Ses frères l’avaient planté dès l’entrée du train. Même s’il s’en doutait, il ne pouvait nier que ça lui avait fait légèrement mal au cœur. Rêver d’être à ce jour n’enlevait rien à l’angoisse qu’il pouvait générer et là, à traîner son rat de compartiment en compartiment, il sentait peu à peu la solitude l’étreindre. Et si là aussi il continuait d’être invisible ? Finalement, il poussa la porte d’un qui semblait occupé uniquement par un petit garçon malingre et blafard aux cheveux en bataille et aux lunettes cassées. Il avait l’air plus misérable et déplacé que lui avec ses vêtements trop grands et son regard perdu vers le paysage, cela le rassura quelque peu et il trouva le courage de grimacer :

« Désolé, je peux venir ? Tous les autres compartiments sont pleins, alors…

— Oui, bien sûr ! » S’enthousiasma le garçon en lui désignant de la main le siège d’en face.

Il prit donc place avec soulagement et débita d’une traite ce qu’il pensait être la présentation la plus adulte qu’il eut trouvée :

« Hey, j’suis Ron, Ron Weasley, au passage.

— Harry, Harry Potter. » Lui répondit l’autre enfant tout sourire.

Le roux ouvrit de grands yeux et siffla d’admiration, incrédule face à sa chance. Alors c’était donc vrai, Harry Potter allait bien étudier à Poudlard et c’était même lui qui le rencontrait le premier ! Il lui posa mille questions sur sa cicatrice, ce qu’il savait de la mort de ses parents, sur ce que ça faisait d’être célèbre et fut étrangement déçu et rassuré de voir qu’Harry était un enfant somme toute plutôt banal, ne semblait pas meilleur que lui ou plus à l’aise à l’idée de passer les portes de l’école. Leur rencontre se déroulait même extrêmement bien jusqu’à ce que la dame au chariot ne passe leur proposer d’acheter des friandises, Ron grommela qu’il avait déjà de quoi manger en montrant ostensiblement les sandwichs faits par sa mère, et il tourna la tête en direction de la fenêtre pour cacher son embarra. Il n’avait pas envie qu’Harry ne comprenne sa gêne. Il lui paraissait évident qu’Harry Potter n’avait pas une mère qui lui ferait des sandwichs à la viande au lieu de lui donner quelques sous comme tous les autres pour profiter des délices du chariot. S’il avait été plus âgé, il aurait sans doute eu de la peine pour ce jeune Harry qui n’avait tout simplement plus de maman, mais le Ron de 11 ans ne pensa pas un instant à cela, et, quand le brun sortit de sa poche une poignée de pièces dorées et argentées en décrétant qu’il prendrait de tout, il sentit le rouge lui monter aux joues. Tout ridicule qu’il soit avec ses lunettes pétées et son vieux sweat délavé, Harry Potter restait « Le Garçon qui a survécu » et semblait être « Le Garçon qui n’aurait jamais de problème d’argent ». Le pincement de jalousie qui l’étreignit fut le premier d’une longue série, et Ron se surprit à se rendre compte d’à quel point il avait toujours été envieux vis-à-vis de son ami.

« Qui ne le serait pas ? » Lui demanda une voix glaciale à ses côtés.

Ron fit un bond sur son siège et glapit en se rendant compte qu’assis juste à la droite de Harry se trouvait Lord Voldemort qui le scrutait de ses yeux rougeoyants. Le jeune Harry ne semblait pas remarquer la présence du meurtrier de ses parents et continuait de lui parler avec émerveillement de ce que les sucreries lui procuraient comme sensations. Ron, de son côté, comprit que quelque chose n’allait pas. Ça n’était pas comme ça que s’était passée sa rencontre : il s’en serait souvenu si le Mage Noir avait été présent.

« Foutez le camp d’ici ! » Cria un Ron dont la voix d’adulte tranchait avec son corps d’élève de 11 ans. « Sortez de ce souvenir !

— À ta guise… »

Le décor ne changea guère, la nuit était seulement tombée et Harry et Ron étaient assis au milieu d’une pile de papiers et boîtes de bonbons, ils venaient d’être interrompus par trois silhouettes engouffrées dans le compartiment. Ron sentit son ventre se contracter en se remémorant cet autre moment et fut une nouvelle fois surpris de ses pensées « quelle journée de merde ! ». Draco Malefoy souriait méchamment de son petit air d’enfant gâté à un Ron dont les taches de rousseur disparaissaient sous l’effet de la colère.

« Mon nom te fait rire ? Inutile de me donner le tien… mon père m’a dit que tous les Weasley avaient les cheveux roux, des taches de rousseurs… et beaucoup trop d’enfants pour pouvoir les nourrir. Tu ferais bien de prendre garde à qui tu t’allies, Potter, si tu veux éviter les gens décevants, je peux te donner des conseils. »

Le petit Malefoy tendit une main impérieuse à un petit Harry qui le regardait très froidement. Ron se souvint avec précision de la peur et de la honte qu’il avait ressenti à ce moment-là. Cette question l’avait obsédé depuis leur rencontre : et si Harry avait serré cette main… ? Harry aurait-il seulement pu le faire… ? Harry, le Harry qui leur avait expliqué vouloir partir seul dans le labyrinthe, le Harry qui semblait savoir des choses sur Malefoy, aurait-il pu… ?

« Draco et Harry avaient beaucoup plus en commun, que toi et lui. Tous deux fils de Lord, tous deux riches, tous deux promis à de grandes choses… Tu as dû craindre longtemps qu’ils ne puissent être finalement bons amis, non… ? »

***

Draco leva les yeux au ciel en maugréant pour la quatrième fois.

« C’est juste un chat, Londubat… laisse-le…

— Personne ne t’oblige à nous suivre. Et toi, attends-moi ! »

Neville arriva à la hauteur de Merlin et s’attendait à ce que le chat reparte, mais ce dernier ne bougea pas.

« Quoi ?! lui cria presque dessus Draco d’un air excédé. C’est moi l’Élu de ta minable escapade, c’est ça ?

— Chuuut, arrête de piailler et d’être désagréable avec lui, il ne t’a rien fait. Mais, dis-moi le chat, qu’est-ce que tu attends comme ça ? Tu veux vraiment qu’il nous colle au train ? »

Merlin ne répondit pas et Neville fronça les sourcils.

« Monte les marches, pour voir.

