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Chapitre 44 : Ascendance
Samedi 23 décembre, 21h17,
Draco redressa sa cape sur son épaule, s’observant d’un œil critique dans le miroir. Son image qui se pliait toujours à sa volonté faisait dire aux autres Serpentards que les Malefoys dominaient même le mobilier. Quand il ne l’utilisait pas, il rejetait un voile dessus, ce qui empêchait quiconque de se refléter dedans et donc, de découvrir qu’en réalité, le secret de Draco Malefoy ne tenait pas dans sa volonté, mais dans le fait qu’il n’utilisait que des miroirs Moldus. Ce détail était partagé par toute sa famille depuis des siècles : jamais un Malefoy ne laisserait son image capturée par un miroir. Car, contrairement aux photographies, les miroirs, eux, pouvaient parler. Et il en était de même pour les portraits qui ornaient le manoir Malefoy : tous étaient immobiles, réalisés pour certains par de grands noms du monde Moldu. Les visiteurs, impressionnés par le prestige de la maison, supposaient à tort que les portraits savaient se tenir dans leur cadre, trouvant d’eux-mêmes une explication qui leur semblait à la hauteur de la réputation de leurs hôtes. Ainsi, pour ce qui concernait les miroirs, ni fuite ni commentaires désobligeants n’émaillaient les moments narcissiques d’un Malefoy, et Draco pouvait à loisir s’observer et juger de son sens esthétique. Pour ce 23 décembre, il avait revêtu une tenue noire à la coupe hybride. Entre la redingote et le costume moderne, il jetait dessus une cape noire doublée d’un vert anis. L’intérieur était brodé de fils d’argent semblables à des filaments de toile d’araignée. Joint à cette toilette, un haut-de-forme aux bords brossés. La fibule qui tenait la cape était gravée à l’arrière d’un dragon lové sur lui-même et Draco en caressa les contours en s’observant, pensif.
Une nouvelle fois, Slughorn l’avait invité avec force de compliments et courbettes. La position de son père au Ministère lui assurait un certain prestige, mais le blond espérait que cela ne soit pas uniquement à cause de son ascendance que l’ancien Directeur de Serpentard le mêlait à sa collection. D’une certaine manière, il n’enviait plus autant Harry Potter : constamment sous les feux de la rampe à cause d’un truc fait à l’âge ridicule où on te lave les fesses, et non pour ses réelles prouesses. L’image dans le miroir fronça les sourcils. Draco avait très largement observé l’étagère de « noms collectionnés » par Slughorn. Il en avait reconnu certains dont, à sa stupéfaction, une dénommée Lily Evans, accolée à un Severus Snape jeune nettement moins maussade. Son actuel Directeur de Maison avait très largement mérité sa place, Draco n’en doutait absolument pas, mais… Evans ? L’avait-elle été parce que morte ? Quoiqu’à la réflexion, il ne se souvenait pas d’avoir vu le père de Potter. Draco renifla, enfilant des gants blancs impeccables, son esprit toujours tourné vers cette découverte. Il était étrange que la mère – d’origine Moldue – y soit et pas l’héritier de l’époque de la maison Potter… Quand le jeune homme comprit qu’une née-Moldue avait dû se distinguer et gagner elle-même ce droit, il sentit son humeur s’assombrir. Lui… Lui, il n’était que l’héritier de Lucius Malefoy. Mais ça allait changer ! Il travaillait à cela. Tôt ou tard il révèlerait son talent et…
« Draco ? »
Derrière la porte, la voix étouffée de Blaise lui parvint.
« Il va être temps d’y aller. Parkinson et Greengrass commencent à s’habiller pour nous accompagner.
— J’arrive ! »
Il étouffa un juron. Il était hors de question qu’ils se rendent au dîner d’hiver avec qui que ce soit. Le problème ne venait pas seulement de la qualité de leurs hypothétiques cavalières – Greengrass était pour sa part plutôt au goût du jeune homme – le point tenait au fait que ni Draco ni Blaise n’avaient intérêt à être vus avec une femme à leur bras. Peu importaient les croyances de Parkinson à ce sujet, leur union était loin d’être assurée et s’afficher célibataire était le meilleur moyen qu’avait trouvé Draco Malefoy pour s’offrir encore l’opportunité d’éviter une telle mésalliance. Après un dernier regard à son reflet, il mit son haut-de-forme d’un geste impérieux.
« Dis-leur que c’est inutile d’espérer. J’arrive.
— Tu t’en chargeras, je ne suis pas ton larbin. »
Non, il ne l’était pas. C’était probablement la raison pour laquelle il appréciait autant Blaise Zabini. Riche, beau, intelligent, calculateur… le Serpentard était l’un des rares à être son égal. Blaise, par ailleurs, partageait sa réserve quant à l’exaltation générale à propos du retour de Voldemort. Bien qu’il fût impossible de déterminer ses pensées exactes, Draco était persuadé que Zabini rechignait lui aussi à plier le genou dans une guerre commencée par leurs parents. Il passa la porte, la mine de toute évidence préoccupée, car son comparse le remarqua immédiatement :
« Il se passe quelque chose ? »
Depuis Godric’s Hollow, élèves et adultes avaient pris l’habitude de poser cette question dès que quelqu’un se comportait différemment. Une nouvelle attaque ? Une nouvelle mesure ? Ils vivaient de brèves de Presse, de décrets, de lois, d’incidents et de… Draco ne répondit pas immédiatement, son cheminement mental l’éloignant de Poudlard.
« Malefoy ? » Répéta Blaise inquiet.
Draco sursauta et lui jeta un regard qui se voulait glacial.
« Je t’ai entendu. Rien qui te concerne. »
Son vis-à-vis se renfrogna et releva sèchement les manches de sa chemise. Ce geste sacrilège agaça instinctivement Draco :
« Elle ne se porte pas comme ça ! Ce tissu ne supporte pas d’être froissé.
— Puisque j’ai toute ton attention, permets-moi de te rappeler que je sais beaucoup de choses qui ne me concernent pas. Ne t’avise pas d’être plus secret que tu ne peux l’être avec moi, Malefoy. »
L’intelligence de Blaise lui avait coûté son plus gros secret quelques mois auparavant, ce qui le mettait dans une situation délicate. Le blond capitula et jeta un regard en biais sous le bord de son couvre-chef.
« Je pensais à la guerre. Tu désires réellement que j’évoque cela en public ? »
Zabini grimaça et remit ses manches en place, remettant par la même son col mao droit. Ils n’étaient que dans les couloirs, mais cela suffisait aux Serpentards pour se considérer exposés. Son collègue allait répliquer quelque chose, quand ils entendirent un rire franc. Dans les cachots, il n’y avait que des gens de leur maison à cette heure. L’entrée de leur salle commune s’y trouvait, ainsi que la salle de classe des potions, le bureau de Slughorn, les appartements de leur Directeur de Maison et…
« Mais non ! C’est beaucoup plus drôle si on va le voler nous-mêmes… J’en ai pour cinq minutes. Oh ! Oh… Bonsoir, Messieurs. »
Les deux élèves ne parvinrent pas à dissimuler leur surprise. Devant eux se tenait une Jane Smith souriante qui, contrairement à ce à quoi ils se seraient attendus, n’était pas apprêtée pour une soirée du Club Slugh. Au contraire : elle était vêtue d’une simple robe légère bleue, avec une sorte de manteau de chambre en voilage noir, une paire de ballerines et – comble du choc pour Draco Malefoy – les cheveux détachés, ses boucles libres de mouvements interdits par la convention des coiffeurs. Loin d’être une tenue de nuit, Smith était pourtant habillée pour une soirée détendue… accompagnée, visiblement. A qui parlait-elle ? Son sourire mourut en croisant ses étudiants et il fut évident qu’elle avait oublié l’espace d’un instant qu’elle était leur Professeur. Se reprenant néanmoins, Jane les observa tour à tour avant de leur demander :
« Que faites-vous dans les couloirs ? N’êtes-vous pas en retard pour la soirée ?
— Pas plus que vous, Professeur. » Rebondit rapidement Zabini d’un air entendu.
Smith se renfrogna légèrement, manifestement consciente qu’elle n’avait aucun mensonge plausible à leur servir. Elle les surprit en usant d’une méthode qu’ils connaissaient très bien et dont la paternité ne faisait aucun doute.
« Je ne crois pas vous avoir demandé votre avis sur mes horaires, Monsieur Zabini. Monsieur Malefoy, tout Préfet que vous soyez, vous n’êtes de toute évidence pas en service et n’avez rien à faire dans les couloirs. Rejoignez la réception ou rentrez dans vos appartements, avant qu’un Professeur n’applique le règlement. »
Blaise serra légèrement les dents, n’appréciant jamais qu’on lui manque du respect. Draco, quant à lui pinça les lèvres pour dissimuler son amusement et inclina légèrement la tête.
« Merci, Professeur pour le conseil, nous n’allons pas abuser de votre clémence. »
Il traîna son comparse rapidement hors de la vue de Smith. Quand ils changèrent d’étage, Zabini le jaugea d’un œil critique.
