. Parfait. Enervate. »
Elle lança le sort sur la membre de l’Ordre du Phénix qui cligna des yeux, avant de fondre en larmes et de se jeter aux pieds de Snape.
« Severus, pitié ! Ne les laisse pas faire, s’il te plaît ! S’il te plaît Severus. Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Arrête-les ! Tu dois les arrêter ! Tu es des nôtres ! Je t’en prie, Severus, SEVERUS ! »
Bellatrix observa avec grand plaisir la réaction de l’homme qui regarda longuement la vieille femme, ses yeux obsidienne totalement fixes. Il la laissa se recroqueviller en enserrant les pans de sa robe, comme curieux devant le phénomène. À droite, Pétunia jura :
« Tu es un monstre, je l’ai toujours dit. J’avais prévenu Lily, si elle savait qui était vraiment son ami…
— Aies pitié, supplia Arabelle misérablement, ne les laisse pas faire, tu es des nôtres…
— Elle y croit en plus ! se moqua Alecto.
— Chut, intima Bellatrix.
— Severus, reprit Arabella. Severus, s’il te plaît ! Tu es de notre côté ! Dumbledore nous a dit que tu étais de notre côté !! »
Le Directeur de Serpentard se pencha lentement, saisissant la vieille dame par les épaules. Elle gloussa de soulagement entre ses larmes. Quand il la releva à son niveau, il l’entoura doucement de ses bras, et glissa à son oreille en fixant Bellatrix d’un regard totalement vide :
« Dumbledore s’est trompé. »
***
Il la tenait contre lui, et l’absence de pouls, la froideur de son corps, la rigidité de ses membres faisaient sonner une alarme dans sa tête. Et pourtant, cela faisait une bonne dizaine de minutes qu’ils discutaient tout bas, enlacés l’un contre l’autre. Sebastian l’abreuvait d’anecdotes invérifiables sur l’origine du livre de Bram Stocker, et Jane… Jane se laissait porter par les mots, par cette source qui nourrissait sa curiosité.
Si quelqu’un avait regardé dans leur direction, il aurait vu un couple en fin de soirée… Mais personne ne regarda, et Sebastian aurait tout aussi bien pu la faire disparaître derrière une tenture sans qu’on ne le remarque. C’est cette réflexion mentale qui tira Jane de sa léthargie, alors que le vampire caressait doucement sa nuque d’un index agile. Elle recula, tremblante :
« Peu importe vos plans, vous n’avez pas intérêt à me faire du mal.
— Pourquoi ça ?
— Parce que… Ben parce que ça n’est pas non plus pour rien si je suis ici.
— Et vous êtes là pourquoi… ?
— … Dumbledore ne permettrait pas qu’il m’arrive quoi que ce soit.
— Dumbledore n’est pas tout puissant. »
***
Arabella retomba au sol, comme sonnée, éclatant en sanglots, tandis que Bellatrix caquetait de plaisir. Muets de terreur, Pétunia et Dudley regardaient la scène sans comprendre.
« Je crois que briser la foi de quelqu’un est presque aussi plaisant que de lui briser les os, susurra la Mangemort. Je commence à comprendre ta façon de prendre ton pied, Severus.
— Tu commences seulement, répliqua l’homme en esquissant un rictus terrible.
— Ah ! Je vais te montrer, moi, ce qui me plaît ! Je vais leur montrer à tous. Hein ? On va rétablir la vérité ! Tu invoques Dumbledore, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle à l’adresse de la vieille dame. Ce vieux Dumby qui protège les Sang-de-Bourbes, les Cracmols et les Moldus… Eh bien on va voir pourquoi il vous aime tant, hein ? On va voir si vous méritez la place qu’il veut vous faire dans notre société…
— Lestrange… souffla Amicus choqué. C’est… C’est dégoûtant ce que tu dis, tu veux faire quoi ?
— Un jeu. On va jouer. On va jouer à « Qui a le droit de vivre, ou non ? »… »
***
« Vous croyez vraiment qu’un meurtre à Poudlard passerait inaperçu ? »
Jane était livide, elle avait reculé d’un pas et le vampire avait accepté de la lâcher. Le brun la fixait, sans fermer un seul instant des paupières inutiles, l’observant de ses yeux de prédateur, des yeux qui luisaient légèrement dans la pénombre. Il lui offrit un sourire carnassier, et lui répondit d’une voix basse et sereine :
« Cela ne serait pas la première fois…
— Que… »
Mais la Moldue s’étrangla de silence, repensant à ces rumeurs sur la Chambre des Secrets, sur les sévices corporels perpétués par Ombrage, sur ces créatures qui vivaient dans le parc, sur ces histoires de Détraqueurs attaquant Harry Potter, de Professeur tentant de tuer leur élève. Elle recula encore d’un pas, ce qui n’échappa nullement à la vision du prédateur. Le sourire de Sebastian s’agrandit de plus belle.
