Mercredi 14 janvier, 8h05,

Harry n’avait pas souvenir d’une nuit aussi excellente que la dernière. Depuis une éternité, aucun mauvais rêve, aucune vision ne vint à troubler son sommeil. Mieux : il s’était levé avec un puissant sentiment d’allégresse, teinté d’une confiance en lui à toutes épreuves. Avec bonne volonté, il se lava et s’habilla, repensant à son premier cours d’Occlumancie. Peut-être avait-il réellement quelque chose à en tirer, finalement… ? Sans même attendre Ron, le jeune homme déboula dans la Grande Salle, le visage souriant. Il franchit les portes, et posa involontairement son regard sur la table des professeurs. Dumbledore et McGonagall étaient en grande conversation avec Flitwick et Chourave, le visage grave, les lèvres bougeant à peine. Snape lisait la Gazette du Sorcier avec une concentration extrême, ne laissant strictement rien filtrer concernant ses émotions. Smith était pâle comme la mort, jouant avec son déjeuner et le sang semblait avoir totalement quitté le visage d’Ombrage, qui serrait les dents à s’en décrocher l’émail. Mais Harry n’en fut pas particulièrement inquiété. Sa bonne humeur était telle qu’il ne voulait pour rien au monde la voir gâchée.

Il prit donc place à la table des Gryffondors, comme si ce jour était un jour comme les autres. En effet, de nombreux élèves le regardaient avec insistance, et cela, Harry en avait l’habitude depuis maintenant le début de l’année. Pourtant aujourd’hui, ce n’étaient pas des regards de dégoûts, de suspicion ou autre. Non, ils le regardaient avec crainte et stupeur. Comme si Harry avait été responsable, ou mêlé à quelque chose. Prenant un toast grillé pour le beurrer et le recouvrir ensuite de gelée d’orange, Harry plissa les yeux lorsque Seamus croisa son regard. Le jeune homme avait encore en tête l’altercation de la rentrée, et n’avait toujours pas digéré le rejet massif de ses collègues de maison suite à sa position sur Voldemort. Mais, contrairement aux autres jours, Seamus ne lui rendit pas son regard et sembla même prendre son inspiration, comme pour trouver du courage. Du courage pour quoi, au juste ?

Le garçon aux dons de pyromancie se leva maladroitement, et marcha en direction d’Harry d’un pas mal assuré. Il se redressa d’un air solennel, et balbutia rapidement en chuchotant :

« Je suis désolé, je te crois maintenant. »

Avant même que l’Attrapeur ne puisse répondre, il lui fourra dans les mains l’exemplaire de la Gazette du Sorcier datée du jour, et tourna des talons, décidément raide. Harry de son côté, cligna des yeux plusieurs fois sans comprendre, avant qu’il ne lise sur la une :

« EVASION MASSIVE A AZKHABAN »

 

« Dans la nuit du mardi treize au mercredi quatorze janvier 2015, la prison de haute sécurité pour sorciers Azkaban a été victime d’une attaque sans précédent. Vers deux heures du matin, la forteresse a été forcée, libérant par la même de nombreux prisonniers extrêmement dangereux. Tous condamnés pour être des Mangemorts. Parmi eux, Bellatrix Lestrange, responsable avec son mari, décédé pendant la guerre, de la folie des époux Londubat suite à une torture abjecte pratiquée à l’aide du sortilège interdit Doloris.

Cette évasion, précise le Ministère de la Magie, a été très certainement rendue possible par une autre, celle du criminel Sirius Black, cousin de Bellatrix Lestrange, qui lui-même s’était échappé, voilà deux ans. Pour le moment, le bureau des Aurors ne communique aucun bilan de blessés ou de tués, et les gardiens de la prison, les Détraqueurs, seraient totalement silencieux sur le déroulement de l’opération. Comme toujours, la Gazette du Sorcier enquêtera pour vous, et vous tiendra informés des futurs rebondissements de cette affaire. Pour ne pas rater une information capitale, et vivre en direct les évolutions de l’enquête, abonnez-vous au tarif préférentiel d’une Mornille par mois pendant un an ! Et pour cinq Mornilles de plus, recevez gratuitement le dossier spécial « Black, le meilleur ami de sa victime » ! »

Quelques mois auparavant, Harry aurait été pris d’une violente colère contre le Ministère et contre Voldemort pour une telle nouvelle. Mais aujourd’hui, le garçon avait surtout une envie pressante de vomir. Voilà pourquoi il était de si bonne humeur ce matin ! Voilà pourquoi il n’avait strictement rien vu dans ses rêves ! Lord Voldemort avait dû fermer son esprit, et la joie et le sentiment de toute puissance qu’avait ressenti Harry n’étaient rien d’autre que les émotions de son bourreau.

