« Et pourquoi pas un brevet pour les autoriser à étudier en cours, hein ? Depuis quand Dumbledore tolère-t-il des idées pareilles ? Putain, mais à quel moment vous allez comprendre qu’il est quand même un Mangemort ?! »

Merlin sauta des genoux de Snape pour cavaler en direction de la porte. Il pouvait tolérer beaucoup de choses : la magie, les armures qui s’amusent à lui faire peur, l’esprit frappeur qui le pourchasse, les fantômes, les élèves… Mais que sa maîtresse hurle à tout va comme ça, alors même qu’elle et l’homme en noir venaient de le réveiller en débarquant en trombe dans les appartements… Non. Merlin n’avait jamais rien demandé à personne, sauf peut-être un coin où dormir, un bol de croquettes toujours plein, une gamelle aux produits frais et variés (il avait en horreur que l’on répète une même saveur dans la semaine), de l’eau fraîche, une boule qui roule bien, un truc qui fait du bruit à planquer sous les meubles et – parce que ça restait tout de même le minimum syndical : une planque en hauteur où se cacher quand il en avait marre de jouer les chats sociables. Ce n’était tout de même pas la cuvette des WC à boire, qu’il sache ! Eh bien non, même cela, cette paix qui était la juste rétribution pour sa patience et sa tolérance envers la race humaine, même cela lui était enlevé. D’humeur particulièrement bougonne quand il était dérangé durant sa quatrième sieste de la journée, Merlin décida de s’en aller la queue haute. Puisqu’il était persona non grata chez lui, il irait ailleurs. Non, mais !

Accoudée contre le manteau de la cheminée, un exemplaire du Veritascriptum entre les mains, Jane continuait de respirer à grosses goulées, attendant apparemment que son ami lui donne raison. Dans le canard, il était question de la mise en place d’une mesure phare et audacieuse de « Celui-qui-n’hésite-pas-à-réformer-la-société-Sorcière », à savoir la création de cours obligatoires de Culture Sorcière aux nés-Moldus entrant à Poudlard. L’article expliquait brièvement les tenants de la mesure, les différentes discussions qu’il y avait eu à la chambre des Lords à ce sujet – avec une pleine page consacrée à dénoncer les positions « archaïques » d’un certain Sirius Black qui semblait être le plus grand opposant à ce jour de Malefoy –, mais surtout un dossier complet compilant les témoignages de parents, et autres sorciers ayant bien voulu répondre aux interviews de Delorme. L’édition presque spéciale était menée d’une main de maître, Oaken démontrant tout son génie propagandiste dans la manœuvre.

« Il l’avait déjà annoncée lors de sa prise de fonction, Miss, commença Severus avec patience. Quant à…

— Oui, c’est vrai, mais si ce n’est pas une nouvelle, pourquoi on s’retrouve à devoir transplaner au QG ?

— J’aurais pensé que de revoir votre ami cabotin vous aurait fait plaisir.

— Severus… Ne recommencez pas avec votre jalousie mal placée.

— Nous devons faire un point sur les forces en présence à Poudlard, et trouver une solution pour différer cette décision, changea-t-il de sujet. Le Directeur ne souhaite pas qu’elle soit effective cette année.

— Pourquoi ? Parce qu’il devrait alors gérer ça de son vivant ? »

Le regard obsidienne de l’espion s’étrécit soudain, et la jeune femme le soutint en haussant les épaules.

« Pas la peine de chercher à me faire peur, vous savez que j’ai raison.

— Cela vous gênerait-il de lui témoigner du respect… ? siffla-t-il.

— J’en ai, et j’ai même de l’affection pour lui. Sauf que c’est pragmatiquement une des raisons pour lesquelles il veut repousser ça, n’est-ce pas ? À moins qu’il y ait autre chose ?

— Je n’ai rien à vous dire, mettons-nous en route, il va paraître suspect que nous ayons du retard. »

Snape tourna les talons brusquement et ouvrit la porte en trombe. Il ne prêta pas attention au chat qui attendait, et qui s’élança dans les couloirs. Jane leva les yeux au ciel, et attrapa sa boîte et son briquet qu’elle rangea en boudant dans son gros manteau. Quand ils atteignirent le parc, elle rabattit la capuche épaisse sur sa tête en frissonnant. L’air de cette mi-novembre était particulièrement glacial, et le vent qui dégageait le ciel achevait de transir de froid toute personne sortant à une heure aussi tardive. La nuit était belle, la lune argentée incomplète éclaira brièvement le visage blanc de la demoiselle qui cherchait à s’emmitoufler le plus possible. Snape arqua un sourcil en l’observant :

« Vous êtes vraiment vexée ?

— Vous dites ça pour la capuche ? Non, je me pèle le…

— Ça va, prenez mon bras.

— De toute façon, j’ai bien compris que vous ne m’expliquerez pas ce que fabrique Dumbledore depuis cet été, je ne suis pas stupide, Severus, je vois bien que son accident et ses absences sont liés. Il ne veut pas que quelqu’un du Ministère fourre son nez dans son école alors qu’il intrigue…

— Je ne vous ai jamais trouvé stupide, sourit Snape en l’enlaçant pour transplaner. Seulement lente à vos heures perdues… » Ajouta-t-il alors que les couleurs dansaient violemment autour d’eux.

***

Harry se rendit compte qu’il fixait Luna depuis une dizaine de minutes, déjà. Il rougit, mais heureusement la blonde préférait continuer de tresser des fleurs bleues aux branches du chêne qui trônait au centre. Elle ne lui prêtait aucune attention, semblait-il, ce qui lui laissait le loisir de la contempler. Non, Harry Potter ne contemplait pas une jolie fille, il était simplement venu faire ses devoirs dans cet endroit précis, et il venait seulement de lever les yeux de son essai sur les sortilèges de protection. Voilà. Luna pouffa de rire, avant de se tourner lentement vers lui.

