Il détestait cette partie de la ville, elle était sale, les pavés étaient collants, luisants d’une substance qu’il ne parvenait pas à reconnaître. Cet endroit se pliait en ruelles étroites privées de lumière et à l’air continuellement chargé de souffre. Les sorciers de bonne compagnie craignaient l’Allée des Embruns, mais lui redoutait plus encore cette vieille portion de Londres. Quelques anciens bâtiments de la grande période d’industrialisation restaient debout, vieux témoins d’une époque où le Moldu préféra sacrifier au progrès chaque atome de sa propre Humanité. On racontait même que certaines vieilles usines étaient toujours hantées des enfants morts en travaillant.

Mais ce n’était pas ça qui l’angoissait, pas plus que l’allure glaciale de ces structures métalliques rouillées. Non, il détestait cet endroit car il était le repère de tous les déséquilibrés vomis par les deux sociétés. Un repaire bâtard, où Cracmols et Moldus aux synapses pétées par la coke se fréquentaient, forniquaient, se mélangeaient dans leur sueur, et leur médiocrité. Il n’aurait jamais cru que son contact l’eut envoyé dans un endroit pareil. Connor Oaken avait l’habitude de fréquenter des lieux très tendancieux, parfois même des zones Moldues, si cela s’avérait nécessaire, mais ça… Cette puanteur, cette saleté, cette immondice ? Jamais.

Quand il tourna à un angle pour s’engager dans un boyau puant et sans issue, sa capeline frôla l’un des murs, et il frissonna de tout son être. Se sentant immédiatement sale, il réprima l’envie de jeter un sort de nettoyage, et avança, son esprit s’imaginant une tâche dévorant peu à peu son vêtement et le contaminant pour le faire puer à son tour. Une grosse goutte de sueur perla par-dessus sa lèvre supérieure fine, et il put goutter à sa propre moiteur, salée, tiède, désagréable. Connor réprima un haut le coeur violent, et pressa le pas. Vite, une fois dedans, tout irait mieux.

La petite porte au fond de la ruelle était son objectif. Encadrée par un grand linteau de métal cramoisi, elle ressemblait plus à une porte de prison qu’à une entrée de bar. Le journaliste garda les yeux rivés dessus, et accéléra, sa capeline se soulevant sous le geste. Il l’atteint, frappa d’une main – heureusement – gantée, et attendit.

Un raclement, suivit d’une sorte de plainte précédèrent un grincement sinistre, et le vasistas s’ouvrit, dévoilant une paire d’yeux gris surplombée d’épais sourcils menaçants. L’homme, peu amène, resta silencieux, et Oaken sentit toute son hostilité. Humectant une nouvelle fois sa lèvre supérieure, le journaliste prononça un mot, avant que l’homme ne referme la languette de bois et n’ouvre la porte.

Une intense chaleur, charriant des relents de tabac, d’alcool et de sueur, brûla le visage du gratte-papier. Oaken s’engouffra dans le petit passage, après que le portier se soit effacé dans le mur pour le laisser entrer. C’était comme si la ruelle continuait à l’intérieur du bâtiment, en plus chaude et moite que tout à l’heure. Cela augmenta la tension du journaliste qui avait désormais l’impression de flotter dans sa sueur et ses vêtements qui l’étouffaient soudainement. Il continua d’avancer, en direction de la lumière et du bruit sourd des conversations, et il déboula enfin dans un grand entrepôt empli d’humains qui s’entassaient dans leur beuverie.

Soutenu par des poutres de métal piquées d’énormes vis, le plafond semblait monter haut, mais Oaken ne parvenait pas à le distinguer car une épaisse fumée bleue flottait, menaçante comme des nuages prêts à pleuvoir de l’eau sale et puante. Et en-dessous de cette fumée, une sorte de taverne-marché perpétuel dans lequel les gens venaient prendre du plaisir, fumer des drogues étranges, et boire des potions insoupçonnées. Des étals où des marchands douteux dévoilaient des produits colorés et louches bordaient un comptoir sur lesquels les soulards semblaient y être collés par la saleté et la bière de mauvaise qualité. Plus loin, des tentures encadraient des parterres de coussins où les drogués des deux mondes voyageaient dans leurs névroses.

Cet endroit était « L’Impasse », un lieu où les Moldus, Cracmols et certains Sorciers échouaient à la fin de leur vie, et terminaient la course de leur existence dans la destruction d’eux-mêmes. Oaken détestait se trouver-là. Il avait vaguement entendu parler de cet endroit, essentiellement au cours de ses chinages dans l’Allée des Embruns, mais l’homme n’y avait jamais mis les pieds. Une nouvelle fois, il se demanda bien comment son commanditaire pouvait supporter un tel lieu.

Le journaliste dépassa les échoppes, contourna le comptoir et enjamba un homme aux cheveux longs et hirsutes qui lui baragouinait quelque chose dans une barbe emmêlée. Il pressa le pas, arriva dans une sorte d’arrière-salle illustrée par une série de pilonnes en métal brossé, et s’arrêta face à un monceau de caisses de porto mangées par l’humidité. Devant lui, deux malabars aux bras gros comme des cuisses de Batteurs, se dressaient d’un air menaçant. Oaken soupira bruyamment, et toujours sans défaire le moindre lacet de sa capeline, avança une main gantée fermée sur une poignée de cristaux mauves. Sans un mot, le colosse qui semblait le moins stupide les prit, et tourna des talons. Oaken hésita, et finit par lui emboîter le pas, dépassant les caisses, et distinguant derrière une porte supplémentaire.

Que de cérémonie ! Le Sorcier commençait à perdre patience.

Le colosse l’amena donc dans une autre pièce, beaucoup plus petite cette fois-ci, uniquement meublée d’une table ronde branlante sur laquelle luisait une bougie déjà bien fondue. Oaken entra, et l’homme derrière lui referma en le laissant seul.

