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Précédemment dans A la Moldue : Le soir du 24 décembre, le Terrier a été attaqué par Bellatrix et des Mangemorts. Beaucoup de morts des deux côtés, Harry et Jane tuent pour la première fois et Ron y perd une de ses mains. Percy et Mrs Londubat meurent. Le lendemain, Dumbledore décide de précipiter ses recherches et embarque Harry pour récupérer le médaillon de Serpentard dans la grotte. A leur retour, Poudlard est attaquée. Dumbledore (et un certain nombre de Professeurs meurent), Maugrey et Greyback s’affrontent, et l’ancien auror y perd la vie. Voldemort finit par obtenir une réponse cruciale. Les élèves s’échappent sans heurt, le groupe de Severus, Jane, Harry et Luna également. Par la suite, après l’enterrement de Dumbledore et de Maugrey, à ce dernier, un attentat vise le Premier Ministre, forçant le groupe de Severus à s’échapper, laissant Sirius, Neville, Ron et Hermione au QG.

Nous sommes le 2 janvier, un nouveau jour se lève sur le monde Moldu qui ignore tout des péripéties vécues par nos héros. Excellente lecture.

 

Chapitre 54 : Evolution Complete

 

Harry mâchait lentement ses céréales, en essayant vainement de garder les yeux rivés sur son bol. Luna lisait à voix haute les énigmes et blagues présentes sur la boîte où se montrait un très grand tigre orangé. Dans son bol à elle se noyaient les pétales de blé glacés au sucre, mais la demoiselle était bien plus intriguée par les jeux pour enfants derrière le paquet, que par cet étrange petit-déjeuner. Severus touillait depuis déjà dix minutes un café qu’il se servait pourtant sans sucre, et Jane prenait un soin remarquable à étaler son beurre et sa confiture à égales épaisseurs le long de ses toasts. Seule la curiosité maladive de la blonde perçait la lourde tension qui régnait dans la cuisine où toutes et tous cherchaient à éviter d’accrocher le regard de l’autre, et plus encore de poser la question fatidique : avait-on bien dormi cette nuit ?

« Monsieur et Madame Proviste ont un fils, comment s’appelle-t-il ?

— Misère… Lovegood, reposez-nous encore une de ces questions et je vous enferme dans cette boîte.

— Vous ne savez pas Professeur ? demanda Luna qui ne se démontait pas pour autant.

— Je croyais que la guerre serait faite d’attente et de combats psychiques, pas de plaisanteries, marmonna Harry.

— C’est une réelle épreuve d’endurance morale. Je vais finir par enfermer votre copine dans l’image avec ce tigre, Potter.

— Oh… Personne ne trouve ? Allez, un effort !

— Alain, répondit Jane en mordant dans une tartine. Et vous n’enfermerez personne nulle part, Severus. Je dois aller en ville trouver de quoi communiquer avec le QG plus facilement, et je dois joindre aussi Dimitri pour…

— Hors de question ! coupa promptement Severus. Vous croyez qu’on est ici en villégiature ? Prévenir vos amis serait…

— Utile, s’ils peuvent m’aider. Et Dim’ le peut. Vous voulez passer sous les radars, non ? À moins que vous ne sachiez comment faire sans petits charmes de métamorphose, vous allez me laisser faire. Et arrêtez de touiller ce café qui ne vous a rien fait !

— Vous êtes sérieuse et comptez y aller seule, peut-être ?

— Votre job est de protéger Harry, le mien et de vous protéger tous. » Répliqua Jane en se levant et en mettant sa tasse dans l’évier. « Je connais très bien Londres, je n’aurai aucun mal à trouver ce que je cherche, et pour Dim’, les portables sont faits pour ça.

— Et si vous étiez attaquée ?

— Et s’il se passait quoi que ce soit avec Harry et que vous étiez absent ?

— Vous ne pouvez plus vous passer d’elle, Professeur. » Glissa Luna qui traçait de son doigt le chemin pour que le tigre Tony puisse retrouver son chemin.

Piqué au vif, Severus termina sa tasse également et la plaça à son tour dans l’évier, avant de se retourner sévèrement en direction des deux jeunes gens.

« Ne dites plus de bêtises, Miss Lovegood, Potter et vous allez vous habiller et rangez-moi ce salon. Je vous veux prêts pour des exercices de méditation dans quinze minutes !

— A vos ordres, mon Commandant ! » Se moqua Harry en sautant de sa chaise.

Jane sourit à Severus et retourna dans la chambre pour se changer, l’homme en noir hésita un bref instant avant de pester et de la suivre. Harry ouvrit la bouche pour glisser un mot goguenard, mais le regard que Snape lui lança suffit à le faire immédiatement taire. Severus ferma la porte derrière lui et fixa Jane d’un œil critique.

« Je dois en plus me mettre nue devant vous ?

— Il y a un horaire pour que cela ne vous dérange pas ? Que peut nous apporter Dimitri ? C’est bien le jeune homme slave que j’ai rencontré ? Le mari… le petit-ami de Diane, c’est ça ?

— Tout à fait ! s’enthousiasma Jane en se déshabillant en rougissant devant lui. Diane bosse à Netflix, vous le savez, je vous l’ai déjà dit…

— Et je ne sais toujours pas ce que c’est, et je vous admets que ça m’est bien égal.

— Peu importe, éluda-t-elle en attrapant des sous-vêtements dans sa commode. Lui il est coach en image, en séduction, parfois. Il fait les hommes et les femmes.

— Vous m’expliquez le rapport avec la guerre… ? Vous cherchez un moyen de battre nos ennemis par le charme… ? »

Elle s’arrêta pour lui faire une grimace excédée, alors qu’il fixait le petit string en dentelle mauve qu’elle s’apprêtait à enfiler.

« D’accord, dit comme ça, ça a l’air ridicule. Mais Dim’ est spécialiste de la transformation. Il fait même des émissions « avant-après ».

— Et alors ?

— Et alors, il va nous relooker pour qu’on ne cherche plus un groupe avec un grand brun qui fait la gueule, un ado-punk, une blonde qui commence à faire des dreads et…

— Et une touffe de cheveux aux formes généreuses. » Termina Severus qui plaçait à présent ses mains sur ses hanches, l’empêchant pratiquement d’accrocher son soutien-gorge.

Jane se retourna pour l’esquiver, et il attrapa les deux agrafes dont il se chargea, avant de déposer un baiser au creux de son cou en l’attirant à elle de façon très équivoque.

« Si… Si ça n’est pas le moment d’aller voir mes amis, Severus, c’est encore moins le moment de…

— C’est parce que ça n’est pas le moment que c’en est que plus délicieux. » Répondit-il en la mordant légèrement et lui tirant un bref soupir. « Ça n’est pas une mauvaise idée. Je le concède. Et votre objet miracle pour communiquer avec les autres ?

— … Oh, les bases. Mais je vais devoir passer dans un bureau postal. Il me faut d’ailleurs vérifier si… »

Jane reprit rapidement contenance et enfila enfin un jean et un gros pull avant de planter Severus et de foncer en direction du salon. Elle s’arrêta en baissant soudain les yeux et pouffa :

« Pardon, mais je croyais que vous deviez ranger. »

Les deux jeunes gens qui s’embrassaient comme s’ils ne s’étaient plus vus depuis des années s’écartèrent vivement et reprirent leur ménage. Snape esquissa un rictus moqueur, alors même qu’ils n’avaient pas été plus sages.

« Harry, dites-moi, vous recevez le courrier Moldu, au QG ?

— Heu… Nous avons de temps en temps des prospectus, je crois, parce qu’il y a une boîte aux lettres, comme pour les autres immeubles, mais…

— C’est bon, c’est tout ce qu’il me fallait. Alors j’y vais, et je reviendrai quand j’aurai réglé ces deux questions. Faites attention à vous, tous les trois !

— Smith, attendez ! »

Severus traversa l’appartement à grandes enjambées et se trouva face à elle, gêné, comme ne sachant plus ce qu’il avait bien l’intention de faire.

« Prenez garde, lui dit-il après un instant.

