Bureau d’Albus Dumbledore, 15h,

Lorsque le vieux Directeur revint s’asseoir à sa place, il observa le manège de ses deux interlocuteurs. Dire qu’il régnait entre eux un malaise était un doux euphémisme. Severus et Jane avaient tous deux reprit leur place, chacun se penchant du côté opposé à l’autre, de façon à maintenir le plus de distance possible entre eux. Naturellement, les deux collègues prenaient garde de ne pas croiser leur regard. Albus ignorait tout de leur altercation, bien qu’il se doutât que la jeune femme eût tenté d’en découdre en privé avec son égal. Il l’avait vu s’éclipser, peu avant d’entrer dans la Grande Salle, pour finalement ne venir au repas avec une dizaine de minutes de retard et un regard vide d’émotion. De toute évidence, la discussion ne s’était pas déroulée comme elle l’espérait, et l’attitude raide de son protégé étayait ses doutes. C’est donc avec une certaine lassitude qu’il s’assit dans son grand fauteuil directorial, non sans un craquement sinistre d’articulations. Il leur proposa du thé et du café, mais aucun d’eux ne daigna répondre intelligiblement. Jane secoua la tête, étrangement muette, et Severus se contenta d’un grognement à faire pâlir d’envie un géant. Tout en se servant une pleine tasse, le Directeur jeta un regard par-dessus ses lunettes à ses deux invités. Jane était pâle, comme ballottée dans une tempête – ce qu’elle était, en fin de compte. Quant à Snape, ses lèvres étaient tellement pincées que sa bouche ne dessinait plus qu’une fine ligne à peine rosée. Albus soupira, la discussion allait être compliquée.

Il prit cependant son temps, saisissant précautionneusement un carré de sucre qu’il laissa tomber en un « ploc » dans son café. Toujours concentré, il touilla avec soin le contenu de sa tasse comme s’il s’agissait d’une potion importante. Enfin, il finit par essuyer sa cuillère sur le rebord du récipient, en silence, sans laisser une seule goutte glisser sur la coupelle. Les seuls bruits rompant le silence provenaient des divers instruments présents dans le bureau du Directeur. Celui-ci regretta amèrement que son phénix soit absent, sa douce voix aurait peut-être permis d’apaiser les tensions. Mais il ne pouvait compter que sur sa légendaire diplomatie. Albus but quelques gorgées, avant de s’éclaircir la voix :

« Mes enfants, il nous faut poursuivre cette conversation. »

Les deux « enfants » opinèrent du chef sans piper mot, et le vieux Directeur commença à se trouver soudainement épuisé. Il ne se laissa pas pour autant démonter, et décida de continuer, quitte à verser dans le monologue.

« Comme je vous l’expliquais en matinée, Miss Smith, vous allez reprendre la classe d’Etude des Moldus à la rentrée, faisant suite à la démission de notre ancien Professeur. »

Il marqua une pause, s’attendant à une question de la part de la jeune femme. N’en voyant aucune, il poursuivit.

« Lorsque vous m’avez demandé la raison de sa démission, je vous ai parlé de Voldemort. Je suppose qu’un esprit aussi vif que le vôtre a dû comprendre qu’il y avait un lien… ? »

Toujours aucune réponse. En revanche, Severus se fendit d’un reniflement dédaigneux. Le mage se retint de soupirer et bu une nouvelle fois du café. Il scrutait avec attention Jane, cherchant à déterminer si elle écoutait ou non. Celle-ci finit par relever les yeux vers lui :

« L’ancien Professeur avait peur qu’il ne lui arrive quelque chose du fait de sa fonction… ? Tenta faiblement l’écrivain.

— C’est cela, Miss. Mrs Burbage sait que cette matière déplaît fortement à Voldemort et à ses partisans. Bien que Poudlard soit parfaitement sûr, elle craignait tout de même pour sa vie.

— Je ne comprends pas Professeur Dumbledore… Pourquoi me confier cette classe au lieu d’annuler tout simplement cette matière ? Demanda Jane.

