Achronique

Vigilance Constante

Comme attristé par les malheurs survenus durant la nuit, le château de Poudlard se murait dans un silence mortuaire quasi total. Les portraits allaient et venaient, racontant aux uns et aux autres ce qu’ils n’avaient pu voir ou entendre de leurs propres oreilles peintes. L’air ambiant était glacial, la flamme des torches tremblotait d’une lueur blafarde et maladive. Les escaliers magiques, habituellement facétieux, se contentaient de délivrer le bon chemin aux habitants, et les fantômes ne se montraient guère, si ce n’est pour afficher une mine préoccupée.

Élèves et Professeurs n’ayant pas eu connaissance des événements ne pouvaient ignorer que quelque chose de grave s’était produit. Une lourdeur régnait sur les lieux, une sorte de voile mortuaire se posait sur les esprits, les rendant instinctivement moroses et mélancoliques. Et lorsque le ballet des hiboux se fit au petit-déjeuner, lorsque la Grande Salle s’ébroua pour se rendre compte de l’absence d’Harry Potter, et d’un certain nombre de Professeurs et d’autres élèves… Lorsque La Gazette du Sorcier, Le Veritascriptum et même le Chicaneur furent distribués et lus ; plus personne n’ignora que durant la nuit, le village tout entier de Godric’s Hollow avait été décimé.

C’est dans cette ambiance délétère que Jane Smith marchait à grands pas d’un air profondément déterminé, malgré des cernes d’un violine jamais atteint auparavant. Drapée dans une superbe robe noire austère à col haut, de grandes bottes de cuir épais claquant au sol furieusement, la Moldue ressemblait à une héroïne de vieux romans anglais. Une héroïne forte et indépendante, destinée à changer radicalement le cours d’une histoire. Une héroïne qu’elle n’était pas. Malgré sa coiffure qui retenait ses premières mèches en arrière, laissant sa crinière tomber en boucles dans son dos. Malgré le joli peigne en argent qui relevait le tout… Malgré ces artifices, la jeune femme n’était pas plus forte que la veille. Mais elle parvenait à donner le change. Et après tout ce qui s’était passé, après sa nuit blanche entrecoupée de courses-poursuites, de révélations, de rapports macabres, de Mangemorts, de destin du monde Magique ; après tout ceci, elle tirait une certaine satisfaction à avoir réussi à se lever, s’habiller, déjeuner…  Et c’est ragaillardie par sa propre résilience qu’elle arriva devant la porte en métal brossé sans rougir.

Mais quand elle fixa son regard sur le serpent gravé d’argent, Jane hésita un instant. Elle resta devant la porte une ou deux minutes, puis, quand son esprit épuisé s’évada dans les souvenirs des pleurs d’une élève le matin même à la découverte de la Presse, Jane cogna deux fois d’un geste qui ne souffrait aucun tremblement. Elle attendit. Un certain temps. Trop pour que son courage ne s’étiole pas quelque peu, mais quand la porte s’ouvrit et qu’elle croisa le regard las de son ami, sa résolution n’en fut que plus forte.

« Que me voulez-vous ? lui demanda-t-il sans s’embarrasser de politesse.

— Je peux entrer ?

— Non. Peu importe ce dont il s’agit, ça ne peut attendre demain ?

— Non. » Répliqua-t-elle aussi laconiquement qu’il venait de le faire.

Elle s’attendait à se faire envoyer sur les roses, mais peut-être pas à ce qu’il laisse autant transparaître une fatigue. Une nouvelle fois, sa décision se renforça, et Jane posa une main sur la porte pour s’y appuyer voulant montrer qu’elle prendrait le temps qu’il faudrait pour qu’il la laisse passer. Severus grimaça, mais il disparut dans l’embrasure et Jane en profita pour s’y engouffrer avant qu’il ne change d’avis.

Les restes d’un feu crissaient doucement sur des bûches incandescentes et écarlates. Ça donnait à la pièce une lumière très sombre et brûlante, quelque peu mystique. Snape se repliait littéralement dans une atmosphère romantique…

« Voilà, satisfaite ? » Lui demanda-t-il en soupirant d’agacement dans son cou.

Jane sursauta, et s’écarta vivement, très mal à l’aise en ayant un souvenir de la veille se superposant brièvement au présent. Elle ne répondit pas immédiatement et se réfugia près de la cheminée, où elle attrapa le tisonnier qui pendait à côté de l’âtre, et elle se pencha en donnant quelques coups dans les bûches pour les aérer. Quand une flamme vive et joyeuse s’éleva du bois presque entièrement carbonisé, elle ferma les yeux de soulagement et se retourna lentement en direction du Sorcier pour lui répondre. Mais sa voix mourut lorsqu’elle le vit.

Les pieds chaussés dans de grandes pantoufles épaisses, le corps drapé dans une robe de chambre élégante et cintrée qui laissait entrevoir au col un pyjama en lin, qui lui-même laissait entrevoir au col…

« Smith, que croyez-vous faire au juste ?

— Je me demande si vous n’avez que le haut du torse poilu, ou si vous avez…

Pardon ?

— Je ne m’attendais pas à vous cueillir au saut du lit, Severus, se reprit-elle. Il est treize heures et…

— Et je n’ai pas dormi, la coupa-t-il.

— Je sais que je tombe mal, mais…

— Écoutez, je n’ai pas envie de parler de ce qu’il s’est passé hier, ni même de ce que vous avez vu, ni de la statue, ni de ce que j’ai fait, ni de rien… Ne me faites pas ça, Jane. Je vous ai sauvé la vie, oui. Mais n’en tombez pas amoureuse pour autant. »

Il avait dit cela avec tant de froideur et d’agacement que la Moldue écarquilla les yeux, sous la brutalité,  avant de rougir d’une sourde colère. Elle se redressa rapidement et pointa le tisonnier dans sa direction d’un air menaçant.

« Je ne suis pas une gamine dans ce genre ! asséna-t-elle d’une voix dangereusement calme. Ne vous avisez jamais plus de me prendre de haut sur ça, ou de…

— Je n’ai aucune envie d’une scène au réveil, Smith.

— … Ou de me manquer de respect sur la question des sentiments. De quel droit me parlez-vous sur ce ton ? Qu’est-ce qui vous permet de me dire un truc pareil ? » Continua-t-elle en s’approchant lentement de lui, le tisonnier en main.

Il la gratifia d’une œillade insondable avant de tourner la tête en direction de la porte pour la chasser, mais le masque se fissura lorsqu’elle haussa le ton en même temps qu’elle l’obligeât de la pointe du tisonnier à croiser le regard à nouveau :

« Je vous parle, Severus, regardez-moi ! Aie-je une tête à fondre au premier homme venu qui me sauverait ? »

L’espion cligna des yeux, choqué qu’elle ose lui parler et agir ainsi. Il tenta de s’emparer du tisonnier d’un geste habile, mais se prit un coup sec sur la main qui le rappela à l’ordre, et Jane le garda au bout de sa tige avec une autorité qu’il ne soupçonnait pas. Il fronça les sourcils, puis tendit le bras pour écarter le l’objet et pivota sur lui-même. Jane fit une arabesque avec son sabre improvisé pour chercher à parer le bras qui lui arrivait, mais trop tard. L’espion avait un entraînement qu’elle n’avait pas, et elle se retrouva rapidement désarmée et bloquée par dans une étreinte puissante qui lui maintenait ses bras contre ses cuisses. L’espion l’enserrait, le torse contre son dos, le visage contre le sien. Mâchoire contre mâchoire, elle vibra tout entière quand sa voix profonde résonna dans leurs deux corps.

« Non, répondit-il lentement contre elle. Mais au premier meurtrier venu, peut-être… »

Il détendit sa prise, assez pour qu’elle redresse les bras et enserre à son tour celui qu’il passait autour de son ventre. Jane posa la main sur la sienne, et elle sentit le Sorcier tressaillir contre son visage, hésitant manifestement lorsqu’elle tourna la tête dans sa direction. Mais il se détendit et sourit quand il sentit son autre main caresser celle qui tenait le tisonnier et esquiva le vol en se reculant avec l’arme avant de prendre une posture martiale et de pointer le bout de l’acier dans la direction de la Moldue.

« Bien tenté. Vous venez pour cela ?

— Non, je n’avais pas prévu de faire des câlins ou des passes d’armes. »

Jane sourit et se rapprocha de l’âtre pour retrouver un peu de distance entre eux. Elle lui lança un regard grave et ouvrit un instant la bouche, mais il la coupa d’un mouvement de la tête. Elle n’aurait pas les excuses attendues. La jeune femme inspira longuement, agacée, et changea de sujet :

« En réalité, je voulais vous proposer de venir avec moi. Je vais à Pré-au-Lard récupérer un truc particulier pour mon cours et je voulais que vous m’accompagniez.

— Pourquoi ? Si c’est une question de sécurité…

— Vous êtes à ce jour le mieux placé, le coupa-t-elle d’un air entendu. Mais ce n’est pas ça. Je me suis dit que ça pourrait nous faire du bien d’aller boire un verre ensemble après tout ça. »

L’homme en noir la regarda avec un air de profonde surprise accroché au visage. Il ne paraissait pas savoir comment réagir, et finalement il avança vers la cheminée pour suspendre le tisonnier au bout de son clou. Le feu mourant projetait une lumière qui découpait plus que jamais son profil et donnait à son nez la courbure qui terrorisait tant les jeunes élèves. Il donnait aussi à son regard cette lueur qu’elle lui avait vue la veille, et la Moldue souffla doucement en voyant cela. Severus arqua un sourcil en l’entendant, et se moqua :

« Vous soupirez en m’observant, maintenant, Jane ?

— C’était moins romantique qu’inquiet. Bon ! se tourna-t-elle vers lui décidée. Vous êtes d’humeur taquine… Je vous laisse trente minutes pour vous habiller, après quoi je pars sans vous.

— Pourquoi voulez-vous que je vienne au juste ?

— Parce que nous ne sommes pas obligés à chaque fois de nous faire imposer des excuses pour nous fréquenter ni de risquer nos vies… On peut aussi décider de faire comme bon nous semble. »

Elle tapota son bras avec dynamisme, comme pour l’enjoindre à s’activer lui aussi, et traversa la pièce à grandes enjambées. Avant qu’elle ne disparaisse derrière la porte, l’homme en noir l’interpella :

« Qu’est-ce que vous allez chercher là-bas, déjà ?

— Un ordinateur. »

 

 ***

Harry se mâchait la lèvre d’un air inquiet en lisant la lettre qui lui était adressée. La veille, Dumbledore et Snape avaient tâché de le prévenir de ce qui allait advenir, et bien que le garçon ne connaisse pas les arrangements pris par les deux parties, il tira très vite les conclusions qui s’imposaient. Quoi qu’il se soit décidé dans un probable boudoir du très probablement immense domaine Malefoy, l’Ordre du Phoenix jouait le jeu avec le Ministre de la Justice. Et le Ministère en général.

En résultait cette lettre manuscrite, rédigée avec une encre noire aux reflets argentés somptueux, dont l’écriture pleine d’arabesques inutilement complexes – et définitivement arrogantes – trahissait l’émetteur.  En d’autres circonstances, voir Lord Lucius Malefoy, Ministre de la Justice s’adresser pour la première fois poliment à Harry lui aurait tiré une sacrée tranche de fou-rires. Mais les ronds de jambe et la sollicitude feinte lui donnaient au contraire la nausée. Ça, et la raison de la missive.

Assis en tailleur sur son lit, le garçon tenait la lettre fermement, le visage entièrement tourné vers sa fenêtre embuée. Il hésitait. Un an seulement auparavant, il aurait rétorqué qu’il n’était pas intéressé, qu’il se foutait très éperdument des condoléances du Ministère, des funérailles en grandes pompes et de tout le bordel occasionné… Il y aurait probablement glissé une ou deux insultes à l’encontre de Malefoy, rappelé que ce même Ministère se contrefoutait de son sort lorsqu’il était question de le croire, et enfin, Harry aurait terminé la missive par une formule de politesse odieuse, griffonnée rageusement et avec un semblant de fierté somme tout très propre aux jeunes de son âge face à la possibilité d’envoyer paître un adulte. Mais voilà… Beaucoup de choses s’étaient produites depuis, et de son acceptation de l’invitation dépendait l’alliance entre l’Ordre et le Ministère.

Mais était-il bien certain que c’était ce qu’il se produisait ? Qu’avaient donc planifié Dumbledore et Snape ? Que s’était-il finalement passé à Godric’s Hollow ? Qu’en pensait Sirius ? Et est-ce qu’il avait le courage d’endurer… Harry soupira une nouvelle fois, relisant la phrase la plus intrigante du pli :

« […] Il va de soi que le Ministère de la Magie prendra à sa charge les frais liés aux funérailles de la famille Dursley, cela en reconnaissance de la responsabilité que la Communauté Sorcière porte dans cette terrible tragédie, nonobstant leur appartenance au monde Moldu […] »

À quel moment Lucius Malefoy aurait pu décréter qu’il était normal de payer pour ce qu’il considère lui-même comme une sous-race ? Harry fronça les narines, la récupération politique du Lord ne lui plaisait absolument pas, mais il devait reconnaître qu’il était entièrement d’accord : oui, le monde magique avait une part de responsabilité. Cette décision n’allait probablement pas plaire aux autres familles de Sang-Pur, c’est donc que Malefoy y voyait un intérêt plus grand, mais pour l’heure, Harry ne parvenait à pas à comprendre.

Il se redressa, et mit sa chaussette gauche en réfléchissant intensément. Prouver sa bonne foi auprès de Dumbledore ? Il attrapa la droite, et étira les orteils pour qu’ils s’y glissent parfaitement. À moins que cela ne soit pour rassurer l’opinion publique quant à sa position… ? Enfin, il se décida à prendre ses chaussures de villes cirées, et les laça, après avoir posé la lettre au sol à leur pointe, gardant un œil farouche dessus, comme si elle pouvait lui révéler des secrets incroyables. Quand il eut terminé, il ne se sentait pas davantage à l’aise et il attrapa le parchemin d’un geste sec et le fourra machinalement dans sa poche de costume, ce qui le déforma. Il pesta, copieusement.

« Hey, tout doux mon pote !  souffla Ron en arrivant et en levant les deux mains en signe de reddition.  C’est juste une cravate à mettre ! Je pars deux minutes, et tu fais déjà un carnage avec ton beau costume…

— Désolé, je ne sais juste pas comment réagir. J’ai beau tourner ça dans tous les sens, je ne comprends pas ce qu’on attend de moi, je ne sais même pas si je vais réussir à supporter…

— Tu m’as froissé tes manches, regarde ça ! Quant à Malefoy, laisse Sirius s’en charger, tu veux ? C’est leur première rencontre officielle, et elle se fait dans les pires circonstances possibles, crois-moi, ils vont se jauger et chercher à montrer qui a le plus gros patronyme. Tu n’auras rien à faire : juste à avoir l’air abattu, profondément reconnaissant et déterminé, bref : fragile, mais fort.

— Attends, reconnaissant de quoi, au juste ? s’exclama Harry en retirant son bras des mains de son ami qui cherchait à lui retendre le tissu proprement.

— De l’action du Ministère, de la sollicitude de Malefoy. Et puis de leur formidable réactivité dans la nuit, répondit Neville qui passait tout juste la porte de leur chambre. Luna est au portrait si tu veux, Harry, elle a quelque chose pour toi apparemment. »

Cela eut le mérite de couper la chique de l’Attrapeur qui préféra rougir que de s’agacer de devoir faire des ronds de jambe aux bureaucrates. Ses amis ne firent aucun commentaire et s’écartèrent pour le laisser rejoindre la blonde. Il déboula bien plus vite qu’il ne l’aurait voulu au bas des escaliers, à un point tel que la Grosse Dame s’offusqua de son empressement. Luna l’attendait sagement contre une barrière, discutant avec un jeune garçon peint dans un tableau représentant la grande période Florentine :

« Pourquoi ne pas ajouter un peu plus d’œuf dans ta préparation pour mieux fixer la fresque ?

— Parce qu’elle s’effrite davantage après et que Mestre Cosimo ne… Oh, je vous laisse. À bientôt Luna !

— Au revoir Arduino ! N’oublie pas d’accrocher une botte de radis à la nymphe du patio ! Salut Harry Potter. »

Le Survivant sourit en l’entendant l’appeler ainsi, et lui répondit gaiement :

« Salut Luna Lovegood. Tu voulais me voir ?

— Tu en as besoin, tiens. »

Se saisissant de sa main, la jeune fille lui glissa un sachet de velours mauve tout doux. Le simple geste délicat fit frissonner Harry, qui cligna des yeux en rougissant plus fortement encore. Il défit le cordon de la petite bourse et fit rouler dans sa paume une petite pierre violette aux reflets orangés-dorés très étranges. Il releva la tête en direction de son amie qui lui expliqua :

« C’est une amétrine. Celle-ci c’est la mienne, je n’ai pas eu le temps de t’en trouver une, encore… Mais elle est chargée, ne t’en fais pas.

— Chargée… ?

— Oui. Oh, Harry, c’est vrai que tu crois que la magie se borne à utiliser ta baguette. Mais il n’y a pas que ça qui compte dans la vie. » Ajouta-t-elle en refermant sa main en posant la sienne dessus.

Cela eut pour effet de faire virer les joues de l’Attrapeur au cramoisi, tandis qu’il se demandait si la blonde avait volontairement fait un sous-entendu. Mais Luna ne le laissa pas tergiverser :

« Tu verras, c’est une pierre qui apaise et qui t’aidera à y voir plus clair. Il va te falloir être Harry Potter pendant quelques heures…

— Viens avec moi, la coupa-t-il.

— Je ne peux pas, tu le sais.

— Mais non ! Pourquoi ? Viens, qu’est-ce qui t’en empêche ? J’ai besoin de toi, Luna.

— Je sais, je serai là : tu as ma pierre, maintenant. Mais je ne peux pas venir, Harry, l’Elu n’est pas mon ami. »

Cela lui fit plus mal qu’il ne l’aurait cru. Il accusa le coup, avant de comprendre ce qu’elle voulait lui dire. La Presse se déchaînerait sur la présence de la jeune fille, au lieu de s’intéresser aux enjeux qui les obligeaient tous à jouer cette comédie. Il grimaça, et rangea l’objet dans sa poche, se moquant qu’il la déforma. La Serdaigle le fit sursauter quand elle passa une main chaude sur sa joue et le poussa à relever la tête pour la regarder. Ses grands yeux bleus délavés le scrutaient avec malice au travers de sa frange emmêlée, elle lui sourit, avant de lui ajouter d’un ton particulièrement sérieux :

« Aller, Harry Potter, ne fais pas cette tête d’enterrement. »

 ***

Un peu moins d’un an auparavant, il aurait probablement fermé à double tour sa porte, et aurait passé un certain temps à imaginer la mine déconfite de la jeune femme, en tirant un certain plaisir du mal qu’il lui aurait infligé par son refus. Quelques mois auparavant, il aurait très certainement répondu « non », directement, avant de s’enfermer dans sa chambre et de se répéter toutes les raisons qu’il avait de ne pas y aller.

Mais nous étions aujourd’hui. Et aujourd’hui, Severus Snape traversait les couloirs avec une lourde cape d’hiver sur les épaules, une grosse écharpe enroulée autour de son cou et masquant à moitié son visage, tout ceci en évitant soigneusement de croiser qui que ce soit sur le trajet. Parce que s’il acceptait bien volontiers de reconnaître que Jane avait raison, il était hors de question que cela s’ébruite. La jeune femme visait juste : oui, sortir de leurs rôles était probablement la seule chose à faire… Et il voulait définitivement savoir si elle se moquait de lui avec son histoire d’ordinateur. Quand il arriva au niveau du hall illuminé des sabliers magiques, il constata que Poufsouffle était encore en tête, et cela tira un froncement de sourcils au potionniste. En effet, les blaireaux avaient bel et bien remporté la coupe pour la première fois depuis des décennies. Il accéléra le pas pour les dépasser et chasser de son esprit la défaite cuisante de sa propre maison, avant qu’un rictus mesquin n’éclaire brièvement son visage à la pensée que les Gryffondors avaient terminé bons derniers. En fin de compte, quand il arriva à la grande porte pour rejoindre la jeune femme, il était d’une humeur relativement égale, quoiqu’un peu nerveux. Car si l’homme savait gérer Mangemorts et Vampires, ce genre de virées – plus particulièrement à Pré-au-Lard – n’étaient plus dans ses habitudes depuis plus de dix ans… Passer les portes pour arriver aux côtés d’une Jane emmitouflée comme lui dans un gros manteau noir, le visage mangé par une énorme écharpe à fourrure épaisse, lui rappela un étrange souvenir. Un souvenir qui s’effaça au profit d’un présent bien réel lorsque la paire d’yeux verts clairs s’ancra dans les siens, avant d’exprimer une joie sincère.