— C’est ridicule…

— Mrreow. »

Merlin se remit à trottiner, la queue haute, amplement satisfait. Les deux Sorciers s’observèrent un bref instant, légèrement ahuris avant de le suivre sagement. Il leur sembla que l’animal leur fit traverser tout Poudlard. Ils empruntèrent plus de quatre escaliers, passèrent un nombre incalculable de coins, franchirent diverses portes, avant de traverser une tenture vaguement tirée sur une arche au moment même où l’horloge de la grande porte signala l’heure du repas. Le château trembla soudain et un bourdonnement s’éleva jusque dans les tours. Poudlard frissonna comme une fourmilière vibrant sous les petites pattes de ses occupants, les élèves marchaient en rangs serrés, d’un pas quasi unique de petits soldats en formation. Là où quelques semaines auparavant on aurait entendu une cacophonie de rires et de discussions ne montaient que quelques murmures et le bruit de bottes qui martelaient avec discipline les dalles du château. À l’heure et bien alignés pour le repas, les élèves de Poudlard rejoignaient la Grande Salle.  Derrière leur tenture, Merlin semblait tendre l’oreille et attendre la fin du vacarme. Quand les couloirs redevinrent silencieux, il passa la tête à l’angle comme pour s’assurer que personne ne les verrait, moustaches frémissantes, avant de reprendre la route d’un pas rapide et guilleret.

« Ca suffit, ils vont se poser des questions s’ils ne nous voient pas au repas.

— Je suis souvent absent, Mme Pince n’hésite pas à nous couvrir, s’il le faut. Je pense qu’elle a horreur de…

— Toi, on s’en fiche, Londubat, je te parle de mes autres camarades, grinça Draco en mettant l’emphase sur le dernier mot.

— Tu ne rates jamais un repas ?

— Je préfère éviter qu’on s’intéresse à moi.

— Eh bien tu devras trouver une excuse, parce que même si tu y vas maintenant, ton retard sera suspect. Tu ne veux pas savoir ce que ce chat cherche à nous faire faire ?

— Je… C’est stupide comme raisonnement, et la curiosité est une caractéristique de…

— De quoi ? Les dragons, l’Armée d’Ombrage… Tu as toujours été curieux, Malefoy, alors prends garde à ce que tu vas dire. » Se moqua Neville en fronçant les sourcils devant la direction que prenait Merlin. « Pourquoi tu nous amènes aux jardins de… oh. »

Neville avait entendu parler de ces jardins et de leur occupante principale. Il hésita presque à s’incliner en ayant la désagréable impression de déranger. Devant eux se tenait, flottant, le fantôme d’Helena Serdaigle qui leur faisait dos, semblant converser avec on ne sait qui. Quand ils arrivèrent, elle se retourna lentement et les observa en silence. Si Neville se semblait soudainement humble, Draco, lui, avait l’air perdu. Il ressemblait à un petit garçon pris en faute et il baissa la tête, dans une posture de respect que Neville ne lui avait jamais vu.

« Tu as été plus rapide que la dernière fois, jeune Merlin, s’amusa l’ectoplasme de sa voix éthérée.

— Vous nous attendiez… ? se risqua Draco en retrouvant sa voix.

— Non. Pas moi. »

Elle glissa devant lui et disparut dans un mur sans une autre parole. Draco et Neville eurent l’impression d’avoir raté une épreuve et ils se fusillèrent du regard, s’accusant pratiquement muettement.

« Qu’est-ce qui t’a pris de l’ouvrir ? Tu ne sais donc pas qui c’était ?! s’emporta Neville.

— Helena Serdaigle, la fille de Rowena Serdaigle. Son esprit, du moins. Quoi ? ajouta Draco d’un ton hautain. Tu crois que vous êtes les seuls à connaître Poudlard ? Je te signale que le Baron Sanglant est le fantôme de ma maison.

— Je ne vois pas le rapport…

— Ah ? Alors, c’est que tu ferais bien de perdre ce ton méprisant avec moi à son sujet. Essayons plutôt de trouver ce chat, nous ne sommes pas ici par hasard.

— Peut-être qu’il faudra reprendre demain, autrement, sans poser des questions stupides, grinça Neville.

— Il n’y a pas de question stupide pour la maison Serdaigle. Qu’est-ce qu’on fait ici ? » continua Draco en regardant autour de lui.

Mais les jardins étaient aussi calmes que d’ordinaire, bien qu’il ignorât cela. L’eau de la fontaine et la lueur magique produisaient un effet apaisant qui lui firent le plus grand bien. Il se surprit à avoir envie de s’asseoir et de caler son dos contre le gros arbre qui était étrangement décoré. Il allait se laisser à son désir de paix quand il remarqua le cadre de peinture vide qui était accroché à un mur. Draco ferma les yeux et tenta de se remémorer la scène de leur arrivée.

« Elle parlait au cadre, murmura-t-il.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— La Dame Grise parlait à ce qu’il y a dans le cadre. D’ailleurs, pourquoi y a-t-il un cadre ici ? C’est le seul, non ? »

Il n’attendit pas la réponse de Neville et regarda aux alentours. Les murs étaient uniquement décorés de torches ou bien habillés de tentures.

« Ce n’est pas elle qui nous attendait… répéta-t-il.

— Tu penses qu’il y a quelque chose de caché, ici ?

— Non, c’est quelque chose sous nos yeux, forcément. C’est Helena Serdaigle, forcément…

— Tu as l’air de bien connaître Serdaigle… s’intrigua le Gryffondor un instant.

Hum hum, répondit Draco vaguement en continuant de chercher autour de l’arbre et de la fontaine. J’ai beaucoup appris depuis mon arrivée ici, je voulais comprendre.

— Comprendre quoi ?

— Je suis un choixpeauflou.

Quoi ?!

— Ah ? Ça ne m’étonne pas le moins du monde, Monsieur Londubat. »

Le rire dans la voix les fit tressaillir. Draco ouvrit la bouche en observant Neville qui semblait durablement ému. Ils se retournèrent très lentement, comme craignant que leur esprit ne leur joue un tour.

« Ressaisissez-vous, Messieurs ! On dirait que vous avez vu un mort… »

***

« Lord Malefoy, pardonnez mon intrusion, mais une journaliste de la Gazette du Sorcier et une journaliste du Veritascriptum souhaitent s’entretenir avec vous à propos de l’attaque. »

Lucius leva des yeux fatigués vers Narcissa qui fixait toujours le feu avec détermination.