— Mais parce que j’ai l’intention de la rendre obligatoire pour toutes les années, Miss. Répondit le Directeur avec un regard entendu. »

Snape toussa fortement, comme s’étouffant avec sa propre salive, avant de jeter à son mentor un regard interloqué :

« Albus, vous n’y pensez pas ?!

— Evidemment que si, mon garçon. J’y pense, J’en parle, et Miss Smith mettra en œuvre.

— Et comment comptez-vous faire avaler la pilule au Ministère et aux familles de Sang-Pur… ? Poursuivit Snape d’un air de défi.

— Severus, bien que le Ministère ait son mot à dire, je reste le Directeur de Poudlard et certains choix demeurent à ma discrétion.

— Monsieur le Directeur, Commença Snape d’une voix doucereuse, Bien que je ne doute absolument pas de votre formidable capacité de persuasion, je crains tout de même qu’il n’y ait un certain blocage.

— Non, pas. A la vérité, le Ministère a déjà été forcé de s’incliner.

— Et par quel heureux prodige… ?

— Ils souhaitent m’imposer un Professeur de Défense contre les forces du Mal. J’ai simplement fait un échange. Répliqua Albus avec amusement.

— Et tout cela en 24h… ? Charity ne vous a remis sa démission que hier matin ! Protesta, stupéfait, le Directeur de Serpentard.

— Eh oui… Vous l’avez dit, j’ai une « formidable capacité de persuasion ». Pouffa le vieux mage. »

Snape ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose d’autre, mais décida de la refermer. Il ne savait pas ce qu’Albus avait pu négocier, menacer – l’air de rien –, ou échanger, mais le potionniste ne préférait finalement pas le demander. Le vieux sorcier, sous ses airs d’enchanteur pacifiste, était le plus grand manipulateur qu’il ait jamais connu, et Severus avait compris depuis belle lurette que Dumbledore aurait été un mage noir autrement plus dangereux que Voldemort. S’abîmant dans cette réflexion, Snape se désengagea momentanément de la conversation, laissant à la jeune femme l’opportunité de demander :

« Vous dites que toutes les années vont devoir avoir cours avec moi… ? Même ceux qui n’avaient pas pris la matière avant ?

— C’est exact. A ce propos, pour des raisons évidentes d’emploi du temps, vos classes se feront année par année.

— Je ne vous suis pas.

— Toutes maisons confondues. Chaque cours regroupera l’ensemble des étudiants d’une année en particulier.

— Enfin, Albus ! Intervint Snape en revenant soudainement parmi eux. Vous croyez réellement que l’on peut faire un cours à autant d’élèves en même temps, faisant fi des rivalités inter-maisons, un cours imposé qui plus est, sujet à polémique ; le tout, sans jamais avoir enseigné ?

— Je ne crois pas que vous puissiez le faire, en effet Severus, mais j’ai toute confiance en Miss Smith. Répliqua le Directeur avec un sourire amusé.

— Et pourquoi, moi, serai-je incapable de relever le défi ? Demanda Snape affreusement vexé.

— Parce que vous encouragez ces rivalités, Severus. Jane, elle, n’aura aucun a priori et saura donc faire preuve d’équité. »

L’ancien Mangemort resta sans voix. C’était bien la première fois que le Directeur lui reprochait officiellement sa politique d’enseignement. Par ailleurs, il doutait fortement que la jeune femme soit capable de tenir tête à autant d’adolescents stupides et bourrés d’hormones. Ne trouvant aucune réplique cinglante suite à la basse accusation, il se renfrogna davantage, bien décidé à montrer qu’il n’était pas convaincu. Jane se tortilla sur sa chaise en fronçant les sourcils.

« Monsieur le Directeur… Le Professeur Snape a raison : je n’ai jamais fait cours, je ne les connais pas non plus, et… Il faut admettre que cette matière doit être délicate à enseigner actuellement.

— Délicate ? Non, Miss. Dangereuse, polémique, épuisante peut-être, mais délicate n’est pas le mot. Précisément parce que nous sommes en guerre. Offrit Albus en réponse avec un air entendu.