« On y va ? lui demanda une voix étouffée par une belle couche de poils magiques.

— Je suis prêt. » Rétorqua-t-il comme un condamné un mort.

Mais son regard démentait son ton résigné, et la paire d’yeux s’illumina plus encore. Jane prit la tête et commença à descendre le long du chemin qui menait au village. Ses bottes faisaient crisser l’herbe gelée dans les premières rosées du matin et un pas sur trois, elle descendait la jambe de quelques centimètres de trop. De toute évidence, elle glissait à moitié, mais Severus la laissa faire, amusé de la voir gérer leur entreprise d’une main de maître. Alors qu’ils passaient la cabane d’Hagrid, non sans un regard angoissé de Snape en direction de la bâtisse pour vérifier que le Garde-Chasse ne les voyait pas, Jane ralentit quelque peu, l’air retrouvant un ou deux degrés de plus avec le dénivelé. Là, ils tournèrent légèrement à l’Ouest, en suivant toujours le chemin parfois balisé d’une ou deux grosses pierres moussues, et quand le sol retrouva une inclinaison normale, ils arrivèrent sur la grande place de Pré-au-Lard, et Jane s’exclama :

« Eh ben… ! Qu’est-ce que c’est mort, en fait !

— Quand il n’y a pas de sortie d’élèves, c’est un endroit calme, lui répondit Severus avec une touche de soulagement dans la voix.

— Et c’est dans ces moments que vous sortez, c’est ça ?

— Moi… Minerva, Pomona… Tout le monde en fin de compte. Si on peut éviter les élèves le week-end, on le fait. »

Et un samedi en début d’après-midi, lendemain d’une fête aussi importante que celle de la Samhain, les rues étaient désertées, les maisons paraissant presque inhabitées. La Moldue jeta une œillade un peu inquiète autour d’elle, comme déçue de voir le village aussi calme, mais s’avança tout de même en direction de la grande bâtisse branlante qui hébergeait la volière. Snape arqua un sourcil, comprenant que si elle trouvait son chemin aussi facilement, c’est bien qu’elle avait l’habitude de venir ici, mais ne dit rien. Lorsqu’ils franchirent le petit portail de fer rouillé qui ouvrait sur la file d’attente vide, Severus ne put s’empêcher de jeter aux alentours un regard inquisiteur, cherchant à trouver quelque chose d’anormal, de suspect, de potentiellement dangereux.

« Détendez-vous, lui murmura son amie en faisant tinter le carillon du service postal.

— C’est probablement la phrase la plus entendue avant de mourir…

— … Ou pendant un rendez-vous médical. Ah ! Bonjour ! »

Severus s’étouffa avec sa salive, mais la jeune femme souriait déjà au vieil homme qui ressemblait étrangement à une chouette. Un homme avec d’épais sourcils et des yeux globuleux grossis par d’énormes verres lui donnant l’air constamment étonné de ses volatiles. Il opina du chef avant d’agiter une main tremblante parsemée de taches brunes :

« Entrez, Miss, entrez ! Je me souviens, oui… Un gros paquet que vous me faites entreposer, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de si important pour votre classe ou pour Dumbledore que ça soit aussi lourd ?!

— Classé secret défense, Monsieur Pilgrimm, merci de m’avoir avertie qu’il était bien arrivé, j’avais peur qu’il soit abîmé ou qu’il… »

Mais elle ne termina pas sa phrase quand l’étrange homme se retourna avec une vivacité que sa condition ne laissait pas imaginer, tirant sa bouche dans un « O » tel, qu’il aurait pu servir d’illustration au mot « Offusqué » dans un dictionnaire. La brune se mordit la lèvre en souriant et en balbutiant des excuses et promesses qu’elle n’y avait vu aucune malice, tandis que Severus toussotait en reportant son attention sur les étagères de travers recouvertes de plumes, de fiente, et de papier mal collé. Chacune avait des paquets et lettres munies d’une étiquette propre où figuraient le destinataire et la date d’arrivée. Severus haussa un sourcil intrigué quand il remarqua qu’un paquet remontait à plus d’un siècle en arrière, et il s’apprêtait à se tourner vers l’homme-oiseau lorsqu’il entendit distinctement le son de gallions trébuchant sur une table.

Jane, penchée en avant, signait un reçu tout en payant généreusement l’homme étrange. Severus resta en arrière, préférant éviter de s’éterniser dans l’étrange endroit, et il rebroussa chemin tandis que son amie saluait l’homme, en portant un lourd paquet sous le bras.

« Bonne journée, Miss Smith, bonne journée, Professeur Snape… »

Ils sortirent promptement, et la Moldue jeta un regard désolé à son vis-à-vis qui haussa les épaules en réponse.

« Ça occupera les cancans jusqu’à Noël… Maintenant, si vous m’expliquiez votre affaire…

— Autour d’un verre. Invitez-moi, déjà.

— … Vous plaisantez ? s’étrangla Snape. Et… comment avait dit votre amie Diane, déjà ? Ah oui ! « L’indépendance de la femme », vous y pensez ?

— Justement, je vous demande de façon très indépendante de m’offrir un verre.

— Soit… Dans ce cas… Est-ce que vous auriez l’amabilité de m’expliquer ce dont il retourne en rassasiant votre alcoolisme latent, à mes frais ? »

 ***

 

« Certainement pas. »

Voldemort avait sifflé si violemment la première partie de sa réponse, que Bellatrix en cligna des yeux, incertaine. Il n’avait pas haussé le ton, n’avait même pas daigné relever le nez de ses satanés parchemins. La Mangemort n’arrivait pas à déterminer s’il n’avait plus d’intérêt que pour la résolution de la prophétie, ou s’il était réellement en désaccord avec sa proposition.

Agacée depuis des mois à cause de cette fichue prédiction, des tentatives de son seigneur pour la traduire, et de sa lâcheté – bien que Bellatrix ait encore du mal à l’admettre, elle commit une terrible erreur en tentant d’argumenter.

« Maître… Le Premier Ministre sera présent, Potter et Black seront présents… Lucius a décidé de faire payer à la communauté Sorcière des funérailles de… D’engeances. Il s’agit…

— Il s’agit d’atténuer la stupidité de tes actes. »

La brune devint blême, se mordant la langue pour contenir un sentiment d’injustice croissant qui menaçait d’exploser face au Mage Noir. Mais si elle parvint à maîtriser sa voix, elle ne put s’empêcher de continuer ce qu’elle croyait être une discussion :

« Je ne comprends pas, Monseigneur. Qu’ai-je pu faire pour vous déplaire ? »

Voldemort reposa brusquement le parchemin gribouillé dans une tentative de copie de fourchelangue, et planta son regard écarlate dans celui qui devenait fuyant de sa servante.

« Qu’as-tu fait, me demandes-tu… ? Es-tu à ce point inconsciente de la gravité de tes erreurs que tu oses paraître devant moi et me poser la question ?! »

Bellatrix fronça les sourcils, mais lorsqu’elle se rendit compte que le Mage Noir tenait sa baguette, la main posée sur son bureau, et que cette dernière tremblait légèrement, elle recula instinctivement d’un pas. Un sentiment de colère monta en elle, et elle eut la sagesse de baisser les yeux. Seulement, la colère prit le dessus, doucement, franchissant les digues qu’elle tentait de mettre en place à la va-vite pour s’empêcher de rétorquer ceci :

« Je n’ai rien fait que vous n’auriez approuvé il y a dix ans. »

   ***

De la fureur. Coincé là sur son estrade, entre Sirius et Malefoy, coincé là à avoir les larmes qui lui montaient aux yeux tant les flashs des appareils photo l’aveuglaient, Harry sentait un incroyable sentiment de fureur grandir en lui. Ça, et un profond sentiment de culpabilité. Son parrain lui avait pourtant bien fait un long discours à ce sujet, lui expliquant qu’il n’était en rien responsable, le Survivant ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable.

Car à présent qu’il était planté sur ce stupide promontoire, à entendre la déclaration du Premier Ministre, Harry avait tout le loisir de contempler les quatre cercueils qui s’étalaient devant lui… Quatre cercueils ouvrant la farandole d’une bonne trentaine d’autres, recouverts pour l’heure d’un drap noir. Le jeune homme voyait allongés sous ses yeux presque une trentaine de vies fauchées. Fauchées toutes, sans exception, parce qu’il était Harry Potter.

« […] l’occasion pour nous de nous rappeler que cette barbarie nous touche tous. C’est une terrible épreuve qui, une nouvelle fois nous assaille… Nous savons d’où elle vient, qui sont ces criminels. Nous devons, dans ces moments si difficiles, faire preuve d’unité. Ce que les Mangemorts veulent c’est nous faire peur, nous saisir d’effroi, et il y a effectivement de quoi avoir peur, il y a l’effroi, mais il y a face à l’effroi, une Communauté Sorcière qui sait se défendre, qui sait mobiliser ses forces, et qui une fois encore saura vaincre cette menace […] »

Sirius était immobile à côté de lui, droit, digne. Il était Lord Black, il était l’ancien meilleur ami de James Potter, il était le parrain de Harry Potter, il était l’un des défenseurs de la Lumière. À sa gauche, Lucius Malefoy, tout aussi superbe, tout aussi moulé dans son rôle de Ministre de la Justice luttant contre des temps terribles et les ténèbres. Côtes à côtes, ils annonçaient à la Presse, et ce faisant à toute la communauté Sorcière, que la guerre avait trouvé ses opposants, et que rien n’empêcherait le Gouvernement d’y mettre un terme.

Et bien que Sirius se tienne tout près, bien que le jeune homme sente son parfum frais et arrogant picoter ses narines, Harry savait qu’il ne s’agissait pas réellement de son Parrain, c’était « Lord Black ». Lui-même n’était plus celui qui, la veille encore, découvrait avec rougissements qu’il aimait danser pourvu qu’il ait dans ses bras…

« […] Enfin, je veux rappeler ici que la mobilisation des Aurors est entière, dès cette nuit j’ai tenu une réunion de crise avec les baguettes ayant su réagir au moment le plus critique, et nous renforçons, avec le Ministre de la Justice, Lord Malefoy, les moyens déjà déployés pour lutter contre cette menace qui réclame une réponse à la mesure de la violence et de l’horreur dont elle nous accable. Notre pays ne doit pas céder. Notre pays ne doit pas reculer. Nous sommes déterminés à vaincre la barbarie des Mangemorts, et la guerre que nous devons livrer doit être totale. […] »

Le Survivant regarda les quatre premiers cercueils. Impossible de savoir dans lesquels se trouvaient les Dursleys… Qui n’avaient pas été nommés une seule fois, lui semblait-il, de tout le discours. Un flash violent lui fit fermer les yeux une grosse seconde, avant qu’il ne les ouvre à nouveau avec une myriade d’étoiles volant dans tous les sens. Deux larmes accompagnèrent le tout, et Harry les sentit s’enfuir sur son visage en sachant pertinemment qu’elles n’étaient cette fois-ci pas dues aux photographes. Derrière le ton mordant et militaire de Scrimgeour, le jeune homme put entendre quelques bruissements du côté des gratte-papiers, et de nouveaux flashs l’éblouirent. Ah ! Ils avaient enfin le cliché de l’Élu en train de pleurer comme un enfant.

Il trembla une nouvelle fois. De douleur, mais sa colère était montée d’un cran, et lui vrillait à présent les tempes. Harry redressa la tête, relevant le menton pour le pointer par-delà la ligne des journalistes et des curieux venus assister au spectacle. Il planta son regard émeraude sur l’horizon, le poing et la mâchoire serrés, déterminé à ne rien laisser transparaître d’autre. Il ne se rendit pas compte qu’il faisait écho aux propos belliqueux du Ministre de la Magie :

« […] Notre devoir est de prendre en compte l’extrême gravité de la situation et d’en tirer toutes les conséquences. Rien ne doit être comme avant. Les Mangemorts ont fait trop de victimes. Nous devons déterminer pourquoi de telles attaques sont possibles, et en tirer les conséquences. Notre politique de sécurité, Sorcière et Moldue, doit prendre en compte ces conclusions. Notre histoire est chargée d’épreuves, mais nous avons toujours su les surmonter. Avec sang-froid, et avec force. […] »

Il s’enfonçait les ongles dans la paume de ses mains, tant il serrait les poings. Il pouvait presque sentir ses dents grincer sous la pression de ses mâchoires et il ne pouvait empêcher ses narines de se dilater sous la fureur. Harry ne les regardait plus, mais il savait que les cercueils n’avaient pas disparu, que ces morts seraient éternelles. Son pouls s’accéléra, alors qu’il repensait au choix de Dumbledore, à ce qu’avait fait Bellatrix… À ce qu’avait fait Snape. À la seule pensée de l’homme en noir, Harry sentit un mélange de haine et de désespoir l’étreindre. Allait-il, lui aussi, devoir faire de choses aussi terribles « pour le plus grand bien ? ». Il esquissa un rictus carnassier, jetant une œillade assassine en contre-bas, balayant le parterre de journalistes venus discuter de sa tenue et de sa réaction, venus commenter sa poignée de main avec le Ministre de la Justice, venus se repaître des détails encore sanguinolents de l’affaire. Sans même s’en rendre compte, Harry passa son pouce le long de l’étui à baguette que lui avait offert Sirius pour son anniversaire. Il le cajola sans pour autant quitter des yeux ces vautours de sensations fortes qui lui donnaient la nausée.

C’était mal, mais il n’arrivait pourtant pas à s’empêcher de se dire que s’il utilisait sa baguette, là, maintenant, ça lui ferait beaucoup de bien…

   ***

« … Mon… Monseigneur… Je ne…

— ASSEZ ! Je n’entendrai que tes cris… »

Bellatrix roula de côté, crachotant et tentant de se relever malgré le sortilège, son corps convulsionnait, son esprit tout entier prenait feu dans un mélange de souffrance absolue et de rage viscérale. Elle percevait la fureur de son Maître… Mais aussi la sienne, les deux ne faisant qu’accentuer ce sort qui se nourrissait goulûment des émotions du Sorcier et de sa victime. Elle sentit son genou craquer douloureusement alors qu’elle relevait la jambe pour prendre appui, cherchant à faire face.

« JE T’INTERDIS DE TE DRESSER ! » Siffla Voldemort en contournant son bureau pour se concentrer totalement sur la Mangemort à ses pieds.

Au travers de la masse épaisse de boucles et frisottis de jais, deux perles enflammées le fixaient avec insolence, le poussant à forcer davantage. Bellatrix hurla, mais ne baissa pas le regard pour autant. Voldemort sentit un certain plaisir nuancer sa colère en voyant sa plus fidèle servante se dresser par-delà les Ténèbres. Elle était forte, très forte. Il la materait.

« … Des… Des… Moldus, cracha-t-elle entre deux hurlements, les lèvres rendues carmin par le sang qui s’écoulait.

— ET DES SORCIERS ! TOUT GODRIC’S HOLLOW !

— … Idolâtres de traitres… Faibles…

— TROIS MANGEMORTS ONT ÉTÉ TUES PAR TA FAUTE !

— Nous… Nous ne bâtissons pas un monde… Pour les faibles. »

Voldemort releva sa baguette, laissant un court instant de répit à sa zélote, il s’approcha doucement de son corps secoué de spasmes violents, et agrippa sa crinière de sa main arachnéenne pour révéler son visage. La bouche encore tordue et les lèvres éclatées par les morsures réflexes qu’elle s’était infligées, Bellatrix dardait malgré tout un regard brûlant sur son Maître, parfaitement lucide en dépit du Doloris. Le Mage Noir inclina violemment sa nuque en arrière, ses doigts raclant presque le crâne de la brune, il la jaugea un long moment, et la vit avec plaisir baisser les yeux. Un puissant sentiment de contrôle s’infiltra dans ses veines. Approchant lentement sa face serpentine de son visage, il murmura :

« JE ne bâtis pas un monde pour les faibles. Toi, tu te contenteras d’abattre l’ancien. À mes ordres, et à mes ordres seulement.

— … Je les attends, Mon Seigneur… Il en sera fait… Selon… Selon votre…

— Mon désir, pour l’heure, est que tu sois châtiée pour ton erreur. »

 ***

 

« Oh, désolée. »

Jane marmonna cela en rougissant derrière son écharpe à un Severus embarrassé et agacé. Ils étaient tous les deux plantés dans la rue, juste devant l’enseigne du magasin de farces et attrapes de jumeaux. Severus remit de la distance entre eux, et lança à la Moldue un regard courroucé :

« Pouvez-vous ne pas vous arrêter soudainement en pleine course, et me percuter ?

— C’est vous qui venez de me rentrer dedans, rectifia la jeune femme en relevant le gros paquet qu’elle tenait coincé entre son bras et sa hanche. Ils sont ouverts, vous croyez ?

— Merlin, je l’ignore, et je m’en moque ! Nous devions prendre un verre…

— On boira, Severus, j’y veillerai, mais…

— Je n’en doute pas, glissa-t-il goguenard.

— …Mais on peut y faire un tour si c’est ouvert, au moins on aura la paix, pas comme la dernière fois. Vous y êtes déjà allé ?

— Non, et je doute qu’en dehors d’une sortie officielle la boutique soit… Oh, misère. » Marmonna Severus en voyant une Jane ravie arriver à pousser la porte d’entrée.

Elle ne l’attendit pas, et s’engouffra directement dedans, sous le bruit d’un carillon bariolé qui agaça instinctivement l’ancien Maître des Potions. Snape resta interdit devant la vitrine qui bougeait sans cesse et dans laquelle se trouvait surtout une gigantesque toile peinte et animée où l’on voyait les frères Weasley danser une gigue sous une banderole annonçant des prix « fracassants ». L’homme en noir fronça les narines en jetant un regard venimeux au duo d’acrylique. Il n’avait aucune envie d’être vu en compagnie de la jeune femme à une sortie… Severus toussa lorsqu’il se rendit compte qu’il pensait des mots tels que « privée », « personnelle », ou encore :

« Rien qu’à voir leur rayon, on comprend que vous étiez un excellent Professeur ! » Coupa la jeune femme en repassant la tête du chambranle. « Quoi que je vous imagine mal faire apprendre ce genre de potions à vos élèves, c’est peut-être trop…

— Trop quoi ?

— « Touchy » » Répliqua Jane comme une parfaite Londonienne en plissant les yeux.

Snape n’eut pas besoin de comprendre une expression aussi moderne pour se laisser avoir, et son orgueil passablement froissé le fit franchir le pas de la porte sous le ricanement satisfait de sa comparse. Si sa cadette n’avait pu retenir une exclamation de surprise, lui, ne laissa rien transparaître de ses émotions. Il resta une seconde entière interdit, ses yeux allant et venant de chaque côté de la pièce, d’abord sur les jumeaux, puis sur la porte de l’arrière-boutique, les fenêtres, les escaliers menant à l’étage… Et enfin le contenu chaotique. Il ne se rendit compte que la Moldue l’avait regardé faire avec attention, que lorsqu’elle lui demanda, narquoise :

« Le périmètre est-il sécurisé ?

— … Pas le moins du monde.

— Professeur Snape ! » Crièrent en chœur les jumeaux Weasley qui apparurent à ses côtés comme des lutins démoniaques.

La joue de l’espion tressaillit légèrement, témoignant de son malaise, et il se contenta de secouer la tête en jetant un regard lourd d’avertissement que les deux roux comprirent parfaitement.

« Oh, rassurez-vous ! commença George.