Il repoussa brutalement son assiette avec ses toasts, et chercha instinctivement à croiser le regard du Directeur, comme pour trouver du réconfort. Mais, celui-ci était beaucoup trop occupé à converser avec les autres professeurs. Harry songea un instant à Snape, avant de l’écarter d’un froncement de sourcils. Finalement, il se leva d’un bond, et remonta quatre à quatre les marches menant à son dortoir. Il croisa Ron et Hermione sur la route, mais ne s’arrêta pas pour autant. Enfin, il arriva à son lit, et tira de sous son matelas le miroir que Sirius lui avait donné. Il hésita. Son parrain était probablement au courant de cette évasion, à quoi bon lui en parler… ? Il allait reposer le miroir dans sa cachette, lorsqu’il se ravisa :

« Sirius… ?

— Harry, qu’est-ce qui se passe ?

— Tu as lu les journaux aujourd’hui ?

— Oui, je sais, tu as vu quelque chose cette, nuit, c’est ça ?

— Non, justement. Rien. Je croyais que c’était à cause de mes leçon avec Snape, mais… Et ce matin… Ce matin, j’étais heureux, j’avais tellement la pêche Sirius !

— Ses émotions, à Lui, n’est-ce pas ?

— Oui. Soupira Harry en baissant la tête.

— Tu en as parlé à Snape ? Reprit Sirius après une minute de réflexion soucieuse.

— Non… Tu crois qu’il… ?

— C’est lui ton Maître pour ce domaine, Harry. Bon sang ! J’arrive pas à croire que j’dis un truc pareil, ton père serait vert s’il entendait ! Aucune importance, c’est quand ta prochaine heure de colle ?

— Demain. Je verrai avec lui, alors… Merci Sirius.

— Arrête de me remercier. Je préfère que tu viennes me voir plutôt que tu restes dans ton coin. Prends soin de toi Harry, le cours des choses s’accélère ! »

Et l’Animagus disparu sur cet avertissement qui fit frissonner le garçon. Sur le moment, il n’avait pensé qu’à ce lien qui l’unissait à Voldemort, faisant abstraction de la fuite d’Azkaban. Mais Sirius avait raison, ce qui se passait était grave, Dumbledore avait tenté de mettre Fudge en alerte l’été précédent, mais celui-ci n’avait rien voulu entendre… Les conséquences étaient là : le Mage noir avait retrouvé ses fidèles et recomposait son armée. Conformément aux dires d’Hagrid, ou du moins, de ce que le trio avait compris depuis son retour, il comptait également dans ses rangs des Géants, et peut-être même des Loups Garous.

La jambe droite d’Harry trembla nerveusement. Le garçon inspira une énorme goulée d’air, et se retourna subitement en direction de la fenêtre du dortoir, se sentant oppressé. Du givre se formait sur les carreaux, et la neige qui tombait encore en abondance dans le parc, lui donna une impression plus forte encore de désespoir. Il n’avait jamais autant eu conscience de la guerre imminente à laquelle il prendrait part.

***

Square Grimmaurd, le même jour, 19h10,

« Allons, allons, calmez-vous ! » Tonna Dumbledore de sa voix profonde en direction de Maugrey, Tonks, Lupin et Sirius qui haussaient le ton.

Un silence de mort retomba sur la cuisine, et les membres de l’Ordre se regardaient, blêmes. Sitôt après la nouvelle annoncée, Albus avait fait convoquer tout le monde à une session extraordinaire au QG. En dehors des membres en mission comme Mondingus, ou encore Kingsley, tous étaient présents. Molly Weasley ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa, préférant servir un apéritif pour détendre l’atmosphère. Sirius continuait de regarder Maugrey d’un œil mauvais, que celui-ci lui rendit immédiatement :

« Je persiste à dire, Black, que si tu n’avais pas fait le malin il y a trois ans pour ta petite vengeance personnelle, jamais le Ministère ne pourrait t’invoquer comme excuse !

— Alastor… Commença Dumbledore sans succès.

— Je voulais protéger Harry ! J’avais peur que ce rat s’en prenne à lui !

— Sirius, il n’est pas nécessaire de te justifier, c’est fait… Tenta de tempérer Rémus.

— D’autant que si Sirius avait eu un véritable procès, rien de tout ceci ne serait arrivé ! En rajouta Tonks au grand dam de ses aînés.

— Que crois-tu savoir au juste, gamine ? Gronda Maugrey. Tu ne sais rien de cette époque ! »

Et c’était reparti. On n’entendait pratiquement plus les arguments des uns et des autres. Au milieu, Arthur, Molly, Minerva, Severus et Jane se servaient en silence un verre, regardant la scène avec consternation.