Peu assuré, le journaliste s’installa sur l’un des tabourets, faisant très attention à replier sa capeline sous ses fesses afin de ne surtout pas toucher le bois probablement collant. Et il attendit, s’agaçant de minute en minute d’être seul, transpirant, dans une pièce ridiculement petite et de plus en plus étouffante. Hors de question pour lui d’enlever son armure qui lui évitait le moindre contact avec son environnement. En résultait donc un inconfort de plus en plus croissant.

Personne ne vint lui servir à boire, ni même entrer tout simplement dans l’endroit. L’homme resta donc seul pendant plus d’une demi-heure, son humeur devenant de plus en plus exécrable. Pourquoi diable avait-il accepté un tel rendez-vous dans un lieu aussi malfamé ?! Puis, soudain, alors que son genou droit se fatiguait de le maintenir en équilibre sur son misérable tabouret bancal, Oaken s’inquiéta : Et si c’était un piège ? Et si c’était un traquenard dans lequel il s’était jeté bêtement comme un préposé à la rubrique des sports ? Alors qu’il regardait autour de lui pour tenter de distinguer une quelconque issue pour s’enfuir, la porte grinça et coulissa à nouveau, dévoilant un homme d’une rare beauté froide, richement habillé. Le claquement de la canne sur le sol poussiéreux fit sursauter le journaliste qui se releva avec précipitation, et se courba maladroitement :

« Lord Malefoy…

— Connor, ravi de constater que vous êtes à l’heure. »

Le Mangemort esquissa un sourire élégant, celui qui avait une pointe d’insolence en dévoilant la canine droite, et il prit place sur le second tabouret avec un naturel qui déconcerta son vis-à-vis. De toute évidence, Lucius Malefoy n’avait strictement aucun problème à l’idée de frayer avec la populace la plus misérable des deux mondes… Qui plus est à proximité de Moldus.

« Je ne souhaite pas que notre conversation soit ébruitée. »  S’expliqua le blond comme s’il lisait dans les pensées de son comparse. « Mon propos n’a rien de dangereux, mais par les temps qui courent, j’ai une nette préférence pour la prudence, un… Ami, m’a enseigné cela.

— Vous faites bien, « milord », par les temps qui courent… »

Oaken était bien moins habile à la discussion loin de ses soirées mondaines, ou lorsqu’il pouvait se cacher derrière son calepin et sa plume. Dégoulinant autant que les murs, l’homme espérait se débarrasser au plus vite de cette désagréable rencontre. Non pas qu’il n’apprécie guère la présence de Lucius – au contraire – mais il ne supportait plus l’odeur, les sensations, le goût de tout ça.

« Je sais, reprit le Mangemort d’un air détaché, et vous faire venir ici était également un excellent moyen de confirmer votre caractère. »

Ce disant, Lucius abaissa légèrement la tête, et une mèche d’un blond platine vint à glisser contre sa joue, la creusant légèrement, et soulignant une mâchoire fine et parfaite. À cet instant, l’homme ressemblait de moins en moins à un aristocrate d’une société bourgeoise, qu’à un Prince malfaisant. Cela piqua légèrement la curiosité du journaliste, et attisa sa curiosité.

« Vous vouliez vérifier mon allégeance, vous voulez dire. Savoir si j’oserais venir ici, sur simple promesse d’un travail me concernant, risqué, et demandant de l’intelligence et de l’audace.

— Je vois que vous avez parfaitement mémorisé le contenu de ma lettre, se moqua Lucius en esquissant un rictus, mais c’est tout à fait exact, et L’Impasse offre un terrain neutre et peu connu…

— Des sorciers de l’Ordre.

—… Des Mangemorts, rectifia Malefoy. »

Oaken plissa des yeux, oubliant sur le champ que son tabouret avait l’un de ses pieds prêt à se tirer, oubliant la sueur, oubliant son caleçon qui collait désagréablement à son entre-jambe, et qui lui limait la cuisse impitoyablement. Il oublia même qu’il ne supportait plus de respirer, et, cela tombait très bien : la réplique du blond lui avait coupé le souffle. Ravi de son effet, Lucius recula le buste, comme s’il s’installait confortablement sur un trône – alors qu’il tenait lui aussi en équilibre sur un tabouret miteux. Ce geste impressionna le journaliste plus encore, qui n’attendait que la suite.

« Vous semblez surpris, Connor… Est-ce que vous penseriez que je puisse ne pas craindre, comme tout sorcier qui se respecte, des Mangemorts et le Seigneur des Ténèbres ?»

Aie. Le journaliste venait de commettre un sérieux impair en sous-entendant directement que Lucius pouvait avoir peur de groupe de Dumbledore. Pire : il venait de lui révéler qu’il pensait que le blond était du côté des forces maléfiques… ET que cela lui était assez égal pour qu’il puisse le rejoindre dans un endroit aussi louche. Mais Oaken savait que Lucius Malefoy était un Mangemort. Il savait qu’il avait menti lors des procès de la Première Guerre et qu’il avait grassement payé pour se faire laver de tout soupçon. En fait, Oaken savait même précisément quand Lucius avait pris la marque pour la simple et bonne raison qu’Oaken était déjà un sale fouineur à l’époque de Poudlard, et que le Préfet-en-Chef des Serpentards d’alors, avait eu régulièrement besoin de ses services.

Ce dernier savait parfaitement que le journaliste était au courant de tout. Lucius savait pratiquement tout à son sujet. Tout simplement parce que c’était son rôle, en tant que joueur du Noble Jeu de savoir ce genre de choses, et surtout parce qu’Oaken était sa créature qu’il avait nourrit pendant des années, avec patience.

« Je n’oserais pas vous insulter de la sorte, « milord », je…

— Connor, arrêtons-là les politesses. Le lieu n’est pas aux mondanités, et nous sommes bien loin de l’époque de Poudlard. Je t’ai fait venir, parce que je veux que tu fasses quelque chose, et que tu es fait pour ça.

