Remerciements spéciaux (Tipee) : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer pour leur soutien sur Tipee ! Merci à Pierre et Achille, les premières Muses à jouir de leur droit en proposant un personnage. J’espère que son devenir vous plaira. 🙂
Sa tête tournait. Ses membres lourds et engourdis l’avaient portée jusque-là sans que rien ne puisse expliquer un tel exploit. Chaque pas avait été un effort. Un effort pour continuer, pour assumer. Redescendre, littéralement, avait été un périple. Redescendre de son nuage, de ses certitudes. Et entamer cette descente pure sous le sol, dans les tréfonds de Poudlard, dans ses cachots avait été une punition. L’instant d’avant elle tutoyait des êtres merveilleux, quand soudain elle fut projetée à terre. Sous terre. Dans une Géhenne où l’on ne dort pas tout à fait. Et où l’on ne vit certainement pas. Elle avait laissé le panier au jardin, laissé les pommes près de l’arbre. Elle avait la connaissance. Et dans la froideur propre à la mortalité, comprenait que désormais, elle regarderait ces créatures d’en bas.
C’est le corps glacé, drapé dans sa mousseline vaporeuse et légère qu’elle poussa la porte de ses appartements, l’esprit absent. La chaleur de la pièce lui éclata au visage sans qu’elle ne la sente vraiment. Assis sur le canapé en train de lire, Severus maugréa, avant de blêmir et de se redresser, alerte. Il lui parlait, répétait sans cesse la même chose mais ses oreilles bourdonnaient, emplies du martèlement de sa circulation sanguine, des pulsations de son cœur. Au moins était-elle vivante, crut-elle important de se dire. Quand l’homme posa ses deux mains sur ses épaules pour la secouer, elle se demanda ce qu’elle faisait ici. Quand il prit son visage en coupe, la chaleur de ses paumes la brula et son regard vague se fixa enfin, reprenant brutalement pied dans la réalité. Par-dessus les appels de son ami, elle bredouilla d’une voix sans timbre :
« Dumbledore s’est trompé. »
Le regard obsidienne s’ancrant dans le sien, une seconde de trop, avant qu’elle ne le repousse brutalement en s’écriant :
« NON !
— …
— Je vous interdis de regarder dans ma tête.
— Je suis désolé.
— Ne refaites jamais ça. Je vous interdis…
— Je suis désolé, Jane, coupa-t-il d’une voix ferme. Voulez-vous me le dire à voix haute ? »
La Moldue tituba presque en direction du canapé, cherchant du bout des doigts son chemin. Elle trouva sa boîte à cigarettes, la caressa d’un air absent et tourna son regard délavé par les larmes vers son ami. Avait-elle pleuré tout le long de son trajet ?
« J’dois savoir. Dumbledore… Merde… Qu’est-ce que je vais faire ?
— Vous calmer, dans l’immédiat. »
Il avait beau moduler parfaitement le timbre de sa voix, elle commençait assez à le connaître pour sentir sa tension. Son regard allait et venait dans la pièce, la scrutait, repartait en direction de la porte. Severus calculait. Il était évident qu’il avait capté l’essentiel de ce qu’il y avait à savoir, et à présent il calculait, projetait, reconfigurait la situation selon les nouvelles données acquises. C’était inhumain d’être capable de voir la vie sous ce prisme-là. Totalement Serpentard. C’était surtout aux antipodes de ce dont elle avait besoin. Il sembla le comprendre, puisqu’il attrapa le plaid qui traînait sur le canapé et le plaça sur ses épaules.
« Vous devriez passer une autre tenue avant qu’on…
— Non, décréta-t-elle. Dumbledore doit tout savoir. Maintenant. »
Elle se redressa rapidement et rejeta le plaid qui chuta bêtement au sol. D’un geste rageur, elle attrapa sa blague à cigarettes et sortit aussi soudainement qu’elle était venue. Severus inspira et la poursuivit, la jeune femme ayant déjà mis une bonne distance entre eux. Elle marchait à vive allure, ce qui n’était pas son genre, soufflant bruyamment, et s’épuisant à vue d’œil. Agacé, Snape chercha à l’attraper par le poignet, mais elle l’esquiva, continuant sa route comme si elle le fuyait.
« Je suis désolé, répéta-t-il du bout des lèvres, espérant qu’aucun élève ou fantôme ne l’entende. Je n’aurais pas dû…
— Laissez tomber, ça n’est pas la première fois.
— Je n’ai pas tout…
— Mais ça sera la dernière. »
La colère vibrait intensément dans la voix de Jane qui semblait incapable de faire autrement que de la diriger pour l’heure vers Severus. L’homme ne lui en tint pas rigueur et se tut, l’accompagnant simplement. Ils arrivèrent devant la gargouille et Snape balança le mot de passe négligemment, se demandant s’ils allaient déranger ou non le Directeur de Poudlard. Mais Albus n’était pas un homme qui dormait particulièrement. Moins encore depuis qu’il se savait condamné, avec pourtant de nombreuses choses à accomplir avant de partir. Quand le portrait de la gargouille à côté de la porte lui annonça ses visiteurs, il repoussa les documents qu’il étudiait et déblaya son bureau. À l’arrivée de Jane et Severus, un thé fumant les attendant, assorti de quelques bonbons au citron. Le vieil homme allait faire une réflexion sur le caractère inséparable du duo quand la mine préoccupée de son protégé et le regard de la Moldue l’interpellèrent. Jane garda résolument les yeux baissés, et c’est en évitant ostensiblement de croiser son regard qu’elle lui expliqua :
« Je ne suis l’héritière de rien du tout. »
En venant, elle avait tourné et retourné plusieurs formulations, toutes plus grandiloquentes les unes que les autres, toutes dignes du début d’un épisode de série après un cliffhanger magistral. Mais maintenant qu’elle devait le dire, la honte, la peine, l’épuisement avaient pris le dessus, et c’est un timide, presque enfantin « rien du tout » qui lui vint à l’esprit. Elle n’était personne. Albus cilla, observant Severus avec attention. L’homme évitait lui aussi de le regarder directement. Parfait Occlumens, il pouvait faire face à Dumbledore, mais le geste était symbolique et ostensible. Jane le vit et quand elle reprit son souffle, le mage blanc comprit l’attention.
« Vous vous êtes trompé, ajouta-t-elle. Je viens de parler avec Helena Serdaigle, elle m’a tout dit. Mon père… Enfin, William Smith n’est pas mon père. Et il est mort, monsieur le Directeur, mort ! C’est terminé. Tout ça, c’est terminé ! »
Elle était montée dans les aigus, la panique reprenant le dessus alors qu’elle tripotait machinalement sa boîte de cigarettes. Elle hésitait à en fumer une tout de suite, mais elle se sentait incapable de se focaliser sur autre chose que son discours.
« PUTAIN, MAIS DITES QUELQUE CHOSE ! JE VOUS DIS QUE JE NE SUIS NI L’HÉRITIÈRE DE GRYFFONDOR NI CELLE DE SERDAIGLE ! VOLDEMORT A UN PUTAIN DE BOULEVARD POUR ROULER SUR CETTE PUTAIN D’ÉCOLE ! »
Les mains jointes devant sa bouche, aucun des deux ne le virent répondre dans un souffle quelque chose d’improbable.
« Je le sais, Miss, calmez-vous. »
***
Joseph Abernathy croyait savoir ce qui l’attendait en taguant sur les murs du chaudron baveur. Il s’était imaginé être démasqué par une patrouille d’Aurors, peut-être par une escouade de la Brigade d’Interventions Tactiques d’Élites ; mais être cueilli par une paire d’yeux gris brûlants, et un rire enfantin qui le hanterait à jamais n’était pas dans ses ambitions.
