Dortoir des Gryffondor, 31 octobre, 19h19,
« Ils ne se sont pas foutus de ma gueule, en plus ! »
S’observant sous toutes les coutures, debout face à un grand miroir, Ron sourit très largement. Il portait un costume blanc brodé d’or, avec une large cape ivoire accrochée de biais sur son épaule par une fibule en or massif. La fibule représentait un lion à gueule ouverte, et était un véritable bijou de travail artisanal. Ce vêtement était un cadeau des jumeaux Weasley à leur frère cadet, qui avait tant souffert lors de la quatrième année de l’horrible toilette dont il avait été affublé. Drapé majestueusement dans cette tenue, Ron ressemblait plus à un noble qu’à un gamin triste et sans le sou, tel qu’Harry l’avait connu aux pires moments de sa vie. Pour la première fois, le Survivant se rendit compte que son ami venait d’une famille de Sang-Pur de haute-lignée, et il en rougit en baissant les yeux.
« Quoi ? lui demanda Ron en le regardant à travers le miroir.
— Rien, t’es beau, c’est tout…
— … Et ça fait rougir Harry Potter, c’est ça ? »
Ils s’observèrent un instant à travers la glace, laissant le sous-entendu se répercuter dans toute leur chambre, avant d’éclater de rire bruyamment.
« JE FAIS ROUGIR HARRY POTTER ! » Se moqua Ron en jouant avec sa capeline, ce qui augmenta encore l’hilarité du brun qui lui fit une courbette en réponse, tirant sa propre cape noire doublée de vert. Ils s’empoignèrent l’un et l’autre et dansèrent de concert, trop heureux d’être si beaux ce soir, quand un Neville cintré dans un costume chic déboula en les observant longuement. Les deux comparses s’arrêtèrent net, et piquèrent un fard.
« Vous préférez que j’annonce la bonne nouvelle à vos cavalières, ou je vous laisse cet honneur ? les taquina le fils d’Auror.
— Oh, ça va, hein ! Laisse-moi profiter de cette belle étoffe, jamais je n’avais porté une telle chose ! J’suis même pas certain que Malefoy lui-même ait d’aussi beaux atours.
— C’est possible, c’est vrai que les jumeaux t’ont fait un beau cadeau. Ils t’ont dit de quel créateur, c’était ? »
Harry et Ron froncèrent les sourcils en regardant Neville avec intérêt. Depuis quand leur ami était versé dans la mode ?
« Qu’est-ce qui te fait dire que…
— Ca me semble évident, répliqua Neville en s’approchant et en soulevant légèrement la cape de Ron. Ca doit être griffé quelque part, d’ailleurs. Attends, là ! J’avais raison. »
Il venait de défaire la fibule en forme de lion et la retourna pour montrer un minuscule détail gravé dedans : un petit dragon roulé en boule. Neville sourit à son ami, avant de raccrocher l’ensemble avec dextérité, puis il hocha la tête.
« Je ne sais pas qui c’est, mais c’est effectivement un créateur. Il faudrait demander à Seamus, il s’y connaît mieux en mode Sorcière que moi… En tout cas, oui, je te confirme que c’est pas rien, Ron… Peut-être même est-ce du sur-mesure… »
Le roux en resta coi, rougissant intensément sous l’émotion. Il se retourna et se regarda encore, ses frères étaient vraiment surprenants.
« J’ai… L’impression de ne pas être fait pour porter ça, murmura-t-il après un instant.
— On est rarement fait pour un costume, Ron. Jusqu’à ce qu’on doive se glisser dedans… » Lui répondit Harry son regard déviant vers la fenêtre.
Ses deux amis l’observèrent sans mot dire. Même ici, promis à une si belle soirée, le jeune homme n’arrivait pas totalement à se détendre. Harry fixait la grosse lune qui brillait d’une aura orangée dans le ciel. Ses mots flottèrent lourdement dans la pièce. Neville s’approcha doucement de lui, et lui mis la main sur l’épaule, incertain quant aux pensées qui occupaient l’esprit de leur compagnon. Harry se retourna doucement et sourit.
« Excusez-moi, l’heure est à la joie, je crois… C’est un soir de célébrations, non ? »
***
« Pourquoi pas, Bella… ? »
Relevant le nez de ses notes, son bureau toujours pris d’assaut par les parchemins, les épais grimoires et les différentes boules de cristal et runes gravées dans de superbes pierres précieuses, Lord Voldemort observait un instant la Mangemort qui le fixait avec intensité. Le Fourchelangue posa lentement sa baguette sur le parchemin pour l’empêcher de s’enrouler à nouveau, pointe à l’endroit où il était en train de lire le document, et se redressa de toute sa stature.
Jamais ces dernières semaines il n’avait autant fait son âge. Le voir en permanence courbé sur de vieux textes à tenter de comprendre une prophétie qui – aucun Mangemort ne pouvait l’ignorer – le terrifiait, mettait de plus en plus en rage sa suivante. Si jusqu’ici elle s’était contentée de s’inquiéter et de tenter d’être patiente, en cette soirée si particulière, Bellatrix Lestrange était monté jusqu’au bureau pour proposer à son Maître de se ressaisir. Voldemort se détourna d’elle et regarda par-delà les carreaux crasseux de la grande fenêtre de la pièce. Il avait été pratiquement inutile d’allumer les chandelles qui garnissaient le bureau tant la lune était brillante.
« C’est même un astre propice. » Murmura-t-il en appréciant toutes les variantes dorées du satellite.
Bellatrix tenta de dissimuler sa grimace, agacée devant tant d’hésitation, et de la voix la plus calme recadra :
« La magie sera puissante, Mon Seigneur, ce soir. C’est une occasion parfaite de reprendre possession de cette nuit et de rappeler qui nous sommes. »
Le Mage Noir frissonna quand elle évoqua « cette nuit », et elle le perçu. La brune se mordit la langue avec dégoût, étouffant un reniflement dédaigneux. Quand est-ce que tout avait dérapé ? Elle se reprit, le goût métallique du sang lui emplissant la bouche et excitant ses sens.
« Nous pourrions ainsi envoyer un signal fort, Maître. Je sais exactement où frapper, quoi faire… Je n’ai besoin que de…
— Prends les hommes que tu désires, Bella, tu as mon accord.
