Impossible. Impossible. Il avait vaincu la mort. Il avait dépassé le stade de la mortalité. Il avait été vaincu, mais jamais annihilé. Il était revenu, il était immortel. Son père était mort d’un simple sortilège, Dumbledore était mort d’un simple sortilège. Même Lily Potter était morte d’un simple sortilège. Et lui… ? Lui survivait. Tant que l’un vivait, lui survivait. Il avait gagné cette guerre ! Ses ennemis étaient à terre, le pouvoir de Potter ne suffirait jamais à le vaincre. Il aurait dû gagner cette guerre. Comment avait-il pu le trahir de la sorte ? Comment avait-il, lui, pu être aussi aveugle ? Lucius savait-il ce qu’il avait fait ?

Voldemort fixa Ron qui était inconscient à nouveau et se repassa mentalement la liste de ses Horcruxes. Un à un, il y pensa, un désagréable frisson remontant dans son dos. Ses yeux écarlates allaient et venaient à droite et à gauche tandis qu’il les imaginait devant lui, et, sans qu’il ne s’en aperçoive, sa main droite se mit à trembler.

***

« Tu as repris connaissance plus vite que je ne l’aurais cru…, murmura Severus.

— C’était… atroce. Je crois que nos amis ont terminé leur mission, eux aussi.

— Comment… ?

— J’ai entendu leurs cris. C’était…

— Harry ?! s’alarma Snape en le fixant. Qu’est-ce qui se passe ?! »

Le jeune homme s’immobilisa et ouvrit la bouche lentement, semblant lire quelque chose au loin. Il comptait lentement, sifflant des chiffres que personne ne comprit. Snape écarta du bras les autres, en leur jetant un regard impérieux.

« Est-ce du fourchelangue ? demanda Luna, fascinée.

— Je crois. Reculez. Il n’est plus ici. »

Harry égrena sa liste, avant de s’arrêter brutalement et de planter son regard dans celui de Severus. Blanc comme un linge, le visage fermé et résolu, il observait intensément son mentor, une lueur de profonde tristesse au fond des yeux. Snape écarquilla les siens, ouvrant la bouche pour dire quelque chose, mais Harry leva la main pour le faire taire.

« Qu’est-ce… qu’est-ce que tu as vu ? demanda Luna, incertaine.

— Ses Horcruxes. Tous.

— Tous ? Est-ce qu’on en a manqué… ? s’inquiéta Jane.

— Le journal, murmura Harry. Le médaillon. La coupe. Son serpent. La bague. Le diadème. Sa vieille médaille à Poudlard…

— Le nouveau pour arriver à sept, pensa comprendre Jane.

— Sauf qu’il en a fait huit, répondit Harry. Huit, et il les connait tous. »

Il jeta à nouveau un regard accusateur en direction de Severus qui s’assit lentement sur le lit, comme sous le coup de l’émotion. Snape hocha la tête en comprenant quelque chose :

« Il n’a pas refait un Horcruxe par erreur… mais par remplacement, murmura-t-il. Il avait l’intention d’en détruire un.

— Lequel… ? Pourquoi faites-vous tant de mystères tous les deux ?!

— Moi, sourit faiblement Harry. Moi, évidemment… Vous le savez depuis longtemps, d’ailleurs, se tourna-t-il vers Snape. Vous savez depuis longtemps que je suis destiné à être détruit. »

***

Lucius survolait des yeux le rapport de commission que sa nouvelle secrétaire lui avait transmis. Devant lui, elle babillait d’une voix enthousiaste la liste des mesures et résultats d’enquêtes, fière d’avoir enfin la possibilité de prouver au Ministre de la Justice ses compétences. En temps normal, Lucius adorait jouer ce jeu et impressionner ses nouvelles recrues, mais pour l’heure, son esprit était dirigé vers sa femme et surtout son fils. Depuis son entrevue avec le Seigneur des Ténèbres, il ne parvenait pas à chasser de ses pensées la menace qui planait au-dessus de Draco. Narcissa refusait qu’il soit marqué, sans comprendre qu’ils ne pourraient indéfiniment dire « non » à Lord Voldemort. Lucius grimaça devant le titre usurpé et une bouffée de colère s’empara de lui, supplantant momentanément la crainte et l’atroce sentiment d’impuissance.

Il allait condamner son fils et blesser à jamais sa douce épouse pour un Sang-Mêlé qui se prenait pour un noble, qui les humiliait de son titre, leur riant au nez en voulant leur montrer que leur nom et leur pouvoir n’étaient rien. Héritier ou non de Serpentard, il restait un fils de Moldu, pauvre, inconnu et en train de sombrer dans une telle folie que toute leur culture était menacée. Un homme qu’il fallait arrêter à tout prix, mais contre lequel ils ne pouvaient rien.

« Votre action est clairement dans une optique d’inclusion des…

— Sortez.

— … Monsieur le Ministre ?

— Ça sera tout pour aujourd’hui Maria.

— Clara.

— Bonne soirée.

— Mais, Lord Malefoy, il n’est que…

— Bonne soirée. » Répéta Lucius avec dureté.

La jeune fille attrapa ses affaires en évitant de le regarder à tout prix, de grosses larmes menaçant de couler. Qu’avait-elle fait de mal ? Est-ce qu’elle n’avait pas été assez intéressante dans son exposé ? Tant d’heures de travail pour se faire… Lucius secoua la tête en s’agaçant de la sensibilité de sa secrétaire. Le temps n’était plus à la pleurnicherie ou à penser à sa seule carrière. Il se leva, hésitant à contacter directement Narcissa, mais se rassit. Pour lui dire quoi ? Qu’il avait pris la décision de faire marquer Draco ? Que leur enfant devrait jouer trouble jeu en espérant que Potter détruise Voldemort… S’il en était seulement capable. Et la coupe ? Qu’allaient-ils faire de la coupe ? Le Seigneur des Ténèbres devait nécessairement savoir qu’elle était aujourd’hui en leur possession. Narcissa était la seule héritière de sa sœur. S’ils venaient à ne plus l’avoir… et le journal ? Son cœur s’emballa brutalement à cette idée. Il était impératif que l’issue de la guerre se décide avant même que Voldemort n’apprenne la vérité.