De sa baguette, et depuis quelques jours, il parcourait le Londres Moldu ou Sorcier pour graver les murs d’un crâne vomissant un serpent. Les policiers Moldus s’étaient mis sur l’enquête, ne comprenant pas d’où sortait cette peinture indélébile et s’inquiétant de la possibilité d’une émergence de groupuscule néo-sataniste. La Maire de Londres, fraîchement élue après une campagne houleuse basée sur un renforcement de la sécurité suite aux derniers évènements qu’ils attribuaient aux Irlandais, avait déjà recadré ses équipes à coups de vociférations et de communiqués de presse « musclés ». La situation était sous contrôle, circulez. Du côté du Ministère de la Magie, on s’inquiétait vivement de ces nouveaux symboles qui fleurissaient un peu partout, ça et les différentes agressions perpétrées dans le pays. De plus en plus d’objets maudits étaient volontairement laissés à disposition des Moldus, avec des sortilèges toujours plus agressifs. L’autre tendance était cette vague de soutiens apparents à ce qu’on commençait à appeler : « La ligne Vous-savez-qui ». La dichotomie de la société sorcière entre les positions de l’Ordre, celles de Voldemort, et au milieu deux positions politiquement modérées portées par Sirius Black et Lucius Malefoy, plongeait les Sorcières et les Sorciers dans un chao idéologique qui n’avait plus été atteint depuis les grandes guerres Moldues. Même la précédente guerre contre Voldemort n’avait pas apporté un tel lot de questionnements, obligeant les baguettes de l’époque à choisir simplement entre la vie et la mort. La profusion de communication, les nuances idéologiques, les nouvelles mouvances culturelles amenées par les nés-Moldus entraînaient un chamboulement tel que des gens comme Joseph Abernathy voyaient le jour. Des personnalités n’ayant plus rien à perdre, certainement pas un temps qu’elles avaient à profusion, et encore moins de famille. L’ennui, l’envie de vivre des choses extraordinaires et dignes de figurer dans les livres comme « Grandeurs et Décadence de la Magie Noire », les poussait à braver les politiques sécuritaires de plus en plus drastiques du Gouvernement Sorcier. Et tout ceci pour peindre quelques horreurs de mauvais goût sur des devantures aléatoires.
Simple préposé au courrier dans une boutique de balais, Abernathy pensait se soulager de son désaccord sur les assouplissements de règles en matière d’échange financier avec le monde Moldu, et de se venger de ce nouveau venu à la boutique qui ne sortait pas de Poudlard. Reproduire le dessin de la Marque des Ténèbres était pour lui un acte de vandalisme politique presque anodin, à peine de quoi vous faire faire un rappel à la loi par un comité restreint au Ministère… Certainement pas assez subversif pour vous retrouver dans cette posture. Car à présent, confronté directement à ce qu’il venait de soutenir, le Sorcier n’en menait pas large. Lui, comme les autres, tremblait comme des elfes.
« Calmez-vous… » Leur répéta cette voix qu’ils n’oublieraient plus jamais. « Vous n’avez rien à craindre de moi… Et tant que vous vous comporterez bien, vous n’aurez rien à craindre de Lui. »
Ils étaient un groupe de cinq sorciers et sorcières, tous manifestement « invités » à des moments similaires. Comme mus par les mêmes desseins, ils étaient habillés de noir, de vêtements qui pouvaient facilement masquer leur identité. Joseph ne mit pas longtemps à comprendre que, comme lui, les autres avaient été « conviés » par ce rire et des bras puissants alors qu’ils commettaient très probablement crime ou délit du même acabit que le sien. Ils n’avaient pas l’air d’assassins, ils n’avaient pas l’air de sympathisants des ténèbres non plus. Pourtant, malgré la peur que tous ressentaient, chacun d’eux était excité par la tournure que prenaient les choses. Si le Seigneur des Ténèbres était cependant absent, Bellatrix Lestrange et Fenrir Greyback suffisaient à leur faire comprendre que l’honneur était grand.
« Vous n’avez rien à craindre, disais-je… Car nous partageons de toute évidence les mêmes visions pour ce pays. Il est bon qu’il y ait encore des Sorciers et des Sorcières qui soient prêts à montrer leur opposition au laxisme du Ministère de la Magie et au délitement de notre race. Nous avons entendu votre appel et…
— … Heu… »
Joseph déglutit et les muscles de son dos se contractèrent instinctivement. Le malheureux qui venait d’interrompre Lestrange avait à présent attiré l’attention entière du groupe. La pièce qui n’était déjà pas particulièrement éclairée ni même chaleureuse sembla plonger de quelques degrés encore vers un froid mortuaire qui commençait à engourdir ses sens. Il n’avait pas été à Poudlard en même temps que Lestrange, Abernathy ne la connaissait donc que de réputation, mais il savait parfaitement qu’elle était dangereuse et impitoyable. Cet imbécile avait donc intérêt à avoir une bonne raison de se faire entendre. La Mangemort prit sur elle et étira lentement sa bouche en un sourire qui se voulait engageant.
« Oui… ?
— Je… Je crois qu’il y a erreur. Je… Je n’ai appelé personne, moi. »
L’abruti ! pensa Abernathy en regardant l’homme se tortiller sur sa chaise. Quoi qu’il ait fait pour se trouver ici, Bellatrix n’allait pas apprécier qu’on lui explique qu’elle s’était trompée. La brune observa l’impudent un moment avant de demander d’une voix innocente :
« N’as-tu pas crié cette nuit à l’Alambic que « Le sang vaincra » ?
— Si… mais…
— N’as-tu pas ajouté que le Seigneur des Ténèbres était le seul à s’attaquer aux vraies racines du mal dans notre monde ?
— … Peut-être… Peut-être… Mais…
— Mais quoi ? Renies-tu ton propos, Marcus ?
— Ben… C’est-à-dire, que… »
Abernathy cligna lentement des yeux, sachant très bien où cet ancien Serdaigle voulait en venir. Comme beaucoup dans ce petit groupe réuni dans le salon du Manoir Jedusor, Marcus Lockroad était un faible qui avait trouvé grisant de hurler avec les loups. Le pauvre homme termina sa phrase dans un souffle :
« … J’étais bourré, quoi… J’le pensais pas vraiment…
— Ah, je comprends, hocha doucement de la tête Bellatrix en s’approchant de lui. Tout le monde a déjà été enivré, n’est-ce pas Greyback ? »
Le loup-garou sourit d’un air animal, dévoilant des canines anormalement aiguisées. Il ricana d’une voix si gutturale qu’on aurait dit un prédateur en train de grogner de plaisir anticipé.
« Oh oui, mais l’alcool n’en est pas toujours la cause, se délecta-t-il.
— C’est vrai, admit Bellatrix… Mais nous comprenons ce que Marcus est en train de dire. Marcus est en train de nous dire qu’il ne croit pas vraiment que le Seigneur des Ténèbres puisse nous sauver…
— NON ! Non, pas du tout, ce n’est pas…
— Chut… Je comprends. Il arrive à tout le monde de faire des erreurs. Même à moi… AVADA KEDAVRA ! »
Abernathy cilla. Le sort fusa droit vers Marcus, le percutant avec tant de force qu’il bascula de sa chaise pour atterrir sur le dos, les bras en croix, une expression de terreur peinte sur le visage. Sur le sien, Bellatrix n’exprimait rien. Pas une once de pitié, aucune émotion ne transparut, si ce n’est l’ennui le plus profond. Jamais Joseph n’avait vu qui que ce soit se faire tuer sous ses yeux, et jamais il n’aurait cru que cela demande aussi peu d’effort.
« Même à moi, répéta-t-elle. Après tout, j’ai bien cru qu’il était des nôtres… »
Elle avait dit cela en souriant, levant les mains et les épaules comme une petite fille qui aurait sauté dans une flaque d’eau par amusement. Cela tira un éclat de rire terrible au loup-garou, et alors que le reste de la petite troupe frissonnait de terreur, Abernathy sentit une intense chaleur se déverser dans son corps.
***
Le silence dans la pièce était total, Severus refusait toujours de tourner son visage vers son mentor, préférant concentrer son attention sur Jane. Cette dernière regardait bouche bée le vieil homme. Quand elle sembla retrouver l’usage de la parole, elle demanda très froidement :
« Comment ça, « vous savez » ? »
Cela n’avait pas non plus particulièrement surpris Severus qui avait vu ici la confirmation d’une hypothèse soulevée à Halloween. Il n’y avait pas beaucoup d’explication au fait que Smith s’était retrouvée en danger dans l’école même dont elle était supposément l’héritière… C’était un fiasco, mais les deux Sorciers s’y étaient préparés depuis l’automne.