— … Maître… »
Le Fourchelangue croisa son regard, et la fille Black eu l’intelligence de baisser immédiatement les siens. Il était inutile qu’il apprenne qu’elle aurait souhaité sa présence… Qu’elle ne souhaitait que sa présence. Elle balbutia, le cœur battant à tout rompre, un étrange picotement agaçant ses yeux.
« Bien, Maître, merci de votre confiance.
— C’est ça. Va, et amuse-toi bien… »
***
« Je ne sais pas si je vais y arriver, Minerva…
— Pourquoi ? Vous n’avez jamais vu une fête d’Halloween comme ça, vous verrez ! Vous allez vous y amuser, je vous le promets.
— Mais… Horace va surtout me faire remarquer que…
— Horace est allé trop loin sur le sujet. Suggérer que… Il ne vous connaît pas. Je ne vois pas comment il a pu concevoir que vous prendriez le risque d’aller demander une telle chose à Severus.
— … Vous l’avez dit, il ne me connaît pas. » Murmura Jane en regardant son aînée piquer ses cheveux d’une grosse rose rouge.
Cela faisait deux heures que Minerva jouait à la poupée avec elle. Jane, qui avait pourtant eu une vie pleine de fêtes et de sorties, reconnaissait que s’habiller pour aller en boîte et s’habiller pour assister à une soirée comme celle-ci, étaient deux choses radicalement différentes. Dans cet univers où la magie flottait partout, par un soir d’une pleine lune rousse, un soir de Samhain surtout ; le fait d’être habillée d’une robe aussi travaillée lui donnait surtout l’impression d’être dans un conte de fées.
Car la Directrice de Gryffondor lui avait offert une de ses anciennes tenues à elle, une pièce somptueuse qui fit comprendre à la jeune femme pourquoi Dumbledore aimait tant sous-entendre que sa Sous-Directrice avait été jadis une femme très coquette. C’était une robe droite un peu évasée à la base, cintrée à la taille par un morceau de satin croisé sur la poitrine. Les épaules étaient pratiquement dénudées : les manches étaient faites de dentelles de la même couleur que la robe, dentelles qui ne remontaient qu’au niveau des clavicules, laissant la nuque et le haut des épaules découvertes. Quant à la couleur… C’était bien cela qui mettait le plus mal à l’aise Jane qui n’avait jamais osé une telle teinte : un rouge carmin intense et sensuel, que Minerva avait fait ressortir en attachant les boucles de Jane avec des peignes larges en bronze. À la jonction du chignon élaboré qu’elle avait sculpté, la vieille femme venait de piquer une grosse rose rouge en train d’éclore, comme un bouton timide à la symbolique très aisément compréhensible.
L’ensemble donna l’impression à la demoiselle d’être habillée pour une offrande satanique ou nuptiale, mais Jane resta silencieuse, elle était surtout gênée de se trouver si…
« Vous êtes parfaite, je savais que cette robe allait vous aller. Quelques ajustements et c’était parfait…
— Je ne sais pas quoi vous dire, Minerva, je me sens si gauche dedans…
— Mais non, pas du tout ! Faites comme si c’était tout à fait normal pour vous, comme si vous étiez effectivement jolie. Vous allez voir, vous finirez vite par accepter cette idée
— … Minerva ?
— Oui ?
— Vous avez vraiment porté ça ? »
La Sorcière s’arrêta un instant de gesticuler autour de sa protégée, et posa ses deux mains sur ses épaules, en la regardant droit à travers le miroir. Elle sourit d’un air si espiègle qu’on aurait dit un chat devant sa prochaine bêtise.
« Cela vous choquerait-il tant que ça ?
— Je ne sais pas, c’est… Même pour mon monde c’est une tenue très… »
Minerva pouffa de rire et déposant une mousseline plus sombre sur les épaules de la jeune femme. Ajustant son propre châle d’un gris chartreux très raffiné, l’aînée offrit une de ses rares répliques croustillantes :
« Jane, croiriez-vous naïvement que les Sorcières et les Sorciers naissent dans des choux et des roses… ?
— Heu… Non, mais… Je pensais la société Sorcière très…
— Elle l’est. C’est bien ce qui m’amusait tant à votre âge. »
Sur cette phrase pleine de sous-entendus, Minerva passa la porte en laissant une Moldue rougissante devant son reflet, qui pour une fois ne la gratifia d’aucune remarque désobligeante. Seulement d’un clin d’œil si appuyé que Jane s’enfuit pratiquement en courant de ses appartements pour échapper aux propos sans doute libidineux de son double décidément démoniaque.
***
Bellatrix redescendit les escaliers, la mine soucieuse et un tic agitant son œil gauche. Ce n’était pas du tout ce qu’elle voulait, pas du tout comme ça que cela devait se passer. Elle n’aimait pas la tournure que prenaient les événements ni même l’attitude de leur Maître.
Elle déboula dans le grand salon, et s’effondra sur une chaise. Elle aurait aimé ordonner à quelque chose de lui apporter à boire, mais le manoir Jedusor ne possédait aucun elfe de maison, et Queudver, de toute manière, avait été exécuté à l’été. Tu parles d’une victoire que leur avait offert l’assaut au Ministère… Leur Maître était officiellement de retour, mais restait prostré dans son bureau, Snape et Lucius vaquaient à leurs occupations respectives, l’un à espionner Dumbledore – qui était mourant paraissait-il – et l’autre à gravir les échelons politiques pour… Ah ! Permettre à leurs idées de faire leur chemin légalement… Il ne restait à Lestrange que les mauvais Mangemorts, ou les plus brutaux, les hybrides comme les loups-garous, et…
Bellatrix soupira, sa mèche entortillée se soulevant avec lassitude de devant ses yeux. Ils n’étaient plus guère nombreux, en fait, et n’avaient plus d’objectif. Où était donc passé ce feu sacré ? Et la conquête de l’Angleterre ? Et la punition des traîtres à leur sang ? Des Moldus ? Leurs rituels ?! Où tout ceci se trouvait ? Dans leur glorieux passé ? À l’époque où le 31 octobre était synonyme de carnages et de sabbats colorés et sanglants ? À cette époque bénie qu’elle avait tenté de raviver dans les souvenirs de son Maître, en vain ?
