« Jeudi cinq septembre,
Père,
Je me permets de vous écrire pour vous tenir informé de la vie à Poudlard, et plus particulièrement de notre programme scolaire. Comme je vous l’ai indiqué lors de ma précédente lettre, nous sommes désormais obligés de suivre un cours sur les Moldus. Non-content de nous imposer une matière aussi inutile, chargeant ainsi un programme d’année de BUSE déjà bien occupé, Dumbledore nous a également imposé une femme abjecte en guise d’enseignant.
Il aurait fait venir cette amoureuse des Moldus d’Australie, où semble-t-il, le respect dû aux Sang-Purs n’est pas inculqué. Cette Jane Smith nous oblige non seulement à utiliser des artefacts primitifs, mais elle pratique des méthodes de répression sur lesquelles j’aimerais attirer votre attention. Elle semble particulièrement virulente à l’égard des Serpentards et se permet de retirer une quantité de points telle, que Severus passerait pour un indulgent. Pis encore, Père, Smith m’a mis en heure de colle avec le semi-gobelin pour me faire réviser mon Incendio ! Évidemment, Potter et sa bande, eux, n’ont jamais eu de retenue !
J’en ai déjà référé à Severus qui compte bien s’entretenir avec cette étrangère au sujet de la perte de points de notre maison. Mais si je vous contacte aujourd’hui, Père, c’est dans l’espoir que vous me prodiguiez vos savants conseils, et me rassuriez sur l’attention que porte le Ministère à tout ceci.
Dans l’attente de votre réponse, et en vous souhaitant bonne fortune à vous, ainsi qu’à Mère, je vous prie d’accepter mes humbles salutations.
Votre héritier, Draco Malefoy»
« Samedi sept septembre,
Fils,
Votre intérêt pour vos études me sied grandement. Quant à vos inquiétudes, bien que je les salue, je tiens à vous indiquer qu’elles sont vaines. Le Ministère, dont moi-même, sommes en effet très attentifs à ce qu’il se passe à Poudlard. Vous découvrirez sous peu qu’un nouveau vent souffle sur notre communauté.
Dans cette attente, je vous enjoins à la plus grande dignité.
Gardez votre maison dans l’honneur,
Lucius Malefoy, Seigneur de la Noble et Ancienne maison Malefoy »
Draco se fendit d’un sourire goguenard, tout en repliant soigneusement la lettre. Il adressa un bref signe de tête au hibou Grand-Duc venu lui apporter la nouvelle, lui signifiant par la même de repartir, puis il s’offrit le luxe de jeter un œil à la table des professeurs. Son attention était entièrement portée sur Smith, occupée pour l’heure à discuter avec Flitwick. Le jeune Malefoy aurait aimé que son père soit plus explicite, mais le ton pompeux, combiné au rappel des hautes fonctions que le patriarche occupait, suffisaient à lui faire bomber le torse. Qu’il était bon d’être le rejeton d’un homme riche et puissant ! Draco chérissait le nom de sa famille, tout autant que son influence largement achetée. Rien ne valait l’or à ses yeux. Le respect, les titres, les positions, l’amitié tout pouvait se marchander ! Et Draco avait appris très jeune que même l’homme le plus intègre avait des besoins à satisfaire.
Le blond délaissa Smith, pour croiser le regard de son Professeur de Potions, qui hocha brièvement la tête. Un nouveau sourire, plus mesquin cette fois-ci, s’étala sur les lèvres rose pâle du garçon. Quelle serait la tête de cette étrangère lorsque leur Directeur de maison irait la voir ? Il en jubilait d’avance, imaginant Severus fondant sur la pauvre femme, comme une chauve-souris prête à mordre sa proie. Il la voyait déjà se tasser sur sa chaise, balbutiant de plates excuses pour avoir osé punir l’Héritier. Oh, oui, qu’il était bon d’être Draco Malefoy !
Pansy le tira de sa douce rêverie en maugréant :
« Celle-là… Il faudrait vraiment lui apprendre à respecter ses supérieurs ! Cracha-t-elle.
— Oh, ne t’en fais pas Pansy, elle aura très vite ce qu’elle mérite. Répondit Draco, sibyllin.
— Tu as eu la réponse de ton père, alors ?
— Oui, à l’instant. Et je peux t’assurer que Smith va payer très cher son affront. Continua le blond d’un air suffisant.
— Que va-t-il faire ? Demanda avidement la brune.
— Tu verras, chère Pansy, tu verras ! Mais je te promets que cela sera grandiose !
— Elle va déjà devoir essuyer la colère de Snape. Se joignit Zabini.
— Vous lui avez parlé ?
— Bien sûr, Pansy ! Que crois-tu ? Un Malefoy ne fait jamais une menace qu’il ne peut tenir ! Et je peux te dire que notre cher Directeur n’a vraiment pas apprécié de voir les points de Serpentard en négatif.
— J’espère qu’il va lui coller la peur de sa vie ! S’enthousiasma la jeune fille. Ou mieux : qu’il la fasse pleurer !
— Sois patiente, elle va morfler. »
A cet instant, un hibou des marais traversa la Grande Salle pour se diriger droit vers la destinataire de la lettre qu’il portait. Il se posa avec grâce devant une Jane Smith surprise de recevoir du courrier lui étant directement adressé. Le Professeur détacha la lettre lentement, comme si elle allait lui exploser à la figure, et donna un morceau de toast à l’animal qui s’envola en direction de la volière de l’école. Smith balaya la salle d’un regard circulaire, et plissa des yeux lorsqu’elle vit que Draco Malefoy l’observait attentivement. Elle eut la sagesse de ne pas l’ouvrir en présence de ses élèves, et glissa l’enveloppe dans sa poche, avant de se lever pour son cours avec les septièmes années. La table des Serpentards fût secouée d’une vague de murmures et de rires contenus. Les verts et argents savouraient à l’avance la vengeance qui promettait d’être douce.