« Je le sais, répéta Dumbledore avec calme.
— Et on peut savoir comment ? Depuis combien de temps ? Quand est-ce que vous alliez m’en parler ?
— Jane, pouvez-vous au moins…, commença Snape.
— Non, coupa-t-elle. Et j’en ai ma claque de vos leçons de politesse, vous n’êtes ni mon père ni mon Professeur, Severus, alors foutez-moi la paix.
— Ne vous en prenez pas à lui, Jane, je suis le seul à blâmer. Je le sais depuis que vous êtes arrivée.
— Vous vous foutez de ma gueule, j’espère. »
Ils ne l’avaient plus entendue aussi vulgaire depuis leur première rencontre, peut-être. Mais même lorsqu’elle les croyait fous, la jeune femme avait eu plus de chaleur dans la voix. Sa posture, son ton, trahissaient une violente colère qu’elle tentait de maîtriser tant bien que mal. Severus vit également de la peur, mais il ne chercha plus à les interrompre.
« Je crains que non, Miss. Je m’en suis rendu compte lorsque la gargouille a refusé de vous ouvrir lors de votre première visite.
— Je croyais que c’était…
— Non, ce n’était pas une question de mot de passe. J’ai préféré me l’imaginer, mais les plaintes des elfes de maison par la suite…
— Quoi ? Mais et pourquoi ?
— Ils… Ce sont des gens très attachés aux traditions et au respect de… Eh bien de la hiérarchie… Le fait que vous chipiez si souvent de la nourriture sans être…
— Une sorcière, comprit Jane en dévoilant un vilain sourire écœuré. De la hiérarchie… des races, vous voulez dire… Merde. Alors c’est ça ? Ça a toujours été ça en fin de compte : j’ai pas de pouvoir et il est important qu’on me le rappelle… J’aurais préféré que votre plan foire jusqu’au bout et que vous m’ameniez devant les ruines que j’aurais dû voir au lieu de l’école. Vous auriez eu l’air malin avec votre idée stupide et vos robes à paillettes. Parce que j’ai vu l’école… Je suis pas demeurée encore, Moldue peut-être, mais pas totalement débile : il est bien dit dans l’Histoire de Poudlard qu’il y a des tonnes de sorts pour « les gens comme moi », s’emporta-t-elle en se relevant avec colère. J’ai cru que c’était bien la preuve que cette histoire de dingue avait un sens : si je la voyais cette putain d’école, c’était que j’étais bien de ce putain de monde… Mais non ! »
À présent, elle attrapait une cigarette d’un geste brusque et l’allumait sans faire cas de l’endroit où elle se trouvait. Elle tira une grosse bouffée et la recracha tout en continuant.
« Mais je ne suis pas la descendante de machin et bidule. Je suis même pas Jane Smith. J’suis juste Jane. Mais je reste toujours Moldue. La Moldue. Jane la Moldue. Jane, la Professeure Moldue d’Étude des Moldus, et c’est ça votre entourloupe depuis le début, hein, Albus ? C’est COMME CA que vous vous êtes assuré que quoiqu’il se passe j’allais quand même vous être utile : j’étais pas du tout supposée faire les rayonnages à la bibliothèque et l’ancienne Prof n’a pas donné sa démission la veille de mon arrivée. VOUS LE SAVIEZ DEPUIS PLUS LONGTEMPS. Et comme vous êtes fou, et que rien ne vous arrête jamais : vous avez trouvé tout à fait pertinent de me coller dès le début à ce poste, ça m’occupait, ça vous permettait d’avoir quelqu’un pour faire de la propagande, et personne ne s’intéressait non plus à mon lignage. Vous vouliez juste que la pilule passe auprès du Ministère, donc vous avez différé et fait croire à une épiphanie de dernière minute. Une pierre, deux coups. Et moi… J’voyais ce putain de château, parce que ce tas de pierres avait magiquement capté que j’devais y faire cours ! »
Severus ouvrit la bouche, laissant sa surprise s’exprimer. Lui-même n’avait pas relevé ces détails ni cherché à comprendre les motivations du Directeur. L’histoire entière lui avait semblée trop rocambolesque et improbable pour avoir un quelconque sens. Il jeta un œil à Dumbledore dont le regard scintillait d’intelligence. Elle visait juste. Comme bien souvent.
« Alors, il va se passer quoi, maintenant, hein ? reprit-elle en continuant d’enfumer la pièce et de faire les cent pas. Quand vos copains de l’Ordre vont l’apprendre, il va se passer quoi, vous croyez ?
— Rien, Miss. »
Dumbledore agita la main et la fenêtre s’ouvrit magiquement, puis il se leva et contourna son bureau pour se poster près d’elle et l’observer longuement.
« Ils ne feront ni ne diront rien, car vous faites partie de l’Ordre à présent. Quant à moi, si vous me faites encore un peu confiance, je n’ai aucune raison de vous congédier. C’est donc à vous de me dire ce qu’il va se passer, je vous laisse ce choix.
— C’est ça… » Cracha-t-elle en détournant les yeux.
Jane se décala et inspira longuement en grimaçant. Elle jeta sa cigarette dans le parc et en ralluma immédiatement une autre.
« Comment avez-vous pu vous planter à ce point ? Vous pouvez faire voler des gens, des objets, vous pouvez vous téléporter… Comment. Avez-vous. Pu. Vous. Planter ? » Hacha-t-elle rageusement.
Cette fois-ci, Snape se racla la gorge et expliqua, sachant plus ou moins quelle réaction cela déclencherait :
« Il n’existe aucun moyen de vérifier la filiation chez un Sorcier. Les comptes en banque répondent à votre clé, ou à votre signature magique… Les objets appartenant aux familles également… Mais il n’y a pas de… De test comme chez les Moldus.
— C’est n’importe quoi ! Les gosses sont inscrits automatiquement à Poudlard à leur naissance, mais il n’y a pas…
— Les enfants avec une signature magique dont certaines nuances sont enregistrées au moins une fois à Poudlard, via… Leurs ancêtres, mais c’est un cas… corrigea Dumbledore.
— Et tous les nés-Moldus alors ? coupa Jane.
— Ils ont généralement des ancêtres Sorciers.
— Ce qui donne de l’eau au moulin des partisans de la théorie du sang, compléta Severus.
— Qui n’est pas une théorie, en réalité, Severus. Je pense de plus en plus que…
— Taisez-vous. »
L’ordre les choqua assez pour qu’ils y obéissent. Jane se percha sur le rebord de la fenêtre en fronçant les sourcils, continuant de fumer comme s’ils n’étaient pas là. Apparemment, elle réfléchissait :
« Donc, vous ne pouvez pas vérifier la filiation, mais il y aurait des nuances familiales reconnaissables, c’est n’importe quoi… C’est….
— Magique.
— Non, il a bon dos le deus ex machina. Granger aurait des ancêtres Sorciers et c’est pour ça qu’elle a été découverte, et moi qui était supposée en avoir, je n’avais aucune inscription à… Oui, je sais. Parce que je n’ai pas de pouvoir. Mais mon p… enfin, William Smith, il y était inscrit ?
— Non, il était probablement Moldu aussi. C’est Serpentard en personne qui a mis en place ce système, nous ignorons toujours comment. Jane, essayez de comprendre quelque chose : il nous est plus facile de découvrir qu’un enfant est Cracmol plutôt que de savoir de qui il est le fils, l’inscription au registre est un sortilège séculaire dont l’inventeur est mort sans jamais transmettre son savoir. C’est la seule exception à ma connaissance où la signature magique peut être liée à la famille… Ce qui explique la précision des lettres, mais uniquement pour personnes avec de la magie. Notre concierge, par exemple, Arabella Figg, et tant d’autres sont nés sans pouvoir, sans inscription, mais si leurs enfants en ont, le droit sera conservé. C’est à cause de cela que, par le passé, les enfants étaient abandonnés à leur naissance lorsque l’inscription était confirmée par hiboux dès celle-ci. Taire l’information avant la lettre des onze ans est une mesure contemporaine pour éviter ces drames familiaux.
— Vous êtes des monstres… » Murmura Jane.