— Je serai de retour avec le repas du midi, pas de panique. »

***

Lucius entra en trombe dans le salon de thé et jeta son manteau sur l’une des chaises, avant de se diriger immédiatement vers le mini-bar où dormaient de superbes bouteilles. Il attrapa un verre ciselé de deux doigts, et se versa généreusement du Whisky qu’il but d’une traite. Il s’apprêta à recommencer l’opération quand un raclement de gorge glacial le stoppa net. Derrière lui, drapée dans une mousseline bleu-pervenche et une robe de chambre argentée, son épouse prenait son petit déjeuner en lisant un livre. Le regardant durement, Narcissa fronça les narines, et il prit immédiatement conscience de sa puanteur. Lucius balaya la pièce du regard et se rendit compte que les rayons pâles du soleil éclairaient ça et là des meubles en cerisier. Nous étions le matin, probablement peu après l’aube, en réalité, et il se tenait là, baignant dans la crasse et la sueur d’un travail administratif nocturne, buvant comme un soulard de petite famille. Il se fit honte, baissant les yeux, et il sentit sur ses épaules qu’il avait toujours taillé pour cet office, le poids immense du pouvoir qui l’accablait.

Narcissa posa son livre avec lenteur et se leva, caressant de sa main chaude la joue déjà parsemée d’une barbe naissante de son mari. Il n’osa croiser le regard de sa femme, si belle et si apprêtée, alors qu’il se sentait misérable.

« Je vais vous faire couler un bain, lui dit-elle doucement.

— Non. Je n’aurai pas le temps. Il me faut repartir, nous croulons sous les hiboux, la chambre des Lords doit être convoquée, et je dois encore…

— Ce n’était pas une proposition, Lord Malefoy. » Le coupa-t-elle durement.

Elle tourna des talons et le planta là, tandis qu’elle remontait les escaliers pour faire sonner leur elfe de maison préposé aux toilettes. Lucius hésita, tira sa montre à gousset, observa l’aiguille qui lui confirma qu’il n’avait pas dormi depuis maintenant plus de 28 heures, et il chancela légèrement. Il prit place dans un fauteuil, sans se soucier de le crotter, et il lui sembla sombrer dans le sommeil.

« Le bain de Monsieur est prêt, My Lord. »

Lucius sursauta en pointant son elfe de sa baguette qui couina de terreur et s’éclipsa avant de recevoir un châtiment injuste. Le blond passa une main fatiguée sur sa face, son index soulignant ses joues qui se creusaient depuis quelques jours. Était-ce ça qu’endurait Snape pour être si famélique et avoir un teint aussi terrible ? Se demanda-t-il. Snape… Repenser à l’espion lui soulevait le cœur. Tout le Ministère était à sa poursuite, les journaux tournaient en boucle sur son passé et son parcours, même Sirius Black n’avait eu pareil traitement à l’époque. Sans doute avait-on sous-estimé le potentiel dramatique de l’Ancien Directeur de Serpentard… Lucius monta les marches qui menaient au cabinet de toilette d’un pas lourd, ressassant les différents mandats d’arrêt qui courraient aux trousses de… Quoi ? Un collègue ? Un ami ? Allez savoir, Snape était pour l’heure empêtré dans ce que les circonstances actuelles lui permettaient de nommer : une belle merde.

Il poussa la porte de la grande salle de bain antique que Narcissa avait entièrement décorée elle-même. Lucius savait que sa femme l’avait fait mener ici, et non pas dans une des luxueuses – mais autrement plus sobres – salles d’eau qui parsemaient le manoir. Celle-ci était leur espace, leur jardin où plantes et jets d’eau se mêlaient avec grâce et goût. Il se sentit immédiatement bien en pénétrant au milieu des vapeurs tièdes et odorantes. Dans la brume, il ne vit pas tout à fait son épouse, qui lui ordonna pourtant de se déshabiller. Ce qu’il fit en laissant ses vêtements sales à l’entrée comme on laisserait ses problèmes au portail. Lucius plongea dans l’eau brûlante et parfumée, et il sentit la caresse légère d’un voilage passer devant son nez. Glissée dans une robe fluide d’organza, Narcissa se tenait à genou derrière sa nuque, et reposa la tête de Lucius sur ses jambes, alors qu’elle trempait déjà un linge propre dans le bain pour le lui passer sur le visage. À ses côtés, une lame affûtée luisait et patientait près d’une crème onctueuse qui redonnerait à sa peau tout son éclat. Le Ministre adorait qu’elle fasse cela, et ses épaules se décontractèrent douloureusement alors qu’il fermait les yeux, se laissant porter. Mais il soupira d’agacement. Narcissa se pencha et posa ses lèvres sur les siennes, il se détendit à nouveau, mais quand elle commença à le raser, il ne fallut que quelques secondes avant qu’il ne soupire encore une fois en fronçant les narines.

« Vous ne pouvez cesser d’y songer ? murmura-t-elle.

— C’est un marasme sans nom, craqua-t-il. Nous devons mettre en terre Scrimgeour, organiser une nouvelle élection, et Potter est porté officiellement disparu.

— Vous trouverez bien une solution pour apaiser les gens, mon ami. Severus n’est-il pas directement accusé de l’avoir enlevé ? La Gazette

La Gazette nous met dans une belle merde, et je ne vais pas m’appesantir sur Oaken qui n’a pas hésité à poser la question de l’héritage de Dumbledore. Comme si j’avais besoin de ça, cet abruti de Gryffondor se met à croire qu’il peut jouer les journalistes impunément.

— Lucius, votre langage…

— Est le cadet de mes soucis, Narcissa. Je suis en permanence scruté et je dois mesurer plus que de coutume mes propos, pour l’instant juste au Ministère. Non, mon aimée, je me contrefous de vous choquer.

— Très bien ! » Grimaça-t-elle agacée en lui essuyant plus rudement le visage de la mousse. Elle se glissa habillée de sa robe vestale dans l’eau et Lucius coula un regard intéressé aux courbes soulignées par l’humidité du tissu.

« Narcissa, je n’ai vraiment…

— Il y a eu Noël, nous avons été interrompus par Dumbledore. Puis, il y a eu Poudlard, et maintenant ça ?  Je ne vais pas prendre rendez-vous avec votre secrétaire pour passer du temps comme je l’entends, avec mon mari ! »

Elle mit ses deux bras autour de lui et se colla tout à fait à son corps fatigué. Un sursaut de vigueur confirma qu’il n’avait pas épuisé tout à fait ses ressources, mais l’inquiétude qui le rongeait ne lui permit que d’esquisser un simple sourire.

« Narcissa, je dois me préparer pour l’audience à la Chambre… Black ne laissera jamais passer une telle occasion, et il n’a jamais été si difficile pour moi de…

— Tu finiras par obtenir ce poste, coupa-t-elle en l’embrassant. Aucun autre que toi n’a les épaules pour mener ce pays à sa gloire.

— Ça ne dépend pas que de moi… Le Maître… Si seulement Oaken n’avait rien dit dans son torchon… Si le Maître me questionne…

— Tu n’en es pas là, tu as signé un contrat avec les Gobelins, il ne peut te soutirer l’information aisément. Ces créatures ont une magie assez puissante pour…

— Et en attendant ? » Lui demanda-t-il brutalement en l’écartant de lui alors qu’elle jouait de ses mains sur sa taille. « En attendant ? répéta-t-il. Crois-tu que la torture me soit évitée ? Crois-tu que… »

Il se tut, la regardant pour la première fois durement, se rendant compte qu’il perdait pied dans ses machinations et son ambition dévorante. Jamais de sa vie de Serpentard n’avait-il joué un jeu si dangereux, l’excitation était à son comble, et la terreur allant avec aussi. Voilà pourquoi quand Narcissa reprit possession de ses lèvres il se laissa complètement submerger, grisé comme tous les condamnés.

***

« Le Veritascriptum, édition du 2 janvier 2018,

DISCORDE CHEZ LES LORDS

 

Notre modèle politique verrait-il ses limites ? Durement éprouvé par les récents événements, le Ministère de la Magie n’en finit plus de s’embourber dans les annonces et convocations de chambre. Dans la salle aux huit cheminées, le ballet des secrétaires et attachés ministériels est devenu habituel, couplé à celui des elfes de maison qui vont et viennent entre les demeures de nos Lords, et la Chambre où ils se réunissent désormais jusqu’à trois fois par jour. En off, les commentaires vont bon train, et notre reporter n’a pas manqué de laisser traîner sa plume pour nous rapporter l’impensable : l’Angleterre est sans chef. Oui, mais pour combien de temps, encore ?

Au perchoir s’affrontent tour à tour deux visions pour notre avenir. Une fermeté guerrière portée par Lucius Malefoy et un discours unitaire présenté par Sirius Black. Les deux néanmoins s’accordent sur un point : la détermination à mettre un terme aux exactions de Vous-Savez-Qui et de ses sbires. Mais si la Chambre applaudit à tout rompre les dernières libertés d’actions décidées pour la Brigade, elle peine à s’accorder concernant le devenir de Poudlard, ou encore l’insertion des Nés-Moldus dans la société. Lord Malefoy, sans doute dans une tentative électorale, aurait infléchi légèrement sa position face à une popularité croissante d’un Lord Black bien décidé à lui ravir le titre.