***
Salle des professeurs, samedi 7 septembre, 12h30,
Minerva soupira de découragement, tandis que Snape jeta un regard meurtrier à son mentor, qui s’essuyait les yeux en riant. Son agacement monta d’un cran encore, lorsqu’il vit que Jane le regardait avec délectation.
« Vous êtes contente de vous, j’imagine ?
— Presque autant que vous devez l’être lorsque vous collez Potter, je suppose ! Répondit la jeune femme sans se défaire de son sourire narquois.
— Pour l’heure, je ne lui ai pas encore donné de retenue, Miss.
— Il n’en n’a pas besoin, Ombrage s’en charge très bien toute seule. J’ai oublié de vous le dire, Monsieur le Directeur, mais Potter a trouvé le moyen de se faire coller dès le premier jour.
— Quoi ? S’exclama McGonagall en retrouvant soudainement toute sa fougue. Mais pourquoi ?
— Il essaie probablement d’établir un nouveau record… Commenta Severus.
— Il lui aurait tenu tête sur la question de Volde… Enfin sur le Psychopathe. Se rattrapa Jane devant l’air menaçant de son collègue. Il l’a fait également dans mon cours.
— Potter devrait savoir que ce n’est pas du tout une chose à dire devant cette femme ! Mais qu’a-t-il donc en tête ? S’inquiéta Minerva.
— Pas grand-chose, ma chère. Répliqua l’espion.
— Je le lui ai dit lorsque je l’ai croisé ! Mais il a pris la mouche, et a joué les victimes.
— Attitude digne d’un Potter, ça.
— Oh, ça suffit Severus ! Coupa la Directrice Adjointe. J’irai lui parler !
— Bonne chance, alors. Parce que j’ignore si c’est typique « d’un Potter », mais en tous les cas, il est en mode « m’en fous, j’veux un scooter ». Soupira Jane.
— Qu’est-ce qu’un scooter ? Demanda la vieille femme.
— Une mini-moto pour boutonneux. Ce que j’entends par là, c’est qu’il ne vous écoutera absolument pas. Il a quinze ans ce môme, la réflexion et les hormones sont incompatibles à cet âge. Alors, bonne chance ! Ajouta Jane alors que sa collègue se levait pour aller déjeuner en compagnie d’Albus.
— Vous aussi, vous devriez faire attention à ce que vous dites, Smith. Reprit Snape une fois qu’il fut seul avec la demoiselle.
— Pourquoi ? Parce que vous allez me rendre sourde à force de me hurler dessus ?
— Non, mais d’autres auront des méthodes plus…
— Ah ! Avec ces quatre heures sur l’évolution des armes moldues, j’ai totalement oublié la lettre ! Le coupa Jane en sortant l’enveloppe qu’elle avait reçue plus tôt. »
Snape ne broncha pas devant son interruption, trop curieux de connaître le mystérieux correspondant. Jane Smith était une Moldue, ses amis et sa famille devaient probablement ignorer où elle se trouvait et comment la contacter. Quant aux sorciers, aucun n’aurait de raison de lui écrire. Et pourtant, Jane était en train de décacheter l’enveloppe, et fronçait les sourcils en lisant le contenu de la missive.
A mesure que l’enseignante avançait dans sa lecture, Severus voyait sur son visage une multitude d’émotions passer rapidement : surprise, horreur, amusement, dégoût, et finalement colère. Jane finit par lâcher le parchemin, comme s’il était enduit d’une substance gluante et se mordit la joue, les narines frémissantes. N’y tenant plus, l’homme en noir tenta d’en savoir plus en feignant de ne pas être plus que ça intéressé par la réponse :
« Alors, quel est votre mystérieux soupirant… ?
— C’est ce gratte-papier de mes deux ! Il veut que je lui accorde une interview pour lui parler de ma matière, de mon cursus… Bref, tout le bla-bla habituel. Maugréa Jane en jetant un regard noir à la lettre.
— Langage, Smith. Nous savions déjà qu’il allait faire un article sur vous, il fallait s’y attendre.
— C’est quand même un bel enfoiré ! Je ne peux pas faire d’interview, parce qu’il se servirait de ça contre moi. Mais, n’en faisant pas, il trouvera à y redire. Je déteste ces fouilles-merde !
— Smith… Langage ! Vous êtes dans une école, bordel ! La taquina Snape. »
Les deux adultes se sourirent, partageant une hilarité muette. Mais l’instant fut bref, et l’amusement de Jane mourut lorsqu’elle reporta son attention sur la lettre. Severus l’observa un instant, puis ramena le sujet dans la conversation :
« Que comptez-vous faire, alors ?
— Rien. Dans l’immédiat du moins. Pas d’interview, et pas de réponse.
— Cela ne l’empêchera pas d’écrire, et vous le savez très bien…
— Évidemment, mais je préfère garder « une balle dans la chambre ».
