Lundi 3 novembre, couloirs de Poudlard, 5h12,

Severus passa la tête, observant et écoutant les alentours. Les torches piquées au mur étaient encore éteintes, signe que les portraits dormaient très probablement à poings fermés. L’homme en noir avança, satisfait, appréciant le bruissement léger de ses capes perçant le silence. Il ne se précipita pas, se dirigeant nonchalamment en direction du rez-de-chaussée. Il ne croisa ni fantôme, ni Préfet. On aurait dit qu’il avait le château tout entier pour lui seul, et cette idée fit naître un sourire paisible sur son visage.

Quand il arriva au Grand Hall, Severus fronça les sourcils. L’immense accueil était baigné de lumière, les grands sabliers égrenant les points de chaque maison, brillants de mille feux. Il ne put s’empêcher de jeter un œil à celui des Serpentards, un rictus agacé lui barrant le visage. Les portes de la Grande Salle étaient fermées, comme toujours à cette heure matinale, mais Severus n’était pas arrivé jusqu’ici pour cela. Il partit à droite du grand escalier principal, se dirigeant vers une porte qui grinça en se refermant sur son nez. L’espion plissa des yeux, tira sa baguette rapidement, et se faufila en silence pour tenter de surprendre l’élève qui n’avait aucune raison de se trouver ici. D’un geste rapide, il tira sur la poignée, mais le couloir qui descendait sur les escaliers était vide. Il pressa le pas, se demandant dans quelle mesure il ne pourchassait pas quelqu’un d’invisible. Son entraînement d’espion lui permit de contenir son ricanement d’anticipation, alors qu’il s’imaginait tomber sur un Harry Potter en cavale. Mais lorsqu’il déboula soudain devant la grande peinture qui gardait l’accès aux cuisines, son expérience ne lui fut d’aucune utilité pour masquer son exclamation de surprise.

Devant lui, le fixant tout d’abord d’un air incrédule, puis trop rapidement à son goût moqueur, se trouvait Jane Smith qui tentait, en vain, de chatouiller le mauvais fruit. Ils se jaugèrent un instant en silence, avant que l’homme ne se décide à rompre le charme en reprenant une posture profondément paternaliste :

« Puis-je savoir ce que vous faites ici à l’aube, Miss ?

— Oui.

— … Comment ça, « oui » ?

— Oui, vous pouvez, répéta-t-elle malicieusement. Je crois que je me trompe de méthode, ce n’est pas le raisin qu’il faut chatouiller ? Dites, vous pouvez nous ouvrir, s’il vous plaît ? »

L’homme en noir esquissa un mouvement, avant de se raviser et de toiser son amie du haut de sa stature. Il lui offrit un sourire goguenard et répliqua lentement :

« Oui. »

Jane fit une grimace infantile, et chatouilla en vain pomme, banane, pastèque… L’homme en noir la laissa faire, même lorsque le grondement de son ventre interrompit un instant le geste de la Moldue. Ils s’observèrent à ce bruit, et elle pesta :

« J’en reviens pas, vous préférez me laisser m’empêtrer, quitte à crever la dalle.

— Je me nourris de votre désarroi, Miss.

— Pire qu’un Détraqueur, ce mec… marmonna-t-elle avant de s’exclamer : AH ! La poire ! J’aurais dû attendre avant de confisquer ce mot, je le savais. »

Le tableau pivota, dévoilant une entrée taillée dans la roche qui charriait une délicieuse odeur de brioche sucrée et de chocolat chaud. Jane jeta un regard incertain à Snape et s’engouffra, bientôt suivie. À mesure qu’ils avançaient, les odeurs alléchantes se renforçaient et rapidement, leurs ventres grondaient à l’unisson. Quand ils arrivèrent au sous-sol, ils ne pensaient pratiquement plus qu’à leur petit-déjeuner.

Jane laissa échapper un hoquet de surprise lorsqu’un elfe étrange l’apostropha suspicieux :

« Que faites-vous ici ? Il est beaucoup trop tôt, Miss ! Vous devriez…

— Leggy ! Ne t’adresse pas ainsi à la Grande Maîtresse ! rabroua une voix que la Moldue reconnut. Grande Maîtresse, reprit Dobby en s’inclinant profondément. Professeur Snape… Je vous apporte immédiatement votre petit-déjeuner. Monsieur voudrait quelque chose de différent, ou je mouds immédiatement votre café ? Et Miss la Grande Maîtresse voudrait… »

Jane eut un léger mouvement de recul devant l’enthousiasme de l’elfe de maison, alors que Snape hochait la tête vaguement, fixant le susnommé Leggy qui jetait un regard condescendant à son collègue. L’espion l’observa lui, ainsi que les autres créatures affecter de ne pas s’intéresser à leur arrivée, et il fronça légèrement les sourcils quand il vit une petite elfe secouer négativement la tête alors que Dobby en était à proposer de faire des choux glacés spécialement pour Jane. Cette dernière éclata de rire, et leva les mains en signe d’apaisement :

« Non, non, ne vous prenez pas cette peine, je suis désolée de vous déranger si tôt. Mais il faut que je travaille vite, un café sera parfait pour moi aussi, et quelques tranches de pain beurrées. Vraiment, ne vous dérangez pas outre mesure pour moi.

— Grande Maîtresse ! piailla Dobby, vous ne pouvez nous déranger ! Et de la brioche, elle est toute chaude encore, pleine d’éclats de sucre, est-ce que je vous en coupe quelques tranches, à vous aussi… ? »

Severus arqua un sourcil de défi en direction de Jane lorsqu’elle se retourna pour lui faire un commentaire, mais la Moldue se contenta de répondre à l’elfe :

« Si vous en coupez déjà pour Severus… Merci… Dobby ?

— Oui, Miss, s’inclina-t-il. Prenez place, prenez place ! Professeur, vous partagerez votre table ?

— Il semblerait… »

La petite créature ne le laissa pas tergiverser davantage et s’effaça, vaquant à ses occupations. Dans la cuisine, les autres elfes de maison les toisèrent un long moment, avant que les deux enseignants ne décident de rejoindre le coin auprès du feu, et ne s’asseyent dans des fauteuils bas et incroyablement confortables. S’enfonçant avec paresse dans l’un d’eux, la Moldue sourit à son collègue et ouvrit la bouche, mais il la coupa :

« Oui, il m’arrive de venir prendre mon petit-déjeuner ici.

— Et c’est pour cela que parfois vous ne mangez rien à table avec nous.

— Vous vous passionnez pour mon alimentation, Smith ? Qu’est-ce qui vous fait vous lever si tôt ?

— Mon cours, bailla la scribouillarde en couvrant sa bouche du dos de sa main.

— Il a lieu à 10h ! s’exclama Snape d’une voix blanche. Vous en faites trop !

— Ah-ah, non ! Si je n’installe pas, et surtout ne teste pas, l’équipement bien avant, je vais avoir l’air fine s’il ne fonctionne pas. Et alors mon cours ne servira pas à grand-chose… Et ATTENTION Severus, je vous vois venir.

— Je n’allais rien dire.

C’est ça… Et vous ? Pourquoi êtes-vous si matinal ?

— Mes cours également… Et l’envie de prendre un petit-déjeuner en silence, ce qui semble, hélas, raté.

— Je me nourris de votre désarroi, Professeur, répéta-t-elle goguenarde. »

Dobby revint rapidement, portant un immense plateau avec deux cafés fumants, une belle assiette de tartines de pain beurré, une somptueuse brioche dorée… Et des bananes, raisins, pommes et confiture, jus de citrouille et eau fraîche. Il déposa le tout sur la table qui séparait les enseignants, et s’inclina avec un profond respect, puis repartit à ses fourneaux. Jane jeta un regard entendu à son vis-à-vis en désignant d’un hochement de la tête l’ensemble des victuailles et ce dernier haussa les épaules, apparemment habitué. Ils attrapèrent d’un même geste leur tasse respective, et burent en synchronicité parfaite. Pendant deux minutes, ils restèrent silencieux, se contentant de manger et de profiter du bruit de crissement du feu, du tintement des casseroles et des légers chants fredonnés par les elfes. Ce fut Snape qui relança la conversation :

« Et… Comment vous aviez eu connaissance de cet endroit ?

— Ah ! La semaine dernière j’ai chopé Londubat en train d’envoyer un message à la petite Abbot… Et ils en parlaient dedans. Bon… Je lui ai confisqué le parchemin avant qu’il n’indique le fruit à tripoter, mais…

Oh oh… Ils se donnent rendez-vous aux cuisines, maintenant ?