Car, en jeu pour ces monstres de Politique, plus que l’avenir de notre patrie, le poste de Ministre de la Magie, avec son prestige et la dangerosité qu’il suppose. Pour l’heure, divisée, la Chambre des Lords est incapable de nous donner un remplaçant. Une instabilité qui pourrait nous coûter cher si d’aventure […] »

 

« La Gazette du Sorcier, édition du 2 janvier 2018,

UN ARTISTOCRATE OU UN REPRIS DE JUSTICE ?

Il n’y a pas à dire ! Les Sorciers, et surtout les Sorcières, de Grande Bretagne ont un choix inédit pour les diriger. Si la décision de nommer le nouveau Ministre de la Magie ne revient qu’à la Chambre des Lords, il est difficile de passer sous silence l’exceptionnel panel que nous offrent ces temps troublés. Deux Lords, ce qui rompt considérablement avec la récente tradition de technocrates vieillissants ; deux Lords séduisants et pleins de mystères ! Pour vous, la Gazette revient sur ce qui les oppose et ce qui les attire. Découvrez dans notre dossier spécial la vie cachée de Sirius Black avant son emprisonnement à Azkaban, et celle non moins excitante de Lucius Malefoy, derrière le faste des bals et réceptions à la demeure ancestrale. Pages 8 et 9, plongez au cœur de notre enquête sur cette femme forte de l’ombre qu’est Narcissa Malefoy et pages 12 et 13, découvrez qui est « Mademoiselle Claire Lemoine », aperçue au bras de Lord Black peu avant l’attaque de Poudlard […] »

Sirius reposa sa tasse en même temps que la Gazette, se passant une main lasse sur le visage. Il observa un moment les ados dont il avait la charge, et se surprit à apprécier leur compagnie. Jamais il ne pourrait endurer ce rythme s’ils n’étaient pas là. Hermione tourna une page du grimoire de magie noire qu’elle était en train d’examiner, quand elle releva la tête en direction de Sirius :

« Quelque chose ne va pas ?

— Ça pérore au sujet de ma prétendue liaison avec Claire, ou bien ça veut absolument faire des ponts idéologiques entre moi et Scrimgeour, et d’autres anciens Premiers Ministres illustres. Pareil pour Malefoy, son traitement n’est guère mieux que le mien.

— Tu devrais lire Le Chicaneur, Sirius, lui répliqua Ron qui le feuilletait avec attention.

— Depuis que Smith n’y écrit plus, qu’est-ce qu’on va y lire ? La rumeur sur le fait que Sirius ait monté un groupe de rock Moldu ? s’agaça la jeune femme.

— Non… Enfin, si, ils en parlent, je ne sais pas ce qu’a Xenophilius avec ça. Mais ils creusent les procès Malefoy et Mangemort, ainsi que le tien, Sirius… Ils ont remonté la piste des dons faits par Lucius à l’époque pour laver son image. C’est incomplet, mais c’est toujours ça…

— Lovegood est seul, désormais, coupa Neville qui taillait avec grand soin une nouvelle pousse de Dictame. Il va vite devoir retourner à ses élucubrations s’il ne veut pas être pris pour cible. Il n’aura jamais le temps et les moyens de mener une grande enquête.

— Son action est utile. Même si le Veritascriptum n’épargne personne, il est clairement engagé en faveur de Malefoy et ne plaide pas du tout pour l’intégration des Nés-Moldus ou d’une désescalade autoritaire. Quant à la Gazette… Je me fiche de savoir si Sirius porte des caleçons ou des boxers. Il faut une autre voix, une voix de la résistance !

— Très bien, Ron, s’agaça Hermione. On va monter un journal à nous trois et puis on enquêtera depuis la cuisine, parce qu’on est coincé ici sans pouvoir sortir, sinon on se fera tirer à vue !

À deux, Hermione, je retourne à Poudlard.

— QUOI ?! »

Neville les observa gravement derrière les branches du Dictame. Même Sirius fronçait à présent les sourcils en le fixant. Il hocha la tête pour confirmer son propos :

« Je dois y retourner, l’un de nous le doit. Comment savoir ce qu’il s’y passera si nous n’avons plus personne là-bas ?

— Mais tu…

— C’est totalement…

— Laissez-moi terminer. Oui, je suis officiellement du côté de Harry, et oui, cela me met en danger. Mais je ne suis ni « traitre à mon sang », ni « sang-de-bourbe ». Je suis Lord désormais… La dernière personne qui avait la responsabilité du nom des Londubat est morte. On ne supprime pas un des 28 sacrés comme ça.

— Il n’a pas tout à fait tort…, marmonna Sirius après une courte pause. Nous avons effectivement besoin qu’un de nous soit sur place et nous rende compte de l’état de Poudlard… entre autres choses, à dire vrai. »

Il se grattait la barbe avec attention, scrutant de temps à autre la cheminée avec désespoir. Mais ni Ron ni Hermione n’y prêtèrent attention et continuèrent de s’exclamer :

« N’importe qui pourrait être notre taupe, Neville ! Dean, Seamus, ou encore…

— Aucun n’est de mon rang, coupa Neville froidement. Je vous rappelle que Slughorn est devenu le Directeur de Poudlard et que la pureté du Sang n’a jamais eu autant le vent en poupe. Je serai de toutes les mondanités.

— Tout comme Malefoy, ainsi qu’une bonne partie des fils et filles de Mangemorts, compléta Ron en acquiesçant lentement. C’est vrai, Nev’. C’est vrai que ça pourrait être un atout, mais tu es méprisé par les Serpentards, et du reste… on se contacte comment ?

— Il y aurait bien une solution, proposa lentement Sirius en fixant toujours la cheminée d’un air ennuyé. À condition qu’il respecte ses engagements envers sa famille, bien avant l’école, évidemment…

— De qui parles-tu, Sirius ?

— DE SON ARRIERE-GRAND-PÈRE ! s’écria Hermione en refermant le livre sous l’émotion.

— Arrière-arrière, en réalité. Mais oui : il a deux portraits, un ici et un autre à Poudlard. Dumbledore lui faisait assez confiance pour lui faire passer des messages jusqu’à l’Ordre, alors…

— Mais n’est-il pas… eh bien, désolé Sirius, mais… clairement contre les nés-Moldus ?

— Si, ouvertement. Mais il est aussi contre Voldemort. Ce n’est pas incompatible, Ron ! ajouta Sirius alors que le roux allait ouvrir la bouche. Vous allez devoir le comprendre, ou bien vous vous ferez trahir par des amis, ou passerez à côté d’alliés potentiels… »

Personne ne sut s’il faisait référence directement à Pettigrow et à Snape, et Sirius ne leur laissa pas le temps de s’appesantir sur la question, il hocha la tête, comme semblant avoir pris une décision.

« Phinéas sera parfait, il suffira de trouver le moyen de lui parler directement sans éveiller les soupçons.

— Et son portrait est dans le bureau du Directeur, contra Ron.

— Oui, mais il peut se déplacer, il suffirait à Neville de se lier d’amitié avec un autre portrait pour tenter de le faire venir à un endroit sécurisé ?

— Ce n’est pas tout, ajouta Sirius de plus en plus incertain. Je crois… je crois qu’il y a des choses que tu dois savoir avant de repartir à Poudlard. Des choses qu’il faudrait peut-être vous dire tout compte fait. »

Devant leur mine inquiète, Sirius hésita une nouvelle fois, se demandant s’il pouvait réellement prendre cette décision, et s’il n’était tout simplement pas en train de faire la pire des erreurs. Il inspira longuement et décida de trancher, Snape n’était plus là pour mener la danse après tout, il fallait agir. Quand il ouvrit à nouveau la bouche, son cœur battait la chamade et il se souvint pourquoi c’était toujours James et Rémus les têtes pensantes du groupe.

« Tu es peut-être le seul à pouvoir gérer une mission à Poudlard, ne m’interrompez pas, parce que l’explication va être compliquée. Hermione, as-tu déjà entendu parler du mot… »

La sonnette de l’entrée retentit et Sirius bondit de sa chaise, baguette tirée. Elle sonna une deuxième fois, et chacun s’observa sans trop comprendre. Personne ne prenait la peine de l’utiliser, aucun allié n’aurait fait cela, et un ennemi ne serait certainement pas assez stupide pour…

« Restez ici, silence, tenez-vous prêts. » Leur ordonna-t-il.

