Le mois d’octobre arriva bien trop lentement aux yeux des habitants de Poudlard. A mesure que les jours raccourcissaient, le ciel s’assombrissait, comme faisant écho à la morosité qui gagnait peu à peu le château. Il ne fallut guère de temps à Dolorès Ombrage pour briser les dernières poches de résistance. Un mois seulement après le début de l’année scolaire, la Sous-Secrétaire et Grande Inquisitrice faisait figure d’autorité suprême, et semblait jusqu’à terroriser les professeurs. Aucun, pas même la flamboyante et très Gryffondor Minerva McGonagall, n’osait lui tenir tête.

La classe de Défense contre les Forces du Mal devint un cours plus soporifique et abrutissant que celui d’Histoire de la Magie. Les élèves les moins assidus reconnaissaient eux-mêmes l’inefficacité de l’enseignement dispensé, et les cinquièmes et septièmes années, devant faire face à d’importants examens, s’inquiétaient de plus en plus. Chaque heure, quelque que soit l’année d’enseignement ou les maisons concernées, se déroulait de façon identique : les étudiants entraient dans la salle, ne sortaient qu’une pile de parchemins, leur plume, et leur manuel, le tout, pour recopier un nombre incalculable de fois un passage en particulier. Cette mécanique infantile avait eu rapidement raison des jeunes gens qui se bornaient désormais à errer de salle en salle comme des pantins, attendant patiemment que le Ministère leur délivre le sacro-saint diplôme de fin d’année.

Affiché ostensiblement sur l’immense mur ouvrant sur la Grande Salle, le Décret ayant promu Ombrage à son titre d’Inquisitrice, narguait les habitants du château derrière une vitre ensorcelée. Quelques jours seulement après le renvoi de Smith, un autre encadré vint à rejoindre le premier. Cette nouvelle ordonnance interdisait aux élèves et aux professeurs une quelconque tenue jugée inadéquate. Si les garçons avaient quelque peu maugréé devant l’obligation de nouer leur cravate avec un nœud Windsor, les filles, et en particuliers celles d’origine moldue, s’étaient époumonées sur la nouvelle tenue réglementaire : la jupe. Bien qu’étant portée traditionnellement, les dix dernières années avaient vu un certain assouplissement, permettant aux demoiselles de choisir le pantalon. Les étudiantes les plus âgées tentèrent de résister face à cette distinction sexiste, mais rien n’y fit. Elles durent se plier à la jupe en-dessous du genou, et aux collants parfaitement lisses, sous peine d’être renvoyées.

Peu de temps après cette nouvelle mise en application, les élèves apprirent par l’entremise de la Gazette que des coupes de cheveux réglementaires seraient également mises en place. Une nouvelle fois, le Rédacteur Connor Oaken s’épancha dans une colonne à ce sujet, arguant que Poudlard devait être le garant de l’égalité des chances, et que l’égalité sous-entendait l’uniformité. Les parents ne purent protester, le Ministre de la Magie en personne certifia que l’intervention d’artisans capillaires serait entièrement à la charge de l’école.
Ainsi, les jeunes filles aux cheveux longs durent apprendre à nouer correctement leur chignon, celles aux cheveux courts durent porter des barrettes obligeant à dégager entièrement leur visage, quant aux garçons… La tour Gryffondor résonna longtemps des vives protestations de Lee Jordan devant un coiffeur déterminé à le débarrasser de ses longues tresses.

A mesure que l’emprise de Dolorès sur Poudlard croissait, les élèves se replièrent petit à petit sur eux-mêmes, osant de moins en moins faire autre chose que travailler en dehors de leur Salle Commune. Il ne fallut que peu de temps pour que la rumeur des activités libres de Jane Smith ne fasse le tour de l’établissement. D’une poignée d’élèves l’ayant prise en pitié, Jane passa à des classes entières, où les jeunes gens venaient à se réfugier pour lire, faire leurs devoirs ou bavarder. Tant qu’aucun décret ne venait à interdire ces rassemblements, tous prenaient un certain plaisir à se regrouper autour de l’adulte dissidente. Aucune des rencontres ne se déroulaient deux fois de la même façon, à l’exception de la décision collective du prochain lieu de rassemblement. La scribouillarde avait en effet instauré ce qu’elle nommait « Le Brainstorming anti-diktat », moment où chacun proposait un nouvel endroit pour la prochaine session, de façon à éviter au maximum l’étiquette de club et autres groupes organisés. Si l’on interrogeait un élève au sujet de ces rencontres, il répondait invariablement qu’il avait simplement croisé Smith au détour d’un couloir, et s’était engagé dans une conversation banale. Pour Harry Potter, qui devait arborer stoïquement des cheveux coupés horriblement courts, ces instants, couplés à ses retenues, devinrent des moments privilégiés de socialisation et de détente.