« ‘Cissa, ne dis plus rien à ce sujet, je t’en conjure. Nous en reparlerons quand je saurai…

— Monsieur… ? répéta l’elfe, craintif. Qu’est-ce que je dois… ?

— J’AI ENTENDU ! Fais-les patienter dans le jardin d’intérieur, et prépare un repas pour nous tous. Je vais les recevoir quand je serai prêt. Mon amour, ajouta-t-il à l’attention de sa femme, est-ce que tu m’as compris ?

— Oui, répondit-elle froidement. Pas un mot tant que tu n’as pas trouvé de solution. »

Cela sembla satisfaire Lucius qui hocha la tête comme pour sceller lui-même ce pacte, et il se leva pour se préparer à ce qui allait être une interview délicate. Il avait déjà imaginé ce qu’il dirait aux gratte-papiers, mais ce qu’il venait d’apprendre l’avait pour l’heure trop déboussolé pour qu’il ne puisse s’y présenter immédiatement. Il devait reprendre contenance, se glisser à nouveau dans son costume de Lord. Il changea pour ce faire de vêtements, signifiant physiquement qu’il n’était plus le père désespéré, mais bien le Ministre de la Justice qui venait d’échapper à un terrible attentat. Quoi qu’il advienne, il ne devait pas se laisser distraire de son objectif, surtout pas maintenant que la vie de Draco était en jeu.

Restée seule dans le salon, Narcissa passa beaucoup de temps à fixer les flammes, réfléchissant intensément aux options qui s’offraient à eux. Les ambitions de Lucius les mettaient en danger, c’était un risque qu’ils avaient tous deux accepté de prendre. Leur récente découverte des Horcruxes et de la perte de l’un d’entre eux par la faute de son mari avait irrémédiablement signé leur arrêt de mort. Si le Seigneur des Ténèbres l’apprenait, ils seraient exécutés. Ou pire : seul leur fils le serait en représailles. Draco était dans tous les cas en grave danger et l’évidence la frappa une nouvelle fois, comme quelques secondes auparavant, il fallait faire un choix.

Elle se leva lentement, lissant sa robe avec soin et passa sur ses épaules un châle pour se réchauffer. Elle rajusta sa coiffure comme si elle devait rejoindre son mari pour son interview et se dirigea avec calme dans le bureau de Lucius. Elle n’y entrait jamais. Non pas qu’il le lui ait interdit, mais de la même manière qu’il n’allait pas dans son boudoir, elle n’allait pas dans son bureau. Mais elle savait ce qu’elle y trouverait, Lucius n’avait aucun secret pour elle. Ce qu’il ne lui disait pas, elle le devinait. Ce qu’il faisait loin de ses yeux, elle finissait par le comprendre. D’une façon ou d’une autre, Narcissa connaissait tout de la vie et des aspirations de son mari. Elle était l’épouse discrète et dévouée à sa maison, elle était par conséquent celle qui savait le mieux comment elle tenait. Passant la porte, elle apprécia un instant l’odeur caractéristique de son mari qui y flottait. Un savant mélange de parfum d’ambre caramélisé et de l’odeur légère du Whisky-pur-Feu. Le foyer dans l’âtre dégageait légèrement des notes de bois chauffé et les monceaux de parchemins et encres laissaient flotter dans l’air des fragrances fraîches et un peu acidulées. Elle aimait cette odeur qu’elle sentait avec plus ou moins de force sur Lucius, chaque touche se faisant plus intense selon l’activité qu’il avait faite avant. Cela l’apaisa instantanément. Elle se sentit immédiatement en confiance et se dirigea naturellement vers l’immense bureau de noyer qui se dressait devant une vaste bibliothèque. Il n’y avait aucune fenêtre dans le bureau de Lucius, rien qui ne permettait de voir depuis l’extérieur ce qu’il y faisait, ou gardait. Le sens de la sécurité de son mari allait si loin que Narcissa savait qu’il était inutile de formuler un quelconque Accio pour avoir l’information dont elle avait besoin. Mais elle savait se montrer patiente. L’entretien de Lucius durerait tout l’après-midi. Elle ne serait pas conviée au repas qu’ils feraient ensemble, devrait certainement faire une apparition pour l’heure du thé, en épouse soulagée de voir son mari en vie, et soudée dans cette épreuve difficile.

Dans un coin de sa tête, elle commença à réfléchir à la tenue qu’elle devrait porter, à l’attitude qu’elle présenterait alors aux deux journalistes. Avec ses mains, elle se mit à ouvrir et à fouiller le bureau pour trouver ce pourquoi elle était venue. Ils étaient dans une impasse, il ne leur restait donc plus que ce choix.

***

« Je n’ai pas choisi d’être orphelin ! Je n’ai pas choisi d’être champion de Poudlard ! Je n’ai pas choisi d’être riche ! Je n’ai pas choisi d’être dans l’équipe de Quidditch ! Tu veux ma place, Ron ? Prends-la ! Et prends ce qu’il y a avec ! Toi aussi sois poursuivi par un fou qui veut te tuer depuis que tu es bébé ! Toi aussi renonce à toute ta famille et sois enfermé dans un placard toute ton enfance parce que ta famille d’adoption te hait. Toi aussi passes ton temps à être épié et scruté dans tes moindres faits et gestes, à ne pouvoir avoir de vie privée, à ne pouvoir être librement toi-même, uniquement une image, un symbole que tout le monde porte aux nues ou rejette l’instant d’après. Je n’ai pas choisi d’être Harry Potter !! Alors, arrête avec ta jalousie maintenant !

— Mais il aurait pu choisir de t’aider toi et ta famille financièrement, de s’effacer de temps en temps pour te faire un peu de place… de te rendre hommage lorsque que tu as très largement contribué à son succès…

— Je sais ce que vous essayez de faire, et vous perdez votre temps. Je ne trahirai pas Harry. Vous aurez plus vite fait de me tuer.

— Ca n’aurait plus aucune utilité. Et je crois que tu es au contraire très utile. Harry a su choisir ses amis. La Sang-de-Bourbe pour son intelligence et toi… eh bien toi, je crois que tu es le roc sur lequel il a besoin de s’appuyer, Ronald Weasley. Je crois que tu es la raison pour laquelle Harry parvient à être Potter depuis tout ce temps.

