Que fait-on lorsqu’un chien vous mord ? On le punit.
Que fait-on lorsqu’un chat urine en dehors de sa litière ? On le punit.
Que fait-on lorsqu’un enfant fait une bêtise ? On le punit.
Qu’avait fait Snape, lorsque Jane et lui furent de retour à Poudlard ? Il sévit. Brutalement et froidement.
De retour du QG de l’Ordre du Phénix, Severus avait réquisitionné la jeune femme dans son bureau, la nuit durant, pour l’obliger à coucher sur le papier le rapport complet de son échec. Que s’était-il passé, qu’avait-elle dit, quelles étaient ses bourdes, … Autant de points à traiter à mesure que la lune dessinait sa course dans le ciel noir d’Ecosse. Si au tout début, Jane avait tenté de protester, si de violentes crises de larmes l’avaient étreinte, et si elle avait menacé le Professeur de Potions de mille et une choses ; la jeune femme fut forcée de céder. Même le grand Albus Dumbledore, malgré son Ordre de Merlin et sa position de supérieur hiérarchique, n’avait pu faire fléchir l’espion. Jane Smith n’aurait pas le droit à une seconde erreur.
Jamais, de sa vie durant, la pauvrette n’avait été aussi rabaissée, maltraitée, et insultée. Oh, elle avait bien eu quelques soucis au cours des différents boulots alimentaires de sa jeunesse, ou encore au cours de ses études, mais ce que pratiquait Snape était bien au-delà de l’imaginable. Evidemment, la jeune femme ne put rendre l’ensemble des rouleaux demandés. Elle s’endormit piteusement au moment même où le sorcier s’absenta pour aller soulager des besoins naturels. Le réveil fut donc brutal, et elle eut pour punition la lourde tâche de recommencer ses écrits depuis le début. Voir cet homme glacial, le visage impassible, déchirer tout ce qu’elle avait réussi à coucher sur papier, déclencha une nouvelle crise d’angoisse. Et ce cauchemar dura ainsi pendant les deux semaines qui suivirent.
***
Grande salle de Poudlard, 16 août, 9h,
Le Professeur Dumbledore était attablé au côté de Jane. Tous deux mangeaient dans un silence religieux. La grande table des enseignants était garnie d’un formidable petit-déjeuner. Thé, café, lait chaud, chocolat, jus de citrouille, petits pains, toasts, différentes confitures, œufs brouillés, porridge, bacon,… Rien ne manquait. Rien, à l’exception peut-être d’un pot de Nutella. Mais Jane n’avait pas à cœur d’en réclamer, et elle soupçonnait le Directeur d’être capable d’en devenir accroc. Le vieil homme lui était trop sympathique pour que la jeune femme supporte sa perte tragique des suites d’un arrêt cardiaque.
L’écrivain étanchait donc sa soif avec un café serré, tout en engloutissant une montagne de toasts beurrés et de bananes bien mûres. Les yeux rivés sur la Gazette du Sorcier, la demoiselle profitait pleinement de cette accalmie. La journée s’annonçait sous les meilleurs auspices : elle était parvenue à dormir sept heures d’affilées, avait réussi à terminer tous les « devoirs » imposés par son impossible collègue, et était à présent en train de manger à sa faim. Elle avait même le temps de lire un peu les dernières nouvelles, Albus ne préférant pas la déranger. Le mage passait d’ailleurs très peu de temps au château. Il croisait la Moldue de manière sporadique entre deux réunions de l’Ordre, une ou deux missions secrètes et quelques fouilles étranges dans différentes archives sorcières. Cela avait pour conséquence de laisser Jane à la merci de Snape. Et, bien que l’espion s’absentât régulièrement pour assister aux rares réunions de Mangemorts et à celles de l’Ordre, le Maître des Potions parvenait toujours à dégager suffisamment de temps pour harceler la jeune femme.
Jane tourna distraitement une page, ouvrant sur un article au titre évocateur : « Age du Directeur, une limite à mettre en place ? ». L’article, le pamphlet plus exactement, était rédigé par l’un des chroniqueurs les plus virulents à l’égard de Dumbledore. Connor Oaken avait une plume particulièrement acérée qui crachait continuellement son vitriol. L’homme démontrait, avec force d’arguments plus fallacieux les uns que les autres, que l’âge pouvait être un réel handicap dans l’exercice de la fonction du Directeur de Poudlard. Des idées telles que « le décalage intergénérationnel », ou encore « la dégénérescence intellectuelle » revenaient très régulièrement, jamais loin du nom d’Albus. Naturellement, des avis « d’experts psycho-mages » appuyaient les propos de cet odieux personnage. L’article s’étalait en double-page, et se concluait par une question mesquine : « A ce propos, quel âge a Albus Dumbledore ? ». L’écrivain fronçait les sourcils en lisant la feuille de choux, totalement absorbée par son contenu.