Malheureusement, le corps professoral ne bénéficiait d’aucun répit. Chacun s’était vu examiné rigoureusement, et l’on murmurait déjà que le Professeur Trelawney rejoindrait rapidement Smith dans son chômage technique. Les élèves furent grandement déçus de voir qu’aucun de leur enseignant n’osait faire acte de rébellion. Lors de la surveillance du cours de Métamorphose, le Professeur McGonagall se montra particulièrement froide, mais docile. Au grand dam de ses Gryffondors, et plus particulièrement d’Hermione visiblement déçue par l’attitude de son aînée. Seul Severus Snape, fidèle à lui-même, réussit le tour de force de voir ses élèves ligués avec lui, dans un cours où l’homme en noir su démontrer toute sa maîtrise du sarcasme. Le Survivant se surprit même à admirer momentanément l’espion, au point de rapporter les moindres détails de l’entrevue à Jane le soir même, contant les répliques acerbes du Potionniste d’une voix exaltée.

***

Mercredi 24 octobre, Salle Commune de Gryffondor, 22h,

« Ça la faisait réellement rire ? Demanda Ron avec un sourire aux lèvres.

— Aux larmes ! Précisa Harry avec plaisir. Elle m’a même dit qu’il n’y avait guère que Snape pour savoir comment insulter cette bonne femme avec panache. »

A cette heure-ci, la salle était pratiquement vide. La plupart des élèves retournaient chacun à leur dortoir, trop épuisés par leur quotidien redondant. Le trio d’or disposait donc à loisir de l’ensemble des sofas, et autres fauteuils moelleux auprès du feu. Hermione, confortablement installée dans l’un d’eux, un énorme coussin pourpre coincé entre ses jambes repliées et ses bras, secoua la tête d’un air grave.

« Ombrage n’a nullement semblé offensée, Harry. La seule à avoir osé s’opposer à cette harpie, c’est bien Miss Smith.

— Oh, arrête un peu avec elle, ‘Mione ! Râla Ronald en levant les yeux au ciel. Depuis l’inspection, tu es en complète admiration. Tu es même plus insupportable qu’à ta grande époque Gilderoy Lock hart.

— Combien de temps encore vas-tu me poursuivre avec cette histoire ?! J’avais douze ans, je te signale ! Et quand bien même, cela n’a strictement rien à voir, Miss Smith était compétente, elle. Elle ne nous ment pas, n’a pas usurpé son poste, ne tente pas de nous influencer, ne…

— A dire vrai, Hermione, Interrompit le Survivant en remontant ses lunettes sur son nez, Je pense qu’au contraire, Smith nous influence beaucoup et nous pousse dans une direction, tu sais…

— Elle nous pousse à réfléchir, Harry. Tu devrais le savoir depuis le temps que vous parlez tous les deux. Elle nous interroge et nous dit que nous avons le choix.

— Le choix de quoi, ‘Mione ? De nous retrouver mis au banc comme elle ? De devoir être obligés, comme tous, de nous taire ? Protesta le roux.

— De choisir la facilité ou la liberté, Ron !

— Quelle liberté ? Tu crois peut-être que je vais me risquer à lui dire en face ce que je pense d’elle alors que mon père travaille au Ministère et pourrait être renvoyé à cause de cela ? C’est ça que tu veux que je fasse ? Et je ne suis pas le seul dans ce cas-là !

— Il n’a pas tort, Hermione, Ron peut difficilement prendre ce risque, même si je comprends que…

— Tais-toi Harry ! Il y a encore deux semaines, tu hurlais à tout le monde qu’il fallait se rebeller. Quant à toi, Ronald, tu fais un piètre Gryffondor si tu courbes aussi facilement l’échine.

— Mais il ne s’agit pas de se rendre, Hermione ! S’emporta le dernier des Weasley. Il s’agit de protéger mon père des conséquences de mes actes ! Ce n’est pas comme ta Sale, où l’on ne risque rien. Je te parle de faire perdre à ma famille sa maigre et unique source de revenus ! Mais ça, tu ne peux pas le comprendre, tes parents sont dentistes !

— Comment oses-tu… Siffla la lionne furibonde.

— Ça suffit tous les deux ! Ron, Hermione, arrêtez, il ne sert à rien de nous diviser. Vous avez tous les deux…

— TORT ?! Crièrent à l’unisson les deux jeunes gens en se tournant vers lui agacés.