— … Nous garderons cette escapade secrète…

— … Y compris aux yeux de l’Ordre…

— … Et aux oreilles, surtout…

— … Oui, surtout. Et nous ne vous ferons pas l’affront de croire qu’il est inutile de vous présenter notre belle fontaine

— … Bien qu’en tant que Maître des Potions vous devriez en apprécier toute sa…

— IL SUFFIT ! Gronda Snape les narines frémissant sous l’agacement. Je vous remercie, Messieurs pour votre volonté de discrétion, mais…

— … Mais il n’y a rien à cacher, le coupa Jane en plantant son regard dans celui de Fred, alors que son ami parlait à son frère. »

Les deux adultes regardaient l’un et l’autre les frangins, et un léger silence s’installa entre eux, silence pour le moins éloquent. Fred s’inclina comiquement en direction de la Moldue, et s’éclipsa, bientôt suivi par George qui leur demanda nonchalamment :

« Thé, ou café, Messieurs-Dame ?

— Paix ! » répondirent les deux en déclenchant un haussement de sourcils entendu chez le Weasley qui repartit en pouffant de rire.

Enfin seuls, les adultes échangèrent un bref regard satisfait, avant de se séparer et de vaquer à leur découverte de part et d’autre de la salle. Severus observait avec attention l’étagère pleine de potions diverses, quand Jane pesta au bout d’un moment derrière lui :

« J’aimerais quand même bien savoir pourquoi vous vendez un tel truc ! »

Il se retourna pour voir qu’elle pointait du doigt l’immense fontaine ruisselante dont George faisait mention plus tôt. Dans une boutique vidée de ses occupants, elle semblait plus imposante encore et les bulles rosées éclataient un peu partout autour, jusque sous le nez de la Moldue qui l’avait, pour l’heure froncé devant l’agacement. Les jumeaux ressortirent de leur retraite pour se faufiler à sa rencontre, amusés.

« Parce que ça se vend, Professeur !

— … Et particulièrement bien à côté d’une école !

— Mais c’est immoral ! protesta Jane. D’une part, ça devrait être interdit, d’autre part, ce que vous faites est immoral : vous vous faites de l’argent sur la misère affective des élèves et sur le mensonge ! »

Les bulles papillonnaient autour de son visage, sans qu’elle ne s’y intéresse le moins du monde. Elle pointait à présent un index accusateur en direction du duo :

« Vous en avez conscience, au moins ? »

Les deux s’observèrent un bref moment avant d’éclater de rire.

« Oui, et alors ? Ce n’est pas illégal, contra Fred.

— Et les effets ne sont pas permanents.

— Parfois même les gens finissent par tomber réellement amoureux…

— Et en attendent, ils… »

La phrase s’envola avec les bulles, ces dernières éclatèrent dans une petite pluie fine et fuchsia. La métaphore était on ne peut plus explicite, et Severus eut tout le loisir de voir son amie rougir sous la colère :

« Et quoi ? Ils baisent alors que l’un des deux n’aurait pas envie ?! »

Cela surprit l’espion que les jumeaux s’offusquent du langage fleuri. Ils devinrent aussi écarlates que certaines nuances de leur potion, et ça lui tira un rictus moqueur.

« Oui, trancha-t-il, alors que les jeunots peinaient à trouver une réponse adéquate. Et oui, c’est légal, Miss… Rappelez-vous que le monde Sorcier est à cheval sur les convenances et sur le mariage, permettant toutefois…

— Et alors ? Vous allez me dire que la virginité supposée d’avant le sacrement empêche toute tentative de…

— L’Amortentia se repère facilement pour un Sorcier mûr. Quant aux enfants… Oui, le modèle social Sorcier les protège de ce genre d’actes.

— Ah bon ? Parce que vous croyez que les nés-Moldus sont aussi coincés, et n’ont pas de vie sexuelle en dehors du mariage, peut-être ? »

Severus cilla, puis inclina légèrement la tête, ancrant son regard dans celui de sa collègue.

« Vous n’êtes pas la seule à évoquer ce problème, Miss, mais la guerre nous oblige à considérer d’autres priorités. »

La Moldue pencha la tête sur le côté, observant avec attention son vis-à-vis en réfléchissant. Severus se détourna de son regard pour se saisir d’une fiole sur l’étagère et reprendre son examen. Les jumeaux profitèrent de cet instant de silence pour amener la brune sur un autre terrain concernant la potion :

« Elle sent bon, au moins, n’est-ce pas Professeur ? Que vous évoque…

— Ne répondez-pas ! coupa l’espion d’une voix glaciale, en reposant la fiole.

— Dites-le si je n’ai tout bonnement pas le droit de l’ouvrir, Severus…

— Cela n’a rien à voir. L’Amortentia prend l’odeur de ce qui plaît à la personne qui la sent. Ils veulent simplement vous faire révéler quelque chose d’aussi intime que vos inclinaisons.

— Ça vous gêne ? s’amusa, espiègle George. Vous n’avez pas envie de savoir ce que vous, vous sentiriez ?

— Je n’ai pas besoin d’une potion pour savoir que je n’aime rien d’autre que l’odeur des larmes séchées de mes élèves, comme de mes anciens élèves, menaça l’homme en noir. »

Mais cela fit éclater de rire autant les jumeaux que Jane qui hocha la tête en comprenant que la patience de son ami était arrivée à son terme. La Moldue le pressa de l’attendre à l’extérieur, lui expliquant qu’elle avait encore quelque chose à régler avec eux, et Severus referma la porte d’un mouvement rageur, une petite bulle rose s’échappant toute guillerette de la boutique. Elle éclata sous son nez, et il pesta en fermant les yeux.

 ***

La fureur qui avait fait trembler tout son corps, l’instant d’avant, laissa place à une profonde félicité, et un sentiment d’apaisement intense qui l’enveloppa. Pendant un court moment, il en oublia la cérémonie, son esprit s’échappant vers une brume cérébrale tentante. Harry inspira dans un accès de panique en reconnaissant le phénomène, entraîné désormais à percer à jour les moments où son âme vibrait à l’unisson de celle de Voldemort. Le jeune homme fixa son regard sur le grand saule pleureur qui tombait sur le lac loin derrière l’assemblée, et il glissa instinctivement sa main dans sa poche droite. Lorsqu’il sentit les contours de la pierre que lui avait donné Luna, les images d’une Bellatrix hurlant de douleur s’effacèrent totalement de son esprit, et il retrouva pleinement les sensations de son corps.

Et il avait mal aux jambes et au dos à force de rester debout sur cette fichue estrade…

La foule lança quelques applaudissements pour saluer la fin du discours du Premier Ministre, de nouveaux flashs fusèrent de part et d’autre, et Harry sentit Sirius remuer légèrement lorsque Malefoy s’avança pour prendre la parole. Il déposa sa canne contre le pupitre, et balaya l’assemblée d’un regard intense dont il avait le secret. Les journalistes habitués à couvrir ce genre d’événements savaient qu’il aimait cet instant où tous avaient la plume suspendue à ses lèvres, et Lord Malefoy laissait une bonne minute de silence précéder chacune de ses interventions. L’attente générée par cette absence de discours ne faisait que renforcer l’effet dramatique. Qu’il maniait admirablement bien pendant ses tirades, du reste.

Jamais Harry ne l’avait entendu directement. Jusqu’ici, Lucius Malefoy était pour lui un ennemi contre lequel il se battait, jusqu’à échanger des sortilèges dangereux dans un couloir sombre du Ministère… À présent, il l’écoutait tout d’abord avec lassitude, puis un intérêt croissant. Le blond délivrait un hommage puissant, mêlé d’une peine intense, mais totalement feinte. Personne ne connaissant l’aversion du Mangemort pour les Moldus et les Cracmols ne pouvait s’y laisser prendre… Mais même en sachant qui il écoutait, Harry ne put s’empêcher de se laisser à admirer le sens de la mise en scène du Ministre de la Justice, sa voix mélodieuse, le rythme d’une prose parfaitement calibrée. Un sens Politique qu’Harry ne faisait que pressentir, et qui, déjà, le berçait doucement par des mots tels « Unité », « Devoir », ou encore « Détermination ». À l’entendre, ils étaient une Communauté puissante, noble, digne, au-dessus de la barbarie et de la peur. À l’entendre aussi, ils garantiraient la sécurité et l’équité entre tous les Sorciers, indépendamment de leur statut ou de leur « pureté de sang ». Harry se surprit à hocher la tête vigoureusement, se sentant en accord complet, alors même que Sirius fronçait les sourcils devant l’expression choisie. Enfin, lorsque Malefoy exprima toute sa volonté de ne pas fléchir face aux inquiétudes de ses contemporains, tout en assurant rester à l’écoute de celles-ci, le garçon accompagna quelques-uns des spectateurs dans leurs applaudissements.

Lucius pinça les lèvres pour s’empêcher de sourire devant l’accueil réservé à ses mots, et leva la main pour retrouver le calme :

« […] Que cet évènement nous exhorte à un nouveau jour, à une nouvelle ère : celle de la cohésion. Par le passé, et nous le voyons devant nous aujourd’hui, nous nous sommes trop longtemps, trop souvent, divisés. Les débats sont nécessaires, les désaccords sont légitimes, mais les divisions irréconciliables minent notre Communauté. Nous désirons plus de concorde, pour cela nous voulons avant toute chose miser sur l’intelligence de nos forces. En les unissant, en acceptant de travailler de concert, nous permettrons à notre Communauté de survivre à ces temps troublés et de faire face aux défis qui l’attendent. Y faire face, non plus la baguette dissimulée, en petits groupes effrayés des uns et des autres, mais y faire face en tant que force soudée et coordonnée. […] »

Harry approuva une nouvelle fois, les deux pieds campés solidement sur l’estrade, il se surprenait à éprouver une certaine pugnacité. À ses côtés, Sirius changea de jambe d’appui, et Harry ne perçut pas la contraction de sa mâchoire.

« […] Et parce que les forces en temps de paix ne peuvent être équivalentes à celles en temps de guerre, il est nécessaire d’ajuster nos actions pour être pleinement capables de faire face aux situations inédites que nous connaissons. Dans cette optique, le Ministère de la Justice décrète la mise en place d’un état d’exception permettant de rouvrir l’Académie des Aurors aux baguettes volontaires et de reformer la Brigade d’Interventions Tactiques d’Elite. […] »

Une série de flashs fusa, des questions, des demandes d’explications, des affirmations ; un brouhaha global s’empara de la foule, oubliant jusqu’à la raison de leur présence à cet enterrement. Les trente-quatre cercueils écoutaient en silence les décisions prises sur le corps de leurs occupants. Le Ministre de la Justice haussa le ton pour couvrir les questions et continuer son discours :

« […] Notre peuple peut faire face, il doit faire face. Et il fera face. Cela implique des règles, et de la rigueur aussi, et je sais parfois quelques tensions éthiques – que je ne sous-estime pas, et que j’assume pleinement. Comptez sur ma détermination entière en la matière […] »

Cette fois-ci, Harry jeta un œil à Sirius lorsque ce dernier lui tapota discrètement la main. Il n’arriva pas à comprendre la demande muette de son parrain, et se contenta de lui sourire discrètement, reportant toute son attention sur la suite du discours, le cœur battant.

« […] Enfin… La cohésion et la victoire dépendent aussi de votre engagement. Oui, la force d’une Communauté ça n’est pas seulement le travail du Premier Ministre, de son Ministre de la Justice, ou de de son Gouvernement. C’est le travail de chacune et chacun d’entre vous. […] »

Le Survivant hocha une nouvelle fois la tête, pensant avec soulagement que c’était une bonne chose que le Professeur Slughorn ait remplacé Snape en Potions, cela lui permettait de continuer son cursus, et… Pourquoi pas s’engager en tant qu’Auror… ? Après tout, il était peut-être mieux de se renseigner dès maintenant, plutôt que de chercher à entrer dans l’Ordre… Finalement… ?

 ***

« Ah, quand même ! »

Snape n’avait pu s’empêcher de s’exclamer après avoir dû attendre Jane une bonne vingtaine de minutes et cela, alors que le soleil d’un automne glacial commençait à se coucher. Il commençait à ressentir l’humidité ambiante, et le bas de son dos se raidissait à attendre dans le froid sa collègue. Elle lui répondit par un sourire qu’elle masqua très rapidement par son écharpe, avant de lui demander d’une voix étouffée :

« Vous voulez aller où ? Au Trois Balais, ou…

— Suivez-moi, je préfère qu’on soit discrets.

— J’espère qu’ils font des chambres au quart d’heure… » Marmonna la Moldue, vexée.

L’espion ne répondit pas, ni ne s’arrêta pour afficher l’air choqué qui s’était installé sur son visage. Il prit les devants pour les diriger à travers le village, tandis que les lampadaires s’allumaient comme des soldats à leur passage. Quand il les fit bifurquer en direction d’un pub miteux, Jane ralentit l’allure en grommelant :

« Heu… Vous vouliez être discret… Ou louche ?

— Au calme. »

L’homme en noir entra sans un mot supplémentaire dans le bâtiment, alors que la jeune femme jetait un regard peu assuré à l’énorme tête de sanglier qui pendait au-dessus de la sienne. Vue d’en dessous, la créature lui jetait un regard courroucé avec ses yeux de billes de verre, et semblait lui tirer les défenses dans un rictus menaçant. La scribouillarde frissonna et se dépêcha de passer la porte, avant de le regretter immédiatement lorsqu’une odeur forte et aigre de chèvre humide lui sauta à la gorge, et la fit toussoter. Snape défit son écharpe et s’approcha du comptoir où un homme grand et au visage dissimulé par une épaisse barbe broussailleuse grommelait en réponse. Jane resta plantée un moment sans savoir que faire, avant d’aviser un angle reculé de la salle où étaient dressés un gros tonneau et deux tabourets hauts. Elle déposa avec soin son paquet au sol, puis se hissa sur sa chaise collante, remerciant mentalement son manteau de supporter la poussière, la bière, et probablement d’autres choses renversées un peu partout. Elle l’ouvrit néanmoins, commençant déjà à étouffer sous la désagréable chaleur de l’endroit, déroulant son écharpe au passage, en fixant, incertaine, les nombreuses bougies fondues et incrustées qui s’étalaient sur le dessus du tonneau. À peine restait-il de la place pour y poser deux verres, ce qui arriva l’instant suivant lorsque l’espion revint avec deux chopes que Jane préféra imaginer naturellement brunes. L’homme en noir planta également une nouvelle bougie au monticule improvisé et l’alluma d’un geste simple de la main.

Jane écarquilla les yeux comme une enfant, et cela lui tira un franc sourire :

« Oui, nous pouvons faire quelques tours sans baguette.

— Et quoi d’autre ? Dites-moi, allez !

— Susciter votre intérêt… ? proposa Severus en étirant son sourire. Je me suis permis de vous prendre de la bière cendrée. Je doute que vous n’ayez jamais bu une telle chose. »

Jane trempa ses lèvres dans le liquide noir et mousseux, avant de tousser bruyamment, les larmes montant aux yeux et la gorge soudain sèche. Elle avait l’impression d’avoir avalé un cendrier entier et son premier réflexe fut donc de reprendre une lampée qui, étrangement, fut beaucoup plus forte et fruitée. Elle leva un regard surpris à son ami qui avait déjà descendu un bon quart de sa pinte, puis elle continua, hochant la tête d’un air appréciateur.

« C’est bon… C’est particulier, mais c’est très bon, qu’est-ce ?

— De la bière cendrée, comme je vous l’ai dit. Sa particularité réside dans le fait que les céréales prises pour sa composition ne poussent que sur des cendres. Par ailleurs, l’eau utilisée est également filtrée à travers une roche volcanique. C’est une bière rare… Et plus rarement appréciée encore. Vous pouvez fumer dans nos établissements, Jane. Les Sorciers n’ont pas d’interdiction en la matière.

— Oui, c’est vrai… Dites, vous parlez librement, c’est pour cela que nous sommes ici ?

La Tête du Sanglier est le lieu parfait pour les gens désirant échanger informations ou objets qui ne concernent qu’eux. De plus, son propriétaire sait ne pas se mêler des affaires des autres, ce qui n’est pas rien, termina Snape d’un air entendu.

— Nous allons donc échanger des informations ne regardant que nous ? demanda-t-elle en tirant une cigarette d’une de ses boîtes.

— Madame Rosmerta m’a connu lorsque j’étais étudiant, et comme beaucoup de femmes de son âge… Et qui plus est de sa profession, elle adore commérer à propos du devenir des gens.

— Je crois que depuis le temps elle est au courant que vous êtes Professeur à Poudlard, quand même.

— Je parlais de nous, Jane. »

La Moldue haussa les sourcils si hauts qu’ils s’échappèrent dans les frisottis qui entouraient déjà son front à cause de l’humidité. Elle garda un long moment la cigarette en bouche sans mot dire, au point tel qu’elle s’éteignit, avant que Snape ne daigne passer la main devant, la rallumant. De là, Jane s’étouffa en prenant une grosse bouffée angoissée, et les yeux pleins de larmes, elle lui demanda :

« Nous sommes bien d’accord que j’ai interprété ça, de la façon dont vous ne voudriez pas qu’elle le prenne, mais que sur le fond, nous nous comprenons en fin de compte, n’est-ce pas ? »

L’espion avança le visage, assez pour que la petite lumière se reflète dans ses yeux d’encre. Il joignit ses mains sous son nez et hocha la tête avant de murmurer, conspirateur :

« Nous comprenons parfaitement ce que je sous-entends qui pourrait être interprété de telle façon qu’ils comprendraient des sous-entendus allègrement déformés sur le fond.

— Tout à fait. Heu… Quoi ? s’exclama Jane en faisant la grimace et en relevant un sourcil perdu.

— Je me moquais de vous. À l’origine, je voulais seulement vous dire que Rosmerta fait un excellent hydromel, mais que c’est une femme bavarde qui cache des grimoires à l’eau de rose sous son comptoir.

—  AAAAAH !

— Qu’aviez-vous compris, au juste ?

— Laissez tomber. Vous pouvez allumer d’autres choses avec vos mains ? » Demanda Jane pour tenter de changer de sujet.

Mais quand Snape ouvrit la bouche, avant de plonger son regard dans le sien, avec un rictus moqueur, la Moldue rougit tant que malgré la faible lueur de ce simulacre de bougie, il n’en perdit pas une miette. Il ferma les yeux, s’autorisant un ricanement qui ressemblait presque à un rire, et elle l’accompagna rapidement en reprenant une lampée. Leur hilarité monta, assez pour que l’homme au comptoir grommelle quelque chose, et ils s’observèrent amusés, avant que Severus n’hoche la tête en contrebas :

« Vous avez parlé d’un ordinateur.

— Et vous à Malefoy.

— Je vois… Ce n’était pas seulement pour ma compagnie que vous vouliez me voir. »

Jane fit tournoyer sa bière dans sa chope, et tira une nouvelle bouffée de nicotine avant de lui répondre, penaude :

« Si, au contraire. Mais… Je voulais aussi comprendre quel accord l’Ordre et lui ont passé.

— Et il fallait venir ici pour ce faire ?

— Non. C’est pour ça que je vous assure de ma sincérité quant à mon envie de… »

Snape soupira, lui jetant un regard qu’elle aurait préféré ne pas interpréter comme de la déception. Elle baissa la tête, et bredouilla précipitamment :

« Je ne voulais pas vous donner l’impression de vous manipuler…

— Du coup vous le faites directement, la coupa-t-il. Pourquoi cela vous intéresse ?

— … Je ne connais pas Malefoy autant que vous… Mais j’en lis assez, et j’en vois assez pour comprendre que ce n’est pas anodin, et qu’Albus est peut-être en train de faire une grave erreur.

— Précisez.

— Eh bien… J’ai cru comprendre que l’Ordre voudrait coincer Malefoy dans ses obligations et l’obliger à coopérer, mais c’est aussi dangereux de lui donner du crédit. Même s’il faut lutter contre Lestrange, je ne pense pas que Malefoy soit un homme qui ait besoin de passerelles en or pour atteindre ses objectifs. »

L’espion releva le menton légèrement, l’appuyant nettement sur ses mains jointes, il observait avec attention Jane dérouler son idée. La Moldue cligna des yeux, incertaine, et continua :

« Quoi qu’Albus lui ait promis… N’est-il pas risqué de l’offrir à un Mangemort ? Il pourrait très bien user de sa position… Enfin, non, je dirais même qu’il le fait déjà. Est-ce qu’Albus a décidé, de…

— De ?