— Soit, acquiesça le journaliste avec une lueur malfaisante dans les yeux. »

Ça n’était pas la première fois que Lucius s’adressait à lui comme ça. Déjà lorsqu’ils s’étaient croisés dans les couloirs de la Gazette, Lucius l’avait pris à parti, pour le féliciter de sa promotion. Le tutoiement utilisé dans ces cas-là était un signal chez le Mangemort. Et Connor avait compris qui lui avait permis d’arriver premier Rédacteur, et qui décidait de la ligne éditoriale. Et il n’avait eu aucune réticence à exécuter les ordres, bien au contraire.

« Mais était-ce réellement nécessaire de venir ici. J’ai le cul qui menace de rester coller au mobilier… ?»

Malefoy éclata de rire, de ce rire qu’ont les gens riches devant le langage fleuri de la Plèbe, puis, il claqua sa canne sur le sol, et le colosse de l’entrée arriva, le dos courbé en présence du blond. Lucius lui ordonna un truc quelconque dans une langue que le journaliste ne reconnaissait pas – ce qui l’agaça prodigieusement, et le mastodonte s’éclipsa. Il ne revint que pour porter un plateau d’une main où une bouteille menaçait de basculer, et de l’autre un tabouret manifestement en meilleur état. Il disposa tout ça, en évitant de regarder Lucius, et s’inclina une nouvelle fois, ignorant superbement le journaliste.

« C’est sans danger, précisa le blond alors qu’il leur servait à boire, et cela te rendra peut-être plus agréable.

— Tu es bien reçu ici… J’vois pas l’intérêt de faire dans l’secret si derrière tu jettes des Gallions dans tous les sens pour qu’on te donne du « Monsieur ». »

Lucius se contenta de jeter un regard perçant en réponse au journaliste, qui renifla bruyamment lorsqu’il comprit :

« TU ES le propriétaire de cet endroit !

— Je veux savoir où échouent ceux que je fais tomber. Et du reste, L’Impasse fait un vin d’orange excellent…

— Je… »

Connor allait probablement dire qu’il ne s’attendait pas à ça de la part de son interlocuteur, mais il se rendit compte que cela ne serait qu’un aveu de faiblesse. Bien sûr que Lucius Malefoy savait ce qu’il voulait et n’hésitait devant aucun moyen à mettre en œuvre pour y arriver. Ce qui incluait, effectivement, de posséder des lieux aussi importants que ceux-ci. Le journaliste dissimula son malaise par une question :

« Et… Tu as beaucoup de tes anciens adversaires qui échouent ici ?»

L’aristocrate renifla d’un air de dédain en donnant un coup de tête qui bascula une mèche en arrière. Il esquissa un rictus satisfait, et répondit :

« Tu te souviens de Jonathan Curtis ?

—… Non.

— Tu as ta réponse. »

La satisfaction avec laquelle Lucius articula sa dernière phrase mit le journaliste mal à l’aise. Oaken frissonna.

« Qu’attends-tu de moi ?

— La Gazette t’a viré, non ?

— Je… »

L’homme à la calvitie naissante eut toutes les peines du monde à dissimuler sa frustration. Il prit une première gorgée de vin d’orange, sous le regard moqueur du propriétaire des lieux. Leurs yeux se croisèrent, et Oaken comprit qu’il n’avait pas intérêt à jouer à ce jeu avec un tel personnage.

« Oui. Oui, j’ai été viré. Après c’qui s’est passé au Ministère, ils ont rétropédalé, et j’ai été lourdé. Au profit de quoi, d’ailleurs ? De l’autre, là. Celle qui cancane et qui n’a pas plus d’intelligence que de classe.

— Skeeter, confirma Lucius avec un brin d’amusement.

— Qui d’autre ?!? J’la vois d’ici nous faire des papiers sur les dessous du Seigneur des Ténèbres, plutôt Londoniens, ou d’Édimbourg ?!

— Reprends-toi, Connor, tu oublies de qui tu parles.

— Pardonnez-moi, soupira précipitamment le journaliste en versant à nouveau dans le vouvoiement.

— Allons. Je comprends que tu prennes… Mal une telle défection.

— Mal ?! J’étais LE rédacteur de la Gazette, le seul qui valait quelque chose. Je disais la vérité ! Celle qu’ils ne veulent pas entendre tous ces… Tous ces mondains, ces lisses de l’intellect. JE disais la vérité que tout le monde pense, sans oser la dire à voix haute. On est nombreux, Lucius, à ne pas supporter l’arrogance de Dumbledore et… »

Oaken se tut immédiatement lorsque le blond passa une langue gourmande sur ses lèvres. Le Mangemort buvait du petit lait, c’était trop simple.

« Et tu comptes faire quoi, désormais ?

— J’sais pas. J’ai encore trois sous de côté, mais…

— Postules au Chicaneur, ils embauchent, paraît-il, se moqua Lucius.

— JAMAIS ! J’sais pas ce que c’est que cette Lane, mais c’est une femme qui ne sait ni écrire, ni ce qu’est le métier noble de reporter. Je préfère encore écrire des contes pour enfants que de…

— Et avoir ton propre journal ? coupa le blond en arquant un sourcil.

— … Ouais. Ouais…! C’est vrai, j’aimerais bien. Mais avec quel argent, hein ?

— La vraie question, Connor, c’est de savoir ce que tu voudrais raconter dans ce journal. »

Lucius Malefoy bougea légèrement d’impatience, mais aussi de victoire anticipée. Oaken le perçu par-dessus son verre, et cela le remit dans une posture plus familière. LA, ils jouaient sur un terrain qu’ils connaissaient tous deux très bien.

« Qu’est-ce que TU voudrais que j’y raconte, Lucius… ?