« De toute façon, s’ils n’avaient pas utilisé cette excuse bidon, ils en auraient pris une autre. Arrêtez de vous voiler la face sur les gouvernements, un peu… »

Cette phrase, marmonnée à moitié dans un verre, avait eu pour effet de stopper net les sorciers dans leur dispute. A présent, tous tournaient un regard désabusé en direction de la Moldue. Jane ne se laissa pas démonter, sentant déjà venir les « tu ne sais rien, gamine ». Au contraire, elle reposa son verre, et poursuivit :

« Moldue ou non, le Pouvoir reste le Pouvoir, j’vous signale. Si le Ministère a décidé de ne pas croire au retour de Voldemort, vous pouviez être certains, qu’il allait s’employer à trouver de nombreuses histoires farfelues à raconter à la Presse.

— Smith… Siffla Severus en étouffant un geste en direction de sa marque.

— Et qu’en savez-vous, gamine ? Se moqua Alastor, braquant son œil magique dans sa direction. Vous avez connu beaucoup de guerre, vous ?

— Pfff… Oui, autant que ceux qui ont mon âge ici. Dois-je vous le rappeler ?

— M’enfin, c’est insensé, ma fille ! S’indigna légèrement Molly. Le monde moldu n’a pas été en guerre depuis la Seconde Guerre Mondiale, de quoi parlez-vous ?

— Et il y a quinze ans ? La guerre civile en Irlande du Nord ? Le soi-disant nazi qui s’est fait exploser… ? Vous voulez une liste complète de choses attribuées à la malchance, à des groupuscules politiques, ou au climat, et qui se sont révélées être des morts à cause de votre cinglé de service ?!

— Jane…

— Non, laissez-moi finir Sirius ! Je sais peut-être mieux que vous ce que c’est que de vivre dans le déni, avec une Presse et un Gouvernement qui mentent. Cette guerre va faire des morts de notre côté également, à ceci près qu’aucun Moldu ne comprendra d’où ça vient. Alors, ne venez pas me dire que je ne sais pas de quoi je parle ! Votre dispute n’a ni sens, ni intérêt. Vous devriez vous concentrer plutôt sur ce que vous pouvez faire pour alerter l’opinion ! »

Elle ponctua sa tirade par un coup de poing sur la table, et un relevé de menton du plus bel effet. A côté d’elle, Severus se mordit la joue pour ne pas rire devant l’attitude de sa cadette. Elle venait de moucher l’Ordre entier, et sirotait son vin d’orange avec la posture digne des révolutionnaires. Loin de se démonter, Maugrey clopina dans sa direction pour se pencher vers elle, un hideux sourire lui barrant le visage :

« Et vous proposez quoi, au juste ? Parce qu’il serait peut-être temps de vous rendre plus utile que vous ne l’avez été jusqu’ici…

— Maugrey, elle m’a été d’une grande aide pour… Protesta Sirius outré, rapidement coupé.

— Je veux savoir ce que ce poids mort a à nous dire ! Qu’elle parle, vu qu’elle semble incapable de rester silencieuse dans une conversation qui la dépasse. Tonna l’Auror.

— Ce qui me dépasse, vieux réac’, c’est que vous continuez de laisser un journal unique s’adresser à la population ! En 40, les Moldus ont trouvé le moyen de communiquer autrement que par les moyens contrôlés par l’Etat ! Il serait peut-être temps de vous remuer la baguette au lieu de conspirer inutilement dans votre cuisine.

— Il suffit, gamine, tu ne diras plus une stupidité de plus ! Craqua alors Fol’œil. »

Il jeta un sortilège de silence sur Jane, qui se leva d’un bond, furieuse, pour ouvrir la bouche et hurler silencieusement sur l’Auror. De leurs côtés, Sirius et Tonks protestèrent vivement, dans un langage particulièrement fleuri à l’encontre du guerrier. Albus et Rémus tentaient d’apaiser le tout, Minerva s’en mêla, n’appréciant pas que l’homme ait jeté un sortilège arbitrairement. Molly se rangea du côté de Maugrey, arguant qu’il fallait respecter ses aînés, et Arthur tenta de calmer son épouse. Sans cette cacophonie incroyable, personne n’entendit le ricanement goguenard du Maître des Potions.

« SILENCE ! » Hurla Dumbledore, sa voix amplifiée magiquement. « Nous n’avons pas le temps pour ces querelles, nous devons rentrer au château au plus vite avant que Dolorès ne s’aperçoive de notre absence ! Miss Smith, je vous rends la parole si vous promettez de ne plus vous en prendre à l’âge d’Alastor. Et Alastor, de grâce, contenez vos ardeurs, ce n’est pas une de vos pupilles !