« Tu peux venir m’aider, si tu le souhaites. »

Harry piqua un fard, et relut pour la quatrième fois ce qu’il venait d’écrire. Son amie reprit son ouvrage, n’émettant aucun commentaire supplémentaire. C’était ce qu’il aimait le plus chez elle : sa façon de le comprendre. C’était embarrassant, présentement, mais reposant, qu’elle ne l’assaille pas de questions, qu’elle comprenne à demi-mot et lui laisse le temps de formuler les choses. Est-ce que c’était ça

« Je ne sais pas si je vais aller voir Snape, en fait. »

Il avait jeté ça, comme ça, plutôt que de terminer la question qu’il formulait mentalement. Son esprit avait rapidement fait un drôle de lien. Un instant, il s’était demandé si la complicité qu’il partageait avec Luna était de même nature que celle entre sa mère et… Il avait gardé les yeux baissés, et c’est une paire de pieds nus aux orteils gigotant qui lui répondit avec la voix de la Serdaigle :

« Pourquoi tu n’irais pas ? Sirius a bien dit que c’était la personne la mieux placée ?

— Ouais, mais… Je connais Snape, c’est pas le genre à partager des tranches de son passé comme ça. J’me vois assez mal lui proposer d’aller boire une Bierraubeurre et d’en discuter autour d’une chopine, tu vois ?

— Eh bien ne lui propose pas de Bierraubeurre, alors, répondit Luna avec une simplicité déconcertante.

— Non, mais c’est pas ça le problème… Peu importe ce qu’on va boire, j’pense que c’est mort, il va me tuer si j’aborde la question.

— J’en doute, répliqua Luna, en poussa Harry à rester immobile tandis qu’elle lui accrochait les dernières fleurs qu’elle avait dans les cheveux. S’il supprime Harry Potter, il ne pourra jamais venger ta maman, ni se libérer. Je ne crois pas que le Professeur Snape soit… »

Mais un miaulement dépité les interrompit. Dans l’angle, le chat blanc du Professeur Smith les fixait avec un mépris à peine masqué. Harry renifla d’agacement, il n’avait jamais vraiment pardonné à l’animal de lui avoir coûté sa cape d’invisibilité. Luna s’écarta de son ami et remit ses chaussures.

« Viens, Harry. Il est temps qu’on laisse la place, et le groupe aura peut-être d’autres idées de boissons à partager.

— Ca n’est pas le… »

La blonde ne le laissa pas terminer et le tira par la main, le poussant à se lever. Harry hésita à protester, en particulier quand le ronronnement du chat lui parvint – lui faisant instantanément monter la moutarde au nez –, mais Luna accéléra. Une fois dans le couloir, le tenant toujours par la main, elle s’élança en sautillant, et Harry Potter dû apprendre à courir en jonglant une jambe sur l’autre.

L’espace enfin libéré, Merlin avança dans la lumière magique pour se pelotonner contre les racines étrangement chaudes du chêne. Son ronronnement atteint son paroxysme quand il arriva à trouver une bonne position pour s’enrouler, une patte négligemment posée sur le truffe pour lui masquer les yeux. Un souffle glacial le fit frissonner, et le félin miaula, agacé.

« Je ne vois pas ta maîtresse à tes côtés, jeune Merlin… »

Ne pouvait-il avoir la paix ? Était-ce trop demander qu’il se retrouvât maintenant en train de se faire sermonner par un fantôme. Et puis d’abord, pourquoi elle l’embêtait avec l’humaine, hein ?

« Je croyais que tu avais compris l’importance de ma requête, mon ami… continua Helena de sa voix d’outre-tombe. Cela fait maintenant plusieurs mois que je t’ai chargé de cette mission… »

Merlin observa le fantôme de ses yeux perçants, ça n’était pas tant qu’on lui demande encore l’impossible qui lui posait problème, c’était le fait qu’on lui reproche de ne pas le faire en temps et en heure. D’ailleurs, ça n’était pas le nœud du sujet, en réalité :

« Pourquoi diffères-tu ma requête, jeune Merlin ? L’heure devient de plus en plus pressante, il est nécessaire que tu organises une rencontre avec ta Maîtresse ! »

Ah… ! C’était donc ça qu’il avait à faire. Le chat cligna lentement des yeux, ses moustaches en guise de sourcils tremblant légèrement. À quoi s’attendait le spectre, au juste, qu’il ait une mémoire de bipède ? Il n’était qu’un chat, après tout. Les messages, c’était plutôt de l’ordre des hiboux dans cette maison de fous, non ?

« C’est juste…, murmura le fantôme comme lisant toujours aussi bien ses émotions. J’ai peut-être surestimé ton intelligence, je n’ai pas l’habitude de… attend ! »

Il y avait des limites à ce qu’il pouvait tolérer, et se voir insulter en était une à ne pas dépasser. Peu importe l’urgence de la situation – qui ne le concernait en rien, du reste – le fantôme n’avait pas à lui parler comme ça. Il était bien aimable de partager le jardin, sans qu’elle ne l’invective de la sorte. Le chat bondit hors des racines et retourna errer dans les couloirs à la recherche d’un endroit où il ne serait ni jugé ni réveillé.