— Raison. Précisa le garçon. »

Hermione qui s’était levée pour faire face à son ami, en laissa tomber son coussin, bouche grande ouverte, ne sachant pour une fois pas quoi répliquer. Ron, quant à lui, se repositionna en lançant un regard curieux à Harry. Le jeune homme leur jeta un pauvre sourire d’excuses et se racla la gorge, choisissant manifestement ses mots avec soin :

« Vous avez tous les deux parfaitement raison. Et… Non, ne m’interrompez pas ! Je sais ce que je disais il y a deux semaines, Hermione. Et je le pense toujours. Nous devons nous battre contre Ombrage, contre le Ministère aveugle, et contre Voldemort. Et tu as entièrement raison, nous devons faire quelque chose. Seulement… Comprends Ron, s’il te plaît. Il est évident qu’Ombrage cherchera par tous les moyens à faire payer les élèves et leur famille. La position de son père n’aide en rien. Tu sais tout cela. Alors… Oui, il faut agir, mais discrètement, pour une fois. Nous protéger. »

Il avait dit tout ceci sans oser les regarder. Honteux de leur faire la morale après avoir été si odieux envers eux. Bien que cela lui coûtait de l’admettre, Jane avait raison lorsqu’elle l’intimait à se calmer et à prendre une distance suffisante pour voir les choses dans leur ensemble, et non plus au travers de son propre prisme. Reconnaître que l’amitié que lui portait Ron était déjà un acte de rébellion en soi, était l’une des choses que la Moldue lui avait apprises à faire.
Le roux eut un sifflement admiratif, avant de faire une moue amusée en direction de sa meilleure amie :

« Wow, ‘Mione… Quand tu disais qu’il se calmerait, et qu’il fallait simplement attendre…

— Peut-être que ma « Gilderoy deux » n’est pas étrangère à ça, je me trompe ? Répliqua-t-elle, raide.

— Non. Avoua Harry en esquissant un sourire gêné. Pas plus que Ron ne se trompe, non plus. » Ajouta-t-il en hochant la tête vers elle pour l’inciter à considérer le point de vue du Gardien.

La jeune fille soupira, et dodelina du chef avant de se décider enfin à faire un geste.

« Je suis désolée, Ron, tu n’as pas tort.

— Et je suis désolé, ‘Mione, il n’y a pas de honte à être dentiste. Offrit le rouquin en lui faisant un clin d’œil. D’accord, d’accord ! Tu n’as pas tort non plus. Mais je ne vois pas quoi faire de plus. On assiste aux meetings de Smith, et je laisse ma chemise hors de mon pantalon dès qu’Ombrage a le dos tourné.

— Quant à moi, j’existe. Commenta Harry. Cela semble suffire à poser problème. Qu’est-ce que tu veux que l’on fasse ? Qu’on fonde notre propre journal pour attaquer tout ce beau monde ?

— Qu’on suggère aux elfes de maison de faire grève tant que le crapaud n’est pas viré ? Continua le rouquin.

— Qu’on repeigne son bureau en vert caca d’oie ?

— Qu’on transforme Malefoy en fille ?

— Quel rapport, Ron ?

— Aucun, mais il pourrait y avoir des dommages collatéraux

— A ce moment-là, je préférerais que l’on coince Snape et qu’on le force à se laver les cheveux.

— Ou à se brosser les dents.

— Ou les deux ?

— Taisez-vous ! S’écria Hermione agacée. J’essaie de réfléchir ! »

La lionne se redressa et entama les cent pas dans la salle, sous les chuchotements de ses deux amis qui continuaient d’échafauder des plans stupides. Pendant une dizaine de minutes, Hermione déambula, s’arrêtant de temps en temps sur Harry songeuse, puis reprenant ses pérégrinations. Lorsque les deux comparses en étaient à suggérer à demi-mots de noyer les Serpentards dans le lac, elle s’écria :

« Mais oui ! Tu as parfaitement raison, Ron !

— A propos du calamar géant et de Malefoy ?

— Pas du tout. Au sujet de Smith ! On va la prendre pour exemple ! » S’exclama-t-elle ravie.

Les deux garçons offrirent un regard vide d’intelligence à la demoiselle, qui soupira de découragement.

« Il suffit de trouver le moyen de faire ce qu’Ombrage et le Ministère refusent que l’on fasse !

— Tu veux porter un pantalon ? Tenta le roux peu convaincu.

— Sois sérieux deux minutes, Ronald ! Smith a été renvoyée, non ? Parce qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, nous sommes d’accord. Mais la décision a surtout un rapport avec sa matière et ses méthodes d’enseignement.

— Certes, mais ‘Mione, je ne vois pas en quoi…

— Ils ne veulent pas que l’on pense, Harry ! Alors, ils nous ont supprimé ces heures. Et qu’a fait Smith ?

— Elle nous raconte des blagues quand on s’ennuie… ?

— Pas seulement, lundi encore elle nous parlait de la Presse moldue et de ses méthodes de désinformation. Vous ne comprenez pas où je veux en venir ? Elle continue de faire son travail !