« « Merci, Professeur ? », vraiment ?
— Je ne crois pas qu’il soit malin de se la mettre plus à dos que cela. Pour le moment.
— Quel intérêt ? Elle n’a pas à nous parler ainsi, elle n’est…
— Smith est moins insignifiante que tu ne le crois. Elle a l’oreille de beaucoup de gens. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’elle n’est pas qu’une simple enseignante. »
Blaise observa les alentours, ils n’avaient toujours pas croisé d’élèves, parce qu’ils étaient bel et bien en retard d’ailleurs… mais on n’était jamais trop prudent. Il haussa les épaules.
« Et quoi ? Elle fait partie de leur Ordre, et après ?
— Shht ! Baisse d’un ton, ce n’est qu’une supposition. Après, ce qui change, Blaise, c’est que cet Ordre fait partie de nos forces désormais. »
Le brun s’arrêta soudain, fixant de ses yeux noirs amandes son vis-à-vis. Draco releva un sourcil interrogateur, tentant de masquer son excitation face à la situation. Ce qu’il venait de dire était loin d’être anodin. De la réaction de Zabini allait découler beaucoup d’autres choses.
« De quelles forces tu parles, Malefoy ?
— Des nôtres. De celles qui nous appartiennent. Celles que l’on gouverne. Ou gouvernera, si tu souhaites que je sois ostensiblement précis. »
Ils se remirent à marcher en silence. Il était inutile d’en parler davantage, ils s’étaient compris. De cette compréhension qu’ont les gens d’une même caste à propos d’un sujet qu’ils maîtrisent parfaitement. En l’occurrence le système aristocratique Sorcier les plaçait au sommet de la pyramide, permettant donc à Draco Malefoy de parler du Ministère et de toute organisation affiliée comme des « forces qui lui appartenaient ». Le choix du blond était plein de bon sens. Tant, que Blaise Zabini ne pouvait qu’acquiescer, confirmant les premières suppositions de Draco à son sujet.
Ils arrivèrent à l’étage qui accueillait la soirée, de grosses lanternes blanches et or volant un peu partout, des guirlandes épaisses de houx encadraient la porte principale. Les battants s’ouvrirent à leur passage, dévoilant la chaleur et les odeurs de la salle dont la décoration n’avait rien à envier à la soirée d’Halloween. Lumineuse, la pièce était deux fois plus grande que la précédente. La musique était joyeuse, des odeurs sucrées d’alcools raffinés et de pâtisseries de Noël aguichaient des sens déjà bien émoustillés par la prestance des convives. S’il y avait une belle frange d’élèves, encore une fois, le nombre d’invités de marque était particulièrement impressionnant. Anciens élèves devenus des noms du Ministère, du monde sportif, quelques chercheurs renommés en exploration mondiale, une chanteuse… Une fois encore Slughorn s’était surpassé, et tous avaient répondu à son appel, car chacun savait ce qu’ils lui devaient. Quant à celles et ceux qui étaient aujourd’hui invités, alors qu’ils ne l’étaient pas de leur scolarité, ils se pressaient de se pavaner par esprit de revanche. Cela n’excluait pas Sirius Black que l’on pouvait voir en train de faire rire une jeune femme blonde à l’air hautain et aux formes généreuses mises en valeur par une robe à bustier noire et blanche somptueuse.
Draco sourit d’un air entendu, et se dirigea droit vers eux, Blaise préférant suivre le protocole et saluer leur hôte. Sirius affecta de ne pas avoir vu l’héritier Malefoy se faufiler vers eux, et continua de conter une histoire de sa jeunesse. Lorsque le blond arriva à sa hauteur, il hocha la tête lentement.
« Lord Black, mes hommages à vous et à votre compagne.
— Monsieur Malefoy, salua Black poliment avant de se tourner vers la jeune femme en articulant. Ma chère, je vous présente Draco Malefoy, le fils de Lord Malefoy notre actuel Ministre de la Justice.
— Bonsoir, Misteur Malfoï.
— Miss Lemoine est une cantatrice célèbre du Paris…
— Oh, mais je connais très bien le parcours de Mademoiselle Lemoine, coupa Draco en continuant dans un Français parfait. Tout le plaisir est pour moi, Mademoiselle. Vous portez admirablement bien une pièce de Cavalero, si mes yeux ne m’abusent.
— Remarquable, Monsieur Malefoy ! s’esclaffa la Française avec élégance. Vous avez l’œil, c’est une création originale dont il m’a gratifiée pour la première d’Il cuore dello stregone. Il est rare de trouver des amateurs de haute-couture chez les Sorciers d’Angleterre, c’est plutôt…
— Oui, coupa Draco avec un sourire froid. C’est une lacune que ne partagent pas les Moldus de Grande-Bretagne, il est vrai.
— Vous voudriez peut-être quelque chose à boire pour arroser votre passionnante conversation ? »
Sirius faisait clairement la moue et il était difficile de manquer le plaisir que cela procurait au Serpentard qui souriait d’un air mesquin. Il allait pousser l’insolence jusqu’à accepter quand il fut coupé par la voix de son rival.
« J’ignorais que Monsieur Malefoy parlait aussi bien Français.
— Lord Potter, s’inclina Draco avec une politesse que démentit son propos suivant. Le nombre croissant de quotidiens de Presse ne suffirait pas pour lister les choses qui échappent à votre esprit. »
Le sourire de Anne Lemoine se fana légèrement, tandis qu’elle comprenait que les échanges n’étaient pas aussi cordiaux que le laissaient supposer les politesses de façade. En temps normal, quelqu’un qui n’avait pas déjà rencontré Harry Potter aurait plutôt eu à cœur de le féliciter pour son existence, tout en lui disant combien il ou elle était honorée d’être en sa présence. Mais Anne se contrefichait de l’adolescent qu’elle avait en face d’elle, très peu impressionnée par sa notoriété, bien que cette dernière ait traversé la Manche. Ainsi, elle ne se priva pas de réagir comme les Français savaient si bien le faire :
« Apparemment, le savoir-vivre en fait partie. Mon ami, continua-t-elle d’un air hautain en se tournant vers Sirius. Vous devriez reprendre l’éducation de votre filleul en main. Peut-être puis-je vous recommander un précepteur que je connais très bien et qui saura lui enseigner l’étiquette ? »
Harry écarquilla légèrement les yeux, soufflé par son audace, mais une pression légère sur son bras suffit à le réduire au silence. Luna qui l’accompagnait une nouvelle fois se contentait de sourire légèrement en observant Sirius. Draco, quant à lui, tentait de dissimuler son plaisir face à une situation aussi ridicule. Les soirées de Slughorn recelaient décidément de véritables perles d’instants gênants. Black papillonna des cils, comme il le faisait souvent avant de présenter quelques mots agréables à une femme. Il sourit avec charme et Anne ne put s’empêcher de l’imiter, tout à fait séduite. C’est avec sa plus belle voix qu’il remit la jeune femme à sa place :
« Ma chère amie, commença-t-il en prenant sa main et en la portant à ses lèvres. Cette nuit délicieusement blanche… » Il déposa un baiser. « A dû vous épuiser au point… » Un autre. « Que vous oubliiez que vous êtes très loin de devenir Lady Black… » Un autre. « Ou que je puisse requérir votre opinion quant au tutorat d’un Lord. »
Tandis que le teint de la blonde s’empourpra de colère et de honte devant la grivoiserie publique de Sirius, ce dernier termina :
« Contentez-vous d’exceller dans votre domaine. »
Anne retira sa main si vite que l’Animagus ne put esquiver le soufflet. La gifle fut assez forte pour qu’on l’entendît malgré les discussions autour d’eux. Le sourire de Sirius ne diminua pas pour autant, ce qui acheva de scandaliser sa compagne qui tourna des talons et s’en alla comme si elle quittait la scène d’un théâtre sous une salve d’applaudissements. Le silence auprès du petit groupe était total. Harry peinait à ne pas ricaner de satisfaction.
« Pauvre Lord Potter, voir une maman de substitution renoncer à s’occuper de toi, doit être un coup au moral terrible… »
Draco fixait la tenture par laquelle Anne s’était enfuie avec un regard méprisant. De toute évidence, il n’était pas de ceux qui aimaient qu’une étrangère s’immisce dans des affaires de nobles, et le ton sarcastique qu’il avait employé fit réagir Harry très différemment de ce qu’il aurait fait des mois auparavant.
« Une blessure insupportable. Je me voyais déjà chanter la Marseillaise en ré mineur, avec un croissant coincé dans la bouche pour m’apprendre à articuler. »
Les ennemis échangèrent un bref regard de connivence, mais Draco brisa cet instant en redevenant très soudain très sérieux.