« Tu peux courir, si tu veux. »
***
La Mangemort libéra Vernon, et d’un coup de baguette, l’affubla d’un pantalon de toile rouge et d’un chemisier en lin de la même couleur. L’homme grimaça, s’époumonant, sous le sortilège de silence. Sa femme, prostrée dans un coin de la pièce avec leur enfant dans les bras, hoqueta et alpagua une nouvelle fois l’ancienne détenue :
« Ne nous faites pas de mal !
— Je ne vais rien faire, femme. Ferme-la. »
D’un autre coup de baguette, elle transforma ensuite les vêtements d’Arabella de la même façon, lui attribuant un jaune vif qu’on ne pouvait manquer même dans la pénombre. Puis, remuant encore le bout de bois, elle produisit une série de petites flammes qui éclairaient l’endroit comme une scène.
« Bien… Maintenant les règles du jeu. Toi, le Moldu, si tu veux sauver ta femme et ton fils, je te conseille de tuer cette vieille chose. Toi, la Cracmolle, si tu veux sauver ta carcasse, je te conseille de tuer ce gros tas.
— Mais… Mais… Mais c’est absurde ! Mais comment… ? bredouilla la pauvrette.
— Comment ? Mais très simplement : utilise ta magie.
— … Mais je… Je n’ai pas de pouvoirs magiques, je suis… Enfin, je suis…
— Dis-le ?
— … Une… Cracmolle… Une erreur, soupira-t-elle minablement enfin.
— Exact. Mais crois-tu qu’il va hésiter à te faire du mal, hum ? »
D’un geste, Bellatrix libéra la parole de Vernon qui se traduisit par un torrent de jurons. Yaxley voulu envoyer un coup de pied, mais Snape l’en empêcha d’un geste instinctif. Il tourna lentement son regard noir vers son comparse qui ne protesta pas. Une hiérarchie se mettait doucement en place dans cette fosse animale.
« Alors, Moldu ? Vas-tu la tuer de tes propres mains ? Est-ce que tu vas avoir le cran de l’étrangler ? De la battre à mort ?
— … Vous êtes des dégénérés !
— JE T’INTERDIS DE… Soit, se reprit bien rapidement l’insultée. Tu as besoin d’une motivation, je vais t’aider. Donnez-moi le garçon.
— NON ! »
Les deux parents avaient hurlé de concert, plus livides que jamais. Pétunia le serrait si fort qu’il toussa contre sa poitrine, suffoquant dans la peur de sa mère.
« Pitié, supplia-t-elle.
— Alors ? demanda Bellatrix.
— Va au diable, sorcière !
— Severus ? Aide-le à me montrer le respect qu’il me doit. »
Snape tourna son visage vers la mère et l’enfant, la sœur de son ancienne meilleure amie hurla de terreur. Il s’approcha d’un pas décidé, attrapant le gamin par le bras, le tirant brutalement hors de ceux de sa génitrice. Là, il le traîna par les cheveux avec une facilité déconcertante, et le ramena auprès des futurs combattants. Il releva la tête de Dudley, la baguette sous le menton, fixant, impassible, le père.
« VOUS N’AVEZ PAS INTÉRÊT À LUI FAIRE LE MOINDRE… »
Mais Vernon se tut lorsque son fils hurla de douleur, un flot de sang jaillissant de son cou, son nez, et d’une centaine d’autres de coupures, qui apparurent simultanément.
« Êtes-vous prêt à jouer le jeu, maintenant ? » Répondit l’homme en noir d’une voix tranchante comme une lame.
***
La Moldue se cogna à une armure complète qui vacilla sous l’impact, l’entraînant dans sa chute. Le fracas du métal sur les pavés fit un bruit assourdissant et elle gémit de douleur, sa plainte accompagnée du craquement caractéristique de l’étoffe. La robe s’était déchirée, et elle saignait.
