Un silence de plomb accueillit cette révélation. L’homme en noir releva le menton, dans un signe de défi, Merlin ronronna de plus belle, et Jane cligna des yeux. Les minutes s’égrainèrent avec lourdeur, jusqu’à ce que la bouilloire émette son sifflement d’usage. Fronçant les sourcils, la jeune écrivain grimaça avant de se risquer à répondre :
« Vous avez tout de même conscience que, bien que cela soit un élégant nom de scène, cela ne me dit nullement qui vous êtes et ce que vous venez faire chez moi… ? »
Le vieillard pouffa de rire, tout en continuant de préparer le thé. Quant à l’homme revêche, son rictus s’élargit en une sorte d’ébauche de sourire. Jane était perdue, elle ne goûtait pas à l’hilarité générale et en venait à regretter de ne pas s’être munie d’un couteau de cuisine avant d’ouvrir la porte. Malheureusement pour elle, elle se trouvait être affublée d’un pyjama Batman, et de chaussons en forme de pattes de Wookie. Autant dire qu’elle inspirait tout, sauf le respect. Albus Dumbledore servit le thé, non sans adresser un regard plein de malice à la jeune femme et prit place sur une chaise à ses côtés. Jane se tortilla sur la sienne, mal à l’aise de voir le vieil homme sabrer délibérément sa tentative de prise de distance. Ni lui, ni l’homme en noir ne répondirent immédiatement. Ils se contentèrent de touiller en silence leur breuvage et de souffler dessus avec soin. Elle, en revanche, refusa d’y toucher, s’imaginant déjà droguée, puis ligotée à un pilori, entourée de flammes, le tout sous un chapiteau de cirque regroupant tous les pervers hilares adorateurs de spectacles douteux. Toute à son imagination, la jeune femme détailla l’homme en noir, imaginant déjà quel rôle il jouerait dans son scénario grotesque. Un éclair passa dans les yeux de celui-ci et son rictus goguenard s’élargit de plus belles, dans un sourire carnassier :
« Non, Miss, je ne suis pas « dresseur de petite scribouillarde », et je ne compte pas vous maltraiter avec un fouet pour des raisons commerciales. » Murmura-t-il d’une voix profonde, semblant lire dans les pensées de la demoiselle.
Cela déclencha un éclat de rire de la part du vieil homme, manifestement ravi de la situation.
« Quelle imagination débordante Miss Smith ! S’exclama-t-il d’une voix enjouée. Nous ne sommes pas des forains ou des maniaques de la torture.
— Parlez pour vous, Albus. Souffla l’homme en fixant délibérément Jane d’un regard de prédateur.
— Allons, Severus, vous ne voyez pas que vous faites peur à cette pauvre enfant ? Miss, ce n’est pas un nom de scène. Je suis Albus Dumbledore, Directeur de l’école de sorcellerie Poudlard. »
Jane se pinça les lèvres, hochant la tête comme pour acquiescer sans pour autant décider si les deux étaient fous ou bien la prenaient pour une idiote. Elle réfléchit un instant, retournant la dernière phrase du vieillard dans sa tête, avant d’opiner une nouvelle fois. Après tout, pourquoi pas, il y a bien des écoles de clowns, des écoles de geishas… Il est tout à fait logique qu’il existe des écoles de magie. Non ? Albus poursuivit :
« Mon collègue ici présent se prénomme Severus Snape, il est Maître et Professeur de Potions à Poudlard. »
La ride du lion reprit pleinement sa place sur le front de la jeune femme. « Potions » ? Quel rapport avec la lévitation, les lapins et les disparitions… ? Jane secoua la tête, se refusant pour le moment à comprendre autrement le mot « sorcellerie ». Elle touilla machinalement son thé, gardant obstinément le silence.
« Miss… Vous comprenez ce que je suis en train de dire ? Demanda doucement le Professeur Dumbledore.