— Rien. Tu semblais attaché à la vérité, non ?

— Oui. Et quelle serait-elle ?

— Celle que nous partageons, celle que tu déclinais déjà avant que l’on cesse de reconnaître ton talent. La vérité.

— Et maintenant que le Seigneur des Ténèbres est de retour… Est-ce que tu n’aurais pas plus d’intérêt à ce que justement je…

— Ah ! Mais mon bon Connor, nous ne parlons pas de mes intérêts. Je te propose d’avoir ton journal, où tu serais totalement libre de tes opinions. »

Oaken fronça les sourcils, oubliant le fil de son caleçon qui n’en finissait plus de limer sa cuisse, oubliant sa veste qui collait à son dos comme du papier détrempé sous une godasse, oubliant sa propre puanteur. Quelque chose n’allait pas, Malefoy n’avait pas du tout une réponse normale pour le bras-droit de Lord Voldemort. Un instant, le journaliste se demanda si l’homme en face de lui ne lui tendait pas un piège. Mais son instinct lui disait tout le contraire, et la posture du blond ne laissait en rien paraître une quelconque volonté de lui nuire à lui. Puis, soudain, il écarquilla les yeux, en comprenant ce que l’homme lui demandait.

« Par Merlin, Lucius… Où s’arrête ton ambition ?»

 

***

Little Hangleton, Manoir Jedusor,

« NON ! NOOOOOON !»

Enfoncé dans son immense fauteuil, faisant tournoyer un globe de verre entre les mains, Voldemort s’interrompit et releva la tête brusquement.

« Qu’est-ce que c’est que ça, Severus ? »  Demanda-t-il sans même prendre la peine de le regarder.

L’espion fronça les narines, s’agaçant de constater que son « Maître » n’était manifestement pas attentif à leur discussion.

« Ce dont je vous entretiens, Mon Seigneur : Bellatrix.

— Eh bien ?

—… Mon Seigneur, Bellatrix a mené un raid sans votre accord sur le Londres Moldu. Il y a des dizaines de morts, peut-être plus et…

PITIEEE, JE…

— Je sais ce qu’elle a fait, coupa Lord Voldemort, agacé, elle a toujours fait preuve de zèle, et puis, nous n’avons plus à nous cacher désormais.

— Mais, Monseigneur, ce qu’on entend est probablement une prisonnière en train d’être torturée, et… »

Severus se tut immédiatement lorsque l’homme à la face de serpent se retourna pour le scruter. Se présentant sans son masque, l’espion n’avait d’autre choix que d’exposer une expression neutre que vint troubler un nouveau hurlement. Cela n’échappa pas au Mage Noir dont les pupilles s’étrécir plus encore.

« Aurais-tu développé de la compassion au contact de ton vieux Directeur, Severus ?

— Albus Dumbledore n’est pas mon Directeur, Mon Maître, il n’est que ma cible d’espionnage, répliqua Severus glacial, prenant le risque que Voldemort accepte mal cette rudesse, ce n’est pas de la pitié qui m’anime, Mon Seigneur, seulement de la crainte : une guerre ne se gagne pas avec des soldats qui se passent des ordres de leurs supérieurs, et qui détiennent des témoins dans des geôles, si…

— Es-tu en train de me dire comment mener ce combat, Severus ? siffla Voldemort, es-tu en train de me dire comment traiter Bellatrix et mes propres Mangemorts ?

— Jamais, Maître.

— Alors serais-tu en train de sous-entendre que nous devrions mieux traiter ces créatures ? Que peut-être les Moldus mériteraient un autre sort ?

— Certainement pas. Vous connaissez ma position à leur sujet, Maître. Depuis cette nuit, ça n’a pas changé.

— Tu parles de la nuit où tu as puni ton Moldu de géniteur ? demanda Voldemort, et enchaînant au moment où Snape allait lui répondre, ou bien de la nuit où tu m’as demandé d’épargner la Moldue… ?»

Severus accusa le coup. Il sentit que son teint avait dû devenir plus livide, et le regard de Voldemort le confirma. Une pointe de souffrance, mêlée à une colère sourde, lui prit les tripes en tenailles, et l’espion s’en servit pour répliquer :

« Je parlais bien de Tobias, Maître. Quoi que la confusion soit logique : je ne réservais rien de bon non plus à Lily Potter… »

Son nez arqué picota, et Severus écarta rageusement l’émotion qui menaçait de déborder, laissant la haine couler et transpirer dans la suite de sa phrase :

« Mais le destin aura peut-être été plus généreux avec moi en m’offrant la possibilité de m’amuser avec leur fils…

— Ses souvenirs risquent d’être moins distrayants à tourmenter, rebondit Voldemort comme rassuré par la réponse précédente, maintenant qu’il est dans sa famille toute neuve…

— Oh, Potter n’est pas près de se débarrasser de sa hantise d’être abandonné, Mon Seigneur, et Black n’est pas tout à fait un adulte stable. J’ai encore de belles heures devant moi. »  Il termina sa phrase avec un rictus malveillant qui provoqua un éclat de rire chez le Mage Noir.

Un instant, Snape se demanda s’il n’était pas excessif, mais le moment n’était pas au doute. Les joues brûlantes à cause de la colère, et le sang vrillant ses tempes, il ressemblait à une bête prête à mordre. C’était cette vision qui plut à Voldemort.

« Tu es cruel. C’est une qualité que j’ai toujours appréciée chez toi, Severus.

— Merci, Maître, s’inclina ce dernier.

— Une qualité que Bellatrix, elle-même apprécie. »

Une goutte brûlante roula sur la nuque de l’espion, elle se nicha entre ses omoplates, devenant soudainement glacée. L’homme se contenta d’étirer plus largement son rictus, lui donnant l’air d’un dément.

