« Professeur, commença prudemment le garçon. J’aurais aimé vous poser une question pointue.

— Ah ! S’exclama le Directeur de Serpentard en gonflant légèrement la poitrine d’orgueil. Demandez donc, si je puis y répondre, je m’en ferais une joie.

— Le sujet est complexe, c’est pour cela que je m’adresse à quelqu’un de plus savant : que pouvez-vous me dire à propos… des Horcruxes ? »

Une puissante brume s’engouffra dans la pièce et masqua Horace Slughorn et Tom Jedusor. Le son en devint si étouffé qu’Harry tressaillit lorsqu’une voix semblant sortir de l’extérieur de la pensine s’époumona :

« JE NE SAIS RIEN DES HORCUXES ! MÊME SI JE SAVAIS QUELQUE CHOSE JE NE VOUS EN PARLERAIS PAS ! NE VOUS AVISEZ PLUS JAMAIS DE PRONONCER CE MOT ! SORTEZ IMMÉDIATEMENT ! »

Harry cligna des yeux sans comprendre, observant Dumbledore qui fixait impassible la brume. Le souvenir s’arrêta brutalement à cet instant et le jeune homme chancela lorsque son esprit retourna à la réalité. Il eut la désagréable impression de tomber sur son fauteuil et un violent soubresaut le fit descendre de quelques centimètres. Face à lui, Albus Dumbledore leur servait déjà un thé au citron.

Depuis le début de l’année, ils visitaient des souvenirs en lien avec le passé de Tom Jedusor. Tout d’abord l’orphelinat, où Harry avait pu découvrir les tics d’un tueur en série ainsi qu’une certaine propension à faire souffrir et à soumettre les autres ; puis la recherche de ses origines, le mépris vis-à-vis de sa mère, le meurtre de son père… Tout ceci dépeignait une personnalité brutale et névrotique, un cyclone de malheurs dont l’œil renfermait la terreur humaine la plus primaire : la peur de la mort. Des années après avoir rencontré le souvenir de Tom Jedusor, des années après avoir cru aux similitudes troublantes qu’il y avait entre eux, Harry commençait à y voir plus clair. S’il craignait toujours sa part sombre, comme en avait témoigné le premier cours de Snape, il était désormais certain de n’avoir rien en commun avec Voldemort. Revenant au dernier souvenir, l’Attrapeur regarda perplexe son Directeur, tandis que celui-ci l’enjoignait à boire quelques gorgées.

« Et… C’est tout ? Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda-t-il de but en blanc en soufflant avec soin sur le thé brûlant.

— À toi de me le dire, Harry, que penses-tu avoir vu ?

— Un souvenir incomplet ? Quelque chose d’anormalement brouillé. Est-ce que le Professeur Slughorn ne se souvient plus très bien ?

— Tu penses que quelqu’un comme Horace peut oublier quelqu’un comme Tom ?

— Non. Non, il y a quelque chose qui ne va pas. Qu’est-ce que c’est Professeur ?

— Qu’en dirait ton Maître d’Occlumancie, Harry ? »

Le brun fronça les sourcils, réfléchissant à la question. Comment Snape analyserait ce souvenir ? Qu’est-ce qu’il dirait ? « Merlin, Potter ! Votre esprit est d’une lenteur affligeante, pourquoi est-ce que… »

« Que ce souvenir a été trafiqué ! s’exclama Harry en coupant net le Severus imaginaire qu’il s’imagina offusqué de son interruption. La brume, c’est cela, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un manque de détails, c’est au contraire une tentative de manipulation ! On dirait… On dirait…

On dirait vous en train de me résister. » Termina le Severus imaginaire ce qui tira une grimace enfantine à Harry. Le vieux Directeur l’observa faire en réprimant un fou-rire, car le garçon ne s’était pas rendu compte qu’il avait répliqué à voix haute un « Oh, ça va, hein ! ». Il préféra touiller son thé pour diluer à la fois le sucre et son hilarité.

« Tu as vu juste, Harry, reprit-il sérieusement. Le Professeur Slughorn a modifié sa mémoire.

— Pourquoi ? C’est quoi un Horcruxe ? C’est grave ?

— Je vois que tu poses pratiquement toutes les bonnes questions. Il t’en manque une, cependant. »

Le Survivant reprit une gorgée, songeur, puis avala de travers en écarquillant soudainement les yeux :

« Est-ce que ça ne serait pas une catastrophe que Voldemort ait eu sa réponse… ? C’est quelque chose de puissant qui… Non… Qui aurait tout changé, c’est ça ? Qui…

— Reprends ton souffle, sourit doucement le vieil homme, tu y es presque.

— Qu’a-t-il fait… ?

— Qui ? Horace, ou Tom ? »

Dumbledore avait beau lui sourire, son regard perçant mit mal à l’aise le jeune homme qui comprit que c’était précisément à cause de ce genre de questions que le souvenir était falsifié. Il rougit légèrement, refusant néanmoins d’excuser quelque chose qu’il pressentait être un vrai problème.

« Il lui a répondu… Et ça a été dramatique, c’est ça ? Il le sait, Slughorn…

— Le Professeur Slughorn.

— Ouais, Slughorn sait donc que Voldemort a… Heu… Fait quelque chose en rapport avec l’Horcruxe, c’est ça ?

— Je pense que seul le souvenir complet pourrait éclairer véritablement nos recherches et notre compréhension de Jedusor, c’est d’ailleurs…

— Mais vous, vous vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? » Coupa Harry avec sagacité.

Albus ouvrit la bouche, incertain, comme pris de court par la question du garçon. Il s’apprêta à répliquer lorsque le jeune homme murmura :

« S’il vous plaît, Professeur… Cette fois-ci ne me mentez pas. Même par omission. »

Le Directeur de Poudlard considéra gravement son cadet. Aussi gravement que le soir où il lui avait finalement révélé la prophétie.

 ***

D’un geste impérieux, Voldemort envoya voleter dans la pièce le parchemin taché d’encre et de sauce collante. Peu importait la rareté du propos malhabilement reproduit sur le vélin, le Mage Noir ne parvenait pas à supporter plus que de raison le contact de ces pages poisseuses et indignes de leur savoir. L’homme que Lucius Malefoy avait soudoyé était définitivement un animal sans aucune éducation – quand bien même il était capable de recopier presque correctement une telle langue ! Les premières piles de feuillets étaient tâchées de moutarde, les précédentes d’une sauce blanchâtre puant la ciboulette, et cette fois-ci… Lorsque le parchemin retomba au sol avec négligence, une sorte de souffle le fit s’approcher si près de l’âtre ronflant de la pièce que l’héritier de Serpentard se leva précipitamment pour l’attraper au vol. Le support avait beau être indigne de son rang et de la main qui avait couché à l’origine ces vérités, le texte restait tout de même d’une importance capitale.

