Remerciements aux tipeur : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer, ChocoFrog et Leithian pour leur soutien inaliénable sur Tipee !

Avant-propos : Oui, si vite ! J’ai beaucoup travaillé pour que je puisse vous présenter la suite rapidement. Il nous reste encore 10 chapitres normalement (car j’ai enfin marqué noir sur blanc le découpage de la phase finale) et ça ira très vite dans le récit. Un merci pour votre soutien et les mots d’encouragement que j’ai reçus.

Note particulière sur ce chapitre : Pour les amateurs de Classique, le concerto de violons de Max Bruch « In Memoriam » pourra plaire. Ce chapitre a une fin censurée, la fin non-censurée est disponible sur mon tipee, et uniquement là. Mais l’absence de cette fin ne gène en rien la compréhension du récit 😉 Excellente lecture !


 

Chapitre 53 : In Memoriam

 

Un linceul blanc s’était déposé sur Poudlard. Les grandes flèches pavées d’ardoises luisaient de leur manteau glacé, s’érigeant comme des stalagmites de glaces d’une forteresse magique désormais sous les affres d’une malédiction. Tombée en couche épaisse, la neige couvrait tout ce qui d’ordinaire s’épanouissait dans la vie, recouvrant jusqu’au lac dont le givre avait figé la surface pour les semaines à venir. Sur des hectares, le parc de Poudlard s’était tu, bâillonné par les flocons qui pleuraient sans discontinuer depuis l’attaque. En grappe, les Sorciers et les Sorcières venus rendre un dernier hommage à Albus Dumbledore, s’amassaient aux abords de la Forêt Interdite. Dans le silence le plus complet, les uns et les autres arrivaient emmitouflés dans de gros manteaux qui peinaient à contenir la morsure du froid et les frissons de tristesse qui étreignaient leur cœur pour certains. Gens de la Haute, inconnus, curieux, ils étaient nombreux à se présenter devant le cordon de sécurité qui ouvrait une bouche béante à travers bois, longue gorge de tronc menant à la clairière où reposerait à jamais un grand homme.

Le silence qu’imposaient les lieux, la tâche et la neige n’était rompu que par quelques sanglots ça et là, et le cliquetis incessant des photographes de Presse qui se poussaient en chuchotant pour obtenir les meilleurs clichés. Tout le monde ne pourrait prétendre à rallier le lieu de l’enterrement, seule la crème pourrait pénétrer dans ce futur Saint des Saints. Alors la Plèbe se divertissait en observant les riches hommes et femmes qui défilaient dans leurs beaux habits de deuil, tordant le cou pour tenter d’entrapercevoir le seul qui était réellement attendu.

Mais il ne viendrait pas. Le col haut de son manteau couvrant en partie ses mâchoires et sa bouche, Sirius dissimula une grimace d’agacement quand une jeune femme brune lui fit signe pour capter son attention et qu’un flash l’aveugla. Nathalie Delorme ne cria pas, elle se contenta d’articuler distinctement les noms Harry et Potter en montrant son carnet du bout de sa plume. Sirius détourna le regard et les journalistes s’empressèrent de commenter – à tort – son attitude. Il croisa celui de Draco Malefoy qui l’observait avec insistance, comme cherchant lui aussi à découvrir où était Potter. Sirius fronça les sourcils, son père avait dû le lui dire, non ? Narcissa se tenait près de son fils et fixait son mari avec un masque parfaitement indéchiffrable, laissant deux mètres les séparer alors que Lucius était en grande conversation à voix basse avec le Ministre de la Magie. Habillés par les meilleurs tailleurs, les Malefoy arrivaient à être resplendissants tout de noir vêtu. Les flashs éclairaient abondamment leur visage à la symétrie parfaite, et Sirius eut un frisson à voir cette famille être tant aimée. Un léger brouhaha le fit se retourner, il se retrouva rapidement à serrer la main à Arthur Weasley, flanqué de presque la totalité de sa famille. Ron se trouvait là, son moignon dans sa poche, son autre main tenant fermement celle d’Hermione. Neville aussi s’était présenté à l’enterrement, dernier membre de sa famille encore en vie. L’absence d’Harry n’en fut que plus renforcée et Sirius grogna en maudissant une nouvelle fois Snape d’avoir interdit au garçon d’assister aux funérailles. Jamais Voldemort ou ses sbires retenteraient une attaque sur l’école, pas avec autant de monde, pensait l’Animagus. Mais l’espion avait répondu que Poudlard était tombée une fois, qu’elle pourrait très bien recommencer, et que de toute façon la présence de Harry ne serait que plus problématique. Comme si son absence n’allait pas déclencher des suppositions les plus folles… pensa amèrement Sirius.

« Lord Black, prenez-en deux. »

Venue avec lui, la jeune Luna Lovegood lui tendait deux petites chandelles argentées que l’on distribuait à toutes les personnes invitées à entrer dans le sanctuaire pour la cérémonie. Sirius avisa les Malefoy qui commençaient à pénétrer dans le couloir d’arbres, bordé de membres de la Brigade entièrement vêtus de leur étranges robes et masques blancs.

« Ne faut-il pas qu’une seule…

— Oui, une par personne. Mais vous allumerez la sienne, murmura Luna en baissant encore d’un ton. Celle pour Harry. Il aurait voulu le faire.

— Mais… et toi ? Pourquoi tu en as deux, alors ? »

Luna releva ses grands yeux bleu clair vers lui avec douceur, comme si elle pardonnait son manque d’empathie. Dans un chuchotement à peine audible, elle précisa :

« C’est pour le Professeur Snape, évidemment. »

Sirius ouvrit légèrement la bouche et au-dessus de lui le ciel gris continua de déverser sa peine glacée. Elle tombait en flocon qui fondait immédiatement sur ses joues et coulait comme des larmes, qu’il accepta un instant de prêter à d’autres. Il hocha la tête. Oui, c’était bien possible que son ennemi ait tenu à ce point au vieil homme. Il tendit la main à la jeune fille et alluma d’un seul geste les bougies qui baignèrent leur visage d’une douce lueur dorée. Avec lenteur, la procession avança en direction de l’entrée boisée. Ils passèrent près des Aurors masqués dont les traits neutres de leur persona donnaient à tout ceci un aspect terriblement macabre. Entre chaque homme avait été plantée une grande torche flamboyante qui les guidait ainsi jusqu’à la clairière, quelques bonnes centaines de mètres plus loin. Quand ils déboulèrent dans le lieu, une immense tombe de granit blanc les accueillit, et riches et puissants l’encerclèrent. Sirius nota du coin de l’œil qu’un duo de Brigadiers referma le passage derrière eux, laissant une longue file de curieux patienter dans le boyau forestier. Il fronça les sourcils, pensant désagréablement au fait qu’en cas d’attaque, les malheureux seraient pris au piège. Un bref instant, il remercia mentalement Snape d’être paranoïaque.

« Ça commence ! » Pépia un journaliste de la Gazette qui avait pu franchir le cordon.

Quatre silhouettes de la Brigade sortirent mystérieusement des bois en portant un grand corps drapé dans un linceul. Le couvercle de granit du tombeau s’ouvrit lentement dans le silence le plus respectueux. Baguette tirée, les brigadiers portèrent magiquement le corps jusqu’à sa dernière demeure, tandis que Rufus Scrimgeour s’avança et planta sa chandelle dans la tranchée de terre qui entourait la tombe. Il adressa un bref signe de tête à la dépouille de Dumbledore, et retourna à sa place, imité par Lucius, ainsi que les autres membres de sa famille. Un à un, les Lords, leur épouse et leurs enfants s’avancèrent, membres du Gouvernement, éminences de la société. Ron planta sa propre chandelle en gardant la main d’Hermione dans la sienne, alors que les regards se posaient et spéculaient sur cette non-déclaration. Luna non plus n’aurait pu être ici sans être prétendument fiancée ou femme de. Et Sirius ne pouvait se substituer à Harry pour l’amener près du corps. Mais l’imagination des courtisans suffit à garantir un semblant de silence quand il déposa deux chandelles, et que la jeune fille l’imite. Sirius jeta un regard attristé au corps gisant à côté de lui, la figure cachée, parfaitement embaumée dans un linceul immaculé, il semblait plus irréel et mystique que de son vivant.

Quand chacun revint à sa place, Scrimgeour se hissa sur une estrade et tira de sa poche un parchemin dont il commença à faire la lecture :

« Ce triste jour de 25 décembre, ce n’est pas seulement un éminent Directeur de Poudlard qui nous quitta, mais c’est également un grand Sorcier, un respecté chercheur et un érudit précieux. La vie d’Albus Dumbledore est un plaidoyer pour la connaissance, pour le courage et la liberté. […] Son combat contre Gellert Grindelwald, puis contre Vous-Savez-Qui ont fait de lui une figure majeure de notre siècle. […] Albus Dumbledore n’a nul besoin d’une gloire usurpée : ce n’est pas lui qui créa la Brigade d’Intervention Tactique d’Elite, ni qui vainquit Vous-Savez-Qui la première fois. Mais c’est bien lui qui fonda l’Ordre du Phoenix et porta les germes d’une nouvelle génération prête à combattre la tyrannie des ténèbres. […] Il se fit combattant de la paix, combattant d’une vision ouverte et tolérante de notre société, aujourd’hui menacée par celles et ceux qui voudraient nous mettre à genoux. […] Nous devons à Albus Dumbledore de ne pas laisser les doutes et les épreuves qui nous frappent atténuer notre résolution et menacer la victoire que nous remporterons sur les errances de notre siècle. Rien ne serait pire que de renoncer à l’espoir qui a fait naître, il y a 16 ans, toute une nouvelle génération. Nous sommes aujourd’hui dépositaires de ce combat, il est le nôtre et celui de notre jeunesse, tandis que des vents mauvais se lèvent encore et que résonnent les tambours de guerre. Nous lui devons d’être à la hauteur des défis qui nous attendent et des combats qui restent à mener. Hier, aujourd’hui et demain, les Sorciers de Grande-Bretagne vaincront ! »

***

« Échec et mat.

— Je sais. Aaaah… J’en ai marre ! »

Jane se leva agacée du fauteuil où elle s’était installée et récupéra son sac qui reposait sur le guéridon. Quand la troupe s’était absentée le matin pour se rendre à Poudlard, elle, Severus et Harry avaient décidé de se retrancher chacun dans son coin. Le jeune garçon étudiait dans la bibliothèque, le vif d’or voletant au-dessus de sa tête, et Severus était venu trouver Jane pour lui proposer une partie dans le salon.

« Vous perdez patience trop facilement.

— Ce jeu m’agace, voilà tout !