« Lord Black, ne deviez-vous pas nous rapporter des rafraîchissements ? »
***
Où était-elle passée ? Merlin n’avait pas particulièrement bien compris ce que sa Maîtresse allait faire dehors, mais il avait senti que c’était le moment pour honorer la demande du fantôme. Peut-être qu’ainsi, le spectre allait le laisser en paix et il pourrait retourner dormir à loisir dans le jardin sans qu’elle ne le dérange ? Quand Jane s’était éclipsée, il en avait profité pour se faufiler et se planquer derrière une armure. La suivant de quelques pattes, il l’avait vue vi parler à des élèves et après ? Le plus grand avait regardé dans sa direction et Merlin s’était tassé sur lui-même pour ne pas être vu. Malheureusement, une araignée en avait profité pour lui passer devant la truffe et son instinct avait repris le dessus.
Passant sa langue plusieurs fois sur sa truffe, cherchant à déloger la patte velue de l’arachnide de son palais – cette saleté restait collée et grattait affreusement, Merlin retourna dans le doute au niveau des appartements de Jane. Peut-être s’étaient-ils croisés ? Le chat arriva près de la porte et écouta longuement. Par-delà la porte, il n’entendait qu’un vague crépitement de feu et qu’un soupir agacé de temps à autre. L’homme en noir était toujours seul. Donc, sa Maîtresse n’était pas de retour. Il rebroussa chemin et se mit en tête d’aller du côté de la Grande Salle, la nuit tombée, Jane allait parfois dans cet immense endroit pour mettre des gens dans les murs et les obliger à raconter des histoires.
***
« Est-ce que la Grande Maîtresse ne veut pas que je lui donne aussi un peu de fromage ? Dobby sait qu’elle aime particulièrement ceux de brebis, et…
— Dobby, coupa Jane d’un air las. Je t’en prie, arrête de m’appeler comme ça, c’est vraiment gênant. Je ne suis la Grande Maîtresse de personne. Même si ça ne me ferait pas de mal de temps en temps, ajouta-t-elle mentalement.
— Si ! Miss Smith est la Grande Maîtresse de Poudlard ! Dobby le sait, Dobby l’a entendu de la bouche même de Monsieur le Directeur.
— Non, je ne… Attends, quoi ?
— Heu… Oui…, continua l’elfe en rougissant alors qu’il empaquetait quelques tomes de fromage. Dobby n’a pas vraiment voulu écouter aux portes, mais… Quand Monsieur le Professeur Snape et Monsieur le Directeur sont allés vous chercher, j’ai entendu Monsieur le Directeur expliquer que…
— Ah, je vois. Mais laisse tomber quand même, regarde, ni Winky ni Rudi ne me donnent ce titre. À dire vrai, ils ne me donnent rien du tout, rectifia Jane en s’en rendant compte pour la première fois. »
Cela sembla énerver l’elfe parce que ses oreilles rougirent légèrement et que son sourire disparut. D’un geste un peu sec, il continua de garnir le panier qui débordait de victuailles en maugréant.
« Ca c’est parce qu’ils sont butés. Dobby sait ce qu’il dit. Dobby l’a entendu de… »
Poussée par les nouveaux aliments entrés de force, une pomme s’échappa et roula au sol. La jeune femme se baissa pour l’attraper rapidement et la frotta machinalement contre sa robe pour la dépoussiérer.
« Oh ! Donnez ça, Grande Maîtresse, vous n’allez pas la manger alors que… Dobby est maladroit quand il est énervé, Dobby est désolé.
— Laisse, c’est vraiment pas grave, et tu ne m’as pas vu tenter de faire à manger, tu sais. Si je ne renverse pas au moins un truc, c’est un mauvais repas. »
Il ne l’écouta pas et lui prit la pomme des mains pour la changer, Jane renonça à lui faire entendre raison et dû se résoudre à patienter. À l’origine, elle comptait bel et bien entrer discrètement aux cuisines et voler de quoi améliorer sa soirée. Se faire servir et se voir donner de grands titres ridicules avaient quelque peu rendu son escapade moins amusante. En voyant l’énorme panier, cependant, elle se dit qu’ils seraient gagnants. Plus qu’une collation, il y avait de quoi s’offrir un beau festin improvisé. De quoi passer une soirée privée autrement plus intéressante que celle où Slughorn voulait la traîner, plus précisément. Et puis au moins, elle était à la fois en sécurité et en compagnie de…
« Voilà, Grande Miss Maîtresse Smith, sourit Dobby fier de son effort sur les titres. Si vous désirez autre chose…
— Non, non, c’est parfait. Vraiment merci, c’est au-delà de ce que j’espérais. Merci Dobby, c’est super. Bonne soirée à tous ! » Lança-t-elle en repassant par la porte.
Portant difficilement son lourd panier à deux bras, qu’elle cala contre son ventre, Jane remonta les escaliers pour aller au grand hall en espérant ne croiser personne qui la voit dans cette situation. Elle n’avait pratiquement pas honte de voler de la nourriture aux cuisines, en revanche, il était difficile de ne pas comprendre à quoi servait un tel stock.
« À corriger des copies et bouquiner sagement » Se dit-elle pour la énième fois de la soirée.
Un peu plus tôt, Severus était venu lui apporter une fiole de jus d’abricot blanc en échange d’une place dans son fauteuil pour terminer de corriger les devoirs de ses élèves avant les vacances. L’homme continuait de prétexter que ce fauteuil était terriblement efficace pour la concentration. Jane, qui avait renoncé à le coincer à ce sujet, en avait profité pour commencer à empaqueter les cadeaux qu’elle offrirait à Noël, tout en dégustant cette boisson sucrée dont elle raffolait. Elle avait reçu une lettre d’invitation de la part d’Harry pour le fêter avec l’Ordre, disait-il, quelques semaines auparavant. L’attention l’avait touchée, mais il lui avait fallu demander une avance sur salaire à Dumbledore pour trouver et acheter en catastrophe des babioles à tout le monde. Pensant qu’elle resterait à Poudlard, Jane avait déjà préparé des présents pour l’équipe et s’était même félicitée de sa prévoyance. Pour une fois qu’elle avait terminé ses courses de Noël en avance… ! Eh bien non, Potter avait tout chamboulé, et avait envoyé des invitations au grand dam de Molly Weasley qui regretta terriblement d’avoir tant insisté pour que la soirée se passe au Terrier. D’un repas familial, ils étaient passés à une réception avec tout le noyau dur de l’Ordre, ce qui comprenait également son invité de ce soir. Quand elle avait terminé de tout préparer pour le surlendemain, Jane avait proposé à Severus de rester manger quelque chose avec elle, et à sa grande surprise, il avait accepté, même si l’homme voulait plutôt faire venir un elfe directement aux appartements plutôt que de risquer à ce qu’on surprenne la Moldue en vadrouille. Et c’est cette suite d’invitations et d’évènements qui la conduisirent à se balader dans les couloirs de Poudlard avec une robe plus légère que la température ne le permettait. Était-ce par bravade qu’elle y était partie toute seule ? Pestant contre la charge, Jane se dit que la prochaine fois qu’elle chercherait à combattre ses peurs, elle le ferait avec une paire de bras supplémentaires pour traîner un butin pareil.
Arrivant au Grand Hall, elle redressa le panier en inspirant un grand coup, s’intimant à faire attention, car le reste serait des escaliers descendants. Alors qu’elle s’apprêtait à emprunter ceux qui menaient aux cachots, une masse poilue frôla sa jambe et elle sursauta.
« Ah, mais qu’il est con que ce chat ! » Maugréa-t-elle par réflexe, le cœur au bord de la crise alors qu’elle tremblait de peur à l’idée d’avoir manqué de tomber.
Jane jeta un coup d’œil en biais, et entre la miche de pain et la bouteille d’hydromel, elle jeta un regard courroucé à Merlin.
« D’abord, qu’est-ce que tu fous ici, hein ? T’en as marre de moi et t’essaies de me tuer, c’est ça ?
— Maaow.
— C’est pas une raison. Tu vois pas que je suis chargée ?!
— Mewow !
— Merci, je sais bien que ça t’est égal. »
C’était un des innombrables dialogues qu’elle s’inventait, interprétant à loisir ses propos. Car, voyez-vous, Merlin ne venait pas du tout de lui dire qu’il en avait assez de sa Maîtresse et que oui, elle pouvait bien aller se faire voir chez les Mangemorts. En réalité, le félin avait demandé très poliment qu’elle le suive, mais comme toujours, Madame ne comprenait rien. Trop heureux d’être tombé sur elle, car il désespérait d’avoir à fouiller le château entier, il radoucit son miaulement et lui tourna le dos en espérant qu’elle la suive. Ce qu’elle ne fit évidemment pas.
La jeune femme inspira pour se donner du courage avant de risquer sa vie en descendant des escaliers sans aucune vision, et Merlin miaula bien plus fort pour attirer son attention.
« Oui, oui, merci. Amuse-toi bien aussi.
— FFFFSH ! »
Jane s’arrêta dans son élan, choquée, se retournant pour voir son chat le poil hérissé en train de l’observer.
« Mais… Qu’est-ce qu’il te prend ? »
Cela marchait ! Le chat bondit en direction des étages supérieurs en se retournant de temps en temps pour s’assurer qu’elle avait bien mordu à l’hameçon. Inquiète, et inutilement chargée, Jane avait à présent calé le panier contre sa hanche et remontait quatre à quatre les marches, échevelée et hors d’haleine, marchant un pas précipité sur deux sur son manteau en organza.