***

Narcissa s’enferma dans son petit cabinet privé et alluma le grand chandelier qui éclairait son bureau. Elle tira du tiroir un beau morceau de parchemin, une plume lustrée et de l’encre bleue nuit, puis elle prit place et noircit peu à peu de sa belle écriture la lettre.

***

Voldemort transplana directement face à de grandes falaises fouettées par des vagues aussi furieuses qu’il ne l’était. L’écume moussait à gros bouillons autour de lui, projetant des gouttes salines sur sa robe comme autant de larmes suppliantes. Il s’envola à nouveau en direction de la grotte qu’il avait quittée des années auparavant pour se retrouver face au roc qui n’aurait pas dû être ouvert. La peur s’empara brutalement de lui, s’infiltrant dans ses veines comme un poison que son corps ne semblait plus capable d’éliminer. Comment celui-ci avait-il pu être découvert ? Qui aurait pu deviner – et comment ? qu’il avait caché quelque chose ici… ?

Il lança un sort conte la pierre et de légères traces rouges brillèrent un instant dans l’obscurité. Se superposant pratiquement les unes aux autres, trois traînées se détachaient de la roche. La plus vieille, sombre et pratiquement effacée par l’air salin avait une odeur très différente des autres. Voldemort inspira longuement, avant d’hocher la tête, c’était bien le sang de l’elfe. Deux autres sorciers étaient donc venus ici, un pratiquement à la même époque que l’elfe, un autre récemment. Très récemment. Voldemort passa sa baguette sur la dernière trace, mais elle ne vibra pas.

« Ce n’est donc pas toi… serait-ce le vieux, alors… ? »

Voldemort ferma les yeux et avança dans le long corridor, réfléchissant à ce qui avait bien pu se passer. Le lac dormait paisiblement sous une voûte rocheuse noircie par les flammes. Voldemort hocha la tête, reconnaissant là la puissance de son adversaire :

« Tu maîtrisais à la perfection le feu. Tu n’as pu venir seul… Tu étais… TU ÉTAIS AFFAIBLI LORS DE L’ATTAQUE ! » Il éclata alors d’un rire sinistre.

« Mais quelqu’un d’autre est venu… quelqu’un qui a échoué avant toi… Qui… ? Qui n’a pas sa place parmi mes serviteurs… ? »

Il leva sa baguette et les eaux se mirent à frémir, jusqu’à bouillir férocement. Des mains jaillirent de l’écume avant de replonger et de faire émerger un corps boursoufflé par les eaux et le maléfice. Peu à peu, les mains l’amenèrent docilement à sa hauteur et Voldemort plissa des yeux devant le cadavre de ce qu’il semblait être un jeune homme brun au visage trop doux pour n’avoir jamais représenté une menace.

Le Mage Noir écarquilla les yeux, murmurant un nom qu’il n’aurait jamais imaginé voir se retourner contre lui.

***

« Draco,

Quoi que vous pensiez devoir faire pour faire la fierté de votre nom, n’oubliez jamais que si un Malefoy ne manque à aucun de ses devoirs, un Black décide seul de son destin.

Votre père aura veillé à ce que toutes les portes s’ouvrent à votre ordre, quand j’ai veillé à ce que vous puissiez refermer celles dont vous voudriez vous détourner.

De tous les trésors dont nous avons pu vous couvrir, ma plus grande fierté aura été de vous avoir offert la liberté.

De tous les trésors dont j’ai pu être entourée au cours de mon existence, celui qui me fut le plus précieux et que je chéris par-dessus tout aura été de vous avoir. Il n’y a pas eu plus grand honneur et plus grande fierté pour moi que de vous avoir élevé et de vous avoir tant aimé. Et il n’y a pas eu plus grande décision que celle que j’ai prise pour votre avenir.

Je crains de ne pouvoir continuer à vous accompagner, mon fils adoré. Mais je suis certaine que vous saurez disposer de la chance que j’ai tenté de vous octroyer.

Saisissez-la comme aucun autre Malefoy ou Black n’a pu le faire avant vous et vivez l’existence que vous méritez. Et aucune autre.

Avec tout mon amour,

Votre mère,

Narcissa Black, Lady Malefoy »

***

Jane chancela légèrement et se recula en direction de la fenêtre, incapable d’assimiler pour l’instant les propos de Harry. Luna ferma brièvement les yeux, puis sourit avec tristesse, et Harry eut soudain l’envie de pleurer :

« Tu l’avais compris… Depuis quand ? lui demanda-t-il.

— Je ne sais pas. Je l’ai vu dans la salle sur Demande, quand tu l’as vu toi-même. Je l’ai vu chaque fois qu’il s’est emparé de toi. Je n’étais pas certaine qu’il soit nécessaire de…

Le pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore, marmonna Jane. C’est donc cela, ce pouvoir ? Rien d’autre ? Je ne comprends pas, comment est-ce que cela peut être un pouvoir ?

— Harry voit ses émotions, entend ses pensées. Plus Son âme disparaît, plus ils résonnent comme deux lames de diapason, expliqua Severus.