— Vous savez, Jane, la plupart du temps, je ne comprends pas un traître mot de ce que vous balbutiez. »
***
Dortoirs des Gryffondors, dimanche 8 septembre, 22h30,
Harry se retournait dans son lit depuis maintenant plus d’une heure. Le sommeil mettait un point d’honneur à le fuir, à mesure que le garçon s’escrimait à le trouver. Il étouffait sous les couvertures. Le corps bouillonnant et rendu moite par la sueur, Harry passait le début de sa nuit à retirer ses draps et à les remettre. Un bras hors des tissus, une jambe peut-être, rien n’y faisait. Il oscillait entre le chaud et le froid, son agacement allant croissant. Il étouffa un juron, pestant contre l’organisation de Poudlard et de ses dortoirs, avant de s’en prendre mentalement au Directeur qui semblait très occupé cette année à l’éviter. A cette pensée, une nouvelle bouffée de chaleur, apportée par la colère, lui rougit les joues et accéléra son pouls. Pour couronner le tout, la sueur qui perlait sur son corps réveilla brutalement la brûlure de sa cicatrice fraîche sur la main, lui donnant l’impression de revivre la morsure de la plume maléfique. Le jeune garçon gémit piteusement dans son lit, se sentant impuissant, en révolte contre le monde entier, mais surtout : profondément esseulé.
Cette année était un véritable enfer pour lui. La Gazette du Sorcier n’en finissait plus d’écrire à son sujet, arguant longuement qu’il n’était qu’un mioche braillard totalement fou et en manque de reconnaissance. Ombrage le torturait depuis le premier jour des cours, chaque soir en retenue ses camarades de classe l’évitaient comme la peste et murmuraient méchamment sur son passage. Dumbledore l’ignorait royalement, lui donnant l’impression de n’être qu’un élève parmi tant d’autres – cette simple idée écœurait profondément Harry. Smith lui sortait par les yeux avec ses airs d’intellectuelle condescendante, et pour finir, ses amis l’insupportaient au plus haut point.
Hermione, pour commencer, le collait sans cesse, lui jetant de temps à autre des regards inquiets. Harry ne pouvait plus endurer son air apeuré chaque fois qu’il lui adressait la parole ou lui faisait part de son mécontentement. Il en avait plus qu’assez qu’elle lui donne l’impression d’être une pauvrette marchant sur des œufs, ou d’une infirmière coincée avec l’un de ses patients névrosés. Quant à Ron… Oh, Ron. Son meilleur ami, qui depuis la première année, n’avait jamais eu d’autre occupation que de jalouser viscéralement Harry, oscillant en permanence entre la guerre ouverte, et l’amitié fraternelle. Ron, qui aujourd’hui abordait avec tant de suffisance un insigne de Préfet qu’il ne méritait pas, et qui fêtait encore la veille au soir sa sélection dans l’équipe de Quidditch, bien qu’il n’ait guère de talent pour ce sport. Ron, toujours, qui l’avait mis dans l’embarra devant Cho, l’attaquant sur son équipe préférée. Ron, son meilleur ami, seulement quand être l’ami d’Harry Potter l’arrangeait.
Le brun eut un rire amer à cette pensée, se sentant tout à la fois sale d’avoir de telles idées à l’égard de ses proches, et se sentant dans un même temps soulagé. Il était dépassé par ses émotions, profondément épuisé d’être en permanence en rébellion. A aucun moment Harry Potter ne mit cela sur le compte de l’adolescence et des hormones. Il aimait à s’imaginer que les nombreuses épreuves qu’il avait traversé avaient peut-être fini par le rendre plus dur.
Il eut une pensée pour son parrain. Depuis qu’il était aux prises avec ce tourbillon de colère, Harry se sentait incroyablement proche de Sirius. Il pensait comprendre ce que l’homme endurait : être traité à tort de meurtrier, devoir se cacher, voir son nom traîné en permanence dans la boue… Oui, Harry voyait en ses problèmes un écho parfaitement légitime à ceux que vivaient Black. C’était donc tout naturellement que le jeune attrapeur avait décidé de lui écrire la veille, pour lui dire à mots couverts les soucis qu’il rencontrait avec Ombrage. Non pas ses méthodes de torture, non. Mais à propos de la douleur fulgurante à sa cicatrice qu’il avait ressentie en étant en colle avec elle. Le Survivant n’était pas stupide, du moins, pas autant que se plaisait à le dire Snape. Il savait très bien qu’il y avait peu de chance que la Sous-Secrétaire soit possédée par Voldemort, comme l’avait été Quirrel en première année. Il se doutait même que la sensation n’avait aucun rapport avec la femme-crapaud. Mais Harry préférait l’idée qu’elle soit en rapport avec la malfaisance d’Ombrage. Il lui était important de savoir, ou de sentir, que cette femme était dangereuse, et d’avoir une confirmation autre que son propre esprit. C’était une façon pour lui de légitimer son ressenti.
Il avait l’impression, ces derniers temps, que personne n’accordait foi à ce qu’il pouvait bien penser. Pas même ceux qui le soutenaient jadis. Mais qu’avaient-ils tous à remettre en doute sa parole ?! Hier encore, il lui semblait que la communauté sorcière presque entière l’adulait, fêtant le retour de leur héros parmi eux. Et aujourd’hui, ils ne se battaient plus pour être pris en photo avec le célèbre Harry Potter, mais pour lui cracher au visage. Durant sa seconde, puis sa quatrième année, Harry avait appris à ses dépens que l’humeur de la populace était particulièrement changeante. Mais cela n’était rien en comparaison du pilori qu’ils lui avaient préparé depuis sa rentrée. Le Ministère et la plupart des sorciers le croyaient fou, assoiffé d’attention. Ses amis le pensaient lunatique voire irascible. L’Ordre du Phénix continuait de le snober, sous prétexte de son âge. Et même Voldemort se désintéressait totalement de lui !