Il avait peur. La Mangemort le sentait au plus profond d’elle-même. Là, tordant ses entrailles, faisant frissonner ses reins, elle le sentait. L’idée même lui faisait remonter une bulle de bile qui éclata aux coins de ses lèvres tant cette idée la révulsait. Il avait peur de disparaître comme 15 ans auparavant… C’était pour cela qu’il se refusait à affronter ce gosse sans savoir pourquoi il avait pu le vaincre plus tôt. Et c’était pour cette raison que Lord Voldemort ne sortirait pas ce soir. Parce que nous étions le 31 octobre.
***
Neville avait accéléré le pas pour retrouver Hannah près d’une fontaine, Ron, lui, avait bredouillé quelque chose d’assez peu intelligent quand Hermione était descendue pour prendre son bras. Il n’avait d’ailleurs probablement pas entendu Harry lui souhaiter bonne chance, car le jeune homme l’avait vu chanceler légèrement, avant de se reprendre et d’avancer plus conquérant qu’il ne l’avait jamais été dans ses beaux vêtements. Son amie, elle, semblait fière de traverser les couloirs en sa compagnie.
Harry sourit, et après avoir soupiré d’amusement, tourna à un angle pour rejoindre le point de rendez-vous donné par Luna. La jeune fille avait été fidèle à elle-même : très sibylline, et l’Elu dû chercher « L’arbre qui s’épanouit sous un ciel sans lune ». Quand il arriva aux jardins bordés d’arches, entendant le son reposant de la fontaine magique et appréciant l’éclat des étoiles sur le feuillage, il ferma les yeux avec plaisir, remerciant mentalement son amie pour cette si jolie découverte. Il observa un instant le ciel magique qui était, effectivement, dépourvu de l’astre principal. Ce dernier rougeoyait derrière les vitraux qui entouraient le jardin, ajoutant une touche mordorée à la scène. C’était un mélange de couleurs très surprenant, et Harry, il en était certain, percevait une sorte de magie très particulière à l’œuvre.
Un mouvement à sa droite le fit sursauter, et il la vit : la Dame Grise. Aussi belle qu’on le racontait. Elle l’observait de ses yeux tristes, et s’approcha doucement de lui, sa robe vaporeuse virevoltant derrière elle. Là, levant doucement la main, elle caressa du bout des doigts la joue du garçon qui frissonna. Le contact était froid… Froid, mais pas glacé. Elle le touchait, ne le transperçait pas. Harry écarquilla les yeux, et avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, le fantôme s’éclipsa après avoir jeté un regard en arrière.
« C’est une nuit spéciale, Harry Potter. Ceux qui furent marchent dans nos pas, ce soir… »
Luna apparue d’une alcôve, comme la Dame Grise semblait l’avoir fait elle-même. La jeune fille ne portait ni radis, ni bouchons de bouteille, mais une grande robe blanche drapée comme aux temps des druides, et ses cheveux blonds ondulés étaient coiffés d’une couronne de guis garnie de perles et de gypsophile. Elle avançait vers lui, pieds nus, tenant dans sa main une couronne de cyprès, piquée de seringas. Harry resta muet, comprenant le caractère sacré de ce que la jeune fille lui tendait. Il dégluti, et mis un genou à terre, courbant la nuque, la laissant à son office. Son amie déposa délicatement la couronne sur sa tête, et lui embrassa les deux joues doucement. Elle murmura le prénom de sa mère sur la joue droite, puis le prénom de son père sur la joue gauche. Le garçon ferma les yeux d’émotion, de grosses larmes traçant un sillon sous ses baisers. Debout devant lui, légèrement penchée dans sa direction, Luna posa ensuite un dernier baiser sur son front, plus appuyé. Le brun agenouillé passa ses bras autour de ses jambes pour l’étreindre, et pleura en la remerciant.
La Dame Grise observa avec une certaine mélancolie les deux jeunes gens prostrés dans la lumière surnaturelle de la lune, tandis qu’ils commémoraient en silence les morts.
***
Traversant la forêt à grandes enjambées, les fougères s’écartant sur son passage dans un bruissement respectueux, Severus respirait aussi lentement que possible, son pouls s’accélérant à mesure qu’il avançait. Sa baguette était rangée dans la manche du lourd manteau noir qu’il portait pour se protéger de l’humidité de cette fin d’octobre. Il savait qu’il ne risquait rien ce soir, les créatures qui peuplaient la forêt savait parfaitement pourquoi il était là. Et pour celles n’ayant pas la notion du calendrier, elles pressentaient la mission de l’homme.
Car voilà quinze ans que Severus s’enfonce à la même date dans les profondeurs de la forêt magique de Poudlard. Ce soir il était donc en sécurité, et l’homme continuait sans se laisser distraire par ses sentiments. Bientôt, il arriva à un petit ruisseau qui forçait les arbres à s’effacer sous le ciel, et il vit la grosse lune. L’espion s’arrêta un instant pour la contempler, écrasé par l’aura qu’elle dégageait. Il frissonna, cette nuit était spéciale… Severus étendit les mains, paumes vers le sol, et s’éleva légèrement, traversant sans encombre le bras d’eau. Puis il reprit sa marche, ralentissant imperceptiblement, ignorant même qu’il redoutait d’arriver à son but. Le cœur battant de plus en plus la chamade, il tourna à la pierre plate et douce qu’il connaissait si bien, bifurqua à l’arbre-mère penché sur ses petits, comme Elle aimait dire, et s’arrêta à une petite clairière baignée de la lumière orangée de la lune. Là, sculptée avec délicatesse, Elle l’attendait. Le pan de sa robe était chatouillé par un parterre de lys blancs, dont les pétales immaculés luisaient comme des feuilles d’or sous cette lumière si particulière.
Severus retint son souffle, le cœur transpercé d’une vive douleur, comme à chaque fois. Mais une main étreignit ses tripes le faisant frissonner et, pour la première fois, il hésita. La statue l’observait avec douceur, son visage lisse souriant tendrement, ses deux bras tendus dans sa direction comme une Madone accueillante. L’homme cligna des yeux, s’autorisant une larme à tomber librement au sol. Il haletait, comme s’il venait de courir, et avait beaucoup de mal à soutenir le regard de la statue. Il ferma les yeux, se remémorant comme à chaque fois le rire de Lily lorsqu’ils avaient découvert cet endroit. Sa joie quand ils avaient pu y planter cette variété si rare de Lys… La danse qu’elle avait offert au ciel lorsqu’il avait fleuri pour la première fois à la pleine lune. Ce lys mortuaire unique, utilisable aussi bien dans les plus grands remèdes, que dans les poisons les plus dangereux… Quelle ironie, remarqua pour la première fois l’enseignant.