— Dumbledore, elle n’a pas à…

— Il n’empêche que Smith a raison. »

Toutes les têtes, en particulier celle de la susnommée, se tournèrent soudainement vers l’espion, qui souriait sadiquement devant leur air choqué. Il fit tournoyer un instant son vin cuit dans le verre, les laissant mariner quelque peu, avant de s’expliquer :

« En 40, les Moldus avaient bel et bien compris l’importance de la communication. Et les Mangemorts également, ne vous y trompez pas. Cet Oaken, est à la solde de Lucius Malefoy, souvenez-vous. Il sert des intérêts qui jouent directement contre nous. La Gazette n’est pas fiable.

— On sait qu’elle n’est pas fiable, Snape ! On le sait depuis…

— Alastor ! Taisez-vous, laissez-le finir ! Coupa Albus d’une voix dure.

— Merci, Monsieur le Directeur. Ce que Smith essaie de vous bredouiller maladroitement est que nous devons trouver le moyen d’informer les sorciers autrement. Cela n’est pas plus compliqué que cela.

— J’articulais parfaitement, Snape ! Mais en substance, oui, c’est ça. Pourquoi ne pas prendre la plume pour démonter, morceau après morceau tous les mensonges du Ministère ? Dénoncer ce qui se passe à Poudlard, la tyrannie d’Ombrage, le retour de Vol— de l’Autre ?

— Continuez, Miss… Sourit Albus en prenant, enfin, un verre de Limoncello.

— Actuellement, les sorciers n’ont que la version officielle, non ? Ils sont friands de petites anecdotes croustillantes, de trucs qui tâchent. Bref, il leur faut du buzz, non ?

— Du quoi ?

— Du buzz ! De la polémique, de l’anti-conventionnel ! Il leur faut de la Presse à scandales. Un truc qui soit subversif. Un journal qui n’aurait pas peur des mots, quoi !

— Et vous comptez monter une rédaction, à vous toute seule, je suppose ? Renifla Maugrey.

— Alastor, arrêtez de vous en prendre à elle ! Intervint Minerva. Non, Jane a raison, on doit trouver un journal qui acceptera de publier notre version des faits.

— Certes, mais qui ? En dehors de la Gazette, il n’y a que des revues spécialisées. Je ne pense pas que Quidditch’Mag accepterait de…

Le Chicaneur ! S’exclama Jane en jetant un silence médusé dans la pièce.

— Voyons, Jane… Se tordit les mains Minerva, gênée. Le Chicaneur n’est pas du tout pris au sérieux.

— Justement. Ils n’ont aucune réputation à perdre, et le Ministère ne verrait pas immédiatement le coup venir. De plus, il me semble qu’il appartient au père de Luna exclusivement. Il n’y aurait aucun problème de financiers mécontents.

— Non, mais… Le Chicaneur, quand même… Soupira Molly.

— Il est vrai que les Lovegood sont doués en matière de vérité. Dit Dumbledore en plongeant son regard dans celui d’une Jane gênée. Cela pourrait marcher. Vous parlerez à Miss Lovegood, alors… ?

— Soit. Mais que va-t-on dire dans ce journal ?

— Je pense que vous trouverez bien, Miss. N’était-ce pas votre travail, avant… ? Susurra doucement Snape. »

Jane grommela pour seule réponse, fronçant les narines dans une moue enfantine qui se voulait grimaçante. Si les autres membres de l’Ordre étaient réellement dubitatifs concernant cette idée, quelque uns, en revanche, pensaient que cela ne pouvait faire de mal à leur cause. Ils se quittèrent enfin, après avoir eu le dernier rapport de Rémus concernant l’allégeance probable des Loups Garous à Voldemort. Sur le chemin du retour, après avoir transplané aux abords de Poudlard, Snape retint la Moldue par le bras, les forçant à ralentir, et à laisser le Directeur et sa comparse disparaître en direction du château.

« Qu’est-ce qu’Albus a voulu dire par « Ils sont doués pour la vérité » au juste ?

— Rien. Il devait penser aux croyances de Luna, probablement…

— Smith… Ne me prenez pas pour un imbécile, il vous regardait.

— Et alors ? Vous me regardez bien de temps en temps, non ?

— Smith !

— Snape !

— Oh, Merlin, qu’est-ce que vous me cachez ? Se lamenta le Maître des Potions.

— Mais c’est pas vrai, mêlez-vous de vos affaires ! C’est entre le Directeur et moi, ça vous va ?