 

***

Le mois de novembre continua de leur échapper dans une ambiance de plus en plus froide. La réunion de l’Ordre du Phoenix au sujet de la loi sur l’intégration des nés-Moldus ne fut que la première d’une longue série et bientôt, Severus regretta le calme du début de l’année. Le renoncement du Seigneur des Ténèbres à s’attaquer frontalement à Potter lui laissait un temps libre que Dumbledore s’était récemment accaparé. Halloween avait eu des conséquences bien plus désastreuses qu’initialement prévu. Si eux avaient pu gérer l’horreur de ce à quoi ils avaient assisté – ou fait, l’opinion publique s’en trouvait durablement altérée. Malgré l’ouverture de nouveaux quotidiens, la concurrence entretenue par les titres ne faisait que renforcer l’hystérie croissante de la populace. Désormais, la Gazette du Sorcier proposait une édition par jour, deux éditions spéciales par semaines, et de nombreux dossiers ; le Veritascriptum s’était spécialisé dans les témoignages et paroles données aux Sorciers – sans oublier leurs numéros spéciaux aux titres racoleurs comme « Comment sauver l’Angleterre », « La dictature des anti-Sang-Purs » ou plus récemment :  « L’Auror est-il à la hauteur ? », un dossier consacré au parcours de Scrimgeour et remettant en cause sa compétence après les récents événements. Quant au Chicaneur, il publiait surtout des tribunes anonymes de plus en plus rares de Sorciers cherchant à s’opposer à la vague conservatrice qui montait partout dans la Communauté.

Jane n’y écrivait plus depuis le début de l’année scolaire. Elle manquait cruellement de temps, plus encore depuis qu’un groupe d’élèves inter-maisons avait demandé la mise à disposition de l’appareil magico-technologique. Le groupe s’était fait appeler « Les amateurs de la toile cirée », puis « Les spectateurs magiques », avant de s’arrêter, sous proposition de l’enseignante, au sobre et faussement innocent « Les visionnaires ». Le club avait pour but de proposer deux films par semaine, et Jane surveillait tout naturellement le déroulement des séances. Bien que rejointe de temps à autre par Minerva ou Fillius, la jeune femme ne pouvait plus se permettre d’écrire des heures durant. Elle avait transposé la guerre sur le terrain des images et de la jeunesse, avec à la clé une réactivité de leur part particulièrement intéressante. Si le club n’avait rien d’obligatoire, dès la deuxième session on y avait vu un monde assez incroyable, au point que l’on dût trouver un moyen de déplacer et d’installer le dispositif dans la Grande Salle. De fait, les Serpentards étaient parfois également de la partie, ce que Jane n’avait pas manqué d’exploiter. Elle garda pour les soirées les films les plus oniriques et merveilleux, amusant la galerie avec des titres connus de SF, de fantastique, et quelques pépites animées, mais lorsque les « incidents » commencèrent, l’enseignante préféra accélérer son programme.

Les journaux appelaient cela « des incidents », là où aux réunions de l’Ordre, on n’hésitait pas à employer des mots comme « attaque », ou encore « expéditions punitives ». Les exactions de Bellatrix n’avaient fait que renforcer certaines passions destructrices chez divers Sorciers qui n’attendaient que ce prétexte. Si Lestrange faisait profil bas depuis Godric’s Hollow, quelques agressions avaient eu lieu çà et là aux domiciles de Moldus, et parfois même de famille de nés-Moldus. Lucius Malefoy s’était très largement appuyé sur ces événements pour justifier la ratification de la loi sur les cours pour aider à introduire les nouveaux élèves. Et même si Sirius Black continuait de s’opposer à lui, jouant sur un nombre incalculable d’outils législatifs à sa disposition (il était même allé jusqu’à demander une commission d’enquête), l’opinion publique, elle, commençait à croire que le problème venait du manque d’intégration des gamins. Ce glissement d’une rapidité alarmante, usant de méthodes tout à fait légales, avait fait sortir Jane de sa mesure, et elle avait alors envoyé une lettre suppliante à son amie Diane qui la fournissait depuis septembre en DVD. Jusqu’ici, cette dernière avait gentiment accepté de lui faire parvenir des copies matérialisées du catalogue de films que son célèbre employeur proposait en streaming, mais quand Jane avait expressément demandé certains titres, la Moldue avait trouvé non pas un colis à Pré-au-Lard, mais une lettre griffonnée rageusement lui promettant de la forcer à tout lui dire « si ça continuait comme ça ». Jane s’était arrangée. Elle avait calmé le jeu, utilisant Snape malgré lui, et elle avait obtenu les films dont elle avait besoin. Diane Aberline, qui était alors « Manager Social Media » au sein de Netflix, était donc persuadée qu’il se passait bien quelque chose entre Jane Smith et l’homme qu’elle avait rencontré l’été d’avant, et avait arraché la promesse d’avoir les détails croustillants en premier sur l’étrange rituel cinématographique que les tourtereaux pratiquaient. Jane en avait encore honte, mais les derniers films gravés valaient le coup et l’enseignante horrifia ses élèves de 5ème, 6ème et 7ème années en leur passant « La liste de Schindler » et « Hitler la naissance du Mal ». Elle les traumatisa avec « La vie est belle », à un point tel qu’elle se prit une volée de bois vert à une réunion de l’Ordre juste après. Défendue étonnamment par Maugrey – qui n’avait évidemment pas vu les films, mais abondait largement dans l’idée de mettre les gosses faces à des réalités – Jane avait enfoncé le clou avec la première série qu’elle présenta aux élèves, une série allemande sous-titrée en Anglais que Diane lui avait déniché : « Generation War ». Ils n’avaient commencé que le premier épisode, mais déjà, le lien évident avec leur situation avait rendu mal à l’aise ses élèves. La série racontait comment un groupe d’amis allemands de sexes et de parcours différents vivait la Seconde Guerre mondiale. Déconstruisant les clichés et intense, la série avait eu un écho très puissant chez les Gryffondors et Serpentards.  Novembre avait été pour les élèves un mois de violence historique et culturelle inouïe, et Jane n’imaginait pas s’arrêter aux films quant à la question du fascisme.

Impossible pour les eux de ne pas comprendre où elle voulait en venir, et le renforcement du dispositif de sécurité à Poudlard, la création de l’unité spéciale évoquée par Malefoy à l’automne, l’hystérisation globale de la Société ne faisaient rien pour la contredire. Il n’était plus possible d’entendre une conversation, fut-elle mondaine ou familiale, qui ne traitait pas de la place des Nés-Moldus dans la Société Sorcière ou du changement culturel en cours. Jane qui avait quitté un Londres Moldu obnubilé par les attentats irlandais, la menace d’une intelligence artificielle et le réchauffement climatique, savait que la guerre que menaient les Sorciers n’était en réalité pas contre Voldemort. Tôt ou tard, ils allaient paniquer quand ils comprendraient de quoi était capable… quoi ? Sa race ? Son peuple ? Ses gens ?