— Destiné à mourir. Une arme à usage unique, soupira Harry. C’était ça mon pouvoir. »

Le jeune homme se sentait étrangement vide face à ce qui n’était pas une révélation. Il s’en était effectivement rendu compte bien plus tôt, douté qu’il n’avait pas qu’un seul lien avec Voldemort, que sa façon de sentir les Horcruxes était anormalement précise… Que la facilité avec laquelle il avait pu jeter le sortilège de la mort était trop révélatrice. Il avait puisé, pendant des années, et de plus en plus, dans la part d’âme de Jedusor pour faire ce que lui, Harry, était fondamentalement incapable de faire… Harry qui pardonnait à sa famille, Harry qui était trop bon d’après ses amis pour faire du mal à qui que ce soit. Il portait en lui le moyen de vaincre Voldemort. Le pouvoir de le faire. Celui d’être ce qu’il devait être. Il soupira à nouveau, sentant une vague de tristesse et de résignation l’étreindre. Il aurait tant voulu pouvoir n’être qu’Harry. Jane se rapprocha de lui, jusqu’à s’accroupir à sa hauteur, l’observant avec inquiétude :

« L’un ne peut vivre tant que l’autre survit, récita-t-elle. La prophétie elle-même dit que vous avez la possibilité de…

— La prophétie n’est pas absolue, coupa Snape. Dumbledore avait été catégorique. Harry doit mourir. »

Il avait dit ça brutalement, comme toujours profondément en colère face à cette réalité. Il repensa à Lily et se surprit à chercher le regard du garçon pour s’y plonger dedans. Lui qui s’était détourné de la tentation de la pierre de résurrection interrogeait à présent les fantômes du passé en se noyant dans l’émeraude de son élève. Il y cherchait une condamnation et un pardon. Il aurait aimé que Lily lui en veuille, puis lui pardonne. Qu’elle comprenne une nouvelle fois ce qu’il avait dû faire. Ce qu’il était et serait à jamais. Mais il ne lut que de la tristesse et cela lui retourna l’estomac. Severus posa sa main sur la nuque du jeune homme, puis son front contre le sien, et murmura tout bas :

« Pardonne-moi. »

***

« Lord Malefoy pour Lady Malefoy. »

Lucius était incertain quant à sa démarche. Il était impossible d’annoncer une telle chose à une mère de façon agréable, mais il allait essayer. À moins que cela ne soit parce qu’il pressentait que le temps leur manquait et qu’il désirait plus que tout profiter des moindres instants avec elle… ?

Ils pourraient passer une soirée et une nuit merveilleuses et puis demain, quand les ténèbres se seraient dissipées, là, dans les prémices de l’espoir que seule l’aube sait offrir, il lui annoncerait. Il lui annoncerait que son fils, leur fils, son bébé, serait offert en tribut.

« Lady Malefoy est indisponible, apparu soudain Moky dans l’âtre.

— Ah… soupira Lucius, déçu. Dis-lui de ne pas manger seule ce soir. Je rentrerai d’ici une heure, deux tout au plus…

— Oui.

— Bien… Bien. »

Lucius rompit le charme et regarda sa montre à gousset. Il avait congédié sa secrétaire bien après l’heure du thé, il lui restait tout juste le temps de filer à la Rosée de Lune exiger une table et la privatisation du restaurant. Une légère vague d’appréhension monta en lui, un frisson qui fit dresser les poils de ses avant-bras, qu’il attribua à l’excitation romantique. Lucius Malefoy n’avait après tout qu’une faiblesse.

***

Harry voulut détourner le regard, refusant de porter en plus ce poids, quand Snape ajouta :

« Pardonne-moi, Harry. »

Le jeune homme écarquilla les yeux, avant de les fermer et de laisser son front reposer contre celui de son professeur dans une proximité qu’il n’aurait jamais plus avec lui.

« Il n’y a rien à pardonner, répondit-il doucement. C’est ainsi. Vous avez fait tout ce que vous avez pu.

— Si je n’avais pas rapporté la prophétie…

— Neville aurait été à ma place, coupa Harry. Et il aurait tout autant souffert, et ça n’aurait pas été plus juste. C’est comme ça, Severus. Toutes les pièces ont un rôle, il faut juste espérer que la main qui les déplace sache ce qu’elle fait. »

Il se redressa péniblement, observant les restes des Horcruxes avec un léger soulagement. Ils étaient proches du dénouement. La perspective de sa mort imminente était un étrange sentiment qu’il ne parvenait encore pas à comprendre. Peut-être avait-il toujours accepté cette possibilité ? Jane s’approcha de lui et le prit dans ses bras dans une étreinte maternelle qui ne lui ressemblait pas.

« J’aimerais tellement avoir du jus de citrouille à te proposer. » Murmura-t-elle avec mélancolie.

Harry sourit et hocha la tête.

« Oui, tout semblait plus facile dans votre bureau, quand nous ne parlions juste que de mes amours ratés. »

Luna prit sa main lentement et lui baisa le dos. Elle jeta un œil à la fenêtre qui montrait le soleil en train de se coucher et soupira :

« Et soudain, il me semble impossible de dire si j’ai froid. »

***

Moky disposait avec soin la tasse, la théière, sucre et lait. L’elfe ajouta les petits sablés au gingembre et à l’anis qui sortaient tout juste du four, tout en sachant que sa maîtresse n’y toucherait pas, se contentant d’en apprécier l’odeur. Il se sentait triste pour elle, quelque chose n’allait pas. Elle s’était pressée toute la matinée pour se préparer à un événement qui semblait secret, même aux yeux de son mari, s’était absentée en début d’après-midi et était revenue plus distante que jamais. S’enfermant dans son cabinet, elle avait travaillé dès lors à l’élaboration de lettres que Moky n’avait pu encore lire. Le vieil elfe avait alors vu l’aristocrate raturer plusieurs fois, froisser les parchemins, alors même que d’ordinaire elle semblait trouver si facilement les mots pour plaire. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose avait changé dans le rythme parfaitement millimétré et immuable du manoir Malefoy.