« Merde ! Non, non, pas ça, surtout pas ! »
Sa supplique se répéta dans le couloir désert, elle jeta un pauvre regard aux tableaux vidés de leurs occupants.
« Hmm… Tu ne lutte pas correctement petite chose. Ton sang a l’odeur de la peur. En aura-t-il le goût ?
— Va te faire foutre ! »
Jane tournait la tête dans tous les sens, ni portrait, ni fantôme pour l’aider. Elle leva sa robe, frissonnant de froid dans son étoffe élaborée, et enleva ses chaussures à talons.
« Vulgaire, mais maligne… Pars, je vais te laisser dix mètres.
— Espèce de taré ! À L’AIDE !
— Aller, vingt. Mais seulement parce que tu me plais quand tu te cognes aux armures.
— À L’AIDE ! » Hurla encore Jane, se relevant, et reprenant sa course en direction de la Grande Salle.
Elle dévala une série d’escaliers, ignorant la morsure du froid sur ses pieds, ou le sang qui s’écoulait de son genou meurtri. Quand elle aperçut les grandes lueurs rassurantes du hall, elle fit l’erreur de ralentir, et un voile froid l’enveloppa.
« Non, non, pas par là… » Claqua la voix rendue fantomatique du vampire.
Elle s’éleva dans les airs, transportée dans cette drôle d’aura informe qui puait la mort. Elle se débattit avec hargne, donnant des coups de poing et des coups de pied chaque fois qu’elle sentait quelque chose la toucher. Dans le cou, au creux du coude, sur la hanche, sous son oreille. Une série de baisers accompagnés d’un rire victorieux. Elle frappait la brume pour chacun, insultant, hurlant, incertaine quant au fait qu’on pouvait l’entendre dans cette tornade. Puis soudain, le froid. L’odeur de la mousse, l’odeur de la brume, la vraie cette fois-ci. Et elle, la grosse lune. Une grosse lune qui lui fait face, magnifique, magique. Mais une lune traîtresse qui l’expose sur cette allée. Une lune qui ne lui laisse aucun recoin pour échapper à la traque du chasseur.
Jane se relève, alors que la forme s’évapore, elle est seule dans le parc de Poudlard, pieds nus, vêtue d’une robe de soirée rouge sang. De ce genre de robe que portent les victimes dans les films d’horreur… Ou les films de vampires. Jane a beau en avoir vu plein, a beau avoir passé des heures devant son écran à critiquer les personnages… Elle panique devant cette lune trop brillante et sa position à découvert, et elle s’engouffre dans la forêt interdite.
« Enfin tu joues le jeu… »
***
Aux pieds de Severus, Dudley hoquetait en s’étouffant dans son sang. Vernon serra les dents si fort qu’il sentit son bridge se décaler. Il ferma ses poings et les releva devant son visage, fixant la Cracmolle qui pâlit.
« Vernon, souffla Pétunia choquée, incapable de terminer sa phrase.
— Vulnera Sanentur… »
Sans quitter des yeux le Moldu, Severus passa la baguette contre le visage du garçon, murmurant son incantation. Le sang arrêta de s’écouler, et la respiration de Dudley retrouva peu à peu un rythme moins alarmant. Son père coula un regard dans sa direction, de la sueur perlait sur son front, puis il se retourna vers sa cible.
« Je… Mais je ne peux pas me défendre, bredouilla-t-elle.
— Utilise la magie ! ordonna Bellatrix. Plie-la à ta volonté, ou meurs.
— Mrs Figg… Je n’ai pas le choix.
— SI ! SI ! Vous avez le choix ! Ils vont nous tuer de toute façon, ils vont quand même tuer votre petit. SEVERUS ! SEVERUS ! Arrête cette folie !
— Je suis désolé, Mrs Figg, je vais essayer d’être rapide.
— Oh mon Dieu ! Vernon ! »
Pétunia détourna le regard quand elle vit les mains immenses de son mari s’avancer vers le cou gracile de la vieille dame qui gardait jadis leur neveu. Arabella hurla, et se débattit, frappant et griffant son assaillant, son instinct de survie se rebellant. Vernon hésita, assez pour que Severus relève le visage de son fils en le prévenant :
« Dursley… ! »
Il eut l’impression qu’il allait dégueuler sa semaine entière de repas. Déglutissant péniblement, il arma le bras, et l’abattit avec force. Sa femme hurla son nom, mais il eut le sentiment de ne plus jamais en mériter un.