— Que voulez-vous, rien de plus romantique qu’un déjeuner au coin du feu, eh ? »

Leurs sourires moqueurs s’évanouirent en même temps lorsqu’ils croisèrent le regard. L’homme en noir jeta un regard venimeux à leur repas, et la jeune femme croisa les jambes en reprenant une gorgée de café, lèvres pincées.

 ***

C’était un sujet qui avait été abordé au début de leur mariage. Ils en avaient parlé longuement et avaient décidé de ne plus jamais évoquer la question. Ainsi, depuis plus de seize ans, Lucius et Narcissa Malefoy prenaient leur petit-déjeuner ensemble, mais chacun avait sa propre théière, et il ne saurait en être autrement. Car, voyez-vous, Lord Malefoy faisait infuser son thé avec une rondelle de citron directement dans la théière, là où Lady Malefoy faisait couper une rondelle à chaque nouvelle tasse, rondelle fraîche et encore juteuse déposée dans le thé brûlant. Et là, seulement là, l’acidité se mélangeait au breuvage. En profond désaccord – assez pour que la querelle ne leur ait coûté quelques éclats de voix une paire de décennies auparavant – les époux, pour la paix des ménages, turent cette divergence de points de vue.

En Amour, comme en Politique, il fallait savoir faire des concessions pour garder son siège.

Narcissa tourna la page du journal qui était posé devant elle avec ce geste élégant qu’il aimait tant la voir faire. Quand elle fronça les sourcils en lisant, il sut qu’il pouvait interrompre sa propre lecture, car elle allait l’interpeller. Il affecta de continuer « Le Sorcier sans baguette » un roman humoristique qu’il n’avouerait jamais lire en public, mais son instinct avait visé juste :

« Il semblerait que vous soyez la nouvelle coqueluche de ces dames, mon ami… »

Lucius ne répondit pas immédiatement à l’utilisation du vouvoiement, il se contenta de relever humblement un sourcil interrogateur en direction de sa femme. Il savait parfaitement de quoi il était question, et pourtant, il feignait l’ignorance, avant d’entamer l’expression d’indifférence qui ne tarderait pas à l’agacer.

« Ne faites pas l’innocent, mon cher. Cette Delorme dresse un portrait tout à fait élogieux à votre égard dans le Veritascriptum. Je n’avais plus vu pareille prose depuis les tentatives de lettre d’amour de Lucrece Corsini… Quoi qu’il serait injuste pour cette petite Serpentarde de lui prêter un aussi mauvais goût pour les superlatifs. »

Le Chef de la maison Malefoy n’avait pas encore lu l’édito, mais il savait que la jeune Nathalie Delorme ne lésinait pas sur les compliments ni les comparaisons flatteuses. Loin d’avoir été séduite par le blond, elle le faisait parce qu’elle était payée en ce sens. Voir son épouse l’alpaguer à ce sujet, qui plus est en exhumant l’indémodable Miss Corsini… était du sucre pour l’orgueil. Il sourit, de ce sourire qu’il avait savamment étudié :

« Seriez-vous jalouse, ma Douce… ?

— D’une gratte-papier ? Vous avez un drôle de sens de l’humour. Je voudrais, au contraire, souligner qu’elle mettait peut-être trop d’emphase dans sa description grandiloquente de votre personne. Tenez, dans sa page « L’irrésistible ascension d’un Aristocrate du Peuple » – et vous conviendrez que le titre est absolument ridicule – elle n’hésite pas à vous décrire comme un « orateur hors pair », « un grand sorcier qui aura su trouver un costume à sa mesure »… un homme qui selon elle serait « moderne et sachant pourtant incarner l’esprit puissant et bienveillant de nos valeurs les plus chères ! ». Mais ce n’est pas tout, mon époux ! La jeune Delorme n’hésite pas à retracer votre parcours, j’ignore comment elle a pu trouver toutes ces informations, mais elle a les dates exactes de vos prises de fonction en tant que Préfet de Serpentard et… Oh ! Par Morgane ! La date de notre première rencontre, où elle évoque… Non. C’en est trop. Elle évoque « votre charme qui aura su conquérir le cœur d’une des plus belles femmes et riches héritières d’Angleterre » ! Lucius, comment peut-elle savoir de tels détails sur notre vie privée ?!

— C’est très simple, ma Douce, c’est moi qui les lui ai donnés. »

Le blond venait de reposer délicatement son livre à côté de son thé et buvait ce dernier à petites gorgées. En face de lui, sa femme rougit légèrement de colère, et il contint un rire. Narcissa Malefoy était une femme particulièrement belle, mais également d’une redoutable intelligence. Passée la jalousie, elle inclina un peu raidement la tête pour signifier qu’elle comprenait sa démarche. Néanmoins, c’est dans une moue boudeuse tout à fait charmante qu’elle le menaça :

« N’allez pas plus loin que nécessaire dans vos révélations croustillantes, ou je risquerais moi-même de désirer compléter le portrait du « fascinant Lord Malefoy ».

— Les temps changent, mon épouse. Et la populace aime les détails, aime que leurs grands soient aussi humains qu’eux.

— Ils n’ont pas besoin de savoir que nous nous sommes fait la cour une année de plus que ne le veut la coutume !

— Bien au contraire ! Il faut savoir distiller ce sentiment de proximité. Leur montrer que nous leur ressemblons. » Répliqua l’aristocrate en se levant souplement pour la rejoindre. Il se posta derrière sa femme, attendant qu’elle incline légèrement la tête de côté, dévoilant une nuque qui captiva immédiatement son attention. Il traça les courbes de son index, et poursuivit : « Mais ils doivent aussi sentir combien nous leurs sommes supérieurs. Beaux, sublimés dans une perfection qu’ils pourraient atteindre s’ils se donnaient la peine de nous ressembler. »

Narcissa frissonna légèrement, affectant de continuer de lire le journal, alors même que son époux la savait les yeux fermés. Le Mangemort continua sa caresse, se courbant pour frôler sa nuque d’un baiser.

« Les opinions sont comme les femmes : pour les avoir corps et âme à votre cause, il faut savoir les séduire. Leur faire miroiter un plaisir aisément accessible pour peu qu’elles s’abandonnent totalement.

— Pourquoi ai-je l’impression de te partager avec une maîtresse… ? murmura la fille Black, alors qu’elle offrait totalement son cou au traitement qu’il lui infligeait.

— Parce que c’est le cas, ma Douce… souffla-t-il entre deux baisers brûlants. La Politique est ma Maîtresse.

— Mais je suis ta femme, recadra Narcissa en se tournant vers lui, le fixant avec sévérité.

— La seule. » Confirma-t-il avant de prendre possession de ses lèvres.

 ***

 

C’est quand elle osa se dire que, finalement, elle aurait bien aimé avoir un homme dans sa vie pour se faire chier avec ça à sa place, que Jane sut qu’il fallait qu’elle fasse une petite pause. Redescendant de la chaise sur laquelle elle s’était juchée, la robe pleine de poussière et les bras brûlants sous la fatigue musculaire, la Moldue grogna. Non, vraiment, si elle en était à se dire qu’il fallait une paire de testicules pour pouvoir visser cette satanée machine au plafond, c’était bien qu’il lui fallait un break. Elle retourna à son bureau, et s’y assit négligemment, non sans mordre dans un morceau de brioche que Dobby avait eu la gentillesse de lui apporter. Dobby… L’elfe était décidément bien serviable et lui sauvait la mise. Après son petit déjeuner, Jane s’était mise en tête d’installer l’équipement qui allait servir à la bonne réalisation du cours, mais une fois arrivée dans la salle, constatant avec horreur qu’elle n’avait aucun moyen de percer le plafond pour y mettre les chevilles, elle avait finalement rebroussé chemin. Voulant noyer son chagrin dans la pâtisserie servie le matin, soulagée que Snape se soit bien absenté pour s’occuper de ses classes, Jane avait manifestement attisé la pitié de l’elfe de maison, et ce dernier lui avait apporté son aide. Outre un plateau garni de victuailles qui étaient bienvenues à cet instant, plus une centaine de sièges confortables installés spécialement pour l’occasion, Dobby avait accepté de percer magiquement divers trous dans les murs et plafond.