— Non, pas du tout ! Et je me mêle de mes affaires, justement ! Protesta Snape en fronçant soudainement les sourcils devant sa propre formulation qui lui rappelait vaguement quelque chose.

— Depuis quand je suis une de « vos affaires » ? »

Ah, oui, il y était. Il se souvenait bien d’avoir déjà été sur ce terrain glissant avec le vieil homme. L’espion grogna, mais ne desserra pourtant pas sa prise autour du bras de la jeune femme.

« Vous allez me dire ce qui se passe !

— Et vous, me lâcher. Je ne suis pas un objet qui vous appartient, Snape !

— Je n’ai jamais dit… La Barbe, Smith, aies-je des raisons de m’inquiéter ?

— Ca dépend, vous vous inquiétez pour quoi au juste ?

— Pour vous, petite sotte, et pour moi au passage ! »

Jane arrêta de marcher, le bras toujours tenu fermement par l’homme en noir. Elle le regardait à présent avec une curiosité totale.

« Mais de quoi avez-vous peur… ?

— Qu’est-ce que vous avez dit au Directeur ? Qu’est-ce que Miss Lovegood sait au juste, et pourquoi vous cherchez autant à me cacher tout ceci ?

— Est-ce qu’on parle au moins de la même chose, Severus… ?

— Tout dépend. Vous pensez à quoi ?

— Oh ! Ne faites pas votre Serpentard moyen avec moi. Je ne dirai rien si vous ne vous décidez pas vous-même.

— Soit. »

Snape lâcha alors le bras de Jane et parti d’un pas raide. Dans son dos, la jeune femme commença réellement à se poser des questions. Non, elle ne souhaitait pas nécessairement que son mentor soit au courant de l’affaire. Elle se doutait bien qu’il n’en penserait certainement pas du bien. Mais il semblerait que l’homme ait tout autre chose en tête. Elle pressa le pas, et l’agrippa pour le forcer à la regarder :

« De quoi avez-vous peur ?

— Et vous, qu’est-ce que vous me cachez… ?

— Humpf ! Vous savez que vous n’apprendrez rien de la bouche du Directeur, si vous voulez savoir, passez à table. Tenta la Moldue.

— Mais peut-être que je le sais déjà, figurez-vous ! Peut-être que notre bon Directeur m’a déjà fait part de son avis à ce propos !

— Oh, vraiment ? Et à quelle occasion au juste… ? Persifla Jane en comprenant qu’ils ne parlaient décidément pas de la même chose.

— Juste après mon retour, je vous signale ! Oui, parce qu’à cause de vous, il imagine que… Oh. Bien essayé, gamine, mais ça ne prend pas !

— Ah, ah ! Severus, vous croyez que Luna pense que nous… » Et Jane se mit à rire pour la première fois depuis quelques jours.

Snape se renfrogna, il n’aimait pas que Jane trouve cette histoire risible, lui qui était surtout gêné par cette affaire. De plus, la jeune femme semblait trop surprise pour que sa cachoterie concerne ce sujet. Il se planta devant elle, et leva un index menaçant en direction de son nez.

« A vous. Je veux savoir.

— Ah. Avouez que vous avez eu peur que le bruit d’une liaison entre nous circule auprès des élèves…

— Je ne… Smith !

— Luna sait que je suis Moldue. Voilà. Et Dumbledore sait tout cela, je l’ai prévenu immédiatement.

— Mais comment… Non. Qu’est-ce que vous avez fait ?!

— Rien, justement. C’est Luna et ses lunettes étranges. La petite aurait compris qu’elles ne fonctionnent qu’avec des gens au potentiel magique. Inutile de vous faire un dessin.

— L’a-t-elle directement formulé ?

— Severus… Est-ce que Ron Weasley sait qu’on ne mange pas comme un hamster… ?

— Merlin. J’espère qu’elle tiendra sa langue.

— J’ai confiance en elle, le Directeur également. Cessez de vous inquiéter pour rien, un peu.

— Vous SAVIEZ que je n’allais pas aimer ça. Vous SAVIEZ que c’était grave.

— Apparemment moins grave pour vous que des histoires à l’eau de rose. » Pouffa Jane en pressant le pas pour échapper au Maître des Potions.

Mais elle n’avait pas besoin de trottiner, Severus s’était stoppé net à sa dernière remarque. Des années d’Occlumancie lui permirent d’empêcher son esprit de formuler la moindre idée désagréable. Sa petite voix nasillarde semblait être parfaitement muselée, et l’homme en noir pu reprendre sa marche l’esprit tranquille.