— N’importe quoi ! Harry n’a pas besoin de moi. Nous sommes amis, et après ?! Je ne suis pas à ses côtés, que je sache, c’est bien la preuve que je lui suis dispensable, non ?!

— Serait-ce de la colère que j’entends-là… ? »

Ron ferma la bouche, reportant son attention sur sa main de métal et pensant à Harry avec toute l’affection qu’il pouvait avoir à cet instant. Il tenait à s’éloigner de ses idées revanchardes que Voldemort attisait avec ardeur depuis quelques heures. Il savait pertinemment qu’il ne pouvait le vaincre sur le terrain de la Légimancie, il n’avait pour lui que les quelques bribes qu’il avait entendues de la part de Snape quand ce dernier reprenait Harry en public à ce sujet. En d’autres termes, il ne savait pas grand-chose pour se protéger, si ce n’est qu’il fallait dominer ses émotions. Chose que Ron n’avait jamais eu à apprendre à faire. Voldemort le scrutait avec patience, semblant attendre le dénouement naturel des choses.

« Personne n’a dit que tu étais dispensable, Ronald Weasley. Et je suis certain que Harry ne le pense pas un seul instant. »

La voix de Voldemort était douce, réconfortante. Comme celle d’un ami ou d’un thérapeute qui ne cherchait qu’à aider. Un souvenir douloureux s’imposa à Ron et le poussa à relever la tête de défi. Il comprit trop tard son erreur quand le décor dans lequel le Ron et le Harry d’hier se disputaient s’effaça. À la place, de grandes haies vertes entouraient Harry, Ron et Hermione, le bruit d’un ruisseau coupait le silence pesant qui semblait s’être installé entre eux.

« N’y pense même pas.

« Je n’ai pas l’intention de vous laisser tomber.

— Mais tu aimerais…

— Ron… Le jeu est fait comme ça.

— Le jeu ? C’est un jeu pour toi ? J’aurais pu mourir et c’est un jeu pour toi ?! Qu’est-ce qui te prend ? Harry Potter veut prouver qu’il aurait pu remporter le Tournois des Trois Sorciers, c’est ça ? Et c’est quoi la suite ? Tu sautes par-dessus la rivière et tu nous laisses, tu…

— CA SUFFIT ! » Hurla le Ron du présent en plaquant tour à tour ses mains sur ses yeux et ses oreilles.

Voldemort sembla réprimer un léger rire et la scène s’accéléra tant que les couleurs s’effacèrent pour ne laisser que de la lumière, jusqu’à ce que tout s’arrête à un instant précis, un peu plus loin dans cette fameuse journée.

« Personne n’est blessé ?

— Parce que tu t’y…

— TAISEZ-VOUS ! Monsieur Weasley, nous nous passerons de vos commentaires. Non, Monsieur Potter, tout le monde va bien, soyez rassuré. Tout le monde a été soigné, si c’est votre question.

— C’était donc réel…

— Oui, buvez ceci. »

L’homme en noir lui tendit une potion qui puait le soufre, et Harry la prit sans hésitation. Quand il termina de la boire, il regarda Snape avec une certaine inquiétude, et l’espion lui répondit, comme s’il lisait dans son esprit :

« Oui, cela aurait été plus sage de vérifier que c’était bien moi. Mais trêve de paranoïa, je vous ai poussé loin cette fois. Et vous m’avez donné plus que vous n’en avez jamais été capable. »

Il avait murmuré la dernière phrase de telle sorte que seul Harry entende. L’Attrapeur se releva, chancelant, et garda les yeux au sol, incapable de regarder ses amis en face.

« Est-ce que vous avez retrouvé vos esprits, tous ? Bien. Comme certains l’ont compris, ce labyrinthe était un piège mental. Les murs n’étaient que vos projections, et oui, Miss Granger, oui, se regrouper faisait bien entrer en collision vos imaginaires, et ne faisaient que rendre la zone plus dangereuse.

— Genre, c’est pour nous sauver que tu es parti… Hein ? demanda Ron avec venin.

— J’ai pensé à ça, mais j’ai pensé aussi à ce que moi je… Enfin, merde, sois pas con pour une fois, j’ai pas envie d’en parler.

— Et vous n’en avez jamais reparlé, n’est-ce pas ? » Demanda Voldemort en coupant la parole au Severus du souvenir.

Il fixait ce dernier avec tant d’intensité que sa colère était nettement visible. Ron, il en était certain à cet instant, voyait bien que le Mage Noir ne digérait pas la trahison de Snape. Une idée lui vint.

« Vous êtes à sa recherche, non ?

— Bien entendu que nous recherchons ton ami…

— Je parlais de Snape. »

La précision déstabilisa légèrement Voldemort qui esquissa une grimace d’agacement.

« Comme on peut rechercher un traître pour le punir. Que s’est-il passé ensuite ? A-t-il seulement repris le cours de la journée comme s’il ne vous avait pas sacrifiés ou bien…

— Snape l’a pris à part pour lui parler, comme il le faisait de plus en plus. Ils ont développé une relation que même Dumbledore ne semblait avoir avec lui. » Répliqua Ron en savourant la colère croissante de son vis-à-vis. « Je sais pas ce qu’il lui a dit à ce moment-là, mais Harry était calme en revenant. Très calme. Snape a eu beaucoup d’influence sur lui.

— Et c’est ce que tu lui reproches ? De se rapprocher de tes ennemis, Ronald ? rebondit Voldemort les dents serrées. Severus, ou même Draco… ? »

Ron tourna la tête un instant trop tard. Il avait fait mouche en amenant la conversation sur Snape, mais Voldemort était trop fort. Malgré tout son ressentiment, il restait le seul Maître de cette conversation. La pièce changea encore, les amenant à la soirée de Noël de Slughorn, cette soirée où Lord Potter, Lord Black et le futur Lord Malefoy s’étaient amplement passés de Monsieur Weasley.

***

Neville bredouilla. Il aurait préféré que cela ne soit Draco qui se sente autant gêné, mais c’était lui qui était le plus ému. Ou bien peut-être que le Serpentard le montrait moins, car ce dernier fixait le cadre où venait d’apparaître Albus Dumbledore comme s’il parlait à un des nombreux portraits de Poudlard.

« Allons, allons, mon garçon, rassura doucement le vieil homme en peinture. C’est compréhensible, vous me saviez mort, et me voilà.