Comment Malefoy avait fait pour apprendre l’existence du grimoire d’origine, Voldemort l’ignorait. Quand et comment le blond avait découvert l’autre secret de Serpentard, cela aussi l’héritier l’ignorait. S’il était de notoriété publique que Salazar Serpentard était Fourchelangue, peu savaient en revanche qu’il était un astronome et prophète de talent. Pour des raisons évidentes, l’Histoire retint que l’emblème du fondateur de Poudlard venait de sa capacité à parler avec les serpents. De façon générale, cette créature se retrouvait affublée des pires symboliques allant du Mal à la tentation, en passant par la félonie et la mort. Mais le serpent était aussi symbole de vie éternelle et de sagesse, de connaissance et d’ouverture d’un esprit supérieur… En d’autres termes, les fantasmes à propos de Salazar Serpentard avaient presque définitivement enterré une facette importante du personnage : sa clairvoyance.

Le livre avait été écrit par Salazar en personne, puis transmis à ses premiers descendants. Voldemort soupçonnait même l’un d’eux de l’avoir en réalité déniché au sein même de la Chambre des secrets. L’ouvrage avait traversé les siècles sans que l’on ne parle directement de lui, comme doué d’une volonté farouche à rester inconnu. Oh… La lignée des Serpentard se trouva pourtant très souvent à son contact, refaisant par la même occasion surface et permettant ainsi de remonter l’arbre généalogique ; mais il n’était jamais question du « Libro lingua posterum ». Du moins, en mention directe, car le libram avait pourtant accompagné la famille, permettant à certains héritiers d’entrer dans la légende. Avant de devenir une branche tordue par la consanguinité, elle offrit quelques Sorciers de renom, dont un Français – pays où l’on retrouva trace du texte pour la première fois – appelé Michel de Nostredame pour qui, et l’Histoire le démontra, l’ouvrage fut une grande source d’inspiration.

Était-il possible que Lucius Malefoy, dont la famille prenait racine autant en France qu’en Italie, ait pu avoir vent de ce livre grâce à certains ancêtres ? À moins que le blond ne se soit directement intéressé aux questions… Non. L’aristocrate était un cartésien pur et dur. Tom Jedusor aurait aimé répondre qu’il en était de même pour lui, mais il n’arrivait pas à aller au bout de cette hypocrisie. De plus, il n’avait pas hérité du don de voyance de son aïeul, et cela l’irritait au plus haut point, compte tenu de son propre destin.

Il se pencha et récupéra les feuilles qu’il avait jetées l’instant d’avant, se forçant à reprendre son travail sur la prophétie. Bellatrix ne comprenait pas, elle le prenait pour un faible qui ratait l’occasion d’en finir avec Dumbledore et l’Angleterre, mais le Mage Noir se refusait à commettre la même erreur que précédemment. Il se refusait à s’embourber dans des chimères prophétiques sans maîtriser la linguistique. Pour l’heure, ce qu’il cherchait à comprendre était très simple : quel était le pouvoir caché que possédait Harry Potter et quand et comment avait-il pu marquer comme son égal un enfant médiocre aux capacités très moyennes ?

 ***

L’hésitation de Dumbledore ne fit qu’accroître l’agacement du cadet. Harry sentit sa colère monter sourdement et il inspira très longuement pour tenter de garder la maîtrise de sa langue. Comme il en avait à dire ! L’Occlumancie ne lui permit que de se taire, mais ses yeux semblèrent exprimer toute sa rancœur ainsi la liste – longue – des cachoteries faites par le vieil homme et qui lui avaient coûté cher, car le Directeur acquiesça :

« Il est vrai, Harry, il est vrai que je t’ai dissimulé beaucoup. As-tu besoin de m’en faire l’énumération ? proposa-t-il avec une douceur qui fit exploser le brun.

— IL EST VRAI ?! PUTAIN MAIS… »

L’attrapeur se leva d’un bond, se tourna immédiatement en direction de la fenêtre pour s’obliger à observer le parc. Ce n’était pas du tout le moment de perdre le contrôle de ses nerfs, l’enjeu était trop grand. À cette heure, il ne vit que les ténèbres et une lune timide tenter de percer à travers de gros nuages étonnamment blancs, signe qu’il allait probablement neiger pendant leur sommeil. Harry inspira et expira plusieurs fois, cherchant à visualiser quelque chose de rassurant et plaisant. Il avait développé cette technique à force de pratique avec un Severus qu’il avait découvert capable d’une brutalité bien supérieure aux premières leçons. Force était de constater qu’il faisait effectivement des progrès, car il se retourna et parla d’une voix neutre.

« Excusez-moi, Professeur. Nous règlerons nos comptes quand le temps nous le permettra. »

Le regard bleu intense du magicien scintilla brièvement, ce qu’Harry apprécia instinctivement, sans qu’il ne parvienne à se l’expliquer.

« Tu as grandi plus vite que je ne le craignais…

— Est-ce mal ? murmura Harry incertain.

— … Le Professeur Smith aurait beaucoup à y redire, je pense, mais pour le plus grand bien, je crois que c’est un mal nécessaire.

— Je vois. C’est un des sacrifices que je dois faire, c’est ça ?

— Un des ? Tu penses devoir… »

Le Directeur s’interrompit devant le sourire triste du Gryffondor. Un instant, il sembla hésiter, regretter, se haïr, peut-être… ? À moins qu’Harry n’ait rêvé tout ce panel d’émotions vives. Le jeune homme haussa les épaules, cela aussi il n’était pas question. Ils évoqueraient son rôle plus tard.

« Dites-moi ce qu’est un Horcruxe, Professeur. Je sais que vous aimez distiller les informations en fonction de votre avancée de pions mais…

— J’ai, effectivement, une excellente raison de ne pas te l’expliquer maintenant. Et je constate que tu ne fais pas qu’apprendre l’Occlumancie avec Severus, termina le mage en faisant légèrement rougir de honte le plus jeune.