— Eh bien… Oui, je crois. Vous dirigez une sorte de centre pour apprendre les tours de magie aux jeunes talents. Une sorte de « Magic Academy » moderne, je suppose ? Répondit Jane sans même relever les yeux de sa tasse. »
Le dénommé Snape se pinça l’arête du nez en soupirant profondément. Albus se tordit les mains, d’un air gêné, et Merlin s’étira sur le Maître des Potions avant de lui présenter son ventre pour de plus amples gratouilles.
« Non, Miss. Je dirige une école de magie. De vraie magie. Où les jeunes sorciers viennent pour apprendre à la contrôler, à lancer des sortilèges, à préparer des potions…
— Hum-hum, tout à fait, Monsieur Dumbledore, et après, vous les mettez en relation avec des cirques ou des casinos de Las Vegas pour qu’ils puissent prendre leur envol. Je vois.
— Vous me comprenez mal, Miss Smith. Je veux dire que la magie existe, que les licornes existent, et que les Moldus comme vous n’ont pas conscience du monde parallèle qui s’étend à vos côtés.
— Les quoi comme moi ? S’ébroua furieusement Jane, dans un semblant de courage retrouvé. Elle ne comprenait pas un traître mot de la tirade du vieillard, mais « Moldu » ne sonnait pas comme un compliment.
— Les Moldus. Les personnes dépourvues de magie, comme vous. S’agaça Severus Snape, sans même interrompre les grattements sur le chat.
— Je suis une quoi ? Une Molle-du-quoi, au juste ? Et vous, vous êtes des sorciers qui se baladent sur des balais volants, avec de vieux chapeaux pointus et tout le tintouin, peut-être ?
— C’est exactement cela, Miss ! S’exclama triomphalement Albus, ravi de voir la jeune femme reprendre pied dans la conversation.
— Ecoutez-moi les deux furieux. Avec tout le respect que je vous dois : je suis peut-être qu’un écrivain raté, mais je ne bois pas suffisamment pour me mettre soudainement à croire aux fées, farfadets et autres géants des glaces ! Cria presque Jane et se levant soudainement. »
Elle dévisageait les deux hommes d’un air rageur. Snape ne lui accorda aucun regard, alors qu’Albus secouait la tête avec lassitude. Sa main se glissa dans une des poches de sa veste, tirant un sursaut à la jeune femme qui s’attendait à le voir en sortir une arme quelconque. Mais c’est un vulgaire bâton de bois gris, noueux et misérable qu’il sortit. Elle arqua un sourcil, son expression faciale figée dans un air profondément dubitatif. Albus pointa la tige en direction de sa tasse de thé, et marmonna une incantation étrange avant que l’objet ne se transforme en souris et ne déguerpisse à toute allure se planquer sous un meuble. Jane resta interdite.
« Oh, Putain d’Adèle… » Souffla-t-elle avant que les ténèbres ne l’engloutissent. Elle n’eut que le temps d’entendre un vague « Bravo, Albus… » Sarcastique qui semblait émaner du Potionniste et un miaulement accusateur de la part de Merlin lorsqu’elle s’effondra sur le sol avec fracas. Que sa maîtresse pouvait être bruyante !
***
Le matin même, Ecole de Sorcellerie, Poudlard.
Severus Snape fronça les sourcils, visiblement mécontent et anxieux. Une année terrible venait de prendre fin, voyant le retour du Seigneur des Ténèbres. Toutes les craintes de l’homme avaient pris lentement forme au fur et à mesure des mois : pour commencer, l’année accueillait une nouvelle édition du Tournois des Trois Sorciers. Et avec elle, de nombreux étudiants étrangers. « De nombreux adolescents passablement excités », serait le terme le plus approprié. En plus de cette surcharge de travail supplémentaire – car surveiller et propager la terreur auprès d’étudiants inconnus était un travail de longue haleine – Harry Potter avait réussi une nouvelle fois à se mettre en danger. Severus savait à présent que le jeune Potter n’y était pour rien dans sa participation aux épreuves, mais il ne pouvait s’empêcher pour autant de blâmer le gamin. Après tout, s’il n’était pas Potter, son nom n’aurait jamais été dans la coupe. D’une façon ou d’une autre, c’était bel et bien de son fait ! Severus Snape en avait décidé ainsi depuis longtemps.