A ce stade de ses pensées, Harry repoussa brutalement ses couvertures, et ouvrit ses rideaux dans un geste rageur. Il s’assit sur le bord du lit, posant ses pieds nus par terre, et savoura la sensation de fraîcheur procurée par la pierre. Il inspira, expira, tentant tant bien que mal de repousser sa rage au loin, lorsque le ronflement de Ron lui parvint aux oreilles, manquant de lui faire décocher un sort de silence. Harry se leva d’un bond, furieux, baguette en main, avant de se rendre compte qu’il perdait totalement le contrôle de lui-même. Il ne supportait plus rien, ni personne. Attrapant la cape d’invisibilité et la carte du Maraudeur, il sortit en trombe du dortoir, ignorant délibérément que s’il se faisait prendre, il risquait gros. Dévalant quatre à quatre les marches des escaliers pour se retrouver dans un couloir baigné par les ombres, Harry eut l’impression d’entendre Snape ricaner dans le coin de sa tête. Le jeune homme s’arrêta choqué, et tendit l’oreille pour s’assurer qu’il était bien seul. Il l’était, mais alors qu’il rajustait les pans de la cape sur ses épaules, il lui sembla entendre un vague « Le règlement ne serait-il donc que pour les mortels, Potter… ? ». Le Gryffondor glapit, et murmura l’incantation nécessaire à la lecture de la carte. Il chercha avec attention le point surmonté de l’étiquette « Severus Snape », lorsqu’il le vit enfin à quatre couloirs de lui. Il lui était donc impossible que le terrible enseignant lui distille son venin. Le Survivant se dit qu’il devenait peut-être fou, n’envisageant tout simplement pas un instant que sa conscience avait naturellement adopté la voix de son professeur. Il reporta son attention sur la carte, à côté du point de Snape, deux autres figuraient : « Jane Smith », ce qui fit grimacer de déplaisir Harry, et un autre, qui l’intrigua au plus haut point : « Merlin ». Harry dû relire plusieurs fois l’étiquette, mais le nom restait le même. Il était impossible que l’illustre mage soit vivant. Pourtant, la carte ne mentait jamais.
Poussé par son intarissable curiosité, Harry se dirigea droit vers le groupe, bien décidé à lever le voile sur ce mystère. Il déboula sur un carrefour, se plaquant contre un mur, avant de passer discrètement la tête en direction du couloir où se trouvaient, d’après la carte, les trois sorciers. Mais Harry ne vit que Snape, dont la baguette éclairait faiblement le visage de Smith. L’attrapeur chercha des yeux le fameux « Merlin », mais ne trouva personne dans cette semi-pénombre. Il jeta un nouveau coup d’œil en direction de la carte qui s’obstinait à lui indiquer le sorcier légendaire. Confiant en sa cape d’invisibilité, le jeune garçon avança en direction du duo qui murmurait :
« Vous avez réussi à être plus haïe que moi, et seulement l’espace d’une semaine ! Chuchota Snape en scrutant les ténèbres à la recherche d’un élève.
— Ce n’était pas le but, Severus. Et de vous à moi, je ne crois pas être en mesure de vous égaler.
— C’est bien cela qui m’agace ! Vous n’essayez même pas d’être détestable, et pourtant, vous y arrivez.
— Je rêve ou vous êtes jaloux ? S’étonna l’enseignante en fixant un point qu’Harry ne sut déterminer.
— Certainement pas ! Moi, au moins, je suis un professionnel. J’ai plus de dix ans d’expérience à mon actif.
— C’est donc bien cela, vous ronchonnez parce que je vous surpasse. Pouffa la jeune femme sous le regard médusé d’un Potter qui n’en croyait pas ses oreilles.
— On verra bien ce que vous ferez le jour où vous tomberez seule sur un élève qui se promène dans les couloirs. J’attends de voir avec impatience tout votre… savoir-faire mis à l’œuvre. Susurra Snape méchamment sans que Harry ne comprenne où il voulait en venir.
— Le Directeur a jugé bon que je tire enseignement du meilleur, il n’y a donc aucun risque que je fasse des rondes seule.
— Je ne serai pas toujours là pour vous chaperonner, Smith. Encore moins pour vous… « Tenir la chandelle ». Ajouta-t-il d’un air entendu, en agitant sa baguette.
— Très malin, Snape ! Mais pour votre gouverne, les « chandelles » sont dépassées depuis longtemps par les lampes-torches ! Cracha Smith agacée.
— Pour sûr que l’on vous prendrait au sérieux avec un de ces machins… Mais je suppose que cela a une visée pédagogique. Contra une nouvelle fois l’espion, troublant de plus en plus le jeune garçon qui ne comprenait décidément pas cette histoire de chandelles.
— Fssssth ! Fit quelque chose qu’Harry n’identifia pas.
— Il y a quelque chose par-là ! S’exclama Jane en pointant la direction du brun.
— A tous les coups, c’est un Gryffondor. S’enthousiasma Snape en avançant à grands pas vers le fils de son vieil ennemi.
— Pourquoi toujours eux ?
— Mrrrraw ! Refit la chose inconnue qui commençait à faire peur à l’étudiant.
— Parce qu’ils adorent affronter mon courroux « avec courage ». Dépêchez-vous, je ne veux pas qu’il nous échappe !
— Merlin, attaque ! Ordonna alors Jane en pressant le pas. »
Le cœur d’Harry fit un bond incroyable dans sa poitrine. « Merlin, attaque ?! » Mais quelle était cette chose appelée « Merlin » ? Paniqua-t-il en s’imaginant déchiqueté par une créature féroce. Harry recula prudemment, les yeux rivés sur le sol et parfois sur la carte, qui indiquait que « Merlin » se faufilait à grands pas vers lui. Était-ce un serpent ? Connaissant Snape, c’était possible, mais alors Harry aurait compris ce que la créature avait feulé. Feulé ?!