Elle les observait à présent avec un dégoût et une tristesse infinis, et Severus hocha lentement la tête.
« Oui, autant que votre race a pu l’être face à ceux qui étaient différents, difformes, faibles… La nôtre refuse…
— La vôtre est en guerre pour une histoire de pouvoirs magiques, coupa encore une fois la Moldue. Entre la consanguinité et le reste, c’est… Je ne trouve pas les mots.
— Il n’y en a pas. C’est pour cela que nous nous battons, d’ailleurs. »
Le vieil homme avait rappelé ça avec délicatesse, mais le regard entendu qu’il lui jetait était particulièrement intense.
« C’est plus mon problème. »
Jane jeta sa seconde cigarette et descendit d’un saut rapide de son perchoir. Elle leva le menton avec arrogance et répéta :
« J’suis qu’une Moldue, hein ? Alors, démerdez-vous avec vos baguettes.
— Vous allez partir et laisser vos élèves…
— Vous savez très bien ce que je veux dire. Je vais finir l’année, parce que ces gosses ont quand même besoin que quelqu’un ne…
— … les manipule pas, vous alliez dire ? »
Dumbledore avait terminé la phrase avec un brin de malice dans les yeux. Jane grimaça.
« Peut-être que je fais de la propagande, mais je ne joue pas avec leurs croyances ou leur vie. Donc laissez tomber, Albus. Je solde les comptes et je fous le camp. »
Severus remua légèrement sur sa chaise et prit la parole plus sèchement qu’il ne l’aurait cru :
« Vous êtes donc lâche.
— Oh, allez vous faire foutre ! J’vois pas en quoi reprendre mes billes c’est être lâche. J’vous dois rien du tout. D’ailleurs, votre ado éthérée, elle, avait des infos importantes à…
— Qui… ?
— Helena, que vous auriez pu consulter en fait pour vérifier vos soupçons avant de me déranger dans ma vie…
— Qui était passionnante, glissa Severus acerbe.
— Merde ! Helena m’a dit de vous avertir. J’aurais du mal à vous refaire son semblant d’énigme dramatique, mais en gros : le diadème perdu est à Poudlard et il serait dangereux. »
À ces mots Dumbledore se redressa, alerte, cherchant à maintenir un contact visuel immédiat. Jane le repoussa d’un geste de la main et continua :
« Elle m’a dit un truc du style « mon héritage ne sera pas leur perte ». Je ne sais pas où il est, d’accord ? anticipa Jane en voyant le mage s’agiter. Là aussi elle s’est fendue d’une autre énigme à la con, et…
— Harry Potter arrive. » Coupa le portrait de la gargouille.
Et en effet, quelques secondes plus tard on frappa à la porte et Albus donna un coup de baguette pour faire disparaître l’odeur de cigarette avant de se rassoir dans une posture qui se voulait calme. Jane et Severus avaient repris leur place, évitant avec soin de se voir.
Harry déboula avec un grand sourire victorieux, tenant dans ses mains une petite fiole et criant :
« Je l’ai, je l’ai ! Pro… Oh. Excusez-moi.
— Ce n’est rien, Harry, entre. Tu arrives au contraire au bon moment. »
***
« Par Morgane ! DISPERSION ! »
Nott avait hurlé cela alors que les silhouettes blanches reconnaissables de la Brigade d’Interventions Tactiques d’Élites apparaissaient dans une série de craquements. Ils n’étaient que deux Mangemorts à accompagner ce groupe de recrues potentielles, et il était hors de question de perdre encore qui que ce soit après les morts d’Halloween. Il donna un coup de baguette furieux, fendant l’air et la fenêtre qui se trouvait juste derrière le combattant.
« DISPERSION ! » Hurla encore le Mangemort, lançant quelques sorts à l’aveuglette par-dessus son épaule. Autour de lui, les Moldus criaient et se bousculaient, trébuchant devant cette profusion de magie destructrice. Abernathy plongea avec les clochards qu’ils étaient venus chercher, et d’un geste attrapa des ordures et couvertures pour le dissimuler. Le cœur battant la chamade, le corps en nage, le Sorcier tenta de réprimer un violent haut-le-cœur alors qu’il prenait conscience de son inconfort, de la moiteur environnante, et de la puanteur qu’il commençait à faire sienne.
Bellatrix les avait collés entre les pattes de Nott pour « attester de leur légitimité », et cela faisait plus d’une demi-heure qu’ils déambulaient dans les rues de York à la recherche « d’épreuves ». Des gens sans le sou, sans toit et sans plus aucune identité étaient parfaits, mais c’était sans compter l’interruption par la Brigade dont les baguettes projetaient bien autre chose que de simples Expelliarmus. Vêtus intégralement de blanc et d’or, les combattants avaient le visage intégralement dissimulé par des masques inexpressifs d’albâtre. L’effet, face à des Mangemorts également en tenue, était saisissant, et les pauvres Moldus avaient tout d’abord cru à un attroupement de gens étranges. Mais au milieu du combat, quand l’un d’entre eux tomba suite à un sort perdu de la Brigade, ils s’étaient mis à courir dans tous les sens comme des fourmis cherchant à échapper à un doigt vengeur.
Cette simple idée fit grimacer de dégoût Joseph qui se demanda pour la troisième fois de la soirée s’il était en mesure de sauver sa peau en prenant la vie d’une de ces ineptes créatures. Il avala la bile qui remontait dans sa gorge, et se concentra sur les mouvements méthodiques des Brigadiers qui lançaient des sorts aux alentours pour révéler toute personne dissimulée sous un charme.
Heureusement pour ce Gryffondor, Joseph avait également deux sous d’intelligence et se planquait à la Moldue. Entre une couverture à carreaux puant atrocement et une boîte de téléviseur 3D où un homme à la chevelure blonde, ressemblant vaguement au fondateur de sa maison, bandait les muscles en soulevant un formidable marteau, il attendit que les Sorciers ne déguerpissent pour s’autoriser à respirer à nouveau.
La ruelle, redevenue silencieuse, le troubla profondément. Les affaires des clochards étaient éparpillées, quelques poubelles avaient été renversées, et des pavés avaient éclatés sous l’effet de certains sortilèges. Le vent glacial de l’hiver s’engouffra soudain dans le boyau, le saisissant brutalement. Joseph trembla de tout son corps, se rendant compte qu’il était un mort en sursit : rentrer chez lui était impensable, aller au manoir Jedusor lui était impossible. Comment un simple graffiti, ou peut-être quelques-uns… avaient pu le mettre dans une telle situation ? Comment était-il passé de la préoccupation de rabattre son caquet à Rowle à tenter de survivre aux exigences d’une folle comme Bellatrix Lestrange ?
Il renifla piteusement, ne sachant pas comment se sortir d’un tel pétrin, quand il entendit un faible gémissement à sa droite. Joseph tira sa baguette et la pointa en direction de l’impudent qui glapit derrière sa barbe broussailleuse.
« Jésus… Pitié… »
La baguette se baissa doucement. C’était un homme qui semblait plutôt jeune derrière la misère et l’apparence négligée. Il avait des cheveux blonds mi-longs emmêlés qui tombaient sur un regard vert terrifié. Il ne cessait de balbutier des appels à ce Jésus, en cherchant à se confondre avec le mur, comme pour échapper au Sorcier. Joseph cracha au sol une salve de bile qui lui brûlait la gorge, et le mouvement paniqua plus encore le Moldu.
« Non ! N’approche pas, sale monstre ! »
Un tic nerveux agita la joue du Sorcier qui se retourna lentement vers le SDF. Joseph fronça les sourcils, détaillant avec mépris l’homme qui se tenait devant lui. Dépourvu de magie, terrifié, il trouvait encore le moyen de l’insulter… Une bouffée de colère monta lentement, accompagnée d’une dose d’adrénaline.
« Qu’as-tu dit ? souffla-t-il.
Le Moldu perdit quelques couleurs supplémentaires et son regard s’alarma soudain. Abernathy n’était pas un homme de grande taille, pas de quoi impressionner un garçon du même âge que lui, pourtant, l’ombre qu’il projetait sur le perdu semblait suffisamment menaçante.