« Une jolie jeune fille comme vous ne devrait pas gâcher sa mine à être si inquiète ! » Pouffa Slughorn en entrant dans leur salle de professeurs. Il était probablement le seul à conserver sa bonhommie habituelle, et il clamait partout qu’il fallait être heureux : décembre était arrivé, et le mois de Noël se devait d’être célébré dans la joie et la bonne humeur.

L’ambiance était loin d’être chaleureuse à Poudlard, même si de temps à autre on voyait les élèves rire ou s’émerveiller devant un film, discuter entre eux, et trouver encore le cœur aux rapprochements. C’était d’ailleurs la chose la plus incroyable chez cette jeunesse : elle semblait incapable de renoncer à la légèreté et à l’amour. Une source d’espoir d’après Dumbledore.

« Je sais ce qui vous ferait du bien, Jane, reprit Slughorn bien qu’elle ne répondît pas. Vous avez besoin de vous amuser, de sortir, de voir du monde ! Vous vous enfermez continuellement, on vous voit rarement en dehors de votre salle et de vos appartements. Où passez-vous vos week-ends ? »

Jane releva le nez de ses notes, et haussa les épaules :

« Vous exagérez Horace, je mange à la notre table, et je débriefe mes cours ici.

— Certes, certes, mais je parlais de sortir vraiment, en bonne compagnie, vous amuser un peu.

— Ben je…

— Miss Smith est souvent accompagnée du Professeur Snape quand elle va chercher ses étranges colis, glissa Pomona d’un air entendu.

— Oh, oh, vraiment ? s’enquit Slughorn en s’approchant lentement comme une salamandre prête à dévorer sa proie.

— Non, on se croise à Pré-au-Lard, mais…

— Pas du tout, coupa Chourave en déclenchant un gloussement amusé chez Flitwick. Je vous ai déjà vus sortir du château ensemble et rentrer au château ensemble.

— Il n’y a pas trente-six chemins pour faire Poudlard-Pré-au…

— Non, mais de là à le faire tous les deux, à la même heure…

— C’est vrai que cela pose des questions, ponctua Horace.

— Non…, commença doucement Jane en inspirant pour ne pas s’énerver. Ce n’est que…

— Oh, puisqu’on parle du loup ! s’exclama Chourave. »

Slughorn sembla trouver l’expression tout à fait drôle, car il partit à rire à gorge déployée. Snape venait d’entrer dans la salle, une boîte sous le bras, et il fronçait à présent tant les sourcils qu’ils n’en formaient plus qu’un. Il regarda tour à tour les professeurs en place, avant de s’arrêter sur Jane et de marmonner :

« Qu’est-ce que vous avez encore dit ?

— Oh, mais ça va, oui ?! craqua-t-elle en se levant d’un bond.

— Attendez ! Attendez, l’arrêta Slughorn en riant. Jane, mon enfant, et si vous veniez justement à ma soirée avant les vacances ? Vous pourriez venir accompagnée de…

— Non ! »

Jane et Severus avaient répondu d’une même voix glaciale et ferme. Cela fit immédiatement mourir l’hilarité du vieux Serpentard dont le visage se dégonfla comme une baudruche. Il parut se tasser, douché par leur réaction et balbutia pratiquement :

« Je ne voulais pas paraître indiscret…

— Ça serait bien la première fois, ironisa Snape en tournant des talons sans demander son reste.

— Miss Smith, je suis désolé si…

— Laissez tomber Horace, c’est gentil pour l’invitation. »

La précipitation avec laquelle la Moldue repartit fut un bref sujet de commérages. Jane ne savait si elle préférait qu’ils sachent la raison de son refus, ou qu’ils imaginent encore quelque chose à leur sujet. Elle pressa le pas dans le couloir, tentant de remettre de l’ordre dans les feuilles qu’elle avait embarqué à la va-vite en partant. Severus n’avait pas marché à grandes enjambées comme à son habitude, il semblait l’attendre. Quand elle le rejoint, elle lui sourit simplement, et il hocha la tête.

« Je n’avais pas à me mêler de ça, murmura-t-il du bout des lèvres tandis qu’ils évitaient un groupe d’élèves.

— Non, mais je comprends que vous préfériez éviter tout incident. »

Ils descendirent naturellement vers les appartements de Snape. Arrivé devant la porte, Severus pinça les lèvres :

« Vous comptez prendre encore mon canapé pour votre bureau ?

— À vous de voir, j’ai encore un peu de travail avant la projection de ce soir.

— Et vous êtes bien mieux installée en tailleur, qu’assise face à un secrétaire en chêne massif.

— Est-ce que je vous juge quand vous traitez les Poufsouffles de Boursouflets chez moi ?

— L’inspiration me vient mieux dans votre fauteuil. » Répliqua-t-il en entrant chez lui.

Il laissa la porte ouverte, signe qu’elle pouvait le suivre et ils prirent naturellement place. Lui à son bureau, elle sur son canapé.

« On devrait peut-être échanger d’appartement, en fin de compte, murmura-t-elle.

— Je ne vois pas pourquoi. »

Il s’installa rapidement à son bureau, posa et ouvrit la boîte, avant d’en tirer les premiers rouleaux de parchemin.

« Pourquoi continuer de leur faire faire des devoirs écrits, si vous détestez corriger ?

— Parce qu’ils détestent plus encore le faire, et lire mes corrections, d’une part. D’autre part, je ne peux totalement me passer de la théorie dans ma matière. Parfois, le savoir est plus utile que la baguette.

— Et c’est quelles années, ça ?