Il s’agenouilla à un mètre de la statue, comme il avait coutume de faire. Il l’ignorait, mais chaque année de nombreuses créatures venaient l’observer avec curiosité et respect, laissant le Sorcier à son rituel. Aucune d’elles n’émettait le moindre son, seuls les sanglots – la plupart du temps – dérangeaient cet endroit paisible le reste de l’année. Car Severus ne parvenait pas à y aller plus souvent. Pas plus qu’il n’arrivait à aller sur la tombe même de Lily. Jalousement, tel un enfant capricieux, il avait invoqué son mausolée, comme pour signifier que cette femme lui appartenait, à lui seul. Et pourtant, il ne touchait jamais la sculpture, se considérant impur à cela. Alors, comme chaque année, Severus tira de sa poche sa baguette, et prononça la formule. Ce sort que seul Albus savait qu’il pouvait exécuter. Le sortilège du Patronus. La biche s’échappait traditionnellement de sa baguette pour aller couper et coincer une tige de Lys dans sa gueule, avant déposer la fleur sur l’une des paumes de la statue…
Mais tandis qu’il lançait le sortilège, Severus grimaça de douleur. Sa marque le brûla intensément. Qu’elle le fasse ce soir-là lui tira un juron puissant, et des larmes de colère brouillèrent sa vue. Quand son regard se fixa, à nouveau, il fut surpris de voir qu’il avait tout de même pu créer un patronus corporel. Mais avant de transplaner pour répondre à l’ordre, il écarquilla les yeux : c’était une chouette nacrée qui venait d’honorer son amour perdu.
***
« Oh, ma chère ! Vous avez pu venir, et quelle ravissante toilette ! Incroyable que je ne voie personne à votre bras pour admirer…
— Merci, Horace. Mais il y a assez d’invités ici pour apprécier cette tenue, cela me suffira amplement. » Répondit Jane en souriant, les yeux pourtant fixes.
Minerva lui fit un clin d’œil discret en hochant la tête, tentant d’emmener la jeune femme loin du nouveau Professeur de Potions, mais le Serpentard fut beaucoup plus rapide, car il s’empara du bras de la Moldue pour l’accrocher au sien, et enserrant sa petite main dans la sienne potelée et chaude, il lui fit faire le tour du grand salon.
« Je dois impérativement vous présenter les bonnes personnes, ma jeune amie ! »
L’enseignante jeta un regard paniqué à son aînée, lui demandant silencieusement de l’aide que Minerva ne pouvait lui apporter. Cette dernière l’abandonna à son sort lorsqu’elle croisa la Capitaine de l’équipe de Quidditch d’Ireland, qu’elle adorait. La pièce était circulaire et grande, bruyante et colorée. De grosses tentures vertes et dorées, luisantes de leurs fils précieux, partaient du plafond pour tomber lourdement sur les côtés, fermant comme un écrin cette petite soirée privée. Une odeur d’encens flottait dans l’air, mélangée à des vapeurs d’alcool raffiné et de cire brûlante qui s’écoulait des chandeliers et des nombreuses citrouilles découpées qui flottaient un peu partout. Slughorn les firent papillonner de groupe en groupe, lui donnant l’air d’un bourdon qui tenait à s’assurer que son jardin restait bien entretenu. Il y avait de nombreuses têtes que la Moldue ne connaissait pas, des têtes pour certaines très inquiétantes, comme un homme à l’air austère et aux pommettes saillantes. Un instant, Jane se dit qu’il avait l’air plus malade et dangereux que Severus, mais le regard que l’inconnu lui jeta la glaça plus que ne l’avait jamais fait son ami. C’était des yeux totalement noirs qui la fixaient avec intensité, et malgré une jeunesse faite de boîtes et de night clubs à repousser les entreprenants un peu trop frotteurs, jamais Jane n’avait eu autant l’être d’être un morceau de viande. Littéralement. Le sorcier à son bras sembla se rendre compte de son trouble car il lui expliqua :
« Il s’agit du… Fils, de mon ami Sanguini, Sebastian. Il est fascinant, mais ne vous approchez pas trop de lui, surtout vu comment il vous dévore des yeux. »
Horace rit grassement à sa petite blague, et Jane pâlit en ayant la désagréable impression que l’homme les avait entendus. Ce dernier lui sourit lentement en dévoilant de grandes canines qui la firent frissonner. Elle dégluti péniblement, et se mordit la langue pour s’empêcher de poser la question fatidique à laquelle le Serpentard répondit instinctivement :
« Vous n’aviez jamais vu de vampire avant cela, ma chère ?
— … Non. Ça n’est pas dans mes habitudes de fréquentation…
— Sanguini est un ami de longue date. Je ne connais pas bien encore son fils, mais c’était l’occasion. Je sais qu’ils se sont rencontrés il y peu de temps en Italie lors d’un pèlerinage de Sanguini, ou je ne sais plus trop quoi. Quoi qu’il en soit, évitez de lui poser ce genre de questions. Il est peut-être très discipliné, mais cela reste un jeune vampire et… Eh bien une jolie femme portant du rouge, qui plus est…
— Parce que les vampires réagissent comme les taureaux, maintenant ? ne pût-elle stupidement s’en empêcher.
— Jane…, soupira avec une condescendance hallucinante Horace, la Défense Contre les Forces du Mal n’était pas votre matière favorite, n’est-ce pas… ?
— Non, mais…
— Mais la tauromachie oui, apparemment ! » rit une voix que Jane ne s’attendait pas à trouver ici.
Quelques murmures s’élevèrent devant le nouvel arrivant, et la Moldue cligna des yeux, avant de sourire avec sympathie, soulagée qu’il lui ait évité de dire quelque chose de cinglant à propos de l’idée d’inviter des créatures traitées en cours de DCFM à une soirée avec des enfants… Jane entendit une jeune fille glousser à côté d’elle, et se retourna, la poussant à rougir. Quand elle revint à l’arrivant, il s’était déjà assez approché d’elle pour lui faire une courbette et l’extirper des griffes de Slughorn.
« Vous permettez, Professeur… ?