— Dites plutôt que vous êtes en manque. »

Ils se fixèrent un instant, tandis qu’elle fourrageait dans son sac alors qu’elle savait pertinemment qu’elle n’avait plus de tabac dans sa blague. Jane grimaça et le reposa avec lassitude.

« Vous n’avez pas quelque chose ? Une potion ? Un sort ? Une astuce ?

— Si, répondit-il lentement en remettant les pièces dans leur boîte. Ça s’appelle la volonté. »

Jane fronça les narines et chassa d’un geste de la main la remarque, portant son attention sur les fenêtres du salon qui offraient une vue imprenable sur les jardins.

« Arrêtez de me chercher…

— Je sais très bien où vous êtes. »

Jane haussa les épaules et se tourna tout à fait, portant la main à son cou et tripotant inlassablement quelque chose. Severus se leva et fit un pas de côté.

« Qu’avez-vous à vous agiter ? Que touchez-vous ainsi ?

— Je m’impatiente. Je ne vois pas bien quoi faire ici ni à quoi je puis être utile. Je n’ai pas l’intention de devenir votre cuisinière attitrée – d’autant que je ne sais pas cuisiner. Et je touche ça. »

Elle leva à la lumière le pendentif qu’il lui avait offert et il se mit à luire d’une belle couleur carmin. Le Sorcier inclina la tête, esquissant un sourire.

« J’aurais cru qu’il était resté à Poudlard.

— Quand je me suis habillée le matin de l’attaque, c’est la première… »

Il leva un sourcil moqueur, bientôt accompagné par un rictus, la mettant au défi de terminer sa phrase. Jane grimaça.

« Oui, et alors ? N’ai-je pas le droit d’être… d’être…

— Désespérément sentimentale ? C’est ridicule, mais ce ridicule ne vous tue pas… et il me plaît. »

Jane leva les yeux au ciel et se détourna de lui. Severus avança d’un pas dans sa direction, immédiatement stoppé par le bruit de la porte d’entrée qui se referma.

« HEY ! ON EST LÀ ! » cria joyeusement la voix de Ron dans le vestibule.

Severus répéta lentement « Hey, ils sont là… », tirant un bref rire à Jane qui dégagea son sac du chemin et reprit sa place dans le fauteuil. Harry sortit en trombes de la bibliothèque, et dans l’encadrement de la porte, Severus et Jane eurent le temps de voir les deux mains blanches de Luna se tendre vers lui. La petite troupe se pressa dans le salon et chacun s’installa comme s’ils étaient attendus pour la plus extraordinaire des réunions. Neville fila rapidement en cuisine pour préparer des chocolats, thés et cafés pour les réchauffer.

« Vous êtes de sacrément bonne humeur pour un enterrement, commenta Jane suspicieuse.

— Selon la personne enterrée, ça n’est pas impossible, se fendit Severus.

— Non, pas pour lui, c’est vrai. Mais c’est à cause de ce qu’il s’est passé par la suite, c’était marrant à voir. Enfin, il vaut mieux que Sirius vous raconte, parce que moi je ne sais pas narrer les histoires, expliqua Ron.

— Il s’est passé quelque chose ?

— Rien qui ne doive t’inquiéter, Harry. Enfin, rien qui ne doive non plus nous faire plaisir. J’ai tenté une approche aux cuisines, et ça s’est terminé par un chant paillard de la part de Peeves.

Pardon ?

— Ne me regarde pas comme ça, Harry. J’étais avec Neville et Luna quand c’est arrivé, nous discutions avec Fred et George qui pensent avoir des nouveaux produits utiles à présenter.

— Sauf que moi, contrairement à Hermione, je reste attentif à ce genre d’évènements, et tu sais que Peeves m’a toujours un peu…

— Black, tu nous expliques intelligemment cette histoire ? coupa Severus qui ne supportait vraiment plus ce genre de conversation bruyante.

— C’est bon. Merci Neville, sourit Sirius en voyant un grand plateau arriver. J’ai voulu aller aux cuisines pour trouver Kreattur. Don à l’école, ou pas, j’espérais pouvoir lui parler…

— Vous voulez parler de cela devant eux ? » Demanda Jane en avisant du menton Hermione, Ron et Neville qui ignoraient encore tout des Horcruxes et qui semblaient très attentifs à la conversation.

Severus et Sirius parurent réfléchir un long moment, avant qu’ils ne tombent d’accord et qu’ils ne fassent signe à la troupe de s’en aller :

« Ça va, ça va… on a compris, c’est pour notre sécurité. Ça ne l’a pas empêché de faire un bordel monstre aux funérailles ! » Pesta Ron avec justesse.

Quand ils sortirent enfin, Snape lança un sort de silence à la pièce, puis un regard méprisant à son ancien ennemi :

« Tu es vraiment allé sous le nez de Malefoy poser des questions sur l’Horcruxe du Seigneur des Ténèbres à un elfe fou, acariâtre et qui te hait… ?

— Tu n’aurais pas tenté de l’approcher, peut-être ? s’emporta Sirius en rougissant.

— Si… »

Severus étira lentement son sourire dans une grimace cruelle et satisfaite.

« … mais j’aurais pris directement les réponses dans son esprit.

— Oui, oui, vous êtes un vrai tortionnaire, Severus, le plus sadique d’entre tous et le plus raffiné… mais vous êtes aussi un vrai fugitif, donc vous auriez été incapable de mieux faire !

— Merci, Jane ! répondit Sirius avec chaleur. »

Qu’elle prenne la défense de l’animagus sembla piquer au vif Severus qui se renfrogna terriblement dans son coin. Il croisa les bras, et c’est glacial qu’il ordonna :

« Fais-nous donc le récit de ta tentative que l’on sait par avance ratée… Juste pour le plaisir de Miss Smith.

— Raté, le mot est faible… Après le long discours de Scrimgeour sur les vertus d’Albus et les axes de défenses du Ministère, on s’est retrouvé à être conviés dans la Grande Salle de Poudlard pour un discours de Malefoy à propos des changements pour l’école. Pourquoi c’était lui qui s’en chargeait et pas le Premier Ministre, j’ai encore du mal à le comprendre…

— Parce qu’il est… heu…

— Merci, Monsieur Potter, pour cette analyse.

— Snape a raison : le fait qu’il soit Ministre de la Justice n’a rien à voir. Ça fait quelques temps qu’il s’arroge les annonces du Ministère, et quelque temps qu’il fait valoir son expérience passée au Secrétariat de l’Éducation. Mais en substance, il n’a pas plus de légitimité que le secrétaire aux courriers scandaleux et à censurer du Ministère.

— Il y a vraiment un département comme ça ?

— Non, Jane. C’est un bureau. Bon, vous voulez que je vous explique ?! Donc, Malefoy est monté sur l’estrade, et s’est avancé sur le pupitre. Oui, celui que Dumbledore présidait justement aux repas. Et là, après de grands sourires à la Presse – il fallait voir les flashs, c’était incroyable ! il a commencé à dérouler son programme. « Réforme » est un mot qui est revenu plusieurs fois, il me semble…

— Oui, ainsi que « Intégration » « Valeurs » et « Morale », ajouta Luna en réfléchissant. J’aurais peut-être dû prendre des notes…

— Vous auriez fait une excellente journaliste ! apprécia Jane.

— Ouais, ouais. Donc Malfoy nous expliquait qu’il fallait savoir allier le progrès et l’ancien dans ces temps troublés…

***

« […] que notre volonté d’aller de l’avant et de combattre les idées rétrogrades ne nous coupe pas de nos racines, de notre passé ; ne nous coupe pas de nos traditions et de ce qui a fait de la Grande-Bretagne, la nation qui nous lie toutes et tous. Car, c’est en ces temps de guerre, alors que se heurtent à nos convictions la force et la folie, la haine et la barbarie, c’est en ces temps de guerre que les Sorciers et les Sorcières doivent être solides sur un terreau commun, sur un tronc épais et noueux sur lequel chacune et chacun s’épanouirait pour donner le meilleur des fruits. Poudlard est cela : un grand if solide et resplendissant, regorgeant de magie et de sagesse prêtes à rejaillir sur les têtes qui souhaiteront s’abriter sous ses branches. […]

***

« C’est un cours de botanique qu’il a donné, ou il espérait que quelque chose ressorte de ce discours ?

— Merlin, Potter ! Ce que vous pouvez être sourd à la Politique…

—  Ah…, soupira Sirius, j’étais comme toi à ton âge, mais nous n’avons plus le temps d’être aveugles à ce genre de discours, ça serait bien que tu le décodes.

— Pour faire simple : Ombrage n’aurait pas renié cette diatribe, intervint Jane. Et Malefoy nous explique que combattre Vol… Bref, Lui, ne veut pas dire faire l’impasse sur les jupes longues et les bonnes alliances entre Sang-Purs.

— Hey ! Détrompez-vous ! Il en avait dans sa manche ! En fait, il a fait deux grandes annonces. Dont une qui ne me surprenait pas puisqu’il me l’avait déjà dévoilé lors de notre entrevue dans la cuisine… »

***

« […] Dans cette optique, le Conseil de l’école a décidé de nommer Horace Slughorn au poste éminent de Directeur de Poudlard. Vous devez déjà tous connaître cette appréciée et forte personnalité de la Communauté, puisque le Veritascriptum se fendait déjà d’un article à son sujet il y a peu, présumant de sa nomination. Voilà qui devrait réalimenter les ragots quant à l’indépendance de la Presse, sachez que pour faire bonne mesure, j’accorderai ma prochaine interview à la Gazette exclusivement ! Le Gouvernement se doit de contrôler absolument tout le monde ! »

***

« Et, évidemment, tout le monde s’est mis à rire en trouvant Malefoy absolument délicieux…, s’agaça Jane.

— Exactement… Ce qui n’a fait que renforcer la bonne réception de la suite : à savoir l’officialisation de la mise en place de ce fameux cours d’éducation Sorcière.

— Ah, ils vont vraiment le faire, alors ? Ils remplacent l’Étude des Moldus par ça ?

— Non…, murmura Sirius en fixant Jane en grimaçant. Cela sera un cours groupé. Les deux cultures seront enseignées.

C’est ça… Je n’ai pas attendu de me trouver avec illusionnistes pour savoir comment la Politique fonctionne ! Ils vont aborder les prises électriques de loin et les surtout les mœurs dites « décadentes » de notre peuple, et puis ils vont expliquer en quoi l’absence de sexe avant le mariage est l’une des valeurs les plus importantes que les nés-moldus doivent absorber…

— Continue Black, ne laisse pas Smith t’interrompre avec ses mœurs décadentes sur le sexe.