— Les troisièmes, nous avons traité des loups-garous, je pense que vous comprendrez pourquoi nous éviterons toute pratique.

— Ouais… Et vu ce que Lupin raconte de son espionnage… Vous croyez qu’il va…

— Jane…, soupira Snape agacé. Pouvez-vous me laisser travailler ? Posez ces questions aux réunions, elles sont faites pour ça.

— Oui, c’est vrai. Excusez-moi. »

Le silence revint dans la pièce, et la jeune femme releva son tas de feuilles pour les tasser avec vigueur sur la table basse. Snape grogna, et se pinça l’arête du nez.

« Très bien, qu’est-ce qu’il y a ?

Rien.

— Oh, Merlin, Jane… C’est pour ça que je vis seul… Qu’est-ce que vous… Ah, s’arrêta-t-il en l’observant. C’est l’allusion d’Horace qui vous a fait repenser à Halloween.

— Oui, c’est bête, mais j’aurais préféré qu’il n’en parle pas. Vous avez lu dans mon esprit, encore ?

— Non, je décode les émotions des gens, c’est mon rôle.

— C’est loin d’être une évidence quand on vous voit agir, mais…

Ca, c’est parce que je m’en moque aussi paradoxalement. »

Il avait dit cela en souriant en coin, et ça sembla suffire pour éclairer le visage de la jeune femme. Elle pouffa, et hocha la tête.

« Bon, c’est pas tout, mais vous me retardez dans mon travail, Severus. Concentrez-vous.

— C’est ça. »

L’un et l’autre se plongèrent dans leurs textes, un vague sourire accroché aux lèvres, et le calme revint totalement dans la pièce pendant un bon quart d’heure. Seuls le crépitement du feu et de temps à autre les grognements de Snape – accompagnés de ratures rouges et nerveuses – vinrent à troubler la paix ambiante. Ils avaient réussi à se remettre dans leurs univers respectifs quand on frappa timidement à la porte. Les deux adultes s’observèrent, s’interrogeant en silence sur la responsabilité de ces coups, avant qu’une autre volée – plus affirmée – ne confirme qu’ils allaient être dérangés. Snape inspira, et son amie se leva et ramassa ses affaires pour sortir du cadre de la porte.

Ça n’est pas qu’ils avaient quelque chose à cacher. Ils ne voulaient simplement pas alimenter les ragots qui allaient déjà bon train. Et puis, personne n’avait besoin de savoir combien de temps ils passaient ensemble, non ? Fort heureusement, leur sens du secret évita à Severus d’ouvrir son intimité à un Harry Potter qui semblait incapable de garder les deux pieds en place. Le garçon se balançait l’un sur l’autre, les yeux fixés au sol. Quand il salua son Professeur, cela fut en rougissant, et l’espion comprit immédiatement qu’il n’allait pas aimer la suite.

« Heu… Bonsoir… Heu… Professeur Snape.

— Monsieur Potter.

— Voilà… Heu… Je me demandais…

— Nous nous demandons tous.

— Ouais, enfin… Je me demandais si vous… Enfin… Heu… Est-ce que vous auriez du temps à me consacrer ? »

Snape arqua un sourcil en esquissant un rictus méprisant et Harry piqua un fard, avant d’inspirer profondément.

« Non, mais c’est quand même important, en fait.

— Cela ne peut attendre ?

— Ben… C’est que j’ai quand même pas mal attendu… Et que… Je suis là à la demande du Professeur Dumbledore. »

Le garçon se dit qu’il aurait dû probablement commencer par ça, car Snape se décida à lui ouvrir d’un air soupçonneux, dévoilant son salon. Harry entra à son invitation, fixant le bureau où il ne pouvait manquer les copies raturées dans tous les sens. Il prit place sur le canapé, tandis que son enseignant s’accouda au rebord de la cheminée, dos à la porte de sa chambre.

« Je vous écoute, Monsieur Potter, qu’est-ce qu’il y a de si urgent ?

— Bon… C’est… Écoutez, c’est compliqué.

— Pour vous, sans doute.

— Non, mais… s’il vous plaît, me rendez pas la tâche plus difficile…

— Crachez le morceau ou je viens le chercher moi-même, s’agaça Severus. »

Harry hésita un instant de trop, et sans même tirer sa baguette, l’homme plongea dans son esprit avec brutalité. Pressé, il laissa transparaître son envie d’en finir et… Qu’est-ce que c’était que ça, que cachait-t-il ? Harry claqua les portes de son esprit avec précipitation, hésitant à s’engouffrer dans la petite lumière qu’amenait Snape avec lui. L’espion ralentit en comprenant ce que le gamin avait en tête, et ils se firent mentalement face, jusqu’à ce que Severus ne lui agite un fragment de ce qu’il lui dissimulait. Comme un enfant à qui ont tient la dragée haute, Harry s’y précipita, curieux, et Severus esquiva l’attaque et profita pour la retourner contre son cadet. Il put entendre le Gryffondor râler quand il découvrit le souvenir qui concernait Luna et lui dans le sanctuaire.

« Je suppose que vous ne venez pas me demander mon opinion sur votre couronne de fleurs… commença-t-il en rompant le lien.

— Non, pas vraiment, non. Pourquoi vous chopez toujours ce genre de détails de ma vie privée ?

— Parce qu’à votre âge ce genre de choses constitue le quotidien, sans doute. Très bien, quel rapport avec Dumbledore au juste ?

— Est-ce que vous êtes au courant de tout, en fait ? demanda Harry après un instant de réflexion.

— C’est maintenant que vous vous souciez de laisser filtrer ça, Potter ? Oui, je sais. Je sais aussi pourquoi vous ne pouvez pas passer une soirée en tête à tête avec Miss Lovegood le 23 décembre prochain…

— Je ne vois pas de quoi vous voulez…

— Potter, vous voulez me parler de quelque chose que je ne souhaite pas évoquer, et qui m’est très personnel. Donnez-moi une monnaie d’échange.