L’elfe transplana en silence dans le cabinet et posa le plateau avec la même discrétion. Trois lettres figuraient sur le bureau, parfaitement cachetées et Moky leva des yeux interrogatifs en direction de sa maîtresse qui hocha la tête.

« Porte ces deux à la volière et celle-ci dans son bureau.

— Oui, Maîtresse. »

Moky laissa le plateau et repartit avec une lettre adressée à Lord Malefoy, une à Draco Malefoy, et une dernière à Lord Black.

***

Lucius arriva à la Rosée de Lune en début de soirée. Le soleil avait déjà disparu derrière les gratte-ciels moldus et quelques badauds faisaient la queue pour espérer avoir une place. Il se présenta devant la porte qui restait désespérément fermée et frappa trois coups, puis un, et enfin un autre. La porte s’ouvrit et il s’engouffra à l’intérieur.

Le long du couloir, il gardait un œil sur sa montre à gousset, voulant se presser avant que Narcissa ne pense qu’il ne rentrerait une nouvelle fois pas à l’heure du repas. Il lui fallait pouvoir la contacter avant qu’elle ne passe à table, l’invitant à le rejoindre pour ce dernier instant.

***

« Je vais voir ce qu’on peut faire à manger, proposa Jane après un moment. Nous allons rester ici pour la nuit, je suppose ? »

Harry s’était rapproché de Luna et avait passé son bras droit autour de ses épaules et regardait lui aussi à travers la fenêtre la nuit s’étendre sous leurs yeux.

« Oui, je viens avec vous. »

Severus se releva et partit en laissant les deux jeunes gens seuls.

« Il a besoin d’encaisser, murmura-t-il inutilement.

— Personne ne peut digérer, ça, Severus. Il n’y a que dans les films que les héros acceptent doctement leur sort. »

Snape s’arrêta un instant dans les escaliers et se retourna. Avec une marche de différence, elle était presque plus grande que lui. Il releva le menton pour planter son regard dans le sien.

« Il l’a déjà accepté, Jane. Il n’a juste pas encore choisi comment mourir. »

Elle cligna des yeux et sentit son ventre se contracter à cette idée. Une vague impression flottant dans son esprit.

« V… tu as fait ton choix ? lui demanda-t-elle, brusquement.

— Et toi, tu es prête ? »

Jane se retourna et lança un pauvre regard en direction de la chambre de Harry, une vague impression de regret, de tristesse et de pitié mélangées.

« Tu m’avais promis un monde magique… » Murmura-t-elle en se retournant vers lui.

Severus se redressa lentement en prenant son visage dans sa main pour l’abaisser à sa hauteur.

« Je t’avais aussi promis de graves dangers. » Ajouta-t-il avant de l’embrasser.

***

Narcissa regarda sans envie la tasse de thé qu’elle venait de se servir. Plus que tout, elle aurait préféré que Lucius ne soit pas au Ministère à cet instant en train de jouer au Noble Jeu. Plus que tout, elle aurait souhaité l’avoir près d’elle, pouvoir lui donner directement cette lettre, en finir au plus vite. Tout lui avouer. Tout lui dire.

Que c’était terminé. Que Draco ne serait jamais un Mangemort. Qu’il fallait à présent le cacher… qu’il fallait espérer que le mage que leur maison avait jadis un jour servi soit enfin détruit. Qu’il fallait espérer survivre jusque-là.

Un bref instant, elle repensa à Snape. À ce qu’il lui avait dit deux heures plus tôt. À ce qu’il lui avait montré également. Comment pouvait-il vivre ainsi, sans craindre de perdre… Cette simple idée lui tira des larmes et elle se sentit plus impuissante que jamais. Elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour protéger sa famille. Elle n’avait plus qu’à attendre.

Le craquement d’une latte derrière la porte de son cabinet la fit frissonner. Son cœur bondit soudain dans sa poitrine. Elle se retourna pour voir que la lumière sous la porte vacillait. Elle sourit, rendant grâce à Merlin d’avoir entendu ses prières muettes. Narcissa replaça sa robe sur ses épaules et marcha rapidement en direction de la porte. Elle inspira profondément, cherchant le courage d’affronter ce qui allait suivre, s’humectant les lèvres qu’elle savait rougir à l’instant même. Elle ferma les yeux, puis les ouvrit, en même temps qu’elle ouvrit la porte pour se jeter au cou de son mari.

***

« Le rouge sera parfait. Je ne veux pas d’autre couleur. Pas même de l’or. Usez de rubis s’il le faut. Le coût n’est pas un frein. »

La petite patronne rousse de la Rosée de Lune roucoula de plaisir.

« Il ne l’est jamais avec vous. »

Lucius hocha la tête et observa la salle entièrement vide où trônaient table et chaises, encadrées de tentures et de voilages, bougies, chandeliers, perles et gemmes de décoration. Il se demanda brièvement s’il avait fait faire pareille table à son épouse pour la demander en mariage, mais ce qu’il avait à lui dire était sans doute bien plus important. Et le rouge, sombre, ne pouvait être que la couleur dominante.

Un œil à sa montre à gousset lui montra qu’il était aux alentours de 21h, et qu’il était temps de demander à Moky si sa femme était prête. Il se dirigea à la cheminée centrale du restaurant et jeta de la poudre dans la cheminée.