« Pourquoi, déjà ? » Se demanda à voix haute pour la énième fois la Moldue en faisant fondre un éclat de sucre sur la langue. Mais parce que l’expert de la société MagicWaves lui avait spécifiquement commandé d’installer « à la Moldue » tout son équipement. Et si Jane acceptait de se prendre pour une petite bricoleuse avec son tournevis et le reste, elle ne voyait pas bien comment elle pouvait percer les murs d’une école de magie avec une perceuse quelconque fonctionnant à l’électricité…

« Bah oui ! cria-t-elle épuisée au vide de sa classe. Parce que c’est bien connu qu’il existe des perceuses qui fonctionnent SANS ! »

Un coup d’œil rageur aux morceaux de l’installation qui étaient éparpillés partout sur son bureau lui fit remarquer qu’elle était sacrément de mauvaise foi, et qu’elle ne rendait décidément pas justice au travail de Thomas Barlow, l’ingénieur en chef de la MagicWaves.

« Ouais, eh bien c’est pas lui qui se retrouve à visser son barda, maintenant ! »

Jane sauta de son perchoir et vérifia au fond de sa classe si, au moins, ce qui tenait le rideau était toujours aussi solide. D’une certaine manière, la Moldue était assez surprise de voir que le château ne rejetait pas les chevilles, vis, et autres. C’était même un soulagement. Après une grande inspiration d’encouragement, elle retourna se hisser sur sa chaise, et releva douloureusement les bras. Patience, deux petites vis, et c’est terminé, elle pourra accrocher le projecteur. Heureusement que Barlow l’avait prévenue en avance qu’elle devait aussi acheter tout ça, elle se retrouvait maintenant avec une pleine caisse à outils Moldus à Poudlard… Bah, au moins elle pourrait peut-être les recycler pour un cours si jamais les élèves…

« Ah bah quand même ! »

Elle redescendit rapidement, et observa un peu l’installation d’un œil critique, comme s’attendant à ce que tout s’écroule soudain. Sur son bureau, elle fit un peu de place et brancha le clavier et la souris qui étaient reliés à l’énorme sphère orangée bardée de rouages et de gravures ésotériques. Malgré sa qualité de prototype, c’était un objet vraiment magnifique. Elle tira un autre câble qu’elle brancha au projecteur, fila en toute vitesse en direction du panneau blanc qu’elle déroula avec douceur, par crainte de voir le store lui tomber dessus, retourna à son bureau, et puis là, elle enfonça le bouton de bronze qui surplombait la sphère. Il s’enfonça en grinçant, tournoyant sur lui-même et cliquetiquant. Le cœur de Jane s’arrêta de battre, elle retint son souffle, écoutant avec appréhension le bruit de cette machine qui n’avait plus rien à voir avec sa demande. Pas de ventilateur, pas de ronronnement de carte-mère, elle angoissait au plus haut point. Quand de l’autre côté de la salle, un énorme texte se projeta sur le tissu blanc, elle rugit de joie. Là, étalée en gros pixels sur le mur et dans une police définitivement gothique, l’injonction la plus délicieuse tremblotait fièrement :

« Placez le disque laser devant l’œil d’Horus »

 ***

Plus tard dans la matinée,

« Ca va Hermione ? Tu es tremblante… »

Ron observa son amie avec inquiétude, tandis qu’Harry se mordait la lèvre pour tenter de ne pas éclater de rire. Le Survivant savait qu’il n’avait surtout pas intérêt à laisser son hilarité filtrer sous peine de subir les foudres de la jeune fille. Quand il s’écarta légèrement pour masquer son rictus, il se rendit compte qu’ils arrivaient à l’étage de la classe d’Étude des Moldus, et pire : que les Serpentards, les Serdaigles et les Poufsouffles les attendaient déjà. La foudre allait donc s’abattre sur eux, et les soupçons du brun se confirmèrent quand Hermione et Draco croisèrent le regard. La première sembla chercher à tuer l’autre à coups d’œillades particulièrement meurtrières, le second ricana d’autosatisfaction en relevant le menton. Ron grogna, prêt à faire une réflexion, mais Harry le stoppa net d’un geste de la main, fixant Malefoy avec insolence. Allait-il craquer et fanfaronner sur la prétendue supériorité des Sangs-Purs… ? A la grande surprise générale, le fils du Ministre de la Magie démontra qu’il savait parfaitement tenir son rang et sa langue, et cela inquiéta quelque part Harry qui n’aimait pas voir son monde devenir dangereusement sérieux. Comme voulant absolument répondre à sa demande muette, Hermione céda :

« Tu ne la méritais pas ! cracha-t-elle, venimeuse. Tu as triché ! Depuis quand tu es meilleur que moi en potions ?! »

Le sourire satisfait du Serpentard leur apprit donc qu’il espérait vivement que la jeune fille le cherche à ce sujet. Draco répondit en goûtant sa petite victoire :

« Je l’ai toujours été. Seulement jusqu’ici, tu croyais que j’étais avantagé par Snape…

— Tu l’étais ! Et puis c’est pas juste ! J’ai proposé une meilleure potion que toi ! La mienne permettait de soigner une grosse partie des effets secondaires des Doloris, la tienne… Peuh ! C’est du parfum pour narcissiques dans ton genre qui ne peuvent…

— La mienne, coupa Draco très sérieusement, fonctionne effectivement comme un parfum et avec une bonne dose de phéromones. Il est même vrai que j’utilise une partie des composants de l’Amortentia. Mais la mienne, Granger, permet de se faire remarquer… Ou au contraire de se rendre plus discret au nez et donc à l’instinct de toute créature pourvue d’un odorat.

— Et en quoi est-ce utile en temps de guerre, hein ?! La consigne était de proposer quelque chose qui puisse être utilisé…

— Si votre truc à vous les Gryffondors c’est de survivre aux impardonnables, l’arrêta une nouvelle fois Draco en regardant tour à tour Neville et Harry, nous, nous cherchons plutôt à palier les problèmes avant qu’ils ne surviennent : s’effacer de l’instinct de quelqu’un évite de se faire lancer des sorts pour un oui ou pour un non. Tu devrais l’essayer, Granger, tu ferais des vacances à beaucoup de monde !

— MAIS JE VAIS TE… »

La porte de la salle de classe s’ouvrit, et le Professeur Smith les regarda sévèrement alors qu’Hermione avait tiré sa baguette et la pointait en direction de Malefoy qui continuait de sourire. Poufsouffles et Serdaigles les observaient avec plus ou moins d’intérêt, et cet étrange tableau fit relever un sourcil interrogateur à l’enseignante. Harry se fit la réflexion qu’elle passait décidément trop de temps avec Snape.

« Vous allez quoi, Miss Granger ? »

Décidément trop de temps, conclut Harry Potter avant de prendre la parole :

« Très sincèrement, ça n’est rien Professeur, seulement deux bons élèves qui supportent mal la compétition.

— Mais enfin, Harry…, balbutia Ron ahurit.

— Ah oui ? Il s’est passé quoi, en fait ? Entrez tous, et racontez-moi. »

Ils passèrent la porte, un brouhaha commençant à s’élever, mais se turent quand ils découvrirent la salle transfigurée : en lieu et place des tables et chaises habituelles se trouvaient des rangées de gros fauteuils moelleux tournés en direction d’un mur. Une élève au blason bleu leva la main pour poser une question, mais Smith secoua négativement la tête, redemandant aux jeunes gens la raison de leur dispute :

« Alors ?

— Le Professeur Slughorn nous a demandé de faire une potion utile à la guerre. D’en inventer une, à partir d’une autre, ou peu importe, expliqua Hermione.

— Et Granger ne supporte pas que je puisse avoir gagné.

Gagné ? Comment ça ? fronça les sourcils, Jane.

— Le Professeur Slughorn aime bien nous faire gagner des trucs… La dernière fois c’était un flacon de potion d’allégresse, la première fois de concentration, là…

— Là, Malefoy a triché pour gagner un flacon de Felix Felicis ! éructa Hermione, rouge de colère.

Pardon… ? » S’étouffa Jane et les élèves comprirent à tort qu’elle était choquée devant la valeur du présent.

Heureusement pour elle, la fureur d’Hermione lui expliqua le concept du breuvage.

« C’est injuste ! De la chance liquide ! Vous vous rendez compte, Professeur ?! Malefoy a triché pour gagner une journée entière de succès !

— La chance se provoque… Et puis je sais gérer le succès avec sérénité, j’en ai l’habitude, moi ! commenta le Serpentard très satisfait.

— Et comment ça, « triché » ? redemanda Jane.

— Eh bien… Il n’a pas vraiment triché, mais… Disons que ce qu’il a proposé est moins utile, quoi, et… »

Jane sourit narquoisement et commença à avancer en direction du mur, d’où elle tira un tableau blanc qui se déroula du plafond. Depuis le fond de la salle, elle s’amusa :

« Disons surtout que vous perdez difficilement, Miss Granger. Quelles étaient les idées, au juste ?