— Mais alors, pourquoi… ? » Jane s’interrompit, réfléchissant intensément avant d’ouvrir de grands yeux apeurés.

« Vous voulez faire de ce cours une arme contre Voldemort ! Clama-t-elle

— Continuez, Miss. Acquiesça Albus, les yeux intensément brillants.

— Le cours aurait pour but de faire découvrir la culture moldue, leur mode de fonctionnement, peut-être même leur faire réfléchir et dialoguer à ce sujet… C’est une opportunité en or de parler de Politique et de Société avec ces jeunes en fin de compte, loin de leurs familles ! C’est redoutablement intelligent, Monsieur le Directeur !

— Merci, Jane, je suis ravi de constater que votre sens de la déduction fait honneur à votre ancêtre.

— Pardonnez-moi d’interrompre cet échange de compliments inopportuns, Intervint Snape avec lenteur, Mais c’est surtout une idée ridiculement utopique ! Albus, vous croyez réellement que cette bonne femme va réussir à changer les mentalités de ces gosses ? Non. Ne répondez pas. Vous croyez que l’Amour est la clef de tout, je connais donc déjà votre propension à la féerie.

— Mon garçon, l’Amour est une des clefs. La connaissance également. Nous le voyons tous les jours avec la Gazette : l’ignorance fait la force de notre Ennemi. En leur faisant découvrir autrement ce que ces jeunes craignent, Jane pourrait bien les aider.

— Fantastique, nous y sommes, le sucre aura fini par détruire ce qu’il vous restait de… »

Snape s’interrompit brusquement, une grimace déforma un instant son visage avant qu’il ne redevienne lisse. Le Professeur agrippait les accoudoirs de son fauteuil à s’en faire blanchir les jointures. Albus le regarda, visiblement inquiet, et Jane observait la scène sans comprendre.

« Est-ce que… ? Demanda le Directeur à mots couverts.

— Oui. »

Une ombre sembla alors passer au-dessus de leurs têtes, rendant l’air rare et glacial. Jane s’apprêta à faire une réflexion lorsqu’elle fut interrompue par le mage :

« Soyez prudent, mon enfant. »

Severus ne répondit pas et se leva, raide, avant de partir à grandes enjambées en direction de ses appartements. Lorsque la porte se referma sur lui, l’écrivain jeta un regard d’incompréhension à son supérieur, qui déclara :

« Il me faut vous expliquer certaines choses concernant Severus Snape. »

***

Little Hangleton, Manoir Jedusor,

Il passa le portique du domaine, remontant l’allée pavée de la demeure des Jedusor. Arrivée devant l’imposante porte en chêne massif, il se saisit du heurtoir, et frappa deux fois. Dans un grincement, la porte coulissa sur elle-même révélant un hall immense plongé dans le noir. Habitué des lieux, il remonta le double-escaliers et se dirigea immédiatement dans la grande salle de réception. Au seuil de la pièce fermée, il reprit son souffle, recomposa une expression neutre sous son masque, et frappa une fois, avant de franchir le pas. La pièce était faiblement éclairée par une immense cheminée typée XIXème siècle. Les grandes fenêtres étaient cachées par d’épais rideaux de brocart défraîchis. Dans un coin de la salle, étaient entassés une grande table de réception avec son lot de chaises. Son regard glissa immédiatement sur l’imposant fauteuil qui faisait face à l’âtre. Severus mit un genou à terre, gardant le dos droit, courbant néanmoins l’échine. C’est d’une voix ferme et posée qu’il salua l’habitant des lieux.

« Maître. »

Un sifflement désagréable lui répondit, tandis qu’un gigantesque serpent rampait en sa direction, s’amusant à faire le tour du Mangemort mal à l’aise. Snape garda son sang-froid, notant mentalement qu’il était le seul à être appelé.

« Tu as mis beaucoup de temps pour venir jusqu’à moi, Severus… Gronda Voldemort d’une voix glaciale.

— Pardonnez-moi, Maître.

— Sais-tu pourquoi je te fais mander, Severus ?

— Je l’ignore, Maître.