« Lord Malefoy pour Lady Malefoy. »

Il attendit avec impatience, jusqu’à ce que Moky ne reparaisse enfin. Le vieil elfe le fixait d’un regard vague et répéta une nouvelle fois :

« Lady Malefoy est indisponible.

— Je t’avais dit de la prévenir ! tonna Lucius qui sentait une sourde colère monter. Où est-elle ?!

— Ici.

— Fais-la mander immédiatement.

— Non. »

Lucius devint soudain aussi écarlate que les tentures et inspira profondément pour tenter de garder un semblant de calme.

« Ose me dire une nouvelle fois « non », et je viendrai te rappeler pourquoi tu te dois de m’appeler « Maître », menaça-t-il d’un ton acide. Où. Est. Ma. FEMME ?!

— Ici, répéta Moky. »

L’elfe marqua un temps, avant d’ajouter d’un ton pâteux :

« Je viendrai te rappeler pourquoi tu te dois de m’appeler Maître. »

Les flammes moururent et le regard de Lucius s’éteignit immédiatement. La pièce tourna autour de lui et Lord Malefoy dut s’agripper au manteau de la cheminée pour ne pas chanceler.

***

« Il nous reste plus qu’à attendre dix minutes, soupira Jane, épuisée. Ne vous fiez pas à l’horloge, elle avance. Il est à peine 19h sur mon smartphone…

— Elle avance de deux heures ! » S’agaça Severus qui la décrocha du mur pour bouger les aiguilles.

Jane l’observa faire, intriguée de l’anachronisme du geste. Ils étaient descendus tous les deux dans la cuisine chercher quelque chose d’encore comestible chez les Dursleys et étaient tombés sur une réserve de conserves et sacs de riz et pâtes secs suffisante pour tenir un siège.

« Quelle importance, finalement ? demanda-t-elle. L’heure est venue pour tout le monde. Ici, le temps s’est arrêté en octobre, là-haut pour Harry le temps sera à jamais…

— Les pendules peuvent se redémarrer, murmura Severus en raccrochant celle de la cuisine. La trotteuse peut reprendre son cours avec la bonne impulsion. »

Il lui jeta un regard entendu, mais elle sembla sourde à son discours. Elle posa la sauce tomate qu’ils avaient bricolée sur la table et haussa les épaules.

« Oui… ‘fin… si on meurt, impulsion ou non, la trotteuse s’arrête.

— Tu as peur de mourir ?

— Tout le monde a peur de mourir ! cria-t-elle presque.

— Non. Lui a peur de mourir. Mais Dumbledore ne craignait pas la mort. Il y a un conte sorcier qui parle de…

— Les trois frères ? coupa Jane. Ne te fatigue pas, je l’ai lu. Ça a fait partie des livres que Minerva a ajouté à ta liste interminable de choses à savoir sur ton monde. Sauf que le dernier frère a accepté la mort, parce qu’il est mort… de vieillesse. Et ça ne semble pas tellement être notre destin, je te signale. J’aurais cru que tu pouvais comprendre ce que je voulais dire.

— Pourquoi ? Parce que tu crois que je suis pareil au deuxième frère ? »

Jane remua les pâtes pour tenter d’éluder la question.

« Même si je te répondais, tu ne me croirais pas, sourit-il en s’approchant d’elle. Le troisième frère accepte la mort non pas parce qu’il est vieux et a bien vécu, mais parce qu’il reconnait qu’elle fait partie de la vie.

— Comment peux-tu dire ça après celle que tu as menée ? Les vies que tu as prises… celles que tu as aimées et que tu as pourtant perdues ! »

Severus lui enleva la cuillère des mains pour qu’elle laisse les pattes enfin en paix et l’observa gravement.

« La mort est l’amie de tout assassin, Jane. La seule vraie maîtresse qui nous suit et nous couve d’un œil maternel… Avant de nous prendre à son tour quand elle n’a plus besoin de nous. On ne peut tuer en ignorant qu’on finira par être tué.

Qui vit par l’épée, périra par l’épée…, récita Jane, d’un air sombre.

— Encore un de tes comics ?

— Non, la Bible.

— Il s’est servi des Horcruxes pour survivre, il périra via l’un d’eux, acquiesça Severus. J’ai vécu en Mangemort, je serai sans doute…

— Je te l’interdis, souffla-t-elle horrifiée.

— Ah ! N’oublie pas que tu es Moldue, Jane… tu n’as hélas aucun pouvoir, pas même celui de m’empêcher de mourir si je dois le faire.

— J’ai déjà pu le faire, rappela-t-elle. J’ai déjà pu te sauver, une fois.

— Tu ne sais pas compter.

— Les pâtes !

— Oui, aussi. »

***

Narcissa referma ses bras autour du cou, son cœur battant la chamade d’appréhension face à la discussion qui allait venir. Elle avança son visage pour embrasser son mari et ses lèvres rencontrèrent une bouche scellée, aux lèvres pincées et dures comme de la pierre. Elle s’écarta vivement, comme baisée par un Détraqueur et regretta immédiatement que ce ne fut pas le cas.