Dire qu’elle s’était, l’air de rien, faite très jolie pour une soirée sur le canapé…
***
Un Serdaigle de septième année dont Harry ne connaissait pas le nom, s’approcha d’eux avec un plateau surmonté d’une sculpture de glace bordée de petites fioles transparentes.
« Lord Black, ne vous déplacez pas, je serai honoré de vous servir la boisson offerte par un des invités qui n’a pu nous honorer de sa présence… »
Draco jeta un regard méprisant à l’élève, tout en scrutant avec plus d’attention le plateau. La sculpture translucide étincelait sous les éclairages. Elle représentait une immense fleur ouverte comme un écrin à une sphère d’où perlait ce qui était manifestement un alcool magique. Il avait déjà entendu les aristocrates parler de cette création, mais il ne parvenait pas à remettre de nom dessus. Voyant qu’il le fixait ostensiblement, l’élève expliqua :
« C’est de la liqueur de rosée de Lune, c’est un cadeau de…
— Je ne crois pas que tu sois ici pour nous faire la conversation, McReed. » Coupa Draco sans même lui accorder un regard et s’emparant d’une des fioles qui se rempli à son contact.
Le Serdaigle s’empourpra et se contenta de leur en donner à tous, avant de tourner les talons, dents serrées. Sirius resta silencieux, préférant renifler le breuvage avec plaisir, mais Harry réagit brusquement :
« Qu’est-ce qui t’as pris de lui parler sur ce ton ?
— Je vous demande pardon, Lord Potter ?
— Oh, laisse un peu ces… »
Le Gryffondor se tut un instant et inspira, se redressant et se remettant dans son rôle.
« Vous était-il obligé, Monsieur Malefoy, de lui parler ainsi ?
— Non, concéda Draco en souriant. Mais il est important de leur rappeler leur place.
— Ce ne sont pas des elfes de maison ! Ce sont…
— Des Sorciers de rang inférieur satisfaits à l’idée de servir leur élite.
— Et toi, tu approuves ? » Pris Harry à parti son Parrain.
Sirius haussa les épaules, savourant la liqueur délicieuse. Cela agaça plus encore son filleul qui s’ébroua.
« Alors c’est ça qu’on est ? Des gens aimant marcher sur les autres, et se réunissant en petits conciliabules pour décider de l’ordre du monde ?
— Non, Lord Potter… intervint pour la première Luna en le regardant intensément. Vous êtes des gens qui satisfaites au besoin de soumission des autres… Pour le moment. » Ajouta-t-elle en fixant Draco droit dans les yeux.
Le Serpentard but une gorgée de liqueur et haussa les sourcils lentement :
« Vous ne vous incluez pas dans cette aristocratie, Miss Lovegood. Vous êtes pourtant de Sang-Pur et au bras d’un Lord.
— Comment se porte Pansy Parkinson ? » Demanda Luna avec malice.
Draco plissa légèrement des yeux en souriant. Les Serdaigles et Serpentards partageaient cette intelligence qui leur permettait de se faire comprendre à demi-mot.
« Soit, je vous marie bien avant les fiançailles, il est vrai… Mais vous ne pouvez nier ne pas être étrangère à ce monde, du moins, pas sur la question de l’aristocratie. »
Harry se tourna vers Luna sans comprendre qui soupira légèrement. Sirius ne semblait pas particulièrement intéressé par leur conversation, il observait la tenture d’où était partie sa compagne d’alors. La jeune fille aux cheveux blonds opina du chef.
« Avez-vous au moins fait vos recherches vous-mêmes, Draco Malefoy ?
— Non. Je connais ce fait depuis que je me suis étonné de vous voir accompagnée au bal du Tournois des Trois Sorciers…
— Tu y étais ? balbutia Harry, rougissant.
— Oui, mais je dansais à l’opposé de l’endroit où tu regardais. »
Sirius termina son verre d’une traite pour cacher son amusement et prétexta de se resservir pour aller se moquer de son filleul ailleurs. Très embarrassé qu’elle fasse allusion à Cho comme ça, Harry vira à l’écarlate et préféra ramener la conversation dans la direction qui l’intéressait.
« Qu’est-ce que ça change qu’elle y ait été ?
— Dans quelle direction regardais-tu ? répliqua Draco en oubliant de le vouvoyer.
— Monsieur Malefoy m’a vue danser avec Nicolaï Yegorov, qui étudiait à Dumstrang. » Coupa Luna dans un élan d’empathie.
Harry la regarda avec reconnaissance, comprenant qu’elle dévoilait son secret pour lui éviter la honte du sien.
« Et ça m’a beaucoup étonné de voir un élève de dix-sept ans danser avec une jeunette de treize ans méprisée par toute une école. Ça n’est pas que tu ne sois pas capable d’être normale, voire jolie…
— Surveille ton langage !
— Mes excuses, Lord Potter, s’inclina Draco. Cela a néanmoins attisé ma curiosité. J’ai posé quelques questions, et j’ai appris qu’il n’y avait là rien de romantique – si cela peut vous rassurer.
— Ça suffit. Si Luna a quelque chose à me dire, elle le fera, je n’aime pas ta façon de sous-entendre que…
— Il ne sous-entend pas, coupa la blonde. Il te dit que je te mens. Ce qui est inexact, mais Monsieur Malefoy n’est pas à Serpentard pour rien.
— Est-ce qu’au moins c’est important ?! s’agaça Harry.
— Je ne sais pas, combien de temps encore tu vas accepter que l’on te cache des choses sur tes proches, Potter ? »
Le brun serra les dents et préféra terminer d’une traite sa fiole plutôt que de répondre. Sa compagne s’en chargea, jouant avec le liquide qu’elle n’avait pas touché.
« Nicolaï est un cousin. Plus éloigné que ne l’est Sirius pour Draco, rappela-t-elle. Mon père est bien né Lovegood. C’est mon grand-père qui est arrivé en Angleterre pendant la guerre de Grindelwald…
— Feodor Nikitine n’était pas qu’un fugitif Slave, Miss Lovegood…, coupa Draco en reprenant la politesse. Votre grand-père était surtout un historien et journaliste opposant… Une habitude dans votre famille.
— Ton grand-père était Russe ? souffla Harry. Pourquoi tu ne m’as pas dit qu’il avait cherché à…
— Parce qu’elle voulait sans doute éviter que tu croies que son intérêt pour toi était pour des raisons politiques. Après tout, Nikitine a grandement aidé Dumbledore lors de son combat contre Grindelwald, je me trompe ? »
Malefoy semblait tout à fait ravi de son petit effet. Il prit la réaction d’Harry pour un sentiment de trahison, et il semblait très heureux de lui démontrer sa vulnérabilité. Luna se tourna vers Harry avec un fond de tristesse dans les yeux.
« Mon grand-père, commença-t-elle lentement. Était en relation avec Grindelwald, il l’a… Il l’a aidé dans certaines recherches historiques. Papa n’en parle pas, il préfère garder l’idée qu’à la fin, grand-père a décidé…
— De rompre tout contact avec un mage noir, et de faire amende honorable, termina Draco. Mais je suis loin de juger : si toutes les personnes qui ont eu une amitié avec Gellert Grindelwald devaient être mises au ban de la société, Poudlard n’aurait pas le même directeur. »
Harry avala de travers sa salive, alors que Luna lui donnait sa fiole pour qu’il la boive. Son amie hochait la tête en fixant le l’élève qui continuait de porter la sculpture de glace dans la salle.
« Lord Malefoy a d’excellentes informations, et vous savez écouter aux portes. »
Draco fronça les sourcils et regarda dans la même direction qu’elle. Soudain, il se remémora le nom de la plante à l’origine de la liqueur : « La Rosée de Lune ». Il ne faisait aucun doute que le cadeau venait de son père, et que la jeune fille l’avait compris dès le début.
Draco se renfrogna, il eut l’impression que même dans son théâtre, son père arrivait à dominer la scène.
***
« Merlin, sérieusement… Han… Mais tu m’emmènes où comme ça ? »
Essoufflée, la robe salie par la poussière traînée sur plusieurs étages, la gorge rendue si sèche qu’elle hésita à ouvrir une des bouteilles de son panier, Jane s’arrêta dans le couloir. Elle posa son paquetage et s’appuya sur une armure qui grinça d’un air outré. Aucune trace de son chat. Après avoir feulé, il s’était échappé en course folle, ne laissant que de temps en temps un bout de queue dépasser. Jane inspira longuement, cherchant à retrouver son souffle, se demandant pour la troisième fois de la semaine si elle n’allait pas arrêter de fumer. Peut-être que Filius aurait un sort, ou bien…
« Maouh ?
— Ça t’amuse ?
— Meeeow ! »
Assis sur son postérieur, la queue ramenée contre lui, Merlin se tenait droit et noble aux pieds du gros chêne qui trônait dans les jardins de Serdaigle. La jeune femme enleva un cheveu qui collait à sa bouche d’un geste agacé, et récupéra son panier, sourcils froncés.