— Vous avez eu bien vite votre portrait, commenta Draco en retrouvant enfin la parole.

— Vous restez toujours aussi intelligent, Draco, flatta Albus en l’observant avec attention. Quelle conclusion en tirez-vous ?

— Professeur…, commença Neville avant d’être interrompu d’un geste de la main par le portrait.

— Que vous aviez préparé votre tableau. Que vous saviez donc que vous alliez mourir… Vous étiez souffrant ?

— Mourant, acquiesça Albus en souriant. Mourant à cause de la guerre et de ce qui nous amène à discuter aujourd’hui. »

Neville écarquilla les yeux, hésitant à avertir le vieil homme du risque qu’il prenait, mais il pinça des lèvres, s’abstenant. Le Dumbledore du portrait plongea son regard bleu par-dessus ses lunettes en demi-lune en lui souriant.

« Ma mise en format portrait n’a pratiquement pas altéré mes facultés, rassura-t-il. Si ce n’est que je ne peux plus me déplacer ou manger de bonbons… hélas. Vous comprenez ce que vous faites ici, Messieurs ?

— Non, répondit Malefoy calmement.

— Oui.

— Mais vous désapprouvez Neville, c’est cela ?

— Oui, je pense que Malefoy… Malefoy n’est… »

Le jeune homme s’arrêta, observant le blond avec méfiance et réfléchissant. Mais à la vérité, il ne pouvait terminer sa phrase. Il connaissait la situation du Serpentard, connaissait ses craintes vis-à-vis des autres étudiants, avait vu qu’il ne portait pas la Marque. Il l’avait même prévenu pour l’attaque de Square Grimmaurd.

« Je ne suis pas quoi ? le coupa Draco dans ses pensées. Digne de confiance ? Fiable ? Un Gryffondor ? Des vôtres ? Je ne suis pas venu ici pour me faire insulter.

— Pourquoi êtes-vous venu, Draco ? demanda avec douceur le vieil homme.

— Parce que cet imbécile suivait cet imbécile de chat.

— Merlin n’est pas un imbécile, précisa Dumbledore.

— Merlin ?! Qui appelle son chat « Merlin » ?!

— Oh ! soupira Neville en comprenant.

— À votre avis, Draco ?

— Vous voulez vraiment me faire jouer aux devinettes ? Très bien, il traînait près des appartements de Snape. Mais je ne l’imagine pas avoir un animal de compagnie.

— L’imaginais-tu trahir ton… Voldemort ? demanda Neville après s’être repris sur l’appellation.

—  Non, frissonna Draco. Mais il était très secret et difficile à cerner.

— Il n’est donc pas impossible qu’il ait pu avoir un chat…

— Pas du nom de Merlin, c’est ridicule ! Et puis quelle importance ? On s’en fiche du chat, non ?

— Vraiment ? Vous l’avez pourtant suivi, Draco.

— Mais parce que Londubat le suivait, lui aussi !!

— Pourquoi me suivais-tu, dans ce cas ? entra Neville dans le jeu en comprenant où Dumbledore voulait en venir.

— MAIS PARCE QUE JE NE SAIS PLUS OÙ ALLER ! »

Son cri partit pour s’élever dans les jardins et mourir lentement dans la lumière magique. Draco sentait son cœur battre à tout rompre et l’envie de s’asseoir le prit à nouveau. Il n’y résista pas cette fois et s’affala lentement, posant la tête entre ses mains.

« Je sais plus quoi faire, ajouta-t-il pour lui-même. Les autres me scrutent, me soupçonnent, me traitent comme si j’étais coupable de trahison. Et je ne sais plus, d’accord ? Enfin, si, je sais. Je ne veux pas être Mangemort, voilà, je le redis ici. Mais je ne sais plus… Je ne sais plus quoi faire, où aller. Où puis-je aller… »

Merlin s’approcha à cet instant de lui et frotta ses moustaches contre son coude. Ce simple contact fit tant de bien au jeune homme qu’il en sentit les larmes lui monter aux yeux. Il avait tant envie de se laisser aller, lui qui n’avait pu qu’être Draco Malefoy voulait juste…

« C’est ce que j’avais cru comprendre et attendais, Draco. J’attendais que vous le compreniez de vous-même.

— Que je ne suis pas un meurtrier ?

— Que vous n’avez pas envie de marcher dans les mêmes pas que votre père. Que charmer les politiques et espionner vos ennemis vous éloigne de vos vraies aspirations… et que ces dernières ne se réaliseront que si vous et votre famille, êtes libérés. »

Draco pâlit légèrement, et Neville se demanda immédiatement quel pouvait être l’aspiration dont parlait l’ancien Directeur.

« Je dois y aller, je ne peux rater le repas ET les cours de l’après-midi, bredouilla précipitamment Malefoy en se levant.

— Personne ne vous attend, aucun de vous deux, car l’un comme l’autre êtes retenus par le Directeur suite à une rixe.

— Professeur… comment ?

— Horace a beaucoup de choses à faire pardonner, il a beaucoup de services à me rendre encore, répondit très froidement Dumbledore. Si vous êtes rassuré sur ce point Draco, pouvons-nous poursuivre ?

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda piteusement le blond en craignant la réponse. Je ne serai pas votre prochain espion, sachez-le.

— Je sais, ce n’est pas ce que je vous demande, je vous demande d’aider Monsieur Londubat. »

Neville écarquilla les yeux, incrédule.

« Mais, Professeur…

— Draco a exactement ce qu’il faut pour vous aider dans votre tâche. Reste à savoir s’il souhaite participer.

— Participer à quoi, précisément, Professeur Dumbledore ? demanda Draco en utilisant pour la première fois le titre de son ancien Directeur.

— Mais détruire définitivement Lord Voldemort, mon garçon. »

***

« Difficile de dire qui est vraiment derrière tout ça. » Avoua Tonks dont les cheveux noirs faisaient ressortir les cernes. « Les Moldus pensent qu’il s’agit d’un attentat politique ou religieux, nous n’avons pas encore décidé de la piste qu’ils allaient suivre.

— Ce n’est pas à leur Premier Ministre d’en décider ? s’interrogea Sirius, surpris.

— Non. Il ne sait pas que c’est lié à notre existence. Ce n’est pas une décision de mon bureau, Sirius, c’est…

— Malefoy. Il a encore pris les devants sans en parler à la Chambre !