— Soin post-Doloris pour Hermione et potion de manipulation d’odorat, je crois pour Malefoy, expliqua un Serdaigle brun. J’ai cru comprendre que la seconde était plus complexe et se basait sur la potion d’amour, en s’intéressant au fait de masquer, ou de mettre en exergue la présence de quelqu’un au sein d’un groupe d’individus, c’est ça, Malefoy ?

— Pas exactement, de créatures serait un mot plus juste. Ce qui m’intéressait, c’était de toucher le maximum de créatures vivantes, pas juste les humains.

— Ingénieux… murmura Jane stupéfaite. Les potions sont loin d’être un domaine que je comprends véritablement, mais l’idée est tout simplement très créative, c’est décidément une manie chez vous, Monsieur Malefoy ! »

Hermione ouvrit la bouche, choquée, et décida de bouder pendant un certain temps, et le blond cligna des yeux, laissant filtrer sa propre surprise.

« Comment ça, Professeur ?

— Le cours d’aujourd’hui est rendu possible grâce à vous, si vous voulez tout savoir. Prenez place dans les fauteuils, tous, mettez-vous à l’aise, je vais vous expliquer… »

Elle retourna à son bureau, et se moqua d’eux tout en attrapant quelque chose sous le meuble :

« Le Professeur Slughorn devrait tout de même vous faire travailler des potions d’acuité visuelle, ça aussi c’est utile pour la guerre : entrer dans un endroit, et l’observer pour en tirer les portes de sortie, les éléments de danger, etc. Vous n’avez pas remarqué ce qui est au-dessus de vos têtes, n’est-ce pas ? J’en connais un qui vous ferait payer cher ce manque d’attention… »

Quand elle déposa un globe de métal sur son bureau, ils levèrent le nez et découvrir ce que les Nés-Moldus et Sang-Mêlés savaient être un vidéoprojecteur. Voyant leurs mines interloquées, Jane leur sourit et les invita à expliquer à leurs comparses ce dont il s’agissait. Fletcher leva la main :

« Ca sert à projeter l’image d’un ordinateur ou d’une télévision quelque part… souffla-t-il. Hey, mais c’est pour ça que vous avez tiré ce panneau, là ?

— Oui, c’est exact, qui peut expliquer à quoi ressemble la salle de cours, s’il vous plaît ?

— A une salle de cinéma, murmura une Poufsouffle en rougissant après s’être rendu compte qu’elle n’avait pas levé la main.

— Mais… Attendez, comment ça vous avez installé tout ça… Professeur ? s’étonna Hermione, vous n’ignorez pas que les machines Moldues ne fonctionnent pas à Poudlard !

— Non, je n’ignore pas, Miss Granger, répliqua Jane lentement dans une parfaite imitation de Snape. C’est bien pour ça que ce n’est pas un ordinateur Moldu qui est posé sur mon bureau, mais un superbe prototype Sorcier. »

Des « Ooooh » et des « Aaah » fusèrent d’un peu partout, ponctués de quelques « Et c’est quoi un ordinateur, en fait ? » que Jane fit taire rapidement d’un mouvement de la main. Elle leur sourit avec complicité, et appuya sur un drôle de bouton qui surplombait la sphère. À ce moment-là, la lumière autour d’eux s’éteignit, et après une série de petits grincements, un texte apparu au fond de la classe, le même que Jane avait pu tester quelques heures plus tôt.

« Bon, alors, explication rapide : un ordinateur est une machine Moldue destinée à effectuer des calculs électroniques et permettant la réalisation numérique d’un certain nombre de tâches. Imaginez qu’on ait fabriqué quelque chose pouvant résoudre toutes vos énigmes d’arithmancie – même les plus complexes – en une fraction de seconde. Puis, qu’à force de développement de cette technologie on ait pu faire en sorte qu’elle remplace vos encres et papiers, qu’elle permette d’afficher des photographies – immobiles chez les Moldus. Ou des vidéos… Ce qui est l’équivalent des photos sorcières, mais avec du son… Imaginez que l’on puisse créer des images totalement virtuelles, comme des peintures créées et stockées dans l’écran, et que l’on permettre à la personne qui se sert de l’ordinateur d’interagir avec les peintures, de les modifier, de… Jouer avec. Enfin, imaginez que l’on puisse brancher toutes ces machines entre elles, les relier, et que le monde entier puisse communiquer en temps réel simplement au travers de ces écrans… Pour faire simple, c’est ça un ordinateur. »

Les Sorciers digérèrent comment ils purent les différents concepts inédits qui leur étaient balancés à la figure. Certains affectaient de comprendre de quoi il était question, quand d’autres semblaient avoir tout bonnement renoncé à trouver ça limpide. Les Nés-Moldus et Sang-Mêlés quant à eux, se demandaient déjà comment elle avait pu rendre possible cette première prouesse : faire fonctionner deux machines à Poudlard. Avant même que Jane ne puisse expliquer, Pansy Parkinson s’exclama dédaigneusement :

« C’est n’importe quoi ! Si les Moldus pouvaient faire tout ça, ça ferait bien longtemps qu’ils nous auraient surpassés ! »

Cela déclencha un tollé similaire aux premières empoignades de l’année précédente. Ce qui les calma immédiatement fut non pas le hurlement de leur enseignante assorti d’une perte significative de points, mais bien un rire. Un rire franchement condescendant. Tous l’observaient un peu vexés, peu importe leurs origines.

« C’est mignon comme vous persistez à croire que ça n’est pas déjà le cas. Les Moldus ont inventé l’électricité, les moteurs, la chirurgie, Internet, peuvent manipuler la matière en comprenant au minimum ce qu’ils font, la génétique… Ils envoient des sondes aux confins de l’univers, établissent des théories sur les multivers, envoient des hommes sur la Lune, découvrent la physique quantique, se battent pour savoir quand l’IA va véritablement apparaître, peuvent recréer numériquement des cités entièrement détruites il y a des milliers d’années… Ils peuvent recréer le visage d’un homme mort avant l’apparition de l’écriture, peuvent stocker la totalité des données générées par les humains, s’ils le voulaient… Impriment des membres entiers à des personnes amputées, sont capables de générer de l’énergie à partir d’à peu près tout… De projeter mentalement les personnes dans des univers virtuels dont vous ne soupçonnez même pas l’existence… Ah ! » Reprit-elle son souffle au bout d’un moment. « Vous me faites marrer à croire qu’agiter une baguette et marmonner des formules fait de vous des sommités d’évolution… »

Un silence glacial accueillit sa réaction, et Jane jeta un regard si méchant à l’assemblée, qu’il était difficile de ne pas se sentir insulté par sa tirade :

« Je n’ai pas le même rapport que vous à la question Moldue, je suis Née-Moldue, vous le savez, non ? Et contrairement à beaucoup d’entre vous dans le même cas, manifestement, je continue de me mettre au courant. En fait, ce qui relève véritablement du « N’importe quoi », Miss Parkinson, c’est qu’une bande de névrosés se déguisant et massacrant aveuglément hommes et femmes Sorciers ou Moldus, puisse terrifier une communauté, et pire : voire la moitié de leurs théories adoubées par cette même communauté. Ce qui est « N’importe quoi », Miss Parkinson, c’est que parmi vous, certains vont prendre la Marque bien volontiers, d’autres vont combattre ces idées… Mais qu’en attendant, aucun d’entre vous n’arrive encore à ne pas renifler de dédain dès lors qu’on parle de Culture Moldue. Je vous mettrais devant une PlayStation que vous seriez foutus de me crier « à la sorcellerie », sans comprendre comment se servir d’une manette… Alors, épargnez-moi vos exclamations fumeuses sur ce qui est, ou non, possible à l’être Humain. Entre les Sorciers et les Moldus, les premiers sont définitivement arriérés, et il serait temps que quelqu’un vous le rappelle. »

Une jeune Serdaigle aux cheveux clairs et au regard perçant leva la main en même temps que le menton, et exprima tout haut, ce que certains commençaient à penser, agacés :

« Peut-être que les Moldus font tout ça… Mais ça ne les empêche pas pour autant d’avoir des guerres, de la famine, des dictatures, de la pollution… Je suis Sang-Mêlée, je me tiens quand même un peu au courant de ce qu’il se passe, et c’est vraiment pas joli les guerres de religion et la haine des gens de couleurs chez eux…

— Oui… Alors que la guerre du sang, et la haine de ce qui n’est pas pur, c’est tellement, mieux, n’est-ce pas ? Les Sorciers sont à la race Humaine ce que les platistes sont au Moldus, mais ce n’était pas l’objet de mon cours…

— C’est quoi un « platiste » ?