« Je n’ai vraiment pas que ça à faire, tu sais. Pourquoi on est arrivé ici ? Tu voulais me montrer ça ? C’est gentil, mais je connais très bien l’endroit… »
Le chat resta silencieux, clignant des yeux avec suffisance. Jane leva les siens au ciel.
« Bon, voilà, c’est superbe, je suis très contente d’être venue, gentil chat, maintenant j’ai plus important sur le feu… »
Elle se retourna avec empressement quand un souffle léger et froid la fit frissonner. Dans son dos, alors qu’elle sentait qu’elle commençait à avoir la chair de poule, une douce voix sans timbre s’éleva :
« Le seul endroit où vous devez être est ici, Jane Smith. Nous aurions dû commencer votre aventure par ça… »
***
Luna profita du silence de Malfoy pour entraîner Harry sur la piste de danse. Une valse moderne démarrait, et la blonde débuta un quickstep endiablé et totalement en dehors du rythme. Les convives ne s’intéressèrent nullement à eux, et la vitesse de leurs pas brouilla peu à peu l’environnement d’Harry. Il se sentit soudain plus léger au milieu des couleurs avec pour seule boussole le visage souriant de son amie.
« Nous en reparlerons, promit-elle. Après que tu aies obtenu la vérité ailleurs. »
À mille lieues de comprendre à quoi elle faisait allusion, Harry finit par saisir son propos quand elle les fit tournoyer habilement en direction de Slughorn. Les volants de sa robe verte et or se soulevaient comme des pétales de fleur, donnant l’impression d’une fée qui le guidait au milieu de mortels. Cette réflexion lui rappela qu’il ne savait finalement rien de sa cavalière. Comme toujours, elle sembla lire dans son esprit et ajouta :
« Je suis aussi surnaturelle que toi, Harry Potter. »
Elle l’avait dit d’un ton enjoué qui le fit sourire. Tournant et conquérant leur espace, évitant de percuter les autres danseurs, le couple pouvait voir que Draco avait renoncé à leur faire la conversation et qu’il avait à présent retrouvé Zabini. Sirius était introuvable, faisant dire qu’il cherchait sans doute à se réconcilier avec la Française. Quant à sa proie, Harry la trouva à rire, un verre débordant à chaque tressautement. « Sa proie » se redit le garçon, frappé par son choix de mots.
« Je ne sais pas si j’en suis capable, murmura-t-il.
— Il le faut.
— Pas comme Snape… Pas comme il m’a dit de le faire. C’est trop brutal.
— Aucun secret n’est destiné à rester enfoui, Harry. »
La valse accéléra, eux ralentirent. La Serdaigle avait une grâce et une aisance aérienne très particulières. Un jour, elle lui avait raconté que c’était sa mère qui lui avait appris à danser et qu’elle le faisait toujours quand elle cherchait du courage ou pour se remonter le moral. Ce soir, l’inquiétude qu’il avait prenait le pas sur cette jolie magie.
« Ce n’est pas moi…
— C’est Harry Potter.
— Tu ne comprends pas. Ça n’a rien d’héroïque, c’est même… C’est même vil. »
Peu importe les leçons qu’il prenait avec Snape, le jeune homme ne parvenait pas à se résoudre à ce que tout doive être sacrifié « pour le plus grand bien », à commencer par son honneur. Au milieu des couleurs, Luna le fixa très sérieusement.
« Tous les héros ne sont pas héroïques, Harry. Et toutes les personnes qui sont capables d’héroïsme ne sont pas des héros.
— Sauf qu’on attend de moi des choses !
— Peut-être que les attentes sont illégitimes. Ou peut-être ne comprends-tu pas le rôle que tu dois jouer ? »
Ils glissèrent à nouveau en direction de Slughorn, les grincements des violons et de la contrebasse laissaient entendre que la valse prendrait bientôt fin.
« Je dois être tant de choses… Je dois faire tant de choses…
— Non. Tu dois seulement te battre, Harry. Comme nous tous.
— Sauf que vous, vous n’êtes pas forcément l’Élu. »
Luna éclata de rire, il se sentit brusquement stupide et il s’arrêta de danser. Avisant à présent Slughorn qui lui souriait et se dirigeait vers lui pour se l’accaparer, Harry crut qu’il avait rêvé la réponse de son amie :
« C’est normal, Harry, il ne peut y avoir qu’un seul Élu… »
***
Légèrement grelotante, Jane observa le fantôme d’un air intrigué. Jusqu’ici, l’entité s’était bien gardée de lui adresser le moindre mot, faisant dire à la jeune femme qu’elle méritait un surnom aussi sinistre. Elle n’était même pas certaine de connaître son patronyme… La Moldue recula, posa son panier sur le banc de pierre où elle avait vu Luna l’année précédente. Le fantôme ne bougea pas, la fixant comme cherchant à sonder son âme. Merlin s’allongea et ferma les paupières comme s’il avait gagné le droit de piquer un somme. N’y tenant plus, Jane rompit le silence après quelques minutes à gigoter mal à l’aise :
« Heu… D’accord, mais c’est-à-dire ? »
Le spectre glissa dans sa direction et Jane se repositionna par réflexe. Cela sembla amuser la morte, car elle déclara :
« Vous ferais-je peur ?
— … Ben… Je ne parle pas souvent aux fantômes, donc… Même jamais, en fait. Je…
— Je suis la première que vous voyez d’aussi près. »
Ce n’était pas une question. Jane cligna des yeux et se rendit compte qu’elle avait raison. En plus d’un an, elle n’avait que très peu croisé les fantômes.
« Ce n’est pas contre vous. Les morts ne se mêlent qu’aux Sorciers.
— Merci, ce n’est pratiquement pas insultant, marmonna Jane à peine surprise que le fantôme sache sa nature.
— Asseyez-vous, Jane. Nous avons tout notre temps. »
Smith allait répondre que quand on vit, on n’a pas l’éternité à soi, mais elle se retint, le froid l’enveloppant de plus en plus. Prenant place en frissonnant, elle regretta de n’avoir que de la mousseline sur les épaules.
« Aimez-vous ce monde, Jane ? »
La Moldue arqua un sourcil interrogateur, décontenancée par le côté vague de cette question. Un instant, elle repensa aux duos de prédicateurs devant lequel elle passait chaque fois qu’elle achetait une viennoiserie en bas de chez elle. Une fois, ils avaient essayé d’entamer la conversation avec une question similaire. Incertaine, elle répondit :
« Je ne suis pas pressée de mourir… Maintenant, si la question est de savoir si je crois en Dieu, je sais plus trop.
— Dieu… ? répéta le fantôme comme si le nom même était ridicule. Non, Jane Smith, je vous parle de notre monde. Le monde dans lequel Albus Dumbledore vous a plongée.
— AH ! »
Ah… La Moldue allait répliquer rapidement, un sourire aux lèvres, mais elle s’interrompit en se rendant compte que la question n’était pas si évidente. La guerre, le modèle sociétal, les croyances, la magie, les intolérances, les innombrables choses à découvrir, les gens… Elle soupira, puis répondit en choisissant ses mots avec soin.
« Pas plus que le mien, je crois… Ce sont surtout les personnes que j’ai rencontrées que j’aime. Je suis attachée à eux. »
Le fantôme hocha la tête doucement, quelques boucles de son abondante chevelure éthérée ondulant étrangement.
« Vous risquez votre vie pour cet amour. »
Jane fronça les sourcils et fixa sévèrement le fantôme en pinçant des lèvres.
« Nous parlons toujours du même sujet ?
— Plus que jamais. »
***
Harry riait si faussement que même lui se demanda s’il n’en faisait pas un peu trop. La fête battait son plein, et Horace Slughorn semblait tout à fait ravi par le succès de sa soirée. Regroupés autour de lui comme un harem, d’anciens élèves jouaient le jeu de l’amusement, tandis que ceux qui étudiaient encore à Poudlard cherchaient à attirer l’attention. Mais Harry avait habilement capté toute celle de son Professeur qui était à présent inarrêtable concernant les plaisanteries au sujet du Survivant et de sa compagne. Luna elle-même l’avait poussé à entrer sur ce terrain en racontant comment les Filidines – des fées romantiques selon elle – l’avaient amenée à chercher une nouvelle fois sa paire de chaussures en pleine nuit. Avec beaucoup de savoir-faire, la Serdaigle narra une course rocambolesque faite de discussions avec les tableaux et de couloirs interminables. Elle dépeint un Harry Potter serviable et un brin naïf qui sembla satisfaire à l’imaginaire collectif.
La vérité était beaucoup plus simple : une nuit après ses exercices avec Snape, la nuit où l’espion et lui-même avaient exploré le souvenir concernant Quirrel, Harry s’était enfui vers les cuisines. Voulant éviter la ronde des Aurors, il avait changé de direction et était tombé sur Luna qui cherchait bel et bien ses chaussures. La jeune fille avait simplement renoncé en expliquant qu’Harry cherchait quelque chose de bien plus important, et elle l’avait emmené dans les jardins où ils prirent plus tard l’habitude de se rejoindre. Là, sous le gros chêne et le ciel étoilé, il trouva bien ce qui lui faisait défaut : de la quiétude. Mais il était hors de question de livrer une chose aussi personnelle en pâture à son image. La fable présentée par Luna était donc parfaite.