— Il fait ce qu’il faut pour nous protéger ! Comment crois-tu que les Moldus nous voient avec toutes ces attaques ?! Des gens disparaissent voire meurent pratiquement toutes les semaines, maintenant. Tu crois que leur Premier Ministre continuerait longtemps de rester inactif ? Malefoy a raison de limiter notre impact officiel sur leurs vies. On ne peut pas prendre le risque qu’ils décident de nous faire la guerre d’une façon ou d’une autre. Rien ne dit, d’ailleurs, que leurs agents secrets ne sont pas à notre recherche, ou n’essaient pas de percer nos secrets, Malefoy…

— Malefoy te retourne le cerveau, Tonks, qu’est-ce qui te prend de te mettre à considérer normal qu’on mente aux Moldus ?

— Merci, Sirius, mais je peux penser par moi-même. Et le Ministère n’a pas attendu Malefoy pour leur mentir. Tu crois que les Moldus savaient précisément qui tu étais quand tu t’es évadé ? Tu crois que ça se passait comment pendant la Première Guerre ? Tu commences à peine la Politique et à peine la lutte. T’as passé ta vie en prison pour un crime que tu n’avais pas commis parce que tu as laissé tes émotions prendre le dessus, tu viens à peine de commencer à rejoindre la cour des grands et tu crois que t’as des choses à m’apprendre ?

— Calme-toi, je suis à la Chambre des Lords, je sais quand même un peu comment…

— Non. T’as un siège parce que tu es né pour l’avoir. Je suis Auror, parce que j’ai décidé de le devenir et que j’ai été formée à cela. Et je le suis depuis plus longtemps que tu ne chauffes ton banc sous les arcades, alors crois-moi quand je te dis que c’est normal, voire souhaitable. Tu n’as pas bien l’air de comprendre le danger potentiel que peuvent représenter les Moldus si…

Danger ? Tu t’entends en parler ? Ose me dire que ce n’est pas un propos digne de Malefoy !

— Fol’Oeil pensait la même chose ! Tu sais quoi ? Laisse tomber…, s’énerva-t-elle. T’es pas prêt à prendre le poste que tu brigues, manifestement.

— Attends, t’es sérieuse ?! T’es quand même pas en train de me dire que…

— Je te recontacte quand on a du nouveau, et si j’estime que c’est nécessaire que tu sois tenu informé. »

Le feu redevint normal et Sirius frappa un coup dans la pierre du manteau de la cheminée. Il savait qu’Hermione avait écouté la conversation et ce simple fait l’agaça davantage.

« Sors de là, pas la peine de faire comme si j’ignorais que tu étais une Gryffondor… »

Il s’assit sur une des chaises dans la cuisine et se remit à touiller avec sa fourchette son repas qui était désormais froid. Quand ses pommes de terre furent réduites en purée, il balança le couvert dans l’assiette ce qui fit un vacarme assourdissant. Hermione s’était glissée à l’intérieur, mal à l’aise avec Sirius depuis qu’ils étaient désormais seuls. L’Animagus lui avait toujours paru gentil, mais très émotif et, maintenant qu’elle était coincée avec lui, se rendait compte qu’il n’avait pas toujours des réactions très mesurées.

« Quoi ? aboya-t-il en la dévisageant. Tu es d’accord avec elle, c’est ça ?

— Oui, soupira Hermione à contrecœur. J’ai peine à le dire, mais oui : les Moldus sont dangereux pour la communauté Sorcière, et oui, ils auraient les moyens de s’en prendre à nous. Je pense que Lucius a raison de ne pas submerger leur Premier Ministre de mauvaises nouvelles, aucun dirigeant ne réagit bien dans ces cas-là, pas la peine que le bouc émissaire devienne public.

— Alors on leur ment, et on les laisse mourir dans l’anonymat le plus total, les victimes méritent au moins que la réalité de leur sort soit connue.

— Dans quel but ? protesta Hermione. Qu’est-ce que ça apporterait de bon, Sirius ? Parfois, il faut simplement opter pour le moindre mal pour servir le plus grand bien…

— C’est ce que tu t’es dit quand tu as contacté Malefoy l’autre jour ? Je sais que la Brigade n’est pas arrivée par hasard, je le vois quand on utilise les cheminées de ma demeure.

— Il fallait faire quelque chose ! s’alarma Hermione. Je ne pouvais pas vous laisser vous faire tuer ou…

Ou kidnapper ? Dis ça à Ron ! »

Hermione le regarda, bouche bée, profondément choquée qu’il ose lui dire cela. Sirius sembla se rendre compte qu’il était allé trop loin car il se précipita vers elle dans un geste maladroit :

« Je suis désolé, je voulais dire que… que… que… tu ne peux pas faire confiance à Malefoy, c’est un Mangemort.

— Mais Tonks, non, et c’est elle qui est venue. Lucius Malefoy devait savoir qu’on aurait plus de facilités si c’était quelqu’un que nous connaissions qui venait.

Ou qu’on croyait connaître… je ne reconnais plus Tonks, pas plus que Rémus ne le fait, je le sais. Elle passe beaucoup de temps en mission. En fait, elle passe plus de temps auprès de Malefoy que de son mari.

— Nous sommes en guerre, Sirius. Elle est Auror, Rémus est… eh bien… il est à la maison, quoi… »

Hermione rougit en disant cela, comme gênée pour son ancien Professeur qu’il ne soit pas davantage dans l’action, mais qu’était-elle, se rappelait-elle ? Hermione se leva et débarrassa son assiette dans l’évier.

« Et puis, oui, Malefoy est Mangemort, mais n’oublie pas dans quelle position le Professeur Dumbledore l’a mis. On doit faire confiance au Professeur, il savait ce qu’il faisait et comment nous protéger de…

— Chut ! » Interrompit Sirius en lui faisant signe de se cacher.