— D’accord, je ne doute pas que vous ayez une bonne raison, mais vous faire confiance n’est pas toujours la meilleure des choses, répliqua à brûle-pourpoint Harry. J’aurais préféré éviter de vous balancer ça dans la…

— Mais il fallait que ça sorte. Je le vois bien. Si je t’explique ce qu’est un Horcruxe, Harry, tu risques d’être particulièrement influencé, et je crains que tu ne puisses plus aussi facilement convaincre Horace.

— Pourquoi vous ne lui avez pas fait boire du Véritasérum ? Ou bien utilisez…

— Non, Harry, répliqua sévèrement Dumbledore. Horace est un Sorcier assez puissant pour résister à l’un et à l’autre, de plus, ce ne sont pas…

Quoi ? Vos méthodes ? »

Ils se jaugèrent l’un et l’autre, Fumseck s’ébrouant légèrement sur son perchoir. Le Gryffondor sentait qu’il allait trop loin, mais décida tout de même de franchir la limite. Plantant son regard émeraude dans celui de son Directeur, il ajouta :

« Si vous voulez vraiment respecter vos méthodes, envoyez donc Snape lui arracher le souvenir par la force. »

Jamais Albus Dumbledore n’avait regardé avec une telle colère le jeune Harry Potter. Et pourtant, du haut de ses seize ans, campé sur son presque mètre soixante-dix, le cadet lui tint tête et parvint à lui faire entendre ce qu’un homme autrement plus grand endurait.

 ***

Quand il avait senti la morsure de la marque étreindre son bras, Severus avait vu ses entrailles se contracter brusquement. Depuis les événements du Ministère, dire que les réunions étaient rares constituait un euphémisme, et Bellatrix avait tendance à être la personne à l’origine des appels. Après Godric’s Hollow, l’espion n’était pas pressé de réitérer ce genre de partenariats, et se voir ainsi interrompu durant sa soirée ne l’enchantait pas davantage. Au moins, lorsqu’il ne devait que supporter les rires épars de Jane en train de lire à ses côtés, il était en sécurité.

Alors, lorsqu’il arriva au domaine Jedusor, et qu’il ne fut pas accueilli par le grincement hystérique de Lestrange, mais par le sifflement impérieux d’un boa constrictor femelle, Snape pâlit brusquement et son cœur rata un battement de peur. Le Maître le mandait explicitement. Il suivit le serpent qui remonta les escaliers en glissant le long de la rampe. Nagini le conduisit directement au bureau où s’enfermait désormais Voldemort, et quand Severus vit le Mage Noir penché au-dessus de ses documents, il s’autorisa à respirer à nouveau. Il s’agissait probablement de la prophétie.

« Severus… Assois-toi, prends place, susurra le Fourchelangue. J’ai eu vent de tes récents exploits… Bellatrix s’est montrée très évasive, mais Lucius s’est chargé de me raconter le moindre des détails dont il avait connaissance… »

Snape obtempéra, se demandant si tout ceci était un préambule à une punition. Est-ce que Voldemort lui reprochait soudain sa participation au raid ? Est-ce qu’il lui reprochait d’avoir été l’intermédiaire entre Malefoy et Dumbledore ? Il préféra garder le silence, laissant le mage poursuivre.

« Retire ton masque, Severus. Voilà… Maintenant, je peux voir ton visage. Cela change rarement grand-chose te concernant, mon mystérieux et taciturne Mangemort, mais je préfère voir tes émotions lorsque j’évoque le nom d’Evans. »

Quelles émotions ? La haine qu’il présentait systématiquement et que Voldemort prenait pour une rage dirigée vers la « Sang-de-Bourbe qui avait préféré James Potter » ? Ou la tristesse, la douleur, qu’il devait invariablement cacher aux tréfonds de son âme, de peur que ce fou n’apprenne toute la vérité à son sujet ? Lorsque les pupilles des yeux écarlates s’étrécirent davantage, Snape comprit qu’il affichait un masque différent d’à l’ordinaire.

« Essaies-tu de me cacher quelque chose, Severus ? Pourquoi cette soudaine apathie ?

— … J’ai réglé mes comptes avec cette famille, mon Maître, proposa Snape en inclinant docilement la tête. Quant au reste des racines, elles seront bientôt désherbées.

Regarde-moi. »

Bien sûr. En dix-huit années de servitude, jamais l’héritier de Serpentard ne l’avait vu réagir autrement qu’avec cette haine brûlante au fond des yeux. L’absence totale d’émotions était donc un signal suspect. Severus lui offrit son esprit, rangeant avec soin et patience ce qui concernait son début de soirée dans l’endroit le plus verrouillé de toute son âme. Il éparpilla avec savoir-faire des bribes de journées, des éléments relatifs à la nuit d’Halloween, et laissa là, comme coincé sous un meuble imaginaire, ce lambeau d’instant meurtrier. Voldemort s’y précipita, comme une mère cherchant un objet coupable dans la chambre de son fils sacré. Le mage tira sur le souvenir, et goûta avec un plaisir malsain aux sentiments qu’il renfermait. Haine, plaisir sauvage à tuer, exaltation devant sa propre puissance… Un subtil mélange malsain et presque érotique enrobait l’instant figé à jamais où il avait tué la sœur de Lily Evans. Le Mage Noir en apprécia toute l’intensité, goûtant par procuration la sensation de domination, avant de s’extraire de l’esprit de son serviteur, bien plus satisfait qu’il ne l’aurait songé.

« Je vois…, soupira-t-il pratiquement. Tu as eu un exutoire.

— Oui, et je n’en remercierai jamais assez Mon Maître de me l’avoir offert.

— Tu ne remercies donc pas Bellatrix… ? »

Snape sentit qu’il s’agissait ici d’un piège, et qu’il était hors de question de tomber dedans si l’on espérait sortir de cette entrevue sans châtiment. Il regarda directement Voldemort dans les yeux, et avec une sincérité totale rétorqua :

« Elle a été autorisée à mener ce Sabbat, et vu les conséquences de celui-ci…

— Tu désapprouves son sens de la mise en scène ? Tu désapprouves les choix que j’ai pu faire ?

— Oui, Maître. Je la désapprouve totalement, même si cela s’avère utile en fin de compte, elle vous a obligé à prendre de gros risques. Elle nous a tous obligés à prendre de gros risques. Malefoy est plus que jamais observé dans sa… Ah ! Collaboration avec l’Ordre du Phoenix, et nous, nous sommes officiellement…

— Nous ?

— Les Mangemorts, et peut-être même vous, Mon Maître, nous sommes vus comme des bouchers.