« Cela ne m’étonne pas, mon garçon… Cela ne m’étonne vraiment pas. Votre mère était très attentive aux besoins des autres, elle aussi. »
Quelques convives se sentir gênés que Slughorn évoque directement le souvenir de Lily Potter. Après ce qu’il s’était passé à l’automne, le sacrifice des Potter était d’autant plus dans les mémoires. Harry se tendit. Le moment pointait. Autour d’eux, la musique baissait, les gens se retrouvaient en groupes de plus en plus restreints, disparaissaient derrière des tentures, les fontaines d’alcool voyaient leur niveau magique dangereusement disparaître et plus personne ne s’intéressait aux petits fours. Encore quelque temps à tenir, et chacun partira terminer cette soirée selon sa convenance.
« Merci, Professeur. Je ne l’ai pas connu, c’est… C’est bon de savoir qu’il y a un peu d’elle en moi… Malgré tout. »
Le vieux Professeur de Potions cligna des yeux comme un bébé avant un gros chagrin. Nulle malice ou petite anecdote croustillante. Pour la première fois il sembla voir Harry comme le fils de Lily, et sa peine s’afficha sur son visage poupin. Le Gryffondor but une gorgée dans le verre qu’il tenait pour s’occuper les mains. Il lui fallut dissimuler sa satisfaction, et la légère honte qu’il éprouva en ressentant la première émotion. Il allait enfin savoir.
***
Pour une raison qu’elle ignorait, Jane était profondément mal à l’aise en présence du spectre. La Dame Grise continuait de l’observer en silence, comme cherchant à décider de la façon dont elle devait s’adresser à elle pour se faire comprendre. Le corps engourdi par le froid de la nuit, sa tenue et le fait de rester assise sur un banc de pierre, Jane s’ébroua légèrement, impatiente de retrouver la chaleur de ses appartements.
« Dites-moi ce qu’il y a de si urgent à savoir, s’il vous plaît. Ou attendons demain, peut-être ? Un moment où je serais plus habillée, moins occupée… ?
— Demain ? Pourquoi demain ?
— … Ben pourquoi pas ? Pourquoi ce soir ? répliqua Jane en grimaçant légèrement.
— Parce que cela aurait dû être hier, ou même avant-hier. Cela aurait dû être avant que votre vie ne soit attachée à la sienne par une dette de sang. »
La Moldue cligna des yeux.
« Quoi ?
— L’homme que vous cherchez désespérément à rejoindre vous est déjà lié, Jane Smith. »
La susnommée arqua un sourcil dubitatif, et se pencha pour chercher quelque chose à boire et à grignoter dans le panier. Il lui fallait reprendre contact avec la réalité avec une action de vivant, et si possible une conversation normale. Mais en écartant les pommes et le brebis, en saisissant la bouteille d’hydromel et tripotant la cire qui cachetait le bouchon, elle ne parvint pas à se soustraire au sous-entendu.
« Je crois que je le saurais si j’étais liée à Severus d’une façon ou d’une autre, alors de quoi parlez-vous ?
— Vous lui devez la vie. Peut-être en est-il de même pour lui…
— Attendez, attendez… Attendez, répéta Jane une troisième fois en se battant avec le bouchon les sourcils froncés. Personne en dehors du Professeur Dumbledore, Snape et moi-même n’est au courant…
— L’homme-chien et l’enfant-guerrier le sont aussi, coupa le spectre. »
Jane déboucha la bouteille et s’exclama quand elle dû coller sa bouche au goulot alors qu’une épaisse mousse menaçait de jaillir. L’hydromel n’avait pas du tout apprécié son périple furieux dans les escaliers. Après une première gorgée sucrée, la Moldue releva la tête.
« Vous parlez de Sirius et d’Harry ? » Le fantôme acquiesça comme si ça n’avait aucune importance. « D’accord, mais c’est tout, il me semble. Alors, comment pouvez-vous savoir une telle chose ?
— Le savoir est ma maison, Jane Smith. »
Après un instant d’incompréhension et une gorgée supplémentaire, Jane écarquilla les yeux soudain :
« Vous êtes littéralement le fantôme de Serdaigle ?! s’exclama-t-elle.
— Non. Je suis le fantôme d’Helena Serdaigle, son unique enfant.
— Merde… C’est pour ça que vous disiez qu’on aurait dû parler avant, vous voulez me parler de…
— Il est temps que je vous transmette mon savoir. »
***
Il n’y avait rien à ranger dans la salle. Les elfes de maison se chargeraient de nettoyer les plats, de décrocher les guirlandes et d’éteindre toutes les bougies. C’est pour cela qu’Harry et Slughorn se faisaient désormais face dans de gros fauteuils moelleux près de l’âtre principal, un plateau d’argent garni d’un melting-pot des petits fours récupérés dans des restes sur les genoux du Professeur. Luna les avait quittés lorsque la conversation avait sérieusement dérivé vers Lily. L’alcool aidant, le vieil homme parlait de plus en plus de sa protégée, alternant entre gorgées, bouchées et détails. Harry sirotait de temps à autre un verre de jus de citrouille qu’il avait pu trouver. La boisson le réconfortait et il avait surtout besoin de ça à cet instant.
« Vous savez, reprit Slughorn alors qu’une gougère disparaissait derrière sa moustache avec un bruit de mastication. Lily était si positive et pleine de vie que l’amitié qu’elle avait avec Severus choquait. C’est qu’ils étaient comme le jour et la nuit, hein.
— Oui, j’ai cru comprendre qu’ils avaient même fini par ne plus se parler.
— Cette affaire a été terrible… Vous savez Harry, j’affecte de ne pas m’en rendre compte, mais je sais bien que ma maison n’a pas toujours abrité les sorciers les plus recommandables. »
Le Gryffondor déglutit, évitant de trahir ses intentions. Il préféra laisser l’homme continuer.
« Oh, bien sûr nous avons eu le grand Merlin, et puis des gens tout à fait exceptionnels, mais… Enfin, je ne veux pas sous-entendre que Severus est quelqu’un de mauvais, mais…
— Il a été Mangemort, oui. »
Et certains continuaient de croire qu’il l’était encore. À l’instar de Lucius Malefoy, Severus était officiellement blanchi. Horace semblait mal à l’aise à l’idée d’en parler avec Harry, comme s’il avait honte de ce qu’étaient parfois ses anciens élèves. Mais le jeune homme termina son verre de jus de citrouille d’une traite et, affectant de se servir du vin de noix, remplit celui de l’enseignant.
« Pourquoi se sont-ils brouillés ? Vous le savez ? demanda-t-il candidement.
— Oh… Ce ne sont pas de belles histoires à raconter, c’est…
— Le passé de ma mère, mon passé.
— Eh bien… Je ne sais pas quand Severus a… A pris la Marque. Un Directeur de Maison ne peut pas forcément savoir ce genre de choses… »
Une bouffée de colère vrilla les tempes d’Harry qui se retint de faire remarquer que Snape, justement, était particulièrement attentif à ce genre de choses. Particulièrement parce qu’ils étaient en guerre et que de nombreux enfants risquaient de prendre la Marque, comme lui. Il contint son émotion et hocha la tête de compréhension.
« Je sais qu’un jour il l’a traitée de cette horrible expression. Mes élèves en parlaient beaucoup et votre père et son meilleur ami ont grandement puni Severus pour cela.
— Quelle expression, Professeur ? demanda Harry en sachant très bien de quoi il était question.
— Sang-de-Bourbe. » murmura Slughorn dans un souffle mortifié.
Là, Harry sentit son cœur se pincer légèrement de honte, ainsi qu’une grande bouffée d’adrénaline éclairait son esprit. Ça lui fit du bien de s’imaginer la voix de Snape l’encourageant à continuer sur cette voie. Des mois d’Occlumancie lui avaient appris une chose : à qualifier et à comprendre l’esprit. La suite vint toute seule.
« Je connais bien ce mot…, murmura-t-il. Il a hanté mes nuits pendant des années, avant que je n’en comprenne la raison. »
Slughorn fronçait les sourcils, une lueur de curiosité qui filtrait entre les billes de larmes qui s’étaient formées à l’évocation de son élève chérie. Harry fixa son regard en direction de l’âtre, de la même manière que Tom Jedusor l’avait fait plus d’un demi-siècle avant lui.
« Pendant des années, je n’ai pas compris pourquoi mon plus vieux souvenir était constitué d’une lumière verte et d’un hurlement. Un hurlement et un rire… Un rire… Et ces mots. Sang-de-Bourbe… » Répéta Harry alors que le visage du vieux Professeur s’affaissait de crainte. « Il lui disait toutes les nuits « Pousse toi, Sang-de-Bourbe ! Pousse-toi, idiote ! » Et vous savez ce que maman criait toujours ? « Non, pas Harry ! Pitié, pas Harry ! Prenez-moi, prenez-moi à sa place… »
L’expression d’horreur muette qui se peignait à présent sur le visage d’Horace était parlante. Le jeune homme n’avait pas besoin de le regarder pour sentir qu’il obtiendrait ce qu’il était venu chercher.