— De… Choisir le moindre mal ? »

L’homme ne répondit pas, décroisa les mains, et vida d’une traite sa pinte. Là, il se leva avec rapidité et souplesse et fusa au comptoir. Jane se sentit stupide perchée sur son tabouret et le regarda échanger quelques mots avec le tenancier. Lorsque Severus revint avec deux verres crasseux et une grande bouteille cachetée de cire, la Moldue vit le vieil homme fermer les volets intérieurs, et mettre une grande plaque de bois sur l’entrée. Elle ouvrit la bouche d’incompréhension, mais Severus prit les devants :

« Je n’ai pas envie que nous soyons interrompus.

— Qu’est-ce qui vous pousse à me raconter ça ?

— Votre intelligence, c’est assez rare pour que cela soit récompensé.

— Ça sera long ? murmura la jeune femme en comptant le nombre de cigarettes qu’elle avait roulé.

— Beaucoup plus qu’un quart d’heure, Jane. »

 ***

Manoir des Malefoy, la nuit précédente,

« Je ne m’attendais pas à te voir ce soir, Severus… »

Après avoir patienté une quinzaine de minutes dans un boudoir aux lumières tamisées, l’espion s’était relevé et avait incliné la tête en direction de Lucius Malefoy. Ce dernier irradiait de beauté et d’autosatisfaction, signe que la petite sauterie se déroulait à sa convenance. Le nouveau Ministre de la Justice arborait un complet vert anisé brocardé d’or blanc, le tout accessoirisé par une canne en ivoire surplombée par un serpent sculpté dans de l’or blanc étincelant. La tenue avait dû lui coûter une véritable fortune, même pour quelqu’un de son rang, et Snape retint un reniflement dédaigneux devant la coquetterie exacerbée de son ancien comparse. Ce dernier sembla deviner le cheminement mental de son invité, et lui rendit la pareille dans un sourire mêlant condescendance et moquerie :

« J’apprécie que tu te sois changé pour l’occasion, lui lança-t-il.

— Je ne souhaitais pas t’embarrasser devant tes nouveaux amis. Tu es dans la cour des grands, maintenant Lucius.

— Je l’ai toujours été, s’agaça le blond piqué au vif. La Presse n’en faisait cependant pas les gros titres. »

L’aristocrate prit place dans un immense fauteuil près d’un feu ronflant en faisant un délicat signe de main à son vis-à-vis pour qu’il l’imite. Severus obéit docilement, mais quand son corps se plia, une violente douleur le fit tressaillir. Il eut la faiblesse de jeter un coup d’œil à son hôte qui, de toute évidence, avait su percevoir sa micro expression.

« La nuit a été longue… ?

— Intense. Et je viens à toi pour que le Ministre de la Justice ne l’apprenne pas par voie de Presse demain. »

Le blond se redressa légèrement dans son fauteuil, conjurant immédiatement des boissons qu’il s’empressa de servir. Snape sut qu’il avait piqué son intérêt, et que l’aristocrate cherchait à dissimuler son excitation en s’occupant les mains. L’espion prit son temps, jaugeant son interlocuteur avec toute l’attention que requérait la manœuvre. Attendant de pouvoir boire une ou deux gorgées d’un alcool qu’il savait hors de prix, Severus pesait ses mots avec soin. Quand il sentit le liquide brûlant lui réchauffer la gorge et la poitrine, il ajouta :

« Je ne viens pas te voir sur ordre de notre Maître. Je suis là parce que l’Ordre du Phoenix le désire. »

 ***

« Il a dû tirer une de ces gueules ! s’exclama Jane tout aussi choquée.

— Miss, votre… Peu importe. Oui, il en a même avalé de travers. Mais Lucius est habile, il a l’habitude de dissimuler ses émotions, probablement même mieux que moi. Quoiqu’il n’ait guère l’habitude d’être surpris, je pense…

— Ce n’était pas risqué, justement, de jouer la carte de l’Ordre ? Pour votre position, je veux dire…

— Oui et non. Il n’y a que moi qui peux faire le lien, même si j’avais été fidèle au Seigneur des Ténèbres, j’aurais été envoyé.

— Malefoy croit en votre fidélité ?

— Lucius Malefoy ne croit en rien d’autre que lui-même. »

 ***

Le Ministre de la Justice joua avec sa cane un instant, tout en buvant de petites gorgées de whisky. Il garda le silence un moment, se concentrant sur son instrument, avant de lancer une œillade méprisante à son comparse :

« Et… Ils t’envoient comme un chien faire la commission… ?

— Cela serait dommage que tu ne comprennes pas une chose aussi simple que la raison de ma présence, contra Snape.

— Ils pensent que tu peux plus facilement me convaincre. Que t’ont-ils demandé de dire ?

— C’est laissé à ma discrétion. L’important est leur message. Leur proposition. Et elle est intéressante.

— Oh, l’est-elle ? »

À présent, le Chef de la maison Malefoy observait avec grand intérêt son invité, plongeant son regard gris acier dans les ténèbres de l’espion. Mais il n’était pas Legimens, ce n’était donc pas une intrusion mentale que craignait Severus, mais bien la formidable empathie dont le politicien savait faire preuve. D’une façon ou d’une autre, l’aristocrate avait une connaissance de la nature humaine suffisante pour être un dangereux interlocuteur. Snape préféra parler plus franchement, sachant d’expérience qu’il avait en face de lui quelqu’un de tout à fait raisonnable… Pour autant qu’un Mangemort puisse l’être.

« Oui, sans aucun doute.

— Est-ce l’avis partagé par le Maître ? »

Nous y étions. Severus plissa légèrement les yeux, ne détournant pas le regard d’un cil. Sur son beau visage, Lucius avait un sourire satisfait qu’il ne parvenait plus à dissimuler.

 ***

Jane tira une très grosse bouffée sur sa cigarette. Si grosse que le foyer doubla de volume et éclaira brièvement son visage en s’embrasant furieusement. Elle souffla la fumée par le nez, comme chaque fois qu’elle était pensive, l’ongle de son pouce droit caressant sa lèvre inférieure alors qu’elle fixait la bougie. Jetant de temps en temps une œillade inquiète à l’espion, elle finit par lui demander :

« Il a l’air vachement au courant de votre affiliation, quand même… Ou bien est-ce qu’il bluffe ?

— Impossible de savoir. J’ai répondu comme s’il savait et qu’il était hors de question que je confirme. Je crois que l’important pour Lucius était surtout de comprendre jusqu’où l’Ordre était prêt à aller.

— Pourquoi lui parler de ça ? N’est-ce pas le meilleur moyen qu’il aille tout… Cafter à l’Autre ?

— Pourquoi lui en aurait-il parlé ? Quel intérêt pour lui ?

— Je ne sais pas, confirmer sa position auprès de Vol… Lui, et éclipser un rival ?

— Lucius est vaniteux et notre compétition existe bien, lorsque nous sommes faces à Lui. En dehors, seuls comptent nos intérêts. Nous sommes des Serpentards, Jane. Et avec ce que je lui apportais sur un plateau, j’aurais très bien pu lui avouer que j’aimais secrètement jouer au Quidditch avec Black, qu’il n’en aurait pas pipé mot au Seigneur des Ténèbres. »

 ***

Snape se leva et se resservit un verre en faisant fi des convenances. Cela acheva d’attiser la curiosité du Serpentard qui fixa avec envie l’espion s’accouder à l’âtre qui mangeait le tiers du mur. Severus observa à la dérobée le Ministre qui faisait mine de ne pas prêter grand intérêt à sa présence. Il laissa le petit jeu s’installer, jusqu’à voir le blond replacer une mèche de cheveux sur sa poitrine, signe qu’il savait être lié à l’agacement. Nourrir l’impatience faisait partie des armes d’un Serpentard, et il se trouvait que c’était Severus, et non Lucius, qui en était le Directeur de maison.

« Le Seigneur des Ténèbres ignore tout de ce que je m’apprête à te dire. À l’heure actuelle, seuls Dumbledore, toi et moi sommes au courant de la situation. Si… L’on excepte les personnes concernées dont je vais te dévoiler le nom.

— De grâce, Severus ! Que de mystères et de suspens ! L’on croirait presque à un comploteur… Qui te dit que je suis la bonne oreille ?

— Mais toi, voyons… »

Le blond haussa sincèrement les sourcils de surprise devant le sourire carnassier que lui offrait son comparse. Pour masquer son embarras, il se leva à son tour et remplit une nouvelle fois son verre, tournant ostensiblement le dos à Snape. Ce dernier continua :

« J’ai mis un certain temps à comprendre la comédie que tu m’avais jouée ce jour-là, mais tu n’étais pas venu te dévoiler à moi, mais au contraire t’assurer que je savais être discret, n’est-ce pas ? Quand tu as ouvertement fait part de tes doutes vis-à-vis du Seigneur des Ténèbres. Tes doutes, concernant son obsession pour la prophétie, concernant l’attitude de Bellatrix… Bellatrix qui a, de façon si utile à ta carrière, massacré Amélia Bones… Si ton rang t’importe plus que le reste, alors oui, Lucius, tu me dis toi-même que tu es la bonne oreille pour entendre ce que j’ai à te dire.

— Je ne cherchais pas à m’assurer que tu serais discret, Severus, rectifia Lucius en se tournant lentement. Je voulais vérifier une idée personnelle.

— … Et aujourd’hui encore tu essaies, car tu ne peux être certain de rien. Excepté de notre volonté commune d’endiguer la folie de ta belle-sœur.

— Qu’a-t-elle fait, cette fois-ci ?

— Nous avons enlevé et massacré la partie Moldue de la famille de Potter. Nous nous en sommes pris également à un membre de l’Ordre chargé de les protéger… Et à l’heure actuelle, Fol’Oeil doit conduire une escouade contre Bellatrix et les autres, avec ordre de ne laisser aucun survivant. »

Pour la première fois de leur entretien, Malefoy considéra son hôte gravement. Il vida son verre avec moins d’élégance qu’à l’accoutumée, et les servit une troisième fois.

« En d’autres termes, une poignée de Sorciers est en train de chercher à en tuer une autre, après le massacre d’une troisième particulièrement négligeable, et tu viens me le conter, alors même que le Seigneur des Ténèbres ignore tout et que l’opération suit son cours ?

— Non, Lucius. Je viens prévenir le Ministre de la Justice que la guerre bat son plein à Godric’s Hollow, et que des Aurors formés luttent pour le bien de la Communauté. »

  ***

Snape passa la langue sur ses lèvres, fronçant les sourcils et avalant sa salive alors qu’il avait la gorge légèrement sèche à force de trop parler. Jane leva la main, et sauta de son tabouret, en vérifiant que sa petite bourse était toujours à sa ceinture. Elle revint quelques minutes plus tard avec de nouvelles chopes, ambrées cette fois-ci, qu’elle posa sur leur tonneau :

« Il a dit que ça allait vous plaire. C’est marrant… On pourrait croire que lavé, il ressemblerait au Directeur, quand même…

— On pourrait le croire… Merci pour l’hydromel. Le sien est fort, mais plutôt bon passé un certain désarroi.

— Et qu’en a pensé Malefoy ?

— Il n’aime pas l’hydromel.

— Severus, ça n’est vraiment pas le moment de faire de l’humour… Vous êtes en train de parler de quelque chose de grave.

— Quelqu’un m’a dit un jour que s’il y avait un moment propice à l’humour, c’était bien dans les moments dramatiques.

— Qui ça ? Albus ?

Vous. Mais Lucius a accusé le coup. Car il a immédiatement compris où l’Ordre voulait en venir.

— Contrairement à moi, vous voulez dire…

— L’alcool ne vous aide pas, en effet. »

 ***

Le Politicien s’éloigna de l’âtre pour s’approcher de la fenêtre du petit salon. Elle donnait directement sur le superbe parc du manoir Malefoy, et avec la pleine lune, offrait toute l’étendue de sa beauté nocturne. Lucius fronça les sourcils en fixant l’ombre des haies parfaitement taillées.

« Combien d’hommes a envoyé Dumbledore ?

— Je l’ignore. Il a envoyé Maugrey, et je suppose que lui-même aura pris Tonks, et un certain nombre de baguettes. Sous mon conseil.

— Sous ton conseil… répéta Lucius. Tu cherches à faire tuer Bellatrix ?

— Je cherche à gagner cette guerre, répliqua Severus sans mentir.

— Quelle est donc cette proposition ?

— L’opération va prendre fin. Je doute que Lestrange se fasse tuer, même en présence de Maugrey. Lui, par contre… Non, l’opération va prendre fin et il y aura un rapport. Il ne tient qu’à toi d’en avoir une copie.

— Un rapport fait à… Comment s’appelle cette ridicule organisation, déjà ?

— L’Ordre du Phoenix. Et oui, nous parlons bien de cela. Tu auras la pleine connaissance de la situation, et la pleine possibilité de décider si, oui ou non, la Presse révélera les événements demain matin.

— Quel intérêt pour Dumbledore ? Pourquoi ne pas vous contenter de… »

Malefoy s’interrompit et son regard étincela de satisfaction. Un sourire naquit sur son visage, trop machiavélique pour être un beau sourire, mais quelque part, l’espion aima cela. Snape aimait voir l’intelligence se peindre sur les gens.

« Vous voulez couvrir vos hommes… Dumbledore veut le permis de tuer… ! Je vois qu’il est prêt à tout. Pourquoi ne négocie-t-il pas avec Scrimgeour ?

— Tu sais très bien pourquoi, Lucius. »

 ***

Snape s’interrompit en voyant Jane gonfler les joues et rougir en frissonnant. Il cligna des yeux plusieurs fois, avant d’oser lui demander :

« Est-ce que vous venez tout juste d’étouffer un…

— Pourquoi Dumbledore ne traite pas avec le Premier Ministre directement ? coupa Jane, en rougissant davantage.

— À votre avis ?

— Je ne sais pas, c’est tout de même l’ancien Directeur du Bureau des Aurors il me semble, non ? Ce n’est pas logique de discuter avec un… Un militaire, je suppose qu’on peut appeler ça comme ça ?

— Non, ça n’a pas grand-chose à voir. Et non, Dumbledore n’obtiendrait rien de Scrimgeour. Parce que ce dernier est trop à cheval sur la loi, et parce qu’il y a l’Histoire derrière nous qui freine ce genre de décisions.

— Comment ça ? Je n’ai pas souvenir d’avoir lu… »

Severus ricana en prenant une nouvelle gorgée, et sourit très franchement à son amie, avant d’ajouter, un brin condescendant :

« Vous avez l’air de croire que nos livres d’Histoire sont plus honnêtes que les vôtres. Les crimes et les exactions commis lors de la précédente guerre, grâce au permis de tuer notamment, ne figurent nulle part, mais restent gravés dans la mémoire. Scrimgeour ne permettrait jamais qu’une organisation illégale, et sous le contrôle de Dumbledore, puisse avoir un tel poids. Cela serait saper officiellement son autorité, et cela serait potentiellement dangereux.

— Alors que nommer Ministre de la Magie un Mangemort notoire, ça n’est pas un problème…

Acquitté. Malefoy n’a jamais été officiellement un Mangemort. Du reste, il a su parfaitement convaincre Scrimgeour… Grâce aux agissements de Bellatrix, entre autres.

— Vous voulez dire que cette folle va si loin qu’elle éclipse la malfaisance des autres ? cracha Jane.

— Lucius ne massacre personne à ce que l’on sache.

— Donc Dumbledore s’allie avec Malefoy parce qu’il sait que ce dernier a tout intérêt à utiliser la force de frappe de l’Ordre pour… Putain de merde ! Ne me dites pas que c’est pour ça que la Gazette parlait de la « remarquable réactivité du Ministère » !

— Alors je ne vous le dirai pas, Jane. »

 ***

« Avec le temps… murmura Lucius comme s’il savourait son propos. Je finis par croire que les rumeurs à propos de ce vieux fou sont vraies… J’ai peut-être manqué de discernement à son sujet. »

Snape resta silencieux, observant le blond revenir vers lui en jouant avec sa canne, allongeant inutilement son mouvement. Le Mangemort fit un signe de tête en direction de l’espion, comme pour lui poser une question muette.

« Ne t’ai-je pas souvent répété de ne pas le sous-estimer ? capitula Severus.

— Si, et j’ai clairement fait cette erreur il y a quatre ans. Alors comme ça, Dumbledore veut s’associer avec moi contre elle, n’est-ce pas ? Jusqu’où croit-il que j’irais ?

— Jusqu’à la pleine atteinte de tes objectifs.

— Que sait-il de mes objectifs, Severus ? » Se moqua le blond en souriant avec arrogance.

Snape inspira longuement, dépassant l’aristocrate, et lui tournant le dos alors qu’il reprenait librement un verre. Il s’apprêta à boire lentement ce superbe whisky quand le claquement de langue de son interlocuteur lui tira un franc sourire.

« Tu le sous-estimes une nouvelle fois, Lucius. Dumbledore ne peut ignorer tes véritables aspirations.

— … Et si je demandais à ses hommes l’impossible… ?

— Tu sais très bien qu’il garderait des atouts dans sa manche, et cela même quand il la secouera pour te serrer la main. »

Accompagné du claquement de sa canne, Lucius se rassit près du feu, laissant son regard dériver sur les ondoiements des flammes. Son visage parfaitement symétrique s’illumina délicatement quand il murmura :

« Quel dommage qu’il aime tant les Moldus… »

 ***

« Quoi, c’est tout ?

— Cela ne vous suffit donc pas ? Vous êtes insatiable, ma parole !

— Vous ne soupçonnez même pas à quel point… » Répliqua la Moldue en inclinant sa chope grossièrement en arrière pour en tirer la dernière goutte. « Non, sérieusement, qu’est-ce que vous avez décidé, du coup ?

— Moi ? Rien. Par la suite, je suis retourné auprès d’Albus, et nous avons attendu le rapport de Fol’Oeil. De là, une décision a été prise, par voie de cheminée, si vous voulez tout savoir.

— Quoi ? Ils se sont parlé ?!

— Brièvement.

— Et, alors ?! Par Merlin, Severus, quel est l’accord ?!

— Doucement, Miss… Vous allez manquer de salive pour la suite. Attendez un instant. »

Il s’empara d’un geste simple de sa pinte et récupéra la sienne, avant de se diriger vers le comptoir. Le tenancier semblait avoir anticipé le mouvement, car il lui poussait déjà deux autres chopes, que la jeune femme ne vit même pas être payées. À quel point le vieillard comprenait qu’ils n’étaient pas prêts de s’arrêter de boire ? Snape revint auprès de la Moldue, poussa une autre bière d’une autre sorte.

« Vous allez me faire descendre la carte, ou quoi ?

— Certainement pas ! Vous en mourrez… Un géant pourrait en mourir, en fait. Vous y êtes ?

— Ah ça… Je ne sais pas, non.

— Tant pis, Lucius a obtenu non pas la collaboration entre l’Ordre et le Ministère, mais la dissolution pure et simple du groupe, et la mise sous tutelle des baguettes. »

Jane recracha sa gorgée en une pluie fine mêlée de salive, éteignant au passage la bougie. L’espion la ralluma d’un geste, avant de jeter un regard courroucé à la jeune femme.

« Ma parole, il vous faut un bavoir.

— Dumbledore a fait quoi ?!?

— Calmez-vous Jane, vous réagissez exactement comme les journalistes doivent être en train de le faire actuellement…

— À quel moment je dois trouver normal le fait de renoncer à la seule force de frappe dissidente du monde Sorcier à un Mangemort, qui plus est en quête de pouvoir ?! Vous êtes complètement inconscients ma parole !

— Décidément, tout le monde sous-estime le vieil homme. Il n’a pas l’intention de renoncer à l’Ordre, il…

— Il lui arrive de se tromper, Severus ! De commettre de graves erreurs ! La nuit dernière en est bien la preuve, il me semble ! »

Jane avait presque crié cela, et elle se mordit la lèvre en voyant que le barman avait cessé de feindre de nettoyer ses chopes pour les observer. Quand elle se redressa, elle fut surprise de le voir s’approcher pour lui déposer un verre de vin d’un rouge parfait, puis de disparaître sans un mot. La Moldue jeta un œil interrogateur à l’espion qui pinça les lèvres :

« Vous n’êtes pas la seule à trouver qu’Albus fait des erreurs, répliqua-t-il sans qu’elle sache si cela le concernait lui, ou le tavernier. Quoi qu’il en soit, l’Ordre ne va pas disparaître, il va au contraire bénéficier de plus de libertés. Les membres vont pouvoir agir au grand jour…

Et au nom du Ministère.