« Je suis certain qu’elle saura le reconnaître. Va. »

Rendu muet par la perspective de l’ordre, Severus s’inclina et tourna les talons. Passant la porte, il entendit à peine la dernière réplique de Voldemort :

« Et tâche de ne pas être plus bruyant qu’elle. J’en ai assez d’être dérangé. »

L’homme en noir hocha la tête, et ferma la porte avec conviction. Il se dirigea à la cave du manoir Jedusor, transformé pour l’occasion en geôles. Ses pas étaient lourds, parfaitement bien rythmés, et ses jambes le portaient avec une force qu’il n’avait plus vue depuis des décennies. Son bras gauche le brûlait, à l’endroit précis de sa marque. Ça faisait toujours ça, dans ces moments, il n’avait jamais su pourquoi. Un instant, il hésita à revêtir son masque, mais le rire fou qui atteignait désormais ses oreilles bourdonnantes le fit se raviser. Sa mâchoire se contracta lorsque son nez perçu l’odeur ferrugineuse du sang. Il avait la sensation d’être presque aveugle, alors que sa vue était parfaitement claire, aiguisée par la montée d’adrénaline. Pourtant, il descendait les escaliers, comme désincarné.

Il n’entendait que le rire de Bellatrix, mais son ouïe se mit à lui porter également les cris de la Moldue torturée. La voix était brisée, elle s’éteignait à mesure que l’hystérie de la Mangemorte augmentait. Lorsque Severus atteint la dernière marche de l’escalier en colimaçon, lorsqu’il se dévoila de derrière le pilier de pierre, la vue l’arrêta net.

Traînée au milieu de la pièce, les deux mains clouées à un poteau central, les genoux au sol et le dos arqué dans une tentative désespérée d’échapper à sa tortionnaire, une femme d’une quarantaine d’années semblait-il, délirait, suppliant tantôt qu’on l’épargne, tantôt qu’on la tue. La baguette tordue qui était pointée vers les lambeaux de veste de tailleur et de chair humaine s’abaissa légèrement. Au bout, le bras infaillible de Bellatrix Lestrange se replia dans une sorte de salut ironique.

Severus serra les dents, pour empêcher sa bouche de s’ouvrir devant le choc.

Bellatrix avait cette manie d’être tout à la fois d’une beauté surnaturelle et d’une laideur sans borne. À mi-chemin entre l’horreur et la perfection. Elle était pareille à une banshee, et partageait avec son Maître cette faculté d’incarner deux extrêmes esthétiques. C’était une très belle femme dont la malfaisance puait assez pour faire sentir à ses victimes qu’elle n’était rien d’autre qu’un monstre. Et Bellatrix savait quel effet elle pouvait faire. Et elle adorait ça.

« Alors… ? demanda-t-elle de son horrible voix infantile, le Maître ne partage pas ton goût pour les femmes Moldues… ? Tu n’as pas eu gain de cause ? Oh ! Je sais ! Tu vas me présenter tes excuses ! »

Qu’elle sache ce que Severus était venu faire au Manoir n’avait rien de surprenant. Qu’elle sache qu’il y soit allé, alors qu’elle était coincée en bas, avec quelqu’un hurlant dans ses oreilles était déjà plus inquiétant : quelqu’un la tenait informée de ce qui se passait au domaine.

Si Severus et Lucius étaient dans une sorte de compétition tout à la fois respectueuse et hostile, Severus et Bellatrix, en revanche, se haïssaient. Plus encore que lui et son cousin… Bellatrix, parce que le Maître des Potions était à ses yeux « un Sang-de-Bourbe », pauvre, qui plus est. Et ce dernier parce que la sorcière était tout simplement aussi monstrueuse que ne l’était son Maître. Ils avaient donc multiplié les accrochages, à mesure que l’espion montait dans l’estime du Fourchelangue, et Snape n’était jusqu’ici protégé que de par son exceptionnelle habileté à incarner son rôle : un Maître des Potions hors-pair, doublé d’un Mangemort loyal et redoutable.

« C’est vrai… commença Severus de sa voix grave et résonnante, je vais te présenter mes excuses… »

Lestrange piailla d’impatience et d’excitation, faisant un léger bond sur elle-même. La Moldue au centre tressauta de peur et se rapprocha du poteau, le clou labourant plus encore ses deux paumes, mais le cri qu’elle poussa n’interrompit ni l’espion, ni la brune qui s’approchait de lui avec délectation. Elle avait relevé la tête, comme une Reine s’apprêtant à recevoir les hommages d’un serf criblé de bulbes pestilentiels.

« Alors… ? ne put-elle s’empêcher de presser, impatiente à l’accoutumée.

– Je suis désolé, Bellatrix, souffla Severus, en abaissant doucement la tête.

– Non, tu ne l’es pas. On se met à genoux quand on implore le pardon. »

Elle exultait. La fureur que l’homme en noir ressentait monta encore d’un cran. Une fureur que la perspective de ce qui allait se passer ici n’avait fait que nourrir. Il se sentait repartir des années en arrière. Il se sentait happé par les ténèbres à nouveau. Il le fallait, pour cet instant, du moins. Alors, il abaissa la jambe gauche, posant un genou à terre. Bellatrix passa une langue gourmande sur ses lèvres, et sourit, joignant ses mains comme une enfant ravie.

« Je suis désolé, reprit Snape.

— De quoi ? De quoi ?! le pressa-t-elle, sautillant presque.

— Je suis désolé, Bellatrix, pour l’affront que je te fais.