Le craquement caractéristique des flammes l’informa que quelqu’un d’autre allait le contacter et Hermione s’effaça derrière le manteau de la cheminée. Quelques secondes plus tard, c’est une voix qui s’éleva, une voix étrangement rocailleuse, d’une vieille dame qui semblait emprisonnée dans la pierre :

« Narcissa Black, dernière femme de la noble et ancienne maison Black souhaite user de son droit de parole pour s’entretenir directement avec le maître des lieux. »

Sirius parvint de justesse à ne pas couler un regard en direction d’Hermione et, après un bref instant de réflexion, hocha la tête :

« Je ne conteste pas ce droit. »

Le crépitement changea et ce fut bientôt la jolie voix hautaine et légèrement tendue de Narcissa qui résonna dans la cuisine :

« Merci d’accepter d’entendre ce que j’ai à te dire. Écoute-moi bien sans m’interrompre, Sirius. Je sais que tu es forcément en contact avec ton filleul qui doit lui-même être en contact avec Snape. J’ai besoin de le voir, en face à face. Attends ! ajouta-t-elle alors que Sirius ouvrait déjà la bouche. C’est une question de vie ou de mort. Pour nous tous. Ce n’est pas ta confiance que je veux, dis-lui simplement de me rencontrer à l’Impasse dans deux jours, à quinze heures. Pas avant, pas après. Est-ce que tu peux faire ça ?

— Narcissa, qu’est-ce que tu…

— Je t’en prie, Sirius, c’est notre seul espoir !

— Mais… »

Hermione sut à sa tête que les flammes étaient redevenues normales et que la discussion avait pris fin. Sirius semblait abasourdi et ses yeux allaient et venaient de part et d’autre de la pièce tandis qu’il cherchait à se remémorer la conversation. Hermione s’avança lentement :

« L’attaque du Ministère l’a poussée à agir, tu penses ? Est-ce qu’elle veut attraper Snape pour le livrer ?

— Je ne sais pas. Elle avait l’air paniquée. Elle a supplié. Supplié, Hermione. Les Black ne supplient jamais.

— De quoi aurait-elle peur, alors ? Et quoi dire à Snape ? Comment ? Est-ce qu’on va le lui dire ?

— Je ne sais pas… Je ne sais pas. C’est notre ennemie. On ne peut pas faire confiance aux Malefoy, mais elle était…

— Peut-être est-ce à lui d’en décider ? Quel risque prenons-nous à lui transmettre le message ?

— Que veux-tu lui dire ? Il aura des questions, forcément ! Non. Je vais réfléchir. »

Hermione leva les yeux au ciel et s’en alla presque aussitôt, agacée que Sirius pense toujours avoir le dernier mot concernant la marche à suivre. Elle non plus ne faisait pas confiance aux Malefoy, mais elle savait reconnaître la peur dans une voix. Du reste, elle ne voyait pas bien en quoi faire passer le mot mettrait en danger qui que ce soit. Narcissa ne devait pas s’imaginer un seul instant qu’ils communiquaient via objets Moldus, si c’était un piège pour retrouver Snape, ils n’auraient aucun moyen de tracer le processus. Elle monta dans ce qui était devenu sa chambre et tira son portable de son sac, et l’alluma.

***

Draco ferma les yeux longuement, reposa sa tête contre le tronc de l’arbre, comme cherchant à puiser dans sa force. Autour de lui, le monde semblait devenir plus dense et complexe qu’il ne l’avait jamais soupçonné. Jamais la pierre ne lui avait parue si froide, le sol si dur, et la lumière magique qui baignait les jardins lui était pareille à un projecteur. Ah, il ne savait plus où aller quelque temps auparavant ? Désormais, il savait qu’il ne pourrait plus jamais changer de voie. Suivre Merlin et Neville n’avait pas été qu’un rapide cheminement dans Poudlard, s’il l’avait lu, il aurait pensé au petit lapin blanc et à Alice. Mais il n’atterrissait pas au Pays des Merveilles.

« Vous êtes certain de ce que vous avancez… ? demanda-t-il la gorge sèche.

— À ton avis ? s’agaça Neville qui était toujours aussi dubitatif devant le choix du Directeur.

— Sur certains points, oui. Notamment le nombre de morceaux d’âmes qu’il visait.

— Visait ? Comment ça ? »

Le portrait sourit au Serpentard et un étrange reflet passa sur ses lunettes. Draco comprit qu’il avait soulevé un point crucial que le vieil homme n’expliquerait sans doute jamais. Il inspira profondément.

« Soit, et pourquoi m’en parler à moi, alors ?

— Neville a de grandes difficultés à convaincre Kreattur, et je pense que toi, tu peux y parvenir.

— Comment pourrait-il… ?

— Au-delà de ça, pourquoi me faire confiance à moi ?

— Parce que tu n’as pas vraiment le choix, Draco, lui annonça très calmement Dumbledore. Pas plus que je n’en ai laissé à ton père. »

Le garçon apprécia de le voir jouer cartes sur table. Il se releva lentement et hocha la tête, réfléchissant.

« Admettons. Vous allez prévenir votre Ordre de ma coopération ?

— L’Ordre n’existe plus, il a été absorbé par la Brigade créée par ton père. Et non… je ne vais pas le mettre au courant. Ce qu’il ignore le plus longtemps possible est ce que Voldemort ignorera lui-même.

— Vous craignez qu’il ne découvre votre chasse, n’est-ce pas ?

— Il le découvrira. Tout l’enjeu pour toi, Neville, Harry et Severus sera de les trouver et de les détruire avant qu’il ne comprenne et contre-attaque. »

Neville arqua un sourcil, surpris que Dumbledore ne mentionne ni Jane ni Luna, mais il en comprit la raison quand Draco reprit la parole :

« Où cherchent-ils, eux ?

— Là où les pistes les mènent et où ils sont en sécurité, répliqua Dumbledore en souriant énigmatiquement. »

Draco comprit qu’il n’en saurait pas davantage et ses pensées allèrent en direction de Potter. Est-ce que le vieil homme faisait également de la rétention d’informations avec lui, ou bien était-il maintenu plus encore dans le noir ?

« Soit, accepta Draco. Je vais réfléchir à comment parler à Kreattur… bien que je ne pense pas être la personne la mieux indiquée avec les elfes de maison.

— Sa présence pourrait même ruiner l’opération, ajouta Neville. Dobby va très mal réagir si le fils de son ancien Maître se met à fouiner dans les cuisines.

— Oh, il n’y a pas besoin que Draco soit là, répondit avec assurance Dumbledore en commençant à tresser sa barbe nonchalamment.

— Pourquoi m’avoir fait rentrer dans le coup, alors ?

— Parce que tu as en ta possession le moyen d’y parvenir.