— Voyons Sir… Enfin, Lord Black, appelez-moi Horace, tout de même ! Vous n’êtes plus mon étudiant, et je suis tout à fait ravi que vous ayez répondu favorablement à mon invitation. Votre filleul sera heureux de vous voir, je pense, mais s’il n’est pas encore arrivé… Jane, ma chère, vous savez si le garçon viendra ?
— Heu… Ben, non… C’est plutôt une question que vous devriez poser à Minerva, c’est sa Directrice de maison, après tout…
— Ah ! Oui ! Très bonne idée, excusez-moi… Minervaaâ ? »
Jane soupira de contentement en voyant le gros bonhomme s’éloigner enfin d’elle. Elle allait poser mille questions au Maraudeur, mais celui-ci l’entraîna délicatement – mais fermement, par le bras en direction du bar. Elle arqua un sourcil, quand elle remarqua que le vampire jetait un regard venimeux à l’Animagus. Arrivés devant les fontaines de vin, Sirius se détendit, et lui sourit franchement :
« Excusez-moi, c’est… Très cavalier, pour ne pas dire possessif, mais si vous pouviez éviter de vous faire saigner avant minuit, je crois que ça serait une bonne idée.
— Pourquoi, je n’ai rien… »
Sirius secoua la tête, pour l’intimer au silence, et tandis qu’il se penchait pour leur attraper deux verres de vin cuit, il lui glissa dans l’oreille discrètement :
« Il sent que vous n’êtes pas des nôtres. Vous êtes une proie, ici. »
Jane dégluti péniblement, et grimaça.
« Okay… ! Je… Eh bien, parlons plutôt de vous, d’accord ? Que nous vaut votre présence ?
— Slugh m’a invité, répondit l’homme à la barbe faussement naissante, en usant du surnom de son ancien professeur. Et j’savais qu’Harry serait forcément présent… Ce vieux Serpentard ne peut pas s’empêcher de collectionner les gens. C’était l’occasion de voir Harry… Et de passer une soirée en charmante compagnie.
— Heu… Merci. Mais Sirius, vous savez que je ne suis pas… ? »
L’homme pencha légèrement la tête sur le côté, puis éclata de rire. Jane fronça les sourcils, quelque part, il était vexant. Sirius lui pris délicatement la main et déposa une ombre de baiser avant de lui dire :
« Je faisais plutôt allusion à Morgane Doyle, la Capitaine de l’équipe de…
— Ouais, ouais, je sais, d’Ireland. Minerva aussi m’a fait faux bond pour elle, maugréa l’enseignante en se sentant stupide.
— Allons, Jane ! Depuis quand vous vous languissez de moi ? J’ai plutôt souvenir d’une femme très réfractaire à la cour lourdingue d’un ancien détenu.
— C’est un euphémisme, Sirius. Mais je suis contente de savoir que le message est passé.
— Bien plus que vous ne le croyez, à la vérité. »
Jane allait porter son verre à ses lèvres lorsqu’il lui dit cela, mais elle s’arrêta en le regardant bizarrement.
« Qu’est-ce que vous voulez dire… ?
— Que vous préférez les vrais meurtriers… » Lui répliqua gravement Sirius.
***
Quand il arriva aux grilles du manoir Jedusor, Severus chancela, et agrippa de ses longs doigts les entrelacs qui formaient le portail. Bien qu’il fixât son regard sur la bâtisse menaçante, il ne voyait que les grandes ailes déployées de la chouette fouetter l’air, et voleter jusqu’à la statue de Lily. NON ! Il grimaça, brutalisant son esprit, le pliant, le tordant sans ménagement pour qu’il adopte la moulure qu’il devait avoir à cet instant. Severus frissonna, sentant la morsure du froid s’emparer de son âme, les ténèbres s’y déverser comme s’il s’agissait de combler un vide de toute urgence. La magie s’excita autour de lui, la nuit était propice à ce genre d’exercices, et lentement, l’homme se redressa, un enivrant sentiment de puissance répandu dans tout son être. D’un geste simple de la baguette, il plaça le masque de Mangemort sur son visage, et entra d’un pas assuré dans le jardin en friche.
À mesure qu’il avançait, il sentait la puissance de la lune vibrer dans sa magie, c’était plus violent encore que l’instant… Il accéléra le pas, s’interdisant de continuer dans cette pensée, et entra sans s’annoncer. Montant rapidement les escaliers du manoir qui menaient à la grande salle à manger, il fit preuve d’un self-control exceptionnel en passant le chambranle. S’attendant à trouver Voldemort sur son trône, l’espion cligna des yeux de surprise derrière son masque alors que Bellatrix, à visage découvert, accueillait les Mangemorts qui accouraient pour répondre à l’appel. La diablesse n’occupait pas la place du Maître, mais avait tout de même la poitrine gonflée de l’orgueil de celui présidant la cérémonie et se tenait droite comme un « i », les gratifiant de son plus mauvais sourire. Comme de coutume, Severus s’installa à la droite d’un Mangemort aux cheveux blonds qui arborait le masque le plus délicat d’entre tous. Lucius inclina poliment la tête, avant de tourner son persona en direction de sa belle-sœur. Étrangement, il arriva à y mettre toute l’arrogance aristocratique qui le caractérisait dans ce geste. Bellatrix ne parla pas, se contentant d’attendre que tous arrivent, et quand le pas gauche de MacNair termina la procession, elle inspira longuement de satisfaction.
« C’est bien, c’est bien… Vous êtes encore obéissants, gargouilla-t-elle en longeant la table en les fixant.
— Où est le Maître ? Qu’est-ce que c’est que ça ? » Demanda sans réfléchir Nott.
Lestrange ouvrit la bouche en grimaçant, avant de laisser sa langue frapper ses canines, comme pour s’empêcher de lancer un sort. Elle se courba étrangement, et tenta de sourire par-derrière sa crinière indomptable. Quand elle susurra avec toute la douceur dont elle était capable, l’assemblée fut parcourue d’un frisson d’effroi :
« Ce soir, le Maître vous a confié à mes soins. Parmi vous, je choisirai les plus dignes de le servir, les seuls utiles pour l’entreprise que nous allons mener… Vous savez combien cette nuit est importante, n’est-ce pas… ? »
Severus ne broncha pas, puisant dans les ténèbres pour ne penser à rien d’autre que ces dernières. Il senti Lucius légèrement bouger, mais autour d’eux, la salle était partagée entre excitation morbide et incompréhension crasse. Ils n’étaient pourtant plus très nombreux, tous avaient connu la première guerre, et tous devait probablement se souvenir de ce qu’ils faisaient ce soir-là… L’espion fixa le drap noir qui recouvrait le trône de Voldemort, se passionnant pour ses nuances sombres et sa texture.