***
« À L’AIDE ! SORTEZ-MOI DE CE CAUCHEMAR ! »
Une énorme branche agrippa l’un des voiles de sa robe et le retint. Jane força en paniquant, déchirant la ceinture qui donnait cette forme si particulière à sa toilette. Le tissu écarlate vola autour d’elle, se libérant en furie et gonflant sous l’air qu’elle propageait en courant.
« Tu devrais être plus discrète, il y a bien pire que moi dans cette forêt… »
Le vampire lui avait dit ça en passant à sa droite, entre deux arbres. Il semblait marcher avec nonchalance, alors qu’elle courrait à en perdre haleine. Jane ne répondit pas pour autant, les poumons la brûlant sous l’effort, et continua d’avancer dans les ronces et les fougères, ses pieds nus s’écorchant sur les pierres.
« À L’AIDE ! répéta-t-elle.
— Tu ne comprends donc pas… ? Personne ne viendra petite chose. Je te l’ai dit : tu peux courir, mais pas m’échapper. »
La Moldue trembla quand elle le sentit la frôler en passant près d’elle. Avec rage, elle attrapa une branche morte qui pendait à un entrelacs de fougères, et tenta de frapper la créature avec.
« VOILA ! Voilà ce que j’attends de toi ! Bas-toi ! Allez ! Bas-toi contre moi humaine ! AFFRONTE-MOI ! »
Jane fit volte-face et hurla en chargeant un vampire avec un ridicule bout de bois.
***
Pétunia gémissait de terreur, Vernon haletait, reprenant lentement conscience de l’endroit où il était, de ce qu’il venait de faire. Les Mangemorts frémissaient d’excitation, à l’exception de Severus qui restait désespérément impassible.
« Des animaux…, siffla d’admiration Bellatrix. Ce sont des animaux. »
Elle avait beau regarder le cadavre de Mrs Figg et les mains ensanglantées de Vernon, son commentaire pouvait s’appliquer à l’ensemble des occupants des ruines. Les Carrow tournaient autour du Moldu comme des rapaces, attendant l’ordre pour l’achever, Yaxley et Dolotov fixaient Pétunia, et malgré leur masque, leur posture laissait entendre qu’ils savaient comment la torturer. Severus gardait toujours le fils à ses pieds, celui-ci retrouvait peu à peu ses esprits, et l’homme qui le tenait était si mort qu’il n’en avait plus rien d’humain.
« Amicus, Alecto… Préparez l’autel, le gros fera l’affaire. J’ai autre chose en tête pour elle et lui.
— NON ! VOUS AVIEZ DIT… ! rugit Vernon retrouvant un semblant d’esprit.
— Pauvres Moldus… Tout le monde vous ment… ricana Bellatrix. Montez l’autel ici. Ça sera parfait. Severus, prends le garçon, Yaxley, Dolohov, préparez la pièce. Toi, ma chère, on va discuter entre femmes…
— NON ! VERNON !
— PETUNIA ! NE LUI FAITES RIEN SALES MONSTRES ! »
Severus et Bellatrix emmenèrent les prisonniers dans ce qui restait de la bibliothèque. Le plancher du premier étage tenait toujours et la pièce était donc plongée dans le noir. La Sorcière projeta quelques flammèches pour révéler une mère terrifiée qui jetait des regards inquiets à son fils, traîné par l’ancien meilleur ami de sa sœur. Bellatrix les observa tous les trois un instant, et Snape sentit au fond de lui qu’il était parmi les victimes… Mais il n’arriva pas à s’en émouvoir, la magie était puissante ce soir, la magie noire. Et ce qu’ils faisaient et faisaient faire ne cessait de la gaver, faisant rejaillir sa puissance sur eux. C’était enivrant, il avait beaucoup de mal à rester sur le fil, à ne pas y succomber.
« Rends-lui son mioche. »
L’espion relâcha sa poigne, et Pétunia attrapa son fils et le serra fort, l’emmenant loin d’eux, se recroquevillant dans un coin de la pièce, près d’un gros livre à moitié calciné. La Mangemort pencha la tête sur le côté, dans une posture faussement attendrie, elle poussa le vice jusqu’à sourire.
« À quel point aimes-tu ton fils ? »
La question resta en suspend dans la pièce, alors qu’on entendait au loin le Moldu hurler de rage. Un instant, Pétunia regarda autour d’elle, comme espérant que quelqu’un viendrait, alerté par ce tapage, mais le bruit distinct d’un coup et le silence par la suite tua tout espoir en elle.