— Professeur, commença Neville. Avec tout le respect que nous vous portons, du moins, pour ma part, ni Malefoy ni moi ne sommes Harry. Nous n’allons pas nous contenter de vagues énigmes à déchiffrer en espérant qu’il ne soit pas trop tard. »

Draco cligna des yeux, surpris de l’audace de Londubat qu’il n’aurait jamais imaginé capable de tenir tête à l’ancien Directeur de la sorte. Mais il avait raison, ils n’étaient pas Potter, et lui certainement pas. Il se permis d’ajouter :

« D’autant que nous n’avons pas de Granger pour nous sortir de l’impasse au moment opportun, avant de se faire voler la vedette par… Oh. »

Il se tut, et sourit, un sourire admiratif et satisfait. Celui du Serpentard qui aurait compris une idée brillante. Dumbledore termina sa tresse et noua sa barbe, l’air innocent.

« J’ai raté quelque chose d’important, apparemment.

— La solution, tu as raté la solution à ton problème avec l’elfe. La raison même pour laquelle Dumbledore pensent que je peux t’aider à le résoudre.

— Quel rapport avec Hermione et son absence de reconnaissance ?

Tout, Potter et Weasley ne sont pas les seuls à briller à ses dépens… bien que parfois, ça soit simplement par talent.

— Attends, quand est-ce que tu aurais pu être meilleur que… AH !

— Ca y est, tu as compris.

— Mais c’est tellement évident ! Tu l’as toujours, au moins ?

— Tu crois que j’aurais gaspillé ma fiole de Felix Felicis à quelle occasion, au juste… ? »

***

« ASSEZ ! Pourquoi vous continuez ?! Vous voyez bien qu’il n’y a que les souvenirs d’un enfant un peu trop jaloux de son ami, non ?! »

Ron se sentait épuisé, désespéré. Il savait que son esprit recelait des informations utiles et donc dangereuses. Il cherchait par tous les moyens de ne pas y penser, de laisser Voldemort s’abîmer dans les détails de certains moments de vie, mais il sentait qu’il perdait pied. Le fil des souvenirs l’amenait inexorablement jusqu’à ce fameux moment où Sirius leur avait tout révélé. Quels imbéciles ils avaient été ! Harry avait pourtant prévenu que cela pouvait arriver, que c’était pour cette raison qu’ils ne devaient jamais rien savoir. Et c’était sans doute pour cela qu’il était parti seul, avec Luna, Snape et…

Voldemort ricana :

« Nous savons tous les deux que tu as des choses intéressantes à me montrer. Pourquoi toi et la Sang-de-Bourbe n’êtes pas avec Potter ? Pourquoi le trio inséparable a éclaté ? L’a-t-il fait seulement ? Est-ce que Potter ne serait pas à Square Grimmaurd et nous l’aurions raté… Te serais-tu sacrifié pour garder cette information secrète ?

— Bouffez donc des veracrasses, j’préfère encore crever que de vous le dire.

— Tu me le diras. Et tu mourras très certainement, confirma Voldemort avec amusement. Je sais très aisément exaucer les désirs des gens, et si ce sont là les tiens… »

Voldemort chercha du regard dans la scène qui montrait à présent Hermione, Sirius et lui aux funérailles de Maugrey.

« Il n’est pas venu… et quand vous êtes rentrés à Square Grimmaurd, Potter n’a pas été repéré par mes hommes. Où était-il ? Harry n’aurait pas pu résister à l’envie de vous aider, s’il avait été là. Était-il déjà parti ? Où ?! »

Il perdait patience, et son esprit écrasait violemment celui de Ron qui plia douloureusement, montrant leur scène de retour. Ron tenta de la retenir, assez pour que le début soit flou, on n’y voyait que des formes échangeant des sorts, mais la douleur devint insupportable, et le cours du souvenir reprit soudainement, comme si on avait mis un décodeur et monté le son. Hermione se trouvait dans la cuisine, lisant un papier griffonné à la hâte.

« Ils ont bien reçu mon message, ils sont partis à Londres.

— Où ?! s’inquiéta Sirius restant dans le couloir.

— Probablement chez elle… ? proposa Neville. Des nouvelles de Tonks et Rémus ? Je crois qu’elle avait repéré quelque chose et qu’elle essayait de me prévenir… Merde, on n’a rien vu venir.

— Elle ? De qui parle le fils Londubat ? »

Ron ferma les yeux si fort qu’il avait l’impression que ses cils colleraient les uns aux autres. Il tenta de penser à autre chose, à Tonks, à Luna, à Hermione, même… n’importe quelle autre « elle » qui ne répondrait pas à sa question, mais ça lui était impossible. Un seul nom continuait de tourner en boucle, lentement, brumeux, mais les lettres se détachaient une à une dans les ténèbres.

Voldemort avança dans la cuisine immatérielle qui vacillait sous les tentatives du garçon de lui tenir tête. Les occupants changeaient à grande vitesse, bougeaient dans tous les sens. Tour à tour, on voyait les femmes auxquelles il essayait de penser se tenir sous une lumière artificielle. Mais la pression que maintenait le Mage Noir sur son esprit le forçait peu à peu à plier. Il pensa à Snape, à ce qu’il disait à Harry et par association d’idées, cela ne fit que précipiter l’inévitable. Tandis que le nom s’imposait à lui, une forme s’esquissa dans la cuisine branlante, les couleurs s’y agglutinèrent comme des gouttes de peinture jetées sans raison. Peu à peu, on y distingua nettement un corps, des mains, des jambes, des cheveux, et un visage qui se défroissa sous l’effet de la fouille impitoyable de Voldemort. La lumière baigna le visage rieur qui se tournait vers une autre forme floue en arrière-plan, et il était impossible de ne pas la reconnaître pour qui l’avait déjà vue.

« Elle… répéta Voldemort. La Moldue de Severus. »

Il étira lentement un sourire horrible qui fit frissonner de terreur le garçon.

« Merci, Ronald Weasley. Repose-toi, tu l’as mérité. »

La scène s’effaça soudain pour laisser place au cachot, et Ron retomba sur son ventre, comme si Voldemort l’avait tenu par le col tout ce temps. Les larmes et le désespoir l’envahirent, alors que la fraîcheur de la pierre se diffusait doucement dans son corps, comme pour lui promettre que tout serait bientôt fini. Voldemort fit volte-face en direction de la porte et avant que Ron ne sombre dans l’inconscience, il l’entendit ordonner :

« Fais mander Lucius. Je sais dans quelle direction ses limiers doivent chercher, à présent. »