— Tu n’en n’as pas la moindre idée…. ? Demanda doucement le mage noir en se délectant du malaise qu’il créait chez son serviteur.

— Vous avez une tâche à me confier, Maître… ? Proposa le potionniste d’une voix toujours posée.

— Non, Severus. Je veux t’entretenir à propos d’Harry Potter. »

Sous son masque, Snape fronça les sourcils, ne comprenant décidément pas où il voulait en venir. Il se demanda brièvement si le mage ruminait les événements du cimetière, avant de chasser ces pensées de son esprit, s’obligeant à n’avoir qu’une forte volonté de plaire en tête. Le fauteuil pivota de trois-quarts, révélant Voldemort qui scrutait intensément l’homme avec un regard empli d’avidité. Nagini cessa son ballet pour aller se lover aux pieds du Fourchelangue.

« Approche, Severus. »

L’homme s’empêcha de déglutir et obéit, s’agenouillant cette fois-ci tout près du reptile. Il gardait la tête baissée, en signe de soumission, mais commençait à redouter la suite. D’un mouvement rapide de la baguette, Voldemort retira le masque de Snape, puis il se pencha légèrement en avant pour forcer l’homme à relever le menton avec le bout de l’instrument, et ce, jusqu’à ce que leurs yeux se croisent.

« Severus… Commença le mage d’une voix dangereusement sifflante. Pourquoi m’as-tu rapporté une prophétie incomplète ?

— Maître, je…

— Endoloris. »

Snape tomba au sol, dans un gémissant étouffé. Le sort résonnant dans tout son être. La douleur le força rapidement à se recroqueviller sur lui-même, et il peinait à s’empêcher de crier. Il endura, sachant pertinemment que lorsque son Maître était dans une telle colère, il était inutile de le supplier. Voldemort maintint le sort pendant trois minutes, durant lesquelles il prit un plaisir certain à ressentir la douleur de son serviteur. Il finit néanmoins par relever sa baguette, laissant un instant de répit au potionniste.

« Tes gémissements ne constituent pas une explication, Severus.

— Je… Han ! Maître. Je vous ai rapporté immédiatement tout ce que j’avais entendu.

— Trop immédiatement ! Cria le Fourchelangue d’une voix suraigüe. De toute évidence, il y a eu une suite !

— Je ne comprends pas, Maître. Dumbledore n’a jamais…

— S’il ne l’a jamais évoqué devant toi, c’est qu’il ne te fait peut-être pas autant confiance que tu me le l’assures ! A moins que tu n’aies été au courant avant ce soir…

— Maître, jamais je ne…

— Regarde-moi, Severus. Ordonna Voldemort. »

L’homme ne put qu’obtempérer, dissimulant au plus profond de lui ses craintes d’être découvert. Ses capacités d’Occlumens hors-normes lui permirent de plonger son regard d’obsidienne dans les yeux écarlates de son vis-à-vis. Les pupilles du mage noir se rétrécirent encore, devenant une simple ligne verticale, tandis que ses narines frémissaient. Snape sentit l’intrusion brutale dans son esprit, et laissa transparaître toute la docilité, la crainte et le respect qu’il se devait de manifester. Le souvenir de l’entretien de Trelawney lui revint en tête en filigrane, à mesure que son Maître fouillait impitoyablement sa mémoire en quête de réponses. La pression se relâcha soudainement, et le Professeur put enfin respirer normalement.

« Je te crois. Finit par concéder Voldemort. Il est même probable que le vieux fou n’en ait parlé qu’aux Potter… QUEUDVER ! Hurla-t-il. »

De l’ombre, sortit l’Animagus, tremblant, et plus misérable que jamais. Il se rapprocha en claudiquant, le visage tordu dans une expression larmoyante.

« Oui, Maître, mon bon Maître. Balbutia le petit homme d’une voix mielleuse.

— Silence ! Regarde-moi ! »

L’ancien Maraudeur s’exécuta en frissonnant. Severus le vit, non sans satisfaction, blêmir durant le processus. Peter finit par retomber mollement au sol, se prosternant devant le mage en se confondant en excuses.