« Attaque ? Smith, c’est un chat, pas un chien !
— Merlin, attaque et tu auras plus de croquettes ! Répéta Jane. »
A la grande surprise de Snape et du jeune garçon, le fameux Merlin bondit dans les ténèbres, alors que l’attrapeur esquivait habilement. Ses réflexes fulgurants lui permirent de s’enfuir rapidement, le cœur palpitant de façon erratique, les pensées troublées par l’idée que décidément, il n’aurait pas dû se lever de son lit. Tandis qu’Harry retournait à son dortoir sans demander son reste, les deux enseignants arrivèrent à rattraper le chat, qui ronronnait. Jane sembla déçue qu’il n’ait pas réussi à attraper le fautif. Alors que l’espion s’apprêtait à lui en faire la remarque, non sans malice, il remarqua que l’une des pattes du félin avait disparue. Le Maître des Potions intrigué, tendit sa main au sol, pour se saisir d’une matière inconnue à la Moldue.
« Qu’est-ce que… ?
— Une cape d’invisibilité, il semblerait. Se délecta le Serpentard.
— Alors ce n’était pas un élève ?
— Oh, je crois bien que si, Smith… Et si mes soupçons s’avèrent exacts, cette cape va BEAUCOUP manquer à ce petit impertinent.
— Severus… Je suis peut-être…
— Chut ! Coupa l’espion en lui lançant un regard noir, avant de répondre par avance à la question que se posait la jeune femme. Qu’est-ce qui me fait dire que c’est un élève ? L’expérience, Jane… L’expérience !
— Mais, alors à qui elle appartient ?
— Vous le verrez lorsque l’élève viendra la réclamer. Lui répondit-il avec un sourire mesquin.
— Il faudrait vraiment être con pour se dévoiler ainsi en allant la chercher. Ça prouverait seulement qu’il était en dehors des dortoirs !
— Comme vous dites, Jane : il faudrait vraiment être con. »
Harry passa le portrait de la Grosse-Dame sans se formaliser de ses remontrances pour l’avoir réveillée, et il se jeta dans son lit, la carte toujours dans ses mains. Il suivit avec soulagement les trois points rebrousser chemin. Alors comme ça, il y avait un chat appelé « Merlin », qui attaquait les étudiants à Poudlard ? Le Gryffondor se dit qu’il appartenait probablement à son nouveau professeur, ce qui ne faisait qu’exacerber la haine qu’il avait à son encontre. Elle lui avait donné l’ordre d’attaquer ! Chat ou non, cette folle l’avait lancé à ses trousses, toutes griffes dehors !
A la réflexion, Harry se rendit compte que l’animal ne l’avait ni griffé, ni mordu. Il avait simplement bondit sur le garçon, espérant peut-être le surprendre assez pour que sa maîtresse puisse le localiser. Harry pouffa de rire à cette idée : Jane aurait bien été embêtée de trouver son chat en train de renifler du vide ! Invisible sous sa cape, Harry se serait délecté de son air déconfit, prenant ainsi sa revanche sur cette vicieuse enseignante. Le brun soupira d’aise, se disant qu’une fois encore, il l’avait échappé belle, et qu’il le devait à la cape de son père. Il se redressa dans son lit, s’apprêtant à replier soigneusement le tissu pour le cacher sous son oreiller, lorsqu’il se rendit compte que quelque chose n’allait pas : il ne portait plus sa cape.
***
Lundi 8 septembre, Grande Salle de Poudlard, 7h20,
Severus Snape n’avait pas souvenir de s’être levé un jour d’aussi bonne humeur. Et il avait toutes les raisons du monde de l’être ! Cette nuit, les fées maléfiques des enseignants sadiques avaient répondu à ses appels en lui offrant la revanche de sa vie. Durant sa scolarité, Snape avait dû endurer les blagues de Potter Senior et de ses comparses. Des blagues souvent cruelles, et inlassablement faites à ses dépens. L’espion avait passé toutes ses années d’apprentissage à maîtriser de nouveaux sortilèges destinés à le protéger et à se venger des Maraudeurs. Et, bien que l’homme en noir développa très jeune une certaine aptitude à tout anticiper et à tout voir, James Potter semblait avoir systématiquement un coup d’avance, déboulant comme par magie de nulle part, pour s’en prendre une fois encore à sa victime préférée. Sept ans d’études parsemées de ce questionnement : comment cet imbécile faisait-il pour se déplacer sans que Severus ne le voit, et comment faisait-il pour savoir où ce dernier se trouvait ?
Dès que Snape avait refermé ses doigts sur le tissu magique, il sut viscéralement qu’il tenait dans sa main l’une des réponses à ses questions. De la même manière qu’il soupçonnait invariablement Harry et ses amis d’être responsables de ses malheurs et autres disparitions d’ingrédients, l’ancien Mangemort s’était convaincu que cette fameuse cape d’invisibilité appartenait au fils de son ennemi. Et l’homme savait d’expérience qu’il avait peu de chance de se tromper. Ainsi, il se coucha la veille, un sourire heureux aux lèvres, le précieux artefact plié à ses côtés, rêvant d’une possible exclusion de Potter Jr. Au matin, il avait sauté de bon pied dans ses chaussons et s’était précipité dans la Grande Salle pour assister au spectacle. Il était à présent occupé à converser avec une Jane surprise de voir son collègue si aimable. Lorsque les élèves arrivèrent dans la salle pour prendre leur petit-déjeuner, l’homme en noir regarda discrètement le flot des rouges et or pour distinguer la mine sinistre du Garçon-qui-devait-bien-regretter-de-s’être-levé-la-nuit-dernière. Le Professeur d’étude des Moldus sembla se rendre compte de son intérêt pour l’élève, et ne tarda pas à l’interroger à ce sujet :
« Qu’avez-vous à mater Potter, ce matin ? Murmura-t-elle discrètement.