***
Jane sourit doucement, jouant avec une épluchure de mandarine d’un air gêné. Après s’être mordue la lèvre, elle craqua :
« Pardonnez-moi, mais vous avez l’air d’être morte assez jeune, en fait…
— J’ignore ce que vous qualifiez de jeune, mais j’ai vu passer deux printemps depuis mon introduction dans le monde, déclara Helena avec une once de fierté, avant d’ajouter en voyant le regard de Jane : J’avais seize années.
— Merde… Oui, c’est jeune pour mourir… »
Helena haussa les épaules, préférant observer Merlin dormir. Le fantôme cherchait toujours manifestement un bon moyen d’aborder le nœud de la question quand Jane enchaîna :
« Mais… Mais si vous êtes la seule enfant de Rowena Serdaigle… À quel âge avez-vous eu… Le vôtre ? »
Le spectre sourit tristement, se relevant pour aller flotter près de la fenêtre. Un instant la Moldue crut qu’elle avait commis un mauvais pas, mais Helena répondit simplement :
« Je suis morte à l’hiver, mon fils est né au printemps. Nous avons pu jouir de l’abondance de l’été, avant que ne meurent nos espérances…
— Je suis désolée que vous ayez été séparés si tôt…
— Vous êtes d’un tempérament doux, Jane Smith. Vous me rappelez ma meilleure amie Anna.
— Ah… Heu… Merci.
— Vous partagez son amour des bonnes choses. Anna était comme sa mère : très grande sorcière de la table. »
Jane croisa les jambes pour masquer derrière sa main les restes de mandarine qu’elle remettait dans le panier. Gênée, elle préféra se taire, ce qui sembla tirer un des rares rires au fantôme. C’était le son le plus paranormal que la Moldue ait pu entendre. Quelque chose d’une tristesse très étrange.
« Anna Poufsouffle était mon amie.
— Et… Je lui ressemble plus qu’à vous ?
— Garderiez-vous le silence, fut-ce au prix de la vie des gens que vous aimez, par loyauté ?
— … J’en sais rien. Je crois pas, non. De quoi parle-t-on ?
— Anna m’avait juré d’emporter mon secret dans la tombe. Et nous le fîmes toutes deux, seulement… »
Intriguée, Jane n’osait plus respirer.
« … Seulement nous étions trois à le connaître. Il était difficile d’être la fille de Rowena Serdaigle. L’intelligence de ma mère, sa beauté, sa renommée… Son œuvre. Il n’y avait pas de temps pour moi. Mon père lui-même n’est pas resté dans l’Histoire. Qui connaît le nom d’Edwin Locardon ?
— Votre père n’est pas celui qui portait le nom de…
— Non, répliqua simplement le spectre. Pas plus que je ne porte aujourd’hui celui de mon époux. Père n’aima pas rester dans l’ombre de sa femme, occupée à fonder une école en compagnie de Sorciers plus brillants que lui. Il… Il avait beau être un esprit d’une rare intelligence, Père ne semblait pas combler Mère au même titre que ses nouveaux alliés. Il a cessé peu à peu de feindre l’intérêt pour la construction de Poudlard et il s’est perdu dans ses chasses sur les terres environnantes. La forêt est dite « Interdite » depuis que…
— Merde, désolée, encore.
— Un grand saule pleureur pousse sur sa tombe. »
Jane réprima une grimace cynique, le fantôme était d’un sinistre affolant.
« Je suis restée seule pendant des années après cela… Seule et invisible. Mère était toute la lignée, tout le nom. Certes, Jane, je vois bien votre expression : vous allez dire que j’étais moi aussi très belle, mais pas assez. Pas assez pour Mère. Pas assez belle, pas assez intelligente, pas assez travailleuse.
— Mais, vous disiez avoir Anna…
— Anna ne m’aimait pas de cet amour, Jane. Seul le vrai Amour peut remplacer celui d’une mère. »
La Moldue ne parvint pas à contenir son sourcil qui se hissa vers sa crinière dans un air profondément dubitatif. D’accord, elle était proche de sa mère, mais ça va, c’était pas pour ça qu’elle était nulle dans ses relations !
« Jane Smith… Nous vivons à deux époques très différentes…
— Oui, et sur deux plans d’existence très différents aussi…
— Mais votre mère n’est plus celle qui compte le plus.
— C’est-à-dire que j’ai quand même trente-deux ans, maintenant. Il s’agit d’être une grande fille à un moment. »
Le fantôme ouvrit la bouche de stupeur, ses lèvres formant à nouveau le chiffre. Elle jeta un regard infiniment peiné à la vivante. Après tout, elle avait connu l’Amour seize ans avant elle… Jane comprit son raisonnement et enchaîna, mal à l’aise :
« Et… Et qui était l’homme de vos pensées ?
— Alaric Gryffondor, l’héritier de…
— De Godric Gryffondor, ouais. C’est là que cette double-lignée démarre en fait, murmura Jane. Mais… Mais comment ça a pu tourner à un drame comme le vôtre ?
***
Horace Slughorn ne savait pas quoi dire. Il sentait une forte pression comprimer sa cage thoracique et une violente bulle de bile remonter le long de son œsophage. Harry racontait depuis une dizaine de minutes comment, grâce aux Détraqueurs, il avait pu revivre les derniers instants de Lily Potter. Tétanisé, il sursauta quand le garçon déclara brutalement :
« Je n’ai jamais eu besoin de la prophétie pour être destiné à détruire Tom Jedusor. »
Le vieux Serpentard s’enfonça dans son fauteuil, cherchant de sa main droite quelque chose de réconfortant à se mettre sous la langue, mais rien. Quand il tâtonna de la main gauche, il soupira de soulagement lorsqu’elle rencontra une petite boîte de métal. Il baissa les yeux pour découvrir la couleur caractéristique de l’ananas confit. Il eut un mouvement de recul.
« Par contre, murmura gravement Harry en lui tendant la boîte. J’ai besoin de vous pour venger ma mère. »
***
« Nous devions nous enfuir. »
Jane passa ses mains sur ses bras pour se réchauffer et se redressa pour se rapprocher du fantôme et de sa fenêtre. Le parc de Poudlard luisait sous la lune, son herbe recouverte d’une épaisse couche de neige brillante. L’image était belle. Un beau cadre romantique à une histoire qui semblait en avoir l’ambition.
« Vous étiez enceinte de lui ? »
La Moldue avait demandé ça sans diplomatie, consciente de la honte probable du fantôme. En quelle année était morte Helena, déjà ? D’après les livres qu’elle avait pu lire, la fondation remontait au dixième siècle alors…
« Comprenez-vous ce que cela implique ? la coupa le fantôme dans son fil.
— Ben, ouais, je pense bien. Quoi que vous étiez mariée, vous m’avez dit ? Ce n’était donc pas un fils illégitime, alors, c’était…
— Un secret. Un secret que seuls Anna et Alaric partageaient. Nous n’avions pas honte, Alaric était noble, je l’étais aussi… Mais nous voulions garder cela pour nous, que cela nous appartienne à nous. Pas à cette fichue école et à… Nous devions nous enfuir, répéta-t-elle. Très loin, visiter les citées antiques. Alaric m’a donné quelques sous pour avancer les premiers frais, mais j’avais déjà emporté quelques affaires… Dont le diadème de Mère. Quand je suis arrivée dans ce que vous appelez aujourd’hui l’Albanie…
— En Albanie ?! Pourquoi si loin ?
— Nous devions nous retrouver en Grèce. Quand je suis arrivée en Albanie, j’ai attendu Alaric, mais il a tardé à venir. Peut-être est-ce de ma faute, mon larcin a dû provoquer un drame terrible dans la monotonie de Poudlard.
— Ouais, ou votre disparition… C’était vraiment un gros diadème ?
— Il s’agissait surtout du sien. Un artéfact qui aurait la faculté de rendre plus intelligent. »
Jane se mordit la lèvre en fermant lentement les yeux, comprenant le raisonnement de l’adolescente de l’époque.
« Vous avez cru que cela handicaperait votre mère, et lui ferait payer ce qu’elle avait préféré chérir plutôt que vous ?
— C’est pour cela que je vous parle, Jane Smith : parce que, malgré tout, vous êtes à la hauteur. »
La Moldue ne sut pas sur quel aspect de son génome on l’attaquait une fois encore, mais se retint d’envoyer sur les roses la rebelle séculaire.