— Et donc plus efficacement.

— Putain, Severus… ! Je ne comprends pas comment vous pouvez passer à côté du fait qu’il s’agit d’une décision dangereuse. »

L’homme cligna des yeux et attrapa le verre de vin qui avait été offert à son amie pour le porter sous son nez. Il en apprécia toutes les senteurs en fermant doucement les yeux, puis le lui tendit.

« Moi ce que je ne comprends pas, c’est comment vous avez pu passer à côté du fait que ça m’était égal.

— Mais… Entre les mains de Malefoy, un corps d’armée capable de…

— Jane, que croyez-vous que soient les Aurors ? Qu’est-ce que vous n’avez pas compris de notre système judiciaire ?

— Mais Malefoy est un Mangemort, non ? Qui cherche à s’emparer du pouvoir ! Après que la menace de Bellatrix ait été écartée, il se passera quoi ? Combien de temps avant que le Ministère ne soit offert à…

— Parce que vous croyez que Lucius renoncerait soudain à tout pour se remettre à genoux ? »

Elle resta interdite. Au bout d’un moment, elle chercha une nouvelle cigarette qu’elle alluma en se penchant en direction de la bougie. Toute à sa réflexion, elle ne prit pas garde et une mèche bouclée tomba devant son visage. Cette dernière ne dû sa survie qu’aux réflexes de l’espion qui attrapa la mèche au vol pour la replacer rapidement en arrière. Ce geste intime leur tira un bref regard échangé, et la Moldue reprit sa place, en faisant quelques ronds de fumée.

« Dumbledore mise beaucoup sur les aspirations de Malefoy, et s’il se trompait, là encore… ?

— Non, là non, il ne le peut.

— Et pourquoi ça ?

— Parce que je partage son analyse, et que pour ma part, je ne me trompe jamais. »

***

Harry observait, captivé, les reflets rosés qui ondulaient sur l’amérite. Sa petite surface polie renvoyait une myriade de tons dorés et violines, un étrange mélange qui le maintenaient dans une profonde sérénité. Il ne comprenait rien à la magie des pierres, pas plus qu’il ne comprenait la divination, d’ailleurs… Mais cela n’avait aucune importance. Étrangement, serrée dans sa main, pulsant légèrement au rythme de son cœur, la gemme lui évoquait son amie, et cela l’apaisait. Il se sentait à sa place, il se sentait rassuré.

Sirius revint de la cuisine et déposa deux verres de Whisky Pur-Feu sur la console de bois. Ils s’étaient arrêtés à Square Grimmaurd, l’Animagus insistant auprès de Dumbledore pour garder son filleul à dîner le soir même. Alors qu’il agitait sa baguette pour allumer des chandeliers supplémentaires dans la bibliothèque, Black jeta un œil à son cadet, quelque peu amusé.

« Tu avais tant que cela peur de perdre le contrôle de toi-même… ?

— C’est Luna qui me l’a donnée, répondit Harry en rougissant. Et au final, ça s’est plutôt bien passé. »

Le meilleur ami de son père défit les boutons de sa redingote et l’enleva d’un geste las, avant de l’envoyer pendre négligemment à un autre fauteuil de la pièce.

« Tu trouves ? murmura-t-il en s’asseyant enfin.

— Oui… Certes je ne m’attendais pas tellement à ce genre d’annonce, plus à des… Un discours plus personnalisé, mais… Au final, ce qui compte c’est qu’enfin, ENFIN ! Le Ministère se bouge. Pas comme l’année dernière à ne rien faire, ne pas nous croire, continuer de faire comme si de rien n’était…

— L’action, peu importe le prix, Harry ?

— Quel prix ? On va enfin avoir les moyens de se défendre. Il fallait prendre des mesures plus sérieuses ! On est en guerre, non ? »

Sirius soupira par le nez, agacé, et reprit une gorgée, bientôt imité par son filleul. Il l’observa longuement, avant de lui demander :

« Et quoi ? Des Aurors qui patrouillent dans une école, une réforme à venir sur l’insertion des nés-Moldus, un changement de tête à la Gazette du Sorcier… Tout ceci ne te suffisait pas déjà ?

— C’est pas ça, c’est que là… Là on va pouvoir faire quelque chose. Là, on va pouvoir se défendre. Je sais qu’il s’agit de Malefoy, mais il a raison, et puis Dumbledore…

— Et puis Dumbledore ne recule devant rien quand il s’agit d’obtenir des résultats, le coupa Sirius d’un air entendu.

— Et alors ? C’est comme ça qu’on gagne une guerre, non ?

— En ne sacrifiant aucun effectif pour surveiller une famille Moldue, Harry ? En autorisant le renforcement des pouvoirs des Aurors ? En leur donnant l’autorisation de décider de vie ou de mort sur les gens ? En concentrant tous les pouvoirs au sein d’un seul Ministère ? »

L’ancien détenu n’avait pas haussé le ton, mais cela suffit au jeune garçon pour se tortiller, mal à l’aise sur sa chaise. Il fixa le feu, caressant la pierre instinctivement, et bredouilla :

« Ca ne sonnait pas pareil, tout à l’heure… Tout à l’heure…

— Tout à l’heure t’étais au garde-à-vous prêt à t’engager à l’Académie. J’ai vu le moment où j’aurais dû te choper par la ceinture pour t’empêcher de prêter serment à « Lord Malefoy ». » Se moqua Sirius.

Harry sourit pauvrement, les joues rosies de gêne. Maintenant que son Parrain le lui disait… Il secoua la tête, riant presque.

« C’est plus facile sur le terrain.

— Oui, nettement. Les sorts ont l’avantage sur les décisions politiques d’annoncer leur couleur. »

Aux raisons Funèbres

 

La forêt était incroyablement silencieuse, aucun bruit d’animal ne venait à filtrer entre les ronces et les fougères. Le son même de leurs pas semblait englouti par les ténèbres, et eux… Eux étaient incapables d’échanger le moindre mot. Le Sorcier avançait devant elle, tenant fermement sa main et la guidant jusqu’à la lisière. Drapée dans sa cape, la Moldue obéissait, dépossédée d’elle-même, encore flottante dans les méandres de ses propres terreurs. L’étoffe noire qui réchauffait ses épaules puait le sang, le charbon et quelques herbes fortes et mystérieuses. C’était définitivement son odeur, et elle avait un pouvoir apaisant sur elle.

Courbé, les muscles entièrement tendus et la baguette en main, Severus fendait les herbes hautes et sillonnait dans la Forêt Interdite comme un animal habitué des lieux. Jane gardait les yeux rivés sur la main qui tenait la sienne, sans pour autant la voir. Lorsque la forêt les vomit, ils débouchèrent sur le parc de Poudlard qui était baigné d’une lueur argentée délicate. Dans le ciel, la lune rousse avait laissé place à un astre blême et mortuaire. Ne relâchant pas pour autant la main de sa protégée, l’homme en noir avança jusqu’aux portes du château d’un pas alerte. Ils montèrent les marches du perron d’un même mouvement, Jane surprise d’apprécier la froideur de la pierre sous ses pieds nus, et ils passèrent la porte comme on passerait un portail vers un autre monde. Là, dans le grand hall désert et lumineux, l’un et l’autre expirèrent lentement. La chaleur bienveillante pénétra profondément dans les membres engourdis de la jeune femme, et son ami détendit ses doigts, jusqu’à laisser enfin sa main libre. Délicatement, il en posa une au creux des reins de la brune et la poussa en avant. Jane se remit en marche, le Sorcier observant les alentours comme cherchant des réponses. Ils se dirigèrent rapidement vers les appartements de la Moldue, et là devant sa porte, Severus s’arrêta et après avoir jeté un dernier regard autour de lui, croisa enfin celui de la scribouillarde. Jane cilla en frissonnant, arrivant difficilement à supporter l’intensité primale de ces ténèbres. Elle s’y astreint, comme une marque de respect, incapable d’émettre pour autant le moindre mot. La voix rendue rauque par ses efforts précédents, Severus rompit le silence :

« Changez-vous. Rapport dans quinze minutes maximum dans le bureau du Directeur. Attendez qu’on vous donne l’autorisation d’entrer. Ne parlez à personne.

— À vos ordres. » Répondit-elle mécaniquement.

Il n’attendit pas davantage et tourna les talons, agrandissant le pas jusqu’à ce qu’il devienne une course qui le fit tourner à l’angle plus vite qu’elle ne l’aurait voulu. Restée seule dans un couloir désert, pieds nus, blessée, une robe en lambeau et une cape de Mangemort sur les épaules, Jane sentit un picotement intense remonter le long de son nez et brûler les yeux. Elle s’engouffra par la porte quand sa gorge se noua, et qu’un sanglot l’étrangla, jusqu’à ce que ses jambes cèdent. Elle hurla, une fois. De rage. De terreur contenue. D’impuissance. Un miaulement triste lui répondit, et Jane sourit par-delà ses larmes, écartant les bras de soulagement en direction de Merlin qui s’y engouffra.

Allons bons… Que lui avait fait l’homme en noir pour qu’elle soit dans un tel état ?

 ***

Severus arriva rapidement à la gargouille qui gardait les escaliers menant au bureau de Dumbledore. Sa colère n’avait fait que monter d’un cran à mesure qu’il évoluait dans Poudlard. Son cœur cognait fort, à un point tel qu’il sentait une veine pulser sur sa tempe douloureusement. Il était essoufflé, incapable de se calmer. La gargouille sembla se rendre compte de son état, car elle grimaça presque, mais elle obtempéra quand l’homme cracha le mot de passe d’une voix glaciale. Snape monta les marches, et donna deux gros coups sur la porte du Directeur, en menaçant :

« Ouvrez immédiatement ! »

La porte coulissa dans un grincement interrogateur, comme choquée elle-même du langage du subalterne. L’espion passa l’encadrement et braqua un regard de défi en direction du fauteuil… Mais il était vide. À sa droite, un clapotis caractéristique le fit pivoter et il retrouva le mage la tête plongée dans sa Pensine. Albus en ressortit presque immédiatement, l’air intrigué et l’ébauche de sourire qu’il avait eus en voyant son cadet mourut sous le regard brûlant de l’espion :

« Par Merlin, Severus… Que s’est-il passé ? Vous attendez depuis longtemps ?!

— Non. Vous avez passé la soirée à cela ?

— Je… J’ai pratiquement trouvé… Severus, répondez-moi, que s’est-il passé ?

— Envoyez Maugrey et cinq baguettes d’élite à Godric’s Hollow. S’y trouvent Bellatrix, les Carrows, Dolohov, Nott… Et quatre cadavres, j’ignore dans quel état. Lestrange y a fait un Sabbat…

— Que… ?

— ALBUS ! Envoyez immédiatement une escouade pour les cueillir, il faut confiner la zone avant que la Presse ne voie ça.

C’est à moi d’en décider, Severus. Que s’est-il passé ? redemanda Dumbledore d’une voix autrement plus autoritaire.

— Mais… Vieux sénile ! Nous n’avons pas le temps pour votre jeu, ni… Où sont les Aurors ?

— Severus, vous êtes incohérent, reprenez-vous !

— Les Aurors… Les deux gamins qui arpentent les couloirs ce soir… OÙ… SONT… ILS ?! »

Snape avait hurlé cela d’une voix terriblement grave et rocailleuse, ce qui déclencha un mouvement sec chez son aîné. Sans cesser de le fixer de ses yeux bleus glacés, le vainqueur de Grindelwald tenait à présent en joue son protégé d’une baguette ferme et déterminée. Aussi vieux et usé par le sortilège noir qui lui rongeait le corps depuis l’été, Dumbledore dégageait toujours une aura puissante qui ne fit qu’augmenter la rage de son vis-à-vis. Inspirant profondément, Snape recula d’un pas, hochant la tête. Tous deux savaient exactement ce qu’il se passait. Ce n’était pas la première fois que le mage blanc le voyait dans cet état. Cependant, quelque chose de différent filtrait dans l’attitude de l’espion.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? redemanda Albus une pointe d’inquiétude dans la voix.

— Figg et les Dursley ont été amenés chez les Potter pour y être torturés et tués. C’est un vrai massacre…

— Par le souffle du…

— Et je viens de décapiter un jeune vampire dans la forêt interdite… Pendant qu’il essayait de tuer Jane.

— … Comment ? Miss Smith était… »

Severus le coupa d’un regard si dense que le feu de la cheminée s’y refléta jusqu’à incarner la colère qu’il couvait. Dumbledore serra instinctivement ses doigts autour de sa baguette, sentant la magie noire tournoyer dans la pièce.

« Ja… Smith était presque nue sous un vampire assoiffé, au beau milieu de la forêt. Alors je vous le redemande, Albus : où sont Cook et McArvis ?

— Je l’ignore, nous les convoquerons plus tard. Nous avons plus urgent. Que s’est-il passé à Godric’s Hollow ?

— PAR MORGANE ! Dumbledore, vous allez m’écouter ?! Personne ne l’a protégée !

— … Vos sentiments obscurcissent votre jugement, Severus…

— PERSONNE, répéta Snape en s’approchant lentement. Ni un Auror, ni un fantôme, ni un portrait, ni un elfe, RIEN. Albus, est-ce que vous allez laisser mes sentiments là où ils sont et comprendre ce que je suis en train de vous dire ?! »

Le mage blanc abaissa la baguette et jeta un regard sévère à son Professeur de DCFM. Snape hocha la tête à de nombreuses reprises et tous deux s’assirent silencieusement dans leurs fauteuils respectifs.

« … C’est… Fâcheux, répondit lentement le vieil homme.

Fâcheux ?! Elle a ordre de venir ici et de faire son rapport. Est-ce que vous allez me faire confiance et envoyer Maugrey sur place ?!

— La partie va être dangereuse, il n’y a pas que l’Ordre que je dois prévenir… Cela serait suspect que…

— Laissez-moi… »

 

Severus reprit son souffle, épuisé, le cœur cognant toujours aussi douloureusement à mesure que son corps cherchait à retrouver un rythme normal sous ce débordement magique.

« Laissez-moi un peu de temps avant d’aller voir Lucius. Il était à la réunion préliminaire de toute façon, il… Il sait que quelque chose de grave s’est passé. Il donne une soirée mondaine avec le Premier Ministre…

— Les Dursley avez-vous dit ? le coupa le Directeur en faisant un rapide calcul.

— Oui, Albus… Les Dursley. Les Dursley qui nous expliquaient que c’était impossible, que le vieillard là… Le Dumbledore, les protégeait. »

Enfoncé dans son fauteuil préféré, le visage dans les mains, Snape n’avait pas haussé le ton en disant cela, mais l’accusation sonna violemment dans la pièce. Le Directeur plissa les yeux et répliqua, d’une voix dangereusement calme :

« Ne vous prenez pas l’envie de me juger, Severus.

— Sinon quoi ? Vous allez promettre d’assurer ma sécurité à moi aussi ?

— Severus…

— Taisez-vous ! Nous avons quatre morts sur la conscience, et soyez soulagé de ne pas en avoir eu un cinquième.

— Ça suffit ! Vous entendez-vous me parler ?!

— ET VOUS ? ENTENDEZ-VOUS LEURS HURLEMENTS ET LEURS SUPPLIQUES LA NUIT ? SAVEZ-VOUS CE QUE VOS DÉCISIONS IMPLIQUENT DE FAIRE ? JUSQU’À QUAND VAIS-JE FAIRE VOTRE SALE BOULOT ?! »

On frappa à la porte, des coups timides, et c’était tout à fait compréhensible. Il y avait de grandes chances pour que Jane ait entendu la dernière partie malgré les dix centimètres de chêne brut. Mais ces coups eurent le mérite de stopper net la querelle, et les deux Sorciers échangèrent un regard lourd de sens, avant que Snape n’hoche la tête :

« Entrez, Smith !

— Monsieur le Directeur… Professeur Snape… »

Jane se faufila dans la pièce, comme une automate mal remontée. Elle s’était changée, mais avait eu la présence d’esprit de mettre une robe sorcière. Noire, simple, épaisse, elle semblait destinée à la cacher. La Moldue avait lavé ses cheveux, mais ne les avait pas peignés, ils s’éparpillaient en boucles humides et indisciplinées partout autour d’elle. Quand elle prit place dans le fauteuil adjacent, Severus cilla et se traita mentalement d’idiot. Le visage tuméfié de la Moldue témoignait de sa précipitation, et Dumbledore le regarda par-dessus ses lunettes en demi-lunes, comme pour lui faire prendre conscience qu’il était lui-même négligent.

« Pardonnez-moi, Smith…, murmura-t-il en tirant sa baguette. Je n’avais pas réalisé que…

— Ca va, je suis en vie…

— Grâce à Severus. Je suis désolé, mon enfant. »

Le vieil homme les surprit tous les deux, et tandis que Snape appliquait une série de sorts sur la Moldue, soulagée de voir les douleurs disparaitre, il se leva et lança une poudre dans sa cheminée. Le visage de Maugrey s’y matérialisa l’instant d’après, l’ancien Auror étonnamment alerte :

« Un Sabbat a lieu chez les Potter. Trois Moldus sont morts, une Cracmolle également. Lestrange mène une troupe de 4 Mangemorts d’élite. Il y a peut-être d’autres victimes…

— Bien. Snape ? appela le guerrier derrière le rideau de flammes. À quel point sont-ils avancés dans leur rituel ?

— Ils sont très dangereux Maugrey. La lune est puissante ce soir… Soyez prudents.

— Je vois. Des ordres particuliers, Albus ? »

L’homme à la barbe échangea un bref regard avec son espion, avant de le reporter vers le chasseur de mages noirs :

« Aucun prisonnier. »

L’âtre reprit une couleur normale, et un silence de plomb tomba sur le bureau. Dumbledore donna un coup de baguette et un plateau d’alcools et liqueurs se matérialisa, un second apparu dans un autre « pop », proposant thé, café, et chocolat chaud. Jane inspira longuement et se servit un verre de vin cuit, se leva et se dirigea vers la cheminée, une cigarette déjà dans la main. La tige tremblait, et la Moldue lui jeta un regard noir, avant de l’allumer et d’en tirer une bouffée rageuse. Puis, elle soupira :

« Okay… Okay… Par quoi je commence ?

— Le début, Miss, proposa Albus tandis que Snape hésitait à l’accompagner sur la boisson. Severus, prenez un verre, vous aussi, nous disposons d’un peu de temps avant que vous ne soyez obligé d’aller voir Malefoy, alors profitez-en.

— Bon… Je suis allée à la soirée de Slughorn avec Minerva. Ça se passait plutôt bien, Sirius y a même fait une apparition. »

La bouteille de whisky Pur Feu protesta quand le Sorcier la reposa avec violence. Jane fronça les sourcils, lançant un air interrogateur à l’espion, qui se refusa à croiser son regard, et préféra avaler une première rasade. Dumbledore repositionna ses lunettes sur son nez et agita doucement la main pour inviter la Moldue à continuer.

« Potter et Lovegood étaient ensembles, très beaux eux aussi. À un moment, Draco s’est joint nous et a plus ou moins présenté ses condoléances à Harry et Sirius, mais il s’est surtout intéressé à ce dernier… Et puis il est resté aussi avec moi pour me suggérer de répondre à l’invitation de son père… Après… Après il est parti et… C’est là que Sebastian a commencé à me coller. »

Jane se mordit la lèvre, les narines frémissantes de colère. Elle tira une nouvelle bouffée furieuse sur sa cigarette, si longue que le foyer dévora une belle partie de la tige. Relâchant la fumée par les narines, la main droite fermement verrouillée sur le rebord de la cheminée, Jane continua :

« Il me matait déjà depuis un bail. Sirius m’avait déjà mise à l’écart parce qu’il disait que le vampire… Qu’il sentait, ce que j’étais. Mais quand les petits sont partis, Malefoy y compris, il est intervenu, et ne m’a plus lâchée ensuite.

— … Sirius n’était pas avec vous ? demanda le Directeur, après un regard hésitant en direction de son protégé.

— Non. Il était… Enfin, il faisait sa vie, c’est normal, vous savez… Il n’a rien à se… »

Cette fois-ci, c’était le verre que tenait dans sa main le Mangemort qui craqua légèrement. Mais Snape ne décocha ni un mot ni un regard. Il se resservit du whisky, sans interrompre l’explication de la jeune femme.