Il se dirigea vers l’entrée et ouvrit lentement la porte, la pointe de son arme discrètement tendue vers l’arrivant. L’expression dure de Sirius fondit comme neige au soleil quand un jeune homme à casquette et à polo siglé « United Problem Solvers » lui tendit un colis et lui fourra sous le nez un étrange boitier.

« M’sieur Black ? demanda le gamin d’une voix ennuyée.

— Heu… Oui, c’est bien moi, mais…

— Signez ici, siouplaît ! » Coupa-t-il en pointant le boitier.

Sirius écarquilla les yeux, légèrement perdu. Il jeta des regards de gauche à droite, cherchant des yeux des ennemis potentiels fourrés dans les buissons ou aux abords du parc, mais manifestement le livreur était authentique, et si ce n’était l’improbable machine, il semblait tout à fait innocent.

« M’sieur, vous m’mettez en r’tard pour ma tournée, vous pouvez signer ? Avec le doigt, ça suffira !

— Ah, d’accord… »

Sirius avança l’index sans trop comprendre et le livreur soupira en levant les yeux au ciel.

« Bon sang, on va pas s’en sortir, là ! Avec le bout du doigt, faites votre signature… ! »

Déstabilisé par l’agressivité et l’insolence du garçon, Sirius tenta maladroitement d’écrire son nom – on ne signait pas quand on était Lord, on apposait son sceau ! mais cela produisit une sorte de pâté numérique infâme. C’était désormais SrsBlk qui avait réceptionné le colis.

« Eh bien ! Merci M’sieur, la bonne année, M’sieur ! »

Et le gamin descendit quatre à quatre le perron pour retourner dans sa fourgonnette, avant de faire un demi-tour interdit en pleine voie et prendre un contresens pour rattraper son retard. Curieux personnage. Sirius retourna dans la maison et déposa le colis avec précaution dans la cuisine sous les regards interdits des autres pensionnaires.

« Vous recevez le courrier Moldu, ici ?

— Oui, des prospectus d’ordinaire. Je vais vérifier si ce n’est pas piégé…

— Ça doit être Smith, non ? proposa Hermione en prenant le paquet et en cherchant une adresse d’expédition. AH ! Oui, voilà : Loïs Lane, Daily Planet, Métropolis. C’était son nom d’emprunt au Chicaneur, elle a bien fait de ne pas révéler son adresse, sait-on jamais.

— Mais que peut-elle bien nous envoyer ?

— Ouvrons. »

Sirius tira sa baguette pour défaire le scotch du colis, mais Hermione tira sur une languette et la boîte révéla alors une lettre manuscrite et un petit téléphone portable. Les yeux de la jeune fille brillèrent de malice tandis qu’elle lisait à voix haute le papier.

« Les ondes passent encore un peu dans cette satanée cuisine. Il n’y a qu’un seul numéro d’enregistré, c’est celui du portable jetable correspondant. Vous avez deux batteries pleines de rechange, et appels et sms illimités pendant 60 jours. Ne cherchez pas à racheter d’autres cartes, je vous en enverrai au besoin. Pensez à éteindre régulièrement le téléphone, vous ne pourrez le brancher nulle part. Hermione, explique à tout le monde comment s’en servir. N’appelez personne d’autre, préférez les sms, et parlez en code : Batman refuse que nous prononcions ou écrivions tout mot compromettant. Il craint qu’un tabou soit actif. Nous sommes en sécurité. Est-ce que la bataille des Thermopyles s’est bien passée ? Mon téléphone reste branché H24, j’ai pas de problème de mise en charge. Le code est 0000. Soyez prudents, que la Force soit avec vous. »

Le silence revint dans la pièce, rapidement rompu par le sifflement épuisé de Sirius :

« Je n’ai pratiquement rien compris… Qui est Batman ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Force, au juste ?

— Batman… ce doit être Snape, proposa Ron en réfléchissant. On l’appelle la chauve-souris des cachots, et Smith nous a montré un film où un héros en noir…

— Oui, la Force, c’est juste pour nous souhaiter bonne chance, continua Neville.

— Les Thermopyles, c’est de mon fait, expliqua Hermione. C’est à cause du Gallion, j’ai voulu lui dire que nous étions assiégés. Attendez, je lui réponds, je vous montre comment je fais. »

Elle alluma la machine, pianota sur le vieux clavier pour déverrouiller l’écran qui afficha le logo d’une compagnie téléphonique quelconque en vert et noir, avant de vibrer et de marquer : « Bonjour Agents double-zéros ». Quand Ron répéta le nom, Hermione murmura vaguement « James Bond » et chercha immédiatement dans le répertoire le nom de Loïs Lane, avant de se rendre compte qu’il n’y avait qu’une lettre d’enregistrée : « M ».

« Le Prof… Jane devrait arrêter de changer de référent culturel, je vais m’y perdre à force… »

Elle pianota en expliquant les subtilités d’un clavier téléphonique, avant de relire à voix haute le sms :

« Armée Perse repoussée, guerriers sains et saufs. Capitaine Crochet, Sinistros et LaFayette resteront garder la Batcave, mais PoisonIvy retourne à Arkham. Ce n’est pas encore Vichy, mais Pétain n’est pas loin. Veillez sur Luke. Que la Force soit avec vous. »

« À qui tu as donné tous ces surnoms ? Sinistros, je vois… Capitaine… Oh, c’est mesquin, ça Hermione ! ne put totalement s’emporter Ron en remuant son moignon. Je n’ai même pas de crochet…

Pas encore, répliqua-t-elle avec malice. Mais ça viendra. Sirius, Maugrey n’avait-il pas dit qu’il avait déjà demandé aux Gobelins de lui faire quelque chose ?

— Si, et j’ai réglé la note hier soir après la session extraordinaire à la Chambre. Je m’attendais à leur venue aujourd’hui, d’ailleurs… Crois-tu que Smith comprendra ton message ?

— Aucun doute ! Heureusement que papa était fan de comics, quand même » Ajouta-t-elle en envoyant le sms.

***

Severus Snape n’avait encore jamais pris le métro londonien. Des expériences étranges et improbables, il en avait fait beaucoup au cours de sa non moins étrange et improbable existence, mais faire la queue, payer en file indienne pour s’entasser le nez contre les aisselles d’un inconnu était de loin l’une des épreuves les plus déroutantes et désagréables qu’il avait eu à endurer. Que les Moldus soient des créatures capables d’autodestruction n’était plus un secret, mais leur proportion au masochisme commençait sérieusement à dérouter l’ancien Directeur de Serpentard. Jane se colla soudain à lui, poussant sans vergogne le cadre sup’ qui semblait ne pas pouvoir compter sur son déodorant, et Severus étouffa un soupir de contentement, tant il était soulagé de se débarrasser des effluves de l’inconnu. En lieu et place, il avait désormais le nez dans les cheveux de Jane, il avait envie d’éternuer, mais au moins, elle sentait bon. Quand elle se retourna et colla ses fesses contre lui, Snape se mordit la joue et lui pressa le bras pour lui signifier son désaccord. Elle lui donna un coup de coude et il releva les yeux, en face de la jeune femme se trouvait un autre homme qui peinait également à garder l’équilibre sous les cahots des rails. Severus comprit alors instinctivement et murmura doucement à son oreille :

« J’ai cru que vous m’aguichiez…

— C’est tout le problème, en général, vous les mecs le croyez très facilement. Et pour une fois, je connais celui à qui je colle mon cul. »

Severus toussa et regarda rapidement autour d’eux pour voir si quelqu’un avait entendu la vulgarité de Jane, mais la masse endormie et plongée soit dans son livre, soit sur son téléphone, soit encore à écouter des choses via d’énormes casques ridicules ; ne semblait pas s’intéresser le moins du monde à eux. L’impression d’invisibilité était totale, et pour la première fois depuis son arrivée ici, Severus se détendit. Des années à vivre à Spinner’s End sans jamais comprendre une chose essentielle : le monde Moldu moderne – plus encore dans les grandes villes – était une gigantesque poubelle où grouillait une multitude d’insectes. Personne ne faisait attention à l’autre, au point de rendre chacun totalement étranger au bien-être commun. Mais ce genre de considérations humanistes n’intéressant pas Severus, il ne vit que le plaisir de pouvoir se déplacer sans que l’on sache qui il était, ce qu’il faisait.