Elle balbutia, incapable de trouver quoi dire. Son cœur battait de façon anarchique, trop rapide, marquant de légers arrêts, lui faisant peu à peu atrocement mal dans la poitrine. Autour d’elle, les couleurs dansaient et se mélangeaient alors que la pièce chavirait au même rythme que ses espoirs. Elle recula d’un pas, puis deux, face à l’intrus dont elle ne pouvait se détourner. Elle se cogna à son bureau, sa tasse de thé cliquetant dans sa petite coupelle, éclaboussant le bois. La gorge sèche, Narcissa rassembla tout son courage et ordonna dans un soupir :

« M… Moky ! »

L’ombre noire écarta un bras pour laisser apparaître le vieil elfe qui avança mécaniquement, les yeux dans le vague. La belle aristocrate frissonna, sentant une sourde panique s’emparer d’elle, tentant néanmoins :

« Lucius… préviens Lucius, qu’il… Qu’il protège… qu’il ne vienne… »

Le Mage Noir étira sa bouche légèrement rosie par le rouge à lèvres de la blonde et siffla avec délectation :

« Moky veillera à ce que ton époux ne nous dérange pas. »

Narcissa sentit ses jambes céder sous leur poids et elle s’effondra à genoux. Il sourit plus largement, s’apprêtant à se moquer d’elle quand il la vit se redresser péniblement, avant de lui lancer un regard digne de celui de sa défunte sœur. Elle était une Black, et même face à Lord Voldemort, les Black ne supplient pas.

***

Lucius sortit en trombe de la salle, bousculant pratiquement la petite tenancière qui lui demanda vaguement si elle avait fait quelque chose de mal. Il entendit sa question comme s’il était appelé au travers d’un épais brouillard. Ses oreilles bourdonnaient, son sang battait violemment à ses tempes, pompé avec frénésie par un cœur qui se savait sur le point de se briser. La phrase prononcée par l’elfe tournait en continu dans sa tête, comme un tourbillon furieux prêt à avaler sa raison tout entière. Un nom monta lentement au milieu de ce maelstrom, œil cyclonique de sa panique. Et, sans s’en rendre compte, il le répéta doucement à voix haute alors qu’il courait dans la rue, faisant se retourner les infortunés qui n’auraient jamais une place à la Rosée de Lune.

« Narcissa, Narcissa… Narcissa ! »

Il bifurqua à la première ruelle puante qu’il trouvât, et, sans même vérifier qu’il n’avait été vu de personne, il transplana immédiatement au manoir Malefoy. Narcissa était avec Lui.

***

Elle retomba au sol, ses cheveux blonds tenus fermement par la main arachnéenne, alors qu’il relâchait le sortilège. Jamais elle n’avait ressenti la morsure du Doloris et elle pensa brièvement à toutes les victimes des atroces tortures dont elle avait entendu parler et dont sa sœur avait été accusée. Pendant une poignée de minutes qui lui parut être un calvaire éternel, Narcissa avait oscillé entre d’horribles regrets à propos de sa décision et une détermination croissante face à l’impérieuse nécessité d’arrêter ce fou.

La respiration rendue sifflante à cause de l’Impardonnable, elle fixa le tapis de sol qu’elle avait fait spécialement faire en Syrie après qu’ils aient reçu un prince du pays qui l’avait ravie. Elle repensa à cette magnifique soirée mondaine qui avait manqué de terminer dramatiquement. Alors qu’elle revoyait sous ses yeux un jeune Severus en proie à des convulsions sur son canapé à cause de ce même sort, elle entendit nettement Voldemort se servir un thé d’une autre main et le boire sans autre forme de procès.

« Pardonne-moi de ne pas m’être annoncé, Lady Malefoy. Mais je voulais être certain que ton mari ne serait pas là pour nous interrompre… Et puis, je crois que toi et moi avons beaucoup de choses à nous raconter. »

Narcissa ferma les yeux, les épaules tremblantes et attendant ce qui allait inévitablement suivre, se replongeant dans ce vieux souvenir, cette nuit où Lucius avait ramené chez eux une jeune recrue qui avait déplu à leur Maître. Cette nuit où elle avait pensé que Snape avait dû faire quelque chose de terrible pour recevoir une telle punition. Cette nuit où elle n’avait alors pas compris ce qu’être Mangemort impliquait. Ce qu’être Mangemort demanderait à son fils. Cette nuit qui avait fini par la hanter à mesure qu’elle voyait Draco grandir…

« Je viens tôt, poursuivit Voldemort, pour échanger quelques confidences avec toi… Ou plutôt, que tu m’en fasses. Veux-tu du thé, très chère ? »

Elle se risqua à l’observer à travers les mèches blondes qui lui barraient le regard et il partit à rire. Un rire glacial qui lui rappela celui de sa sœur. Elle eut une vague de haine intense à son égard, mêlée d’une pitié incroyable. Que ne s’était-elle pas à attachée à un monstre, en fin de compte… ?

« Ah… Bellatrix…, murmura Voldemort en lisant dans son esprit. La plus fidèle de mes serviteurs. La plus compétente. La seule n’ayant voulu que la réalisation de mon noble projet. Bellatrix qui m’a été enlevée à cause de ce traitre de Severus. Et qui me trahit par-delà la tombe. À travers toi, son propre sang. »

Il resserra sa prise et tordit la tête de sa captive en arrière pour qu’elle le regarde bien. Il porta à ses lèvres la tasse de thé, avant de se raviser et d’en verser lentement le contenu sur son visage. Narcissa ferma les yeux tandis que le thé chaud nettoyait ses larmes et emplissait ses narines. Elle crachotait, toussa, mais continua de refuser de montrer le moindre signe de faiblesse.

« Il n’a pas supplié. » Avait dit Lucius en explication ce soir-là, se souvint-elle. « Il est fier et orgueilleux, alors il n’a pas supplié. Au début ça a amusé le Seigneur des Ténèbres qui voulait voir jusqu’où il pouvait tenir… puis ça l’a profondément mis en colère. Et il a essayé de le briser.

Il est mourant, avait-elle alors chuchoté, interloquée de la bêtise manifeste de Snape.

Il a tenu plus longtemps que quiconque, avait répondu Lucius. Il a gagné son droit parmi nous. Et le respect de notre Maître…

C’était un pari risqué.