— Je ne mate pas, je me gausse, Jane.
— A quel propos ?
— Comme toujours : je jouis à l’avance de la défaite de notre star.
— Comment ça… ? Il n’a… Jane s’interrompit et croisa le regard triomphant de son collègue qui hocha la tête. Non ! Souffla-t-elle. Alors vous croyez que… ?
— J’en suis convaincu ! Regardez-le attentivement, discrètement. Si j’ai raison – et c’est généralement le cas – il ne pourra s’empêcher de nous fusiller du regard.
— Severus, il le fait toujours, et à tout le monde.
— Non, Jane, vous allez voir la différence. Il va vouloir savoir si on l’a. Il suffira de lui faire savoir que l’on sait, et plus encore : que l’on sait qu’il sait que nous savons, et qu’il ne peut rien dire ! Marmonna vicieusement l’espion.
— Vous êtes définitivement un psychopathe ! Soupira l’enseignante en beurrant un toast.
— Je vous dis que j’ai raison ! »
A la table des Gryffondors, Harry Potter faisait son possible pour ne pas garder les yeux fixés sur ses deux enseignants honnis. Il avait passé le reste de sa nuit à angoisser, tournant et retournant dans sa tête sa rencontre avec Merlin, cherchant à se souvenir où il aurait pu oublier sa cape, pour en revenir invariablement à la même conclusion : l’animal avait dû la faire glisser, et l’un des deux adultes la possédait. Et chaque fois que le jeune homme précisait sa pensée, en se disant qu’il y avait peu de chances pour que cela soit Smith qu’il l’ait, son ventre se contractait douloureusement et sa vue se brouillait. Il était dans une sacrée merde.
Boudant son repas, le brun gardait la tête baissée sur son porridge en faisant de grandes rayures dedans avec sa cuillère. Creusant des trous, les renflouant, re-creusant des trous, jetant un regard discret à la table des professeurs, rebouchant les trous tout cela sous l’œil attentif d’Hermione qui oscillait entre l’inquiétude et le dégoût :
« Harry, Finit-elle par demander à bout de nerfs, Qu’est-ce que tu as ce matin ? Tu fais n’importe quoi avec ta nourriture !
— C’est vrai, mon pote, S’incrusta Ron d’un air paternaliste, ce n’est pas ton genre de jouer avec comme ça.
— Harry, tu sais, tu peux nous dire s’il y a quelque chose qui te tracasse, nous sommes tes amis. Tu angoisses à l’idée de revoir Ombrage, c’est ça ? Tenta Hermione d’une voix douce.
— C’est parce que Sniffle ne t’a pas encore répondu ? Ajouta Ron.
— Harry, dis quelque chose, s’il te plaît ! Supplia la jeune fille en se tordant les mains.
— Vousmefaiteschier. Marmonna dans sa barbe l’attrapeur, le nez toujours plongé dans son bol.
— Tu sais… On te comprendrait mieux si tu articulais. Lança Ron d’un air faussement joyeux pour tenter de détendre l’atmosphère.
— Oui, et puis ce n’est pas très gentil, Harry, on essaie… S’interrompit soudainement son amie en voyant le Survivant poser lentement sa cuillère, les jointures des mains blanches.
— VOUS ME FAITES CHIER ! Hurla alors le Gryffondor. C’EST ASSEZ ARTICULÉ, LÀ ? »
Hermione glapit en fronçant les sourcils d’indignation, et les oreilles de Ron devinrent écarlates. La Grande Salle fut soudainement silencieuse. A présent, de nombreux élèves et enseignants observaient le brun avec effroi et curiosité. Seul Severus ne le fixait pas, plongeant plutôt son regard onyx dans celui de Jane :
« Il est à point. Murmura-t-il en souriant. Maintenant, Jane, douce et agréable collègue…
— Allons bon, qu’est-ce que vous voulez ? Le coupa-t-elle suspicieuse.
— Seriez-vous assez aimable pour vous tourner avec moi vers cet insupportable gamin ? Pourriez-vous pousser le vice jusqu’à lui sourire d’un air profondément mesquin ? Je veux le plus vipérin dont vous êtes capable, ma chère.
— Mais qu’avez-vous en…
— A charge de revanche. Coupa le Serpentard.
— Soit. Capitula la Moldue en se disant qu’elle n’aurait pas meilleure chance de voir Snape redevable un jour. »
L’homme en noir hocha la tête de contentement, et leva un doigt en guise de signal. Les deux adultes braquèrent alors leurs yeux sur le Gryffondor, et lui prodiguèrent le fameux sourire. Harry, qui de son côté fusillait tout le monde du regard, finit par intercepter celui de ses professeurs. Lorsqu’il croisa précisément celui de l’espion, Snape élargit son rictus et agita discrètement sous la table quelque chose de luisant. Harry Potter cilla, pâlit brusquement, puis jeta un regard noir à sa Némésis qui avait déjà fait disparaître le tissu sous ses robes. L’ancien Mangemort leva le menton en signe de défi, ce qui acheva définitivement le jeune homme qui s’enfuit prestement de la Grande Salle. A la table, le Maître des Potions se dit que, définitivement, c’était la meilleure journée de sa vie.