« N’approche pas… Je… Ne me touche pas !
— De quoi m’as-tu qualifié… ?
— Arrête, putain ! J’déconne pas, j’vais…, il tira de son jean troué un couteau à cran à la lame émoussée. J’vais t’saigner si tu m’touches, casse-toi !
— Me saigner…, répéta Abernathy d’un air absent. Comme un animal… ? Tu te crois capable de faire ça… ? Tu crois être le chasseur, et moi la proie ? Tu crois que je suis faible ? »
Le Moldu écarquilla les yeux, choqué par la violence qui émanait de l’homme en face de lui. Il ne le connaissait pas, il était vêtu d’une robe noire ample comme un dangereux sectateur et agitait un bout de bois. Il aurait pu paraître ridicule si toute sa posture n’était pas si menaçante. En lui, Joseph sentait la frustration remonter, la solitude, le doute face à la guerre, l’autre abruti de Rowle et sa promotion… Et il avait là cette créature inférieure qui l’insultait, lui, le Sorcier, lui qui avait le pouvoir. C’était ça que Dumbledore protégeait ? C’était ça que ce bourge d’Harry Potter voulait défendre ?! Et qui le défendait, lui, quand il était viré de son boulot de préparateur d’onguents à Sainte-Mangouste ? Qui lui évitait d’être obligé de nettoyer des cages de hiboux pour payer une ridicule chambre de bonne au-dessus d’un sexshop Moldu ? Qui faisait des grands discours larmoyants quand quelqu’un comme lui mourait ?
« Des funérailles officielles… Vous avez eu des funérailles officielles, juste parce que ce mioche national avait de la peine… ! éructa Abernathy les yeux allants et venants dans tous les sens.
— Qu… Quoi ?
— Mais ça va changer… Le Ministère n’aura jamais assez de boîtes et d’Harry Potter pour vous honorer tous… On vous foutra dans des fosses communes, comme nous quand on est oublié. Et oh, oui : on vous oubliera alors, vous aussi. »
***
Dumbledore les avait congédiés sans plus de cérémonie, et Jane s’en était retournée à grandes enjambées en direction de ses appartements. Sans un mot, Severus l’avait suivie, incertain quant à la prochaine idée saugrenue de son amie. Ils arrivèrent au petit salon et Jane se déchaussa, en jetant sa blague à tabac sur le canapé. Sans même lui accorder un regard, elle fila en direction de sa chambre, se déshabillant. L’homme ouvrit la bouche de surprise et eut le temps d’entrapercevoir une fesse nue avant de commencer à s’inquiéter. Il se précipita sur la porte, mais elle la lui claqua au nez.
« Que croyez-vous être en train de faire… ? » Demanda-t-il d’une voix blanche.
Aucune réponse ne parvint. Seuls les miaulements inquiets de Merlin qui était revenu rompaient le bourdonnement et bruits étranges qui filtraient depuis la chambre. Un instant, Snape hésita à ouvrir la porte d’un sortilège, mais il se ravisa, retournant près du secrétaire de Jane où elle gardait toujours quelques bouteilles. Il n’eut pas le temps de se servir un verre que la jeune femme ressortit en jean et pull noirs, les cheveux grossièrement attachés. Elle ne lui accorda aucun regard et tira un sac boursouflé, avant d’attraper son vieux manteau moldu et l’écharpe sorcière que lui avait offert Minerva. Merlin miaula encore, Jane fit mine de l’ignorer et ouvrit la porte d’un geste sec, s’apprêtant à la refermer sur elle quand une main ferme se posa sur la sienne. Severus avait traversé la pièce et l’observait à présent en pinçant les lèvres. Il se tut, posant le verre qu’il n’avait pu se verser près du vide-poches et soupira :
« Jane, que faites-vous ? »
Elle essaya de reprendre sa main, mais il la maintint dans la sienne et saisit son visage avec l’autre. Ce geste d’une rare intimité sembla agacer la jeune femme au plus haut point.
« Est-ce que vous pouvez me laisser faire ma vie, un peu, Severus ?
— Que faites-vous ?
— Je me barre, ça s’voit pas ?
— La moitié de vos affaires est encore ici, et vous ne partiriez jamais sans votre chat. Où allez-vous ?
— Lâchez-moi, s’il vous plaît, je suis encore une grande fille, je peux aller où je veux.
— Jane.
— Severus.
— Merde, perdit-il patience. Vous allez me faire un peu confiance ? Je veux… Je veux seulement savoir si je peux vous aider. »
Elle cligna des yeux, surprise, cessant d’essayer de le fuir. Après un coup d’œil dans les couloirs, elle soupira à son tour et concéda :
« Je veux juste avoir des réponses, je vais à Londres.
— À pieds ?
— Je vais bien finir par m’éloigner assez pour capter à nouveau et appeler un Taxi ou un Uber, ou…
— Ou des moutons, des vampires, Mangemorts, ou crapauds. Il n’y a rien à la ronde ici, si ce n’est Pré-au-Lard. Ce n’est que de la lande autour, Jane, c’est…
— Stupide ? Merci, je commence à avoir l’habitude de vos remarques. Je veux juste savoir si… »
Elle s’arrêta un instant, avalant une grosse goulée d’air en fuyant le regard. Son corps trembla une fraction de seconde, assez pour qu’il esquisse un mouvement et qu’ils s’observent en silence quelques instants. Fermant les yeux de lassitude, Severus la lâcha enfin, attrapant son propre manteau.
« Je vous emmène.
— Quoi ?
— Si nous voulons être de retour avant la petite sauterie de Potter, vous allez avoir besoin d’un peu de magie.
— Vous allez…
— Non. Moi aussi je suis un grand garçon, Jane. Je n’ai pas à demander la permission à Dumbledore pour chaque choix que je fais. »
Il referma la porte derrière eux et commença à marcher, boutonnant son manteau avec sérieux. Au milieu du couloir, voyant qu’elle n’avait pas bougé il l’observa d’un air contrarié :
« Vous voulez des réponses, oui ou non ?
— Personne ne vous oblige à…
— Justement, Smith. C’est parce que personne ne m’oblige à le faire que je le fais. Pressez le pas, je n’ai pas l’intention de vous attendre à chaque coin de couloir. »
Jane ouvrit la bouche légèrement puis la referma en esquissant un bref sourire. Elle fit sauter son sac de voyage sur l’épaule et trottina pour rattraper l’espion. Il hocha la tête et glissa :
« Commencez déjà à réfléchir au mensonge que nous allons devoir offrir à votre mère. Je m’occupe de celui nous évitant le Réveillon en famille. »
***
Harry ressortit du souvenir, le cœur battant la chamade. Son premier réflexe fut d’observer avec attention Dumbledore qui semblait avoir l’esprit totalement ailleurs. Cette version-là du souvenir était bien différente de celle que Slughorn avait tenté de leur refiler. Très loin de l’enseignant qui mettait en garde un futur Mage Noir, Horace avait au contraire répondu avec bienveillance à Tom Jedusor. Quoique sur les derniers instants de l’échange, le vieux Maître des Potions semblait commencer à comprendre qu’il avait participé à une très grave discussion. Mais Harry s’était surtout concentré sur Voldemort, son attitude, sa façon de chercher à séduire le Professeur, sa manie de toucher sa bague – qu’il avait reconnue comme celle des Gaunts ; tout ceci le mit mal à l’aise. Quand il se rendit compte qu’il avait usé sensiblement des mêmes artifices, Harry déglutit péniblement, l’inconfort augmentant.
« Professeur… rompit-il le silence. Vous croyez vraiment qu’il en aurait fait sept, alors ? »
Albus ne répondit pas, fixant Harry avec sérieux. Sa cicatrice plus précisément. Le vieil homme prit lentement appui contre son bureau et attrapa un bonbon au citron qu’il cala sous sa langue en réfléchissant intensément.
« Vous en êtes persuadés, en fait. » Comprit le garçon. « Mais quoi ? Le journal ? La bague ? Okay, peut-être la coupe qu’il a volée à la vieille dame… Nagini ? Le médaillon… » Il comptait en même temps sur ses doigts, fronçant intensément les sourcils. « Mystique comme il est, il a dû chercher un truc à Serdaigle et un truc à Gryffondor… Serdaigle, j’vois pas, mais… Professeur ? Est-ce qu’il a d’autres trucs que le Choixpeau ou l’épée ? Professeur ?