— Mais ça n’a rien à voir, et puis ça vous servirait à quoi ce genre de détails à me sujet ? »

Snape pinça des lèvres, mais à force de le fréquenter, Harry comprit qu’il réprimait un sourire. L’homme se détourna de lui pour se diriger vers son bar. Il s’arrêta un instant, relevant la tête en direction de la porte de sa chambre. Le jeune homme cligna des yeux quand son Professeur le complimenta.

« Vous commencez à comprendre comment raisonner avec intelligence. Je ne critique pas votre choix, Potter. Je ne m’y intéresse pas le moins du monde, d’ailleurs. C’est uniquement pour que nous soyons sur un même pied d’égalité en matière de gêne.

— C’est ça. Vous me posez presque autant de questions que notre Directeur à propos de Luna… Quoi que non en fait, lui il… Enfin vous ne comprendriez pas à quel point il peut être intrusif. »

Les épaules de l’espion tremblèrent un instant, et Severus toussa avant de se retourner avec deux verres. Harry se demanda s’il avait tenté de contenir un rire. Il prit le godet qui lui était tendu, et renifla avec suspicion.

« Si je voulais vous empoisonner…

— Ce n’est pas ça, c’est que ce n’est pas du jus de citrouille.

— Croyez-vous que je sois encore en âge d’en boire, Potter ? Je n’en ai pas dans mon bar. Venez-en au fait. Il n’y a pas beaucoup de raisons pour lesquelles vous viendriez me voir compte tenu de la mission qu’Albus vous a confiée.

— Ah. Vous savez donc, confirma Harry en prenant une petite gorgée de l’étrange liqueur fraîche et légère qu’on lui avait servie. Bon, voilà… Je me vois mal choper Slughorn…

— Le Professeur Slughorn.

— Ouais. Je me vois mal lui demander comme ça s’il peut me raconter un peu son entrevue avec Vol… Heu, Jedusor. Je pense qu’aller le voir à la soirée, ça risque de faire tache entre le champagne et les petits fours.

Vous croyez ?

— Ouais, ouais. Bon, je sais, pas la peine d’en rajouter. C’est pour ça que je suis là : j’ai demandé à Sirius de m’en dire plus sur Slugh’, ‘voyez ? Et heu… »

La lueur de mépris qu’il capta dans les yeux de son enseignant ne lui échappa pas. Pas plus que le léger tic nerveux qui agita sa joue gauche. Harry vit que Snape avait deviné la suite. Il continua tout de même, préférant laisser le temps à l’espion de se préparer. Bien qu’il ait essayé de respecter son passé, l’enfant qu’il était voulait savoir si sa mère…

« Il m’a expliqué un peu la façon dont Slughorn le traitait.

— Horace occupait la fonction que j’ai actuellement, croyez-vous vraiment qu’il allait trancher entre une famille puissante et un exilé ?

— Mais… C’était une famille mauvaise.

— Et alors ? Qui décide des carrières et des succès de tout un chacun ? Il y avait deux frères, le Serpentard a privilégié l’héritier de l’époque, point final.

— Sirius a toujours conservé son droit, les vieilles familles ne peuvent pas couper totalement avec ses branches, c’est une loi incontournable, même pour Walburga Black.

— Je vois que votre Parrain prend son rôle plus au sérieux qu’on aurait pu l’imaginer capable… C’est juste, mais à l’époque, ça n’avait aucune importance : celui qui devait briller était Regulus.

— Mais… Mais il a fini Mangemort…

— Et alors ? répéta Severus lentement. Combien croyez-vous qu’il y ait eu de Mangemorts à la table d’Horace Slughorn, Potter ? »

Harry s’humecta la lèvre inférieure, sentant le terrain très glissant. Il reprit une gorgée de la boisson inconnue, et inspira un grand coup.

« Justement… commença-t-il maladroitement.

— Vous êtes une catastrophe, coupa Snape. Vous voudriez me soutirer des informations personnelles, et vous commencez par m’insulter.

— Ben c’est que…

— Je vous confirme que vous n’avez pas le talent de faire parler le Professeur Slughorn.

— … Je sais. Excusez-moi Professeur. C’est pour ça que je viens vous voir.

— Parce que je suis un Mangemort ?

— Non, vous ne l’êtes pas, répliqua brutalement Harry.

— Je porte la marque, contrat Snape qui souhaitait en finir une bonne fois pour toutes avec cette question.

— Je sais.

— J’ai rapporté la prophétie au Seigneur des Ténèbres.

Je sais…

— J’ai tué votre tante.

— JE SAIS ! Je sais tout ça. Je… J’ai déjà pu voir certaines choses quand vous êtes avec Lui. Je sais de quoi vous êtes capable. Je sais aussi de quoi Dumbledore est capable, ajouta le jeune homme en plantant un regard dur dans celui de son aîné. Je sais aussi de quoi je suis capable, Professeur. »

Snape but lentement dans son verre, hochant gravement la tête. Ils s’observèrent un instant en silence, de toutes les personnes qui entouraient Harry Potter, Severus était le seul à connaître ce secret : Harry se souvenait parfaitement d’une nuit de ses onze ans, dans une salle avec un miroir. Il s’en souvenait, et grandir n’avait fait que renforcer la compréhension de ses actes.

« Personne n’est innocent, conclut-il en gigotant sur le canapé.