— Heu… d’accord. Quand il a fini d’expliquer tout ceci, sans nommer encore officiellement des gens, j’ai profité du brouhaha de la conférence de Presse pour m’éclipser et filer aux cuisines. »

***

La dernière fois que j’avais fait ça, il y avait James et sa super cape d’invisibilité. Il y avait aussi beaucoup plus de monde dans le château. J’ai ressenti une pointe d’excitation à l’idée de descendre comme un voleur en bas, mais sans les copains… Eh bien ça n’avait plus grand intérêt. Fort heureusement pour moi, une chose n’avait pas changé depuis ma scolarité : la corbeille de fruits peinte était toujours accrochée. J’ai déboulé dans la cuisine en m’attendant à un accueil agréable et chaleureux comme à l’époque, mais… au lieu de cela, c’est une dizaine de paire d’yeux qui me fixaient suspicieusement. Un drôle d’elfe, vêtu d’une sorte de robe pleine d’étoiles et coiffé d’un chapeau coloré qui ressemblait vaguement à un truc qu’aurait porté Albus s’est avancé, un index menaçant pointé dans ma direction et m’a ordonné de décliner mon identité :

« Lord Sirius Black de la Noble et Ancienne Maison Black. Je suis un ancien Gryffondor, avais-je répondu.

— Lord Black, Monsieur ?! s’est ébahi la créature. Vous êtes le protecteur de Harry Potter ! Dobby connaît très bien Harry Potter, est-il venu pour les aurevoirs à Albus Dumbledore ? »

Je connaissais de nom Dobby, et je pensais pouvoir tirer de son admiration pour Harry quelque chose, alors j’ai joué le grand jeu…

« Non, il est obligé de demeurer en sécurité à cause de la guerre. C’est à propos d’elle que j’interromps votre travail. Est-ce qu’un elfe du nom de Kreattur, te dit quelque chose Dobby ? »

Il a froncé les sourcils avec tant de force que je me suis demandé si je n’avais pas posé la pire des questions, mais je compris par la suite que c’était simplement sa façon de montrer qu’il n’aimait pas particulièrement mon ancien serviteur…

« Oui, Lord Black, Monsieur. L’elfe que vous avez donné à Poudlard est bien ici. Il est confiné aux épluchures de légumes, il… je vous amène. »

Nous avons traversé la cuisine sous les regards scrutateurs des autres elfes qui semblaient désapprouver totalement de me voir ici imposer mes questions. Mais Dobby s’en moquait visiblement. Qu’il soit leur chef, ou qu’il s’arroge le droit de me parler comme à un égal était…

***

« Sirius, il est ton égal, interrompit Harry avec fermeté.

— Ce n’est pas le moment, Potter, son récit est déjà absurdement long. Continue Black, je commençais à visualiser ces cuisines…

— Et moi à presque sentir l’odeur des brioches, ajouta Jane.

— Que lui se foute de moi, d’accord, mais vous, Jane… Arrêtez de m’interrompre, alors… »

***

Il m’a mené dans une sorte de pièce mal éclairée où une tonne de pommes de terre, de carottes, de choux et de courgettes s’élevait en piles, et où une montagne d’épluchures masquait l’elfe que j’avais tant détesté durant mon enfance. Les épluchures marmonnaient. Bien sûr, je sais qu’elles ne le faisaient pas vraiment, elles.

« Tant de décorum pour célébrer un traitre à son sang, un amoureux des Sangs de Bourbe et…

— Kreattur ! Lord Black demande à te parler, annonça alors Dobby avec raideur.

— Le minable renié n’a plus rien à exiger de moi, Kreattur n’est plus à ce traître qui a tant fait de mal à ma pauvre Maîtresse…

— Elle n’est plus ta Maîtresse non plus, coupais-je aussitôt.

— Dobby vous laisse discuter, vous serez à l’abri ici. »

Et il m’a planté-là, alors que les épluchures commençaient à m’insulter copieusement. J’ai contourné la pile pour l’obliger à me faire face, peut-être un peu rudement, je le reconnais… mais mon temps était précieux et la requête trop importante pour le laisser divaguer.

« Kreattur ! le sommais-je. Je suis là pour te parler d’un médaillon que tu as volé quand on a nettoyé la maison, où est-il ?! »

***

« Un médaillon que tu as volé… ?! Sirius, tu as vraiment commencé ta négociation comme ça ? se lamenta Harry.

— C’est le cas ! Il nous l’a bien chipé, non ?

— Merlin nous vienne en aide, je ne veux pas en entendre davantage, tu as échoué, c’était prévisible, passons à autre chose.

— Je n’ai pas COMPLÈTEMENT échoué, Snape. J’ai obtenu des informations !

— Savoir que tu es un minable n’est pas une information.

— Ferme-la Snivellus. En attendant, je sais comment Reg est mort. »

***

Il a évidemment mal pris mon accusation, et il est devenu rouge. J’ai cru que c’était de la colère parce que je l’accusais de vol, mais c’en était parce que j’exhumais cette histoire. Il s’est rué sur moi pour me frapper de ses petits poings en vociférant.

« J’ai-rien-à-t’dire ! J’ai-rien-à-t’dire ! répétait-il. C’est le secret de Maître Régulus ! Pourquoi tu parles de ça ?! Il n’y a pas de médaillon ! Va-t’en, tu n’as pas fait assez de peine à Maître Régulus ?! »

Dobby criait derrière la porte qu’il venait de refermer, il ordonnait à Kreattur de ne pas me manquer de respect, et moi je lui criais que tout allait bien. Vous pensez, je tenais d’une main le pauvre diable qui essayait de me mordre les poignets et de me donner des coups de pied en continuant de me maudire, mais je le tenais bien. J’ai voulu patienter, il allait bien finir par s’épuiser, non ? Mais la patience n’est pas mon fort. Non, ferme-la Snape, laisse-moi terminer. Je l’ai tenu par les épaules, et je l’ai regardé droit dans les yeux. Je crois que c’est la première fois que je me suis montré aussi direct et sincère avec lui…

« Je sais qu’il y a un médaillon avec un « S » gravé dessus. Je sais qu’il était dans la maison, et je sais que tu l’as pris quand on a fait le ménage. Je sais aussi que Régulus l’avait volé à Voldemort, qu’il en avait fabriqué un autre, et qu’il l’a remis à sa place. Je connais toute cette histoire, j’ai le faux médaillon en ma possession. »

À la mention de Voldemort, il s’est figé et des larmes ont commencé à dévaster son hideuse trogne. Je ne l’ai jamais vu pleurer, jamais. Je ne l’imaginais d’ailleurs pas capable d’autre chose que de haine, mais il s’est remis en boule en invoquant sans cesse le nom de mon frère, en disant qu’il avait échoué.

« Échoué à quoi ? Kreattur, dis-moi ce qu’il s’est passé ? Où est Régulus ? Que lui a fait Voldemort ? Est-ce qu’il sait pour le faux médaillon ? Où est le vrai ?! »

Je hurlais presque, Dobby s’inquiétait dans la cuisine centrale, et Kreattur continuait de se lamenter. Il s’est tassé à chacune de mes questions, et c’est misérable qu’il a commencé à me raconter :

« Maître Régulus est mort parce qu’il a voulu sauver l’infâme Kreattur. Kreattur voulait servir le Maître, mais le Maître ne voulait plus qu’il souffre.

— Quoi ?! Mais que racontes-tu ?

— Le Seigneur des Ténèbres voulait un serviteur, et Maître Régulus m’a proposé. Il pensait servir comme il le devait sa maison et le Seigneur des Ténèbres, mais quand je suis revenu… Quand Maître Régulus a vu ce qu’il m’était arrivé…

— Quoi, quoi ?! Explique-toi !

— Et puis, Maître Régulus a tout compris, et il a décidé de se battre. Il ne voulait pas servir un Maître capable de me faire du mal. Moi, un misérable elfe… Alors on est retourné là-bas, il a bu cette horrible potion à nouveau, il a remplacé le médaillon, et a remis de la potion pour que le Seigneur des Ténèbres ne se doute de rien. Puis, il… Il… »

Je l’ai toujours détesté, je le reconnais. Mais à cet instant, si malheureux, à regarder dans le vague, j’ai eu pitié de lui… Et j’ai eu pitié de mon frère. J’ignorais… J’ignorais encore à quel point, d’ailleurs.

« Il a eu soif. Alors il s’est penché et a bu… Pauvre Maître Régulus, il a bu l’eau des morts, et ils l’ont emporté… »

***

« Il a bu l’eau des morts ? demanda Jane en fronçant les sourcils. Comment ça ?

— Des monceaux d’inferis dormaient dans le lac, je vous l’ai dit, expliqua Harry. Ils s’agitent dès qu’on touche le médaillon. Dumbledore a dû invoquer un feudeymon pour nous faire sortir de ça… J’imagine que Regulus n’en avait pas la puissance…

— Non, il ne l’avait pas. Mon frère était bon élève, ce qui est différent d’être un bon Sorcier.

— Ça ne l’a pas empêché d’être le seul à découvrir le secret du Seigneur des Ténèbres et à chercher à se battre, nuança Severus en réfléchissant à ce qu’il disait.

— C’est vrai… Il a fait preuve… »

***

« Il s’est noyé ? » Ais-je alors demandé alors que les larmes me venaient à mon tour aux yeux et que Kreattur se mouchait dans une sorte de drap noir et bleu.

« Il m’a ordonné de partir, ordonné de partir…

— Je comprends, Kreattur, tu as obéi, et tu as bien fait. Reg a préféré se sacrifier que de courir le risque que Voldemort ne comprenne que son secret était découvert… Tu as bien fait. Mais ensuite ? Le médaillon ? Qu’est-il devenu ? »

Je n’aurais pas dû insister, peut-être ? Il a levé des yeux haineux sur moi et m’a repoussé de ses petits bras. J’ai bien cru qu’il utiliserait sa magie, d’ailleurs, mais heureusement, Kreattur reste relativement bien dressé.

« DEHORS MINABLE ! OUSTE TRAITRE ! s’est-il mis à hurler. TU N’AIMAIS PAS MAITRE REG, TU NE VEUX QUE CE MAUDIT MÉDAILLON ! JAMAIS JE NE TRAHIRAI MAITRE REGULUS ! VA-T-EN ! »

Il m’a tant collé à la porte que Dobby l’a ouverte, en pensant qu’il s’en prenait à moi. Les autres elfes me regardaient de travers, comme si j’avais détruit leur quiétude, et c’est là que Peeves a débarqué pour mettre le boxon et chanter…

***

« Ils peuvent d’ailleurs revenir, car Ron en a entendu une partie. » Termina Sirius, la voix légèrement rauque.