« Alors… ? répéta Bellatrix en avançant lentement près d’eux, le talon de ses bottines claquant au sol comme le bruit d’un os frappé sur la pierre. Quelqu’un peut nous rappeler ce que nous faisions à cette occasion… ? Alecto ? »
Bellatrix s’adressait à la seule autre femme de l’assemblée, la sœur d’Amycus Carrow, une brune trapue au regard mesquin et inquisiteur. Cette dernière retira son masque et se fendit d’un sourire rêveur, avant de répondre lentement, comme goûtant chacun de ses souvenirs :
« Notre Sabbat, souffla-t-elle. Le Sabbat de Samhain…
— C’est exact, et comment nous le fêtions, lorsque nous n’étions pas cloîtrés comme des rats dans un donjon, hum… ?
— Nous nous rappelions ce qui fait notre force, d’où coule notre puissance, et purifions les impies de leurs croyances et rites déviants. » Répondit une fois encore Alecto, ravie, remettant son masque.
Le gant de Lucius craqua imperceptiblement, sous la pression exercée par sa main s’agrippant à l’accoudoir. Seul son ami le remarqua, et en compris que le nouvellement nommé Ministre de la Justice ne goûtait absolument pas la thématique de la soirée. Cela ramena légèrement Severus dans le giron de son propre esprit, mais il se projeta rapidement à nouveau dans ses ténèbres. Si son instinct ne le trompait pas – et il ne le trompait jamais – l’heure n’était pas à la faiblesse d’âme. Il déglutit néanmoins péniblement, les cheveux de sa nuque se dressant doucement.
« C’est exact, Alecto… Et pourquoi nous ne célébrons plus ce moment… ? Pourquoi n’avons-nous pu, depuis quinze ans nous baigner dans cette eau de puissance ? »
Bellatrix tournait autour d’eux comme s’ils étaient des proies sur lesquelles elle allait fondre. Quelques-uns ricanaient d’anticipation, d’autres baissèrent la tête de honte. Les deux Carrow s’observèrent dans un instant de connivence, comme capables de savoir instinctivement ce que l’autre pensait de tout ceci. Grimés derrière leur pièce de métal, ils étaient comme deux statues sublimes par leur laideur, deux démons se promettant mutuellement un plaisir rare dans la vilénie. La magie dans la pièce crépitait de plus en plus, comme si elle sentait les excitations. Les ténèbres s’avançaient doucement sur eux pour enlacer leurs corps, se tenant prêtes à répondre au moindre mouvement de baguette. Il était presque difficile de résister à leur attrait, et Severus n’avait plus besoin de se concentrer pour les retrouver, elles emplissaient son âme, et il s’en sentit reconnaissant quand la Mangemort s’arrêta face à lui en lui souriant méchamment :
« Pourquoi nous ne célébrons plus le Sabbat de la Saimhain, Severus… ? Que s’est-t-il passé il y a 15 ans ? »
***
« Mec, t’étais où sans déconner ? »
Ron avait momentanément délaissé Hermione pour se rapprocher d’Harry et de Luna qui venaient d’arriver à la soirée. Luna marchait toujours pieds nus, et avait la main posée sur celle de Harry, qui la tenait haute, comme si elle était une reine. Pour sa part, l’Elu ne portait pas la couronne déposée par son amie, mais avait un Lys et un Laurier entrelacé sur sa poitrine. Le brun cligna des yeux comme s’éveillant d’un rêve, et sourit à son meilleur ami. Mais avant qu’il ne puisse répondre, une voix traînante lui coupa la parole :
« Tu peux te draper dans les étoffes les plus riches, Weasley, tu resteras aussi pauvre en jugeote. À ton avis ? »
Draco Malefoy avait dit cela sans accorder le moindre regard au roux, se contentant de fixer de son regard gris acier l’Attrapeur. Tenant un verre de vin dans une main, s’appuyant sur une cane d’ivoire de l’autre, son apparition coupa le souffle à l’ensemble des invités. Le Serpentard arborait un costume droit d’un blanc presque argenté, un costume à la coupe étonnamment moldue, brocardé d’argent en partie sculpté directement sur le tissu, et agrémenté d’une chaîne de montre à gousset en or clair. Harry et lui se faisaient faces, comme des opposés naturels. Harry en noir dans une cape éminemment sorcière, et Draco tout de blanc, plus moderne que jamais.
« Qu’est-ce que tu fais ici, Malefoy ? cracha Ron en s’empourprant.
— Je suis invité. Je ne suis le cavalier de personne, répliqua le blond avec un sourire carnassier. Bien qu’il puisse y avoir de belles façons d’accompagner quelqu’un. »
À la grande surprise des comparses, Draco s’inclina se disant devant Luna, pliant trois doigts sur sa poitrine en l’observant avec respect. Harry cligna des yeux, perdu.
« Je vois que Lord Black ne t’a pas tout à fait mis au courant de nos traditions, Potter… Je rends hommage à la fonction qu’a choisi d’occuper Miss Lovegood, ce soir. Quant à Weasley, je suppose qu’il a dû revendre ses livres d’Histoire pour se faire un peu d’argent, car c’est navrant de découvrir qu’il ait pu oublier l’importance de ce jour pour toi… »
Draco avait grimacé légèrement en disant cela, offrant à Ron un premier regard si dégoûté que le cadet de la famille avança d’un pas menaçant. Harry esquissa un geste pour l’arrêter, fixant avec froideur Malefoy. Mais ce fut une voix qu’il connaissait bien qui les interrompit :
« Monsieur Malefoy, je m’attendais à devoir vous croiser, ce soir. »
Sirius s’approchait d’eux de sa démarche élaborée d’héritier de la Maison Black, et s’inclina à peine en direction du garçon. Ce dernier, en revanche, se courba profondément, et Harry finit par comprendre le manège :
« Lord Black, je me réjouis d’avoir la primauté de la rencontre de nos deux familles. C’est un plaisir de voir que la maison des Black n’est pas restée enfermée à Azkaban.