« Qu… Qu’allez-vous faire de nous ?
— Réponds à ma question, femme : l’aimes-tu vraiment ?
— … Oui. Oui, évidemment, protesta-t-elle en passant ses deux bras autour du visage du garçon qui peinait à y voir clair avec la quantité de sang qu’il avait perdu. Qu’allez-vous faire de mon mari ?
— Le saigner. »
La brutalité et la décontraction avec laquelle Lestrange avait dit ça glaça la prisonnière qui cilla, et elle regarda Severus avant d’hoqueter de stupeur. L’homme semblait arborer l’ombre d’un sourire terrifiant.
« Le sang est puissant, Evans, tu le sais, lui expliqua-t-il d’une voix d’outre-tombe. Le Sabbat de la Samhain se fait dans le sang.
— Celui de nos ennemis, parfois…, compléta Bellatrix. Peu importe combien le vôtre puisse être impur, le sang, reste le sang… Même pour un rituel.
— … Vous… Vous êtes des monstres. Vous… Vous comptez tous nous faire ça ?
— Cela, femme, va dépendre de toi, et de la force de ton amour pour ton fils. » Répondit Bellatrix en souriant sadiquement.
***
L’ombre du vampire s’effaça une nouvelle fois au moment de l’impact, et il rit franchement devant la tentative désespérée de la Moldue. Jane arma une nouvelle fois et frappa, mais ses bras engourdis par la fatigue et le froid commençaient à se faire lourds. Contrairement au mort-vivant, elle avait des limites, et était en train de les atteindre dangereusement.
Dans un souffle, l’ombre disparut entièrement, et Jane haleta, sondant du regard les ténèbres qui l’entouraient. Ses bras tombaient doucement sous le poids de la branche qu’elle avait de moins en moins la force de soulever. Elle ferma les yeux un instant, le corps s’abaissant de fatigue, se reposant contre un tronc d’arbre. Juste un petit répit, un tout petit moment…
« Tu pourrais céder, et ça serait plus simple. Beaucoup moins épuisant… Terriblement moins douloureux. »
La Moldue tressaillit en comprenant qu’elle ne prenait pas appui contre un sapin, mais bien contre le corps mort de Sebastian. Il avait passé sa tête dans son cou, contre son épaule, humant pleinement sa crinière libérée et emmêlée par la sueur. Jane ferma les yeux un instant tandis qu’il passait ses deux mains sur son ventre pour la soutenir, l’invitant à se reposer entièrement contre lui.
« Peut-être même y prendrais-tu plaisir…
— Laissez-moi, je… Je m’appelle pas Bella, moi…, demanda-t-elle engourdie par le froid.
— Laisse-toi aller, cède à ton instinct.
— … »
***
Pétunia regarda tour à tour Severus et Bellatrix, arborant une grimace horrifiée. Jamais de sa vie elle n’avait ressenti une telle douleur, un tel désespoir. Son corps entier tremblait de peur, son cerveau s’embrumait, sa vue se rétrécissait à mesure qu’elle fuyait la réalité. Elle entendait distinctement le battement de cœur de son fils, le sien également. Elle n’entendait plus du tout les propos de la Mangemort qui l’enjoignait à faire un choix.
Un choix qu’aucune mère ne devrait avoir à faire…
Déposant un baiser sur le front de son fils, qui murmurait des « Maman, maman ? » inquiets, Pétunia remonta ses bras, jusqu’à ses épaules, pressant le visage du garçon contre sa poitrine. Elle renifla bruyamment, lui promettant que tout irait bien, que c’était bientôt terminé. Elle pressa plus encore, la voix de Dudley montant légèrement dans les aigus, tandis qu’il paniquait sans comprendre ce qu’il se passait. Pétunia étouffa un sanglot, et se mit à chanter la berceuse qu’il connaissait si bien, la voix chevrotante, mourant à chaque « Maman ?! » supplié contre sa poitrine. Elle serra, malgré les coups qui commencèrent à pleuvoir, malgré les soubresauts de panique et de défense.
« Il a peur…, murmura sadiquement Bellatrix en s’approchant. Il commence à comprendre, rassure-le.