— N’est-ce pourtant pas ce vous êtes ? N’est-ce pas ce que tu es, Severus ? Meurtriers, violeurs, bourreaux, vous êtes tous des monstres. Des monstres magnifiques de puissances, et pour certains, magnifiques d’équilibre. Il est parfait que la populace se précipite dans les bras de Lucius. Il est parfait qu’elle boive ses paroles et adoube toutes ses lois… Le Bien et le Mal sont des notions irréelles nécessaires aux faibles. Nous, nous savons qu’il n’y a que le pouvoir, et eux ne sauront jamais en disposer. Ils n’ont donc pas besoin de croire qu’il existe autre chose… Non, c’était au contraire une excellente nuit pour nos projets… »

Voldemort ne s’adressait clairement plus à lui. Il réfléchissait à voix haute, le regard écarlate s’abîmant dans ses pensées. Était-il en train de se repasser mentalement leurs souvenirs à tous que Snape – il en était convaincu – l’imaginait avoir prélevés chez chacun ? L’espion ne se risqua à aucun commentaire et ils restèrent un long moment silencieux. Soudain, le Fourchelangue reprit la parole en murmurant rageusement :

« … Et il n’est pas question de les voir avortés une nouvelle fois ! Je saurai me défaire de cette menace. Severus ?

— Maître ?

— Je ne t’ai pas fait venir ici pour parler de Politique. Je veux entendre l’espion me rapporter ce qu’il a espionné chez nos ennemis. J’espère que la confiance que Dumbledore est toujours pleine et entière… ?

— Elle s’accroît presque autant que celle de cet imbécile de Potter, Mon Seigneur.

— Aaah, Severus… murmura Voldemort en souriant d’un sourire qui mit profondément mal à l’aise l’homme en noir. Si tu n’étais pas si laid, j’aurais pu te dire que nous avions beaucoup en commun… ! »

Snape encaissa ce qui semblait être aux yeux du Seigneur des Ténèbres un compliment, et se fendit d’une légère courbette de remerciement sur son siège. Le Fourchelangue continua sur sa lancée :

« Tu vas donc lever une incertitude : la marque que j’ai déposée sur Potter, Dumbledore pense que c’est sa cicatrice, n’est-ce pas ? »

 ***

« Est-ce qu’Horace Slughorn avait conscience de ce qu’était déjà Tom Jedusor à l’époque ? Je suis incapable de le dire. Mais il faut que tu comprennes quelque chose Harry : Tom avait une faculté très particulière de tisser des liens avec des gens. Il savait les convaincre de le servir d’une façon ou d’une autre, de l’admirer, de l’aimer parfois. Non, ne m’interromps pas. Je sais que tu en as une vague idée, mais c’est précisément ce que je tente de te dire : c’est une idée vague. Tom Jedusor était aussi talentueux que beau, aussi incroyable qu’extraordinaire, aussi touchant qu’intrigant, aussi séduisant que repoussant. Repoussant, car il émanait de lui une aura d’une grande dangerosité que quelques-uns percevaient néanmoins, tout en étant paradoxalement attirés par lui.

— Un peu l’inverse de Snape, quoi, marmonna le cadet songeur.

— Je ne crois pas que le Professeur Snape ait jamais exercé pareille attraction, et nous savons tous les deux que c’était d’autant moins le cas à l’âge qu’avait Tom…

— Non, je parlais de parvenir à attirer malgré la dangerosité. En fait…, s’interrompit Harry comme comprenant soudain quelque chose. En fait… ça n’est pas moi qui Lui ressemble le plus.

— … Pour autant Severus dispose de capacités que n’a pas Voldemort et qui font très nettement la différence, rappela Dumbledore en plongeant un regard entendu en direction de l’élève. Mais il ne s’agit pas de lui, Harry. Je suis content que tu commences à comprendre quelqu’un que je respecte autant, mais nous parlons de tout autre chose : nous discutons de la culpabilité d’Horace.

— Est-ce si grave que cela ?

— Ce qu’il a dit à Jedusor a nécessairement changé la face de l’Angleterre et transfiguré de nombreuses vies. Bien que j’ignore à quel point. Et c’est pour cela que je dois savoir précisément ce qui a été dit dans cette pièce il y a cinquante-trois ans.

— Vous voulez savoir si Voldemort a eu sa réponse ?

— Pas exactement. Mais pour l’heure, Harry, je vais t’expliquer ce qu’est un Horcruxe, et tu devras te contenter de cela et ne pas me demander de plus amples explications, d’accord ? »

Harry fronça les sourcils, une drôle d’impression lui picotant le nez désagréablement. Dans son esprit, la voix qui avait pris les accents de Snape depuis un peu plus d’un an lui suggéra qu’il y avait Veracrasse sous chaudron. Mais il se contenta d’hocher simplement la tête, bien déterminé à en savoir davantage.

« Comme tu dois t’en douter, nous parlons ici de Magie Noire. A la vérité, c’est même considéré par beaucoup comme la forme la plus sombre de celle-ci. Un Horcruxe est un objet dans lequel on a enfermé une partie de son âme. »

Le brun cligna des yeux, se sentant presque déçu. Les atrocités commises par Voldemort et ses sbires allaient si loin qu’entendre quelque chose digne d’un roman de fantasy ne le choquait guère. Puis, lentement, comme un cadavre boursouflé refaisant surface à l’instant même où le coupable jurait ses grands dieux qu’il n’était pas le meurtrier, doucement, sournoisement, un souvenir lui revint en mémoire.

« Vous êtes un fantôme ?

— Disons plutôt un souvenir conservé dans les pages d’un journal pendant cinquante ans… »

Harry écarquilla les yeux de terreur, se souvenant du corps mourant de Ginny, de l’horrible impression de trahison qu’il avait ressentie à l’encontre du souvenir… Du… D’un…

« Merde… » Murmura le garçon à voix haute le regard dans le vague.

Le Directeur de Poudlard haussa les sourcils, avant de sourire tristement.

« Tu as deviné. Le journal de Jedusor était un Horcruxe.

— Mais… Mais à quoi ça sert ? Pourquoi ? Comment ?

— De quoi a le plus peur Voldemort, Harry ? Que lui est-il arrivé lorsque le sortilège de mort l’a frappé ?