« SMITH ! » Hurla la voix parfaitement reconnaissable de Severus Snape.
La Moldue rentra instinctivement la tête dans les épaules, tentant de disparaître sous le journal. Dumbledore ne pipa mot, ayant l’habitude ces derniers jours de s’effacer lorsque son protégé faisait ce genre d’entrées.
« Comment avez-vous eu connaissance de la place disponible à Poudlard ? Questionna l’homme en hurlant depuis l’une des entrées de la Grande Salle.
— Heu… Ma mère était une amie de la cousine de Mrs Burbage, elle était présente à l’enterrement de ma mère à Londres. Elle a donc évoqué cette information lors des funérailles. Débita d’une traite la brune, en priant de ne rien avoir oublié.
— … Bien. Conclu le Potionniste. »
Et il repartit dans un tourbillon de robes noires. Ce n’était que la quatre-vingt-quatrième fois que Snape lui faisait le coup. Régulièrement, il surgissait à l’improviste, n’importe où, prenant totalement la jeune femme par surprise, pour lui poser une question sur son histoire inventée. Et elle avait diablement intérêt à donner immédiatement la réponse correcte ! Aux yeux de l’espion, il n’y avait rien de tel pour faire entrer des automatismes chez quelqu’un. Severus avait promis de dresser la descendante, et il avait fini par la conditionner. Jane était presque soulagée de ne pas avoir à subir des électrocutions. Albus lança un regard compatissant à l’écrivain, avant de se lever en souplesse pour disparaître probablement dans son bureau. Jane soupira une nouvelle fois : au moins, elle n’avait rien renversé, ni brisé, sous l’effet de la surprise. Snape lui avait fait de sales coups dans le genre, débarquant alors qu’elle écrivait un de ses devoirs – lui faisant raturer lamentablement le parchemin, et donc, recommencer. Il était également apparu au détour d’un couloir, déclenchant un hurlement de panique chez sa collègue. Ce hurlement avait eu pour conséquence de réveiller de nombreux tableaux endormis çà et là qui s’en prirent immédiatement à la malheureuse. Mais le plus mémorable fut lorsqu’il osa l’inconvenable…
***
Appartements de Jane Smith, quatre jours avant, 23h57,
L’eau chaude coulait à flots sur sa tête migraineuse. Après deux jours et une nuit passés en captivité dans les cachots, sans se laver, en grignotant, et en s’endormant sur sa copie, Jane s’était vue autoriser un instant « hygiène ». Son corps était rendu poisseux à force de macérer dans les mêmes vêtements sales, ses aisselles refoulaient une odeur de soufre aigre par-dessus les poils naissants, et ses cheveux, habituellement bouclés, s’étaient emmêlés et luisaient d’une fine pellicule grasse peu ragoûtante. Rien que la chaleur réconfortante du jet du pommeau de douche, et ne serait-ce que l’agréable odeur de cèdre de son savon, suffisaient à offrir à la Moldue un aller-simple au paradis. Elle mourrait de faim, tombait de fatigue, mais elle était en passe de redevenir une femme propre. Comme son irascible collègue n’avait nullement précisé d’heure pour la « prochaine session », la jeune femme se prélassait dans la cabine depuis maintenant vingt minutes. Ce n’était pas comme si elle devait payer la facture, après tout ! Totalement absorbée par la béatitude qui l’envahissait, elle ne l’avait donc pas entendu se faufiler dans la pièce chargée de brume.
« SMITH ! Résonna la voix glaciale de son tortionnaire.
— Nom de Dieu ! Cria Jane en se retournant, avalant au passage de l’eau, crachotant, le palpitant en folie.
— Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir devenir enseignante ? Demanda Severus sans la moindre gêne, au travers de la vitre opaque.
— Non, mais vous êtes malade ?! FOUTEZ-MOI LE CAMP !
— Smith ! Gronda l’homme en noir. Je me contrefiche de vos états d’âme, j’attends une réponse !
— Oh, putain ! »
Jane ne prit même pas la peine de fermer les vannes et sortit en trombe de la cabine, nue et ruisselante, totalement échevelée et le regard plus furibond que jamais. La Moldue faisait à présent face à un Severus Snape pâle comme la mort, radicalement choqué par le culot de sa collègue. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l’écrivain leva son poing dans sa direction et ne laissa qu’un seul doigt dressé. Le majeur pour être précis.