— Certaines branches vont pourtant y retourner, jeune Malefoy, répliqua Sirius en faisant une référence directe à sa cousine en plissant des yeux.
— Quand la branche d’un arbre est pourrie, Mon Seigneur, on la coupe. C’était ce qu’avait coutume de dire mon grand-père…
— Et le mien aimait à dire que la pomme ne tombait jamais loin du pommier. Force est de constater qu’il avait raison. »
Cela fit sourire presque franchement Draco qui semblait apprécier que Sirius ne soit pas dupe malgré les amabilités.
« Mon père réitère son invitation, Lord Black.
— Et je lui oppose une nouvelle fois mon refus.
— Je lui transmettrai, et permettez-moi au nom de la famille Malefoy de vous présenter nos condoléances à vous, ainsi qu’à vous, Monsieur Potter. »
Le sourire forcé de Sirius se tordit légèrement, mais l’Animagus resta de marbre face à la référence. Harry lui, sentit l’air vibrer d’un puissant courant magique qui les traversait tous. Il regarda Draco droit dans les yeux, et lui répondit avec une rare brutalité :
« Un an auparavant, je t’aurais présenté les miennes, pour vos pertes. »
Harry sentit la main de Luna presser délicatement ses phalanges, comme pour l’intimer au calme. Draco arqua un sourcil, puis lui sourit comme seul un Serpentard savait le faire :
« Laisse la Politique à ton Parrain, Potter, je crains que tu ne saches pas quand te taire…
— Intéressant conseil, Monsieur Malefoy. »
Sirius cligna des yeux et se retourna pour secouer discrètement la tête, tentant d’empêcher Jane de commettre une grave erreur. Mais la Moldue s’approcha lentement, ses hanches se balançant avec grâce sous sa robe. Quand elle arriva à la hauteur du petit groupe, elle poursuivit :
« Je gage que vous saurez l’appliquer à l’avenir dans mon cours.
— Nous parlions Politique, Professeur, pas de prises ou de voiture, je le crains. Ne prétendez pas malmener un autre domaine que vous ne connaissez pas. »
La tension était palpable. Juchée sur ses talons hauts, Jane faisait pratiquement la même taille que Sirius et, de fait, dépassait d’une bonne tête Draco. Cela donna à sa réponse un maternalisme qui fit mouche auprès du blond :
« Je suis ravie de constater que vous ne prêtez pas le flan aux allégations diffamantes de votre père concernant la visée politique et propagandiste de mon cours, Draco. »
Le blond trempa ses lèvres dans son verre, comme pour dissimuler un sourire de satisfaction. Harry se demanda l’espace d’un instant s’il n’appréciait tout simplement pas la joute verbale pour ce qu’elle était. Il inclina la tête après un moment de silence :
« Je concède que vous avez autant de goût en matière de tenue, que de sens de la répartie. Mon propos était déplacé, veuillez accepter mes excuses si je vous ai offensée, Professeur.
— Pour l’heure, c’est la ligne politique du Ministre de la Justice que vous avez offensée, Draco. Il est heureux que vous ne soyez pas son attaché de Presse. »
Mais avant que le blond ne puisse répondre, un rire tonitruant les firent brutalement retomber dans la réalité. Soudain, la musique leur revint aux oreilles, et l’air semblait beaucoup plus respirable :
« Aaaah ! Voilà donc de magnifiques jeunes gens ! Mais si, Lord Black et Miss Smith, vous restez jeunes à mes yeux. Vous êtes somptueux tous, et je suis ravi de voir que la bienséance préside à cette soirée. Je n’aime pas les petites querelles et les empoignades vulgaires ! les prévint-il très clairement. Monsieur Potter, vous voici donc, j’avais peur que vous changiez d’avis…
— Nullement, Professeur, mais je tenais à honorer mes morts avant cela.
— Oh ! Oh… Oui, tout à fait. Tout à fait, le lys à votre boutonnière, oui… »
Le gros bonhomme perdit un peu de sa joie et pendant un bref instant on put voir une sourde tristesse passer derrière ses yeux. Mais il se ressaisit et sourit à la troupe :
« Mais c’est aussi une soirée de victoire, hein, Monsieur Potter ? Il faut célébrer l’espoir… Oui, il faut célébrer ça… »
Il s’éloigna très vite, comme fuyant la teneur de la discussion, et l’Attrapeur sentit la main de Luna se presser à nouveau doucement contre la sienne. Il se tourna vers elle, et elle hocha la tête comme s’il pouvait tout à fait comprendre où elle voulait en venir.
« C’est intéressant de voir comment tout le monde cherche à oublier cette soirée, en fin de compte… »
Draco avait presque murmuré cela, pensif, fixant lui aussi Slughorn et mettant mal à l’aise l’auditoire par la neutralité de son propos. Il y avait quelque chose de lourd, quelque chose de trop lourd qui flottait dans l’air. Puis, le Serpentard accrocha son regard à son vieil ennemi et lui susurra :
« … Sauf toi, Potter. Tu auras toujours peur de cette nuit. »
***
« Alors… ? Parle sans crainte, Severus. Raconte-nous cette nuit. »
L’homme en noir se noya dans son passé, étouffant le moindre frémissement, le moindre souvenir précis contenant une once de sentiment. Il ne devait y avoir que la mort, seulement la mort. Bellatrix savait, comme beaucoup ici, que Lily Evans et lui avait été amis… Lorsqu’il avait traité Lily de Sang-de-Bourbe, de futurs Mangemorts étaient présents, et n’avaient pas manqué de colporter cette vieille histoire… Malgré l’insistance qu’avait eu Snape à les faire taire chaque fois qu’ils évoquaient cela en sa présence. Que Bellatrix lui demande à lui, lui fit comprendre la dangerosité de sa situation. Alors, il raconta.
« Il y a quinze ans, commença-t-il d’une voix égale. Notre Maître nous a ordonné de pratiquer le grand Sabbat de la Samhain, comme de coutume. Nous nous devions d’entrer en communion parfaite, car le Maître avait des choses à accomplir. Des choses importantes. La prophétie, dont je lui ai rapporté l’essence, mentionnait une menace et notre Maître a attendu patiemment cette soirée-là pour la tuer dans l’œuf…
— Continue, Severus. Fais-toi le conteur de cette tragique et historique nuit.