Severus leva le sort d’un geste de baguette tandis que Luna donnait un coup de coude à Harry. Ce dernier pressa doucement le poignet de son parrain qui semblait digérer assez mal les dernières heures de son petit frère. Quand l’ensemble du groupe fut à nouveau réuni, Ron et Neville ayant manifestement commencé à chiper dans la cuisine, Sirius soupira :

« Bon, et après Peeves a fait du Peeves… Il a commencé par caqueter à propos de ma fâcheuse manie de me retrouver dans des lieux improbables… Et puis il s’est lancé dans une ballade à propos de mes amours pour les rideaux et colonnades.

— Les rideaux ? » Demanda Harry intrigué.

Jane ouvrit la bouche, puis finit par éclater de rire en comprenant soudain. Elle croisa le regard de Severus qui esquissa un rictus.

« Quoi ? s’agaça Harry.

— ‘tends, t’as pas compris encore ? se moqua Ron. Ce que tu peux être prude, parfois, Harry ! Qu’est-ce qu’un homme comme ton parrain pourrait bien faire derrière des rideaux, eh ?

Rien qui ne nous intéresse, coupa rapidement Snape en se levant. Si t’en as terminé avec ton fiasco, passons à table avant de reprendre l’entraînement.

— Quoi, c’est tout ?! On sait comment Reg est mort, et c’est tout ce que ça te fait ? s’énerva enfin Sirius qui reprenait contenance.

— Il n’y a que toi que ça intéressait. Que toi pour en éprouver une quelconque culpabilité. Maintenant Kreattur sait ce qu’on cherche, et il pourrait vendre la mèche.

Espèce de… Non, se reprit l’Animagus. Non, il ne dira rien. Il est fidèle à Régulus, et à personne d’autre.

— Et le problème est que son véritable Maître est mort. Il va falloir trouver un autre moyen de lui arracher ce foutu truc. S’il ne le cache pas davantage, maintenant.

— J’étais à Poudlard ! C’était l’occasion rêvée ! protesta Sirius.

— Et tu l’as gâchée. Mais c’était prévisible, tu étais le moins bien placé pour effectuer cette mission.

— Et que proposes-tu, au juste ? Tu te prends pour notre chef, ou quoi, Snape ?

— À toute armée il faut un Général, et excuse-moi si je n’ai pas l’intention de laisser Malefoy l’être. »

Ils étaient de retour dans la cuisine et empoignaient déjà les aliments pour commencer à les faire cuire. Harry nettoyait le plan de travail en les écoutant se disputer et Hermione leva les deux mains en guise d’apaisement :

« Nous avons encore un peu de mal à encaisser la mort du Professeur Dumbledore, c’est vrai, mais…

— Mais rien du tout, Miss Granger. Ça fait trois jours maintenant ! Trois foutus jours et nous n’avons pas l’ombre d’un plan. Tonks est injoignable et Lupin se terre dans son trou. Que reste-t-il de l’Ordre maintenant qu’il a été vendu au Ministère ? Rien du tout. Vous êtes des parias désormais, des opposants, et vous ne savez pas manœuvrer dans la fange comme moi. Alors, oui, Black : je suis votre meilleur atout pour l’instant.

— Très bien. Et que décide l’atout, alors ? se moqua Sirius en effectuant une courbette.

— De te mettre à la cuisine. Weasley ! Vous ferez les rondes à l’étage pendant ce temps. Granger, vous irez au rez-de-chaussée. Lovegood et Londubat vous assisterez Black qu’il ne nous empoisonne pas. Smith, vous allez réfléchir à un plan de sortie…

— Qu…quoi, moi ?!

— Potter, continua Severus imperturbable. Vous avez fait votre méditation ?

— Non, Monsieur, répliqua le jeune homme comme un soldat.

— Alors au salon. Exécution ! »

Quand il partit en trombe, suivi par Harry, Sirius jeta une drôle d’œillade à Jane.

« Et ça vous plaît ce genre d’autoritarisme…

— À vous aussi, apparemment. » Répondit-elle du tac-o-tac en désignant du menton les herbes qu’il commençait docilement à découper.

***

Les mains enfoncées dans les poches de son immense manteau, le visage à moitié dissimulé par l’épaisse écharpe blanche que lui avait offert son mari à Noël, Nyphadora Tonks marchait d’un pas raide en direction du champ désigné par son supérieur. Il faisait un froid terrible dans cette banlieue londonienne, et la décision prise par le Ministère de faire cette cérémonie au crépuscule était loin d’être la meilleure, Tonks en marmonnait encore. Le vent, pour commencer, les transperçait douloureusement, les températures glaciales poussaient les gens à s’emmitoufler sous d’épaisses couches de tissu – et donc à masquer une partie de leur visage, et pour couronner le tout, la luminosité décroissante ne faisait que rendre la tâche des Aurors plus ardue.

Et ils étaient tous là. En civil, en faction. Ceux qui étaient aspirants avec leur petit badge, ceux de la Brigade en poste avec leur robe et leur masque. Ceux, comme elle, qui venaient en tant que citoyens, affectaient des vêtements de deuil normaux, mais gardaient les yeux ouverts et se saisissaient de leur baguette au moindre bruit suspect. Ils étaient tous là, et pour cause : on allait inaugurer une tombe commune surplombée d’un mémorial, et tout le gratin se présenterait dans un grand champ gorgé de sortilèges repousse-moldus et d’illusions.

« Quelle idée stupide ! pesta une nouvelle fois Tonks en donnant un coup de pied furieux à un caillou qui barrait son chemin.

— Ce n’est pas la meilleure, en effet… Mais ils n’auraient pu enterrer tout ce monde autrement.

— Bien sûr que si, Rémus ! s’emporta la jeune femme en relevant un regard furibond vers lui. Chacun dans les prés carrés familiaux, et on n’en parlait plus !

— Et lui, quelle famille il avait ?

— Il aurait de toute façon détesté ça ! Chef, jamais il n’aurait accepté qu’on prenne autant de risque pour faire dans le sentimental. C’est inutilement dangereux, et c’est ridicule.

— C’est un héros, ce sont tous des héros, d’ailleurs. Les gens ont besoin de mémoriaux pour panser leurs plaies, chérie. Ils ont besoin…

— De se ressaisir et de se battre ! Tu crois que Voldemort va s’empêcher d’attaquer pour la sacralité d’une statue ? Et puis tu l’as vue en plus ?! Elle est ridicule, ri-di-cule… L’associer à cette bête, le célébrer, presque…

— Une bête qui me ressemble, coupa Rémus avec un ton froid.

— Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… laisse tomber. »

Elle remonta davantage son écharpe sur son nez et accéléra le pas, mettant de la distance entre eux. Le coup lui fit mal, Rémus encaissa sans rien dire, mais il sentit une nouvelle fois cette pression dans le ventre et cette boule dans la gorge l’étouffer. Sa femme avait beaucoup changé depuis qu’elle avait intégré la Brigade d’Intervention. Ils avaient tous changé à dire vrai… Il se souvenait qu’à une époque il leur arrivait d’aller boire quelques pintes avec ses collègues – ceux qui toléraient sa condition, et les plus joyeux s’étaient eux aussi renfermés sur eux-mêmes. Quant à Tonks… Sa fidélité envers ses frères et sœurs d’arme et sa soif de justice devenaient peu à peu une soif de vengeance et de sang presque incontrôlable. La mort de son mentor et ami n’avait fait qu’aggraver la situation. Il la regarda marcher devant lui avec une certaine tristesse, voyant son épouse s’éloigner de lui, le traiter « comme un civil », quelqu’un sur qui il fallait veiller, quelqu’un qui dormait sans être conscient des dangers. Et lui vivait dans la peur qu’elle ne meure, ou bien qu’elle ne lui échappe… que la guerre, quoi qu’il advienne, ne la lui enlève.

Ils arrivèrent donc en silence à un attroupement ridicule de gens tantôt en noir, tantôt en blanc, qui se rassemblaient autour d’une immense forme drapée que Tonks savait être la fameuse statue. Quand Rémus arriva à sa hauteur, elle grogna en la fixant, et il passa une main apaisante dans son dos, sentant que ça ne faisait au contraire que l’agacer. Elle se dégagea, feignant de vouloir rejoindre Robards qui conversait avec Lucius Malefoy. Il hésita un instant à la suivre, puis renonça, ne voulant pas paraître insistant ou encombrant. Une autre chape de plomb tomba sur son estomac, et il tripota machinalement son alliance en avalant lentement sa salive.

Quand Lucius avisa la jeune femme en train de fendre la foule et de passer le cordon de sécurité, il inclina la tête dans sa direction, poussant le Directeur du Bureau des Aurors à lui faire face.

« Miss Tonks, s’inclina poliment Lucius en usant de son nom de jeune fille comme elle le réclamait. Vous n’êtes pas en service, ne devriez-vous pas être auprès de votre mari dans la foule ?

— Monsieur le Ministre, Monsieur, ajouta-t-elle à l’adresse de Gawain. Il est encore temps d’écourter cette dangereuse mascarade. Je peux prêter main-forte, d’ailleurs si…

— Non Tonks, coupa Robards. Nous avons les effectifs nécessaires pour tenir en cas d’attaque et compte tenu de vos liens avec Fol’Oeil, je préfère vous savoir dans la foule, qu’en poste à ruminer votre douleur.

— Sauf votre respect, Monsieur, je sais faire la part des choses, et…

— Vous avez vos ordres, coupa Gawain avec fermeté.

— Je comprends, Miss, ajouta doucement Malefoy. Mais vous savez que cette mascarade est nécessaire. Notre Ministre en a décidé ainsi.

— Vous ne l’avez pas dissuadé pour autant.

— Soldat !

— Laissez. J’ai eu gain de cause pour celui de Dumbledore, je ne peux l’avoir à chaque fois. Gardez l’œil ouvert, vous savez qu’il faut conserver une vigilance constante. Je vous fais confiance.