« … Peu importe, éluda-t-elle. Je sais pas ce qu’il m’a fait, mais j’étais… Au début j’ai tenté de l’éviter, mais à un moment il a… Je… Je ne sais pas, j’étais… »

La Moldue inspira brutalement, jetant sa cigarette terminée dans le feu et vidant d’une traite son verre. Elle ne parvenait pas à les regarder en face en leur disant cela. Rien que de repenser à la main du vampire enserrant sa taille, son regard de mort la perdant totalement, elle sentait son ventre se contracter douloureusement en un…

« Absente, souffla-t-elle avec précipitation tandis que la bile remontait dans sa gorge. Incapable de lutter, j’ai essayé.

— Les vampires ont ce charme particulier. Cela fait partie de leurs nombreuses armes pour chasser, expliqua Dumbledore d’une voix professorale. Vous ne pouviez pas résister.

— Si je n’avais pas été…

— Certaines Sorcières peuvent aussi succomber à l’attrait d’un vampire, Miss… Ce n’est pas de votre fait, continuez. »

Jane secoua négativement la tête, comme pour réfuter le propos du mage blanc et elle s’approcha du bureau du Directeur où se situaient les plateaux. Elle pose son verre, et avança une main tremblante vers la bouteille, mais Snape la prit de court et la resservit sans un regard. Elle acquiesça, reprit une nouvelle clope et retourna près de la chaleur réconfortante du feu. Pourtant, même proche des flammes, la morsure glaciale de la terreur revenait la hanter.

« Il a lancé une chasse, continua-t-elle précipitamment. Jusqu’à ce qu’elle débouche dans la forêt, et que Severus ne me retrouve.

— Miss… Je comprends que vous ne souhaitiez pas en dire davantage, mais il nous faut certains détails pour comprendre ce qu’il s’est passé.

— Lesquels ? grinça-t-elle ? Le fait que je me sois vautrée dans les couloirs ? Que j’ai hurlé à l’aide sans que cela ne change rien ?! Le fait que j’ai bêtement pris le chemin de cette putain de forêt de monstres ou encore le moment où, comme une conne, j’ai cru qu’un bout de bois allait faire mal à un vampire ?!

— … Vous avez fait quoi ? balbutia Albus, surprit.

— Je l’ai frappé avec une branche, mais il l’a arrêtée. J’ai pu lui en coller une quand il a essayé de me… »

Un jappement rauque la stoppa. Elle lança un regard colérique à Snape qu’elle croyait en train de se moquer d’elle, mais le Sorcier l’observait intensément, l’ombre d’un rictus accroché aux lèvres.

« Vous avez quand même réussi à le toucher…

— Il avait une belle longueur d’avance sur moi de ce côté, répliqua Jane, glaciale. » Incapable d’aller au-delà de l’humour noir. « Mais j’en ai profité pour détaler. Et j’suis arrivée sur cette clairière, avec cette statue…

— … Quelle… ?

— Et quand il m’a mis la main dessus, et qu’il allait me… Me… »

La jeune femme releva les yeux vers eux, comme incertaine du terme à employer. Aucun des deux hommes ne lui fut d’un grand secours, alors elle trancha :

« Me détruire. Quand il allait me détruire, Severus est arrivé, et il s’en est chargé.

— Pardon… ? Miss, qu’entendez-vous par « il s’en est chargé » ?

— Il lui a foncé dessus. Sebastian lui a dit de ne pas le faire, qu’il allait le réduire en charpie, mais… Je crois qu’il n’avait pas pris la pleine mesure de qui il avait en face. Severus a lancé un sort, je ne sais pas lequel. Le vampire s’est mis à saigner, de partout ! Et il est tombé à terre. Et là… Là, Severus en a lancé un autre et… Il a attrapé la tête, et il l’a décapité. À mains nues. »

Albus cligna des yeux, Snape ricana d’autosatisfaction, et Jane rougit en baissant la tête. D’un même geste, la Moldue et l’espion vidèrent leur verre et se resservirent, étonnamment rejoints par le mage blanc qui s’empara de la bouteille de Limoncello.

« Personne d’autre n’est intervenu, répéta-t-il à voix haute alors que son verre se remplissait de liqueur dorée.

— Non. On aurait dit le château vide. Même les portraits… Les fantômes…

— Il est de tradition qu’ils se rejoignent les uns et les autres pour fêter la Sanhaim entre morts et personnages immatériels. Mais que vous n’ayez croisé aucun Auror…

— Cook et McArvis, vous ne les avez pas vus ?! coupa Snape pour la première fois.

— Le petit blond et la grande perche timide, là ? Si… bien sûr que je les ai vus, à la soirée. Slughorn leur a proposé de boire un peu avec nous, plutôt que de garder des vieilles pierres, qu’il leur a dit. »

Jane avait dit cela précipitamment en voyant le regard furieux des deux sorciers. Mais elle se demanda si ce n’était pas la pire des idées, précisément. Elle balbutia presque un « désolée », qu’aucun d’eux n’entendit, et s’empressa de s’allumer une troisième cigarette.

« Nous règlerons cela plus tard, Severus, ordonna le mage blanc d’une voix qui ne souffrait aucune discussion. Nous avons bien plus urgent. Miss, est-ce que vous savez si Sirius et Harry sont toujours sur place ?

— Eh bien… Je suppose, je ne sais pas, il n’est pas si tard, je crois ?

— Peu importe, Albus. Vous comptez les faire venir tous les deux ? Là ? Maintenant ?

— Harry doit être au courant, et Sirius est un membre de…

— Qu’est-ce que… ? tenta de savoir Jane, mais l’espion leva la main pour la faire taire.

— Soit. Faites-les mander, en ce cas. »

Albus se leva rapidement, et alla cette fois-ci devant un petit miroir, pour y scruter à l’intérieur. Snape en profita pour prendre la bouteille de vin cuit et en servir encore à la Moldue. La bouteille se faisait plus légère, la tête de Jane plus lourde. S’approchant d’elle pour verser le liquide, il ouvrit la bouche, mais ne trouva aucune façon de le dire. Il se contenta de la regarder d’un œil critique, et la jeune femme hocha la tête.

« Je me doute. » Murmura-t-elle, et Severus sut qu’elle avait compris où il voulait en venir.

Ils attendirent une dizaine de minutes, jusqu’à ce que la porte ne s’ouvre sur un Sirius Black particulièrement inquiet, suivi d’un Harry Potter suspicieux. Le mage blanc conjura deux nouveaux fauteuils et quand le Survivant croisa le regard de son Maître Occlumens, il comprit qu’il y aurait d’autres morts à pleurer à cette date.

 ***

Rassemblée près d’un grand dolmen gravé de runes, l’équipe se tenait prête à partir. Ils seraient sept, en comptant le vieil Auror qui jetait un dernier sortilège sur sa jambe de métal. Maugrey leva sa baguette, et son escouade se mit en cercle autour de la pierre, prête à transplaner, quand un « pop » arrêta net le Sorcier.

Tous s’accroupirent et mirent en joue le nouvel arrivant qui leva les mains en signe d’apaisement.

« ATTENDEZ ! Attendez ! Alastor… À Noël dernier avec Sirius nous avons échangé votre Whisky par de la crème de marrons frelatée…

— Par Merlin ! Lupin que foutez-vous ici ? RECULEZ ! Vous avez pris votre Potion ?! NYMPHADORA ! COMMENT SAIT-IL QUE…

— Ca n’a pas d’importance ! Je refuse que vous l’emmeniez, vous ne pouvez pas la mettre ainsi en danger !

— Mais de quoi… ? Lupin, tu vas te ressaisir ?! Elle est l’une de mes meilleures baguettes, il est hors de question que l’on se passe d’elle pour une telle mission ! »

Le lycanthrope jeta un regard implorant à la Sorcière qui vit ses cheveux gris virer au rouge carmin sous l’effet de la colère. Son mentor ne lui accorda aucun intérêt et darda son œil magique vers l’ancien Professeur de DCFM.

« Nym… Tonks ! Je sais que tu m’en veux de chercher à t’éviter, mais je t’en prie, ne te mets pas en danger pour me punir !

— Je rêve… ! »

La jeune femme rompit le cercle formé par l’escouade pour s’approcher, furieuse, de l’homme qu’elle aimait, mais elle fut arrêtée par la main noueuse de l’ancien Chef du Bureau des Aurors.

« CA SUFFIT ! tonna-t-il de sa voix rocailleuse. Je me fous de vos problèmes de couple. TONKS, retournez dans le rang, on décolle.

— Non, s’il te plaît… Je te jure que si…

— Je fais mon devoir, Rémus. Ne t’avise plus de croire que le tien c’est de décider à ma place.

— REFORMEZ LE CERCLE ! ordonna Maugrey en tournant le dos au loup-garou blême d’inquiétude. Retourne dans ta tanière, Lupin, avant que tu ne cèdes et ne fasses de gros dégâts, tu es fou de sortir par une telle nuit. Quant au reste… Ta femelle est mon soldat ce soir. »

Avant même que le Mauraudeur ne puisse répliquer quoi que ce soit, la troupe disparut dans un grand flash argenté, la grosse rune inscrite dans le granit scintillant encore quelques minutes après. Ils déboulèrent sur la place où se trouvait normalement la statue des Potter, mais au lieu d’y voir la petite famille heureuse, une odeur de sang séché et de chair en putréfaction les cueillit. Ça, et un trait vert qui percuta Williamson à la poitrine. Son corps s’arcbouta, et il tomba au ralenti sur le sol pavé de la rue. Maugrey envoya une main ferme en direction de Tonks pour la faire pivoter à sa gauche, mais la jeune Auror avait déjà réagi et elle entraînait Savage et Cox à l’angle d’une maison. Rhodes, Pearce s’abaissèrent derrière un muret d’ardoise. Contre le piédestal fracassé du monument, aux pieds des corps hissés macabrement à la place des Potter, Maugrey se tenait, baguette levée, et observait ses hommes, tandis que son œil magique était totalement retourné dans son orbite. De cet œil se dessinait la place commémorative autrefois si bien entretenue, devenue un cimetière ouvert. Snape avait vu en deçà de la réalité : il n’y avait pas que quatre cadavres, mais bien le quartier entier. La maison des Potter était béante, le salon déversant une sorte d’aura maléfique très puissante dont semblaient émerger des formes. Les demeures voisines les plus proches affichaient des fenêtres illuminées de l’intérieur, mais avec des perrons défoncés, parfois le corps d’un de leurs occupants gisant à même l’allée. Godric’s Hollow était un village mixte… Et Sorciers et Moldus se côtoyaient à présent dans la mort, leur sang ayant de toute évidence la même couleur une fois versé.

Par le passé, Alastor Maugrey n’avait interrompu qu’un seul Sabbat, et il y avait perdu la moitié de son nez, tué quelques Mangemorts, et capturé de nombreux autres. Mais pas ce soir. Ce soir, Azkaban n’aurait aucun nouvel occupant, les ordres étaient très clairs. Et vu l’accueil réservé par ces pourritures, pensa l’Auror, c’était amplement mérité. Il fixa Tonks de son œil valide, agitant la baguette dans un certain sens, et elle se jeta un sort la rendant floue et impalpable, avant de ramper au sol. Cox et Savage projetèrent des rayons mauves en direction des ombres qui leur faisaient face, et on entendit le rire caractéristique de Lestrange. Un rire que Maugrey n’avait plus entendu aussi joyeux depuis la nuit où les Londubat…

« Oh oh ! Snape n’a pas mis longtemps à cafter auprès du vieux à c’que je vois… ! Et Dumby m’envoie son chien enragé en prime ! Severus a dû lui donner de sacrés détails pour qu’il flippe comme ça… »

Fol Œil ne répondit pas, son globe magique s’élevant dans son orbite jusqu’à lui offrir la vue parfaite de ce qu’il avait au-dessus de lui. Ses sens ne le trompaient pas. Il y avait bien de la chair suintante pendue sur le socle… Il n’avait pas besoin de voir précisément l’ensemble pour comprendre que les cadavres des Dursleys avaient été agencés de façon à reprendre la posture des Potter. Malgré des années d’entraînement, le corps du Sorcier se tendit de fureur, et il prit une grande bouffée pour se maîtriser.

« Houhou… Maugrey, tu m’entends ? On va te tuer, toi et tes petits soldats de chiffon !

 ***

 

Harry refusa tout d’abord de prendre une tasse de chocolat chaud. Sirius lui, lui proposa directement un Whisky qui fit s’offusquer Albus, gronder Severus, et arquer un sourcil à Jane. On décida donc d’en rester au jus de citrouille cuit et épicé. Le jeune homme s’humecta les lèvres en tentant de patienter devant les réticences des adultes. Dans ses atours de soirée, il semblait avoir deux à trois ans de plus et son regard lui en donnait bien davantage. Albus joignit ses mains sous son menton, et se racla la gorge avec insistance. L’Attrapeur craqua :

« Bon, venez-en au fait ! Qui est mort ?

— Les Dursley et Mrs Figg. »

Snape lui avait répondu ça avec calme, et un silence mortuaire tomba entre eux. Harry cligna des yeux plusieurs fois, cherchant à assimiler la nouvelle, et avança la main en direction du jus de citrouille. Il jeta à de nombreuses reprises un drôle de regard à l’espion.

« Oui, j’étais là, anticipa ce dernier.

— Vous… Vous pouvez m’expliquer ce qu’il s’est passé ?

— Êtes-vous certain d’avoir envie de connaître ces détails ?

— Je les ignore moi-même, Harry, murmura Albus en plongeant son regard bleu dans celui de Sirius.

Pour l’instant, Monsieur le Directeur. Mais je ferai mon rapport à l’Ordre à votre demande.

— Harry ne fait pas partie de l’Ordre. Prévint Sirius en posant une main possessive sur l’épaule de son filleul.

— Il pourrait. »

C’était Jane qui avait dit cela. Ses cheveux séchaient vite à être si proches de la cheminée, et ses boucles remontaient dans tous les sens, entourant ses épaules, l’une d’elles soulignant le poignet qui tenait la main tremblante où était fichée une cigarette. Harry comprit à son allure et à son air qu’elle était on ne peu plus sérieuse, et qu’elle avait une certaine idée de ce qu’il allait devoir entendre. La différence entre l’enseignante qu’il connaissait, et la femme adossée à la cheminée en train de… fumer ?! était frappante et le garçon déglutit en sentant que quelque chose échappait à sa mémoire. Severus croisa son regard, et une fois de plus, le Gryffondor se rendit compte que l’homme ne portait pas ses robes habituelles, mais quelque chose de bien plus sinistre… Il était encore en tenue de Mangemort. Il frissonna. Il aurait aimé être certain que c’était à cause de la main de Sirius sur son épaule, mais non, il hésitait.

« Je n’ai pas changé d’avis à propos de l’Ordre. Mais si vous voulez hypocritement attendre que je sois majeur, ça n’est pas un problème. Mais dites-moi au moins ce que j’ai le droit de savoir. »

Sa voix n’avait pas tremblé. Il n’avait marqué aucun arrêt, il n’avait ni cherché ses mots, ni le soutien visuel d’un de ses aînés. C’est cette détermination qui fit ouvrir la bouche de Severus, mais Sirius le coupa :

« Attends, je n’ai encore rien décidé moi…

— Ne nous fais pas le coup de l’adulte responsable, siffla Severus dangereusement. Il a rendu son verdict, et je n’ai pas que ça à faire. Dépêchons !

— Severus doit voir Malefoy après cela, expliqua Dumbledore.

— Ils verront bien ! Ce soir, ce soir Bellatrix a eu l’honneur de mener une troupe faire un Sabbat comme nous en faisions à l’époque. Tu vois de quoi je parle, Black… ?

— Des orgies bestiales et cruelles où vous couchiez avec des pauvres âmes et massacriez des animaux. Ou serait-ce l’inverse, Severus ?

— Tu as passé trop de temps dans la peau d’un chien… Nous ne touchions pas aux animaux. Mais le rituel… Le rituel restait puissant et sanglant, c’est vrai. »

Harry regarda son Professeur, la bouche s’ouvrant de dégoût. Il jeta un regard paniqué au Professeur Smith, mais elle semblait à peine surprise d’entendre ça.

« Heu… C’est vrai ? demanda le garçon, gêné.

— Quoi donc, Potter ? Le massacre, ou le folklore autour ?

— Severus… Je ne pense pas qu’il ait besoin d’en savoir davantage, recadra le mage blanc.

— Soit. Le dernier a eu lieu le soir de la mort de vos…

— Du meurtre, coupa Harry. Je voudrais que vous disiez « le meurtre ».

— Harry, ce n’est pas…

— Sirius, je peux aussi avoir mon mot à dire.

— Bon, vous voulez que je vous dise les choses comme je le ferais à n’importe lequel d’entre nous, ou non ?! »

Snape avait soupiré cela en se pinçant l’arrête du nez entre son pouce et son index. Il n’avait que faire des problèmes sémantiques du jeune homme et luttait toujours pour rester maître de sa magie. À la fenêtre, la lune restait aussi imposante, bien qu’ayant retrouvé une couleur plus normale. Ses rayons caressaient le dos du Mangemort, et il pouvait en apprécier toute la puissance. Jane s’écarta de la cheminée, et sous prétexte de resservir tout le monde, elle remplit à nouveau le verre de son ami.

« Le dernier Sabbat a eu lieu il y a seize ans. Et Bellatrix tenait à marquer le coup. Elle nous a ordonné de la suivre pour une virée spéciale. Elle avait en tête de s’en prendre à votre oncle et à votre tante, Potter… Et bien évidemment à votre cousin également.

— Mais comment auraient-ils pu… ?

— Laissez-moi terminer. Nous ignorions où vous habitiez à l’époque. En dehors de Dumbledore et des Weasley, Privet Drive n’avait jamais été visité…

— En dehors de moi également, Snape, tu oublies que j’ai pu…

— Ouais, si tu veux. Depuis le retour du Seigneur des Ténèbres, votre maison est sous la protection d’Albus. Personne à l’exception de lui ne peut la retrouver. Ce qui a considérablement compliqué le travail de Mrs Figg l’année dernière…

— Attendez, vous dites que vous, vous ne saviez pas où j’habitais ?

— C’est ça.

— Mais attends, Sirius, comment tu as fait pour savoir où…

— J’étais là quand ta mère a reçu le faire-part de naissance pour ton cousin. Elle y apprenait la nouvelle adresse de sa sœur. J’savais plus ou moins où c’était, il ne m’a pas fallu longtemps pour retrouver le souvenir.

— Mais les lettres de l’école ?

— Tu sais qu’elles sont inscrites par magie, Harry… expliqua le Directeur. Si quelqu’un voyait les adresses, j’aurais immédiatement réagi pour celle sous…

— Je peux continuer ? »

L’espion avait grondé cela d’une voix forte et menaçante. Il semblait qu’évoquer ce qu’il s’était passé là-bas était douloureux.

« J’ai forcé un Moldu à me révéler la nouvelle adresse, celui qui a repris l’ancienne maison des Evans. Et je l’ai tué. Puis nous avons transplané à Privet Drive. Avant d’entrer chez votre fa…

— Attendez. Vous avez dit que la maison n’était même pas visible pour Mrs Figg… Pourquoi soudain… ? »

Mais la question mourut sur les lèvres du garçon qui se tourna instinctivement vers le mage blanc. Il pressentait la réponse, il n’attendait qu’une confirmation. Jane et Sirius inspirèrent de concert en comprenant à leur tour. Severus releva la tête en direction du Directeur, un rictus malveillant accroché aux lèvres.

« Je n’ai pas maintenu le sort après ton départ. Et la protection liée au sang ne concernait que toi… À condition que toi sois près de…

— Mais pourquoi ?!? Ils étaient des cibles potentielles, alors pourquoi ?

— Parce que je n’ai pas jugé la dépense d’énergie utile, Harry.

— Maintenir un tel sort en permanence est si épuisant ? demanda Jane sans timbre.