— Continues ! Continues ! »

Severus releva la tête vers elle et cilla lentement, la fixant avec insolence. Il répéta, son sourire s’étirant doucement à mesure qu’il prononçait la suite :

« Je suis désolé Bellatrix, pour l’affront que je te fais, en étant mandaté par le Maître pour te montrer ce que c’est que la cruauté. »

La Moldue sanglota, Lestrange jura, et bondit en arrière, avant de faire volte-face. Elle ressemblait à un chat sauvage prêt à tuer. Mais elle ne bougea plus, se contentant d’afficher une expression dédaigneuse profondément satisfaite. Tandis que Severus se relevait, elle susurra, comme savourant un bonbon particulièrement acide :

« Profite, Severus. Profite de pouvoir me manquer ainsi de respect, et d’avoir encore sa faveur… Mais tu n’auras pas toujours l’occasion de t’en sortir par une pirouette verbale. Bientôt, il te faudra apprendre à aimer le goût du sang… Sinon, c’est le tiens que tu goûteras.

— Attention, Bellatrix, gronda l’homme en faisant un seul pas en sa direction, ne cherche pas à découvrir pourquoi je peux te tenir lieu de Professeur. »

Elle fit un pas en arrière. Ce n’était pas une grande femme, mais elle ne se laissait pas facilement impressionner pour autant. Seulement, Severus avait toujours donné de l’effet à sa carrure, et personne ne le sous-estimait. En temps normal, elle aurait perdu le dessus immédiatement, et Snape s’attendait à ce qu’elle lui distille une dernière insulte avant de s’en aller. Mais elle n’en fit rien :

« Très bien, prouve-le, le mit-elle au défi.

— Je n’ai rien à te prouver, Lestrange.

— Pas à moi, Snape. À LUI. »

Severus cilla, encaissant le sous-entendu. Il baissa ensuite les yeux sur la pauvrette qui leva un regard bleu embué de larmes.

« Je vous en prie… murmura-t-elle, laissez-moi rejoindre mes enfants… Tuez-moi. »

L’homme en noir passa doucement sa main sur les cheveux de la Moldue, levant en même temps sa baguette, il jeta un regard perçant à Bellatrix, esquissant un rictus effroyable :

« Vous ne savez encore rien du désir de mourir… »

***

Square Grimmaurd,

Maugrey claudiqua jusqu’à la chaise que lui avait tiré Sirius, et s’affala dessus. Il était épuisé de cette époque et de ses tensions. Sans un mot, l’Animagus agita la baguette pour faire venir un petit chariot rutilant garni d’alcools forts. Dumbledore, qui sirotait déjà un verre de limoncello pouffa de rire, lorsqu’il capta le regard reconnaissant de l’Auror. Fol’œil était vraiment épuisé s’il était aussi aimable.

Il ne restait plus qu’eux dans la cuisine, après l’arrivée précipitée de Snape et Smith quelques heures plus tôt, l’arrivée de l’Ordre tout entier et la réunion d’urgence, ils s’étaient séparés, décidés à agir le plus rapidement possible. Jane avait été envoyée dans la chambre de Harry, qui restait quelque peu groggy après le sort d’Oubliettes, Snape était parti s’occuper des parents de la Moldue, sous la houlette de l’ancien Chef des Aurors. Quant aux autres, ils étaient repartis à leurs postes, car l’attaque de Bellatrix avait déclenché un branle-bas de combat incroyable au Département Sécuritaire.

Maugrey avala d’une traite son verre ambré, et pendant qu’il faisait claquer sa langue contre son palais en guise d’appréciation, il se resservit immédiatement.

« Ah ! soupira-t-il après avoir sifflé un deuxième, Snape n’est pas un mauvais lanceur de maléfices, hein… S’il n’était pas un Mangemort, j’aurais presque regretté qu’il n’soit pas dans nos rangs.

— Il est dans nos rangs, Alastor, rectifia Dumbledore, un ton légèrement amusé.

— Ouais, ouais… Je veux dire que… Peu importe. Il a fait du bon boulot avec les Smith. Il est arrivé, il leur a parlé de leur fille, tout ça, les rassurant pour l’attaque. Et après, calmement, il a lancé le sort, très proprement. Très… Professionnellement. J’pensais pas qu’il les connaissait, ya une raison pour que ça soit le cas ?

— Oui, simplement d’éviter toute surprise avec les proches de Jane, éluda Dumbledore, il est parti auprès de Voldemort directement après ça ?

— Vous savez toujours tout, soupira l’Auror, c’est exact.

— Dans quel but ? demanda Sirius.

— Essayer de le prévenir que ta cousine est en train de poser de gros gros problèmes. Mais…

— Qu’espère Sniv…Snape au juste ? Voldemort ne risque pas de condamner une attaque sur des Moldus.

— Non, mais instiller l’idée qu’il perd son pouvoir sur ses Mangemorts est une stratégie payante : plus il doutera de ses troupes, moins il comptera sur elles et se concentrera sur sa propre angoisse. De ce que Severus en sait, il n’a toujours pris aucune décision, malgré le fait qu’il détienne la prophétie.

— … Pourquoi ? N’était-ce pas grave qu’il s’en empare ? N’était-ce pas une clé de notre victoire ? »

Dumbledore ouvrit la bouche, comme surpris d’avoir sous-estimé l’importance de cette question pour les autres. Même son vieil ami guerrier était suspendu à ses lèvres. Le Mage Blanc soupira, et avança doucement la main pour boire encore à son tour. Parfois, il oubliait que tout le monde n’avait pas son intelligence. Il chercha les mots, une formule dont il avait le secret, quelque chose d’assez beau pour paraître sage, quelque chose qui impressionne et qui rende à sa réponse une profondeur qu’elle n’avait pas. En vain :

« Non. »

Albus prit quelques lampées de limoncello avec plaisir, tandis que les deux hommes le regardaient de travers.

« Comment ça, « non » ? Albus ! Est-ce que la prophétie était importante ?!

— De toute évidence, oui, répondit le vieillard, puisque Tom y croit.