« Ça vous va comme réponse, espèce de dégénéré ? Maintenant, DEGAGEZ ! »
Pour la première fois de son séjour à Poudlard, ce fut elle qui eut gain de cause. Snape recula d’un pas, manquant de trébucher sur le tapis de douche, les yeux écarquillés qui tentaient vainement de rester fixés sur le visage de la jeune femme. L’homme réussit le tour de force de ne pas rougir et déguerpit promptement.
Ils n’évoquèrent jamais cet épisode, il ne la punit pas davantage, et ne revint plus dans cette salle de bain à l’improviste.
***
Grande salle de Poudlard, 16 août, 9h18,
A l’évocation de ce souvenir, Jane pouffa de rire. Elle était toujours en colère après Snape, plus particulièrement parce qu’il n’avait jamais présenté ses excuses. Cela étant, la Moldue était fière de son petit coup, l’homme s’était montré légèrement plus « souple » dans ses rapports. A moins que cela ne soit dû à ses progrès… La ride habituelle se forma immédiatement sur son front, tandis qu’elle évoquait cette possibilité. Il est vrai qu’elle avait fini par apprendre sa leçon et que les « interrogations écrites » s’étaient arrêtées. Ne restaient que les surprises du Potionniste pour la déranger. Mais alors, qu’allait-elle donc faire jusqu’au 4 septembre ?
Elle fut sortie de ses pensées lorsque les portes de la Grande Salle s’ouvrirent dans un grincement lugubre. Dans l’embrasure, une femme de haute stature, en robe médiévale vert foncé et au grand chapeau pointu, se tenait. Jane plissa des yeux en observant la nouvelle venue qui se dirigeait désormais dans sa direction. A mesure qu’elle avançait, la jeune femme distingua les traits sévères et légèrement marqués de la sorcière. Celle-ci s’arrêta devant la jeunette, la toisant au travers de lunettes carrées impeccablement nettes.
« Minerva McGonagall, Directrice Adjointe. Se présenta-t-elle en tendant sa main.
— Heu… Bonjour, Jane Smith. Répondit Jane en la serrant. Futur Professeur d’Etude des Moldus.
— Professeur, ma fille, pas futur Professeur. Corrigea Minerva avec une ébauche de sourire. Où est Albus ?
— Dans son bureau, je crois, Madame la Directrice Adjointe.
— Minerva. Bien, Severus est avec ses potions, je suppose ?
— Très probable, vous l’avez manqué de peu. A dire vrai, le Directeur était également là il y a un instant.
— Ce n’est pas grave, j’irai le voir. Bien, Miss Smith, voudriez-vous boire le thé à quatorze heures dans mon bureau ?
— Oui… Enfin, oui, avec plaisir ! Cela dépend essentiellement de…
— Non. Ne vous en faites pas, ma fille. Je prends le relais désormais. »
L’austère Directrice des Gryffondors s’en fut, le dos droit, la démarche gracieuse, laissant une Jane qui se demandait vaguement qui des deux sorciers était le plus sévère. Si elle s’était demandée ce qu’elle pourrait bien faire jusqu’à la rentrée, elle avait à présent une ébauche de réponse.
***
Couloirs de Poudlard, 22 août, 17h12,
Il renifla longuement, humant l’air avec une grande attention. Sans effort, il parvenait à distinguer l’odeur caractéristique de la pierre, celle de la poussière, le parfum des vieux tapis élimés, et même les légères touches de cire d’abeille provenant des divers chandeliers. Mais il y avait quelque chose de nouveau dans ce tableau, quelque chose qu’il ne connaissait pas. C’était une odeur de vieux. Certes, tout était vieux dans ce château, à commencer par le Directeur – bien qu’il frelatât le citron et le sucre – mais là, c’était quelque chose de vieux et d’animal. Presque misérable, un tantinet mourant. Et puis il y avait ce léger grattement, comme le bruit de griffes acérées qui heurtent le sol. Et ça approchait, droit dans sa direction, à une allure de conquérant.
Merlin se pressa contre l’angle du mur, espérant se dérober à la vue du monstre qui avançait vers lui. Oreilles dressées, yeux dilatés, queue frémissante ; il était fin prêt à bondir pour défendre son territoire, sa vie, et son honneur. Le raclement des griffes s’intensifia, la puanteur également. Le félin distinguait à présent les différentes notes qui composaient ce parfum désagréable : du vieux, des produits d’entretien, du vicieux, et du féminin.