— Quelqu’un qui croit que la Terre est plate, expliqua évasivement Jane d’un geste las de la main. On peut se reconcentrer sur ce le miracle que je vous propose ?

— C’est normal qu’ils croient que la Terre est plate, ils n’ont pas l’astronomie comme nous, si ? demanda un Serpentard dédaigneux.

— Merlin… soupira Jane. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans : « L’Homme Moldu a marché sur la Lune » ?! Les Moldus peuvent voir en direct depuis leur écran la terre, il suffit d’aller sur… Oh, misère. Vous ne comprendriez pas… Essayez juste d’intégrer l’idée que s’il le désire, le Moldu peut voir l’univers et la terre en direct grâce à des machines qui volent au-dessus de la planète. Voilà. Donc, c’est stupide de la part de certains de croire que la Terre est plate, voilà !

— En clair, vous nous expliquez qu’on est illogiques dans nos positions politiques et totalement en retard, murmura Draco.

— Exactement ! Dix points pour Serpentard ! railla Jane.

— Bah alors, si les Moldus sont si forts, on peut la voir, nous, cette planète, hein ?

— Non. Parce que j’ai besoin d’Internet pour ça… Et je doute que vos ingénieurs soient capables d’une telle prouesse pour l’instant. Dans un ou deux siècles, peut-être… »

Certains commençaient à se moquer, d’autres à dire que c’était bien pratique. Harry observait silencieusement son Professeur et repensait à son énervement. Était-elle à ce point touchée par ce qu’il s’était passé à Godric’s Hollow ? Il céda à la curiosité, et leva la main :

« Si ça n’est pas pour parler de l’ordinateur, Monsieur Potter, vous pouvez oublier…

— Non, attendez, je crois que vous devez quand même une explication à votre classe pour vous être autant emportée sur le sujet. Pourquoi…

— Monsieur Potter, soupira Jane, ce qui restait de votre famille biologique a été massacré ce week-end parce qu’une bande de tarés croit encore qu’elle est supérieure à la majorité de la race Humaine. J’aurais cru que vous puissiez comprendre à quel point, nous, les « amoureux des Moldus » puissions commencer à fatiguer des racines primitives de cette guerre. Quant à vous, les Sangs-Purs, j’arrive même pas à comprendre que vous supportiez le massacre de vos frères et sœurs à Godrics’Hollow. Ça n’est pas de l’idéologie, c’est une boucherie. Voilà ce que votre prétendue supériorité est en train de nous apporter à tous : la ruine.

— Et qu’est-ce que vous proposez, au juste ? demanda Draco d’une voix d’où filtrait la colère.

— De vous cultiver, pour changer. De sortir de votre réalité. De vous heurter à des choses qui vous semblent impossibles, et qui peuvent pourtant être imaginées… Voire réalisées.

— Ca va terriblement nous aider à survivre à cette guerre, se moqua le blond.

— Oui, et ça va surtout vous aider à envisager l’avenir. Ce qui aide, définitivement, à vouloir survivre.

— Qu’est-ce que vous comptez faire, au juste ?

— Remercier Monsieur Malefoy pour m’avoir donné cette idée, déjà, et donner 50 points à Serpentard pour la peine. Calmez-vous, je vous explique : vous vous souvenez de ce qu’a dit Draco à propos des radios Sorcières, non ?… Apparemment pas, je comprends que je vous en demande beaucoup aujourd’hui. Alors c’est en fin de compte très simple : je me suis renseignée, et c’est vrai : les radios Sorcières fonctionnent parfaitement sans électricité, et pourtant, elles proviennent bien de la technologie Moldue. J’ai cherché, et ce sont des américains qui ont mis ça au point, une société pour être exacte – et de toute évidence, personne n’a jamais entendu parler de lois contre le monopole économique, mais passons. J’ai contacté l’entreprise MagicWaves, et je leur ai soumis l’idée : pourquoi ne pas faire la même chose avec un ordinateur et un vidéoprojecteur ? Ce n’est pas tout à fait au point, et pour le moment, il s’agit surtout d’une console qui lit les DVD… En fait, ça n’est finalement qu’un lecteur, avec une interface navigationnelle… mais c’est déjà ça… »

Ils étaient tous tournés vers son bureau, certains accrochés au dossier de leur fauteuil en la regardant avec de grands yeux vidés de toute compréhension. Elle esquissa un rictus amusé, et haussa les épaules :

« Laissez tomber l’électronique… Gardez en tête deux choses : premièrement, la magie est une énergie, et MagicWaves l’a compris il y a un moment… Deuxièmement, s’il n’y a pas plus d’adaptation de la technologie Moldue grâce à cela, c’est uniquement parce que, je cite : « le marché n’est pas porteur ». En clair : comme les Sorciers ne sont pas en demande, il n’y a pas d’offre. Je gage qu’après mon cours, quelques Serpentards fortunés vont vite réfléchir à fonder une boîte concurrente et déposeront un brevet pour la machine qui est là. Enfin, si jamais ils font honneur à leur maison et innovent en faisant preuve de plus de deux sous de jugeote…

— Mais de quoi vous parlez, Professeur ? s’agaça Ron.

— Laisse, c’est une affaire de riches…, répliqua Draco qui fronçait à présent les sourcils en réfléchissant.

— Ca, en revanche, le mépris de classe, on en trouve partout…, marmonna Jane en ouvrant un boîtier d’où elle tira un rond plat et brillant qu’elle fourra dans une fente de la sphère. Vous faites perdre dix points à votre maison, Monsieur Malefoy. Je ne tolère pas la discrimination dans mon cours. Maintenant taisez-vous que je lance le film.

Le quoi ?

— Professeur… railla Harry avec un sourire narquois sur les lèvres, allez-vous vous sanctionner pour vos propos discriminants sur les Sorciers de tout à l’heure… ?

— Monsieur Potter, entraînez-vous à l’avenir au Quidditch dans la forêt interdite au lieu de tester ma patience. Ah, ça commence ! »

L’écran fut noir, alors qu’ils étaient tous plongés dans une pénombre manifestement déclenchée par l’engin. Sur le tissu, une inscription bleutée s’afficha pour leur annoncer que c’était « il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine… Très lointaine. »

Harry ricana en se disant que décidément, Smith passait trop de temps avec Snape et que ça commençait sérieusement à se voir. Mais, tandis qu’il allait ajouter mentalement que ça en devenait louche, une trompette lui coupa le souffle, et ses yeux se rivèrent à l’écran alors qu’une inscription jaune avança, lui procurant une myriade de frissons.

À son bureau, Jane sourit en entendant les respirations se bloquer et des exclamations enfantines fuser. Quand même, se dit-elle, qu’est-ce que ça aurait eu de la gueule s’ils avaient eu le temps de développer une projection en 3D… !

 ***

 

Boutique « Strate à Gemmes », Londres, 12h44,

Bien souvent, les adresses les plus prestigieuses se passent de publicité racoleuse et se diffusent par un bouche-à-oreille sélectif. La bijouterie/orfèvrerie « Strate à Gemmes » n’échappait évidemment pas à la règle, et derrière ce jeu de mots à faire pâlir d’envie les coiffeurs les plus excentriques, se cachait en réalité l’un des meilleurs joailliers des deux mondes. Cartier et Tiffany, entre autres, connus chez les Moldus comme les plus grandes maisons de bijouteries étaient en comparaison des vendeurs de breloques en plastique.

Rolland Adroman n’était pas seulement réputé pour sa capacité à sélectionner les plus belles pierres, ni même pour sa connaissance des filons où extraire les éclats magiques les plus recherchés, il était également un dessinateur de talent et ses créations alimentaient les conversations mondaines des mois après leur sortie. Loin de parader sur le Chemin de Traverse, « Strate à Gemmes » était un local coincé entre deux échoppes louches au beau milieu de l’Allée des Embruns. Oui, l’une des adresses les plus lucratives à piller de tout le monde Sorcier se trouvait bien dans l’une des ruelles les plus malfamées de celui-ci. Mais lorsque Adroman avait démarré son affaire, voilà quelques décennies plus tôt, il n’avait ni nom ni sous en poche et s’était contenté bien volontiers de cette bâtisse branlante et puant le rat crevé, car acheté une dizaine de gallions. Soit une bouchée de pain rassis. De fait, l’atelier de ce créateur de génie était involontairement devenu un alibi pour toutes les personnes un peu fortunées venues chiner dans la ruelle sombre.