Le plus grave, pourtant s’annonça vicieusement par le biais de la Marque des Ténèbres. Severus Snape avait passé ces quatorze années à redouter sa terrible brûlure. Elle n’avait eu de cesse de le lancer, devenant peu à peu plus noire et visible. Karkaroff s’était entretenu avec lui à ce sujet, et les deux anciens Mangemorts ne s’y trompaient pas : IL était bientôt de retour. Lorsque Voldemort les avait tous appelés cette fameuse nuit dans le cimetière, Severus n’avait pu y répondre dans l’immédiat, prévenant sur le champ son mentor. Mais l’on n’efface pas son passé, et son rôle d’espion – indispensable dans cette guerre – redevint son présent. L’homme avait donc revêtu pour la première fois depuis de nombreuses années son costume et son masque, puis avait enduré le pénible interrogatoire du Sorcier.
Severus fit rouler ses épaules encore endolories par ses « retrouvailles » avec son Maître. Il n’avait pas été aisé de le convaincre de sa fidélité et d’expliquer son absence et son attitude lors de la première année d’Harry Potter. Mais, pour son plus grand malheur, Severus Snape était un pion important sur l’échiquier. Et ses compétences lui permettaient de jouer chez les blancs, comme chez les noirs. Alors, lorsque l’année prit fin, Snape ne se focalisa plus que sur son seul désir : retrouver la quiétude de Spinner’s End. Et il fallait qu’Albus choisisse précisément le jour de son départ pour le convier, par lettre interposée, dans son bureau.
Le Professeur jeta un nouveau regard sur l’invitation, avant d’aviser l’heure sur la pendule de son bureau. Il soupira, se leva en lissant ses robes, et sortit de ses appartements dans un claquement de porte furieux.
Comme à son habitude, le Directeur l’attendait patiemment dans son bureau, les deux mains jointes sous son menton et ses lunettes en demi-lunes tombant sur son nez aquilin. Lorsque Severus entra, il fut surpris de tomber face à un homme vif et alerte, malgré son âge avancé. Manifestement, les relents de la guerre qui s’annonçait semblaient donner une seconde jeunesse au Directeur. Le Professeur de Potions prit place dans son fauteuil préféré, alors qu’Albus lui tendait avec un sourire une coupelle emplie de friandises.
« Un bonbon au citron, mon ami ? Lui demanda-t-il, tout en se servant.
— Non, toujours pas Albus, je ne céderai jamais. Marmonna, avec mauvaise humeur, Severus.
— Vous craignez de perdre votre pari ? Questionna le vieillard en souriant.
— Certainement pas ! Je reste convaincu que je détesterai ça, seulement, le pari ne stipulait nullement que j’étais dans l’obligation d’y goûter. Mais vous ne m’avez pas fait venir pour me parler de cela, Monsieur le Directeur…
— Non, en effet, Severus. Du thé ? Demanda-t-il en présentant une théière fumante.
— Au citron, je suppose ?
— Naturellement. Et il le servit sans même attendre la réponse. »
Il eut un long silence, durant lequel les deux hommes buvaient tranquillement l’infusion dans une sorte de sérénité rare en ces débuts de guerre. Dumbledore reposa sa tasse, puis posa un regard grave sur son protégé.
« Le Premier Ministre refuse toujours de croire au retour de Voldemort ? Commença Severus.
— En effet, il s’obstine à nier l’évidence, arguant que la mort de Monsieur Diggory n’est qu’un regrettable incident.
— L’imbécile !
— Il a peur, Severus. Comme beaucoup, d’ailleurs. Ils seront nombreux à préférer ignorer la vérité, plutôt que de retomber dans l’horreur. Cela rend le retour de Voldemort plus dangereux encore.