— Et sans être payée… Souligna Ron. Et du coup, tu suggères que l’on fasse du bénévolat ?

— Réfléchissez deux minutes. De quoi le Ministère a-t-il le plus peur ? Ou, plutôt, pourquoi Ombrage a été nommée au poste de Professeur de Défense contre les Forces du Mal ?

— D’après Sirius, Fudge redoute que Dumbledore souhaite nous entraîner dans le but de renverser… Oh ! S’interrompit Harry en écarquillant les yeux.

— Quoi, « oh » ? Ne me dites surtout pas que vous comptez vous lancer dans une révolte, c’est profondément stupide.

— Ce n’est pas une révolte que je vous propose, mais la Révolution. Cita fièrement Hermione sans que ses amis ne comprennent la référence. Ombrage ne nous apprend rien ? Qu’à cela ne tienne ! Nous ferons cours sans elle ! »

Les deux adolescents grimacèrent, se regardant longuement pour déterminer la pertinence d’une telle idée. Finalement, Harry décida de répondre pour eux deux.

« Hermione, je suis d’accord que nous devons impérativement nous entraîner en vue des BUSES, mais de là à risquer de se faire prendre… Et puis, qui va faire cours ? Et à qui ?

— Non, Harry. Coupa son meilleur ami. Elle ne parle pas des BUSES, je pense, mais de s’entraîner pour être prêt si… Enfin, tu vois.

— Oui, et alors ? On va voir Smith et on lui demande de l’aide, c’est ça ?

— En fait… Hésita la jeune fille en dansant sur ses pieds, Je pensais plutôt à toi, Harry.

— Hein ?! Mais pourquoi ? La spécialiste des sorts, c’est toi, non ? Et je ne suis pas Professeur !

— Elle a raison mon pote. ‘Mione connaît très bien la théorie, mais là, il est question de pratique. Tu es le seul qui connaisse le terrain.

— Mais je n’ai aucun sens tactique ! C’est toi le maître de la stratégie, tu me bats aux échecs tout le temps et tu…

— Regarde les choses en face, Harry. Toi seul as dû affronter V… Volde-mort. Souffla la brune en frissonnant.

— Mais vous étiez là, tout le temps pour m’aider ! Je n’ai jamais rien fait seul !

— Au contraire. L’année dernière, tu étais tout seul dans le cimetière, Harry. Précisa Ron d’un air sombre.

— Et ce n’est pas comme si nous ne serions pas à tes côtés. Harry, nous avons besoin de toi.

— Mais… Mais pourquoi ne pas demander à l’Ordre ? A… Je sais pas moi ! Hermione, tu me dis tout le temps que l’on doit s’en remettre aux adultes, se faire discrets, et là…

— Là, je te parle de prendre notre avenir en mains. Nous n’aurons pas toujours des adultes pour nous aider.

— Et demain, lorsque la guerre arrivera, cela sera nos vies qui seront engagées. » Compléta Ron.

Harry grimaça. Tout en lui lui criait que c’était la seule solution, qu’ils n’avaient pas le choix. Apprenant à se méfier de plus en plus de son jugement, le garçon hésitait longuement. Il repensa à l’Ordre dont on lui refusait l’adhésion sous prétexte de son jeune âge. Il repensa à Sirius qui l’enjoignait à la prudence, tout en lui disant de ne pas perdre espoir. Il repensa à Smith qui lui confessait ne pas avoir honte de sa propre attitude, tout en sachant qu’elle était dangereuse.

Puis il repensa à Snape. Pour une raison quelconque, sa conscience prenait ces derniers temps la voix du Mangemort, pour lui distiller des remarques acerbes sur son incapacité à suivre le règlement. Actuellement, elle était en train de se gausser à l’idée qu’il ne puisse jamais récupérer sa cape si par malheur ils se faisaient prendre. Alors qu’il ressassait cette fameuse nuit, le Survivant sourit d’un air conspirateur.

« En fait… Pensa-t-il à voix haute. On ne risque rien, puisqu’il n’y a rien de répréhensible. Après tout, rien dans le règlement de l’école ne nous interdit de réviser la pratique à plusieurs, non ? »

Hermione lui sourit largement en approuvant d’un signe de tête, tandis que Ron grimaçait.