— Vous…

— Je sais ce que vous en pensez, Professeur. Nous en avons déjà assez parlé. Mais si vous pouvez considérer que j’ai fait ce que j’avais à faire, laissez-moi mettre de côté le fait que vous portez la marque, et faire preuve d’un humour douteux. J’ai merdé dans ma formulation, désolé. J’aimerais qu’on évite de discuter de ça. »

Ils l’avaient tant fait. Se plonger dans la psyché et le parcours de Voldemort avec Dumbledore, vivre ce qu’il devait endurer ces derniers temps, savoir sa destinée, explorer et maîtriser son esprit… Tout ceci avait conduit Harry à revoir certains souvenirs sous un autre angle, et Snape en avait été le témoin direct. Son Parrain ne pouvait comprendre. Ron et Hermione… Oh, Harry les aimait, mais les deux ados étaient si normaux, si bienheureusement normaux, qu’il était de plus en plus difficile d’évoquer des choses aussi terribles avec eux. Neville et Luna, surtout Luna… Auraient pu compatir, trouver quelques mots, sans doute ? Mais ce n’était ni verbiage ni compassion qu’Harry cherchait. Il voulait que quelqu’un comprenne son acte et soit en capacité de le nommer froidement. Sans état d’âme, sans égard pour son âge. Et Snape, quelques mois auparavant, l’avait mis à terre en lui confirmant ce qu’il redoutait : oui, il avait du sang sur les mains. Il avait brûlé vif le Professeur Quirrel.

« Soit, concéda Severus. Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

— Vous connaissez Slughorn, non ? Comment vous y prendriez-vous pour lui tirer les vers du nez si vous étiez à ma place ? Jedusor utilisait son charme, moi je crois qu’il a une autre faiblesse…

— Et moi je crois que vous connaissez déjà la réponse, et que c’est précisément de ça que vous voulez parler. »

Snape s’agita un instant, il sembla hésiter et se leva pour les resservir. Harry fixa le dos que l’homme lui offrait, cherchant à déceler des signes d’une colère ou d’un quelconque refus. Mais son Professeur semblait absent, comme pesant le pour et le contre de toute cette conversation. Quelque chose n’allait pas, Harry n’arrivait pas bien à savoir quels enjeux il y avait. Mais Snape revint s’asseoir avec un nouveau verre et hocha la tête.

« Il vous arrive de ne pas être stupide, qu’avez-vous compris d’Horace ?

— Bon… Il m’a beaucoup parlé de maman. Je crois qu’il l’aimait beaucoup.

— Oui. Il l’adorait.

— Je… Je ne sais pas comment utiliser ça… Heu… Ben… Contre lui. »

La fin de sa phrase se perdit un peu, car il avait baissé le volume tout en rougissant et détournant les yeux. Severus toussa, retenant avec peine un fou-rire devant la honte du gamin. Il redevint immédiatement sérieux quand il rétorqua :

« C’est exactement ce que vous avez à faire, complimenta l’homme avec un brin de satisfaction, avant de reprendre durement : Mais ne vous avisez jamais d’utiliser Lily contre qui que ce soit d’autre, pour quoi que ce soit d’autre. »

Lily… Son Professeur honni l’avait appelée par son prénom. Harry sentit une étrange chaleur lui tomber au creux du ventre et lui gonfler la poitrine. Ses yeux le brulèrent un instant, il suffoquait presque à mesure qu’une boule se coinçait dans la gorge. Ce n’était pas le moment de se mettre à chialer comme un gosse devant un prétendu père de substitution ! Se maugréa-t-il avec la voix imaginaire de Snape. Il eut l’impression que les mots restaient coincés derrière ses dents, alors il ouvrit grand la bouche pour tenter de lui répondre :

« Jamais. »

Ça sembla satisfaire Severus qui soupira légèrement, comme relâchant son souffle. L’homme reprit une gorgée et la conversation :

« Lily était une de ses préférées. Pas seulement parce qu’elle était douée en Potions – votre mère était une virtuose, si vous voulez tout savoir. Mais elle était aussi exceptionnelle en métamorphose. Lily voyait la magie comme nous avons tous perdu l’habitude de la voir : quelque chose de magique, justement. En grandissant, elle n’a jamais oublié cet amour de la beauté, et son agilité en métamorphose lui faisait créer des choses… Merveilleuses. »

Harry se rendit compte qu’il avait totalement cessé de respirer et qu’il avait les larmes aux yeux. Il n’osait bouger, parler… Son cœur lui-même hésitait à battre, tant le temps s’arrêtait pour laisser cet homme dire ce qu’il n’avait jamais dit à personne. Cela semblait lui coûter de s’ouvrir. Mais Severus se surprit à en souffrir moins qu’il ne l’aurait imaginé. Parler de Lily avec son fils était finalement quelque chose qui le libérait.

« Le Professeur Slughorn est un grand enfant capricieux, mais un enfant qui s’amuse d’un rien. Il était toujours très enchanté des créations de votre mère. Son affection et son admiration pour elle venaient de l’exceptionnel talent qu’elle avait de rendre son univers plus magique. Lorsque le Seigneur des Ténèbres a tué votre mère, il l’a arrachée à ce monde, et toutes les personnes qu’elle a touchées de sa grâce ont perdu à jamais un éclat de lumière. »

Une larme chaude et timide roula sur la joue du jeune homme et vint se ficher au creux de ses lèvres. Il inspira longuement, croisant pour la première fois le regard de son Professeur, il voulait tant lui dire qu’il était désolé qu’il l’ait perdue, lui aussi. Il s’apprêta à ouvrir la bouche, mais un bruit provenant de la chambre de l’homme l’interrompit. L’espion sursauta, et son regard s’enflamma soudain de colère. Harry pâlit brusquement, et on entendit un miaulement plaintif. Snape se leva et se dirigea vers la porte qu’il écarta légèrement. Un autre miaulement, cette fois-ci plus impérieux filtra, et le garçon reconnu le chat qui en sortit.

« Mais c’est…

— Utilisez la mort de votre mère, coupa l’espion. Forcez Slughorn à comprendre que se taire revient à être complice de son meurtrier. Amenez-le à parler d’elle, à vous évoquer son affection, poussez-le à s’ouvrir à un point tel qu’il ne pourra esquiver vos accusations. Proposez-lui de cesser d’être lâche. Dites-lui que vous êtes bien l’Élu. Il ne pourra résister à l’idée de s’en associer.