— Terriblement, confirma Sirius en s’humectant les lèvres. Pour se passer de ça, il faudrait rattacher la maison elle-même à quelque chose, mais… Même Square Grimmaurd n’est pas autant cachée. Elle dispose de sortilèges différents et…

Vous n’avez pas jugé la dépense d’énergie utile… »

Le brun avait répété cela doucement, en hachant les mots comme munit d’un tranchoir effilé. Il dardait sur son Directeur un regard si furieux qu’on aurait dit deux émeraudes incandescentes. L’air s’épaissit, tandis que la magie crépitait autour de lui. Cela devenait désagréable d’être dans une pièce avec autant de Sorciers en colère. Jane jeta sa clope dans le feu.

« Vous allez devoir vous habituer à entendre ce genre de choses, Monsieur Potter, murmura-t-elle. Cela fait partie du boulot.

— Choisir qui doit vivre et qui doit mourir ?

— C’est plutôt « qui peut », Harry. Qu’avez-vous dit à Maugrey avant qu’il ne parte, Albus… ?

— « Pas de prisonnier. », répéta le vieil homme.

— Mais… Mais si on en faisait, on…

— … Prendrait de gros risques pour les attraper, et pour quoi ? coupa Jane son regard planté dans celui du garçon. Vous croyez qu’il y a beaucoup de procès en temps de guerre ? Beaucoup d’arrestations triomphantes ? En général, les… Échanges de tirs finissent par être surtout mortels du côté des ennemis de ceux qui racontent les faits.

— Et vous cautionnez ça, Professeur Smith ?

— Oui. »

Harry hoqueta de stupeur, alors que Sirius écarquillait les yeux. Dumbledore avala de travers sa gorgée de Limoncello et Snape se tourna si vite vers Jane que son masque se fissura le temps d’afficher une profonde surprise. Jane haussa les épaules et tira de sa blague à tabac une autre cigarette qu’elle alluma.

« Je préfèrerais vous dire que non. Que je suis contre. Parce que c’est le cas, je voudrais qu’il en fût autrement. Mais je n’ai rien d’autre à proposer. Et je crois de plus en plus qu’il n’y a pas d’alternative. Pas de guerre propre. Alors… Je préfère ne pas être hypocrite et le dire : ce faisant, je cautionne.  Vous n’avez jamais douté d’une décision de clémence qui vous aurait coûté cher, Potter ?

— C’est bon, Smith ! Par Merlin, ce taré déteint sur vous, cracha Sirius. Harry, tu n’es pas obligé d’écouter la suite, tu sais.

— Ca m’arrangerait, car nous prenons du retard. Si Potter veut aller au lit avec un chocolat chaud, qu’il y aille, j’ai encore une mission qui m’attend.

— NON ! Non. Allez-y, Snape.

— C’est Professeur…, commença à corriger Albus mécaniquement.

— Non, pas ce soir, répliqua Severus en fixant Harry. Nous avons transplané, mais avant qu’on ne s’en prenne à votre famille, j’ai prévenu pour Mrs Figg. Il était hors de question que je me trahisse. Alors j’ai choisi : sa vie, ou ma couverture…

— Et la vie d’une Cracmolle vaut moins que celle d’un Sorcier-espion, termina Jane.

— Vous apprenez vite, Smith. »

 ***

Cox hoquetait de terreur, les deux mains serrées autour de son cou tandis qu’il se vidait de son sang. Dans sa panique, il semblait croire encore qu’il avait d’une chance de survie et ses yeux exorbités suppliaient Alastor Maugrey de faire quelque chose. Mais l’Auror se détourna de lui, lançant un nouvel impardonnable en direction d’une brune trapue qui venait de frapper le gamin. Ils n’étaient plus que cinq, et en face les Mangemorts ne faiblissaient pas. Gavés d’énergie noire, ils semblaient inarrêtables. Le craquement horrible d’un os qui se rompt et qui sort de son axe crissa au-dessus du vieil Auror qui releva l’œil magique pour n’avoir que le temps de rouler en avant. La main de… De la tante de Potter ?! venait de se détacher de la statue pour descendre dans sa direction. Tombée au sol, elle rampait en griffant les pierres à la recherche de sa proie.

« PRÉ-INFERIS ! hurla Maugrey à l’attention de ses troupes.

— Vous arrivez trop tard Fol Œil, pépia Bellatrix. Plus personne ne vit ici en dehors de nous… Vous vous battez pour rien, vieillard.

— Qu’est-ce qui te fait croire nous sommes là pour sauver qui que ce soit ? »

Tonk vit Bellatrix éclater de rire à cette réplique. Elle rejeta sa crinière et sauta dans la maison des Potter d’un geste souple. Un dernier mouvement de baguette en arrière, elle poussa Nott en avant :

« Tuez les bébés Aurors, nous les ajouterons au mémorial. L’estropié est à moi… VIENS M’ATTRAPER ! »

Nott et Dolohov ne laissèrent pas le temps à Bellatrix de s’engouffrer dans le salon des Potter, ils lancèrent une pluie de sorts cuisants en direction des autres assaillants. Tonks continua d’avancer, dissimulée par son sortilège de flou et lorsqu’elle dépassa le cadavre d’une femme Moldue en peignoir, elle donna un coup violent de baguette qui fit lâcher la sienne à Nott. Il grimaça, et fondit sur elle dans une nuée de vapeurs sombres. Rhodes à sa gauche déboula et dans un claquement sonore, fit s’élever des cordes qui encerclèrent le Mangemort aux chevilles, s’enroulèrent autour de ses poignets, et sa gorge. Tonks esquiva un trait émeraude lancé par Yaxley avec dextérité, mais elle dut sauter derrière un murer quand Dolohov projeta un cône de feu puissant dans sa direction.

Des voix s’élevèrent doucement, une litanie macabre et envoûtante, l’air devint plus putride encore et la magie noire ondoya tout autour d’eux. Tonks frissonna, et alors que Rhodes clignait des yeux de surprise face au changement environnant, le sort de liens qui maintenait Nott en place se rompit et le Mangemort se précipita pour le frapper à mains nues. La métamorphomage se redressa d’un bond et sauta par-dessus le muret, hurlant un sort d’expulsion. Nott fut projeté trois mètres vers la gauche et il alla s’entasser contre des cadavres. Tandis que Savage aidait son ami à se relever, Maugrey les dépassa en courant plus rapidement qu’aucun Sorcier présent n’aurait pu l’imaginer avec sa jambe. Il dépassa ses trois derniers Aurors en vie, et partit à la suite de Bellatrix. Quand il arriva dans le salon qui puait le sang et la pisse, il se retourna frénétiquement dans tous les sens, son œil magique à la recherche de la moindre signature.

« Tu cherches surtout la vengeance, hein vieillard… ? Tu as le goût du sang, entendit-il derrière les poutres effondrées.

— Je n’ai rien à voir avec des ordures telles que vous. Je ne suis pas un criminel.

— Que tu aie un permis de tuer ne change pas ce que tu es, Fol Œil… »

Une ombre se colla à sa vision, et la caresse de cheveux bouclés fit frissonner de dégoût le combattant de l’Ordre. Il ne put que pivoter, mais un coup furieux s’abattit sur sa nuque et le fit chanceler. Il cligna des yeux, devant lui se tenait Bellatrix qui lui souriait :

« … Un meurtrier. »

 ***

Harry se leva, puis se rassit. Il se leva à nouveau et tourna plusieurs fois sur lui-même, jusqu’à gémir, et donner un violent coup de poing dans la bibliothèque en face de lui. Son poing écarta les livres et se ficha dans le fond du meuble, qui éclata sous l’impact. Les épaules tendues et tremblantes, il resta un instant planté là, incapable de contenir sa rage. Sirius regardait leur chef, blême, le souffle coupé devant le récit de Snape. Jamais jusqu’ici le Mangemort n’avait autant explicité son rôle. Jamais, il en était pratiquement certain, il n’avait entendu pareille chose, ce qu’avait fait Bellatrix dépassait de très loin ce que Voldemort avait bien pu commettre. Du moins, il essayait de s’y rattacher, la mort dans l’âme. Snape s’était levé à son tour et s’était approché de la cheminée pour y prendre appui, le visage tourné vers le foyer qui le réchauffait quelque peu. À sa droite, Jane continuait de fumer, la bouteille de vin cuit vide et juchée sur le manteau de pierres.

Harry dégagea son poing, en se raclant la gorge, et Sirius se leva pour lui servir son premier Whisky Pur Feu. Il le lui tendit, alors que le garçon reprit place dans son fauteuil, observant la silhouette de l’espion grandie par la lumière des flammes.

« Ca… Ca vous fait quelque chose de faire ça ? murmura l’Attrapeur en grimaçant à sa première gorgée.

— Non. Je suis une créature morte dépourvue d’âme et de sentiments, Potter. »

Snape n’avait pas daigné se détourner du feu en lui disant cela, et Sirius soupira d’agacement. Avant même qu’il ne puisse répliquer quoi que ce soit de cinglant, Jane acquiesça :

« Tout le monde sait cela, Severus. Harry voulait juste vérifier une évidence…

— C’était une question stupide…, comprit le plus jeune, appréciant qu’elle ait désamorcé l’espion.

— Ce n’était pas votre première. » Confirma Snape en relevant la tête du feu.

Il croisa rapidement le regard de Jane, qui décela pour la première fois de la soirée quelque chose d’humain dans l’encre noire de ses yeux, et il laissa son dos se réchauffer, offrant son attention au jeune homme.

« Tuer déchire l’âme, Potter, lui expliqua le Maître des Potions en déclenchant un tic nerveux chez son mentor. Torturer, et assister à ces boucheries est au-delà. Oui, il m’arrive d’y prendre plaisir, si cela rentre dans votre catégorie des émotions que ça pourrait me déclencher.

— Vous essayez de me choquer, mais…

— Vous l’êtes déjà, coupa Snape. J’en ai terminé avec ça, Albus, je vais devoir me changer et me rendre à la sauterie de Lucius.

— Attendez ! Attendez, qu’est-ce que vous comptez faire ?!

— Calmez-vous, Harry, son job, rien de plus… Vous n’êtes pas encore dans l’Ordre, alors calmez-vous.

— Mais… Si vous lui parlez, il saura que vous êtes un… Enfin, que vous venez parce que Dumbledore vous a dit de le faire, non ? »

Snape releva un sourcil amusé, et vola le verre de la Moldue pour en terminer le contenu.

« Oui, c’est exact Potter, et il en déduira que l’Ordre préfère travailler avec lui, qu’avec elle.

— Il va falloir te préparer, Harry…, coupa Dumbledore. Si je t’ai fait venir, c’est parce que tu vas avoir à gérer ça dans les jours à venir. La Presse sera probablement au courant, selon ce que Malefoy souhaite faire de cette affaire. Et je ne voulais pas que tu l’apprennes par le journal.

— Très bien. Et les funérailles ?

— Je m’en charge, Harry, répondit Sirius. Concentre-toi sur ton rôle et récupère un peu.

— Et… Potter ? ajouta, incertaine Jane. Pensez à la possibilité de devoir endurer la Presse le jour même.

Pardon ?

— Réfléchissez-y : à la place de Scrimgeour, ou de Malefoy, je ferais probablement une allocution, ou un truc dans le genre. Les tragédies servent les intérêts d’un…

Pas quand il s’agit de Moldus, Smith, coupa Severus. Ça ne touchera personne. Cela dit, Potter, anticipez, c’est une – infime – possibilité.

— C’est bon, j’ai eu ma dose… J’vais y réfléchir, je peux y aller ?

— Oui, oui, je crois que nous avons tous besoin de repos.

— Parlez pour vous Albus… Vous devriez réfléchir à notre autre problème, si vous voulez un conseil.

— Selon le rapport d’Alastor, j’envisagerais de vous reconvoquer. Mais reposez-vous en attendant. »

Snape grogna et sortit rapidement suivit de Jane, Sirius et Harry. Jane retourna sans demander son reste à ses appartements. Harry étreignit un instant son parrain, encore ébranlé par ce qu’il venait d’apprendre :

« Tu es certain que ça va aller ?

— Oui. Je ne réalise pas encore, je crois que ce n’est pas plus mal. Je verrai demain.

— Je suis désolé que tu aies à endurer ça.

— Je préfère encore qu’on me dise les choses plutôt qu’on ne me les cache, Sirius… Alors je vais être assez fort pour supporter ce que j’ai demandé à savoir.

— Tu… Viens là. »

Le Maraudeur le serra une nouvelle fois dans ses bras dans un geste protecteur.

« J’oublie à quel point tu es courageux, Harry.

— Et moi à quel point tu es une mère poule… Bonne nuit Sirius.

— Bonne nuit. »

Le Gryffondor monta les escaliers et disparut en haut de l’étage. Le gros escalier se détacha de celui-ci et coulissa pour aller se reconfigurer autrement, comme pour signifier à l’Animagus qu’il n’avait pas le droit d’y monter. Ce dernier soupira, et descendit en direction du hall. Il n’avait pas encore atteint la dernière série de marches qu’une poigne l’envoya s’écraser contre un mur, et qu’une baguette se ficha contre sa gorge, tandis qu’une main ferme la tenait en écrasant sa trachée. Sirius toussa, cherchant à tirer sa baguette, mais un genou colla sa main contre le mur avec rapidité. Des larmes de douleur et de suffocation perlèrent à ses yeux, qu’il écarquilla quand il croisa un regard meurtrier.

« Si tu manques une nouvelle fois, rien qu’une seule fois, à ton devoir, Black… »

Severus le tenait en joue et semblait exprimer ici une rage qu’il avait contenue tout le long de la réunion. Sirius cligna des yeux en crachotant :

« De quoi… ? De quoi tu parles ?! »

Snape ne répondit pas et le lâcha aussi prestement qu’il l’avait attrapé. Il tournait déjà des talons, lui offrant ostensiblement son dos en représailles lâches. Mais Sirius ne tira pas, il n’avait plus seize ans. Quand il comprit ce que l’homme en noir voulait dire, ce dernier s’était déjà éclipsé.

 ***

Maugrey frappa violemment de son bâton noueux au sol et cela le propulsa sur ce qu’il restait de l’étage. Baguette pointée en direction du couloir poussiéreux et pratiquement détruit, il avançait doucement, passant ce qui semblait être les ruines de la salle de bain des Potter. L’œil valide fixait les ténèbres en face de lui, le globe magique roulant à toute vitesse dans son orbite pour scruter l’arrière est les côtés à la recherche de la moindre embuscade. Il ne connaissait pas bien les lieux, il n’était venu qu’après la destruction de ceux-ci et n’avait jamais eu l’occasion de monter à l’étage. Il était même probable que personne depuis la mort des Potter n’avait osé y grimper, en témoignaient les bibelots intacts qui jonchaient le sol.

L’Auror passa la chambre du couple, le lit encore fait accueillait des éclats d’un miroir qui semblait avoir été soufflé par l’explosion. L’œil magique se braqua sur le sol devant lui quand sa jambe en métal marcha sur quelque chose qui craqua. C’était un vieux cadre dans laquelle reposait une photo animée de James et Lily en train de faire un tour de manège Moldu. Ils riaient tous les deux, malgré le pied articulé qui recouvrait une bonne partie du corps de James. N’importe qui aurait relevé la jambe, un ami aurait même remis le cadre à sa place, mais Maugrey était en chasse, et son gibier était bien plus dangereux qu’un quelque manque de délicatesse. Il avança. Instinctivement, il avança en direction de la dernière chambre, celle de l’enfant.

La porte y était fermée, recollée par de la magie, sans doute… De grosses lettres rouges et or en bois peint à la main formant le prénom de Harry ornaient le bois blanc. Au travers, son œil magique lui proposait une vision brouillée d’une chambre étrangement rangée et baignée d’une lumière. Bellatrix attendait dedans, il pouvait la voir : assise dans un fauteuil à bascule, berçant quelque chose enroulé dans un linge. Le guerrier banda les muscules et bloqua sa respiration. D’une formidable poussée, il donna un coup sec de baguette qui ouvrit en grand la porte et déboula dans la pièce pour voir la Mangemort se lever en hurlant théâtralement de terreur. Elle lâcha ce qu’elle tenait dans les bras pour plaquer ses deux mains sur la bouche, et Maugrey gronda lorsque son œil bleu lui imprima l’image d’une tête humaine qui roulait à ses pieds.

« PAR MERLIN ! IL NOUS A RETROUVÉS ! hurla la folle en souriant méchamment. PITIÉ ! PITIÉ ! ÉPARGNEZ MON TOUT PETIT !

— Que…

— CODE NOIR ! »

La peur dans la voix de Tonks le fit pivoter, assez pour que Lestrange en profite et pointe sa baguette dans sa direction. Il esquiva un trait menaçant, et fit un demi-tour sur lui-même pour lui asséner un coup brutal à la mâchoire. Elle recula en éclatant de rire, et l’obligea à se protéger du nouveau sort par l’armoire en chêne réassemblée.  Le dos calé contre le meuble, l’œil magique sifflant tant il roulait entre la sorcière et ce qu’il se passait à l’extérieur, Maugrey réfléchit rapidement à la situation.

« Tu vas devoir choisir… Moi, ou eux… Tic tac… »

Dehors, Tonks reculait en tirant Savage, Pearce rampait au sol et gargouillait des suppliques dans leur direction alors qu’une forme se hissait sur son dos pour l’attraper et le ramener vers une horde d’Inferis. Les Carrows débitaient toujours d’un ton concentré le chant nécrotique, leurs comparses les couvrant. Tonks avait eu de toute évidence Dolohov qui gisait à deux pas du groupe, mais à présent, la Métamorphomage était dépassée. La situation était critique. Le rire de Bellatrix agaça une nouvelle fois l’Auror, et l’espace d’un instant il hésita. Mais il prit violemment appui sur l’armoire et replia les deux bras devant son visage lorsqu’il passa la fenêtre du gamin. La vitre éclata bruyamment, alors qu’il entendait clairement Lestrange disparaitre en transplanant. L’Auror tomba dans le salon, un genou à terre et se redressa d’un bond, les deux yeux furieusement dirigés vers les Carrow, de là, il donna une autre poussée, et fonça directement sur la sœur, qu’il pointa de sa baguette. L’heure n’était plus à la subtilité. Un trait vert fusa et percuta Alecto qui ouvrit de grands yeux surpris et tomba dans les bras de son frère. Il y eut un instant de silence, et soudain, le Sorcier hurla d’une rage sans nom en braquant un visage déformé par la haine en direction du chasseur de Mages Noirs.

Les corps des Inferis tombèrent au sol comme des poupées de chiffon, et Tonks se releva pour reprendre la suite du combat. Nott hurla quelque chose à Amycus avant de transplaner, mais le brun n’écoutait plus, il arma le bras et donna un coup de baguette vers Maugrey qui esquiva en roulant au sol, se releva, et répliqua tout aussi sec. L’Auror sourit d’un air mauvais au Mangemort, avant de viser le corps de la sœur. Amycus beugla un « NON ! » précipité, et il envoya son propre bras dans le dos de sa jumelle. Il hurla quand le sort l’atteint et nécrosa presque immédiatement le membre. Mais il tint bon, refusant toute profanation du corps de sa moitié. Maugrey tira encore, toujours en direction de la jeune femme, ricanant de voir le Mangemort chercher si désespérément à protéger sa dépouille. Il marcha lentement, arrivant à la hauteur du Sorcier qui tenait sa sœur enlacée contre lui. Amycus gardait son front contre le sien, les yeux fermés dans un masque de douleur et de résignation.

« Vous avez tous des faiblesses, et je les trouve toujours. » Gronda Alastor en levant sa baguette.

Amycus pressa ses lèvres contre celles glacées de sa sœur, et accueillit avec soulagement le sort qui le délivra du maléfice cuisant qui le rongeait.

Vocation

« Tenez Monsieur Delorme, offert par la maison !

— Allons, allons, je ne peux accepter Mademoiselle, je suis un citoyen tout à fait normal. Je tiens à payer moi-même mon café. »

Les collaborateurs, journalistes et même la jeune femme derrière son bar, éclatèrent de rire comme si cette réponse trahissait un esprit tout à fait délicieux. Dans un geste emprunté, prenant le temps de laisser le cliquetis des appareils photo faire leur symphonie habituelle, Charles Delorme tira de son complet trois-quarts un minuscule portefeuille capable de ne contenir qu’une seule carte de crédit. Sans doute la pochette avait été achetée expressément par son assistante la veille dans cette seule et unique optique. Nouveaux flashs, et Delorme inséra la carte dans la fente de l’appareil, le corps pratiquement entièrement tourné vers les journalistes, un énorme sourire étalé sur son visage.