— Oui Monsieur. »

Aurait-elle dû répondre « moi aussi, Monsieur » ? Elle ne parvint pas à le savoir, car Malefoy semblait satisfait de sa réponse. Elle ne parvenait pas elle-même à se décider à son sujet. Elle avait confiance en Dumbledore, il l’avait donnée à Malefoy, et force était de constater qu’il prenait de vraies mesures contre Voldemort… il ne prônait pas que l’amour, et… avant même qu’elle ne puisse rejoindre Rémus, Scrimgeour monta sur l’estrade pour faire son discours. Quelque part, ça l’arrangea de ne pas sentir les mains trop chaudes et douces de son mari sur ses épaules. Elle ne pouvait supporter à cet instant d’être cajolée comme une petite chose. Malefoy monta aux côtés du Premier Ministre, légèrement en retrait, et alors le discours commença. Il était question du sacrifice des uns, du courage des autres, de toutes ces choses que les Politiques disent dans ces moments-là et qu’ils ressortaient de plus en plus souvent. Nous étions en guerre, nous ne faiblirions pas, nous y ferions face, etc. etc. Tonks se désintéressa complètement du discours habituel pour regarder les alentours. Les Brigadiers en poste se tenaient droits autour du mémorial, mais à quatre bons mètres de l’estrade. Trop loin, pensa-t-elle, mais elle savait que cette décision était probablement celle de Scrimgeour. Des flashs provenant du carré des journalistes – bien en face du Ministre – lui confirmèrent que cette prise de risque était faite pour des raisons de communication, il fallait de belles images, et pas celles d’un Ministre caché derrière un bouclier de Brigadiers. Elle maudit une fois encore Rufus Scrimgeour qui avait toujours été plus politicien que guerrier. Ça, Maugrey n’aurait jamais commis une telle erreur. Elle continua son inspection : les familles aisées ramenées près de Malefoy, les autres laissées en vrac dans une sorte de fosse où chacun s’entassait et tordait le cou, qui pour entendre qui pour voir.

« […] Une telle combativité, un tel courage au service du Bien ne pouvaient être ignorés, et il nous appartenait aujourd’hui, plus que jamais, de le graver pour l’éternité dans nos mémoires. Que petits et grands aient à l’esprit le triomphe du Sorcier… sur la Bête ! »

Instinctivement, Tonks tourna la tête vers Scrimgeour quand elle l’entendit reprendre ses propres mots. Il tira sur une corde tressée en soie et le grand drap noir tomba, dévoilant une imposante statue de bronze montrant un Maugrey se battant férocement avec sa baguette, dominant un homme-loup aux crocs exagérément proéminents et aux babines salivantes. L’assemblée frissonna d’horreur, et on entendit quelques gémissements de matrones parcourir l’attroupement. Tonks grimaça, c’était plus ridicule qu’elle ne le pressentait : son mentor dressé face à un simulacre de Fenrir Greyback présenté à moitié transformé, gardant pourtant des traits humains pour renforcer l’horreur et le dégoût face à sa malédiction. Tonks chercha du regard Rémus, sachant qu’il vivrait très mal cette nouvelle vision donnée des gens de sa condition, en vain. Il avait dû baisser la tête, elle se sentit particulièrement coupable de ne pas être auprès de lui pour un si désagréable moment.

« Tous ces corps, c’est vrai ? » Souffla un anonyme vers la droite.

Tonks soupira. Sous les deux protagonistes s’entassaient des formes humaines et animales, symbolisant à la fois le monceau de cadavres qu’avait laissé derrière lui Maugrey, et les Aurors tombés qui n’avaient pu être à sa hauteur. Plus grandiloquent, il n’y avait pas, et Tonks sentit une affreuse remontée de bile lui brûler la gorge alors que la colère s’emparait d’elle à nouveau. Ils avaient mis à la retraite Maugrey en le traitant de fou et de paranoïaque, d’archaïque et de chien enragé, et maintenant ils en faisaient un héros de guerre fantasmé ?!

« Il ne lui ressemble même pas, gronda-t-elle dans sa barbe.

— Non, lui répondit une voix étouffée à ses côtés. Il était tout aussi bestial que son ennemi… »

Tonks acquiesça, avant de frissonner soudain. Elle se retourna, baguette tirée et cherchant du regard la personne à qui appartenait cette voix. Elle était certaine de l’avoir déjà entendue quelque part et cela l’inquiéta plus encore. Dans la nuée de personnes, elle ne vit aucun mouvement suspect. Elle chercha du regard Rémus, rien. Sirius était dans le carré des nantis et applaudissait avec les autres. Les Weasleys ? Non loin, eux aussi en train de jouer le jeu. Les enfants alors ? Elle tordit le cou, trouva brièvement Londubat qui lui adressa un petit signe de tête, puis se tourna pour chuchoter sans doute à Ron ou… Tonks perdit le contact visuel. Tant pis, elle chercherait toute seule. Sans doute était-elle parano également ? Aurait-elle droit à sa statue, elle aussi ?

« […] Par conséquent, nous avons pris la décision de relancer une campagne de recrutement au sein de la Brigade, ouverte à tous les Sorcières et Sorciers de bonne volonté, y compris les nés-Moldus qui, jusqu’ici ne pouvaient prétendre à accéder à la fonction d’Auror… Il nous est apparu qu’il était inutilement discriminant de…

— TRAITRE A VOTRE SANG ! »

Tonks tourna la tête si vite en direction du cri qu’une violente douleur lui vrilla le cou et une partie de la tempe. Des brigadiers pointaient déjà leur baguette vers l’importun qui ressemblait à un homme tout à fait banal. Il fut rapidement immobilisé et quelques bras descendirent dans la fosse pour l’exfiltrer. Scrimgeour s’approcha du rebord de l’estrade, le visage tendu dans une expression autoritaire.

« Nous sommes en guerre ! rappela-t-il à l’adresse de l’agitateur, les seuls traitres sont ceux qui refusent de faire le nécessaire pour la gagner… »

Ça n’allait pas, pensa Tonks, le Ministre était trop exposé, cette intervention pouvait bien être une diversion, ou… Elle commença à remonter dans sa direction, jouant des coudes et poussant les curieux qui devenaient immobiles, comme fascinés par cette nouvelle distraction.

« Bien parlé Monsieur l’ex-Premier Ministre ! »

Cette voix. Tonks se figea en ayant l’impression de passer sous une cascade d’eau glacée. Elle aspira une grande goulée et d’air et se contracta soudain pour bondir en direction de l’estrade. Quatre mètres, vingt personnes entre elle et Scrimgeour. Personne ne comprit ce qu’il se passa, Rufus Scrimgeour tourna la tête vers la voix avec un air légèrement ahuri peint au visage, répétant presque sans voix l’expression « ex-Premier Ministre », avant qu’il n’écarquille les yeux, stupéfait.

« SCRIMGEOUR ! » Beugla Lucius en lui fonçant dessus pour le plaquer au sol.

Malefoy repoussa ses cheveux en arrière et tourna le visage de son supérieur vers lui, mais il était figé dans un masque de consternation, raide mort.

« PROTÉGEZ LE MINISTRE DE LA JUSTICE ! ordonna Robards en comprenant immédiatement la situation. SORTEZ LES MINISTRES ET LES FAMILLES, DISPERSION ! »

On monta soudain le son, et sous les pieds du combat ridicule entre l’Homme et la Bête, des hurlements montèrent au ciel, de terreur pour commencer, puis rapidement de douleur quand la panique poussa les Sorciers et Sorcières à se bousculer, à se frapper, à se marcher dessus. Quelques-uns eurent la présence d’esprit de transplaner, mais celles et ceux qui ne pouvaient ou ne savaient le faire correctement se mirent à courir comme des Moldus que leurs assaillants que vomissaient à présent les ténèbres se mirent à faucher en ricanant. Tonks se précipita là où elle pensait avoir laissé Rémus, le cherchant désespérément, un Brigadier masqué la bouscula en esquivant le sort qu’un Mangemort tout aussi drapé lui lançait. Elle se laissa porter et roula au sol pour disparaître de la scène de bataille. L’estrade s’était vidée, Malefoy avait emporté le corps de Scrimgeour, manifestement, et Robards aidaient déjà les familles des 28 ainsi que les grands noms à s’échapper. Quant aux autres ? Que Merlin leur vienne en aide, car la Brigade était pour l’heure occupée à se battre avec les Mangemorts.

« TONKS ! »

Elle se retourna en gémissant de soulagement, se précipitant contre Rémus qui l’embrassa furtivement.

« Tu n’as rien ? Sirius ? Arthur ?

— Là-bas, allons-y, il ne faut pas traîner.

— Non ! Je dois rester. Vous, partez, prévenez les autres et partez ! Emportez ceux que vous pouvez au passage, il faudra agir vite !

— Hors de question, je ne… »

Rémus fut coupé par un sortilège qui lui frôla l’épaule. Il se tassa sur lui-même en attirant sa femme instinctivement auprès de lui, et tira sa baguette pour répliquer dans un grondement.

« Rémus, lâche-moi, je sais me défendre… »

Il cligna des yeux quand l’assaillant se tordit de douleur sous le sort de brûlure qu’il venait de lui envoyer, puis il abaissa la tête en direction de sa femme, le regard rendu noir par l’adrénaline.

« Je suis Auror… » Répéta-t-elle.

Il plaqua sa bouche sur la sienne et lui vola un baiser vorace et furieux, puis il la repoussa.

« Je sais. Je m’occupe de prévenir les autres. Reste en vie.

— Toi aussi. »

***

Luna et Jane jouaient aux cartes et jetaient de temps à autre des regards aux fenêtres. Harry, lui, était assis en tailleur près de Severus qui lisait. Ils attendaient avec impatience le retour des autres habitants de la maison pour débriefer l’enterrement. De temps à autre, Severus relevait les yeux du journal pour les observer, semblant réfléchir à propos d’une question qui commençait à les peser : comment récupérer le médaillon sans mettre au parfum les autres qui resteraient à Poudlard ? Et qui y retournerait ? Il tourna la page, papillonnant des yeux en direction de Jane, qui ne lui avait toujours pas répondu. Harry trembla près de lui, et Snape tira sa baguette, prêt à entrer dans son esprit au besoin, mais le jeune homme ouvrit les yeux soudain et tira de sa poche le Gallion d’or d’Hermione.

« Merde ! Ils sont attaqués, il faut…

— Chut. »

Severus leva la main pour l’intimer au silence et se redressa totalement, envoyant valser son journal. Il prit le Gallion des mains et le regarda attentivement. Rien, à l’exception de la date, comme toujours. Mais au lieu d’être le 31 décembre 2017, il y avait noté…

« 28 juin 1914, dit-il d’une voix blanche.

— Assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, répliqua presque machinalement Jane en fronçant les sourcils… Oh, merde !

— Le Premier Ministre est mort, comprit immédiatement Severus. Prenez vos affaires, maintenant ! »

Luna bondit sur ses jambes et attrapa la main d’Harry pour l’emporter dans leurs chambres respectives. Jane resta un instant à fixer Severus qui tira sa baguette et se posta en faction près de la porte.

« Votre carte bleue fonctionnera ? lui demanda-t-il en tirant d’une de ses poches un petit sac dont il sortit de grandes fioles qu’il vérifia.