— Le diadème de clarté de Rowena Serdaigle.
— Hein ?
— Le diadème perdu, Harry… Rowena Serdaigle était connue pour porter un formidable bijou qui lui aurait conféré son incroyable intelligence… Cette partie est naturellement fausse, mais le diadème existe bien, c’est cette relique que Voldemort a corrompue.
— Heu… D’accord, mais il n’est pas… Heu… Perdu ?
— Plus maintenant. C’est… Vraiment très intéressant. Accorde-moi un instant veux-tu ? »
Harry s’impatientait, il aurait cru qu’apprendre la vérité aurait tout changé, mais au lieu de cela l’obscurité gagnait du terrain, le troublant plus encore. Sept horcruxes à détruire, c’était impossible ! Surtout s’ils ignoraient ce qu’ils devaient chercher. Dumbledore griffonna quelque chose sur un parchemin et – Harry en était persuadé – jura dans une langue étrange. Il reprit une autre draguée au citron, et le garçon comprit alors qu’il était en pleine réflexion. Albus Dumbledore faisait bien les cent pas entre son bureau et lui, alternant entre notes, bonbons, et jurons dans divers dialectes de créatures magiques. Au bout d’un moment, Harry prit place dans le fauteuil de Snape, renonçant totalement à la possibilité de revoir Luna avant le lendemain, et demanda un brin boudeur :
« Qu’est-ce qui est intéressant, Professeur ?
— Que j’obtienne cette information-là, au bon moment ! Le destin est capricieux.
— Oh… Vous savez… Je ne crois pas tellement au destin, marmonna le Gryffondor en prenant un bonbon à son tour.
— Ah ah, et tu as bien raison, Harry ! C’est y croire qui nous fait nous y plier ! Crois-tu en la magie, cependant ? »
Sous la stupeur face à une telle question, Harry croqua le bonbon qui libéra une vague acidulée et pétillante totalement inattendue. Il grimaça, reconnaissant en réalité une friandise Moldue. Toussant, les larmes brouillant la vue, il osa répliquer :
« Haem, évidemment, c’est… Hum, une question très… Étrange… Hum, Professeur.
— Nullement. Selon certains théoriciens d’autres temps, la Magie aurait sa propre volonté… Une volonté assez forte pour décider d’aider, parfois, ceux qui la servent.
— Heu… Comme la Force, Professeur ? »
Dumbledore le regarda sans comprendre et Harry se sentit stupide. Il se redressa sur sa chaise, cherchant à trouver les bons mots.
« Vous dites que la Magie peut chercher à nous aider, je vous demandais si en gros, c’était comme si elle… Heu…
— Comme si elle matérialisait parfois les réponses aux besoins, tout à fait, Harry. »
Le jeune homme pencha la tête sur le côté en faisant la moue, hésitant à répliquer qu’il avait plutôt à l’esprit une histoire de vaisseaux à déplacer et de jumeaux de l’espace, mais il se tut. Il avait toujours rêvé de se battre aux côtés de Dumbledore mais à présent qu’il entendait les histoires farfelues du vieil homme, il commençait à comprendre pourquoi Snape qui le fréquentait si souvent n’était guère impressionné. Albus le coupa dans sa réflexion par une autre question surprenante :
« Si tu étais Voldemort, Harry… Où cacherais-tu un objet dans Poudlard ? »
Le Gryffondor releva un sourcil comme le faisait son Maître Occlumens, réflexe que ce dernier semblait avoir imprimé chez tout le monde, puis il les fronça intensément.
« Bah… Alors là… Attendez, vous croyez qu’il a planqué un Horcruxe, ici ? À Poudlard.
— J’en suis persuadé. Tom est du genre à s’approprier cette école.
— Ouais… Ce qui est en soi pas faux, en fait… Hey ! Attendez, il l’a forcément mis dans la Chambre des Secrets, non ?
— Non, nous l’avons inspecté, elle est totalement vidée. »
Harry resta bouche bée un instant, avant de se gifler mentalement. Évidemment qu’ils avaient dû la passer au peigne fin après les événements de la deuxième année ! Jamais Dumbledore n’aurait laissé passer une telle occasion de…
« Vous avez fait quoi du cadavre du basilic, alors ? demanda-t-il avec intelligence.
— Disséqué, mis en bouteille… Tu devrais essentiellement poser la question à Severus, c’est lui qui a bénéficié du plus gros de ses composants, il les étudie encore à ma connaissance. Mais les secrets de pétrification ne nous intéressent pas, n’as-tu pas une autre idée ?
— Ben… Non… J’pense que si je voulais planquer un truc je trouverais un endroit que personne ne connaît, un truc dont j’aurais le secret ou qui… OH ! Professeur ! La Salle sur Demande !
— Continue, sourit Dumbledore.
— On l’a utilisée avec l’AO l’année dernière, mais j’sais que d’autres élèves s’en servent pour y passer du temps en amoureux, ou… Mais oui ! Luna va toujours chercher ses affaires là-bas ! Elle dit qu’il y a une « salle des méfaits ».
— Étrange appellation, y es-tu déjà allé ?
— Non, mais elle me raconte parfois ce qu’elle y trouve, je sais qu’elle aime bien y passer du temps pour regarder les objets. Il paraît qu’il y aura quand même des cadavres dedans…
— Miss Lovegood pourrait nous y mener ?
— Bien sûr ! Je vais aller la chercher »
Harry se leva rapidement, excité à l’idée de découvrir aussi facilement un Horcruxe. Dumbledore alla à sa suite d’un amusé :
« Elle doit déjà dormir, Harry… Comment comptes-tu te rendre dans un dortoir réservé aux filles ? »
Le jeune homme rougit furieusement et bredouilla :
« On a un parchemin enchanté sur lequel on…
— Magique et très intéressant…, murmura Dumbledore.
— Pourquoi ? C’est tout con comme système, Dean et Seamus…
— Parce que ton père avait l’habitude de contacter ta mère comme ça… »
***
Cela commençait à leur prendre trop de temps. Bellatrix savait qu’elle tirait beaucoup trop sur la corde mais Nott n’était pas une bleusaille, il saurait mener les imprudents là où ils révèleraient leur potentiel… Ou leur inutilité. La Mangemort continuait de faire les cent pas dans le salon, son visage éclairé par intermittence par le foyer quand le serpent de Voldemort glissa lentement vers elle. La brune était probablement la seule des fidèles de Voldemort à ne pas craindre le reptile. Néanmoins, elle se tint soudainement droite, sachant que son Maître pouvait tout savoir grâce à Nagini. De sa langue fourchue, le boa lui donna un ordre qu’elle ne comprit pas, mais à le voir tourner les écailles, la Mangemort comprit qu’il lui fallait le suivre. Lestrange remonta les escaliers menants au bureau de Voldemort pour le trouver en train de griffonner quelques notes sur un morceau de parchemin, tout en scrutant un épais grimoire dans ce qui lui sembla être du Grec.
« Maître…, s’inclina Bellatrix avec déférence.
— Es-tu en train de dévoiler notre position à des inconnus, Bella ? »
Il n’avait pas daigné lever le visage vers elle, préférant continuer sa lecture. Bellatrix plissa des yeux et après un bref instant d’hésitation, acquiesça avec aplomb.
« De futures recrues.
— Et ceux qui ne seraient pas à la hauteur ?
— Ils décoreront les jardins de leur cadavre. »
Voldemort ne répondit pas, se contentant d’esquisser un rictus satisfait. Nagini glissa vers lui doucement, se mettant à faire le tour du bureau et de la Mangemort, avec de se décider à s’étendre paresseusement devant l’âtre. Après quelques minutes de silence, Lestrange ne put plus attendre :
« Vous m’avez mandé pour une raison particulière, Maître ?