« C’est ici que l’Allée devrait déménager, marmonna-t-il.

— Pas sûr que les aristos louches se mêlent ainsi à la fange de l’Humanité. » Contra Harry qui gardait Luna dans ses bras, bien que cette dernière ait le visage tourné vers les fenêtres, tentant de percer la noirceur des profondeurs.

La jeune fille semblait totalement happée par l’environnement et regardait tour à tour les plans, les gens, les lumières, s’astreignant au silence le plus complet.

« Prochain arrêt Liverpool Street, annonça le haut-parleur.

— On y descend, c’est là que Dim’ a ses locaux. Vous ferez gaffe, ça se bouscule un peu. Luna, Harry, tenez-vous la main et collez-vous aux affiches dès qu’on arrivera, puis ne bougez plus. Severus, pareil. »

Se bousculer « un peu » n’était franchement pas le terme. Severus avait déjà déambulé dans les couloirs du Ministère, il savait à quoi ressemblaient les arrivées via les toilettes et avait pu constater que tout guindés que puissent être les agents administratifs du Monde Sorcier, ils n’en restaient pas moins des êtres arrogants et pressés. L’impression ici était multipliée par dix. Une foule de costumes et de talons hauts, de barbes impeccablement rasées, d’aftershaves et d’attaché-case, de confcall en oreillettes Bluetooth et de journaux The Economist roulés sous le bras le broyèrent. Il se sentit submergé par une vague désagréable et impérieuse, une vague qui n’hésitait pas à lui marcher dessus, à lui jeter des regards méprisants parfois. Une vague impitoyable qui les propulsa presque contre les affiches publicitaires au fond du tunnel et qui les laissa lessivés par la force de sa poussée. Les deux mains posées contre la reproduction en 2D des pectoraux d’un blond vantant les mérites d’un parfum, Jane balaya le groupe du regard pour s’assurer que tout le monde allait bien. Se reculant doucement en souriant, elle pouffa de rire :

« Si j’avais su qu’il suffisait de prendre le métro avec vous pour que je puisse enfin tripoter Chris Hemsworth ! Tout le monde va bien ?

— En dehors du fait que vous vous ébahissiez sur une impression mal collée, je suis entier, marmonna Severus d’un air renfrogné.

— J’adore le métro ! s’exclama enfin Luna. J’ai des tonnes de questions, mais je ne voulais pas paraître trop bizarre, alors…

— Garde-les pour ce soir, s’amusa Jane. Tu fais bien de rester discrète pour le moment. Severus, laissez tomber la jalousie mal placée et reprenons la route, Dim’ nous attend et on va finir par être en retard. »

Snape renifla en évitant avec superbe de se ridiculiser en répondant, et ouvrit la marche alors qu’il ignorait tout de la direction à prendre. Par chance, il ne se trompa pas, et le petit groupe lui accorda le plaisir de se draper dans sa dignité. Même sans ses robes, il continuait pourtant de marcher comme suivi d’une ombre impressionnante.

Ils finirent par ressortir, l’air glacé les choqua brutalement, avant qu’ils n’apprécient de ne plus sentir les urines, le goudron brûlé et la sueur humaine. Jane les fit traverser un minuscule parc qui apportait un peu de verdure au milieu de ces forêts de buildings glacés. Immenses, imposants, aux designs modernes et incroyablement froids, les bâtiments de la City s’élevaient dans les airs comme autant de preuves de la puissance des hommes. Un, en particulier, attira l’attention des Sorciers : en forme d’obus aux fenêtres bicolores, il s’érigeait vaillamment au-dessus de leurs têtes et les dominait de sa pointe. Jane capta leurs regards et hocha la tête :

« Vous admirez le cornichon. Diane et moi l’appelons l’IronDick, mais vous voyez les choses sous l’angle que vous voulez…

— Vos structures sont très…

— Phalliques ? compris Jane. Vous êtes à la City, le cœur des affaires de Londres, évidemment que c’est phallique, Severus. Ici coulent à flots l’argent, le sexe et la drogue des plus grands. On décide du monde, et il fallait bien rappeler ce qui consistait en la toute-puissance primaire…

— Je ne vois guère de différence avec notre prison, remarqua judicieusement Luna en souriant.

— C’est vrai ! s’écria Harry en fronçant les sourcils. Je l’ai vue en photo lorsqu’il y a eu l’évasion massive, vous croyez que ce n’est pas anodin, Professeur ?

— Alors, c’est toujours Jane, pour commencer. Même quand je m’apprête à vous faire la symbolique patriarcale par excellence. Et oui, je pense que ce n’est pas totalement innocent. Mais ne vous creusez pas trop la tête, je vous reparlerai du fait de devoir marquer des points à travers de petits anneaux au Quidd…

— Smith ! coupa Severus, inquiet. Faites la guerre à votre patriarcat, mais discrètement.

— Réponse typique de mec, haussa-t-elle les épaules en le taquinant. Pressons le pas, on a encore deux rues à traverser. »

Son téléphone sonna et Jane le tira rapidement avant de les arrêter à côté d’une sculpture étrange tout en granit.

« C’est Hermione, ils vont bien… Apparemment, quoi ? Attendez, Neville compte retourner à l’école !

— Passez-moi ça, ordonna Severus blêmissant. PoisonIvy, c’est lui ?

— Oui, n’essayez pas de comprendre. Pourquoi prend-il ce risque ? C’est insensé !

— Au contraire ! s’exclama Luna qui tentait de déterminer ce que représentait la sculpture. Il faut bien que quelqu’un tienne son rang dans cette histoire, et ce n’est pas Harry qui va pouvoir parader dans les bals, à présent.

Il a parlé, marmonna Severus entre ses dents. Il a dû leur dire pour… L’imbécile.

— Rien n’est moins sûr, contra Harry. Neville y va peut-être pour obtenir des informations, ou ne pas éveiller les soupçons. On ne peut pas tous disparaître. Et… si Sniffle a vendu la mèche, c’est peut-être pas plus mal, il va bien falloir tirer les vers du nez à Krea… son ancien serviteur, non ? »

L’argument sembla faire mouche, car Severus fronça les sourcils en fixant le cornichon avec attention. Il resta silencieux un long moment, assez pour que Jane les presse à nouveau :

« Nous allons être en retard. Severus, vous ne pouvez pas tout gérer, vous allez devoir leur faire confiance. Nous avons une mission, ils ont leur part à faire.

— Cette mission est justement la nôtre, pas celle de ce garçon.

— Ouais, et Harry est théoriquement le seul à pouvoir Le battre, et pourtant nous nous y mettons tous. »

Elle ne lui laissa pas le temps de répliquer et leur fit franchir de grandes artères où d’immenses bus rouges et de nombreux scooters allaient et venaient dans les deux sens. Mélangeant architecture moderne et ancienne, le quartier était grouillant de gens pressés et bien mis qui marchaient d’un pas vif, tantôt avec un café dans les mains, tantôt avec de grands sacs de magasins chics. Attifés comme ils étaient, bien qu’ils portassent toujours les vêtements Moldus qu’ils avaient sélectionnés, ils détonnaient dans l’environnement et passaient, au mieux, pour des touristes. Au regard ouvertement méprisant de certains jeunes gens sur lui ou sur la tignasse de Harry, Severus comprit qu’ils avaient davantage la dégaine de gens du commun, voire de la campagne profonde d’Angleterre.

« Là, on va passer la sécurité. » Expliqua Jane alors qu’ils étaient arrivés aux abords d’un grand bâtiment entièrement noir et argenté aux vitres teintées. « On va se faire fouiller, Severus, donnez-moi le sac, ça choquera moins si je le porte.

— Vous avez l’intention de les laisser fouiller un sac sans…

— Ils vont juste regarder, en réalité, pas de panique. »

Il se tut et obtempéra, mais quand elle marmonna qu’elle espérait que le détecteur de métaux ne capte pas l’épée, il blêmit soudainement. Arrivés devant l’entrée, un énorme malabar leur offrit un sourire poli et leur demanda très simplement de se soumettre à examen. Ce que Jane appelait « regarder », était en réalité un passage sur tapis aux rayons X, et Severus comprit immédiatement qu’elle l’avait dupé. Il avait beau être un Sorcier, il se souvenait encore de la manie des Moldus avec les radios. Son tibia gauche également, d’ailleurs. Jane lui sourit quand le sac et que chacun d’eux passèrent les portiques sans encombre.