— Il n’y a pas de raison. Mais il va falloir remplacer les paiements d’Albus, mon loyer va redevenir à ma charge. Je n’ai pas beaucoup de…

— On trouvera une solution, je vous veux tous les trois dans deux minutes ici, prêts à partir.

— Je vais laisser un mot à Sirius…

— Et pourquoi pas une carte ?!

— Occupez-vous de votre porte, je sais ce que je fais ! »

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre qu’elle repartit en direction de leurs chambres et qu’elle pressa Harry et Luna qui étaient en train de rassembler quelques vêtements neutres, des livres et…

« Ne perdez pas de temps avec ça. Prenez l’épée et le diadème, surtout ! leur dit-elle.

— On les met où ?

— Severus a un sac sans fond, ou un truc dans le genre. Prenez des manteaux, quelque chose de chaud, laissez tomber le reste. Vos baguettes, planquez-les. Harry, vous avez toujours la poudre à disparaître des jumeaux ?

— Elle est déjà dans le sac. Cape d’invisibilité, carte du Maraudeur…

— Non… non, elle, donnez-la moi.

— Mais Professeur ?

— Sirius et les autres en auront bien plus besoin pour obtenir le médaillon. Nous, nous fuyons, eux, ils vont continuer de se battre. Aller ! Descendez, Severus ne nous laisse pas beaucoup de temps ! »

Ils obéirent, et Jane termina son tour des chambres, puis retourna dans le salon pour attraper son sac.

« Smith ?! 20 secondes ! »

Elle ne répondit pas, plongea la main dans le sac et griffonna quelque chose sur son bloc-notes, puis arracha la feuille et la mise sous le cul de la cruche d’eau postée sur la table de la cuisine. Elle laissa la carte du Maraudeur qui ne ressemblait plus qu’à un simple morceau de parchemin et hocha la tête. Quand elle arriva dans le vestibule, enfilant son manteau en grande hâte, Severus lui demanda :

« Qu’avez-vous marqué ?

Plaise à Dieu que tout cela s’achève bientôt.

— Quoi ?!

— Hermione comprendra. »

Elle fut la première à lui attraper la main, et elle prit celle de Harry dans l’autre, qui tenait Luna contre lui.

« Vous savez transplaner à plusieurs ?

— Je l’ai déjà fait avec le Directeur, jamais aussi nombreux.

— Restez avec nous, alors. Allons-y ! »

Il ouvrit rapidement la porte d’entrée et ils déboulèrent tous dehors, un trait vert fusa dans leur direction, confirmant le danger imminent. Severus ne s’embarrassa pas d’être dans un quartier Moldu au moment du souper et transplana immédiatement.

Ils arrivèrent brutalement dans la ruelle où Jane et lui avaient pris l’habitude d’atterrir. Severus les repoussa contre le mur en leur faisant signe de rester immobiles, puis il passa la tête en direction de l’extérieur. L’artère sur laquelle habitait Jane était noire de monde, plus que d’habitude. Les gens dansaient, marchaient, chantaient, dans des tenues extravagantes et tous semblaient avoir bien entamé…

« C’est le Réveillon, rappela Jane. Venez, je doute qu’on puisse nous repérer dans un tel bordel, aller, on monte ! »

Severus poussa Harry et Luna devant lui, fermant leur marche, tandis que Jane tapait son code d’entrée et qu’elle les conduisait dans le couloir de son immeuble. Ils montèrent en silence dans l’ascenseur, et quand la musique et la machine se remirent en marche, Luna eut un grand sourire. Harry ne semblait pas prêt à se détendre, même lorsque Jane ouvrit enfin son appartement, et qu’ils arrivèrent sans dommage. Elle jeta ses clefs et son sac sur le comptoir et se précipita sur le tableau électrique. Ils étaient dans le noir, et Harry tira machinalement sa baguette quand Snape lui attrapa rudement le poignet en criant :

« NON ! Pas de magie. Vous avez la Trace tous les deux, oubliez vos baguettes.

— Mais en cas d’attaque…

— Nous allons justement éviter les attaques, Monsieur Potter. Smith ! cria-t-il encore. Vous allez remettre la lumière, oui ?

— Voilà ! »

Severus appuya sur l’interrupteur qu’il savait à l’entrée et le salon/cuisine s’illumina pour dévoiler un canapé-lit ouvert aux draps défaits, une vieille boîte de pizza avec des restes de croûte et de fromage collés au carton qui étaient devenus verts de moisissure, et surtout la bouteille vide de rosé et les deux verres. Luna semblait émerveillée de l’endroit où ils se trouvaient, tandis que Harry ouvrit la bouche en fixant le canapé…

« Ce n’est pas ce que vous croyez, lui dit stupidement Severus.

— Je n’avais même pas encore pensé que vous…

— Harry ? Vous savez brancher des télés et tout le reste ?

— Oui, vous aviez tout mis hors tension, c’est ça ? Je m’en charge.

— Super, merci, je vais aller voir… Ah ! »

Elle sortit pour se diriger vers son bureau et tira sa carte bleue avec satisfaction. Puis elle attrapa son ordinateur portable et l’alimentation, et brancha le tout sur une prise à côté de la cafetière. Elle sortit son smartphone et tira un chargeur du bureau et brancha ces derniers près de la grande télévision.

« Il n’y a plus qu’à attendre un peu. Je vérifierai mes comptes, et là on ira manger. Personne ne livrera un soir de Saint-Sylvestre, mais je sais où aller si besoin. Severus, aidez-moi à changer les draps, je vais en mettre d’autres, et heu… Oh. »

Elle s’arrêta soudain, alors que Luna commençait déjà à jouer avec la télécommande. Snape soupira et prit un des tabourets de bar pour s’y assoir.

« Reprenez votre souffle, vous allez dire quelque chose de fâcheux. Potter, le Gallion chauffe encore ?

— Non. Est-ce que cette magie peut se faire repérer ?

— Encore heureux que non ! Il va falloir trouver un moyen de communication plus efficace que ça, on ne peut pas se permettre de s’envoyer des dates aléatoires comme ça…

— Je trouverai des portables jetables, répondit Jane en enlevant les draps du canapé-lit lentement. Ça capte mal à Square Grimmaurd, mais ça capte, puisque mon portable avait sonné une fois.

— Ah bon ? On ne l’a pas remarqué ? demanda Harry suspicieux.

— On vous a jeté un sort d’Oubliettes. Bon, vous savez ce que vous faites, Jane. Personne ne nous cherchera dans le monde Moldu. Du moins, pas aisément.

— Et vous m’annoncez ça, comme ça… marmonna Harry.

— Vous étiez d’accord, je peux vous l’assurer. Mes parents aussi ont reçu la visite de Severus pour ça. À ce propos : des consignes ? »

Elle avait les bras chargés de draps colorés, et Luna avait fini par délaisser la télévision qui tournait en boucle sur une chaîne d’infos en continu pour aller ramener les verres et le carton de pizza. De tous, c’était celle qui semblait le mieux s’accommoder de la situation. Harry soupira et Severus passa une main fatiguée sur son visage.

« Pas de magie, pas de référence à tout ça, à dire vrai. Pas d’utilisation de mots étranges, de noms étranges… On ne devrait même pas utiliser nos noms.

— Ça ne devrait pas trop me changer de chez mon oncle et ma tante.

— Il n’y a pas de jardin, ici. Vous n’aurez pas à le désherber. » Lui répondit Severus en ricanant.

Jane amorça un geste en direction des deux Sorciers, prête à interrompre leur future querelle, mais Harry pouffa de rire et se laissa tomber sur le canapé, s’allongeant tout à fait.

« Laissez Jane, donnez-nous juste des draps propres et on s’en charge, on dormira très bien ici. »

Jane se mordit la joue et jeta un regard entendu à Severus qui fit une étrange moue et acquiesça en silence.

« À moins que vous préfériez dormir avec moi, Professeur Snape, et que les filles restent entre elles… »

Severus leva les yeux au ciel et prit les verres pour les mettre dans l’évier, leur faisant ostensiblement dos.

« Fin de la discussion à ce sujet, Potter. Prévenez-moi quand le Gallion produira quelque chose. Jane, on attend votre rapport sur l’état de vos finances.

— La vache, on dirait le Premier Ministre face au Chancelier de l’Échiquier… « My Lord, le budget est-il fin prêt pour la présentation à la Chambre

— Smith… Des gens sont morts encore ce soir, nous sommes en cavale dans un monde sans Magie, et je commence à avoir mal à la tête.

— Eh bien vous allez prendre un cachet comme tout le monde, et ça ira tellement mieux que vous vous souviendrez que je ne tolère pas plus que vous qu’on me parle sur ce ton. »

Les bras dans de l’eau moussue, manches relevées jusqu’à faire apparaître sa Marque qui était noire, Severus se retourna dans la direction de la jeune femme, alors que les deux ados ne pipèrent mot, ayant la désagréable impression d’une dispute parentale. Toujours aussi chargée qu’une lavandière, Jane le fixa sans rougir :

« Mon monde, mes règles, Severus. »

***

 

Quand Sirius transplana avec les enfants, un sortilège les rata de peu, et Ron roula en boule en tirant Hermione et en hurlant :

« SIRIUS, ON EST COMPROMIS !

— À L’INTÉRIEUR ! JE VOUS COUVRE ! »

Il se redressa et lança un puissant sortilège de bouclier sur lesquels se fracassa une autre envolée de maléfices. Neville ouvrit rapidement la porte et ils entrèrent dans le vestibule, essoufflés. Sirius jeta une série de sorts à l’entrée et ordonna :

« Calfeutrez chaque pièce, chaque interstice. Surveillez les cheminées. Ils vont essayer d’entrer. Harry ? Snape ? LUNAAA ?!

— Le peuvent-ils ? s’alarma Hermione qui tirait elle-même sa baguette.

— Normalement non, mais vous allez devoir m’aider à renforcer la sécurité. Harry ?! »

Les vitres du salon frémirent et la porte gronda sinistrement. Sirius leva sa baguette et commença à entamer un vieux rituel de protection lié au sang. Les enfants n’entendirent pas les mots exacts, mais virent leur hébergeur être illuminé d’une aura rougeoyante, les veines saillantes qui pulsaient, tandis que de grands traits écarlates partaient de lui et s’écrasaient aux murs pour ramper sur les linteaux, sur les carreaux. À chaque porte, chaque ouverture les rayons se nichaient dans des sortes de runes brillantes qui apparurent soudain et bientôt, la maison entière fut baignée de cette inquiétante aura.

Ron gardait la cheminée de la cuisine, tandis que Neville gardait celle du salon. Hermione allait et venait dans les pièces, projetant de grands charmes de bouclier pour renforcer ce qui semblait déjà être une véritable forteresse.