— … C’est bientôt… C’est bientôt fini mon chéri… Je… C’est… »
Pétunia n’arriva pas à terminer sa phrase, sa gorge se nouant affreusement, comme si on lui enfonçait une lame en travers de la trachée. Elle ferma les yeux, de grosses larmes brulantes dévalant ses joues et s’écrasant sur le visage violacé du garçon. Il hoquetait affreusement, crachotait des sons qui ressemblaient à des « Ma… » et des « Man… ».
Bellatrix se mordit la lèvre inférieure en observant la scène, ses grands yeux fous rivés à l’expression de désespoir de la mère. Severus la fixait, elle. Ce n’était pas la première fois qu’il assistait à de telles atrocités, ni la première fois qu’il en provoquait. Il lui arrivait même d’y prendre du plaisir. Mais la façon dont Lestrange y goûtait était au-delà de tout…
« C’est… C’est fini mon cœur… C’est… C’est fini… »
Pétunia resta là à bercer encore un moment le corps refroidissant de son fils, sous les yeux hypnotisés d’une psychopathe, et vides de l’ancien meilleur ami de sa sœur.
***
Elle l’avait frappé. Jane avait envoyé les deux coudes en arrière, et s’était tordue pour se retourner et coller une gifle incroyable au vampire. Ce dernier, surpris par son geste n’avait pas esquivé, et ses yeux noirs exprimèrent tout d’abord de la surprise, avant de la fixer avec une rage terrible. Jane déglutit et recula, chancelante.
« Je t’ai dit… Je t’ai dit de céder à ton instinct, siffla-t-il furieux.
— Désolée… » Bredouilla-t-elle avant de prendre la poudre d’escampette.
***
Severus leva la baguette en direction de Pétunia, qui posa lentement ses yeux rougis de larmes sur lui. Elle continuait de balancer son corps d’avant en arrière, tenant son fils dans ses bras comme un bébé endormi. La peur avait quitté ses traits, et ilsn’exprimaient plus que la résignation et le dégoût profond.
« Ça te démange depuis si longtemps… » Cracha-t-elle.
L’homme en noir cligna des yeux, le bout de sa baguette s’abaissant imperceptiblement. Il sembla réfléchir un instant à ce fait, et inclina la tête.
« C’est vrai. » Répondit-il.
Il ne pouvait le nier. Tuer cette carne qui l’avait tant de fois insulté, qui l’avait tant traité de monstre quand il était plus jeune, qui avait essayé de l’éloigner de Lily… Severus sentit une certaine satisfaction à l’idée qu’il allait enfin faire taire cet abominable puits d’insultes. Sa baguette luisait doucement d’une aura verte, pulsant dans sa main, ronronnant au même rythme que son cœur. Elle anticipait elle aussi. Toute sa magie anticipait ce qui allait suivre. Comme toujours, c’était bon, c’était comme une drogue interdite qu’on prenait plaisir à reprendre après un sevrage. Ce soir c’en était que meilleur, la puissance coulait brute, à portée de main, si facilement utilisable. Il eut presque l’impression qu’il pouvait la tuer sans baguette, d’un simple geste, de sa seule volonté.
« J’espère qu’Harry vous règlera à tous votre compte ! eut-elle le temps de murmurer d’une voix ferme.
— Adieu, Tunie. »
L’éclat vert fusa et fonça droit vers la Moldue, la touchant en pleine poitrine dans le silence le plus complet. Elle n’avait pas crié, elle n’avait pas bougé. Son corps s’affaissa contre le mur, le menton tombant sur le sommet de la tête de son fils. Et Severus soupira de contentement. C’était une page de sa vie qu’il venait d’effacer.
Bellatrix l’observa un long moment en silence, plissant des yeux comme pour tirer une quelconque conclusion. Elle s’approcha lentement, tourna autour de lui comme un prédateur, et hocha la tête, avant de tourner les talons.
« Je n’ai plus besoin de toi, Severus… »
Il cligna des yeux lorsqu’elle le laissa, incapable de bouger en regardant ce qu’il avait fait. La magie coulait toujours aussi furieusement en lui, et sa soif de sang semblait à peine émoustillée. Comme mise en bouche. Quand il ressentit le regret de ne pouvoir goûter au terrible Sabbat qui profanait la maison des Potter, il sut qu’il était urgent de partir. Il transplana, sans un regard en arrière.