C’est une créature décharnée qui marchait à présent, dressée fièrement sur ses quatre pattes comme un soldat faisant une ronde sur une coursive. L’animal était d’un gris triste, teinté de marron délavé. Son poil terne se raréfiait à certains endroits et ses yeux vitreux parvinrent à mettre mal à l’aise le pauvre Merlin. Tandis que celui-ci réussit à déterminer qu’il avait en face de lui une consœur, la chatte tourna son horrible tête en direction du mur qui le cachait. Elle feula en s’aplatissant sur ses pattes arrière, les oreilles rabattues. Merlin écarquilla les yeux, les moustaches frémissantes, alors qu’il bondit agilement pour esquiver l’assaut de l’animal qui l’avait repéré. S’ensuivit un combat acharné, à coups de griffe, à coups de dents, dont Merlin réussit à s’extraire de justesse pour détaler à toute vitesse dans les appartements de sa maîtresse.
Il retrouva Jane, penchée sur une pile de livres spécifiques à la matière qu’elle enseignait. La jeune femme lisait attentivement les différents ouvrages, à la demande de Minerva, afin de préparer ses premiers cours. Se faisant, la Moldue prenait distraitement quelques notes d’une main tâchée d’encre violette. Merlin savait qu’il ne devait jamais la déranger lorsqu’elle travaillait ainsi. Il avait bien compris les mots « non », ou « descend », ou encore « fous-moi la paix, merde ! » ; mais là, il était question de vie ou de mort ! Il sauta rapidement et arriva avec souplesse sur le bureau, glissa maladroitement sur un ou deux parchemins, renversa au passage l’encrier qui vomit son contenu sur l’un des livres, et termina sa course dans les bras de sa propriétaire furieuse.
« Merlin ! Merde, qu’est-ce que tu as fait ?! » Lui reprocha Jane, l’animal tremblant contre son ventre.
Une partie de la queue du pauvre bougre était désormais d’un mauve vif. Manifestement, elle avait trempé au passage dans l’encre. Jane avisa son compagnon terrifié et commença machinalement à le caresser pour le rassurer.
« Qu’est-ce qui t’a pris ? C’est Peeves qui t’a encore enfermé dans un placard ? » Demanda l’écrivain d’une voix douce, en faisant allusion à l’un des gros traumatismes du félin.
Il fallait admettre que l’esprit frappeur était une vraie plaie. Elle-même avait dû endurer les farces de mauvais goût de la créature. Et si Jane avait vite appris qu’il fallait demander l’intervention du Baron Sanglant pour mettre fin aux agissements du clown, Merlin, lui, n’avait pas cette chance. Peeves mettait donc un point d’honneur à traquer le pauvre animal. A croire qu’il s’ennuyait ferme. Le chat releva sa truffe et plongea son regard bleu dans celui de son maître. Il miaula, plaintivement, en frottant sa tête contre la main de l’humaine.
« Non, ce n’est pas ça… Quelqu’un t’a marché dessus, alors ?
— Mrrriaow… Miaula le chat, en espérant que Jane comprendrait qu’il tentait de la mettre en garde.
— Ah, j’y suis, tu t’es encore retrouvé coincé en haut d’un escalier arrêté ? Oh, Merlin, je te l’ai déjà dit cent fois d’éviter de les prendre ! »
Le chat miaula de protestation. Elle n’y était pas du tout, cette bécasse ! Un monstre, une anormalité se promenait en liberté à Poudlard, il fallait que quelqu’un agisse ! Mais Jane ne l’écoutait pas, et commença à lui raconter ses propres malheurs. Qu’est-ce qu’il en avait à faire de son angoisse ? Il venait d’échapper à la mort, que diable, pas elle ! Alors pourquoi l’embêter avec ses histoires d’humains ? Merlin s’échappa donc des bras de sa propriétaire, non sans un regard méprisant, et s’enfuit prestement en direction des cachots. L’homme en noir comprendrait, lui. Il comprenait toujours !