***

Le lendemain, salle des potions, 21h,

Harry attendait fébrilement que l’austère Professeur se décide à lever les yeux vers lui. Comme la dernière fois, il était arrivé pile à l’heure, et patientait debout, que l’homme cesse de corriger ses copies. Le garçon repassait en tête les différentes raisons qu’il avait de parler de ce qui s’était passé la veille. En effet, en même temps que se déroulait la réunion secrète de l’Ordre, l’Armée d’Ombrage s’était réunie pour une nouvelle session, au cours de laquelle, Harry en avait profité pour parler à Ron et à Hermione des recommandations de Sirius. Hermione, fidèle à elle-même, avait longuement insisté sur la solution directe : profiter de la leçon d’Occlumancie pour parler à Snape. Ron, lui, était plus mitigé. Si le rouquin comprenait parfaitement l’importance d’évoquer cela avec un Maître Occlumens, son meilleur ami avait cependant beaucoup de mal à faire confiance à l’homme en noir.

Mais Harry était bien décidé à faire ce qu’il fallait, et à tenter d’étouffer ses propres suspicions envers Snape.

« Bien. Monsieur Potter, avez-vous pris le temps de commencer à lire les ouvrages donnés par Miss Granger ?

— Heu… Non, Professeur. En revanche, je…

— Et croyez-vous pouvoir vous en dispenser ? Est-ce que la tâche vous semble trop facile ?

— Pas du tout, je…

— Alors pourquoi ne pas faire ce que l’on vous dit ?

— Ce n’est pas ça, c’est que…

— Je vois. Ce n’est pas de votre faute, quelqu’un vous a empêché de lire. Eh bien voyons le résultat. Légimens ! »

L’attaque prit Harry par surprise et l’énerva au plus haut point. Il n’eut pas le temps de penser que c’était injuste qu’il replongea directement dans le souvenir du matin, lorsqu’il découvrait la Gazette du Sorcier. Harry ne chercha pas à repousser Snape, au contraire, il avait quelque chose d’important à lui dire, il tenta de se faire entendre mentalement, mais l’homme l’ignora, continuant de fouiller dans le souvenir. Loin d’abandonner, le garçon força sa mémoire à faire remonter les sentiments qu’il ressentait alors, et la conclusion qui s’en était suivie. Cela eut pour effet de faire lâcher prise Severus.

« Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ? Gronda Snape alors qu’Harry retomba mollement sur le fauteuil qu’il avait invoqué pour lui.

— J’ai bien essayé, mais on m’a coupé la parole, justement !

— Potter, ne me cherchez pas. Donc, vous pensez qu’il a volontairement fermé son esprit, mais n’a pu vous cacher ses émotions.

— J’en sais trop rien. Je voulais justement votre opinion dessus.

— C’est… C’en est presque une réaction intelligente, Potter. Reprenons ce souvenir, voulez-vous ? Continuez d’accentuer les émotions, votre prise est correcte, cela pourrait vous être utile par la suite. »

Harry cligna des yeux, comprenant que l’homme venait de lui faire à demi-mots un compliment. Il ne s’était pas rendu compte qu’il avait réussi à communiquer une idée lors de cet échange muet. Peut-être était-il en effet capable de contrôler son esprit ? « Ne rêvez pas, Potter, vous n’êtes même pas capable de vous rendre compte de ma présence ! » Ricana dans sa tête Snape. Et Harry s’insulta mentalement. En effet, le Potionniste avait lancé le sort silencieusement, et lui n’y avait vu que du feu. Ils retournèrent ensemble dans son souvenir, et Snape se concentra sur le réveil du garçon, pour comprendre les émotions qu’il avait ressenties. Puis, ils allèrent en direction de celui où Harry parlait à Sirius. Le Gryffondor n’avait pas été très volontaire à l’idée de lui dévoiler le secret qu’il partageait avec son parrain, mais devant la force mentale de Snape, il n’avait pu que capituler. Lorsque Sirius redit dans le souvenir que Snape était le « Maître en la matière », ce dernier se retira, un sourire victorieux sur les lèvres.

« Ca a dû arracher des puces à Black, de dire une telle chose…

— Ne lui manquez pas de respect non plus ! Cracha Harry piqué au vif. Il n’a rien dit d’insultant, que je sache.

— Bien sûr… Et pourquoi ne m’avez-vous pas parlé immédiatement, dans ce cas ? Nous avions deux heures de cours ensemble hier après-midi, ne pensez-vous pas que c’était un bon moment ?

— A dire vrai… Je n’étais pas… Enfin, je n’étais pas très convaincu. Marmonna piteusement le jeune homme.

— Ah vraiment ? Et d’où vient votre éclair de lucidité, alors ? POTTER ! Je vous parle ! » Gronda l’homme voyant que Harry baissait les yeux.