***
Cette fois-ci, Sebastian ne la laissa pas courir en avance. Il s’éleva rapidement dans les airs, étirant un bras impatient dans sa direction. En voulant l’éviter, Jane tomba à la renverse, dévalant une pente et tombant dans un cours d’eau glacé. La Moldue releva la tête, ruisselante et presque tétanisée par le froid, apercevant le vampire fondre sur elle comme un oiseau de proie. Jane saisit une touffe d’herbe à pleine main pour s’aider à se relever, ses ongles s’enfonçant dans la terre dure. Son genou meurtri raclait le sol mais elle arriva à retrouver ses appuis. Elle s’ébroua, les voiles de sa robe carmin flottant autour d’elle, courant droit vers un écartement d’arbres. Elle n’arrivait plus à crier, plus à appeler à l’aide. Terrifiée à l’idée que la créature ne l’attrape, la jeune femme en venait à souhaiter tomber sur n’importe quoi qu’abriteraient les lieux. La lune interrompit sa course, lorsque brutalement, la cime mourut pour laisser un ciel avalé par cet astre. Sa seule lueur était terrifiante, sa seule taille anormale coupait le souffle. Jane eut nettement l’impression de n’être qu’un lapin pris dans les phares d’une voiture.
Son corps bascula, des griffes s’enfonçant dans sa chair, ses hanches étaient prisonnières d’une poigne ferme, et son dos craqua lorsqu’il fut plié. Bientôt, sa tête lui fit mal. Le nez dans les herbes hautes, elle mit un certain temps avant de comprendre qu’il l’avait percutée et mise à terre. Jane tenta de pivoter pour lui faire face. Elle ouvrit la bouche de terreur, mais aucun son ne sortit. La créature n’avait plus rien d’humain, son visage anguleux était tiré comme un masque déformé, et ses yeux rouges luisaient puissamment dans les ténèbres. La lune rousse fit scintiller la mâchoire effilée du vampire.
« JE T’AVAIS DIT D’ÊTRE DOCILE ! hurla-t-il d’une voix affreusement grave. CELA AURAIT PU ÊTRE PLUS RAPIDE ! MAIS TU JOUES TROP DE MA PATIENCE !
— Arr… Arrêtez, NON ! CA SE SAURA ! »
La créature éclata d’un rire aigrelet, rejetant sa trogne difforme en arrière. Jane donna un coup de genou, puis un coup de pied. Mais ce sont des ombres qui se fendirent sous son geste. Elle se tourna, agrippant les touffes d’herbe, rampant, rampant. Vers où ? Il n’y avait aucune sortie.
« Personne ne te retrouvera. Même s’ils te cherchent, personne ne te retrouvera. Qui se soucie de toi ? Petit animal perdu sans son Maître… »
Jane était épuisée, des larmes brouillaient sa vue, une odeur douce et enivrante parvint à ses narines. Une odeur de fleurs. Elle tirait sur ses bras, ses muscles la brulaient, sa robe se déchirait, s’accrochant au sol, comme se retournant contre elle. Sa nuque frémit de peur quand elle perçu le souffle glacé du mort contre elle. Jane tira encore sur ses bras, les pétales de Lys caressant la peau de son visage comme des mains douces cherchant à la rassurer. Elle pouvait presque toucher le pan de la robe de granit.
« Pitié…, murmura-t-elle devant elle, comme à l’adresse de la figure sculptée.
— J’en ai déjà fait preuve. » Susurra le vampire contre son oreille.
Il avait presque repris une forme complète, Jane pouvait sentir son poids contre son dos, ses hanches clouer les siennes au sol, et ses mains… , ses terribles mains aussi longues que des pattes d’araignées bloquer ses poignets.
« NON ! » Hurla la jeune femme de désespoir quand elle entendit les dents claquer contre son visage.
Elle tenta de se redresser, en vain, envoyant une main désespérée en direction de la paume de granit qui tenait une tige de Lys. Jane ferma les yeux, sentant son dos protester face à sa cambrure. La main du vampire attrapa la sienne avant même qu’elle ne puisse agripper celle de la statue. Le cœur de Jane rata un battement lorsque le souffle saccadé de la créature siffla dans son cou.
« NOOOON ! » Hurla-t-elle encore.
Il y eut un « crack » violent et tempêtueux. Une bourrasque magnétique la fit rouvrir les yeux de choc. Jane sentit une odeur de sang et de feu. Elle sentit également une froideur brûlante s’emparer de son âme. Un instant, elle crut que c’était la morsure de Sebastian, mais ce dernier regardait dans la même direction qu’elle, son masque évoquant la surprise.