— Mais… Il a pu survivre parce qu’une partie de lui-même vivait dans le journal ? Mais maintenant qu’il est détruit ? Maintenant que le journal n’existe plus, alors ? Est-ce que Voldemort… Mais ce sont des morceaux d’âme… D’ÂME ! Comment on peut déchirer quelque chose comme…

— Calme-toi Harry, reprends ton souffle. Les Horcruxes se créent à partir d’un meurtre. Tuer déchire l’âme et il est alors possible…

— Mimi…, soupira d’horreur le jeune homme. C’est… C’était son premier meurtre, n’est-ce pas ? C’était sa première fois ? Non ! Non… Il avait déjà tué son père, non, non… »

Durant sa réalisation, le garçon se leva et se rassit à de nombreuses reprises, jusqu’à retomber sur le fauteuil, vaincu. Le vieil homme lui poussa une nouvelle tasse de thé fumant, et rectifia en parlant d’une voix égale :

« Tu as vu qu’il avait tué son père et sa famille l’été avant d’entrer en sixième année. Je pense qu’il s’agit effectivement de son premier meurtre. Du moins, un être humain, précisa Dumbledore en faisant frissonner son cadet. Effectivement, le souvenir que nous cherchons à obtenir se situe bien entre la mort de Tom Jedusor Senior et celle de Myrtle Elizabeth Warren. Que cela soit Horace ou non qui l’ait aiguillé dans son apprentissage et maîtrise des Horcruxes, Tom a pu apprendre à le faire et…

— En aurait fait un sous votre nez, au sein même de Poudlard, termina Harry lugubre.

— … C’est exact.

— Pourquoi ? Pourquoi vous qui savez tout vous n’avez pas senti ça ?

— Et comment voudrais-tu que je le fasse Harry ? Je n’étais pas Directeur à cette époque, et quand bien même, tu penses qu’une alarme anti-magie noire existe à Poudlard ?

— … Elle devrait. Au moins Voldemort n’aurait pu rentrer il y a cinq ans et…

— Je pense que peu importe les sortilèges – qui pour certains nous sont encore inconnus – qui entourent Poudlard, Lord Voldemort peut passer au travers.

— Parce qu’il est puissant ?

— Non, parce qu’il en a le droit. »

 ***

Snape observa un instant l’homme défiguré face à lui, rassemblant les éléments qu’il avait en sa possession concernant la prophétie. Il n’avait pas lui-même réfléchi à cette fable pour adultes, il s’était plutôt concentré sur la recherche du Directeur, et sur les soins qu’il devait lui apporter pour retarder l’inévitable. Il devait donc envoyer ces informations-là rejoindre celles qu’il avait mises de côté plus tôt. Si quelqu’un avait été en capacité de percer ses défenses mentales, il aurait vu la douleur qu’il avait ressentie en apprenant la vérité sur Harry côtoyer l’éclat de joie en entendant… Il se concentra, et opina lentement du chef.

« Non, il a émis l’hypothèse que la cicatrice ne soit pas que la marque du sortilège de la Mort. Il existe de nombreux cadavres, aucun d’eux n’a été ainsi balafré. Mais Dumbledore croit que c’est plus figuratif que cela : qu’en le choisissant lui, et non un autre comme cible, vous l’avez « marqué comme votre égal », votre seul et unique destructeur potentiel…

— Un autre, hein… ? Il y en avait bien un autre, c’est vrai… murmura Voldemort en réordonnant ses feuillets. Le fils Londubat, n’est-ce pas ?

— Tout juste, mon Seigneur.

— À quel point est-il dissemblable de Potter ? »

La question surprit grandement l’espion qui ne comprit pas immédiatement l’intérêt soudain de l’homme pour un gosse presque anonyme. Il soupira, cherchant à définir Neville, s’apprêtant à dire qu’il était aussi maladroit que mauvais en toutes choses, avant de se raviser. C’était faux, il le savait. Neville était doué dans certaines matières, excellait même dans la Botanique, et depuis qu’Horace avait repris la classe, on racontait même qu’il se débrouillait en Potions. C’était un gosse courageux, en définitive, et plutôt sage, éduqué par une vieille au tonus légendaire, et donc, pour devenir probablement un des meilleurs guerriers de sa génération… Surtout s’il continuait à fréquenter…

« Il était si insignifiant que je l’ai cru un temps Cracmol, commença Severus avec franchise, déversant des souvenirs honteux et authentiques. Mais il semble qu’il se soit découvert quelques talents et courages. Que cela soit parce qu’il souhaite ressembler à Potter, ou parce qu’il est fatigué d’être la risée de sa lignée… Quoi que ses parents ne baveraient pas davantage s’ils l’apprenaient… »

Cette dernière phrase tira un ricanement au Fourchelangue qui appréciait Snape notamment pour cela : il était l’un des rares à avoir un humour assez cynique pour le satisfaire.

« Peu importe, il commence à lui ressembler. Une copie de moins bonne qualité si vous voulez mon opinion. Ce qui fait de Londubat une sorte de chaînon manquant entre l’endive et le Sorcier.

— Est-ce qu’il en aurait été autrement si les rôles avaient été inversés ? »

Voldemort avait posé cette question à son serpent qui était lové en face de la cheminée. Si Dumbledore avait raison – et il y avait de grandes choses pour que cela soit le cas – le Seigneur des Ténèbres était en train de se parler à lui-même… Mais aussi étranges que soient la question et la situation, Severus prit le temps d’y réfléchir. Oui, il était tout à fait possible que si Voldemort avait choisi Neville et non Harry, le premier ait connu un parcours bien plus reluisant et… L’espion arrêta sa réflexion quand il comprit pourquoi Potter était l’Élu. Le Mage Noir avait jeté son dévolu non pas sur la famille, mais sur le sang de Harry. Harry Potter, qui, comme lui, était Sang-Mêlé. Voldemort, dans son immense narcissisme, n’avait pu imaginer un adversaire autre que quelqu’un lui ressemblant. Et en tuant ses parents, en rendant Harry orphelin, il n’avait fait qu’accentuer cette curiosité. Comment l’homme avait réagi en apprenant que le cadet était Fourchelangue, comme lui… ? Mais Harry n’avait rien à voir avec… Severus stoppa immédiatement le fil de sa pensée en frissonnant. Soudain, il se sentit indigne et sale. Ce n’était pas la première fois qu’il comprenait ce qu’il s’apprêtait à formuler intellectuellement. Jeune, lorsqu’il avait pris la marque, il s’en était senti honoré, mais à présent…

« Cela serait aussi simple que cela ? continua Voldemort. Il est mon adversaire, parce que je l’ai désigné ?

— C’est ce que pense Dumbledore, confirma Snape en chassant la comparaison qu’il faisait de lui-même et du Seigneur des Ténèbres. Il semblait même très satisfait de votre façon d’agir en conséquence.