— Qu’as-tu l’intention de faire, Bella ? »
La Mangemort essaya de dissimuler son irritation. Il ne posait jamais aucune question à Lucius, à ce qu’elle sache ! Depuis que le blond était devenu Ministre de la Justice, il semblait jouir d’une liberté totale, lui qui se contentait de se gaver de champagne et de bals avec d’autres minets. Malgré ses tentatives, son agacement transparut légèrement dans son ton :
« Il nous faut plus de mains. L’action de Lucius est tout de même profitable à notre cause : de plus en plus de gens rejettent les solutions pacifistes et naïves de Dumbledore.
— Et tu prends cette décision, de toi-même ?
— Maître, murmura impudemment la Sorcière. Je ne crois pas que la confiance que vous me témoigniez soit acquise, je l’entretiens donc. »
Voldemort leva lentement son regard écarlate vers elle, l’observant intensément pour la première fois depuis des lustres. Ce simple fait combla la brune, la grisant instantanément. Elle avait totalement oublié ce que cela faisait. Quelque temps avant sa chute, Voldemort l’avait gratifié d’un immense honneur en lui confiant un bien personnel, depuis, elle n’avait eu de cesse de chercher à en être digne. Depuis son retour, il lui semblait que le Fourchelangue était incohérent et inaccessible, mais il était enfin à nouveau là, à elle. Le contact visuel fut bref, la pression légère qu’il effectuait sur son esprit s’estompa immédiatement et elle le regretta comme une amante insatisfaite. Elle était la seule à aimer le sentir s’emparer de ses pensées. Voldemort retourna à ses parchemins, ce qui déclencha une nouvelle bouffée de colère chez sa suivante.
« Laissez-moi vous aidez, Maître.
— Non, Bella… C’est entre Potter et moi. »
Cet énième rejet la fit bouillir, elle inspira profondément, pour tenter de contenir une insulte à l’encontre de son… rival ? quand Nagini releva instinctivement la tête et siffla bruyamment. Voldemort hocha la sienne et répondit en Fourchelangue. Le boa s’ébroua et les laissa un instant seuls. Jetant des regards venimeux à la prophétie qui luisait sur le bureau et aux parchemins, Bellatrix ne se rendit pas compte que ses doigts se serraient avec insistance sur sa baguette. Elle mourrait d’envie de détruire toutes ces inepties. Le retour impromptu du serpent l’empêcha cependant de commettre une grave erreur. Il se tourna vers son maître et lui parla longuement, avant que Voldemort n’acquiesce satisfait.
« Ton… Nouveau jouet est de retour… Occupe-t’en. »
Le bruissement du parchemin la fit ouvrir la bouche de stupéfaction. Quoi ? C’était tout ? Potter et la prophétie comptaient donc plus que tout ? Elle serra les dents et s’inclina avec raideur :
« Ni lui, ni ce que j’en ferai ne vous décevra, Mon Maître » Promit-elle avant de refermer doucement la porte.
***
Severus les fit transplaner à proximité du magasin de tatouages à la devanture érotique. Ils sortirent de la petite ruelle discrète, et retinrent leur souffle. Malgré l’heure particulièrement tardive, cette artère piétonnière était toujours aussi bondée et bruyante. Un homme en costume les bouscula, accompagné par une jeune femme en robe rouge qui leur lâcha un regard méprisant. Un groupe d’ados les dépassèrent en riant, les poussant légèrement. Jane se pressa contre lui et il l’entoura de ses bras avant de fendre la foule :
« Ça, ça ne me manque décidément pas…
— Vous n’êtes jamais allée au Chemin de Traverse un jour de Chaudron d’Abondance… Pratiquement toute la communauté anglophone se retrouve dans la même rue pour profiter de prix inédits.
— Ouais… Un Black Friday magique, en somme. Pourquoi sommes-nous près de chez moi et pas devant…
— Il est une heure du matin, Jane. Vous avez besoin de sommeil, et à mon avis débarquer en pleine nuit risque surtout d’alarmer Élise.
— Bon, vous avancez, oui ?! »
Une fillette aux cheveux bleus électrique et un énorme casque sur les oreilles se faufila entre eux après les avoir alpagués. En les dépassant, elle lâcha un « ‘tain, mais les vieux mous… » qui les firent grimacer. Jane pressa le pas en s’emparant du poignet de Severus et le tira en direction de la porte de son entrée, tapa le code rapidement et ils purent apprécier le silence du hall. Coincés dans l’ascenseur qui diffusait une énième chanson d’amour, ils restèrent silencieux, jusqu’à ce qu’ils arrivent enfin à son appartement.
Elle fit tourner la clef dans la serrure avec une appréhension qu’elle n’avait pas souvenir d’avoir eue la dernière fois. Quand ils pénétrèrent dans le salon, ils purent se rendre compte qu’ils n’avaient rien rangé de leur dernière excursion : le canapé était toujours défait en lit, il y avait quelques tasses de thé qui trônaient sur le comptoir, deux verres et la bouteille de Martini sortie. Dans un bol vide collaient des paillettes de calcaire, preuve qu’on avait oublié ici des glaçons qui s’étaient évaporés. Jane s’avança en traînant les pieds, soupirant d’avance à l’idée de ranger pour s’installer. Elle jeta son paquetage sur le canapé-lit et s’assit avec lassitude sur le rebord. Snape referma la porte derrière lui et commença à faire chauffer de l’eau tout en prenant la vaisselle et en la mettant dans l’évier.
« Laissez, murmura la Moldue entre ses mains qui lui servaient à tenir sa tête. J’vais m’en occuper.
— Occupez-vous plutôt de réfléchir à la façon dont vous allez pouvoir en parler à Élise et Colin demain.
— Qu’est-ce que je vais leur dire… ? se lamenta-t-elle avait de pâlir brusquement. PUTAIN ! Severus ! L’Oubliette ! Vous n’avez…
— Calmez-vous. Quand je leur ai effacé la mémoire, je n’ai touché qu’à votre conversation et le fait que vous deviez être en ville. Ils se souviendront de l’année dernière…
— Fiouf… Je me voyais pas recommencer avec cette histoire de prof de poésie, et de… Oh, la la… »
Le grondement de son ventre parla pour elle, elle leva ses yeux rougis vers lui et secoua la tête.
« Vous avez faim ? lui demanda-t-elle en tirant son portable de son sac.
— Ca m’arrive.
— Bon ben c’est réglé, dit-elle en tapotant sur l’écran de son smartphone.
— Qu’est-ce que vous comptez… »
Elle l’interrompit d’un geste de la main et releva les yeux en direction du boîtier sous la télévision. Tout en rebranchant divers câbles, elle parlait.
« Oui… Ça serait pour commander une pizza en livraison, s’il vous plaît… Oui ? Heu… Eh bien… » Jane interrogea du regard son ami qui fit une moue légèrement perdue en hochant les épaules. « Bon ben ça sera une quatre fromages, alors. Heu… Par carte, je pense. Ouais. Trente minutes ? Eh bien c’est parfait ! Vous livrez encore des bouteilles de rosé à cette heure ? Super ! Alors ça sera au… »
Severus la regarda faire, fasciné par son changement de ton et d’attitude. Épuisée et affamée, Jane s’était soudain relevée pour déambuler dans son salon avec naturel et assurance. Tout en calant le téléphone contre son épaule, elle rebranchait les téléviseurs et autres consoles. Dumbledore avait pris sur lui de régler les factures durant l’absence de la jeune femme, mais elle avait toujours tenu à tout débrancher à chaque visite. Au cas où. La faire venir d’abord ici avait été une bonne décision, au milieu de son univers, elle retrouvait une zone de confort qui l’aiderait à y voir plus clair. Il sursauta quand elle lui parla, manquant de lâcher une tasse « E.T ».
« Pardon… ?
— Est-ce que je peux vous laisser le temps de passer à la douche ?
— Heu… Oui. Mais si le cuisinier vient, et que…
— Le livreur. Non, je ne serai pas longue. Vous vous souvenez comment on remet le lit en canapé ou… ? Bof, laissez tomber, vous allez y dormir de toute façon. Vous voulez changer les draps ? Ils n’ont servi qu’une fois, donc…
— Laissez, ça ira. Allez vous laver. »
Il profita de sa disparition pour réfléchir. Severus réfléchissait toujours quand il lavait les choses à la main, ce qu’il faisait très souvent pour l’obliger à remettre en ordre ses pensées. Que Jane souhaite avoir la confirmation de ce qui était évident était compréhensible, mais ils prenaient des risques à se balader comme ça à Londres. Et Dumbledore qui n’avait pas sourcillé… ! Cela semblait lui être égal, comme si l’information n’avait aucune importance, ou qu’il avait renoncé à ce qu’elle en ait.