« Mec, quand tu souris comme ça, on dirait un Serpentard. »

***

Samedi 28  octobre, QG de l’Ordre, 18h20,

Dans la cuisine du Square Grimmaurd, rassemblé autour de la lourde table en cerisier, l’Ordre du Phoenix débattait en conseil restreint des dernières informations délivrées par Severus Snape. Albus Dumbledore écoutait poliment le discours de son espion, bien que le connaissant par avance, Rémus Lupin réfléchissait intensément en scrutant le feu qui grondait dans la cheminé, Molly et Arthur Weasley se tenaient proches de l’un l’autre, le patriarche ayant posé sa main en réconfort sur le bras de son épouse. Tonks jouait négligemment avec sa baguette, tandis que Maugrey dominait la pièce de son œil magique. Assise entre Albus et Snape, Jane sirotait un thé bien trop sucré, écoutant religieusement son mentor. Agacé par le ton monocorde de sa Némésis, Sirius se taisait néanmoins, ne lâchant pas l’espion des yeux.

« …Lucius stagne, et le Seigneur des Ténèbres s’impatiente de plus en plus. Termina l’ancien Mangemort d’une voix égale. Bien que de se voir confier cette tâche reste un… honneur, Malefoy sait qu’il joue sa position de favori, et que son Maître ne restera pas longtemps à le regarder échouer inlassablement.

— Tu veux dire que Voldemort pourrait très bien décider de s’en charger lui-même ? Demanda Rémus en fronçant les sourcils.

— C’est malheureusement une possibilité à envisager, Lupin. Mais il ne se montrera pas à découvert. La tournure que prennent les derniers événements est bien trop à son avantage pour qu’il révèle aussi tôt son retour.

— Tom n’est effectivement pas dénué d’intelligence, il sait que l’opinion publique joue contre nous, et que l’inaction du Ministère constitue un formidable écran de fumée. Acquiesça le vieil homme. Dolorès Ombrage fait un travail de sape admirable, nos élèves et professeurs ne sont plus que des automates inquiets. Il sait que la menace de Poudlard s’écarte peu à peu.

— La faute à qui ? Grommela Maugrey en jetant un regard sévère à Jane. Vous aviez une mission, Miss, une seule, et vous avez réussi à la faire capoter avant qu’elle ne commence. Si vous étiez l’un de mes Aurors…

— Sauf que je ne le suis pas, Alastor. Coupa sèchement Smith en relevant le menton. Et je peux vous garantir que mon travail est loin d’être terminé. Mon renvoi n’est rien d’autre qu’une décision officielle.

— Qu’est-ce que cela change, au juste ? S’obstina l’Auror.

— Rien, ou presque, comme je viens de vous le dire. Les Poufsouffles et Serdaigles ont été étrangement les premiers à venir. Les Gryffondors se rassemblent de plus en plus par simple esprit de contradiction, et je gage que les Serpentards ne devraient pas tarder à vouloir infiltrer la troupe dans le but de tout saboter.

— De quoi parlez-vous ?

— Ce que Miss Smith essaie de vous dire, Alastor, Répondit Dumbledore en souriant largement, C’est qu’elle continue de faire cours à ses heures habituelles aux élèves volontaires qui viennent la rejoindre.

— Vous le saviez donc ? Demanda Jane éberluée. Je comptais l’annoncer ce soir…

— Évidemment qu’il le sait, Smith ! Je ne doute pas que vous puissiez être profondément déçue à l’idée de ne pouvoir vous vanter de vos petits exploits, mais nous parlons du Directeur. Il sait tout.

— Oh, malheureusement pas tout non plus, Severus. Mais j’essaie de me tenir informé de ce qu’il se passe dans mon école. »

Jane alla ouvrir la bouche, pour répliquer quelque chose de désagréable à propos d’Harry Potter et de l’usage de plumes maléfiques, mais le Maître des Potions lui donna un coup de coude dans les côtes qui la fit glapir. Il lui jeta un regard suffisamment menaçant pour qu’elle baisse la tête sans même tenter d’exiger des explications.

« Et comme Jane tentait si bien de vous le dire, le message continue de passer auprès des élèves.

— Ouais… Grogna l’homme aux cicatrices. Mais ce ne sont pas ces mômes qui feront la différence quand il s’agira de convaincre Fudge, ou de se battre contre Lui. L’avis de la populace reste toujours trop virulent, nous perdons peu à peu du terrain.

— Je ne crois pas Alastor, je ne crois pas. Tôt ou tard, la vérité finira par sortir.

— Votre foi est admirable, Monsieur le Directeur, mais il s’agirait qu’elle ne sorte pas… Trop tard. Contra Snape d’une voix doucereuse.

— L’éviction de Miss Smith n’est pas un mal, elle conforte le Ministère dans sa suprématie, et lui donne l’illusion d’un pouvoir.

— Hum. Professeur Dumbledore ? S’autorisa une nouvelle fois Jane. Pardonnez-moi de vous le dire, mais au vu du nombre de décrets qui ornent le mur de la Grande Salle, je trouve l’illusion plutôt tangible. Êtes-vous certain qu’à force d’ourdir de nombreuses tactiques et machinations, nous ne soyons pas en train de perdre pied avec la réalité ?