***
Couloirs de Poudlard, 31 août, 14h,
Severus pesta une nouvelle fois en tentant de retirer les poils blancs éparpillés sur sa manche. Depuis quelques temps, Merlin dormait avec lui, et pour une raison obscure, arrivait à laisser des poils absolument partout. L’animal ne le dérangeait pas, il était calme, propre, et ne demandait que peu d’entretien. Lorsque Snape l’avait entendu gratter à sa porte, un soir, il avait d’abord cru à une mauvaise blague de la Moldue. Se retrouver nez à nez avec un chat qui oscillait entre l’agacement et la terreur n’était pas commun. A force de câlins et autres gratouilles bien placées, Severus réussit à comprendre que le félin attendait quelque chose de sa part. Il suivi donc l’animal dans les couloirs de Poudlard jusqu’à ce qu’ils rencontrent Miss Teigne. Malheureusement pour elle, Rusard ne rôdait pas dans les environs. Le Maître des Potions, comprenant alors toute l’affaire, lui jeta un sort d’eau sur le coin de la truffe, pour le plus grand plaisir de son nouvel ami. Depuis, Merlin n’eut plus jamais d’altercation avec elle. L’homme en noir et lui devinrent pratiquement inséparables, au grand dam d’une Jane ignorante et perplexe.
L’espion s’autorisa un sourire franc en réalisant que la jeune femme était peut-être tout simplement jalouse et vexée. Il haussa les épaules pour chasser cette idée plaisante lorsqu’il arriva devant la gargouille qui gardait l’entrée au bureau du Directeur.
« Oréos. » Lâcha-t-il en maudissant une nouvelle fois sa collègue d’avoir eu le malheur de faire découvrir cela à son mentor.
La gargouille glissa sur le côté pour révéler l’escalier et l’homme gravit les marches d’un pas assuré. Il s’apprêtait à ouvrir la porte lorsqu’elle pivota sur elle-même pour révéler une vieille vision désagréable. Face à lui se tenait une femme de petite taille, toute en bourrelets engoncés dans un tailleur et au visage désagréablement poupin. Les yeux de l’espion furent assaillis d’une explosion de nuances roses, et ses narines d’une désagréable et persistante odeur de vanille. Dolores Ombrage plissa ses petits yeux lorsqu’elle les porta sur lui, et sa bouche maquillée d’un fuchsia luisant, s’étira dans un horrible sourire de petite fille :
« Oh ! Severus Snape… Comme je suis heureuse que nous nous croisions ! Commenta Ombrage de sa voix perchée.
— Dolores Ombrage ! Répliqua-t-il avec une politesse toute feinte. Voilà bien longtemps que votre présence ne régale plus ces murs…
— Toujours aussi aimable, Severus ! Pouffa la femme crapaud comme une adolescente. Rassurez-vous, je m’apprête à ravir ces lieux durablement !
— C’est donc vous l’envoyée providentielle du Ministère. Conclut Snape en cachant tant bien que mal son dégoût. Je me réjouis de voir une ancienne camarade à ce poste.
— Je n’en attendais pas moins de votre part, Severus ! Je suis venue présenter mes hommages au Directeur, et prendre mes quartiers.
— Toutes mes félicitations, Dolores, soyez la bienvenue… »
Heureusement pour lui, Ombrage sembla se décider enfin à laisser le Maître des Potions entrer dans le bureau. Elle s’apprêtait manifestement à répliquer une nouvelle banalité lorsqu’il ferma la porte sur elle, feignant de ne rien avoir remarqué. L’homme en noir colla son oreille sur le bois, et écouta avec attention les pas de l’infâme bureaucrate s’éloigner. Snape soupira, et reporta son attention sur le Directeur qui semblait tout aussi soulagé.
« Alors c’est elle… Souffla-t-il en prenant place dans son habituel fauteuil.
— Hélas… Oui. Elle était présente à l’audience disciplinaire d’Harry.
— C’est donc une proche de Fudge.
— Très. C’est un secret de polichinelle que Dolores Ombrage est avide de pouvoir. Je ne peux pas dire que sa nomination me surprenne mais…
— Pourquoi ne pas avoir trouvé un Professeur ? Pourquoi les avoir laissés faire une telle ingérence ? Demanda Snape d’un ton clairement accusateur.
— Le Ministère avait cela en tête bien avant qu’ils ne l’annoncent officiellement, Severus. D’autre part, vous savez très bien la difficulté que je peux avoir à recruter après tant de… Démissions. Répondit le mage, légèrement gêné.
— Alors pourquoi ne pas accepter ma candidature, Albus ?
— Mais parce que j’ai désespérément besoin de mon estimé et irremplaçable Maître des Potions. Ce n’est l’affaire que d’un an, de toute façon.
— C’est ça. Et comment pouvez-vous être certain que Cornellius ne maintiendra pas…
— J’en suis convaincu, mon garçon. Coupa fermement le Directeur. »
L’ancien Mangemort se renfrogna, affichant ouvertement son mécontentement. Mais son supérieur, comme à son habitude, n’en tint pas rigueur. Dumbledore poursuivi :
« Où en sommes-nous ? Questionna-t-il prudemment.