— Mais en dehors de ça ? Pourquoi l’avoir protégée si ce n’est pas grave qui l’entende ? »

Le Mage tourna un instant la tête en direction de la porte de la cuisine, comme pour vérifier que ni Harry, ni Jane n’étaient descendus pour les espionner. Quelque part, il trouva cela décevant, mais sans doute l’un était trop sonné et l’autre trop choquée pour se rebeller contre les ordres. Il soupira à nouveau.

« Tom a perdu un an à tenter de la récupérer. Un an, Alastor. Durant lequel il ne s’est concentré sur rien d’autre. Depuis son retour, il est obsédé par Harry, il est terrifié à l’idée d’être détruit à nouveau, voire pire : de mourir définitivement. Et d’après ce que m’en a dit Severus, il va perdre encore quelques temps à tenter de la déchiffrer.

— … Le peut-il ? Y a-t-il quelque chose à comprendre ?

— Oui, je pense. Mais il me faut pour cela vérifier une intuition. À ce propos, Sirius, je vais avoir besoin de Harry.

— Attendez un peu, avant de partir dans vos expériences étranges, Albus, intervint Maugrey d’une voix parfaitement ferme malgré le taux d’alcoolémie galopant, avant ça, avez-vous parlé à Scrimgeour ? Nymphadora a laissé entendre qu’il comptait envoyer une escouade permanente à Poudlard.

— Oui, c’est exact. Il m’a déjà imposé ça, d’ailleurs. Les élèves vont être fouillés, et les Aurors vont garder en permanence les entrées. Naturellement, les défenses ont déjà été renforcées. Espérons qu’il n’en rajoute pas une seconde après l’attentat. Vous comptez réintégrer les rangs Alastor ?

— Certainement pas ! Mes méthodes n’ont plus rien à voir avec celles d’aujourd’hui, et je préfère encore travailler avec ceux que je connais. Je voulais seulement savoir si…

— Ah ! sourit Dumbledore en perçant à jour son vieil ami, oui, la jeune Tonks sera des nôtres, et ne vous en faites pas, elle sera très bien reçue.

— Je ne… »

Mais Maugrey se contenta de grommeler en rougissant quelque peu. Même sous la torture il n’avouerait pas qu’il adorait son ancienne apprentie et s’inquiétait pour elle. Il était donc inutile qu’on le presse à ce sujet. Sirius en profita pour en revenir à la question du Directeur :

« Vous vouliez me demander quelque chose à propos d’Harry ?

— Oui. Je vais tenter de faire revenir Horace Slughorn, j’ai mes raisons, et je n’ai pas l’intention d’expliquer ça… Seulement, il est difficile à convaincre et je pensais que votre filleul, avec son nom prestigieux…

— Ca, faut voir ça avec Harry. Mais, attendez, s’il reprend son poste de Professeur de Potions, que va devenir Snape ?

— Je lui ferai part de votre inquiétude à son sujet, si vous voulez… se moqua gentiment Albus, dans une réflexion digne de son protégé, Severus a toute sa place dans le corps enseignant de Poudlard, mais pour l’heure, je souhaite surtout convaincre Horace.

— Je me fous de l’autre, hein, je demandais simplement. J’appelle Harry, vous n’avez qu’à lui poser la question. »

Tandis que Sirius échappa au regard perçant de son ancien Directeur, Maugrey en profita pour leur servir à tous deux un verre. Buvant plus lentement que jusqu’ici, l’Aurore ne se cacha pas d’avoir une question en suspens. Finalement, Albus reposa son verre vide, et offrit un sourire aimable, invitation à la question.

« Je croyais que vous pensiez le poste de Professeur de Défense Contre les Forces du Mal maudit, Albus… Vous avez l’intention de vous débarrasser de Severus ? »

Le regard de Dumbledore perdit de son pétillement amusé. Il regarda très sérieusement son comparse, et d’une voix plus grave qu’à son habitude, lui répondit enfin :

« Je le crois toujours maudit… Seulement, ce que j’ai à faire avec Horace est bien trop déterminant pour que nous nous en passions. Et les élèves ont besoin d’un Professeur à la hauteur des évènements, quelqu’un qui saura leur enseigner ce qu’il leur manque pour faire face à cette époque. »

***

Couloirs de Poudlard, peu de temps après,

Cette fois-ci, c’était la bonne. L’absence de Jane l’avait poussé à explorer davantage le château. Faut dire qu’il n’y avait rien d’intéressant à faire dans les appartements de sa Maîtresse, alors que… Alors qu’il avait un mystère à résoudre. Quelque chose n’allait pas dans cet endroit.

Pour commencer, les escaliers bougeaient. Les tableaux parlaient, les armures échangeaient leur place, l’air était saturé de quelque chose de picotant, pire que quand on s’approchait des prises d’un ordinateur… Bref, Poudlard était un endroit particulièrement étrange pour Merlin. Mais ce qui l’intriguait le plus était sans conteste ces formes vaporeuses qu’il voyait parfois. Ces choses flottantes et glacées.

Les fantômes le mettaient profondément mal à l’aise. Surtout un : le seul fantôme du château à ne pas l’ignorer, la Dame Grise. Elle avait croisé son regard quelques jours avant, et lui avait donné l’impression de pouvoir le comprendre. De le comprendre réellement. Ça n’était pas normal. C’était…

« Ta queue dépasse, jeune Merlin. »

Le chat fit un bond sur lui-même, se collant plus encore contre son mur, et rabattant sa queue contre ses pattes arrière. Comment avait-elle fait ? Et puis comment savait-elle que c’était lui ? Il hésita, passa une tête en biais par-dessus l’angle du couloir. Au bout du passage, une cour intérieure baignée de lumière. La Dame Grise y était, elle flottait, et regardait dans sa direction. Son doux visage était éclairé d’un faible sourire. Elle semblait s’amuser.