« Pfff… Lui faire confiance… » Marmonna Severus à voix haute.
Le vieil homme demandait toujours l’assentiment aveugle des gens. Il fallait que chacun remette sa vie entre ses mains sans jamais savoir de quoi il en retournait. Et malheureusement, Albus Dumbledore n’était pas infaillible, comme la famille Dursley avait dû s’en rendre compte. Il pressa furieusement l’éponge qui vomit une belle quantité de savon. C’était facile pour Dumbledore, il n’avait plus personne de proche à perdre… Ils n’étaient que des pions pour lui. Snape essuya les contours de l’évier, le rendant étincelant et passant sans même y réfléchir un coup sur la paillasse. À quel moment lui-même avait cessé prétendre de se moquer des vies qu’il protégeait ? La sienne, Potter… Smith… ?
« Ca va ? »
Il ne l’avait pas entendue revenir, ni même s’approcher. Ce qui l’agaça prodigieusement. Jane avait posé une main sur son avant-bras et le regardait avec inquiétude. Toute enroulée dans un gros peignoir épais et noir, les cheveux enroulés également, elle avait une sacrée dégaine.
« Vous en faites une drôle de tête, continua-t-elle.
— Vous n’avez pas vu la vôtre. »
Jane se recula en haussant les sourcils avant de voir le léger sourire qu’il lui offrait. Elle le lui rendit, et maugréa.
« Eh oh, j’aimerais vous y voir avec des cheveux longs…
— C’est le cas.
— Non, mais vraiment longs. Et épais et bouclés comme les miens. Avec une crinière, quoi.
— Elle est très bien cette crinière. » Il avait répliqué ça en retournant près du canapé-lit pour remettre un peu d’ordre dans les draps.
Jane continua de râler sur ses cheveux en retournant dans la salle de bain pour les sécher. Avant que la machine ne la coupe, elle évoquait ce qui, selon elle, était son seul intérêt véritable. Alors qu’il essayait de remettre le canapé dans sa forme initiale, Snape, l’entendant, rougit furieusement. On sonna à la porte. Le sèche-cheveux s’arrêta et Jane sortit de la salle de bain en peignoir pour ouvrir, devant un Severus légèrement choqué. Elle retourna dans la pièce prendre son sac, paya le livreur au bout d’une dizaine de minutes où il fut brièvement question d’une sauce piquante, puis elle revint vers lui avec une boîte, une bouteille, et un grand sourire.
« Oh, vous emmerdez pas avec ça, on va traîner comme des larves.
— Pardon… ? »
Elle posa la boîte et la bouteille sur la table basse et pointa du doigt la kitchenette.
« Allez nous chercher le tire-bouchon – il est dans le tiroir à côté des plaques – et sortez-nous deux verres – ça, vous savez où c’est. Je vais me mettre un truc un peu plus décent sur le dos.
— Riche idée… »
Il obtempéra, et commença à s’emparer de la bouteille glacée dans ses mains, s’émerveillant de certains aspects de la société Moldue. Jane revint dans un pyjama noir en satin, et se hissa sur le lit pour s’assoir en tailleur.
« C’est… ça, votre tenue décente ?
— Oui… Au moins si je m’allonge, on ne verra pas mes fesses.
— Que vous prenez bien soin de me cacher depuis notre première rencontre… »
Jane pouffa de rire en ouvrant la boîte qui projeta une délicieuse odeur de tomate, de basilic et de fromages fondus. Le ventre de Severus gronda, et il décida de leur servir à boire pour se donner bonne contenance.
« C’est vrai que vous m’avez vue très souvent à poil, en fait… concéda-t-elle en détachant une part qui filamentait avec les autres. Ce qui fait de vous l’homme avec qui j’ai partagé le plus d’intimité en deux ans…
— Que devrais-je dire… ? » Soupira-t-il étrangement.
Elle écarquilla les yeux en manquant d’avaler de travers. Puis elle termina sa bouchée et le taquina.
« Vous aussi cela fait longtemps que vous n’avez plus eu d’homme dans votre vie ? »
Il pouffa et ils s’abîmèrent un instant dans un silence, alors que Jane allumait la télévision et pianotait sur une télécommande avec assez de boutons pour que la moitié ait une réelle utilité. Pendant qu’elle faisait défiler des affiches sur l’écran – il comprit qu’elle cherchait un film à leur montrer, il l’observa.
« Vous aviez aimé Batman, non ? lui demanda-t-elle les yeux rivés sur la télévision.
— Autant que vous, je suppose. »
Jane braqua son regard vers lui, le fixant un instant avec sérieux. Elle cligna lentement des yeux et reprit une bouchée et sa recherche.
« J’ai besoin de me changer les idées, un truc simple… Vous avez envie de quoi, vous ?
— De calme, et de terminer mon repas.
— Non, mais d’accord… Mais sinon ? Venez, on va squatter ici.
— On va quoi ? »
Avant de reprendre une part de pizza, elle tapota la place à côté d’elle et il comprit qu’elle attendait qu’il se lève de son pouf pour se joindre au mouvement.
« On va manger, boire, regarder un film, tout ça en étant allongés comme des larves et fuyants nos problèmes. »
Elle arrêta enfin son choix sur un film où un homme en costume défait marchait une arme à la main devant une silhouette féminine nue. Puis elle se cala au fond et allongea les jambes, lui faisant signe de la rejoindre et de récupérer nourriture et boisson.
« Qu’est-ce que c’est, cette fois-ci ?
— Casino Royal… Un James Bond. C’est une série de livres, enfin, ici de films, au sujet d’un espion de sa Majesté.
— Ah… Le fameux aux doigts d’or ?
— Ah-ah, non, pas tout à fait. GoldFinger est plutôt un méchant, mais ouais, on parlait bien de ça avec Diane et… Woaw, vous avez une belle mémoire. Calez-vous, on va s’mettre bien.
— On va quoi, encore ? Smith, votre sémantique est vraiment particulière quand vous êtes dans votre environnement. »
Il essaya de trouver une posture confortable, avant de comprendre que tout le principe d’un canapé-lit reposait sur l’idée de se briser la nuque, d’allonger ses jambes, et de prendre son ventre pour une table parfaite pour recevoir un carton de pizza. Incertain, il la regarda s’installer et arriver à maintenir en équilibre son verre sur l’accoudoir.
« C’est ça que font les Moldus quand ils ont des problèmes ?
— A peu près. On commande des pizzas, on boit un bon rosé, et on regarde Netflix.
— Et… Quand vous allez bien ?
— On commande des pizzas, on boit un bon rosé, et on regarde Netflix.
— Je vois. Et ça règle vos problèmes ?
— Non. Mais je vous ai vu tenter de résoudre les vôtres, et je ne crois pas que boire du Whisky Pur-Feu, faire des potions, et rester seul soit très efficace non plus.
— Ca m’évite de m’en créer d’autres.
— J’abandonne cette idée pour ma part, marmonna-t-elle en se rapprochant.
— Par Merlin, Jane, que foutez-vous ?
— J’ai dit que j’abandonnais l’idée de ne pas m’en créer d’autres. »
D’un coup de hanche contre sa main, elle le força à ouvrir son bras, et, comme un lombric, se tortilla pour se glisser contre son flanc, posant sans gêne sa tête sur son épaule. Il resta interdit, la jeune femme contre lui, alors que le film commençait par les premières notes puissantes d’un chanteur.
« Quoi ? Mon sang n’est plus digne de vous approcher ? » Se piqua-t-elle alors que ses joues rosissaient de son audace.
Severus fixa son regard sur les images de cartes et d’espions qui faisait des cabrioles. Il déglutit lentement, s’emparant d’une part de pizza pour se donner bonne contenance.
« Hum… Le sang n’est pas un problème à l’heure actuelle, Miss. » Murmura-t-il écarlate.