***
Le même jour, Salle Commune des Gryffondors, minuit,
A peine Sirius s’était évanouit dans les flammes, que Harry ressentit une vague de tristesse immense le submerger. Au lieu de lui répondre par lettre, son parrain avait choisi de communiquer par la cheminé, contre toute prudence. Le jeune garçon aimait profondément l’animagus, et le voir prendre un tel risque simplement pour lui parler lui avait momentanément mis du baume au cœur. Mais la discussion lui laissait un goût amer. A ses côtés, Ron et Hermione semblaient plongés dans d’intenses réflexions suite aux révélations qu’ils venaient de glaner.
« Sniffle a dit qu’Hagrid était avec Madame Maxime, Commença Ron en réfléchissant lentement, se pourrait-il que sa mission ait un rapport avec les géants ?
— C’est ce qui paraît le plus logique, Confirma la jeune femme, Ce qui m’inquiète, c’est qu’il ait tant pris de retard sur son retour, les géants ne sont pas des créatures très… Dociles.
— Tu crois qu’ils vont combattre pour « Tu-sais-qui » ?
— D’après ce que j’ai lu, lors de la dernière guerre, ils étaient avec lui. Cela n’aurait donc rien de surprenant. Je me demande pourquoi Dumbledore s’obstine encore à vouloir les rallier.
— ‘Mione ! Ils font plus de deux mètres, ont un sale caractère, et on dit bien « une force de géant », non ? Rétorqua le rouquin.
— Oui, oui… Mais ils sont également associés au domaine du Mal et… Harry, tu nous écoutes ? Finit-elle par demander. »
L’attrapeur fut sorti brutalement de sa rêverie. Il était à cent lieues de ces questions. Son esprit tout entier restait sur la dernière phrase de Sirius. Il releva la tête, sourit faiblement, puis s’étira avant de se lever :
« Oui. Mais je suis fatigué, je vais me coucher. Dit-il.
— Harry, tu sais que tu as le droit de ne pas être « comme ton père ». Glissa la lionne bien trop intuitive au goût du jeune homme.
— Je sais. Merci, Hermione. Bonne nuit tous les deux. »
Et le garçon les planta là. En montant les marches des escaliers menant aux dortoirs, il les entendit chuchoter. Probablement étaient-ils en train de parler de lui, une fois encore, s’inquiétant de ses réactions et de son éloignement. Harry se jeta presque sur son lit, refermant les rideaux sèchement, et croisa les mains sur sa poitrine. Ce lundi fut pire que le précédent. C’était pour lui une vraie journée de cauchemar. Bien pire que le premier jour des cours, plus angoissant encore que la semaine qui venait de s’écouler, et peut-être le jour annonciateur d’une année catastrophique.
La veille, lorsqu’il se fut carapaté pour partir en vadrouille dans les couloirs, c’était déjà pour échapper à une semaine horrible. Il se disait alors que cela lui changerait les idées, et que rien ne pouvait aggraver la situation. En vingt-quatre heures, le destin lui avait montré qu’il s’était lourdement trompé. Pour commencer, il avait perdu sa cape d’invisibilité. Cape qui était maintenant aux mains de Snape. Harry, qui n’était pas naïf sur la question, savait que désormais, l’homme en noir en connaissait le propriétaire. Pis encore : jamais Snape ne la lui rendrait. Le voir, au petit-déjeuner, exhiber sa précieuse cape comme un appât, avait tout à la fois profondément mis en colère le garçon, mais également angoissé. Par la suite, son cours de Potions lui avait confirmé l’idée que l’espion prenait grand plaisir de ses mésaventures. Pendant deux heures, Snape avait asticoté jusqu’à la folie le Gryffondor. A grands coups de « Potter, qu’avez-vous à être plus empoté que d’habitude ? On dirait que quelque chose vous tracasse ! », ou encore : « Potter, ôtez cette mine lugubre de votre visage ingrat, votre potion est ratée, ça n’a rien d’innovant. Ce n’est pas comme si vous aviez perdu votre héritage ! » Et autres allusions mesquines.
Naturellement, le Survivant n’avait pas réussi à garder son calme, et Snape eut ce qu’il voulait : le lendemain, il aurait une retenue avec lui. Harry savait pertinemment que durant ces quelques heures, l’homme le torturerait mentalement sur la question de la cape. Sale bâtard graisseux !
A sa grande surprise, néanmoins, Harry dû reconnaître que Smith ne l’avait pas harcelé. La voyant le matin aux côtés du Mangemort pour lui prodiguer un sourire plein de malice, il se serait attendu à ce qu’elle en rajoute une couche. Et pourtant, si Smith semblait être la grande complice de la terreur des cachots, elle s’était totalement désintéressée d’Harry, se concentrant entièrement sur son cours. En y repensant, Harry se dit que l’enseignante était peut-être moins pire que son détestable collègue. Ou bien ne considérait pas la question comme étant suffisamment importante pour requérir son attention.