Cela n’étonna donc personne de voir le Ministre de la Justice s’engouffrer, visage découvert, dans l’Allée des Embruns et se diriger droit vers « Strate à Gemmes ». Quand le blond passa la petite porte noire aux vitres opaques, ni carillon ni chant d’oiseau délicieusement poétique ne retentit. Contrairement aux autres échoppes luxueuses, celle-ci ne s’embarrassait d’aucun décorum pompeux. C’était davantage un atelier qu’une boutique éclairée où s’étalait une quantité folle de bijoux éclatants sur leurs présentoirs. Lucius Malefoy tomba donc directement sur le propriétaire des lieux, le dos courbé sur un ouvrage devant lequel étaient dressées bougies et loupe. Rolland, l’œil droit surplombé d’un monocle épais, scrutait avec attention une pierre somptueuse d’environ 1 pouce et demi, à la robe rouge sang. Le Mangemort siffla d’admiration, en la voyant, avant de saluer poliment son hôte.

« Maître Adroman, veillez me pardonner pour mon intrusion inopportune, je désirais…

— Un instant, Lord Malefoy. » Le coupa le joaillier sans même daigner lui accorder le moindre regard.

Il hocha la tête, puis rajusta son monocle, avant de lever une lame si affûtée qu’un reflet bleuté flottait au-dessus du tranchant. D’un geste assuré, l’artiste tailla la face de la gemme, produisant une poussière écarlate légère. Adroman était en grande partie réputé pour sa faculté à tailler les pierres en perdant le moins de matière. Ce faisant, l’exemplaire qui luisait dignement devant lui avait pratiquement la taille finale. Il hocha une nouvelle fois la tête, puis reposa le monocle et se tourna enfin vers son client.

« Voilà, votre intrusion est pardonnable. »

De son origine modeste, Rolland Adroman avait gardé son ton mordant et quelque peu insolent à l’égard de la bourgeoisie, et ce même si elle payait grassement ses services. Face à un Lord – qui plus est habitué à lui commander des parures complètes – Rolland n’adoucissait certainement pas le ton. Mais Lucius ne lui en tint jamais rigueur, car aux yeux du Mangemort certaines personnes gagnaient, de par leur mérite ou leur Art, le droit d’être odieuses.

« Est-ce un rubis que je vois là ? laissa donc couler l’aristocrate.

— Eh ! Absolument pas. C’est un grenat. Une pièce superbe et d’un éclat rare, je vous le concède, mais je taille un grenat.

— Il est… Il est plus rouge que…

— Aux yeux d’un néophyte, sûrement. Mais il n’est surtout pas à vendre, Lord Malefoy, ce que vous voyez ici est une commande.

— Je vois… Un pendentif ?

— Exact, Lord Malefoy. Une fois la gemme taillée, je créerai une monture.

— De l’or ? demanda avec une curiosité non feinte le blond.

— Non, le client m’a spécifiquement demandé un alliage de plomb et d’argent.

— Curieux… C’est destiné à une œuvre magique ? »

Rolland observa longuement de ses yeux d’un bleu saphir le Ministre, et esquissa un sourire mystérieux en répondant :

« J’ai déjà répondu à votre question, Lord Malefoy.

— Bien… Je ne suis pas spécialiste de…

En effet, c’est pour cela que vous venez me voir. Que puis-je pour vous ?

— Je…, commença Lucius légèrement décontenancé. Je voulais voir vos dernières œuvres libres. Il se trouve que je voudrais…

— Vous devez vous faire pardonner, ou vous désirez seulement remettre un peu de bois dans la cheminée ? »

L’image vulgaire fit hoqueter le Mangemort qui se racla la gorge en faisant tournoyer sa canne d’un geste gêné. Il n’osait plus regarder l’artisan qui semblait boire du petit lait. Préférant porter toute son attention sur les divers colliers et diadèmes, pierres pailletées de métal et lingots en tous genres, Lucius finit par répondre en détournant le visage pour dissimuler un léger rougissement.

« Je n’ai rien à me faire pardonner, Maître Adroman.

Je vois. Sur l’étagère de droite, au-dessus de votre épaule. Dans le coffret en chêne.

— Celui-ci ?

— Non, celui avec le cerclage de cuir, oui, voilà. Dans le sachet de velours mauve. Mauve, Lord Malefoy, pas noir.

— C’est magnifique.

— C’est mon travail, Lord Malefoy. »

Au creux de sa paume, glissée depuis la petite bourse violine, scintillait une bague en or blanc surplombée d’un saphir taillé en ciseaux. Unique pierre aux dimensions généreuses, la gemme était encadrée d’une monture fine toute en arabesques et entrelacs délicats. Lucius sourit au bijou, le visage dissimulé par un rideau de cheveux blonds. Son cœur donna deux gros coups dans sa poitrine, alors qu’il anticipait la réaction de son épouse.

 ***

 

Grande Salle de Poudlard, table des professeurs, 12h54,

« Merci. » Souffla Jane alors que son voisin lui donnait la corbeille de pain. « Vous pouvez aussi me passer la carafe d’eau, s’il vous plaît ?

— Vous allez me faire déplacer la table entière, ou je peux manger en paix, Smith ?

— Oh, ça va, hein… ! C’est juste un petit service, rien de très coûteux non plus, je crois. Vous étiez de meilleure humeur tout à l’heure, qu’est-ce qui vous arrive ?

Tout à l’heure, baissa d’un ton Severus qui ne tenait pas à ce que l’on pose des questions. Je n’avais pas fait cours aux Premières et Troisièmes années. Et tout à l’heure, Smith, ma classe intégrale des Sixièmes années ne promettait pas d’être compliquée.

— Compliquée ? Comment ça ?

— Mais regardez-les donc ! »

Il désigna d’un mouvement de couteau rageur le brouhaha excité qui régnait sur les quatre tables. Des tonitruants Gryffondors aux taciturnes Serpentards, en passant par les gourmands Poufsouffles et habituellement calmes Serdaigles, les élèves concernés babillaient dans tous les sens, se retournant parfois vers la maison voisine pour échanger, semblait-il, des informations de la plus haute importance.

« Tous les lundis, c’est comme ça : après votre cours, ils sont intenables, vous me les rendez… On dirait des…

Des adolescents, je sais, c’est dingue, hein ? D’ailleurs, c’est faux, il est arrivé que l’Histoire Moldue ne les calme. Mais là, je reconnais qu’ils sont en forme…

— J’ai besoin qu’ils soient concentrés ! Mon cours est capital, s’ils ne sont pas attentifs…

— Ca va, ils vont en crever plus tard, j’ai compris, soupira Jane en retirant distraitement la mie de sa tranche de pain. Je fais mon boulot, Severus, si vous n’êtes pas content, voyez ça avec Albus.

— Ca revient à me dire d’en parler avec le Chevalier du Catogan…

Le quoi ?

— Laissez tomber. Le Directeur a bien plus urgent et grave à penser que nos problèmes d’enseignement.

— C’est-à-dire ? tenta la Moldue qui faisait à présent rouler une boulette de mie entre son pouce et son index.

— J’ai dit « Laissez tomber », et laissez cette nourriture en paix, Smith, c’est répugnant. Merlin, mais comportez-vous comme une vraie enseignante ! »

Jane arqua un sourcil interrogateur, avant de laisser tomber la boulette qui roula en direction de l’assiette de Severus. Le Sorcier la chassa d’un geste impatient de la main, et frôla involontairement celle de son amie. Il se raidit, semblant sur le point d’exploser. La Moldue reposa la main fautive sur celle de son comparse, la tapotant doucement.

« C’est bon, la prochaine fois je leur passe un documentaire.

— Vous me compliquez la vie, Jane… Si vous saviez combien vous me la compliquez… »

 ***

Parc de Poudlard, 14h47,

« C’est pourtant simple ! C’est même à votre portée… »

La voix magique de Snape résonna au-dessus des élèves coincés dans ce maudit labyrinthe. Cette fois-ci, il les avait fait entrer dans les rayons feuillus par groupe de sept, baguette en main, avec pour seule consigne de « survivre aux obstacles et arriver au centre sans la moindre blessure ». De toute évidence, le Professeur de Défense contre les forces du Mal gardait un œil sur eux, car c’était la troisième réflexion sarcastique du genre dont il les gratifiait. Ron jeta un regard las à ses amis, et releva la baguette, répétant la formule en direction du Filet du Diable qui bloquait le passage :

« Flammis vivere ! »

Une flammèche verte s’échappa de la baguette du roux pour filer à toutes allures en direction de la plante, mais avant même de se jeter sur ses branches et la dévorer, elle ralentit sa course et préféra grignoter les plantes grimpantes qui tenaient lieu de murs au labyrinthe.