— Il n’a toujours pas fait le lien. Offrit Snape en comprenant la demande. Du moins, pas à ma connaissance. Il reste paranoïaque, mais ne semble pas comprendre ce qu’il se passe entre lui et Potter.
— Bien. Très bien. L’enfant non plus. Miss Granger m’a fait état d’une recrudescence de brûlures provenant de la cicatrice, mais…
— Attendez… Vous utilisez ses amis pour l’espionner, Monsieur le Directeur ? Demanda stupéfait l’espion.
— Vous savez que je ne peux me risquer à croiser son regard. Je crains que ma présence ne rende le lien trop actif et que Voldemort ne comprenne et utilise celui-ci.
— Ce n’était pas ma question, Albus. Répliqua Snape d’un air entendu.
— Mon garçon, vous n’allez tout de même pas me dire que cela vous choque… ?
— Si… Enfin, non. A dire vrai, ce qui me choque, c’est que Miss Granger accepte ce rôle.
— Elle ne s’en rend guère compte. Assura le mage d’une voix posée. »
Le Professeur de Potions haussa un sourcil surpris. Voir le Directeur endosser si facilement l’habit du parfait Serpentard manipulateur le déstabilisait systématiquement. L’homme était pratiquement certain que Minerva ignorait tout des agissements de son icône. Elle ne le permettrait d’ailleurs en aucune façon. Ce qui impressionnait et dégoûtait tout à la fois Snape, était la formidable capacité du Directeur à prendre des décisions moralement discutables, tout en conservant sans mal son aura de gentil petit vieux. Face à lui se tenait le plus grand mage de ce siècle, et celui-ci le regardait avec innocence en se saisissant d’un inoffensif oréo. Une nouvelle fois, Severus remercia les moires d’avoir su donner à Dumbledore un destin dans la Lumière.
« Et où en est notre débutante ? Finit par ajouter l’adorateur de sucreries.
— Vous le savez parfaitement, Minerva a dû vous faire un rapport complet.
— Je ne parlais pas de ses progrès sur sa matière. Je vous demande si, selon-vous, elle est prête, Severus. »
Snape ne répondit pas immédiatement, réfléchissant longuement. Il regretta un instant que son mentor ne lui ait proposé du thé qui lui aurait offert une convenable diversion. Au lieu de cela, il était obligé de réfléchir ostensiblement devant lui, révélant qu’il échafaudait probablement une réponse de mauvaise foi. Le Directeur de Serpentard se décida finalement à aller droit au but :
« Autant qu’il est possible, je suppose. Finit-il par concéder. Toute la mythologie qu’on lui a créé semble être enfin apprise –non sans heurts.
— Je suppose que vos méthodes se sont avérées percutantes. Commenta Albus en abaissant son regard inquisiteur sur son cadet.
— Je vous avais dit que je trouverais bien une solution pour lui faire apprendre ! Tonna Snape avec fierté.
— Et verser dans le voyeurisme fait partie de ces méthodes, Severus ? Ajouta le mage, les yeux pétillants à présent de malice.
— Comm… ? Je ne vois pas de quoi vous parlez, Monsieur le Directeur. Tenta de se rattraper l’homme en noir en se maudissant intérieurement.
— Rassurez-vous, ce n’est pas Miss Smith qui m’a fait état de votre intérêt pour son hygiène. Lui répliqua Dumbledore devant un Snape qui s’étouffait désormais de honte. J’ai eu la visite, dans l’un des portraits de ce bureau, de la nymphe qui loge dans le cadre de sa salle de bain.
— Je ne vois toujours pas…
— Naturellement, mon garçon ! Je suppose que vous aviez autre chose en tête que la décoration des appartements de Jane ! » Se moqua gentiment le vieux Directeur.
Snape détourna les yeux en pinçant les lèvres, se refusant à tout commentaire sur cette histoire. Qu’il soit oral ou mental, d’ailleurs. Il évita soigneusement le retour mesquin de ses souvenirs et croisa les jambes d’un air qui se voulait résolument détaché.
« Toujours est-il qu’elle ne fera plus d’erreur ! » Cracha Severus d’un air boudeur en déclenchant un éclat de rire chez son aîné.