— Que veux-tu dire ?

— La nuit où vous nous êtes revenu, Mon Maître, vous avez définitivement marqué Potter comme votre égal. »

C’était risqué. Dévoiler l’une des hypothèses réelles d’Albus était un sacré coup. Mais Voldemort avait besoin d’éléments de sa part, il avait besoin de se focaliser sur Harry, de continuer à être obsédé par le gamin. L’héritier de Serpentard le dévisagea comme s’il venait de dire quelque chose de stupide, avant de siffler de colère.

« Depuis quand sais-tu cela ? cracha le Fourchelangue en accentuant certaines consonnes.

— Depuis que Dumbledore a raconté la prophétie au gamin. Après l’attaque du Ministère il…

— Et tu ne m’en as rien dit ? »

L’instant d’avant, il faisait rire son supérieur, se voyait même gratifié de l’extrême compliment de lui ressembler, et celui d’après Severus glissait de sa chaise, se convulsant sous les assauts du Doloris qu’il n’avait pressenti que trop tard. Une brève pensée lui traversa l’esprit, faite de moqueries à l’égard de Voldemort qui aurait dû comprendre quelque chose d’aussi évident, et une lassitude à voir son corps une nouvelle fois malmené par un sortilège de Magie Noire. Il passerait le reste de sa soirée à se soigner, et le lendemain serait une lente torture à endurer silencieusement face à ses élèves. La douleur du sort n’était rien quand on la comparait à tout ce qu’elle engendrait par la suite. Avec l’âge, Snape sentait ce qu’une radio aurait confirmé en quelques clichés : son corps souffrait durablement, ses os étaient striés de microfissures, sa chair…

« Dumbledore se trompe, s’arrêta soudain Voldemort avec une fierté qu’il ne parvenait pas à dissimuler. Si j’avais marqué Harry à cet instant, il n’aurait pu me résister plus tôt. Dans sa toute-puissance, le vieil homme ne comprend pas que le terme est purement symbolique. »

Était-il en train de se rassurer, lui qui posait la question précédemment ? Combien de temps encore allaient-ils tous pouvoir lui cacher la vraie signification derrière ces mots ? Le sortilège levé, Snape resta l’échine courbée jusqu’à ce que le Mage Noir l’autorise à se rassoir. Parfois, l’ordre ne venait jamais, et le Mangemort puni devait subir l’humiliation d’être prostré comme un animal une réunion entière.

« Il y a même à parier qu’il interprète le pouvoir caché de ce minable avec son éternel optimisme, est-ce que je me trompe, Severus ?

— Non, Maître. Il pense effectivement que c’est la capacité à aimer de Potter qui…

— L’amour, coupa Voldemort avec un mépris tel que son visage se contracta sous le dégoût. C’est l’amour qui est à l’origine de tous les maux de ce monde. C’est la pire des faiblesses. C’est l’amour qui a tué Merope Gaunt… »

Le Fourchelangue avait murmuré cette dernière partie à l’attention de Nagini qui ne prit pas la peine d’ouvrir les yeux d’intérêt. Snape frissonna malgré la chaleur, déclenchant une vague de douleur dans ses muscules encore parcourus de Magie Noire. L’espion savait qu’il parlait de sa propre mère, et pendant longtemps, Snape avait partagé la même opinion à propos de la sienne…

« Mais Dumbledore ne fait que supposer tandis que moi je dispose de ressources bien supérieures, reprit Voldemort. Je confirmerai son idée folle, et je tuerai « l’Élu de l’amour ». Je le détruirai, après lui avoir pris tout ce qui comptait pour lui. Tout ce qu’il a aimé, je le détruirai et ensuite, je regarderai Harry Potter sombrer dans le désespoir. »

L’idée semblait lui plaire et éclaircir son humeur au point qu’il congédia son serviteur aussitôt. Snape ferma la porte du bureau sur le souffle erratique du Mage Noir qui anticipait manifestement les conséquences de son plan. En descendant lentement les escaliers, les articulations chauffées à blanc, l’homme en noir se dit que Voldemort ne comprenait effectivement rien à l’amour et qu’il oubliait un détail essentiel : peu importait les souffrances ou la mort, on ne perd jamais sa capacité à aimer.

 

 ***

« Je ne comprends pas.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu le fasses Harry. Et ça n’est guère important dans l’immédiat. Pour l’heure, je voudrais que tu te concentres sur le souvenir du Professeur Slughorn et sur la façon dont tu vas l’obtenir.

— Non, mais attendez, le principe d’Horcruxe, on n’en a pas terminé !

— C’est bien pour cela que je t’ai demandé quelque chose, tu sais… »

Le ton était doux, mais Harry comprit qu’il n’en saurait pas davantage, et que c’était à lui de jouer. Les questions tournaient dans sa tête à une vitesse folle, avec une principalement qui prenait de plus en plus de place, et qui commençait à rendre toutes les autres inaudibles. Dumbledore sembla la lire dans son esprit, car il ajouta :

« Oui, c’est bien la première question que je me suis posée, et c’est bien pour y répondre que nous avons besoin de savoir ce qu’il s’est dit dans cette pièce.

— … Jusqu’à quel point on peut morceler une âme, Professeur ? murmura Harry en clignant des yeux, comme s’il avait du mal à imaginer une telle hypothèse.

— Je l’ignore. Je ne crois pas qu’il y ait une réponse, et de toute évidence, Tom ne l’a pas non plus, car il est encore en vie, aujourd’hui.

— Vous pensez que passé un stade, on… On meurt ?

— Pas tout à fait, mais je pense qu’on finit par ne plus rien avoir d’humain, ce qui, de mon point de vue, est un sort bien pire que la mort. »

Harry joua un instant avec le fond de thé parsemé de miettes de feuilles qui flottaient dans la tasse. Il releva son regard en direction du vieil homme en faisant la grimace.

« Il en aurait fait combien pour… Pour… Pour ressembler à ça ?

— C’est une excellente question, Harry. Bien que je ne doive pas t’encourager à te moquer du physique d’une vieille personne, la question reste pertinente.

Vieille ? questionna le cadet en fronçant les sourcils.

— Tom Jedusor a un peu plus de soixante-dix ans.

— Oh… Eh bien… La Magie Noire conserve !