« Bien, te décideras-tu à venir cette fois-ci ? »

Merlin abaissa la tête, les pupilles s’écartant plus encore. Il dodelina, mais il ne risquait pas d’être impressionnant derrière sa protection. Et puis ce qu’il avait en face n’était… N’était même pas vivant. Un frisson l’étreint, jusqu’à ébouriffer sa queue, et il miaula de peur.

« Ne crains rien. »

Elle venait de se pencher, et de tendre une main spectrale dans sa direction. Est-ce que ça a une odeur un fantôme ? Est-ce que c’est aussi froid que ça en a l’air… ? Est-ce que… ? Merlin avançait, longeant le mur comme s’il était d’une discrétion sans faille. La Dame Grise l’observa faire sans bouger, évitant de sourire. En dehors de Miss Teigne, aucun animal ne circulait librement dans Poudlard, c’était interdit, et la chatte de Rusard évitait tout contact avec les fantômes. Le spectre appréciait cette rencontre.

Merlin continuait d’approcher de la main, reniflant frénétiquement. C’était monstrueux : l’absence d’odeur, de consistance, le paniquait. Il pressentait pourtant qu’elle ne lui voulait aucun mal, mais son instinct le suppliait de rebrousser chemin. Ce n’est qu’avec un courage rare pour un simple chat comme lui qu’il put frôler le membre, avant de feuler et de faire un bond en arrière. Helena abaissa la tête, de tristesse, et recula pour le rassurer.

« Les êtres vivants peuvent me traverser, cela ne fait qu’une impression de froideur, m’a-t-on dit. Peut-être trouveras-tu le courage de le faire un jour… »

Le fantôme s’éclipsa, retournant dans la cour et s’approchant d’une fenêtre qui donnait sur le parc. Merlin en profita pour avancer, épousant chaque courbe du château, comme une ombre, avant de se nicher dans les racines du chêne qui dominait l’endroit. Lové contre quelque chose de résolument vivant, l’animal reprit son souffle, non sans garder les yeux rivés sur le fantôme.

« Ta Maîtresse aime aussi cet endroit, finit par dire Helena, elle a semblé adorer le plafond. »

Merlin leva la truffe en l’air, et on pouvait constater que le ciel était clair ce soir, avec une belle lune montante particulièrement lumineuse. S’il avait pu, l’animal aurait haussé les épaules. Trois astres et un satellite n’étaient pas pour l’impressionner, mais il sentait que ce n’était pas le propos du fantôme.

« J’aimerais lui parler. » ajouta-t-elle.

C’était donc ça. Merlin miaula, et il s’étonna encore qu’Helena lui réponde le plus naturellement du monde :

« Mais parce qu’il est plus simple qu’elle pense que cela est dû au hasard, voyons. »

Le chat ne comprit pas tellement où elle voulait en venir, il allait lui « demander », lorsque le fantôme se pencha par-dessus la fenêtre, traversant la vitre. Merlin écarquilla les yeux, et frissonna. Helena revint à sa position en secouant la tête.

« Son esprit est perdu dans le passé, plus tourmenté qu’à son habitude. Quelle pitié que cette âme-là. »

Merlin cligna des yeux, et miaula d’étonnement.

« Eh bien : l’homme en noir. Il est rentré, et pourtant il n’est toujours pas revenu… »

L’animal était loin d’avoir compris toute la subtilité de la phrase, la seule chose qui lui importait était le fait que Snape était de retour, ce qui devait signifier que sa Maîtresse également. Ravi, il bondit et détala, sous le regard peiné du fantôme qui retourna à la contemplation de son chêne.

Détalant les escaliers quatre à quatre, évitant de justesse l’un d’eux qui pivotait à son arrivée, bondissant sur la rampe et se laissant glisser le long, jusqu’à sauter in extremis sur le palier suivant ; un saut contre un mur droit pour reprendre de l’élan et rectifier la trajectoire, un léger dérapage contrôlé au sortir d’un hall et le voilà en haut des grands escaliers de l’entrée. Merlin attendit, droit, fier, comme l’heureux propriétaire des lieux, qu’il n’était pas. Qu’importe, il savait qu’à cette heure, peu de gens circulaient, il pourrait avoir son câlin, voire mieux : Jane le prendrait peut-être dans ses bras pour le porter jusqu’à leur chez eux. Oui, ça sera très bien.

La porte d’entrée grinça sinistrement, se poussant lentement, comme si la personne qui tentait d’en passer le pas n’avait plus la force de le faire. La main fermement accrochée à la tranche du bois, Severus avança tête baissée derrière un rideau de cheveux noirs qui semblaient goutter comme de l’encre indélébile. Merlin frémit d’anticipation, et s’obligea à ne pas avancer, mais lorsqu’il vit Snape s’effondrer contre la porte pour la refermer dans un geste las, le chat comprit qu’il y avait un problème.

Severus traîna le pied, avançant lentement en fixant le sol. Il ne semblait pas blessé, seulement épuisé. L’espion gravit les marches, et s’arrêta net lorsque son regard accrocha celui du chat. Instinctivement, Merlin arqua le dos, le poil hérissé, fixant le Sorcier avec une rare animosité. En face de lui, c’était deux billes d’onyx luisantes, brulant dans des orbites sous le feu d’une rage animale. Le chat se sentait face à un prédateur, et il n’aima pas cette sensation. Il sembla même au félin que l’homme était bien plus mort et froid que ne l’avait jamais été le fantôme quelques temps auparavant.

Merlin feula, grondant sourdement comme pour bien faire comprendre à l’homme qu’il n’hésiterait pas à se défendre. Severus cligna des yeux, et sa baguette, dont il n’avait pas le souvenir de l’avoir tirée, lui glissa d’entre les doigts. Il se laissa choir prêt du chat, un sanglot craqua et éclata dans le hall.

Après un instant d’incompréhension, Merlin sauta sur les genoux du Sorcier qui restait hébété dans sa douleur, et se mit à ronronner doucement.

Il allait l’aider à rentrer.