« Il reste la cheminée de ma chambre, mais c’est la plus sécurisée. Vous avez trouvé les autres ? demanda Sirius qui semblait sur le point d’exploser d’inquiétude.

— Ils sont partis, il y a la carte, je crois, appela Ron depuis la cuisine. »

Ils s’y rendirent tous prestement, et le jeune homme pointa de son moignon argenté le bout de papier. Hermione fronça les sourcils et souleva la cruche pour en tirer le morceau de papier à carreaux. Elle hocha la tête après l’avoir lu :

« Ils ont bien reçu mon message, ils sont partis à Londres.

— Où ?! s’inquiéta Sirius restant dans le couloir.

— Probablement chez elle… ? proposa Neville. Des nouvelles de Tonks et Rémus ? Je crois qu’elle avait repéré quelque chose et qu’elle essayait de me prévenir… Merde, on n’a rien vu venir.

— Rémus me contactera avec ça. »

L’Animagus tira de sa poche un simple miroir et Hermione hoqueta, surprise.

« Mais Harry n’a-t-il pas l’autre ?!

— Non. Il l’a laissé à Poudlard lors de l’attaque. C’est Tonks qui a récupéré le miroir sur mes indications quand je m’en suis rendu compte… »

Neville soupira, et tous entendirent le soulagement d’être passé à côté d’une catastrophe si quelqu’un d’autre s’en était emparé.

« Alors on tient le coup et on attend de ses nouvelles ? demanda Ron qui semblait déterminé.

— Ils se lasseront. Ils ne vont pas pouvoir rester éternellement, la Brigade finira par être envoyée ici.

— Mais Sirius… Scrimgeour mort, la seule personne qui va assurer l’intérim’ avant la nouvelle nomination du…

— Je sais, Hermione, coupa Sirius, tendu. La Brigade viendra si Malefoy continue de jouer le jeu Politique pour sauver la face… Mais je ne sais pas s’il… La barbe ! J’aurais jamais cru que Snape me manquerait !

— On avisera en fonction, répondit résolument Neville. Je vais faire du café et des sandwichs, prenons nos postes et voyons comment se passe la nuit.

— Elle risque d’être longue et épuisante. » Murmura Sirius en guise d’avertissement.

***

« Merci pour la vaisselle, Severus. » Chuchota Jane en passant près de lui.

Harry et Luna avaient remis le canapé en place, et Jane leur avait apporté quelques draps pliés sur le côté. Profitant que les Sorciers étaient autonomes, elle s’était installée sur l’îlot de la cuisine pour consulter son compte en banque, et rallumer son téléphone. Après avoir été rassurée, elle sauta souplement et se dirigea vers l’espion pour tirer quelques verres et une bouteille de Martini.

« Vous allez vraiment boire ?

— C’est le Réveillon, il y a eu plusieurs morts, je suis enfin chez moi. Oui. Vous en voulez tous ?

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Luna intéressée en relevant le nez de la télé qui la fascinait.

— Du vin cuit. Ils sont mineurs, Jane, coupa Severus en avançant tout de même son propre verre.

— Je dois avoir du sirop si vous préférez…

— C’est bon, j’en prendrai, je suis un grand garçon.

— Potter, vous…

— Ne suis pas sous votre tutelle, et Jane a été claire : son monde, ses règles.

— Vous êtes d’autant plus mineurs ici, je vous ferai remarquer.

— Ce n’est qu’un verre, si j’avais de la bière, ça serait mieux, mais…

— Merlin, je n’aurais peut-être pas dû plaisanter au sujet de vos mœurs décadentes. »

Il sembla capituler, car il porta son verre à ses lèvres et s’installa sur un tabouret, jetant de temps à autre un regard en direction de la télévision. Harry et Luna prirent le leur et retournèrent regarder une émission spéciale à Réveillon où des groupes de Pop et de Rock Moldu donnaient des concerts en direct, et où des stars diverses de la télé et du cinéma faisaient des sketchs.

« À peine une heure dans le monde et ils sont déjà happés par cet engin, s’amusa la jeune femme.

— Abrutis serait un meilleur terme, mais c’est pas plus mal. Je n’avais pas envie de les gérer en panique. Nous nous cachons dans un petit appartement en plein cœur de Londres, avec des artefacts particulièrement dangereux… À ce propos, vous avez commencé à réfléchir à un endroit où nous pourrions détruire le diadème en toute discrétion ?

— Mmmh, acquiesça Jane en coinçant une feuille à rouler entre ses lèvres, tandis qu’elle piochait dans un paquet qu’elle avait récupéré dans son bureau. Il faudra sortir de Londres, évidemment, mais je pense avoir trouvé l’endroit idéal. »

Quand elle termina de rouler, elle approcha le briquet du bout de sa cigarette et Severus l’enleva d’un geste discret. Jane le regarda, furieuse, et l’homme coula un regard aux deux jeunes gens qui ne leur prêtaient aucune attention. Les deux adultes se faisaient face, assis sur leur tabouret respectif, quelques centimètres à peine séparant leurs deux nez.

« Vous avez meilleure haleine sans, murmura-t-il en remuant à peine les lèvres.

— Qu’est-ce que ça peut vous faire que… »

Elle s’interrompit et rougit quand il arqua un sourcil en se reculant, reposant la cigarette sur la paillasse. Jane sourit bêtement et porta son verre à ses lèvres sans se départir de sa teinte carmin, ce qui tira un léger ricanement à Severus.

« Dites, c’est pas qu’on est mal reçu, mais je commence à avoir faim, pas vous ?

— Si, c’est vrai, Potter, moi aussi j’ai faim. »

Jane s’étouffa et reposa brutalement son verre sur le comptoir après l’avoir à moitié vidé, et elle sauta sur ses jambes en prenant son sac, sans oser recroiser le regard avec son ami.

« Je vais voir le traiteur asiat’, il pourra nous faire une commande en express.

— Asiat’ ? s’étonna Luna en s’arrachant des aigus que faisait Matthew Bellamy.

— Asiatique, précisa Harry, jamais testé, vous comptez y aller seule ?

— Non, je viens, répondit à sa place Severus qui vérifiait que sa baguette était bien en place. Potter, Lovegood, pas de discussion à propos de quoi que ce soit de votre monde, pas de bêtise ni expérience…

— D’autant que je n’en ai vraiment pas pour longtemps, ajouta Jane avec malice à l’adresse des adolescents qui ne comprirent pas ce qu’elle voulait dire. Eh bien allons-y, couvrez-vous, il fait froid, et il y a un monde de dingue. »

Ils sortirent, laissant Harry et Luna seuls. Jane s’apprêta à refermer à clef derrière elle quand Severus posa sa main sur la sienne.

« Laissez, s’il y a un problème, qu’ils puissent sortir sans utiliser…

— Très bien. Allons-y. »

Il expérimentait beaucoup de choses depuis qu’il connaissait Jane Smith, mais se balader dans le Londres Moldu un soir de Réveillon était franchement original. Elle commença par lui attraper fermement la main, glissant ses doigts dans les siens, et le tirant par le bras. Ce romantisme le surprit jusqu’à ce qu’ils doivent traverser une véritable marée humaine où la jeune femme, emmitouflée dans une tenue plutôt terne, disparaissait sous les oranges électriques et les chevelures tressées bleues avec paillettes. Cela dura un certain temps comme ça, avançant difficilement parfois, s’arrêtant tout à fait, jusqu’à ce qu’elle change à plusieurs reprises de rues – toutes aussi peuplées, et qu’ils n’arrivent devant une sorte de roulotte fumante et éclairée d’une profusion grotesque de néons d’où s’échappaient des odeurs épicées délicieuses. Cela ne fit que renforcer l’envie de manger de Severus qui se laissa guider jusqu’au comptoir où un homme ridé et fatigué sourit soudain à l’approche de Jane et qu’ils n’échangent des mots qu’il ne comprit pas. Jane parlait-elle le Mandarin, ou quelque chose d’approchant ? Quand il jeta un œil à la carte où les noms des plats étaient écrits phonétiquement à côté des idéogrammes, il comprit qu’elle n’avait fait que passer commande.

« Quinze-Vingt minutes, tout au plus… On pourrait remonter si vous n’avez pas confiance envers les petits.

— Il nous a fallu plus de dix minutes pour venir ici, ça serait absurde. Vous avez déjà commandé ici ?

— Oui, John est un excellent cuisinier.

John ?!

— Oui, John. Vous croyez qu’il s’appelait « Tao Xang » ou un autre nom voulant dire « Guerrier du lotus au bras qui ne faiblit pas » ?! Il est Anglais, vous savez.

— C’est-à-dire que nous n’avons pas tellement l’habitude des personnes d’origine étrangère dans notre monde…, chuchota Severus en se rapprochant.

— C’est peu de le dire, pour vous la différence est encore plus stupide. Bref, John fait une bouffe d’enfer.

— Vous recommencez à vous agiter…

— Je n’ai pas l’habitude d’attendre sans fumer, vous savez ! Je n’avais pas prévu d’arrêter d’ailleurs, mais vous… oh ! Il neige ! »

Son ton était immédiatement parti dans les aigus et son regard s’était soudain arrondi. Cela tira un franc sourire à Severus qui pouffa en ouvrant ses bras.

« Venez, vous apprendrez à patienter autrement. »

Il l’attira à lui et Jane se laissa aller à cette surprenante étreinte. Il faisait un froid toujours aussi glacial, et ils étaient toujours menacés de mort. La guerre qui ne semblait intéresser personne ici faisait rage aux portes de leur imaginaire, et pourtant. Pourtant, le visage contre son épaule, à humer son odeur, à se réchauffer dans ses bras, Jane était bien.

« Et voilà, Miss Smith ! Je me suis permis d’y ajouter quelques petits gâteaux kitchs comme vous aimez. Même s’ils arrivent un peu tard, apparemment. »

Elle ne s’était pas rendu compte que tant de temps s’était écoulé, elle se recula, un peu gênée, et croisa le regard assuré de Severus qui tendit la main en direction de la commande.

« Merci, John, bonne année !

— Miss, Monsieur, Bonne année également ! »

Quand ils arrivèrent au palier, Jane mit la main sur la poignée et ouvrit soudain en criant :

« À TAAABLE ! »

Le bruit sourd d’un corps qui tombe lui répondit, et Severus ouvrit la bouche d’un air outré alors que son amie ricanait, goguenarde. Elle posa la nourriture sur le comptoir, en commentant :

« On se dépêche, on se rhabille, on recompose un visage.

— Vous voyez le mal partout, Professeur, répondit Harry qui était pourtant cramoisi. Je me suis juste cassé la figure.