Cela eut pour effet immédiat de faire croiser leur regard, et Severus ne se gêna pas le moins du monde pour chercher la réponse à sa question. Et quelle réponse !

Tandis que Cho Chang faisait un discret signe de main à Harry, en quittant la salle sur demande, l’Attrapeur siffla en direction de Ron et d’Hermione pour qu’ils restent un peu, prétextant qu’ils devaient ranger. Les autres membres s’éclipsèrent, laissant le trio seul. Harry se rapprocha d’un immense miroir sur lequel figuraient de nombreuses photos de disparus pendant la guerre et diverses coupures de presse. Il regarda ses amis au travers de son reflet :

« Je n’ai pas vu l’attaque. Mais j’ai ressenti ses émotions après. Enfin… Du moins, ce matin, quoi.

— C’est-à-dire ? Demanda Ron en fronçant les sourcils.

— Il était heureux. Pas heureux comme nous, mais il était d’excellente humeur. C’matin, je l’étais également. Je me sentais surpuissant. Et tu sais comme moi à quel point j’ai la grosse tête. Sourit pauvrement le Gryffondor.

— Ouais, super glauque ton truc. T’en as parlé à Dumbledore ?

— Non. Mais j’en ai parlé à Sirius.

— Comment ? Harry, tu ne lui as pas envoyé une lettre, ou papoté avec lui via cheminée, quand même ? S’inquiéta Hermione.

— Arrête un peu. J’suis pas un gosse. Non, via le miroir qu’il m’a offert à Noël. J’ai oublié de vous en parler. Mais c’est un truc magique qu’il utilisait avec mon père. Mais c’est pas la question. Il m’a dit d’en parler à Snape. Que lui saurait quoi en faire.

— Mouais… J’sais pas… Commença Ron.

— Il a raison, c’est vers lui que tu dois te tourner sur ces histoires d’esprit. Aucun doute. Ça ne voudra peut-être rien dire, mais si ce n’est pas le cas, il saura t’aiguiller.

— Peut-être… Mais c’est quand même lui qui a dit à Voldemort que nous partagions ce lien.

— Sur ordre de Dumbledore, et tu le sais ! Protesta Hermione.

— Oui, mais qui me dit que c’est vrai ? Contra le garçon.

— J’te comprends mon pote, moi non plus j’peux pas blairer cet enculé. Il n’empêche que cela pourrait très bien être possible. Donner quelques infos à Tu-sais-qui peut permettre de garder l’espion en place. Si tant est qu’il en est un, évidemment. Termina le rouquin.

— Ouais, vous avez peut-être raison… J’en sais rien. On verra demain quand je serai en cours d’Occlumancie avec lui.

— En parlant de cours, tu n’as pas fixé la prochaine date de l’AO, d’ailleurs. Nota Hermione soucieuse.

— Non, j’étais focalisé sur cette histoire. Tu veux bien faire passer mardi prochain, même heure, sur les Gallions ?

— Franchement, Harry, il serait temps que tu apprennes à t’en servir ! Se plaignit son amie.

— Professeur ? Professeur ? »

Snape regardait le reflet d’Harry qui l’appelait avec une voix désincarnée. Au-dessus de lui, une feuille marquée « Armée d’Ombrage » était accrochée, avec ce qui semblait être la liste des adhérents.

« Professeur ? »

Snape sortit de l’esprit du jeune homme qui l’appelait, l’air soucieux. Manifestement, le Gryffondor n’avait pas décelé la présence de l’espion dans sa tête. Il avait décidément du travail à faire !

« Je ne suis pas sourd, Potter, je réfléchissais. Répliqua l’homme avec mauvaise foi.

— Je disais que c’était Hermione qui m’avait convaincu.

— Je me doute. Elle a toujours été le cerveau que vous vous partagiez tous. Il est tard, Potter, filez au lit pour lire ce que Miss Granger vous a donné.

— Professeur, il n’est que vingt-deux heures dix…

— Et videz votre esprit avant de vous coucher ! Potter, considérez cela comme faisant partie de votre apprentissage et votre tête finira peut-être par ne plus ressembler à une passoire… »

Harry ne se fit pas prier, trop heureux de finir plus tôt qu’il ne l’avait espéré, et fila en direction de la tour de Gryffondor. Severus attendit avec une certaine impatience que les pas du garçon ne résonnent plus dans le couloir pour sortir de son bureau, non sans l’avoir verrouillé, et se tourna en direction des appartements de Jane.