« C’est bon, allez à l’accueil pour vérifier que vous avez bien rendez-vous. »

Snape attrapa le bras de Jane et la tira légèrement vers lui :

« Et si…

— Et si pour commencer vous arrêtiez de me prendre pour votre propriété, le coupa-t-elle en se dégageant en lui souriant dangereusement. Et que pour finir vous me faisiez un peu confiance ? Au pire l’image aurait été probablement brouillée. Au mieux, l’illusion marchait jusqu’au bout.

— Et s’ils avaient paniqué parce que leur machine se détraquait ?

— Ca n’a pas été le cas, coupa-t-elle court. Et Severus ? Je ne plaisante pas : ne vous avisez plus de me tenir comme vous l’avez fait. »

Snape cligna des yeux devant la dureté du ton qu’elle avait employé, et se rendit compte que ce n’était pas la première fois qu’elle lui faisait ce genre de réflexions. Seulement là, ici, chez elle, Jane semblait retrouver tout le courage et l’aplomb qui lui avaient manqués à leur rencontre, à moins que cela ne soit simplement parce qu’ils ne pouvaient plus entretenir ce genre de rapports… Il inclina la tête, et elle sembla se satisfaire de cette réponse.

À l’accueil, un jeune homme parfaitement peigné et habillé d’un costume bleu à la coupe impeccable les salua poliment avec cette retenue caractéristique de Londres.

« Je viens voir Dimitri, nous avons rendez-vous.

— Le 16h, oui. Il vous attend. Prenez l’ascenseur de gauche. Excellente journée. »

Jane ouvrit la marche et ils se retrouvèrent bientôt coincés dans une grande cage en verre où un seul bouton figurait. Manifestement, cet ascenseur-là ne desservait que les bureaux de Dimitri, et d’une certaine manière, cela ne surprit presque pas Severus qui se souvint de ce jeune homme si particulier. Une sorte de Draco Malefoy à la Moldue, pensa-t-il pour la seconde fois. Ils arrivèrent enfin devant une grande porte noire aux poignées argentées et Jane ouvrit sans s’annoncer. Les Sorciers s’attendaient à des bureaux de travail, et furent surpris de l’ambiance et de la décoration de l’unique pièce centrale.

Immenses, les lieux étaient plongés dans une lumière vive produite par de grands lustres modernes qui surplombaient ce qui semblait être un atelier. Au centre, plusieurs podiums trônaient, encadrés de miroirs étincelants montés sur des roulettes. Autour, livres, penderies mobiles, chariots de couture, maquillage, râteliers de peignes et de sèche-cheveux… Severus eut l’impression qu’ici, on fabriquait des gens. Un sifflement aigu fusa à travers la salle et transperça le morceau de disco que crachaient les enceintes invisibles. Le groupe se tourna instinctivement vers l’origine, et ils le virent : Dimitri Strauss, CEO de la prestigieuse Startup London Style, plus beau et impressionnant encore que dans les souvenirs de Severus. Il s’avança vers eux à pas lents et mesurés, assez sophistiqués pour que l’image de Malefoy père revienne immédiatement en tête à l’espion. Arrivé aux abords de Jane, il lui sourit, grimaçant légèrement et penchant la tête.

« Quoi ? lui fit-elle en levant le menton. T’as cru qu’on allait se préparer en plus ?

— Je suis partagé… partagé entre la joie de te revoir – toi aussi, Severus – et la consternation devant vos dégaines. Tu m’as dit que j’aurais aucune question à poser, mais permets-m’en une au moins.

— Je t’écoute… ?

— Personne ne vous a arrêté sur le trajet pour outrage au bon goût ?

— Très marrant, Dim’. Est-ce qu’on peut en venir à notre deal ? Il va falloir cadrer un peu ça.

— Oh, une énième cliente qui me dit comment faire mon travail… et celle-ci ne paie pas. Ewan ! Claire ! Préparez l’équipe, on va en avoir jusqu’à minuit. Raven ? Fais commander les assiettes chez Cooks’n’Brooks, et je veux du Champagne pour arroser ça, il est hors de question que nous ne gravions pas un nouveau miracle dans les bulles. Installez-vous.

— Dimitri…, commença Severus incertain. J’ignore ce que Jane vous a dit, mais…

— Vous pouvez compter sur mes équipes. Si vous n’avez jamais su d’où provenait le soudain bon goût d’Olivia Wilde ou pourquoi Matthew Lewis peut faire concurrence à Clive Owen, vous pouvez me croire, Severus, personne ne saura qu’inconnu numéro 1 ou quidam numéro 4 sont passés ici. La seule chose que vous avez à faire, c’est de laisser les professionnels travailler la matière. Je ne pose pas de question, vous ne discutez pas.

— Donc… quoi que vous fassiez, comprit Harry, nous devons nous plier à vos idées ?

— Si tu as peur pour tes lunettes à la Woody Allen du pauvre, il va falloir t’y faire. Jane a été on ne peut plus claire dans ses messages : vous devez être méconnaissables. Quant à moi, je vais aussi y ajouter un peu de classe.

— En réalité, pouffa Luna qui comprenait toujours aussi bien son ami. Je crois qu’il se posait la question pour… Severus. » Elle avala le titre de Professeur avec intelligence, et le susnommé se renfrogna quelque peu.

« Oh ! Il ne faut pas, sourit lentement Dimitri avec assurance. Je n’ai pas pour habitude de rater mon travail.

Moi non plus, marmonna Severus d’un air menaçant.

— On commence par qui ? Toi, peut-être ? J’ai l’impression qu’on va pouvoir faire quelque chose d’assez sympa avec toi. »

Tandis que Dimitri faisait monter Luna sur le podium pour l’observer sous toutes les coutures et lui poser mille questions étranges – sa couleur préférée, l’ordre dans lequel elle mettait le lait et les céréales, la musique qu’elle avait en tête au réveil – Severus se pencha vers Jane et Harry, assis sagement dans de grands fauteuils de créateurs.

« Je comprends la nécessité de cette mascarade, mais nous perdons un temps précieux, Jane avez-vous réglé la suite concernant les affaires dont nous devons nous débarrasser ?

— Calmez-vous, j’ai déjà trouvé l’endroit, je vous l’ai dit. Il faudra prendre le train et louer une voiture, mais je sais exactement où nous pouvons aller, ça sera terminé en un tour de main. »

***

« De quoi vouliez-vous nous parler ? » Demanda Ron après qu’Hermione ait confirmé qu’elle avait reçu un message de bonne réception du sms.

La lumière qui provenait de la rue côté Moldu arrivait péniblement jusqu’à la table de la cuisine, éclairant bravement les restes de leur déjeuner. À mesure que l’heure avançait, elle décroissait lentement, reprenant les accents bleutés caractéristiques de l’hiver. Neville se leva et remit du bois dans l’âtre, ravivant le feu qui redonna quelques couleurs à la pièce. Sirius agita sa baguette et fit bouillir de l’eau dans une théière, débarrassant dans un même temps les miettes de pain et les restes de desserts. Hermione pinça les lèvres et se racla la gorge :

« Est-ce si grave que vous gagniez du temps, Sirius ?

— Oui. Assez grave pour que Snape, Dumbledore et Harry vous aient tenu à l’écart. Assez grave pour vous mettre en grand danger. Et moi également, par la même occasion, termina-t-il en marmonnant.

— Tu veux dire que si Snape apprend que tu as parlé, il te tombera dessus ? demanda Ron avec perspicacité.

Mais il n’est pas là, coupa court l’aîné. Alors vous allez m’écouter attentivement, parce qu’il est nécessaire que vous compreniez tous les tenants et les aboutissants… Avant d’être interrompu, je t’ai demandé, Hermione, si tu connaissais… »

Mais la jeune fille secoua la tête rapidement en pointant du doigt l’âtre qui se colorait de vert. Tout le monde tira sa baguette avec attention, et Sirius prononça une formule autorisant la tentative de communication. Dans les flammes, la trogne caractéristique d’un Gobelin se présenta. Sirius se détendit quelque peu et inclina poliment la tête avant même que la créature n’esquisse un geste.

« Lord Black, Maître Smitt Edmekanik sollicite un rendez-vous pour solder une affaire.