— Et nous sommes moins nombreux. Ajouta sombrement le Professeur d’un air entendu. »
Les deux hommes s’abîmèrent alors dans un nouveau silence. Si aucun nom n’avait pourtant été évoqué, il était évident s’étaient compris. Albus rompit le silence en s’emparant d’un bonbon au citron qu’il fit fondre sur sa langue à l’aide d’une lampée de thé.
« Par ailleurs, Harry m’inquiète de plus en plus.
— Potter ? N’est-il pas parfaitement en sécurité à Privet Drive ?
— Si, mais une sécurité physique, Severus. Je m’interroge davantage sur ce lien qui les unit tous les deux depuis le rituel.
— Vous craignez qu’il ne se soit amplifié par l’échange de sang ? Questionna Snape en fronçant les sourcils.
— Oui, et je m’inquiète plus fortement encore de la pression que va subir le jeune Potter, si le Ministère s’obstine à nier l’évidence.
— Cela ne sera qu’une publicité de plus. Certes mauvaise, mais Potter ne peut pas être auréolé de gloire à tous les coups. Répliqua d’une voix traînante Snape, en balayant de la main un insecte imaginaire.
— Severus, Harry est un élément capital de la victoire contre Voldemort !
— Oui, oui, le grand Harry Potter, le sauveur, Le Garçon-qui-a-survécut, le Survivant, et je ne sais plus quel autre surnom grotesque j’ai dû entendre. Albus, une guerre ne se gagne certainement pas sur le dos d’un adolescent faible, égocentrique et nanti d’une intelligence à peine égale à celle d’un Strangulot ! »
Le Directeur de Poudlard ne répondit pas. Il se contenta de leur resservir du thé, tout en secouant négativement la tête. Albus était parfaitement conscient que l’opinion de son cadet ne risquerait guère de changer sur le garçon. Pourtant, il demeurait incroyablement optimiste, allant de facto, de déception en déception.
« Harry Potter est un garçon intelligent et parfaitement capable. Commença-t-il en interrompant d’un geste de la main toute protestation possible. Pour autant, je ne compte pas miser sur un seul cheval de bataille. »
Severus grogna à l’expression « miser sur un cheval », il n’appréciait nullement le pragmatisme à la limite du cynisme dont pouvait faire preuve Albus en ces cas-là. Non pas qu’il estimât grandement l’aspect humain d’une stratégie, mais parce qu’il avait parfaitement conscience de n’être, en fin de compte, qu’un autre « cheval ». Le vieil homme poursuivit :
« J’ai l’intention de renforcer les protections de Poudlard. Les élèves sont en grand danger, que cela soit ceux d’origine moldue ou les proches d’Harry. Par ailleurs, il ne m’étonnerait guère que Tom tente quelque chose contre sa vieille école.
— A cause de son droit de propriété ? Demanda Snape, en plissant des yeux.
— Précisément ! Si Poudlard cherchera toujours à protéger ses étudiants, l’école ne peut pourtant pas s’opposer trop longuement à la volonté de ses propriétaires légitimes. Voldemort a imprimé sa marque en ces lieux et gardera toujours une certaine emprise sur eux. Ajouta Dumbledore, semblant signer ici une référence précise à un élément inconnu du Potionniste.
— Et que comptez-vous faire pour remédier à cela, Albus ? Ouvrir aux enchères Poudlard pour lui trouver de gentils acquéreurs ? Vous lancer dans une quête épique à la poursuite des autres descendants ? »
Le Directeur éclata bruyamment de rire, déclenchant une vague de frustration de la part de son collègue qui détestait avoir la désagréable impression de ne jamais rien savoir. Snape le laissa à son hilarité, touillant d’un air boudeur son thé, et attendant, avec le peu de patience qu’il lui restait, de pouvoir enfin prendre ses vacances. Mais le vainqueur de Grindelwald détruisit à néant tous ses rêves de paix, en même temps qu’il aiguisa sa curiosité :
« Mon garçon… Ma quête épique est terminée. Nous partons sur le champ pour ramener l’héritière de deux maisons ! »