Après avoir regardé aux alentours, et vérifié qu’aucun Préfet ne pourrait le surprendre, il frappa à la porte, et attendit que la demoiselle lui ouvre. Il la retrouva dans son éternel pyjama ridicule, les cheveux attachés dans une longue tresse épaisse, démaquillée, ses chaussons improbables aux pieds.

« Qu’est-ce qui se passe ? Lui demanda-t-elle en relevant un sourcil interrogateur.

— Il faut qu’on parle !

— Si c’est à propos de Luna, on s’est tout dit.

— Ne faites pas l’enfant, ce n’est pas ça, j’ai appris quelque chose, laissez-moi entrer.

— Et vous n’avez pas peur qu’on nous voit et que l’on dise tout plein de choses… ? » Ricana la Moldue en s’écartant pour le laisser passer.

Le Maître des Potions se contenta de lever les yeux au ciel et s’installa directement sur l’unique fauteuil qui faisait face au feu. Merlin, le voyant arriver, miaula, et ronronna de contentement, queue dressée bien haute pour l’accueillir. Il bondit sur les genoux de l’espion, qui termina de se caler confortablement en grattant l’oreille du chat.

« C’est MON fauteuil, Severus. J’veux bien que vous ayez vos habitudes dans le bureau d’Albus, mais ici, c’est chez moi. Levez-vous, s’il vous plaît.

— Je ne peux pas, j’ai le chat sur les genoux. Sourit Snape. Mais, puisque vous êtes debout, auriez-vous un rafraîchissement ?

— Je rêve, vous ne manquez pas…

— Du Whisky Pure-Feu serait parfait.

— J’en ai pas ! J’ai que du vin cuit, à défaut de Martini, vous vous en contenterez.

— Ça ira, je suppose… Soupira faussement l’espion.

— Bien, qu’aviez-vous à me dire ? Demanda Jane en revenant avec les boissons.

— Installez-vous, rien ne presse…

— Snape, il est tard, je suis fatiguée, et…

— Vous n’avez pas cours demain, moi si. Alors, si je dis que rien ne presse…

— Très bien ! Passez autant de temps que vous voulez dans mes appartements, mais ne venez pas vous plaindre si Albus pense encore que… »

L’espion se raidit, et lui jeta un regard noir. Merlin ronronna de plus belle, et Jane leva son verre en direction de l’homme pour lui porter un toast, en lui faisant un clin d’œil.

« C’est vous qui lui avez parlé de Noël, n’est-ce pas ?

— Absolument pas ! Se défendit Jane. Il avait présumé tout seul… En revanche, à force de tenter de protester, je crois lui avoir dit que vous étiez invité l’année prochaine.

— Fantastique… Ne comptez pas sur moi en tous les cas.

— J’vous rassure, je ne pensais pas renouveler l’expérience. L’année prochaine, s’il y en a une, je reste à Poudlard. J’inventerai bien une excuse. C’était assez gênant comme ça.

— Ne m’insultez pas, Smith ! Gronda le Serpentard vexé.

— Ne prenez pas tout mal, Severus. Je dis seulement que le numéro de mes parents n’était pas à mon goût. Ils ont passé ces vingt dernières années à me mener la vie dure à chaque petit ami, et maintenant que j’amène un homme avec lequel je ne couche absolument pas, ils tombent raides dingues !

— Vos parents ont du goût, voilà tout. Si vos… Petits amis, comme vous dites, étaient aussi bavards et insupportables que vous, je les comprends aisément.

— Ils n’étaient pas des flèches, je vous l’accorde. Mais ils n’étaient pas méchants pour autant. Ni étranges… Quoi que, le militant Greenpeace était bien gratiné dans son genre.

— Un quoi… ? Et je ne suis ni méchant, ni étrange.

— Vous l’êtes. Enfin, vous voulez l’être. Mais si cela peut clore ce chapitre sur ma vie privée : ils n’étaient pas non plus des sorciers !

— Rien n’indique qu’ils auraient sentis…

— Bon, vous vouliez parler de quoi, alors ? »

Severus haussa les épaules et but une gorgée du vin de noix que Jane lui avait servi. Il n’était pas excessivement porté sur les vins cuits, mais il devait reconnaître que celui-ci était agréable en cette période froide. Merlin lui présenta son ventre pour se faire gratter, ce qu’il fit.

« Je pense avoir découverts quelque chose.

— L’amabilité, peut-être… ? Le taquina Jane.

— Certes pas, elle doit être rangée au même endroit que feu votre intellect. Rétorqua l’homme en noir pour sauver l’honneur. Non. Potter m’a livré – involontairement – un secret de taille.

— Pitié, quel suspens… Snape, je n’ai pas l’humeur à jouer.

— Soit. Que savez-vous de l’Armée d’Ombrage ? »