— Tu trouves ? »

Le Mage Blanc lui sourit avec malice, et le plus jeune éclata de rire, ayant l’impression de respirer pour la première fois depuis le début de la soirée. Ils échangèrent un regard de connivence, avant que l’hilarité du plus vieux ne grimpe d’un étage encore :

« Mon secret est bien plus simple, Harry. Mais toi et le Professeur Snape refusez désespérément d’y goûter. »

Le Gryffondor pouffa et se leva en souriant, l’esprit un peu plus léger et remerciant le Directeur de prendre soin à chaque fois de le quitter en bons termes. Chaque soirée passée à scruter les souvenirs de Voldemort se terminait toujours par un petit instant comme cela. Harry soupçonnait le vieil homme de vouloir l’aider à cloisonner son esprit, et à apaiser ses pensées avant de sombrer dans le sommeil où il était vulnérable. Ils mirent fin à leur entrevue, et le jeune homme s’en retourna en direction de son dortoir. Restait à convaincre Slughorn de lui ouvrir sa tête et de lui montrer ce dont il avait le plus honte. Harry haussa les épaules en marchand, se rendant compte qu’il n’avait aucune idée de la façon avec laquelle il devait s’y prendre. Il s’arrêta soudain, avant de s’élancer comme un diable en direction de l’étage de son dortoir. Il mâcha pratiquement le mot de passe à la Grosse Dame, et monta directement jusqu’à la chambre. Là, il bloqua sa respiration pour tenter de ne pas réveiller ses camarades qui devaient probablement dormir, et se glissa le plus silencieusement possible jusqu’à son lit, d’où il tira le miroir de Sirius.  Le ronflement soudain de Ron manqua de lui faire lâcher l’artefact de peur, et Harry redescendit à la salle commune pour se lover dans un fauteuil face à la cheminée. Il se concentra, jusqu’à ce que le visage marqué par l’inquiétude de son Parrain s’y montre.

« Tout va bien ?

— Hey, salut ! Oui, oui, t’en fais pas, je voulais juste te poser une question. Je sais qu’il est tard, mais tu ne dors jamais avant… »

Harry s’interrompit soudain, constatant que l’Animagus portait un col haut et richement brodé. Il était également peigné, et la barbe impeccablement taillée. Le garçon se mordit la joue et rougit, gêné.

« Je te dérange, c’est ça ?

— Non… Pas si l’on considère qu’interrompre une charmante soirée, magnifiée par la plus délicieuse des compagnies (un rire féminin ponctua sa phrase), et encadrée par l’incroyable décor de La Rosée de Lune, n’est en rien un dérangement… Mais je serais un bien piètre Parrain si je ne répondais pas à l’appel désespéré de mon filleul préféré. Je te préviens, si c’est une histoire de filles, je ne pourrai y répondre dans l’immédiat, je ne voudrais pas que mon talent se dévoile trop vite (nouveau gloussement). Veuillez m’excuser Miss Lemoine, articula lentement Sirius en souriant charmeur. »

Harry n’entendit pas ladite Miss lui répondre, et vit que le décor changeait légèrement, Sirius se mettant à l’écart. Quand il recroisa le regard de son aîné, c’était pour le voir légèrement agacé.

« Tu as fini de te moquer ?

Madeuhmoizellheu Leuhmoineuh, singea Harry avec un accent anglais très prononcé. Qui est-ce cette Miss ?

— Une jeune Française que j’ai rencontrée… Peu importe, quel genre de question nécessite que tu ne puisses attendre demain ?

— Dumbledore m’a demandé un truc très précis. Il veut que j’arrive à convaincre Slughorn de faire quelque chose pour l’effort… Je sais pas si je peux t’en dire plus, en fait…

— Albus m’avait déjà parlé d’une mission spéciale pour toi. Je n’en sais pas plus, je sais juste qu’il fallait que ça soit toi. Par rapport à ta notoriété, je crois… Mais je ne comprends pas en quoi puis-je t’aider, Harry, je ne connais pas bien ce type.

— Ah bon ? Mais il était ton prof, non ? T’as dû aller aux soirées privées !

Moi ? jappa Sirius en guise de rire. Jamais j’aurais pu foutre UN orteil dans une des sauteries de Slugh, tu rigoles ? James en était vert en plus… On a même essayé une année d’y aller ensemble, en prétextant que le règlement n’interdisait en rien les couples du même sexe, mais ça a fait un scandale… Oh, si tu avais vu la tête des Sangs-Purs… ! Non, non, Harry, moi j’étais persona non grata.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Mais parce que ma famille craignait un max ! Ou bien parce que j’étais rayé de cette dernière, j’sais pas trop. Slug’ avait le cul entre deux chaises avec moi. Le mieux pour ce vieux Serpentard était de prétendre que je n’existais pas. Non, si tu veux l’avis de quelqu’un qui l’a bien fréquenté, et qui sait manipuler les gens, c’est vers Snape que tu dois te tourner. »

Harry soupira de fatalisme en jetant un regard perdu au feu en face de lui. Quelque part, il le redoutait. C’était même la première idée qu’il avait eue lorsque Dumbledore lui avait demandé de convaincre Slughorn. Pourtant, il se voyait encore moins discuter avec l’homme en noir pour…

« Parce qu’il était son Directeur de maison à l’époque, c’est ça ?

— Ah, non non. Parce que Slugh avait un gros faible pour l’inénarrable duo de potions Lily Evans et Severus Snape. Ce qui fait qu’à chaque fois que ton père revenait d’une soirée, il passait quatre heures à s’énerver sur « Snivellus qui lui volait sa Lily ».

— Je vois, grinça Harry. Ça va me compliquer la tâche pour obtenir l’aide de Snape, mais merci Sirius, je ne voudrais pas te voler à ta « Madeuhmoizellheu Leuhmoineuh ».

— Hey, attends ! Harry, si tu as le fin mot à propos de…

— Si je l’ai, Sirius, il restera entre les principaux concernés. Merci encore, sourit le jeune homme pour adoucir son propos, passe une bonne soirée !

— Ouais, ben bon courage avec lui, hein ! »

Le miroir redevint un simple miroir et Harry fronça les sourcils. Oh, oui ! Il allait avoir besoin d’une bonne dose de courage pour affronter l’espion sur une question aussi personnelle que celle-ci ! Le jeune homme gémit piteusement en se rendant compte que sa mission s’était dramatiquement complexifiée.