— Je… »

Mais Harry ne trouvait pas les mots, il était sonné par l’instant précédent, fixait Merlin qui était assis dos à lui, une patte en l’air pour sa toilette. Il sentait une vague de tristesse l’étreindre à l’idée d’avoir été interrompu, et son esprit réfléchissait à toutes les informations qu’il venait d’encaisser. Snape s’était relevé et se servait un troisième verre, refusant de croiser le regard à nouveau. Il semblait considérer avoir répondu à la demande du garçon, et ce dernier se demanda si ce n’était pas sa façon de le congédier.

« Merci… »

Il se leva maladroitement, chancelant, et se dirigea vers la porte. Dans l’embrasure, il sursauta quand il entendit Snape ajouter ceci :

« Harry. C’est elle qui a choisit votre prénom, car c’était celui d’un héros d’une histoire de son enfance.

— … Vous connaissiez cette histoire ?

— Oui, je l’ai toujours trouvé simpliste : le héros était le genre stupidement fonceur et d’une chance terrible. Lily le trouvait touchant et courageux. Quand j’ai appris votre nom, j’ai compris qu’elle n’avait pas changé d’idée.

— Ni vous sur le héros, apparemment.

— Votre mère n’avait pas totalement tort à ce sujet, murmura Snape en gardant le visage tourné vers les flammes.

— Merci… Pour tout, Pro… Severus.

— Bonne nuit, Potter. »

Le Gryffondor referma doucement la porte derrière lui, comme s’il remettait le couvercle d’une boîte fragile en place, et s’enfuit presque dans les couloirs. Près de la cheminée, Severus releva les deux bras pour s’y accouder, et poser son front contre la pierre chaude du manteau. Il réfléchissait, un pied dans le présent, l’autre dans le passé. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi, jusqu’à ce qu’il prenne une grande inspiration.

« Vous pouvez sortir. »

La porte de sa chambre s’ouvrit une seconde fois et Jane avança lentement, observant intensément son ami. Snape se tenait légèrement en retrait, comme se préparant à une attaque, mais la Moldue resta muette. Elle s’approcha doucement de lui et leva une main vers son visage. Il cligna des yeux, choqué par son geste, mais l’inclina quand il sentit la chaleur de la main s’imprégner dans sa joue et sa tempe, calmant une migraine qui menaçait à cause de la pression sanguine.

« Je vais y aller, moi aussi.

— … Vous n’avez pas terminé de…

— Je suis en retard pour la projection. »

Il s’était attendu à ce qu’elle lui parle de Lily, à ce qu’elle pose mille questions. Il aurait cru que cela aurait été normal, compte tenu de…

« Venez avec moi, le coupa-t-elle dans ses pensées.

— J’ai des copies à corriger.

On s’en fout. Vos élèves les premiers, moi, Merlin… Vous vous en foutez aussi. Venez avec moi.

— Je n’ai vraiment pas envie de me coltiner des élèves, je…

—Vous vous planquerez. Vous avez tout sauf besoin de rester seul à ruminer le passé.

— Vous seriez restée s’il n’y avait pas eu ce film ? »

La question la décontenança. Elle le regarda, surprise. Merlin lui-même arrêta de se lécher dans des positions improbables et les observa tous les deux, la langue coincée encore entre ses dents. La jeune femme esquissa un sourire, avant d’hocher la tête.

« Oui, mais je ne vous aurais pas laissé repenser à tout ça.

— Et si j’en avais besoin ?

— Non, je crois que vous l’avez assez fait.

— En quoi ça vous regarde ?

— Vous avez voulu que ça me regarde, répliqua-t-elle en le fixant d’un regard perçant. »

Snape baissa la tête, et pinça les lèvres. Il reposa son verre sur son bureau, et déplaça les copies d’élèves sans trop les voir. Jane reprenait ses affaires en silence.

« C’est vrai, j’ai été lâche. Je voulais que vous le sachiez finalement.

— Ça n’est pas lâche Severus, c’est humain. » Le fit-elle sursauter en posant une main apaisante dans son dos. Il ne s’était pas rendu compte qu’elle était revenue sur ses pas. À présent, elle pressait doucement son épaule gauche.

« Et j’avais compris depuis un moment, ajouta-t-elle. Mais c’est à vous de définir ce que vous avez besoin de dire.

— Cela vous est égal ?

— Pourquoi en serait-il autrement ? »

Snape se retourna ouvrant la bouche. Jane lui souriait, sa main glissa de son épaule à la sienne. Elle la serra fermement.

« Nous ne sommes pas dans un roman, Severus. Votre passé, tant qu’il n’interfère pas avec mon présent, n’a pas à être un problème pour moi. Et puis vous aimez qui vous voulez…

— Jane, je… »

Mais elle le lâcha et tourna des talons, puis se pencha vers Merlin et lui présenta sa main qu’il renifla, et fit sauter sur sa tête pour réclamer une caresse :

« Tu veux rester ici avec lui, ou tu veux retourner chez nous ? lui demanda-t-elle.

— Vous leur montrez quoi ce soir ?

— Une autre adaptation de comics, répondit Jane en caressant Merlin. Cette fois-ci du DC, ça va leur changer des Marvels et de leur légèreté.

— Une traduction, peut-être ?

— Ils vont faire la rencontre avec Batman, Severus. »

Merlin miaula de ce ton que le Sorcier avait appris à décoder. Il observa le chat le fixer, bâiller, puis s’amener en trottinant pour sauter sur le bureau et s’allonger sur les copies. Snape le regarda faire, le félin lui jetait un regard si méprisant qu’il put pratiquement lire qu’il le trouvait bête d’hésiter. Ça faisait beaucoup d’un coup, beaucoup même pour lui. Il jeta un regard à son bar, sachant déjà à quoi ressemblerait sa nuit s’il restait. Il hocha la tête, et attrapa sa cape qu’il rabattit théâtralement.

« Vous allez avoir besoin de moi, alors. »