« Pathétique… Si vous ne maîtrisez même pas ce genre de feu, n’espérez pas…

— Mais merde à la fin ! Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on apprenne tous seuls à nous battre ?! cria Ron au bord de l’hystérie. »

Il eut une sorte de fumée noire qui les enveloppa, Harry redressa sa baguette et se mit en position d’attaque tandis que Ron se rapprocha d’Hermione d’un geste apeuré. L’instant d’après, le trio, ainsi que l’ensemble des autres élèves de la sixième année, se retrouvèrent le cul trempant allègrement dans une herbe humide et glacée, à l’extérieur du terrain. Face à eux, enroulé dans sa cape d’hiver, Snape les toisait d’un regard de rapace. Ron déglutit péniblement, mais soutint son regard.

« Oui, Monsieur Weasley, vous devez apprendre de vous-mêmes, car personne d’autre ne peut le faire à votre place…

— Et à quel moment vous faites votre job, eh ? coupa le Gryffondor furieux, sourd aux murmures d’apaisement du Survivant.

— Retenue, Weasley, et vingt points de moins. Retenue avec Monsieur Rusard, bien entendu… Quant à mon « job », comme vous dites, quelqu’un peut-il l’expliquer… ? Vous, peut-être, Potter ? »

Il dévisagea méchamment le brun, mais ce dernier ferma simplement les yeux et répondit loyalement :

« Non, Monsieur, je n’ai pas davantage compris.

— Vingt points de moins également, alors… Monsieur Malefoy ? se tourna Snape rapidement.

— Vous le faites en nous mettant en situation.

— Certains ont l’intention de survivre à cette guerre… Trente points pour Serpentard.

— QUOI TRENTE-POINTS ?! C’est injuste ! J’ai perdu…

— Le sens commun, de toute évidence, maîtrisez-vous Weasley ! C’est ce qui vous fait défaut pour contrôler ce feu.

— Professeur ? » Tenta Hermione en levant la main et en se donnant la parole, car elle savait parfaitement qu’il ne l’aurait pas fait. « Pourquoi nous étudions les flammes vivantes si vite, d’après le livre nous devrions…

— Si vous préférez apprendre auprès d’un livre, Miss Granger, vous pouvez quitter mon cours. » Coupa Snape de sa voix doucereuse.

Harry fronça les sourcils, sentant la tension magique tout autour d’eux et ses poings se serrer. Il n’avait plus eu envie de s’en prendre à l’espion depuis un moment, mais son attitude menaçait sérieusement ses bonnes résolutions. Le Survivant inspira doucement pour se calmer. Mais qu’avaient donc tous leurs profs aujourd’hui à les invectiver violemment, ou à être totalement passifs ?! D’abord Smith, et maintenant Snape ! Quant à Flitwick, il avait passé l’heure à leur faire travailler des sortilèges d’allégresse, et Slughorn à… Harry écarquilla les yeux et coupa à voix haute ce qui menaçait d’être encore une perte conséquente de points pour sa maison :

« Les Inferis ! Vous nous faites ch…

Potter…

— … hum travailler sur le feu à cause des Inferis ! »

En face de lui, accolé par ses comparses verts et argents, Draco Malefoy opina du chef en pinçant des lèvres. Il était arrivé à la même conclusion, et bientôt, certains Serdaigles l’imitèrent gravement. Snape releva lentement le menton en fixant intensément le fils de sa Némésis. L’homme en noir agita doucement sa baguette au-dessus de lui, et une aura ambrée tomba sur eux, les réchauffant instantanément. Même à cette heure, de la brume se formait en gros nuages sur le parc, et malgré leurs exercices et leur énervement, les jeunes gens commençaient à se glacer.

« Il vous arrive donc de comprendre mes cours, Potter. J’espérais, en effet, estimer vos chances si d’aventure…

— Vous croyez que Vous-Savez-Qui va encore… murmura Hannah, en coulant un regard instinctif à Neville.

— Non, je ne le crois pas. J’en suis certain. Les Inferis sont une spécialité des Mages Noirs. Lors de la Première Guerre, expliqua Severus en commençant à se mouvoir comme s’il était en classe, le Seigneur des Ténèbres a eu particulièrement recours à cette magie nécrotique. Quant à l’âge sombre précédent, ceux qui ne se contentent pas des répétitions du Professeur Binns et qui lisent un minimum leurs livres d’Histoire, savent que Gellert Grindelwald avait pour habitude de créer des escouades de cadavres et d’attaquer avec.

— Justement, Professeur, se permit encore Hermione, j’ai toujours cru que c’était des exagérations d’historiens… Des escouades entières ? Il faudrait une concentration…

— Il le faut, en effet. Créer un Inférius est un processus complexe qui, une fois mis en place, demande de la vie pour se maintenir… Ou se réactiver.

— Se réactiver ? intervint Neville en surprenant tout le monde.

— Oui, Monsieur Londubat. « Se réactiver ». Quand un corps est profané, il reste à jamais l’esclave du Sorcier qui s’en est servi. Même si la source de la vie n’est plus à portée, il suffit d’un peu d’essence pour faire relever les morts une seconde fois. La seule façon de remettre un corps dans sa tombe est de tuer son invocateur. Mais… Même dans ces cas-là… »

Snape leva les yeux en direction de l’Élu, et tout le monde compris où il voulait en venir. Les détails n’avaient pas manqué de filtrer dans les différents journaux. Les plus sordides avaient même fait l’objet d’une attention toute particulière, à l’exception peut-être du Chicaneur qui avait tenu à respecter le deuil des familles. Ainsi donc, tout le monde savait ce que les Mangemorts avaient créé à Godric’s Hollow, et ce qu’ils en avaient fait. Harry replaça une mèche de cheveux pour dissimuler sa peine, et il hocha la tête d’une façon qu’il espérait noble.

« Même dans ces cas-là…, chercha-t-il à continuer d’une voix blanche, je suppose qu’ils gardent une sorte de marque sur eux, c’est cela ?

— La Magie Noire laisse toujours des traces, Monsieur Potter. »

Sans savoir pourquoi, le Gryffondor sentit que Snape n’avait pas répliqué ça au hasard, et cela le mit particulièrement mal à l’aise. Instinctivement, il porta la main à sa cicatrice.

« Par exemple. » Confirma son enseignant brutalement.

Harry déglutit, les paroles de la prophétie lui revenant en tête « Le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal… ». Il leva les yeux vers Snape, et sentit une intrusion dans sa tête. Severus ne pipa mot, et personne ne perçut la légère tension qui se fit dans leurs deux corps. L’espion cligna des yeux, et poursuivit à l’attention de la classe :

« Mais aussi complexe que soit ce sortilège, un corps mort reste mort, et il n’y a aucun moyen de le prémunir de la morsure du feu… Voilà pourquoi vous avez intérêt à maîtriser le sortilège de flammes vivantes ou bien je vous colle un devoir de quatre rouleaux de parchemin à me rendre sur l’Inferius. Mettez-vous par deux. Non, je me fiche de savoir avec qui, contentez-vous de vous dépêcher. »

Snape leur laissa moins de deux minutes pour obtempérer, et agita la baguette. Chaque binôme vit un petit bocal en verre se matérialiser au milieu des deux élèves. Neville attrapa celle qui flottait face à lui, un brin surprit, et Harry haussa les épaules en réponse.

« L’un de vous va tenir le bocal, l’autre va invoquer une flamme vivante, et chercher à la rentrer dedans. S’il échoue… Eh bien… Il vaudrait mieux pour son comparse que cela ne soit pas le cas… »

 ***

 

Couloirs de Poudlard, 18h15,

Snape referma le bureau de Minerva en soupirant de lassitude. Avec les exploits de Seamus Finnigan, il avait été obligé de rendre des comptes à la Directrice de Gryffondor, et de lui expliquer pourquoi trois de ses élèves se trouvaient à l’infirmerie pour brûlures sérieuses. Trois élèves, dont Dean Thomas, son partenaire d’exercice, qui avait dû nécessiter l’intervention directe de l’espion. Les accidents et les blessures étaient monnaie courante à Poudlard, mais ce genre de problèmes n’arrivait d’ordinaire qu’à Harry Potter. Pas aux autres élèves… Mais voilà, Severus Snape était devenu Professeur de Défense contre les Forces du Mal, et en à peine deux mois, avait prouvé que le faux-Maugrey était un exemple de douceur et de pédagogie. Quand Snape avait dû interrompre le cours pour porter les gamins à l’infirmerie, la centaine d’autres élèves avait eu l’occasion de se lancer dans un débat incompréhensible et invraisemblable. A son retour, l’espion les trouva en train de disserter sur la prétendue supériorité des Sorciers sur les Moldus, sous prétexte que les premiers pouvaient relever les morts. Il avait écourté la leçon quand Johanna Robins avait traité Damian Longes « d’abruti-congénital », parce que celui-ci aurait suggéré que les Moldus, eux, maîtrisaient…