« Ça n’a rien changé, évidemment. Mère a fini par apprendre ma perfidie quand ma disparition a été signalée. Ils ont tenté de me retrouver, et… craignant pour son enfant à naître, Alaric a parlé. Gryffondor est alors entré dans une rage folle aies-je appris par la suite. Si mon Aimé ne m’est pas venu, c’est parce qu’il avait été sommé de faire pénitence pour sa bravade. Mère a envoyé un autre homme sur mes traces, un homme éperdument amoureux de moi, malgré mes nombreuses éconduites. Il m’a évidemment retrouvée, et… »
Jane avait lu assez de romans, et entendu assez de faits divers pour savoir comment cela s’était terminé. Moyen-Âge ou époque moderne, Helena avait eu le malheur d’avoir choisi un autre homme que son bourreau.
« Quand il a réalisé ce qu’il m’avait fait, le Baron s’est suicidé.
— … Le Baron… Sanglant ?
— Oui. Mère est morte de chagrin quelque temps après. Alaric, lui, s’est perdu dans la guerre. Je suppose que c’est ma punition que d’errer pour l’éternité aux côtés de mon assassin, plutôt que de mon époux.
— Mais… Et l’enfant ? »
Helena sourit doucement, se détournant du parc de Poudlard pour regarder Jane pour la première fois depuis un moment.
« L’enfant, plutôt que le diadème ?
— Je sais que c’est du patrimoine, mais… La vie est bien plus importante.
— Mon fils a été recueilli par des marchands byzantins qui faisaient la traversé entre l’Occident et l’Orient. Ils l’ont bien élevé, avec beaucoup d’amour. Par la suite il a épousé…
— Mais comment pouvez-vous savoir une telle chose ? coupa Jane incrédule.
— Quand nos descendants meurent, nous découvrons leur vie. C’est une torture et un étrange cadeau qui est fait à ceux qui choisissent de rester.
— Vous connaissez tous vos descendants ?
— Tous ceux qui sont morts, oui.
— Vous connaissez donc mon père ? »
***
« Harry, s’il vous plaît… Ne me forcez pas à cela. Vous n’avez pas idée de ce que vous me demandez. »
Mener Slughorn à révéler ses secrets obligeait Harry à plonger dans une psyché qui ne lui plaisait pas, et dans laquelle il tirait une puissance et une satisfaction malsaine très paradoxales. Severus l’avait déjà mis en garde contre cela, lui expliquant qu’avoir un ascendant psychique sur quelqu’un était une extase des plus dangereuse. Slughorn n’était pas un Serpentard pour rien, il aurait pu résister à n’importe qui d’autre. Mais pas au fils de Lily.
« Vous avez connu ma mère. Moi non. Pendant des années, vous avez pu la voir grandir et s’épanouir, apprendre des nombreuses choses, lui en faire apprendre également. Moi non. Vous avez eu la chance de connaître ses goûts, de la voir sourire, de l’entendre rire. Moi non. Vous avez eu le loisir de la collectionner, de la photographier, et vous l’exposez aujourd’hui fièrement sur votre étagère… Moi, je n’ai que quelques clichés que ceux qui n’étaient pas uniquement obnubilés par mon père ont bien voulu me donner. Pétunia Evans, sa propre sœur qui m’a élevé, ne m’a jamais parlé d’elle… Et elle ne pourra plus jamais le faire, car, aujourd’hui elle est morte, à cause de la guerre, à cause de Voldemort…
— Ne prononcez pas ce nom ! supplia le Sorcier.
— SI ! IL EST CELUI DE L’ASSASSIN DE MA MERE ! IL EST CELUI DE L’ETUDIANT QUE VOUS ESSAYEZ AUJOURD’HUI DE PROTEGER !
— Non, non… Jamais je ne…
— Vous êtes lâche, souffla Harry d’une voix dangereusement glaciale. Je parie que ma mère a admiré sans le savoir un lâche qui préfère être complice de son meurtrier qu’allié de son fils.
— Mais… Mais vous ne comprenez pas, bredouilla Slughorn. Vous ne comprenez pas ce que j’ai fait… Oh, Merlin… Qu’est-ce que j’ai fait ?!
— Qu’est-ce que vous pouvez faire.
— Non, non… Harry, je ne peux pas, je ne savais pas.
— Donnez-moi la vérité, Professeur. Elle vous libèrera, elle nous libèrera tous. »
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Le cœur de Jane battait la chamade. Cette question n’avait jamais été importante. Bien entendu, quand elle était petite, elle avait demandé à connaître un peu son père. William Smith était mort jeune d’un cancer du pancréas, et sa mère, bien qu’elle retombât amoureuse par la suite ne s’était jamais remariée. Jane savait très peu de choses, si ce n’est qu’il avait été un architecte, comme celui qu’elle considérait aujourd’hui comme son père adoptif, Colin Barnes. Mort peu après sa naissance, William n’avait pas marqué sa fille, et c’était un autre qui l’avait élevé à sa place. À la réflexion, la jeune femme se demanda si ce n’était pas une malédiction pour la lignée des Serdaigle et Gryffondor.
Elle fixait le spectre avec appréhension, espérant qu’elle lui en apprenne plus à son sujet.
« Non. » Finit par dire le fantôme après un long moment à l’observer gravement.
Jane se traita mentalement d’idiote. Évidemment qu’elle n’avait pu le connaître, elle venait de lui expliquer qu’elle n’apprenait tout de leur vie qu’à leur mort, le choix des mots était on ne peut plus mauvais. Son indélicatesse lui fit honte et elle baissa légèrement la tête.
« Excusez-moi, c’était très maladroit, je voulais dire…
— Je sais ce que vous avez voulu dire, Jane Smith, et non, je ne sais rien de votre père. »
Le cœur de la Moldue s’arrêta une seconde. Une seconde assez longue pour que cela soit douloureux et qu’elle en ait le souffle coupé. Puis, lentement, la panique commença à la gagner, faisant rougir ses joues et trembler ses mains.
« Mais, mais, mais…
— William John Smith est mort le 4 août 2014 dans un accident de travail causé par un effondrement d’échafaudages. Son corps a été retrouvé dans les décombres de l’installation destinée à construire un opéra de sa création. Smith, qui venait de recevoir le prix Pritzker, au National Gallery of Art, à Washington, était un fervent partisan de la réforme de l’administration sur les normes de sécurité dans le bâtiment… »
D’un ton journalistique, le fantôme récitait la brève nécrologique, les yeux dans le vague, alors que Jane n’écoutait déjà plus. Son corps entier semblait plongé dans de la glace. Elle avait l’impression de mourir, que « Jane Smith » mourrait lentement à mesure qu’elle commençait à comprendre.
« … William Smith laissera derrière lui une femme et trois enfants âgés de sept à vingt-deux ans, termina Helena avant de reprendre un ton plus aigre : trois enfants adoptés, dont aucun ne porte son sang.
— … Putain…
— La lignée de Serdaigle et Gryffondor est éteinte. »
Bon je commente plus en détails qu’ici que sur WAttpad !
HAHA ! J’avais hâte qu’on en arrive là. Ce qui me console de mon chagrin de ne pas avoir eu ma dose de duo Severus/Jane…
Et du coup j’ai hâte de voir comment Jane va littéralement voler dans les plumes de Dumbledore et pas association de Snape vu qu’ils savent depuis le 31/10 quand même ! Les saligots (mais de leur part, on ne s’étonnera pas).
Bref… j’adore l’aspect que ça prend !
Et à ce rythme de détails, tu vas bientôt devoir écrire des nouvelles concernant les persos et histoires évoquées (l’histoire de Serdaigle/Gryffondor + l’histoire du grand-père de Luna).
Bref… vivement la suite 😀
Hé hé, je suis contente que tu t’attaches à eux comme ça. T’en fais pas, on va vite les retrouver dans le prochain chap’ et dans les suivants en général.
J’avais hâte aussi, il fallait que je raconte ça.
Ouiiii, t’as capté qu’ils en étaient arrivés à la même conclusion bien plus tôt. J’ai à peine commencé à la suite, mais Jane le prend comme un choc (ce que c’est en fin de compte), je crois qu’elle me surprend quelque part dans sa réaction (je sais pas comment expliquer ça, mais entre ce que j’imaginais être logique et ce qui sort sur le papier, il y a un certain delta).
Ah-ah, non, je vais éviter pour le grand-père ou encore les fondateurs. C’est bien juste des petits détails comme ça qui semblent réalistes, mais sans être trop exploités. Ca justifie des trucs, mais on ne se prend pas la tête pour autant.
J’ai hâte d’en finir avec la suite, j’ai à peine commencé, mais c’est long ^^’
Merci beaucoup pour tes commentaires à chaque fois <3
Oui je comprends pour le grand-père et les fondateurs mais ça pourrait tellement être des fan-fic de ta fan-fic :p
Et pour Jane, ah c’est génial parce que tu évolues avec elle et tu la « laisses » évoluer… Je comprends ce que tu veux dire, c’est difficile à exprimer 😀
Ha, je vais peut être poser une option sur le grand-père de Luna… 🙂
D’ailleurs, ta version de Luna est extraordinaire !
Merci beaucoup ^^
Je ne crois pas ceci dit que j’écrirais trop de trucs annexes. Il y a bien un chapitre épilogue de prévu, mais sinon… Je veux juste terminer ^^’