Cela n’avait rien d’un pari, c’est une question de fierté. »

Quand elle rouvrit les yeux avec détermination, Voldemort l’observait avec curiosité et elle sentit sa magie voler avidement ce souvenir. Il ricana et jeta la tasse au feu.

« Tu ne tiendras pas aussi longtemps que lui, tu peux me croire… Et j’ai besoin que tu répondes à ma question. Après, je te le promets, tu pourras me montrer quand ta voix se brisera. Maintenant, dis-moi. Où sont la coupe et le journal ?! »

Narcissa voulut détourner les yeux, mais la main de Voldemort attrapa ses joues et les enserra comme des griffes qui l’obligèrent à le regarder. Elle ferma immédiatement les yeux et tenta de penser à toute autre chose.

« Ouvre-les ou je t’arrache les paupières. »

La menace, mélangée au sortilège d’Imperium qu’elle sentit appuyer brutalement sur son esprit la fit obtempérer, et Voldemort s’empara alors de son âme.

***

Jane passa ses mains autour du cou de Severus et l’embrassa soudain passionnément. Il fronça les sourcils un bref instant, s’apprêtant à répliquer qu’il fallait appeler les petits pour passer à table, mais la façon dont elle se pressa contre lui et l’urgence de leur situation le convainquirent de poser ses mains sous ses fesses pour la faire asseoir sur l’évier. Tant pis pour les pâtes, il apprendrait à se servir d’un micro-ondes. Jane verrouilla ses jambes autour de ses hanches et se rehaussa à la hauteur de son bassin qui répondit par automatisme. Severus posa une main sur ses reins et une autre sur sa nuque, la poussant à se cambrer contre lui, leur tirant un soupir à tous deux.

« Je sais que c’est pas le moment, souffla-t-elle entre deux baisers. Que les gosses peuvent débarquer à tout instant, mais…

— Mais il n’y en aura pas d’autre et tu meures d’envie que je te… »

Un bruit mat, suivi d’une série de pas précipités dans les escaliers le coupa dans sa phrase. Severus s’arracha brutalement à leur étreinte et sortit en trombes de la cuisine, la baguette tirée.

« HARRY ?! hurla-t-il

— Professeur ! apparu soudain Harry essoufflé. Il se passe quelque chose. Il est en train de faire quelque chose de terrible, je crois.

— Où est Luna ? s’inquiéta Jane qui sauta de l’évier aussitôt.

— Tout va bien, répondit la jeune fille. Nous n’avons rien. Harry me racontait juste l’histoire des barreaux quand il a commencé à mélanger notre conversation et celle qu’il tenait avec une autre femme.

— Harry parlait… ?

— Non, coupa Harry. Non, je crois qu’Il a compris pour Malefoy. Je crois qu’Il est…

— Qu’avez-vous vu ?

— Bellatrix, la coupe, je vous ai vu, vous aussi… Vous étiez jeune et en train de… Attendez.

— Harry ?

— Attendez. Il… »

Son regard se fit lointain tandis qu’un sourire de plaisir illumina son visage. Jane et Severus froncèrent les sourcils alors que Luna pâlit brusquement, lui ayant déjà vu cette expression.

« Ne va pas trop loin ! lui cria-t-elle.

— C’est si… si bon. » Roucoula Harry en leur tirant un horrible frisson de dégoût.

***

Narcissa repensa au prince syrien qui l’avait fait danser toute la nuit. La beauté de son visage, la grâce de ses gestes. Elle n’avait jamais aimé d’autre homme que Lucius et pourtant, ce soir-là, elle avait nourri un fugace et pourtant intense désir à l’égard d’un autre. Et ce qui avait été un moment unique s’était transformé en horrible soirée à panser les plaies d’un jeune adulte qui avait vomi de douleur sur son canapé. Le nez contre le tapis d’Orient, sentant avec précision les odeurs de bougie, d’encens, de bile et de sang, elle repensa à cette soirée qui semblait symboliser à cet instant sa vie. Une merveilleuse soirée dans les bras d’un homme magnifique, se soldant par un intense cauchemars dont elle ne pouvait s’extirper. Mais Severus avait fini par se relever et quitter le manoir en vie, et elle avait retrouvé les bras aimant de son mari. Alors que cette nuit… elle tourna la tête, reposant son front contre le sol, tandis que des larmes d’infinie tristesse se mêlaient à celles de douleur. Depuis quand était-elle là, d’ailleurs ?

Voldemort était penché au-dessus d’elle, essoufflé. De la sueur perlait sur son front tandis qu’il relevait sa baguette. Fouiller l’esprit de sa captive, la torturer, et maintenir son emprise sur l’elfe l’épuisait. Mais il sentait une profonde libération venir, celle d’une tension sourde qui l’avait habité depuis l’attaque du Ministère et que sa victoire sur Poudlard n’avait pu totalement l’en délivrer. Le soleil avait enfin disparu et il ne lui restait plus beaucoup de temps pour son œuvre. À ses pieds, Narcissa rampait, la voix brisée d’avoir tant hurlé. Elle ne semblait pas s’en rendre compte, mais elle parlait d’une voix aphone, qu’aucune oreille ne pouvait à présent entendre. Elle n’avait pas supplié, elle s’était débattue, furieusement, intellectuellement, physiquement. Et à présent, son corps et son esprit meurtris se raccrochaient tant bien que mal aux bords de ce ridicule tapis bleu nuit qu’elle avait souillé de son agonie.

Narcissa avança la main en direction de la porte quand elle entendit la voix de Lucius et de Moky et elle supplia. Elle supplia. Mais elle le supplia lui. Voldemort sentit la colère exploser et agita brutalement la baguette, un désagréable sentiment d’échec chevillé à l’âme.