— Qu’entendez-vous par là, Miss ? Lui demanda poliment le mage.

— Vous semblez tout de même partir du principe que tout va de soi, alors qu’il y a de nombreuses choses que vous ignorez, ou choisissez d’ignorer.

— Smith… Menaça le Potionniste.

— Je suppose que vous savez que Potter vient me voir régulièrement en retenue, non ?

— En effet.

— Votre omniscience a donc déjà dû vous rapporter à quel point il vit mal votre éloignement, ou même l’acharnement de la Presse… ?

— Potter ne supporte pas l’idée que le Directeur le traite comme un simple étudiant ? Cracha Snape en grimaçant. Comme c’est surprenant !

— Severus. Rappela calmement à l’ordre le vieil homme. Je suis au courant, en effet, Miss. Mais si je m’écarte d’Harry, c’est uniquement pour son propre bien. Et, ET ! Haussa-t-il la voix en levant sa main droite pour la faire taire. Je n’ai pas à me justifier devant vous. » Termina-t-il en la regardant par-dessus ses lunettes en demi-lunes.

Une nouvelle fois, Jane voulu protester, mais l’homme en noir abaissa discrètement une lourde main sur sa cuisse, l’abattant presque comme une claque menaçante. La jeune femme ouvrit la bouche de surprise, et se mordit la joue pour obéir à l’ordre muet. Elle se contenta de regarder ostensiblement Sirius Black, espérant secrètement qu’il daigne s’intéresser à ce qu’elle avait à dire.

Le Maraudeur fixait la Moldue et l’espion d’un œil soupçonneux, comprenant qu’il se tramait quelque chose. Il ne sembla pourtant pas comprendre ce que la brune tentait de lui dire silencieusement, et il se détourna du duel muet qui avait lieu sous la table.

Le reste de la réunion se déroula sans autre intervention de la Rédactrice. La question du bien-être d’Harry Potter n’était manifestement pas à l’ordre du jour. Et il semblait à Jane que seule comptait la survie de ce garçon. Tant qu’il pouvait encore se tenir sur ses jambes, tout allait bien. Loin d’estimer que le jeune homme constituait l’atout principal dans la guerre, la Moldue ne parvenait tout de même pas à admettre que l’on puisse se désintéresser autant d’un enfant qui n’avait rien demandé à personne, et qui appelait à l’aide.

Car Jane en était convaincue. Ce qu’il manquait à Harry n’était pas une statue gigantesque en or massif à son effigie, comme le suggérait Snape, ni même un nouveau balais flambant neuf, comme devait imaginer Sirius. Harry n’avait pas non plus besoin d’une nouvelle maman-poule pour remplacer la sienne, ainsi que se plaisait à le faire Molly. Non. Le garçon avait tout simplement besoin qu’un adulte prenne soin de lui. Qu’il l’écoute, le punisse, le rassure, l’emmène voir des matchs de Quidditch, bref, qu’il s’en occupe !

Et le Survivant transpirait cette demande. Par ses nombreux actes de rébellion, Harry – et Jane en était intimement persuadée – tentait d’attirer l’attention de ses aînés pour se sentir encadré. Si Dumbledore ne s’était pas amusé à se montrer si protecteur envers Harry, lui témoignant une attention particulièrement discriminatoire envers les autres élèves, jamais le jeune Potter n’aurait eu de telles attentes envers le vieil homme. Le couper si soudainement de tout contact ne pouvait que mener au désastre, et la Moldue tenait le mage en grande partie pour responsable.

Le plus ironique dans tout ceci étant que celui qui faisait jusqu’ici office de figure d’autorité était bel et bien celui que le Gryffondor haïssait le plus. Mais cela, Jane n’était pas certaine de vouloir qu’Harry le comprenne. L’ancien Mangemort s’était montré très explicite quant à l’importance que Harry ne doute jamais de sa sombre loyauté. Mais le mal-être d’un adolescent condamné à être une arme dans une guerre qui le dépassait n’intéressait personne. Du moins, certainement pas les membres de l’Ordre occupés pour l’heure à résister comme ils le pouvaient.

Jane fit la moue, avant de fixer intensément Sirius, puis de se décider à se lever :

« Vous avez des toilettes ? Demanda-t-elle en plantant son regard dans le sien.

— Heu… Oui, au premier étage, dans le couloir, troisième porte à gauche.

— Me montreriez-vous ? J’aimerais éviter de me perdre ou de faire le moindre bruit susceptible de réveiller la croûte qui vous sert de défunte mère. » Acheva-t-elle en faisant largement sourire le Maraudeur devant cette ultime insulte faite à la matriarche.