***
Appartements de Jane, 1er septembre, jour de la rentrée,
Elle se piqua une nouvelle fois avec l’épingle qu’elle tentait d’insérer dans ses cheveux. Ses mains tremblaient beaucoup trop pour la tâche précise qu’elle était en train d’effectuer. La langue coincée entre les lèvres, ses yeux plissés, et ses sourcils – épilés parfaitement pour l’occasion – résolument froncés, Jane inséra l’épingle, non sans se piquer le cuir chevelu au passage. Elle jura.
« Dire que je pourrais être accroché dans la chambre d’une vraie sorcière. Soupira pour l’énième fois son reflet.
— Oh ! Toi la ferme, hein ! On ne fait plus ces coiffures depuis que le Titanic a coulé !
— Oui… Les Moldus ont un goût tellement plus affiné en la matière ! Avec leurs chouchous, leurs pinces « croco »… Railla son double maléfique.
— Mais vas-tu te taire, à la fin ! » Maugréa la nouvelle enseignante en terminant son ouvrage.
Elle se redressa et recula de quelques pas pour admirer son œuvre. Jane, sous les conseils avisés de Minerva, avait opté pour une robe typée en satin vert olive, doublée de brocards orangés. Le corset qu’elle portait par-dessus la robe se détachait élégamment dans des tons bleutés. Ses pieds étaient moulés dans d’adorables escarpins, cachés par la longueur de son vêtement. Encore un conseil de sa Directrice Adjointe : paraître grande pour sa première impression. Jane était satisfaite du résultat. Son chignon restait en équilibre, et les épingles semblaient enfin décidées à retenir sa lourde chevelure. Elle avait l’air d’une sorcière tout à fait convenable, bien que la toilette la vieillisse. Jane fit la moue en se rappelant qu’elle affichait désormais ses trente-et-un ans.
« Tu as presque l’air membre du club ! Commenta le miroir. Dommage que tu ais de si grosses cernes !
— Oh, non ! » Se lamenta Jane en se rendant compte que l’affreux artefact avait raison.
Elle n’avait pu fermer l’œil de la nuit, incroyablement anxieuse à l’idée de prendre place officiellement dans le corps enseignant. Elle avait d’ailleurs abandonné toute idée de dormir lorsque le soleil s’était levé. A l’aube, la Moldue s’était activée, vidant l’intégralité de son armoire sur son lit pour sélectionner la tenue idéale. En cela, Minerva McGonagall avait été une véritable marraine la bonne fée ! La sorcière lui avait commandé de nombreuses robes sur-mesure, arguant que Jane pourrait faire ses propres choix lorsqu’elle serait habituée à la mode sorcière. Il y avait de nombreuses coupes : médiévales, romantiques, début du siècle,… Et les couleurs ! Et les tissus ! La Directrice des Gryffondors n’avait opté que pour des tons plutôt sombres, avec une ou deux touches de vie à ajouter dans la parure. Si Jane avait dû s’en remettre à Severus, elle se serait probablement retrouvée avec une ligne entière de robes noires, cintrées et aussi austères que l’homme. Elle se dit brièvement que le sorcier, s’il était présenté à Tim Burton, éclipserait illico presto Depp, pour devenir sa nouvelle Muse. Ou bien mourrait probablement des suites d’un sort bien placé, sous prétexte qu’il aurait tenté de maquiller Snape. Cette pensée eut le mérite de détourner l’attention de la jeune femme et de lui apporter un fou-rire agréable. L’horloge de son petit salon tinta sept fois, faisant sursauter l’habitante des lieux. Elle se précipita dans la pièce, se postant devant la pendule, comme pour s’assurer de l’heure. Oui, plus aucun repli de possible, dans un peu plus d’une heure les élèves débarquaient.
Cette idée la paniqua, et on frappa à la porte. Deux coups fermes, mais pas d’ouverture. « Minerva ! » pensa avec soulagement la jeune enseignante qui se pressa d’aller saluer sa collègue. La Directrice Adjointe se tenait effectivement dans l’encadrement, habillée d’une robe couleur sang de bœuf. Elle sourit à la jeune femme avant d’entrer pour l’examiner attentivement.
« Ma chère, c’est parfait ! Elégant, mais simple. Austère, mais accueillant ! Je vois que vous avez dompté vos boucles. Commenta la lionne avec un œil de connaisseuse.
— Oui ! Ce fut rude, mais j’y suis parvenue. Acquiesça la Moldue, soulagée.
— En revanche… Non, Jane, vous n’avez donc pas dormis ? S’exclama McGonagall en jetant un regard désapprobateur aux cernes de l’insomniaque.