***

Harry cligna des yeux, et l’instant d’après regarda Severus gravement. Jane avança d’un pas, mais Luna lui fit signe de ne pas bouger, elle pressa la main de son ami et attendit avec patience qu’il s’explique.

Le jeune homme tira une des chaises de la cuisine où il avait eu l’habitude enfant de servir le repas. Il jeta un pauvre regard au dîner qui avait été fait notamment pour lui et soupira de lassitude.

« Poudlard. Il retourne à Poudlard.

— … Quand ? Pour y faire quoi ?!

— Je ne sais pas vraiment. J’ai vu le visage de Draco. J’ai vu celui de Ron. Je n’en sais pas plus.

— Weasley est en vie ? demanda brutalement Snape en se penchant vers lui. Vous en êtes certain ?

— Oui. Je l’ai vu aller à Poudlard avec lui. À ses côtés.

— Impossible, marmonna Jane. Il ne pouvait être chez les Malefoys à un instant et celui d’après marcher sur Poudlard. Et, du reste, Ron ne trahirait jamais.

— Non, je sais. Il fait ça pour m’attirer à Poudlard.

— Alors, c’est la fin… ? murmura Jane. Tout se joue effectivement dans cette école dont il est le dernier héritier en vie… »

Elle baissa les yeux et Severus secoua la tête lentement.

« Vous n’êtes pas responsable de l’erreur de Dumbledore, Miss. » Lui rappela-t-il en remettant les formes.

« Il aurait de toute façon choisi Poudlard, expliqua Harry. C’était sa seule maison, le seul endroit où il n’ait jamais échoué. Qu’il use des défenses de Poudlard ou non ne changera pas grand-chose. Il ne nous reste plus que Nagini, et… moi.

— Quand veux-tu qu’on parte ? demanda Luna en regardant l’heure sur la pendule.

— Est-ce au moins imminent son attaque ? N’a-t-il pas l’intention de…

— Demain, à l’aube, sans doute ? Après avoir laissé le temps à Malefoy de réaliser ce qu’il se passe. Je crois…

— Mais…, balbutia Jane. Que s’est-il passé ? »

***

Lucius apparut aux grilles du manoir Malefoy et un instant se demanda si tout ceci n’était pas un piège destiné à l’attirer chez lui dans le but de tester sa loyauté. Mais les poils dressés sur sa nuque et la douleur croissante de sa marque ne laissaient planer aucun doute. Il se passait quelque chose et il pensait ne plus avoir beaucoup de temps l’en empêcher.

Il leva sa baguette et traversa directement les grilles qui s’effacèrent à son passage comme des fumées. Les yeux rivés sur l’immense manoir dont seule une fenêtre projetait de la lumière, il courait à vive allure en maudissant l’orgueilleuse allée de la demeure. Ils étaient dans l’aile ouest, à l’étage, probablement au cabinet privé de Narcissa. Pourquoi son épouse avait eu besoin de s’y rendre était un mystère que son esprit dopé par l’adrénaline laissa flotter un bref instant, net, au-dessus de toutes considérations : la coupe. Voldemort était venu pour la coupe.

Il monta quatre à quatre les marches du perron, hurlant à pleins poumons le nom de son elfe, un mince espoir encore attaché au cœur. Le crépitement d’un feu dans la cuisine l’attira et il s’y engouffra, trouvant Moky face aux flames, le regard rivé au brasier mourant.

« OÙ EST-ELLE ?! » Hurla Malefoy.

L’elfe releva lentement la tête en direction du plafond et il vit clairement les yeux globuleux éteints derrière un voile laiteux. Il avait lui-même suffisamment lancé l’Imperium pour le reconnaître, et leva les yeux à son tour, confirmant sa première impression : le cabinet. Il se retourna, prêt à monter les marches quand l’elfe se mit à rire. Un rire que Lucius avait entendu ailleurs, dans d’autres circonstances, d’une autre bouche.

Il paniqua et bondit sur les escaliers, les grimpants à vive allure, murmurant le prénom de sa femme sans relâche. Il passa le couloir, les deux portes de leur bibliothèque et de son propre bureau et ouvrit à la volée la porte du petit cabinet bleu. Il étouffa un cri d’effroi, sa main se plaquant sur sa bouche et son nez alors que l’horrible odeur de chair brûlée, de sang, d’urine, de sueur et de bile ne s’imprima durablement dans sa mémoire olfactive.

Chancelant, il s’approcha lentement, les yeux incapables de voir clairement derrière le rideau de larmes qui noyait la scène macabre. Il murmura, incertain. Il appela, suppliant. Voldemort était parti. Et il était parti depuis longtemps.

« Non… Non, non, non, NON ! NON ! »

Lucius tomba à genoux sur le beau tapi d’Orient, ses doigts cherchant instinctivement ceux calcinés de son épouse, s’entremêlant lentement, la chaire crissant sous la sienne. Il la souleva avec délicatesse, prenant le cadavre dans ses bras, la tête reposant contre sa poitrine. Il abaissa son visage vers le masque mortuaire le plus douloureux et difficile à supporter qu’il eût à reconnaître. Derrière ses larmes, les yeux de sa femme l’observaient encore de leur éclat qu’il aimait tant, ses lèvres pleines l’appelaient dans un sourire mutin auquel il ne pouvait jamais résister. Derrière ses larmes, son visage était celui de sa magnifique épouse. Derrière ses larmes, il pouvait fuir cette horrible réalité.

Lucius abaissa son visage et posa sa bouche contre les dents mises à nues de sa femme et l’embrassa tendrement, goûtant pour la première fois de sa vie à la plus grande des pauvretés. Il était vendredi 21h30, et le temps, pour lui, s’arrêta à jamais.

« Narcissa… »