« Manifestement, les Potter ne t’ont jamais parlé de cette prophétie, Susurra Voldemort, Je commence à me demander lequel des deux m’est le plus inutile… »

A ces mots, Pettigrow se recroquevilla au sol en balbutiant derechef, alors que Snape se raidit. L’atmosphère alors étouffante de la pièce devint soudainement polaire. Le Directeur de Serpentard déglutit discrètement avant de proposer :

« Dumbledore ne peut l’avoir gardé avec lui. Même lui est obligé de se soumettre à la Loi. La prophétie doit être à sa place.

— Mmmh. Je vois que tu viens de répondre à ma question, Severus, c’est très bien ! Tu me déçois Queudver, je croyais que tu aurais à cœur de défendre ta maigre utilité…

— M-Maître…

— Disparais sur-le-champ.

— Oui, Maître. Merci, Maître. »

Le petit homme ne se fit pas prier et repartit avec force de courbettes et de remerciements, tout à son soulagement d’avoir évité un Doloris. Il referma la porte doucement, laissant alors les deux sorciers se faire face. Voldemort renifla d’un air dédaigneux en caressant la tête de Nagini.

« Continue de me prouver que tu es utile, Severus… A quel endroit penses-tu ?

— Au Département des Mystères, Maître. »

***

Bureau d’Albus Dumbledore, 19h,

Jane était postée près de la fenêtre du bureau du Directeur, perdue dans ses pensées, une cigarette allumée à la main. Elle était profondément reconnaissante au vieil homme d’avoir accepté qu’elle fume dans cette pièce. Dire qu’elle était chamboulée par les révélations qu’il lui avait faites aurait été un mot un peu trop fort. Non, elle était perplexe. Elle avait beau savoir que ce monde était en proie à une violente guerre, qu’il faisait face à une grande menace, et que Snape n’était probablement pas un enfant de cœur ; Jane n’arrivait pourtant pas à saisir pleinement ce que tout ceci impliquait. Après tout, elle avait vécu toute sa vie dans une société paisible. Injuste, et impitoyable, mais en paix. La jeune femme avait parfaitement capté le sous-entendu du mot « Mangemort », comprenant que c’était un synonyme parfait pour les mots tels que « meurtrier », « bourreau », et peut-être même « violeur ». Mais, même en faisant preuve de lucidité, Jane ne ressentait pas le moins du monde du dégoût ou de l’horreur à l’égard de son collègue. Non pas pour une quelconque raison sentimentale. Non. Parce qu’elle n’arrivait tout simplement à concevoir concrètement la réalité de ces personnes-là. Et, même si le Professeur de Potions l’avait fortement malmenée, même s’il lui avait donné des frissons d’effroi dans la matinée, elle restait encore très loin de ce que cet homme pouvait être. L’écrivain tira longuement sur sa cigarette, méditant sur ce que tout ceci lui inspirait. En recrachant sa fumée, elle arriva à une conclusion : la vie de Severus Snape était vraiment plus pourrie que la sienne.

Albus regardait la Moldue avec attention, scrutant essentiellement son visage pour y voir passer différentes émotions. Il la trouva touchante dans cette posture : vulnérable, tenant de comprendre quelque chose qui la dépassait. Le Directeur décida de faire apparaître une bouteille d’un très bon Hydromel et deux verres. Le bruit tira la jeune femme de sa rêverie, et elle offrit un sourire franc au mage, occupé à les servir. Jane tapota sa cigarette sur le rebord de la fenêtre, tandis qu’Albus se leva de son siège pour lui donner un verre avant de s’asseoir négligemment sur son bureau.

« Vous ne m’avez pas questionné sur ma confiance envers Severus, Miss…

— Depuis notre première rencontre, il est évident qu’il est votre homme, Monsieur le Directeur.

— Mon homme… Répéta le mage d’un air pensif. Qu’entendez-vous par là ?

— Je ne parle pas d’un homme de main, je parle d’un soldat. D’un agent spécial, même. Ajouta-t-elle après une nouvelle bouffée de nicotine.