 ***

Severus poussa sa porte en soupirant. Il était fatigué de sa soirée, épuisé de la guerre, épuisé des sautes d’humeur du Mage Noir et des idées stupides du Mage Blanc. Quand il entra dans son salon, la démarche lente et appuyée, trahissant sa douleur, la queue blanche d’un chat s’enroula autour de son mollet, lui tirant un sourire franc. Il se dirigea vers son bar d’où il sortit deux bouteilles. Une de scotch, une de potion. Mélanger les deux n’était pas interdit, simplement déconseillés par Sainte-Mangouste. Et personne n’irait le leur dire. Il tira d’un coup de dents le bouchon de la potion d’antidouleurs, et but une bonne rasade, tout en se servant de l’autre main un verre ambré, puis, il se laissa tomber sur son canapé pour le déguster.

Snape ferma lentement les yeux, quand il sentit un genou étranger contre sa cuisse. Merlin sauta sur lui, et l’empêcha de se relever, ronronnant déjà comme si la posture était tout à fait normale.

« Vous n’avez pas bougé…, murmura l’espion.

— J’étais pas mal inquiète. J’avais un peu peur que ce ne soit un traquenard son appel.

— Je suis un grand garçon, Jane.

— Vous tremblez.

— Vous êtes encore assise en tailleur sur mon canapé.

— Ca n’a aucun rapport.

— Je croyais que c’était ça la règle du jeu… »

Smith se replaça à côté de lui, plutôt que de s’asseoir convenablement, elle ramena ses deux jambes contre elle. À quel moment avait-elle enlevé ses bottines pour se percher sur son mobilier dans ses appartements, Severus l’ignorait, mais la Moldue n’avait vraiment pas l’air décidé à bouger. La jeune femme l’observait, inquiète, et quand le Mangemort chercha à échapper à son regard inquisiteur pour croiser celui du chat qui le fixait par en dessous, il se sentit piégé. Un piège confortable, mais un piège tout de même.

« J’ai pris un Doloris, expliqua l’homme en se surprenant à parler de cela à quelqu’un.

— Je peux faire quelque chose pour vous soulager ? »

Un instant, l’homme hésita à lui dire de s’en aller, puis il se ravisa. Il n’avait pas envie que cette soirée se termine comme chacune d’elles se finissait dans ces cas-là. Il jeta un regard insondable à la Moldue, et cette dernière ouvrit de grands yeux avant de rougir et d’éclater de rire.

« Ah-ah, non ! Je ne sais pas à quoi vous pensez, mais je ne parlais pas de ça… ! »

Severus cligna des yeux, puis sourit sournoisement :

« Mais à quoi pensez-vous, vous ?

— Non, non, pitié, ne cherchez pas dans ma tête pour une fois, pouffa-t-elle de rire en baissant instinctivement les yeux.

— J’ai vu trop de choses étranges pour ce soir, Smith… »

Il avait toujours mal au bassin, au dos, ses jambes le tiraillaient, et son cœur continuait de battre à un rythme désordonné. Plus le temps passait, plus cela devenait compliqué… Heureusement que Voldemort s’était absenté de leurs vies pendant une douzaine d’années… ! Alors que Jane reprenait le livre qu’elle lisait avant son départ, Severus lui demanda de but en blanc :

« Suis-je laid ? »

Quand il la vit reposer avec lenteur son roman, il porta à ses lèvres son propre verre pour se donner une contenance. Jane le regarda comme s’il lui était étranger, et fronça les sourcils. Il pouvait presque voir la réponse dans ses yeux, mais il ne pouvait se résoudre à vérifier dans son esprit.

« Mais qu’est-ce qu’il vous a fait… ? lui demanda-t-elle doucement, très sérieuse.

— Vous éludez.

— Non, vraiment, ça ne vous ressemble pas. Pourquoi cette question ?

— Répondez-moi. Je vous expliquerais peut-être. »

C’était surtout de l’inquiétude et de l’incrédulité qu’on lisait sur le visage de la Moldue. Puis, après une profonde inspiration qu’il estima être une dose de courage, elle lui répondit enfin :

« Non. Je vous ai déjà retrouvé repoussant, terrifiant, mais laid, jamais.

— Et me trouvez-vous fascinant… ?

— … Qu’est-ce qui vous prend ?

— Vous adorez donner votre opinion sur tout, pour une fois que je vous la demande, faites-moi plaisir… »

Jane passa sa langue sur sa lèvre inférieure en levant les sourcils, tout dans sa posture exprimait clairement le malaise. Elle tourna la tête en direction de l’âtre, manifestement peu encline à l’idée d’assumer la suite.

« Oui. Ça m’arrive. Est-ce que votre besoin narcissique de domination est satisfait ?

— Vous pensez que c’est pour cela que je vous pose la question, Jane ? répliqua-t-il, une pointe d’inquiétude dans la voix.

— … Non. J’en sais rien, vous m’aviez dit que vous m’expliqueriez, donc… Je vous… Je vous charrie parce que vos questions me gênent. Enfin, mes réponses, surtout.

— Vous me faites confiance ?

— Severus, vous êtes flippant ce soir.

— Est-ce que vous me suivriez si je vous emmenais vers l’inconnu ? Si je risquais votre vie ? »

La jeune femme planta son regard dans le sien. Elle n’avait pas besoin de le formuler, qu’il comprit où elle voulait en venir. Mais la Moldue ne lui épargna pas la vérité :

« Je passe mon temps à le faire. Est-ce que vous allez enfin me dire ce qu’il se passe ?

— Rien, laissez tomber.

— Mais, Sev…

— S’il vous plaît, faisons comme si nous n’avions pas été interrompus. »

Merlin miaula, comme pour ordonner à sa Maîtresse de céder. Elle le regarda, interloquée, inquiète et assez suspicieuse, puis se leva lentement pour se servir elle aussi un verre. Lorsqu’elle revint, le Sorcier n’avait pas bougé, il braquait son regard vers le feu qui miroitait dans ses billes onyx. Elle ouvrit la bouche, la referma en se ravisant, puis se remit en tailleur près de lui et attrapa son livre. Son cœur cognait fort dans sa poitrine, Jane sentait que quelque chose de grave lui échappait, et qu’elle était incapable d’aider son ami. Mais elle obtempéra, comme elle put, la curiosité laissant place à une certaine tristesse.

Severus coula un regard dans sa direction, l’observant bouquiner, penchée sur son livre comme s’il l’aspirait vers un nouveau monde. Il sourit discrètement, et respira à nouveau normalement. Peu importait son physique, ce n’était pas là sa seule différence avec le Seigneur des Ténèbres… Au bout d’un moment, Jane pouffa de rire et tourna une page.

Oui, il n’avait rien à voir avec Voldemort.