« Merlin, qu’est-ce que c’était leur histoire ? » Demanda à voix haute Snape en s’arrêtant soudain dans les couloirs. « Une force, ou quelque chose dans le genre… ». Se souvint-il en levant les yeux au ciel. Il les avait même entendus évoquer un recours probable de Smith, qui pouvait manifestement trancher l’épineuse question. Sans chercher particulièrement à comprendre, Severus était pratiquement certain que tout ceci avait un rapport avec le cours qu’elle leur avait donné plus tôt. L’homme en noir grimaça en passant devant la porte de la salle de cours incriminé, mais stoppa net, les yeux écarquillés. Il jeta un coup d’œil à droite, un autre à gauche, puis une fois qu’il était certain d’être seul et qu’on ne le verrait pas faire, il posa son oreille contre le bois de la porte pour écouter attentivement. Étouffée, une voix d’homme puissante chantait son invincibilité, ou quelque chose approchant. Severus tira sa baguette et fit ouvrir la porte légèrement d’un informulé. Là, dans l’entrebâillement, ce qu’il vit et entendit réclama tout son entraînement d’espion pour ne pas s’exclamer, ou éclater de rire…

« Yeah, I’m a rocket ship on my way to Mars… On a collision course !  I am a satellite, I’m out of control…»

Mêlée à la voix d’homme, la voix de Jane s’essoufflait sous la prononciation rapide. La batterie marquait le temps, accompagnée de la basse qui semblait anormalement élevée. Severus fronça les sourcils et poussa légèrement la porte encore, se glissant silencieusement dans la salle. Au milieu des fauteuils, en train de les tirer vers l’arrière, remuant hanches et chantant à tue-tête, la Professeur d’Etude des Moldus se faisait manifestement un petit plaisir :

« Oooh… ‘am a sex machine ready to relooooad ! » Cria-t-elle aux vieilles pierres en donnant quelques coups de hanches évocateurs. « Like an atom bomb about to… Oh oh oh oh oh explooooode !!!! »

Quand les coeurs reprirent pour accompagner Fredy Mercury, Jane tourbillonna sur elle-même en chantant, un grand sourire accroché au visage qui se figea immédiatement lorsque le regarde de la Moldue croisa celui du Sorcier.

« Oh, I’m burnin’ through the sky, yeah ! »  continua Fredy en solo, alors que Jane restait muette d’horreur.

Severus s’approcha lentement du bureau de l’enseignante, un rictus goguenard destiné à la jeune femme, et au lieu d’appuyer sur le gros bouton qui dépassait de l’étrange sphère – ce qui aurait été le premier réflexe de quelqu’un découvrant le rock balancé à pleine puissance… Il préféra prendre appui contre le meuble et intimer Jane à continuer.

« Don’t. stop. Me. Now ! I’m having such a good time »

Le rictus de l’espion devint un sourire clairement moqueur, ce qui acheva de rendre écarlate sa collègue. Elle sembla soudain retrouver l’usage de ses jambes et se précipita sur la petite boule avec son fil – la souris apprendra-t-il – pour arrêter la musique. Puis, quand Queen cessa d’enchanter les oreilles du Sorcier, elle lui lança un regard si menaçant qu’il ricana :

« Pas. Un. Mot, exigea-t-elle.

— J’avais surtout l’intention de regarder… »

Jane rougit davantage si cela eut été possible, et retourna à ses chaises pour les remettre rageusement au fond de la classe. L’espion l’observa faire quelques secondes, avant de craquer :

« Je préférais quand vous remuiez le…

— Ne me cherchez pas, Severus !

— Je peux remettre ce que vous qualifiez de musique, si vous voul… »

Il se tut quand elle se retourna, avec une lueur dans le regard qui lui suggéra de ne pas aller trop loin. Quand la Moldue s’approcha de lui lentement, il eut l’impression d’être une proie face à un félin joueur.

« Encore une allusion à ce qu’il s’est passé ici, et je vous mêle à mes étranges activités…

— C’est-à-dire… ?

— C’est-à-dire, murmura-t-elle en s’approchant tant qu’il en rougit à son tour. C’est-à-dire que si je relance la musique, je vous entraîne avec moi. »

Snape ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle leva un index impérieux et menaçant en direction de la souris.

« Merlin, vous ne bluffez pas…

— Vous m’avez déjà vue danser, Severus, vous savez que je peux tenir une nuit entière…

— … Ne me faites pas une promesse que vous ne pouvez pas tenir. » Répliqua-t-il comme satisfait d’avoir pu retourner à son compte cette phrase.

Jane cligna des yeux, et après un instant d’incompréhension, son regard se fit rieur, alors qu’elle se souvenait d’avoir été la première à dire cela. Elle éclata de rire, et lui donna un coup d’épaule :

« Aller… Aidez-moi.

— Certainement pas. » Se leva Snape, et quand il atteignit l’entrée, il se retourna. « Les Sixièmes années racontent que les Moldus maîtrisent une force, qu’est-ce que c’est que cette histoire, Smith ?

— Pas « une », « La ». Je vous aurais bien expliqué, mais j’ai une salle à remettre en ordre… »

L’espion pinça des lèvres, et après une hésitation, referma la porte devant lui, avant de retrousser ses manches.

 

  ***

Manoir Malefoy, Salle de réception, 19h22,

Lucius ne répondit pas à la question de l’elfe de maison, et se contenta de retirer son manteau et de le lui confier négligemment, ainsi que sa canne. La créature s’inclina profondément en répandant d’immenses remerciements auxquels l’aristocrate ne prêtait aucune attention. Ses yeux gris acier étaient au contraire fixés en direction de l’arche qui ouvrait sur la salle de bal, et d’où provenait une jolie musique de chambre. Il n’était pas rare, à cette heure, que son épouse s’y trouve, soit pour y jouer d’un des nombreux instruments qu’elle maîtrisait, soit pour… Lucius sourit et s’avança silencieusement pour confirmer ses espérances. Dans la somptueuse pièce éclairée subtilement par des chandelles orangées, au milieu des instruments qui jouaient magiquement, Narcissa se mouvait, faisant onduler les voiles de sa robe vaporeuse, une étoffe négligemment coincée sur les coudes, dénudant ses épaules et tombant au creux de ses reins.

L’habituellement austère Sorcière avait détaché ses cheveux et les laissait ondoyer dans des boucles blondes qui reflétaient la lumière. Elle dansait, au rythme des notes de la harpe, et son mari resta un instant interdit, laissant son regard s’abîmer dans ces mouvements lents et hypnotiques. Elle ne paraissait pas l’avoir remarqué et Lucius en profita pour avancer discrètement, jusqu’à pouvoir déposer une main sur chacune des hanches de sa femme. La blonde frissonna en sentant le souffle de son époux dans son cou, puis elle leva un bras derrière elle pour lui caresser le visage. Fermant les yeux, elle laissa ses doigts remonter le long de la tempe du Mangemort et s’enrouler autour d’une mèche de cheveux. Lucius effleura du bout des lèvres son oreille, et, toujours dans son dos et tenant fermement sa taille, il commença à accompagner ses mouvements pour entrer dans la danse.

Comme saluant cette initiative, la musique reprit de l’entrain, et accéléra le rythme, proposant aux deux amants de tournoyer en cercles amples et synchronisés au centre de la pièce. Ils allèrent à gauche, s’attardèrent à droite, s’arrêtèrent lorsque les archets des violons glissèrent sur les cordes en symbiose avec les gestes de l’homme. Elle se cambra, offrant sa gorge et le laissant la guider d’une main nichée au creux de son dos. Il prit sa main droite dans la sienne pour y déposer un baiser, le regard embrasé par la vue qu’elle lui offrait. Narcissa sourit en réponse aux étoiles qui clairsemaient le ciel magique de la salle. Quand la harpe reprit sa valse hésitante, Lucius glissa délicatement la bague qu’il avait achetée à l’annulaire de sa femme, puis il la releva et pivota pour lui faire face. Les volets azur virevoltèrent autour d’elle, et ses yeux s’agrandirent de surprise mêlée de joie. Le Mangemort entoura sa taille, et prit sa main gauche dans la sienne. Quand il relança la danse d’un mouvement de hanche, la blonde reposa avec grâce sa main sur son épaule, et l’éclat bleu intense du saphir lui tira un sourire resplendissant.

La musique accéléra, le couple accompagna le mouvement, tourbillonnant dans cette salle qu’ils habitaient de leur seule passion.