— Oui, bien entendu. Tout de suite est possible, Maître Gobelin. »

L’envoyé ne se fit pas prier deux fois et s’effaça rapidement. Les flammes s’agitèrent derechef, jusqu’à ce qu’une boîte en fer forgé n’entre dans la cuisine, rapidement suivie par des mains crochues de Gobelin, ainsi que de leur propriétaire. Plus petit et plus trapu qu’Andosgolt, Edmekanik était un vieux Gobelin à la barbe roussie et aux épaules épaisses et musclées, aux jambes courtes et solidement plantées dans le sol. Son regard témoignait de son intelligence et de son inventivité, autant que ses bras affirmaient avec détermination qu’aucun métal ne résistait à sa volonté. Jamais Sirius ou les autres Sorciers n’avaient vu d’artisan Gobelin, et la rencontre les impressionnait grandement. Edmekanik posa la boîte devant Sirius, et se tint droit, fier.

« La commande que votre Krieger avait ordonnée à notre atelier.

— Vous… vous parlez de Maugrey, Maître Ed…Edmekanik ? demanda Hermione d’une voix timide.

— Exact, jeune Sorcière, confirma-t-il d’une voix dure. Lord Black, le règlement a été entièrement perçu, nous espérons que vous serez satisfait de notre travail.

— Je n’ai jamais eu connaissance d’une quelconque insatisfaction au cours des siècles, flatta Sirius. Permettez que… ?

— Elle est vôtre. »

Sirius fit pivoter la boîte et l’ouvrit non pas face à lui, mais à l’assemblée. Ron ouvrit la bouche et rougit furieusement. Sur un coussin de velours reposait une main métallique aux doigts effilés et subtilement gravés. Chaque articulation semblait avoir été reproduite à la perfection, jusqu’à la souplesse du poignet. Ses attaches, élégantes et solides étaient prévues pour remonter le long du bras. D’un métal sombre, la prothèse rougeoyait devant la lumière du feu, comme un écho de la forge dont elle était issue. Sirius releva les yeux en direction de Ron qui semblait ne plus oser respirer, il sourit doucement et se tourna vers le Gobelin.

« Maître, présenteriez-vous votre chef-d’œuvre à celui qui va l’éprouver ?

— Immédiatement. Monsieur Weasley, montrez-moi votre moignon. »

Ron s’exécuta instantanément, retirant la bague d’argent qui protégeait la chaire recousue. Neville frissonna légèrement en revoyant la cicatrice qui ressemblait à une bouche pincée qui aurait avalé le reste de la main. Hermione se mordit la lèvre et se retint de poser la main sur le bras de son ami. Le jeune homme n’avait plus contemplé sa blessure depuis qu’elle avait été soignée, et il lui semblait à nouveau éprouver la morsure du sortilège dont il avait été victime. Edmekanik hocha de la tête avec satisfaction.

« C’est lui qui s’est chargé de cette opération, n’est-ce pas ?

— Fol’Oeil ? Oui, il a pris en charge ma main, il m’a mis cette bague, et… c’est lui qui vous a contacté.

— Il connaissait très bien mon travail, acquiesça le Gobelin d’un air entendu. Bien, procédons. »

Il repoussa le cache en argent d’un geste impérieux et amena la boîte près d’eux. Délicatement, il en extirpa la prothèse et la positionna correctement sur le moignon fripé du garçon.

« Vous aurez mal. »

C’était un euphémisme. Ron étouffa un juron, avant de gémir et de serrer les dents. Quand l’artisan entoura son avant-bras des lanières de métal, la froideur de l’objet précéda une cuisante douleur lorsque les tiges métalliques s’enfoncèrent brutalement dans sa chair. Il eut l’impression que la cicatrice s’ouvrait sous un feu capable de faire fondre ses tendons, ses os et ses muscules, de faire fondre le métal et de les faire lentement fusionner. C’était au-delà du maléfice, au-delà de ce qu’il pensait pouvoir endurer. Si cela avait duré davantage qu’une poignée de secondes, il aurait cru pouvoir mourir de douleur, mais il tint bon et de sa gorge ne filtra pratiquement aucune protestation. Seule une perle de sueur dévala de ses tempes pour se nicher dans son cou. Il tremblait légèrement quand reflua la terrible sensation et qu’un froid glacial s’empara de son bras comme un courant d’air, s’effilant jusque… jusqu’au bout de ses doigts. Là, éberlué, Ron inspira profondément, l’émotion le submergeant et dépassant l’horreur précédente, et il sentit une puissante joie mêlée à de l’espoir gonfler dans sa poitrine. Il plia l’index, puis le majeur, et enfin l’annulaire. Il ferma lentement le poing, et sursauta presque quand il eut l’impression de sentir le bout de ses tiges toucher sa paume. Sans trop savoir si cela lui était possible, il inclina le poignet et le tourna dans plusieurs sens, jusqu’à éprouver les limites normales d’un corps humain. Le Gobelin le laissa un instant à sa découverte, avant de lui glisser entre les doigts un morceau de bois que Ron broya entre ses doigts. Des larmes lui vinrent. Il releva les yeux et balbutia, reconnaissant :

« Merci… Merci infiniment. Elle est magnifique.

— Le Krieger a commandé, et Lord Black a payé, Monsieur Weasley, nuança le Gobelin qui souriait pourtant de plaisir aux compliments.

— Oui, mais vous l’avez faite. »

Ron se tourna vers Sirius et ouvrit à nouveau la bouche, mais l’Animagus leva la main.

« Tu n’as pas à me remercier, je suis heureux d’avoir pu atténuer une perte. Certaines choses sont… réparables.

— Et d’autres, trop précieuses pour l’être, compléta Edmekanik d’un air sombre. Nous, Gobelins, ne nous engageons pas, mais sachez que vous avez toute ma sympathie. »

Tous lui sourirent avec douceur, comprenant l’importance de son propos et Sirius s’inclina une nouvelle fois profondément. Harry déteignait sur lui, et il lui semblait à cet instant que ce n’était pas plus mal. Smitt Edmekanik referma la boîte et la tendit à Ron qui releva un sourcil.

« Que vous n’oubliiez pas que cela reste un outil. Notre magie et notre savoir-faire améliorent l’existant ou le disparu, mais nous restons des êtres de chair et de sang. »

Cela sonnait autant comme un avertissement que comme un adage, et les Sorciers comprirent qu’il évoquait à mots couverts les limites qu’ils devraient éprouver. Sans plus de cérémonie, il retourna dans la cheminée et disparut dans les flammes après un dernier salut en direction de Sirius. Un silence respectueux retomba dans la cuisine, rapidement rompu par Hermione qui ne tint plus en place et examina la main sous toutes les coutures. Sirius repoussa sa tasse de thé et se racla la gorge. Les adolescents s’arrêtèrent soudain de discuter et comprirent qu’il était temps de lever le voile sur certains mystères.

***

Dimitri fit claquer sa langue contre son palais pour singer un roulement de tambours. Il était aux alentours de 23h, et lui, ses équipes et ses cobayes étaient épuisés par leur travail. Enfermés dans des sortes de box, coupés les uns des autres, ni Jane ni Harry ni Luna ou Severus n’avaient pu se voir eux-mêmes, et encore moins la nouvelle apparence de leur voisin. Severus s’agaça le premier, il était particulièrement nerveux depuis qu’il avait entendu le crissement des ciseaux s’actionner trop de fois à son goût.

« Le champagne est prêt, Dim’. » Annonça celle qui se faisait appeler Raven et qui arborait un look de vampire nouvelle génération.

Le blond soupira de soulagement comme s’il s’agissait d’une aube se levant sur un champ de bataille, et il tapa dans ses mains d’un air impérieux. Les box tombèrent au sol en accordéon de tissus, et un silence incroyable accueillit les transformations. Jane fixait Severus bouche bée, avant de se tourner rapidement vers les deux jeunes gens qui balbutiaient sans trop arriver à s’exprimer.

« Ça fait souvent cela, regardez-vous tous dans un miroir, admirez-vous. Tu m’as demandé « méconnaissables », je vous ai rendus magnifiques ! »

La modestie n’étouffait pas Dimitri, et cela ne fit que renforcer sa ressemblance avec Malefoy, cependant, Snape devait bien admettre qu’il avait raison : son travail était impeccable. La première personne à s’en remettre était Luna qui sauta de son piédestal pour aller prendre une coupe de champagne comme s’il était tout à fait normal de changer aussi rapidement de tête.

Ses longs cheveux blonds et emmêlés avaient laissé place à un carré où ses boucles voletaient dans tous les sens dans des teintes argentées et roses poudrées délicates. Maquillé très légèrement, son visage était entièrement éclairé et frais, faisant ressortir le bleu si particulier de ses yeux. Pour l’habiller, Dimitri lui avait confié une robe de velours d’un violet si foncé qu’il en était presque noir, des collants légers et irisés couvraient ses jambes qui se terminaient par des bottines à talons hauts noires avec des rivets rosés.