Il fallut un certain temps aux trois personnes pour comprendre la scène. La Moldue eut un haut le cœur en croisant son regard. En n’y voyant que ténèbres et malfaisance. L’homme en noir arma la baguette, et fondit vers le vampire qui s’élança dans un même temps dans sa direction. Un sort fusa, et le cri de la créature déchira la nuit. Jane pétrifiée se recroquevilla contre la statue, observant la scène ébahie. Severus et Sebastian roulaient dans une sorte de vapeur noire et informe, comme un rideau doué de vie, projetant des traits d’énergie brute. C’était la première fois que la jeune femme voyait de la magie noire, et elle semblait capable de s’étendre partout, de prendre corps partout. L’air était dense, oppressant, la lune brillait de plus belle, comme ne pouvant se détourner elle-même du combat. Il eut un flash bleuté, et les deux hommes retombèrent au sol de part et d’autre de la clairière. Pendant quelques secondes, aucun d’eux ne bougea, et Jane avala une grosse quantité d’air en paniquant. Elle tenta de se relever, elle voulait aller le voir. Severus se redressa, péniblement, à l’autre extrémité, le vampire en fit de même, pépiant de plaisir face à la difficulté.
« Je crois… soupira-t-il, trahissant pour la première fois une fatigue… Je crois que j’ai retrouvé celui qui tient la laisse. »
Snape grimaça, son regard onyx reflétant pour la première fois l’astre exceptionnel. Il aurait dû chercher à s’échapper. Quelque part, il sentait que la priorité était de mettre la femme en sécurité. Sa baguette pulsait, irradiait de puissance, il avait tellement de rage, tant de noirceur. Il fallait qu’il la déverse sur quelque chose, il devait se repaître de ce pouvoir, le laisser partir, y succomber pour ne plus avoir soif.
« Ne sois pas stupide, Sorcier… Je vais te détruire, et je vais la saigner… Je vais la dévorer. Je vais goûter à sa chair et la… »
Sebastian s’interrompit, stupéfait, quand l’espion donna un coup de baguette. Un trait de sang lui traversa la poitrine et le fluide se mit à jaillir en geysers. Severus s’approcha, courbé comme un animal, agitant la baguette en rythme avec les nouvelles plaies. Sebastian trembla, hoqueta, protesta, son corps déversant ce fluide qui lui était si vital. Ses mains blanchâtres se contractaient, tentant de griffer l’air, de griffer le Sorcier qui s’approchait inexorablement. L’homme en noir n’arrêta pas, et Jane retint son souffle en voyant pour la première fois un sourire qu’elle ne lui avait jamais vu. Un sourire de plaisir, figé, barrant le visage de son ami, s’élargissant à mesure que la créature ployait le genou. Un sourire vicieux. Celui d’un tueur. D’un chasseur. Le même genre de sourire que la créature lui avait adressé.
Quand l’Italien tomba à genoux au sol, suffoquant, la carcasse secouée de spasmes horribles, Severus leva sa baguette et la pointa dans sa propre direction, une lueur dorée éclairant un instant sa poitrine et ses bras. L’aura se nicha jusque dans ses mains, qu’il plaça sur la mâchoire du monstre, enserrant presque son cou. Sebastian ouvrit de grands yeux de terreur, et Snape tira d’un coup sec.
La tête retomba au sol dans un bruit mat. Le tronc s’effondrant sous son propre poids. L’homme en noir s’approcha lentement de la jeune femme, qui le fixait sans le voir, la bouche ouverte dans un cri d’horreur muette. Les yeux verts croisèrent les ténèbres. Il respirait péniblement, comme écrasé lui-même par l’aura qu’il dégageait. Jane comprit alors ce qui séparait le Sorcier du Moldu, elle pouvait le sentir à cet instant, comme une chouette ferait aisément la différence avec un loup. Un instant, elle se demanda s’il allait la tuer. Un instant seulement.
Mais Severus lui tendit une main ferme, qu’elle attrapa sans réfléchir. Il la releva d’un seul geste, l’attirant à lui, couvrant ses épaules et son dos de sa cape. Là, blottie contre son torse, son nez captant les différentes fragrances de sang et de mort qu’il portait avec lui, elle l’entendit lui murmurer tout bas :
« Je ne vous ferai jamais de mal. »
Elle le crut.