— Et vous, vous avez confiance en lui, Miss… ? » Demanda Albus en murmurant presque.

Jane but une gorgée d’Hydromel en fronçant les sourcils. Excellente question : est-ce qu’elle avait confiance en l’espion… ? Elle repensa à leur rencontre, au trajet en train, à toutes les répliques acerbes qu’il lui avait faites, à leurs altercations de la matinée… Elle se remémora également toutes les réponses qu’il lui avait apportées, le temps qu’il lui avait consacré, ainsi que son bras autour de sa taille pour l’empêcher de tomber lamentablement au sol à son arrivée à Poudlard. Et puis, elle pensa à Merlin. Merlin qui trouvait la vie au château tout à fait plaisante et qui avait immédiatement adopté l’homme en noir. Maintenant qu’elle y songeait, Snape avait bien été le seul mâle à entrer dans son appartement que Merlin n’avait pas snobé ou griffé, sur lequel il n’avait pas feulé, ou uriné. Et pourtant, de tous les hommes à être entrés chez elle, Snape était probablement le plus désagréable, froid et revêche. Jane but une nouvelle fois, en comprenant deux choses : d’une part, Merlin était un « psycho-sur-pattes » qui aimait les sociopathes, d’autre part, Severus n’était pas quelqu’un dont on devait se méfier.

« Je crois que… » Commença-t-elle par répondre en choisissant ses mots. « Je crois que le Professeur Snape n’est pas quelqu’un de bon. Mais il n’est pas non plus quelqu’un de mauvais. Je crois qu’il est capable du pire, mais également du meilleur. Il me terrifie, et m’intrigue, tout à la fois. Il est impitoyable, mais fort… » Jane s’interrompit un instant, avant de reprendre. « En fait, si je voulais vous répondre le plus honnêtement possible, Monsieur le Directeur, je dirais qu’il me fait l’effet inverse de vous : j’ai étrangement confiance en les deux. Peut-être suis-je optimiste, je ne sais. Mais ce qui est fascinant, c’est que Severus semble être quelqu’un sur qui l’on peut compter sous ses airs de Mangemort, alors que vous, vous semblez être quelqu’un de dangereusement calculateur, sous vos airs de grand-père. »

Albus haussa fortement les sourcils devant la déclaration de la jeune femme, manquant de s’étouffer avec son breuvage. Jane sembla s’en rendre compte et lui offrit un sourire d’excuses, qu’il balaya d’un geste de la main apaisant. Il n’était pas en colère, ni vexé, mais intrigué. Particulièrement curieux de voir ce bout de femme lui parler ainsi de lui et de son protégé. Il sourit, ce qui sembla rassurer la demoiselle, avant de prendre la parole :

« Vous êtes étonnante, Miss. Vous êtes en train de me dire que vous n’avez à la fois aucune raison de nous faire confiance, et qu’à la fois que vous le faites tout de même.

— Si l’on est pragmatique, Monsieur, on se rend compte que je devrais me méfier de tout et de tout le monde ici. N’importe qui avec une baguette serait en mesure de me faire n’importe quoi.

— C’est vrai. Admit le Directeur avec un sourire.

— Je pourrais aussi être « du mauvais côté », si l’on se penche sur la question. Après tout, rien ne me dit que vous n’êtes pas « le vilain de l’histoire ».

— En effet.

— Mais le fait est que j’ai déjà fait un choix en vous accompagnant, et que jusqu’à présent, il semble être le bon. Severus ne m’a pas attachée à un poteau, et vous n’avez toujours pas réussi à m’empoisonner avec vos bonbons. Et, même si je n’ai pas toutes les cartes en main, j’ai toujours fait confiance à mon instinct. »

Jane ralluma sa cigarette, la termina, et la jeta par la fenêtre avant de se tourner pleinement vers le Directeur avec un air sérieux qu’il ne lui avait jamais vu :

« De toute façon, ce n’est pas comme si j’étais en mesure de faire autrement pour le moment.

— Vous êtes d’un rare pragmatisme, mon enfant. » Conclu le vieil homme en souriant.