— … Il s’est donc rendu au domicile des Potter, après le début du cérémonial. Après avoir échangé avec toi la première coupe, Bellatrix.
— Je me souviens parfaitement de cela, la lune était aussi puissance qu’aujourd’hui.
— Il a tué les Potter, mais… Lorsqu’il tenta de tuer leur enfant, il fut vaincu.
— Comment ? Raconte comment Severus !
— Le sacrifice de Lily Potter a protégé son fils. Et le sortilège de mort a ricoché sur notre Maître.
— Mais il n’est pas mort ! s’enorgueillit la brune en criant presque. Non, celui qui a vaincu la mort ne peut être tué ! Mais cela n’a pas empêché les faibles et les traitres de croire que c’était terminé, hein, Severus ? Que s’est-il passé après ?
— De nombreux Mangemorts ont été arrêtés, d’autres tués, d’autres encore ont… eu l’intelligence de faire croire à leur rédemption, ne put s’empêcher de se moquer Severus, ce qui déclencha un crachat chez sa vis-à-vis.
— EPARGNE-MOI TON VENIN, SNAPE ! Tu sais ce que j’en pense…
— Et tu sais ce qu’en pense le Maître, répliqua, glacial l’espion. »
Malgré le masque de l’homme en noir, ils se jaugèrent avec animosité. Le craquement de l’air leur rappela qu’il leur était interdit de perdre pied ce soir. Qu’ils ne pouvaient retourner la baguette contre l’autre. Bellatrix dégagea sa mèche folle derrière son oreille, et demanda encore :
« Et les autres Sorciers, Severus… Comment ceux qui gangrènent notre société se sont comportés ?
— Ils ont fêté la fin présumée du Seigneur des Ténèbres, se félicitant d’un événement auquel la plupart n’a eu le courage d’y participer. »
Lucius tourna son noble masque vers lui, comme pour sonder son ami par-delà l’argent. Ce n’était guère malin, mais Severus avait en effet beaucoup de mal à réprimer son mépris pour ceux s’étant contenté de boire jusqu’à la lie alors qu’ils…
« Exactement, Severus, l’interrompit Bellatrix. Exactement. Ces misérables ont fêté ce qu’ils ont cru être la victoire. Et depuis ? Depuis, cette date est une commémoration de la chute de notre Maître ! Mais pas cette année, oh… Oh, oh, oh… Non. »
Elle tira d’un pan de sa robe une coupure de Presse, la une de La Gazette du Sorcier, pour être exact, et la jeta en direction de l’homme en noir. Le parchemin virevolta paresseusement, comme épuisé de cette mise en scène.
« Que lis-tu dessus ? demanda la brune.
— Assez, Bella ! interrompit Lucius en s’emparant de la coupure. Viens-en au fait. Je n’ai pas ma soirée, si vous voulez tout savoir et mes fonctions m’obligent à retourner auprès de mes invités…
— Tes obligations sont ici, Lucius ! Je me fous de tes petites magouilles de politicien. Lis cette page, obéis !
— Lis-la toi-même, Bellatrix. Je ne suis pas ton elfe, et je n’ai d’ordre à recevoir que de notre Maître. Peu importe l’autorité dont il t’a investie ce soir, cela ne va pas jusqu’à ce point, je peux te l’assurer.
— Soit, mais réponds à une question avant cela : est-ce de ton fait cette décision, ou bien notre Premier Ministre nous craint ? »
Severus inspira doucement, commençant à comprendre de quoi il était question, tout en pressentant que ce n’était le cas que d’une poignée d’entre eux… L’espion ricana quand Goyle se fendit d’une bredouille pathétique :
« Heu… Bellatrix, moi j’peux la lire, tu sais…
— Ferme-la Goyle, lui répliqua la femme sans même lui accorder un regard. J’ai autre chose à faire que de te voir buter à chaque mot en suivant du doigt les lettres ! Très bien, je vais m’expliquer : il n’y a pas de discours du Premier Ministre cette année ! Pas de commémoration, pas de petite gerbe de fleurs déposée sur la tombe de Lily et James Potter… Pas de petite photo de leur maison éclatée dans la Gazette, avec l’encadré italique inévitable « L’horreur figée à jamais »… Il n’y a pas tout ça… Pourquoi Lucius ?
— Parce que le Premier Ministre souhaite éviter toute provocation inutile, du fait du retour du Maître. Il a en mémoire nos rituels passés, et craint qu’une publication raviverait à notre bon souvenir nos petites habitudes…
— EXACTEMENT ! L’Auror s’attend à ce que nous nous manifestions, et ne pas le faire serait avouer notre faiblesse. C’est cette mission que m’a confié notre Maître : frapper très fort les mémoires, les aider à se souvenir précisément de cette date. À notre façon…
— Peu importe ce que tu désires, Bella, tu sais que je ne peux…
— Oh, je sais Lucius. Je sais que tu dois regarder Scrimgeour et d’autres piques assiettes s’engraisser à tes frais en te remerciant pour ton patriotisme. Je ne te demande rien. Au contraire, parade comme tu sais si bien le faire, tu es très bien dans ce rôle, je m’occupe de servir le Maître. Moi… Ainsi que les meilleurs, bien entendus. »
Lucius encaissant la série d’insultes sans broncher, mais Snape lui, contracta instinctivement les entrailles en jetant un regard circulaire à la table. Les meilleurs n’étaient pas nombreux, et tous ne jouissaient pas des mêmes obligations que Malefoy pour éviter les projets de Bellatrix.
« Alecto, Amycus, vous serez bien entendus présents… Toi aussi Antonin… Nott, si tu le désires, Yaxley, tu sais que je compte sur toi, également… »
La Mangemort passait les troupes en revue, ignorant Crabbe et Goyle qui se tortillaient sur leur chaise. Elle marchait lentement, feignant de découvrir son plan au fur-et-à-mesure. Elle passa devant Severus sans le voir, continuant doucement sa route pour reprendre place à sa chaise. Se pencha pour s’assoir, puis s’arrêta soudain, les deux mains posées à plat sur la table. Elle émit un petit rire, puis releva doucement la tête en direction de l’espion, et là, au travers de sa crinière emmêlée, l’observant de ses yeux incroyablement sauvages, Bellatrix ajouta en souriant méchamment :
« Et puis toi aussi, Severus Snape, tu es même indispensable… »