— Je… Non. Je n’ai pas arrêté de penser à tout ce que je devais…
— Tutu-tut ! Ma fille, on ne se présente pas devant des élèves avec une mine défaite ! »
Disant cela, la sorcière tira sa baguette magique et la fit tournoyer légèrement. L’instant d’après, elle hocha la tête, et poussa Jane en direction de sa chambre pour qu’elle s’observe dans le miroir. A présent, l’enseignante avait un teint de porcelaine parfait, légèrement rosé aux joues, et toutes traces de ses déboires nocturnes s’étaient envolées. Une marraine la bonne fée ! La femme-félin attrapa sa jeune protégée par le bras et la ramena en direction de la porte.
« Prête ? Demanda-t-elle avec un grand sourire
— Non… Pas du tout… »
Et elles franchirent ensembles le seuil en direction de la Grande Salle.
***
Table des professeurs, quelques instants avant le plongeon,
Cela faisait quarante-cinq minutes que Jane était coincée entre Minerva qui babillait avec Dumbledore, et Severus qui tentait d’ignorer Ombrage à ses côtés. La jeune femme avait rencontré l’ensemble de ses collègues de travail. Elle s’était prise d’affection pour Flitwick, avait grandement apprécié les conversations avec le Professeur Chourave, n’avait strictement rien compris aux élucubrations de Trelawney – qui lui avait par ailleurs prédit une grande romance se soldant par une mort tragique – et avait instinctivement haï l’envoyée du Ministère, après que celle-ci lui ai parlé pendant deux heures durant des chats, des chatons, et autres félins tout mignons.
Manifestement, il était de coutume que les Professeurs se réunissent en avance dans la Grande Salle pour prendre un gigantesque apéritif préparatoire. Jane soupçonnait d’ailleurs ses collègues d’user de ce prétexte pour boire un bon coup avant le retour des « terreurs ». Depuis quelques minutes, les discussions allaient bon train sur le dos des étudiants. Chacun parlant des dernières frasques de leurs bambins, ou évoquant les pires atrocités vues dans les copies. L’écrivain se gardait bien de se mêler de leur conversation, de peur de se trahir. Elle optait donc pour la fuite en avant, à grands coups d’hydromel. Elle allait se resservir ce qui était son cinquième verre, lorsqu’une main pâle se posa sur la sienne pour l’en empêcher. Braquant un regard courroucé en direction de l’imprudent, elle fit face au Professeur de Potions qui affichait un rictus méprisant.
« Bien que vous voir mourir d’une cirrhose du foie me débarrasserait probablement de votre présence, je tiens à vous signaler que vous avez cours demain ! Murmura-t-il en savourant ses mots.
— Ce n’est que de l’hydromel, Severus, je me sens parfaitement bien ! Contra Jane en repoussa d’une pichenette la main du Potionniste et en se servant.
— Ne comptez pas sur moi pour vous fournir en potion contre la gueule de bois… Avertit-il.
— Je n’ai pas besoin d’un deuxième papa pour me chaperonner, je suis adulte !
— Cela ne risque pas, vous êtes beaucoup trop vieille pour être ma fille. Répliqua sournoisement l’espion avec un sourire goguenard.
— Vous savez ce qu’elle vous dit la vieille fille… ? » Commença Jane avant d’être interrompue par l’arrivée des élèves.
La salle devint soudainement bruyante alors que les portes déversaient sa marée d’adolescents. De la deuxième à la septième année, les jeunes pensionnaires entraient, prenant rapidement place à leurs tables respectives. Nombre se saluait, faisait quelques commentaires les uns sur les autres. Certains s’interrogeaient déjà sur leurs vacances, d’autres encore jetaient des regards intrigués à la table des professeurs où figuraient trois nouvelles têtes. Le son monta encore de quelques décibels, se muant en cacophonie désagréable qui fit vriller les tympans de la pauvre brune.
« Et encore… Ils sont calmes. » Commenta Severus d’un air sombre.
Il se renfrogna soudainement lorsqu’un court silence interrompit ce brouhaha. Beaucoup de têtes se tournèrent en direction de l’entrée, et un murmure traversa la salle, rapportant des messes-basses diverses. Dans l’encadrement des double-porte, un trio se détachait, mis à l’écart par la masse. Jane distingua une touffe de cheveux roux, une crinière broussailleuse, et une salade d’épis de jais. S’avançaient donc en direction de la table des Gryffondor, Messieurs Potter et Weasley et Miss Granger.
« Et c’est parti pour cent quatre-vingt-quatorze jours de torture. Se lamenta le Professeur de Potions. Vous verrez, Jane, demain soir, vous me supplierez de vous donner le décompte avant les vacances de Noël ! »