L’Animagus inclina la tête de façon théâtrale avant de se lever à son tour, et de lui proposer son bras. La jeune femme l’accepta après un instant d’hésitation et tous deux s’éclipsèrent sous le regard écœuré que leur lançait l’espion. Dans la cuisine, la discussion reprit son cours, mais Jane attendit d’être face à la porte des cabinets pour apostropher enfin le maître des lieux.

« Vous devez parler à Harry, il a réellement besoin de votre aide. Débita-t-elle précipitamment à voix basse.

— Pourquoi ça ? Harry est en parfaite sécurité à Poudlard. Il est entouré de ses amis, il a ses cours, le Quidditch…

— Que sa vie ne soit pas directement menacée ne signifie pas qu’il n’ait pas besoin d’assistance. Sirius, écoutez-moi attentivement. Cela fait plusieurs semaines déjà que je le reçois régulièrement dans mes appartements pour parler. Il se confie partiellement à moi, et de façon très aléatoire. Mais il est malheureux, et il se sent profondément seul.

— Que vous a-t-il dit ? Demanda l’ex-détenu en pâlissant légèrement.

— Il se sent dépassé, pour l’essentiel. Il a évoqué ses difficultés à dormir convenablement et des problèmes de cauchemars. Je ne sais pas exactement de quoi il en retourne, concernant ce point-là, il est plus que réticent à détailler.

— Il rêve de Voldemort. Mais ce ne sont pas réellement des rêves… Ce sont des sortes de visions.

— Charmant… Il sait que c’est la réalité ?

— Oui, depuis l’année dernière, il est parfaitement au courant du fait qu’il y a une sorte de connexion entre lui et Voldemort. Il en ignore juste la nature.

— C’est à dire… ?

— Eh bien… Nous supposons que cela est dû à la prophétie et au « Fameux pouvoir dont le Seigneur des Ténèbres ignore l’existence ». Harry m’a déjà averti à ce sujet, il rêve fréquemment du Département des Mystères, bien qu’il ignore totalement de quoi il en retourne. Apparemment, Voldemort est obsédé par l’idée de s’emparer de la « chose », comme il me l’a expliqué.

— … Et vous a-t-il dit qu’il rêvait souvent de Cédric Diggory ? »

Black s’adossa au mur, l’air passablement exténué et désemparé. Il jeta à Jane un regard implorant, comme pour la supplier de ne pas le juger. Il était évident que l’homme se sentait impuissant, et totalement incapable de remplir son office. Il finit par soupirer de découragement :

« Non… Mais c’est normal, il l’a vu mourir.

— Oui, en effet… Et quand est-ce que vous prévoyez d’en parler avec lui ?

— Mais on ne peut pas communiquer ! Les hiboux sont surveillés, et Harry… Enfin, Harry ne me parle pratiquement pas. Pourquoi vous vous n’essayeriez pas… ?

— Hors de question. D’une part parce qu’il ne sait pas que je suis membre de l’Ordre et ne sera certainement pas assez stupide pour m’expliciter tous ses problèmes, et d’autre part parce que ce n’est pas mon rôle, mais le vôtre.

— Qu’est-ce que je suis supposé faire, alors ? Je vous signale que je suis un criminel recherché pour meurtre de masse ! Harry est fort, il finira par se relever… Il n’a pas besoin de moi. Acheva-t-il piteusement.

— La barbe Sirius, vous vous cherchez des excuses ! Potter n’est pas plus fort qu’un gosse de quinze ans qui se croit responsable des morts qui jalonnent sa vie !

— Mais il n’est pas…

— Taisez-vous. Que croyez-vous donc qu’il s’imagine au juste ? Si vous étiez à sa place, si vous aussi vous aviez perdu quelqu’un parce que…

— J’ai perdu James, ne l’oubliez pas, je sais ce que c’est !

— Mais enfin, Black ! Vous aviez plus de vingt ans ! Je vous parle d’un enfant. Comment auriez-vous vécut la disparition de James au même âge ?! » S’emporta la Moldue en haussant le ton.

Smith se tut soudainement, craignant qu’on ne les entende, et tendit l’oreille, guettant le moindre signe que la discussion dans la cuisine s’était interrompue. Elle s’autorisa à respirer qu’une fois que le murmure de la réunion répondit à sa question muette. Elle jeta un regard à l’Animagus qui gardait la tête baissée.

« Ecoutez, essayez simplement de ne pas oublier que vous êtes l’adulte, et qu’il est l’enfant. Vous êtes son parrain. Votre devoir est de l’aider en l’absence de ses parents. Et… Sirius, Harry a besoin de vous, beaucoup plus que vous ne pouvez l’imaginer. »

La scribouillarde s’écarta de lui et le défia du regard de protester. Elle faisait face à un individu qui, bien qu’habillé de riches vêtements de noble, semblait plus appauvri que le plus misérable des hommes. Sirius était prostré contre le mur, comme cherchant à fuir une responsabilité et une réalité qui le terrorisaient. Tant pis, pensa-t-elle, Ce n’est pas comme s’il avait le choix.