Bien évidemment, la suite de la journée ne fut pas meilleure : il avait eu une nouvelle fois cours avec Ombrage, passant de longues heures à endurer son sourire suffisant, et les lectures insipides de leur livre de cours. Les dessins dans le manuel étaient tout autant infantilisant que les conseils prodigués « Le monde magique regorge de vilaines créatures maléfiques qui n’hésiteront jamais à s’en prendre à de pauvres petits sorciers imprudents. […] La meilleure arme face au danger n’est pas la baguette du sorcier, mais la mesure : mieux vaut éviter un combat trop dangereux dans lequel vous pourriez vous faire mal, plutôt que de jouer les chevaliers… ». Harry se souvenait de ce passage, car dans la marge était illustré un homme en armure en train de devenir un tas de cendres sous l’assaut d’un dragon. Le style graphique était tellement cartoon que le jeune homme remarqua que ledit dragon avait des cils longs, manifestement pour signifier que la créature était une femelle. Durant l’heure de cours, la Sous-Secrétaire ne fit pas attention au jeune Potter, ce qui l’étonna grandement. Au lieu de cela, elle se contenta de les toiser avec un sourire suffisant. Le genre de sourires disant clairement que la femme-crapaud savait quelque chose d’important. Elle ne fut pas aussi odieuse qu’à l’accoutumé, mais Hermione fit la remarque un peu plus tard qu’elle portait la tête haute d’une personne ayant gagné une bataille. Le garçon, en revanche, n’y fit pas attention, se disant que cela n’avait aucune importance.
Après le repas du soir, où il eut une nouvelle fois à supporter le rictus satisfait de Snape, le trio d’or se réunit dans la Salle Commune pour faire leurs devoirs. Et comme si cette tâche ingrate ne suffisait pas, Harry eut une nouvelle fois la preuve que sa journée était maudite : Ron reçu une lettre de Percy, dans laquelle le nouveau bureaucrate l’enjoignait à s’éloigner au plus vite de son ami, de se méfier de Dumbledore, et de se confier à Ombrage. Outre le fait qu’il appelait Harry « Le chouchou de Dumbledore », Percy expliquait dans sa missive que son cadet avait tout intérêt à se garder d’un tel garçon « pas très équilibré ». L’aîné le mettait également en garde sur son choix d’allégeance, lui promettant que « les jours de Dumbledore à Poudlard étaient comptés. ». Harry avait tenté de réagir légèrement, voire de tourner cela en dérision. Mais il avait de plus en plus de mal ces derniers temps à se détacher de toutes ces accusations. Ron avait alors fait quelque chose qui le toucha grandement : il avait déchiré la lettre de son frère, jusqu’à en faire des confettis, tout en ponctuant son geste d’insultes envers l’auteur du pli. Cela avait mis du baume au cœur au Survivant. Il arrivait parfois à Ronald de faire exactement ce qu’un ami devrait faire en pareils cas.
Après cela, Sirius apparu dans l’âtre de la cheminée. Et si au début, Harry fut particulièrement touché et heureux de voir son parrain, il digérait mal la réflexion de l’ex-prisonnier : « Tu ne ressembles pas autant à ton père que je ne le pensais… » Tout cela parce que le garçon avait refusé qu’il vienne à Pré-au-Lard ! Sirius avait déjà pris de gros risques de l’accompagner à King’s Cross sous sa forme d’animagi. Draco Malefoy semblait l’avoir reconnu et avait fait de nombreuses réflexions en ce sens. Le Survivant ne tenait pas à ce que son parrain soit attrapé et jeté à nouveau en prison. C’était une attitude on ne peut plus sage, et l’homme ne trouvait rien d’autre à dire qu’il était un couard, tout à fait l’opposé de son père ! Cela avait blessé le garçon à plus d’un titre. Enfant, lorsqu’il était arrivé à Poudlard, Harry avait beaucoup aimé qu’on lui dise qu’il était « le portrait craché de James Potter ». Lui qui ne connaissait pas ses parents, appréciait de sentir qu’ils vivaient néanmoins à travers lui. Mais, très vite, le jeune homme se rendit compte que cela lui posait problème : Snape, et maintenant Sirius, semblaient ne pas être capables de voir Harry. Oui, il ressemblait physiquement à James oui, c’était troublant oui, cela rappelait de bons et mauvais souvenirs aux sorciers qu’il croisait. Mais l’attrapeur n’en pouvait plus de ne pas être vu pour ce qu’il était. Il en avait assez d’être « Le-garçon-qui-a-survécut », il en avait assez d’être un « James Potter miniature », il en avait assez d’être « L’homme de Dumbledore ». Il voulait juste être Harry, et être aimé pour cela.
A peine eut-il formulé cette pensée que de grosses larmes chaudes vinrent à lui brouiller la vue. Il ne put les retenir, et elles ruisselèrent sur ses joues, tandis qu’il était secoué de violents soubresauts. Même son parrain se refusait à voir autre chose en lui que la preuve que James Potter avait un jour existé ! Le garçon n’avait jamais eu le droit d’être une personne à part entière, seulement un symbole. Harry étouffa un gémissement, mais lorsqu’il osa formuler à voix haute « Je suis Harry, juste Harry », comme il l’avait fait cinq ans auparavant face à Hagrid, il ne put contenir son chagrin plus longtemps et pleura comme un enfant. Il ne voulait plus être l’idole ou la bête noire du monde magique. Il voulait qu’on l’oublie. Il ne voulait plus être une mascotte, ou un porte-étendard. Il voulait être aussi insouciant que ses camarades, ne penser qu’au Quidditch et aux amours. Harry ne voulait plus être Potter. Et lorsque les larmes se tarirent, le jeune homme sentit un élan de courage et de détermination comme il n’en avait alors jamais eut. Il se redressa dans son lit, et murmura à nouveau : « Je suis Harry, juste Harry. ». Il se sourit à lui-même, l’impression qu’un énorme poids s’enlevait de ses épaules. Il le répéta alors une troisième fois, en criant presque à ses rideaux :
« JE SUIS HARRY, JUSTE HARRY !
— Bravo, mon pote… Marmonna Ron qui s’était couché manifestement. Mais moi je suis juste en train de dormir… »
Cette réflexion, loin d’agacer l’attrapeur, le combla de joie. Oui, il était juste un adolescent qui venait de réveiller son meilleur ami.