« Bien entendu, commenta le créateur, la prestation comprend quelques sets et conseils accessoires, mais il faudra être autonome maintenant que j’ai montré la voie.

— Oh, je trouverai des accessoires parfaits, acquiesça Luna. Je suis certaine que mes boucles d’oreilles radis seront parfaites ! »

Harry se mordit la joue et Snape leva les yeux au ciel quand Dimitri répondit sans comprendre qu’elle était très sérieuse :

« Excellent ! Totalement décadent !

— Tu es toujours aussi belle, ponctua le jeune homme en éternel séducteur.

— Bizarrement, tu me plais aussi avec ton air normal. Tu ne ressembles plus à ce que nous avons l’habitude que tu sois, et c’en devient bizarre. Même ta cicatrice a disparu…

— Alors pour ça, hélas, il n’y a pas de secret, vous savez : il faudra maquiller tous les jours. J’aime pas trop dissimuler les spécificités de mes clients, surtout quelque chose d’aussi peu banal, mais vu la demande de Jane…

— Oui, nous devions passer inaperçus, justement, s’agaça Severus en fixant les cheveux roses de Luna.

— Mon ami, vous devriez sortir un peu de votre école de stars paumées dans le trou du cul de l’Ecosse, parce qu’à Londres, justement, vous êtes tout ce qu’il y a de plus normal ! Excellemment bien habillés, mais terriblement dans la norme.

La tienne, précisa Jane.

— Je n’en connais pas d’autres. Pour la cicatrice, Harry, vous vous souvenez de comment Ewan s’est chargé de vous appliquer la crème ?

— Oui, merci. »

Il sourit et descendit à son tour pour rejoindre Luna et tenter de manger un bout, il commençait à mourir de faim. Alors qu’il chipait une pomme de terre dans une des assiettes de cuisinier qu’on leur avait livré, il croisa son reflet dans le miroir et opina du chef. Il aurait du mal à s’habituer à son reflet.

Débarrassé de ses lunettes, découvrant ainsi les joies des lentilles, il eut l’impression de faire plus vieux, que son regard émeraude perçait son environnement. Difficile de ne pas se rendre compte qu’il avait durci avec le temps. Maquillée, sa cicatrice ne barrait plus son front et Dimitri avait retravaillé entièrement sa coiffure, disciplinant ses mèches folles jusqu’à en fait une chevelure savamment en mouvement. Plutôt courts sur les côtés, plus épais et longs sur la frange, ses cheveux étaient brushés légèrement en arrière, dégageant son front et son regard. Pour la forme, le blond n’avait pas hésité à éclaircir quelques mèches de touches brunes, donnant à la fois du relief et de la matière à ce qui était jusqu’ici qu’une masse informe de jais en épis. Blouson en cuir marron et pull bleu marine à col roulé moulaient sa carrure que Dimitri n’avait pas hésité à louer « Toujours un plaisir de travailler des sportifs, ce sont les meilleures épaules ! » avait-il dit en prenant les mesures. Jean droit noir tombant sur des bottes de cuir marron terminait le tout. Ainsi, Harry Potter, l’Élu de même pas encore 17 ans s’effaçait au profit d’un jeune homme plus âgé, facilement confondable avec un de ces dandy des grandes écoles, probablement joueur de Cricket et intellectuel à ses heures perdues.

« Tu aurais eu de la barbe, on aurait pu faire quelque chose de plus sympa encore, mais tu es jeune… Cela dit, penses-y quand elle poussera. »

Harry allait protester qu’il était déjà obligé de se raser, mais il ravala sa fierté d’adolescent quand Jane soupira et sauta sur ses talons pour filer dans leur direction.

« Je vois que mon travail est apprécié…, marmonna Dimitri.

— Ça n’est pas ça, j’ai faim et j’ai soif. Mais c’est au contraire super, tu rêvais depuis si longtemps de t’en prendre à mes cheveux, donc…

À ton look entier, tu veux dire. En soirée, tu sais être jolie. Mais soyons francs, il était temps de faire quelque chose… N’est-ce pas Severus ? »

Snape préféra ne pas saisir la perche, certainement pas devant un Potter aussi goguenard. Il choisit d’agiter la main comme on chasserait un insecte indésirable. Il aimait bien les longs cheveux de Jane, lui… Surtout qu’il leur avait trouvé des applications très intéressantes récemment. Mais, désormais, elle aurait un carré plongeant très court sur la nuque, la raie sur le côté, laissant une grosse mèche boucler avec insolence. Là, encore, Dimitri avait très peu touché à la couleur d’origine, il avait opté pour des touches légèrement plus claires donnant des reflets blonds à sa chevelure. Quant à sa tenue, elle portait un costume noir doublé de blanc, qui au lieu d’être ouvert sur une chemise à pinces ouvrait sur un bustier crème brocardé. Montée sur des talons, Jane ne ressemblait plus à une jeune femme préférant le pratique au chic, mais à une de ces working girls qu’ils avaient croisées dans le Métro. Non. À une working girl qui prenait des taxis, parce que le Métro était populaire…

« Jane, tes t-shirts pop culture ont dû faire des ravages chez tes élèves, mais tu as trente ans depuis quelques années, maintenant, il est temps de commencer à ressembler à une femme irresponsable.

— Et bien entendu, dans le sens le plus sexuel et festif du terme.

— Bien entendu. Avant d’être Prof, t’étais une plume… D’accord, pas une grande journaliste, mais ton mordant nécessite un peu plus de cachet, peut-être que tu vas repenser tes compétences maintenant que je te mets face à ton sex-appeal.

— Tu mets le monde entier face à lui, avec ce bustier, pouffa Jane en délaissant sa coupe le temps de lorgner le rebondi de ses seins. Bon, aller, Severus, descendez de là qu’on mange, j’en peux plus !

— C’est vous qui nous avez traînés ici. » Répliqua-t-il.

Il se tenait toujours sur son podium, une main glissée dans une des poches de son pantalon, et une autre laissée le long de sa cuisse. Jane rougit légèrement, et Dimitri hocha la tête en observant son amie et leva son verre.

« Voilà exactement ce que je voulais voir comme réaction. »

Snape arqua un sourcil, et siffla légèrement d’agacement en descendant nonchalamment de son promontoire. Peu importait les vêtements de cet homme, il restait impressionnant. Dimitri avait effectivement coupé ses cheveux, laissant quelques mèches plus longues sur les tempes et en guise de frange qui tombait de part et d’autre de son front. Les équipes n’avaient absolument pas touché à la couleur si sombre de sa crinière, gardant ce noir profond. Chemise noire, légèrement ouverte, veste noire à trois boutons, pantalon noir tombant impeccablement sur des chaussures cirées et une montre rectangulaire et fine à lanière de cuir consistaient en ses seules transformations. Mais d’un Sorcier austère au teint cireux, il était devenu un dangereux acteur ou poète au regard insondable. Le nez si particulier de Severus reprenait une place normale dans une nouvelle symétrie débarrassée de ces rideaux de cheveux fins et graisseux, désormais, il semblait faire tout l’équilibre de son visage, et oui, Severus en devenait très séduisant.

« Fermez la bouche, Smith, susurra-t-il en passant à leur niveau pour s’emparer d’une coupe de champagne.

— C’est assez incroyable ce que vous avez fait, Dimitri, enchaîna Harry en souriant. Personne que nous connaissons ne pourrait nous reconnaître !

— N’était-ce pas un des buts ? Buvons, avant que je ne congédie ce beau monde et que je ne rompe le contrat.

— S’il te plaît…, supplia Jane.

— Je ne dirai rien, tu as ma parole. Pas même à Diane, je sais. Mais tu ne peux m’empêcher de me faire me poser des questions. Que se passe-t-il pour que vous cherchiez à vous cacher… surtout à quelques jours de la rentrée ? Je sais ! Pas de questions, mais je m’inquiète.

— Fais-moi confiance, alors. Merci pour ton aide. Je ne sais pas si on va beaucoup utiliser les tenues de soirée que tu as prévu, mais…

— Quelles tenues de soirée ? Ce sont des vêtements pour tous les jours ! »

Snape leva les yeux au ciel pour la énième fois depuis son arrivée ici. Il ressemblait définitivement trop à Malefoy. Du reste, songea-t-il, Jane pouvait être évasive autant qu’elle le voulait, il semblait que leur attitude était suspecte, même aux yeux de Dimitri. S’il savait ce que Jane lui cachait…