« Ayez un peu confiance en vous. Comme son père et sa mère ont placé la leur sur vos épaules en vous désignant comme parrain.

— … Vous êtes quoi, au juste ? Une psycho-mage ?

— J’étais juste une journaliste qui ne demandait rien à personne, Mr. Black. Mais la vie, comme pour vous, n’en n’a rien eu à faire. » Lui répondit-elle en lui offrant un pauvre sourire réconfortant.

Le Maraudeur acquiesça en silence, et se redressa, tentant de se donner contenance. Ils redescendirent à la cuisine, retournant à la réunion soporifique. Ils ne furent libérés qu’aux alentours de vingt heures, peu avant le dîner à Poudlard, sur la décision d’introduire davantage de membres de l’Ordre dans la surveillance du Département des Mystères. Sans surprise, Arthur Weasley se porta immédiatement volontaire, comptant user de son travail sur place comme argument.

Transplanant une nouvelle fois avec Snape, Jane ne s’attendait pas à être brutalement repoussée une fois arrivée aux grilles de l’école. Elle trébucha, et maugréa :

« Ça vous prend souvent de jeter les gens à terre ?

— Et vous, ça vous prend souvent de croire que vous pouvez vous éclipser d’une réunion importante à un Ordre tout aussi important auquel vous avez adhéré ? Ou bien pensez-vous que vous en saviez assez pour vous passer d’informations ?

— Mais de quoi vous parlez, Severus ?

— Vous avez été bien longue à trouver ces toilettes, Smith ! Une demi-heure ! Une demi-heure entière de réunion.

— Qu’est-ce que ça peut vous faire, j’ai le droit de chier, non ? Lui répliqua-t-elle grossièrement en se remettant sur ses pieds sans grâce.

— Distinguée, comme toujours… Et je suppose que Black vous a tenu la porte, à moins qu’il ne vous empêche de sombrer au fond du trou ? Claqua l’espion d’une voix glaciale.

— C’est quoi votre problème, au juste ? Que je sois partie aux toilettes ? Que Sirius m’ait accompagné ? Ou le temps que j’y ai passé ?

— Je vois que vos problèmes intestinaux ont été suffisamment intenses pour que cela soit Sirius, maintenant.

— Mais… »

La Moldue s’interrompit, le regardant avec curiosité, comme si elle le voyait pour la première fois. Le Potionniste se renfrogna davantage, semblant prêt à lui débiter une autre phrase mesquine. Mais avant même qu’il ne puisse continuer sur sa lancée, elle le coupa.

« Vous me faites une crise de jalousie, ou je prends mes rêves pour la réalité, là ? Osa-t-elle dire à voix haute d’une voix amusée.

— Vos rêves ne m’intéressent pas, Smith, pas plus que vos pérégrinations scatophiles, ni même…

— Nous avons parlé de Potter ! Le coupa-t-elle exaspérée.

— Je croyais que vous vous vidiez de vos tripes, Miss. Était-ce à ce point une rencontre secrète pour que vous… Qu’est-ce que vous avez encore dit comme bêtise ? Gronda l’homme après un instant de réflexion.

— Rien ! Seulement que Harry avait besoin que son parrain s’occupe de lui, et qu’il était temps que Sirius se reprenne. Et non. Rassurez-vous, je n’ai pas parlé des plumes. Même si j’aimerais quelques explications à ce sujet. Pourquoi m’avez-vous empêché d’en référer au Directeur ?

— Parce que je l’ai fait, petite sotte ! Et que lâcher cette petite bombe en présence du cabot intenable, du loup-garou lunatique et de la mère poule aurait été la pire des erreurs. Comment croyez-vous qu’ils auraient réagis, Mmm ?

— Donc, pour le moment, on ne fait rien, et Ombrage peut continuer à utiliser ces satanés trucs contre les gamins ?

— Pour le moment, on réfléchit à une stratégie. Potter n’est plus torturé, aucun autre gosse n’a à s’en plaindre, et j’ai plus urgent à penser. Comme le fait d’arriver à vous faire rentrer dans ce damné château avant qu’on ne remarque notre absence ! » Tonna Snape en reprenant la route.

Jane le suivit après un bref hochement de tête, remontant la pente douce qui menait à l’école. Après avoir passé en silence la cabane de Hagrid, la jeune femme ne put s’empêcher d’asticoter le terrible Maître des Potions :

« En fait, vous étiez grave jaloux, non ?

— Étouffez-vous avec votre stupidité, Smith ! »