— Oui… On se demande bien comment. Il est bien le concert de Muse, alors ?

— Aaaah, ce sont de vraies muses, Jane ? demanda Luna qui semblait tout à fait indifférente à l’émoi de Harry.

— Non. Juste un nom. Quoique tous les ados en détresse vous diraient que ça les a bien inspirés pour des poèmes ou des histoires romanesques et romantiques.

— Vous aimez bien ce groupe, Jane ? la taquina Severus en l’aidant à sortir la nourriture.

— Je n’ai jamais écrit de poèmes. Je laisse ça aux spécialistes.

— Ça a l’air très bon, c’est… Attendez. Le Gallion chauffe !

— Quelle date est inscrite, Potter ?

— Le… Le 11 août 480… Quoi ? Ça n’a pas de sens.

— Attendez, tenez-moi ça ! » Ordonna Jane à Severus en lui tendant les baguettes qu’elle était en train de sortir.

Elle attrapa son ordinateur et pianota. Après un bref instant, elle s’écria.

« Ce n’est pas 480, mais -480 ! Incroyable, Hermione a une mémoire des dates, hallucinante !

— Qu’est-ce que c’est ?

— La bataille des Thermopyles. Les Grecs en train de tenir tête dans un goulet à une armée perse. 300 Spartiates été capables de rester une nuit entière pour laisser le temps aux Grecs de mieux réagir, à 1 contre un millier, si vous voulez… J’exagère, mais vous voyez le problème.

— Ils sont assiégés, traduisit Severus. Des hommes ont dû venir pour tenter de vous trouver, Potter. Espérons que la Brigade intervienne…

— Vous pensez que Mal-que le blond va faire les faire intervenir ?

— Jamais il ne prendrait le risque de perdre le Ministre et un Lord dans la même soirée, il serait immédiatement accusé de trahison, ou pire : d’incompétence. La maison tiendra, rassurez-vous. Qui a gagné cette bataille ?

— Les Perses, mais la culture populaire veut que les Grecs, et surtout les Spartiates aient été triomphants, à leur manière… Drôle de choix, mais je suppose que la bataille du gouffre de Helm était plus compliquée à chiffrer.

— Je préfère encore me passer de l’idée d’une Brigade sous forme de Rohirrim, Jane.

— Vous ne cessez de m’étonner. Harry, vous comptez leur répondre quoi ?

— Que voulez-vous que je dise ? S’ils doivent garder Square… la maison, autant ne pas les déconcentrer !

— Très bien, demain je m’occupe de cette histoire de portables. Mangeons, et gardez un œil sur le Gallion, sait-on jamais. »

La télévision continua de tourner en fond, musiques, sketchs, bruit essentiellement, alors que les quatre personnes les moins susceptibles de se retrouver pour fêter la nouvelle année dégustaient ensemble différents plats de vapeur et sautés au wok, dans une normalité aux antipodes de leur situation. Mais à mesure que la soirée avança, ils se détendirent légèrement, commençant à apprécier le calme ambiant. Jane avait acheté un peu de tout, surtout de trop, et Harry repoussa une barquette en soupirant d’aise.

« Je vais m’arrêter ici. Je sais que je suis là incognito, mais si je continue, je vais tellement grossir qu’on pourra m’appeler Dudley Dursley.

— J’ai eu la main lourde, je le reconnais. Il y a les gâteaux si vous voulez, enfin, des biscuits…

— Les fameux qui sont kitchs d’après John ? demanda Severus en piochant dans le sac.

— Oui, regardez. »

Elle en prit et le cassa en deux, dévoilant un ruban de papier. Luna et Severus furent agréablement surpris, tandis qu’Harry se contenta de sourire. Jane lu à voix haute le sien :

« Nous apprêtons tous les jours nos cheveux. Pourquoi pas notre cœur ? Heu… »

Severus jeta un œil à la crinière de Jane avant d’éclater de rire, imité par Luna puis enfin Harry. Jane repoussa son gâteau, boudeuse et désigna celui de Luna :

« Ce ne sont pas les cages qui chantent, ce sont les oiseaux. Oh, ça dépend, il existe pourtant des cages sauteuses, pourquoi pas des cages chanteuses… !

— Ah, c’est pour ça que je t’… » Mais Harry s’arrêta immédiatement et ouvrit le sien avec sérieux. « On ne polit pas une pierre précieuse sans frotter, pas plus qu’on ne devient un homme accompli sans se frotter aux difficultés. Je dois avoir une sacrée valeur, maintenant… À vous Professeur.

— Misère… s’agaça Severus avant de casser son gâteau en deux et de soupirer. Celui qui a peur de souffrir souffre de ce dont il a peur. Comme c’est profond. Je préférais le vôtre, Jane.

— Moi aussi, celui que j’ai est illogique, ajouta Luna.

— Vous n’aimez tout simplement pas la sagesse ancestrale, c’est tout ! »

Jane repoussa les sacs et commença à les ranger dans le frigo, Harry retourna se poster près du canapé et décala la table.

« Cela vous dérange si on fait le lit tout de suite ? Je ne sais pas si c’est la digestion, mais je commence à somnoler.

— Alors c’est entériné ? demanda Jane d’une voix tendue derrière la porte du frigo.

— Oui, et nous n’allons pas creuser la question, ajouta Severus. Je vais vous aider Potter, poussez-vous. »

Tandis qu’ils installèrent le lit, Jane prit la télécommande et l’agita en demandant à Harry :

« Vous savez vous servir des films à la demande ? J’ai un abonnement, normalement, vous devriez avoir de quoi faire.

— Ne vous en faites pas Professeur, je vais trouver quelque chose, à moins que vous n’ayez un conseil… ?

— N’importe quoi de Guillermo del Toro, Luna adorera. »

Harry répéta le nom en pianotant, cherchant sur l’écran de télévision quelque chose y correspondant. Luna commença à prendre place et Jane se racla la gorge :

« La salle de bain et les toilettes sont derrière ce couloir. Je fermerai la porte, et la porte de ma chambre, pour qu’on ne s’entende pas ronfler, mais vous avez les serviettes et tout le reste. Je vous ai posé des vieux t-shirt et… Désolée Harry et Luna, mais je n’avais que ces vieux shorts en coton pour… Bref, on trouvera des vêtements demain.

— Nous avions quelques rechanges, ne vous en faites pas Professeur. Bonne nuit ! »

Jane inspira et comprit que sa présence, que leur présence, n’était plus requise dans le salon. Elle se mordit la lèvre, un peu gênée, et tourna les talons en direction de sa chambre. Severus et elle y arrivèrent dans un silence religieux complet. Jane n’osait manifestement pas le regarder et préféra commencer à fouiller dans ses armoires pour tenter de lui trouver quelque chose pour la nuit.

« J’ai déjà de quoi faire, la rassura-t-il en tira de son sac son long pyjama noir.

— Ah ! C’est quand même très pratique ça…

— Oui. Ça l’est. »

Il s’assit sur le lit et la dévisagea longuement. Les bruits de tirs et d’ordres criés en Allemands leur parvinrent.

« Ils regardent Hellboy, commenta inutilement Jane.

— C’est un De Taureau, comme vous leur avez préconisé ?

— Del Toro. Laissez tomber. Je suis ridicule, je vais me laver.

— Détendez-vous, vous n’êtes pas ridicule, cette situation est étrange pour tout le monde ici.

— Pas pour eux, ils semblent tout à fait à l’aise à l’idée de…

Moi pas. Je ne suis pas à l’aise à l’idée qu’ils dorment ensemble. En partant du principe qu’ils se bornent à cela, précisa Severus rudement, ni à l’idée qu’ils sachent qu’on…

— Dorme ensemble ?

— Allez vous laver. »

Jane tourna des talons et termina dans la salle de bain, fixant son visage pour la première fois depuis longtemps. Comme elle avait changé ! Pour commencer, elle aurait cru qu’elle aurait pris un peu de poids à manger aussi richement chez les Sorciers, mais il semblerait que de faire ses kilomètres dans les escaliers de Poudlard soit efficace. Mais son teint ne s’était pas amélioré, elle semblait plus blanche, plus irréelle. Son regard, lui, était dur, presque méfiant. Jane rentra dans la cabine et soupira de plaisir en retrouvant son savon, ses odeurs, ses habitudes. Elle adorait cette douche : spacieuse, toute carrelée comme on le faisait en Europe. Le fait d’avoir une douche et non une baignoire à Londres avait été un des éléments pour elle pour se décider. Elle fit attention à ne pas se mouiller les cheveux, en sachant qu’elle ne bénéficierait pas d’un sortilège cette fois, et coula un regard satisfait à ses pieds. Elle se mordit la lèvre et passa une main sur ses jambes, puis grimaça. Elle attrapa son rasoir.

Quand elle ressortit, elle délaissa ses anciens vêtements dans la panière à linge de la salle de bain et passa la tenue qu’elle avait sélectionnée. Dans le couloir fermé, Jane entendait les dialogues du film lui assurer que les gamins étaient toujours intéressés par le salon, cela ne l’empêcha pas d’hésiter comme une fillette. Elle ouvrit la porte de sa chambre et s’y glissa. Severus était assis sur le lit, habillé de son pyjama noir et feuilletant le livre qu’elle avait posé sur sa table de nuit. Il leva les yeux vers elle, et reposa lentement le bouquin. Jane rougit.

 

« Où est passé votre pyjama informe ? demanda-t-il d’une voix blanche.

— Vous le préférez ? »

Pour seule réponse, Severus posa le regard sur ses chevilles, appréciant de les voir petites et nues pour la première fois. Il remonta le long du galbe de ses mollets, passa sur ses genoux qu’elle espérait ne pas avoir de tremblants. La dentelle de la nuisette commençait à caresser sa peau à mi-cuisse. Peut-être même un peu plus haut. Elle vit à son regard qu’il la trouvait légèrement transparente, mais il n’arrêta pas son voyage, pour autant. Il remonta encore, devinant qu’elle ne portait rien sous le vêtement, sa rétine s’accrocha à ses hanches, puis à son nombril qu’il n’était pas difficile à percevoir sous la mousseline. Jane inspira un grand coup quand il ralentit soudain, laissant ses yeux aller et venir de droite et de gauche pour embrasser totalement la courbe de ses seins. Il les surmonta, leurs émois qui trahissaient déjà la jeune-femme à travers le tissu en frémirent. Elle déglutit lentement, sous cette magie inédite pour elle. Severus délaissa la dentelle qui épousait la naissance de sa poitrine et il porta son regard sur les lèvres entrouvertes de Jane, les savourant de son regard intense. Ils s’observèrent, avant qu’il ne réponde d’une voix terriblement rauque.

« Non. »