Il ne cilla même pas lorsque la jeune femme toussota doucement, tentant de lui dire discrètement qu’il s’était trompé de sens. Ce n’est que lorsqu’on lui fit ouvertement la remarque – un scribouillard du Canard Enchainé, sans doute – que Delorme perdit quelque peu de sa superbe, sous les rires plus ou moins gênés de l’assemblée.

Même Lui ne put s’empêcher de ricaner en voyant le Sénateur rougir de honte et retourner sa carte de crédit avant de la remettre dans l’orifice, puis, de demander, devenant de plus en plus cramoisi, à son assistante quel pouvait bien être son code qui n’avait plus rien de secret. Relevant la queue de pie de son costume, Il prit place sur un des rares sièges vides du bar, personne ne faisant de toute évidence attention à Lui, et Il se contenta d’observer le Sénateur d’un œil fatigué. Charles Delorme prit son café après l’avoir payé et engagea une conversation tout à fait banale avec la serveuse, faisant de ce moment un véritable interrogatoire, digne des plus grands conseillers en orientation. Et pendant que la pauvrette expliquait que « non, elle n’avait pas fait d’étude pour servir des cafés », mais que « oui, elle était très contente d’avoir un travail », et que « oui, elle allait voter aux prochaines élections », Lui se contenta d’observer la scène, s’agaçant du manège de l’homme politique, commentant à voix haute la plupart de ses actions :

« Ferme-la Charles, t’es mal placé pour lui faire le chapitre sur la citoyenneté, et de ce que j’en sais, Magalie paie ses impôts en temps et en heure, elle. »

Il ne murmurait pas, ne faisait pas particulièrement attention à ce qu’on ne l’entende pas. En fait, n’importe qui aurait pu écouter cette réplique, si tant est que ce n’importe qui soit en mesure de Le repérer. Et ce n’est pas qu’Il était du genre discret. Bien au contraire, vous pensez bien ! Entièrement vêtu d’un costume taillé sur mesure, à queue de pie comme l’on pouvait faire il y a près d’un siècle, un haut de forme habituellement vissé sur sa tête, Il détonnait dans ce paysage moderne. Pourtant, personne ne Lui prêtait attention.

Charles Delorme éclata de rire bruyamment. Un rire rendu gras par le whisky et la nourriture trop riche. Sa trachée semblait être aussi bouchée que ses artères. Il venait sans doute de dire quelque chose d’incroyablement spirituel, car tout le bar s’esclaffa, entre deux tressaillements de perche à prise de son, et trois grattages sur carnet bloc-notes. L’attroupement s’ébroua, lorsque Delorme posa sur la table un billet de 20 euros, en coulant un regard profondément paternel, agrémenté d’un clin d’œil complice à la serveuse.

« Et un petit quelque chose pour la gentillesse et le sourire de Mademoiselle » gloussa-t-il.

Les hommes opinèrent du chef en ajoutant d’autres qualificatifs aux visées séductrices, et les femmes raclèrent leur gorge dans une tentative de rire chaleureux. Ce petit monde était rôdé sur ses rôles, yavait pas à dire.

« Tu sais même pas la valeur de ce que tu viens de poser, Charles… À tel point que Corine est obligée de changer le billet ! » s’agaça l’homme à la queue de pie.

En effet, l’assistante du Sénateur reprenait discrètement le billet pour le remplacer par un papier de 5 euros, autrement plus raisonnable pour un pourboire. Magalie la serveuse allait bien déchanter une fois les caméras parties. Ce qui ne tarda d’ailleurs pas. Dans un grand vacarme, à coups d’au revoir tonitruants, de remerciements et de promesses de revenir « très très vite, oui, oui, c’est promis, pour fêter la victoire, oui ! » Charles Delorme, sa cour et la cohorte de journalistes s’extirpèrent de ce boui-boui que chacun trouvait pittoresque, mais relativement répugnant.

Grimaçant, et après un énième soupir, Il se releva de mauvaise grâce et se décida à suivre son Sénateur, maudissant cette journée de campagne qui n’en finissait plus. Il fallut attendre que Delorme se rende à son hôtel particulier du 16ème, non sans avoir appelé Madame pour dire qu’il devait travailler tard, finisse son affaire avec une quelconque pauvrette à qui il avait promis une interview exclusive, et s’endorme presque illico en ronflant abondamment ; pour qu’Il puisse s’en aller. Penché au-dessus du Sénateur, l’homme à la queue de pie hésita, puis se résigna, tournant les talons en pestant. Il quitta la chambre du politique par la porte menant au dressing, prenant un ascenseur qui n’existait pas, finissant par la même sa journée de travail.

Durant le trajet interdimensionnel, Il tira de la poche ventrale de son veston sa petite montre à gousset. Il avait encore fait un tour de cadran quasi complet… Pour rien. Son humeur s’aggrava encore, si cela eut été possible et même la perspective de boire un verre ne lui tira pas un seul rictus aimable. Son existence était vraiment merdique.

L’ascenseur finit par s’arrêter, dans un cliquetis de rouages tous aussi inexistants, et l’homme à la queue de pie ouvrit l’unique porte sans chambranle devant lui, avant de s’engouffrer dans une salle immense et bruyante. Le contraste avec son humeur morose était presque comique : partout autour de lui, l’on entendait les conversations fuser de toutes parts, le bruit des verres qui s’entrechoquent, la musique vieillotte jouée par un orchestre sur une scène perchée au-dessus des danseurs. Aujourd’hui, c’était Jazz des années 50, et les claquettes allaient bon train pour accompagner les musiciens. Il venait d’entrer dans une sorte de taverne qui transcendait les âges, où l’ambiance et la décoration variaient en fonction des humeurs de son propriétaire, le Seigneur Dion, autrement plus connu sous le nom de Bacchus, ou Dionysos. Pour l’heure, Dion rayonnait à la contrebasse sur la scène, ses cheveux bruns bouclés battant le rythme en même temps que sa godasse droite blanche et noire en cuir ciré.

L’homme à la queue-de-pie ne s’embarrassa pas de saluer le propriétaire des lieux, et slaloma entre les tables rondes et sièges de cuir, pour s’affaler dans un coin bordé de banquettes moelleuses. Bien à l’écart, sur une table uniquement éclairée d’une simple lampe art-déco, Il espérait se gaver de cette paix qui lui faisait cruellement défaut, et commanda immédiatement un whisky à une des serveuses qui passaient par là. On lui donna enfin son verre, dans lequel craquaient des glaçons manifestement aussi en colère que lui, et Il le vida d’un trait avec soulagement, avant d’en recommander un autre. Un éclat de rire derrière le fit frissonner. Il abaissa la tête, espérant se noyer dans son alcool, mais Il savait déjà qu’il était foutu.

« Hey Dette ! Youhou ! Attends, on arrive !!

— Et merde… » Grommela le susnommé.

Dans son giron, un homme élancé d’une très grande beauté au teint basané et à la barbe parfaitement taillée était accompagné d’une jeune fille énergique qui donnait l’impression de ne pas avoir plus de seize ans. C’était elle qui venait de l’interpeller en faisant de grands signes et en lui adressant un sourire ravageur. C’était respectivement Narcissisme et Selfie, très populaires chez les mortels, et de facto, chez eux aussi. Sans même prendre le temps de lui demander son avis, ils s’installèrent à sa table. Narcissisme commanda pour eux deux, offrant comme de coutume son verre à la demoiselle, ce qui fit penser à Dette, qu’au vu de son regard insistant, il ne parvenait toujours pas à la faire tomber sous son charme.

« Qu’est-ce que tu fais tout seul, au lieu d’aller à notre table ? demanda Selfie à son comparse morose, feignant d’ignorer le verre offert.

— Je fais un solitaire avec des cartes invisibles pour les gens posant des questions stupides.

— N’importe quoi ! s’esclaffa-t-elle. Aller, plus sérieusement ?

— Je transcende le vide de mon existence et le sublime en vidant les réserves de Whisky de Dion…

— Oh non, il recommence, se plaignit Narcissisme d’une voix délicieusement profonde. Arrête un peu Dette, tu deviens presque aussi ennuyant que Dépression.

— Chut ! Elle va t’entendre. »

Selfie avait raison : à l’entrée se tenait un groupe de trois qui avançait dans leur direction. Une femme austère aux traits de documentaliste, un petit homme trapu au costume impeccable, et, derrière eux, une femme voûtée au visage caché par un rideau de cheveux noirs.

« Oh non… Il ne manquait plus que ça. » Gémit Dette rapidement approuvé par un bref mouvement de tête par Narcissisme.

Il faut dire que ce dernier n’appréciait guère Ambition, qui n’était, selon lui, rien d’autre qu’un bonimenteur en costume sur mesure. Administration – la femme à l’air revêche – les repéra, et elle et Ambition se dirigèrent droit vers eux, la pauvre Dépression à leur suite, traînant les pieds comme à son habitude.

« Alors…? demanda Ambition avec une voix anormalement enjôleuse, On fait… Mu-muse ?! »

Selfie et Narcissisme se regardèrent d’un air gêné, Administration leva les yeux aux ciels, Dépression renifla bruyamment, et Dette avala de travers sa gorgée, se brûlant la trachée avec le Whisky au passage. Sans doute était-ce trop pour cet homme à la queue de pie qui ne supporta pas cette tentative de jeu de mots raté. Car muses, ils l’étaient tous, mais amusés, certainement pas. Et Dette éructa, dans une saillie digne de Colère.

« Arrête. Juste, arrête de croire que tu es drôle. Tu N’ES PAS Humour, tu ne PEUX PAS être aussi bon que lui, contente-toi de ton domaine, putain, arrête de…

—  … D’en vouloir toujours plus ? le coupa amusé Ambition en arrondissant ses voyelles.

— ET ARRÊTE AVEC CETTE VOIX ! Même Charme lancé en plein délire ne parle pas comme ça ! Ah, garçon, un autre verre ! tempêta Dette dans une même foulée.

— Il a raison, chacun à sa place, opina Administration en commandant son habituelle eau gazeuse.

— Parfois, on n’en a tout simplement pas… »

Le groupe ignora superbement Dépression, comme toujours, et chacun entama de raconter sa journée, sous le regard qui devenait de plus en plus vitreux de Dette.

Deux heures après, l’ambiance de la taverne avait radicalement changé, les banquettes avaient laissé place à des tabourets de bois dur et les tables à des tonneaux puant la bière trop sucrée. Une épaisse fumée flottait dans les airs et pendant que Dion jouait du violon en dansant sur la scène, Joie chantait avec Charme un air de pirate plutôt connu. L’ensemble des muses présentes, des plus insignifiantes aux plus connues tapaient dans leurs mains devant ce spectacle vivifiant. À l’exception de nos comparses à l’écart qui commençaient pour certains à ressentir les effets de la boisson. Dette, plus particulièrement, qui brisa la relative bonne ambiance par sa voix embuée d’alcool :

« Je veux ma mutation. »

Pi(e)llard

Ébauche d’histoire qui n’a pas vocation pour le moment à être continuée.

Pi(e)llard est partie d’une légende racontée par un copain un soir de beuverie. Il me disait qu’en Espagne, ou au Portugal, il y avait une tradition voulant que des gens s’habillent avec un costume avec queue-de-pie pour suivre les mauvais payeurs et leur mettre la honte. C’est de cette idée qu’est née « Pi(e)llard ».

Nous y suivons une créature mystique, personnification anthropomorphique d’un certain nombre de nos valeurs. Dette, comme il s’appelle, en a marre de cette société basée sur le mensonge et la débauche. Commencée en pleine période électorale, cette histoire mélange fantastique et humour en théorie. 

Est-ce qu’il va y avoir une suite ? A l’heure actuelle, je n’ai que deux pauvres chapitres, et j’ignore si je ne vous embarque pas dans quelque chose d’inachevé. Mais Achronique sert aussi à cela. Alors, on y va ?

Couverture d’après Chris Brignola

Analyse sémantique

L’heure était à la caresse de la caisse claire. Cette petite salope frissonnait sous le plumeau du maestro, ça donnait tout son charme au rythme langoureux qu’imprimait la contrebasse. Pas loin, un homme doigtait agilement un saxophone qu’il balançait d’avant en arrière comme s’il nous baisait tous de sa musique. La chaleur du bar me donna un coup d’chaud. À moins qu’ça soit ma prise de conscience soudaine : le jazz pouvait être sacrément sensuel… Putain, j’avais plus tiré ma crampe depuis trop longtemps, m’voilà en train d’bander devant un instrument d’musique en forme de serpent.

On nous regarde, et j’sens Jimmy se gêner d’avance pour avoir autant l’air d’un apprenti flic. Quant à moi, qu’est-ce que j’pouvais faire ? J’portais un complet, un feutre large, et j’avais la trogne du privé aigri en attente de l’enquête de sa vie. Ça clignotait sur nos gueules qu’on n’était pas des habitués, mais la populace, loin d’se choquer pour si peu, nous accueillit par une foule de regards entendus, et deux verres bien remplis.

Le comptoir était à l’entrée, derrière, t’avais les chaises hautes sur des tonneaux brossés impecc’, et des gens bien habillés tournés vers la scène. Tu payais, tu t’installais, t’en prenais plein les écoutilles. C’était comme ça qu’était découpée la zone, et ça tranchait clairement avec mes bars habituels où le rock crading se jouait juché sur une chaise à trois-pieds, pendant que toi tu t’tenais à l’immense bar Irlandais en espérant finir ta septième pinte avant d’vaciller. Dans ce « Cercle des rappeurs disparus », on t’servait du whisky dans de beaux verres ciselés, du très bon bordeaux après t’avoir montré l’étiquette en t’faisant croire qu’t’y connaissais quelque chose, et t’allais déguster… Déguster ! ton verre en écoutant des gens slamer, ou des bassistes slaper des morceaux d’vie. Mais on n’était pas là pour s’payer une tranche de poésie pleine de propositions graveleuses à la police. On était en train d’enquêter, bordel… Certes, cela ne m’empêcha pas de siffler le verre qui m’était présenté, obligeant la jolie dame à ouvrir la bouche sous le choc. Eh ouais, cocotte, j’suis un homme.

« Bonjour, heu… Est-ce qu’on pourrait avoir le programme des soirées de la semaine, ou du mois… ? Enfin, si vous avez, bien entendu. Si non, ce n’est pas grave. Merci d’ailleurs pour le verre, c’est très aimable. Heu… Il faut le payer, n’est-ce pas… ? »

Je regardais Jimmy rougir et balbutier devant la barmaid, et j’jetais de temps en temps un œil à la donzelle qui semblait pas particulièrement impressionnée. Peut-être touchée par son côté gauche ? Allez savoir, j’avais pas l’temps avec ces conneries. Je posai sur la table un bout de papier où j’avais griffonné rapidement quelques vers, et le poussai vers la brune qui semblait habituée à voir des cassos dans mon genre. Habituée, donc pas stressée pour deux sous à l’idée que des keufs entrent comme ça dans son coin et l’interrogent l’air de rien. Elle attrapa le morceau entre ses doigts manucurés et lu rapidement, avant de m’offrir un rictus particulièrement moqueur :

« C’est pas mal, Inspecteur… Pour un tweet balancé fièrement à 4h du mat’. Pas pour le Cercle.

— C’est Lieutenant. Z’avez jamais entendu cette association de mots, ici ? Pas même une fois ?

— Les mots sont souvent associés dans le coin, c’est même toute l’entreprise, si vous voulez tout savoir. Je n’crois pas qu’il y a de quoi se ramener façon Roger Rabbit avec votre bleu, et nous faire l’enquête du siècle pour trois vers mal goupillés.

— Côté goupille, j’ai bien compris qu’c’était d’la dynamite que j’avais en face poupée, mais j’suis pas non plus l’genre de mec à craquer pour ça. Est-ce que oui, ou non t’as entendu ce mot polluer l’slam d’un de tes écorchés ? »

Les grands yeux verts de Lucie – comme je l’apprendrai plus tard – s’étrécirent au mot « poupée », j’savais qu’ce genre de propos gras et sexistes allaient la faire décoller, et le scud n’rata pas sa cible. Plaçant ses deux mains de part et d’autre de son comptoir, se levant sur ses talons que je devinais hauts, Lucie posa son imposante poitrine sur le bois lustré, et me répliqua d’une voix vibrante de colère :

« Aucune plaque te donnera l’droit m’appeler, poupée ? C’est clair, Lieutenant ? Maintenant buvez, et tirez-vous.

— Et pour les programmes ? tentai-je non sans apprécier le rebondis des seins de Lucie sur son comptoir.

— Les habitués les connaissent. »

Jimmy se balançait d’un pied à l’autre en fixant ostensiblement les yeux de Lucie. Je le soupçonnais même d’être en train de se répéter de ne surtout pas mater ses seins. Mais l’gosse aussi semblait sentir que la Lucie nous baladait un peu. Il prit son verre ambré, et me le refila, en la toisant, puis nous nous installâmes sur l’un de ces perchoirs à bourgeois pour écouter un peu la musique. Yavait trois cahuètes sur notre tonneau, et j’regardais Jimmy les engloutir avec entrain. Le pauvre n’avait rien bouffé depuis qu’il avait dégueulé devant les restes de Denisov le matin… Et à seize heures passées, j’pouvais bien comprendre qu’il crevait la dalle. Pourquoi il s’était pas acheté un truc en allant chercher mon café, ce con ?

« Chef ?

— Ouais ?

— Vous pensez à quoi ?

— Aux tétons d’la dame, lui mentis-je en le faisant rougir.

— Non, sérieusement, Lieut’nant. Je crois qu’on a fait chou blanc, j’vous avais dit que c’était vraiment chelou cette histoire de hacker fan de jazz. »

Le groupe continuait sa petite ode au sexe tantrique, et je dodelinais du chef en rythme, en réfléchissant. La faim n’aidait pas l’gamin à réfléchir, trop englué dans ses stéréotypes. Et je l’entendais d’une oreille me débiter la longue liste des raisons stupides de le croire. Au bout d’un moment, peut-être précisément quand mon second verre ne jutait plus que des glaçons fondus, je l’interrompis en lui tendant mon papier, avec un billet bien coloré :

« Va m’chercher un autre verre, et vois avec la demoiselle si tu peux grailler un truc. Garde les mots en tête et écoute bien ce qu’elle va te raconter. On sait jamais.

— Mais chef, il n’est que…

— Jimmy, le coupais-je en posant enfin mon feutre sur le tonneau, t’es mon Cadet, pas ma mère. Fais ton taff. »

Il obtempéra, non sans un regard lourd de considération. Ouais, j’étais un soûlard, mais j’étais aussi son supérieur hiérarchique… Alors, il se leva et rapporta gentiment nos verres à la Lucie aux gros tétons. Un jour, faudrait que lui explique comment ne pas passer pour un con, en étant trop serviable. Je braquai mon regard sur le batteur qui semblait communier avec je ne sais quel dieu très ancien, quand une femme prit place à mes côtés, sans me d’mander si mon copain n’allait pas revenir. Elle dégageait un drôle de mélange d’encens bois d’santal et de cire d’abeille. L’odeur d’une putain d’hippie, ce qui tranchait avec sa dégaine d’évadée de cimetière à moitié en vie. À mon grand étonnement, elle posa sur mon tonneau une grosse chope de bière et je sentis une pointe de jalousie me piquer le cœur, tandis que je matai ma main qui ne se refermait sur aucun verre.

« Elle va l’bouffer. »

Ni bonjour, ni merde. Mon inconnue se vautre à la place de mon partenaire, et la voilà en train d’l’insulter. J’arquai un sourcil d’incompréhension. D’abord, c’est moi qui m’moque de Jimmy !

« Lucie, la patronne, m’expliqua-t-elle en ayant deviné. Elle va le bouffer ton collègue. L’envoyer au casse-pipe est la pire idée.

— … La meilleure chose qui lui arriverait serait justement une…

— Je suis sérieuse, Lieutenant. »

Nous avait-elle entendu parler au comptoir ? Avec grande peine, je m’empêchai de tourner la tête dans sa direction, me concentrant sur la baguette droite du batteur qui fouettait à présent sa caisse claire, en la faisant ronronner d’plaisir.

« Le mec que vous cherchez n’est pas ici. Il n’a plus l’droit d’rime. »

Garce ! Qui qu’ça soit, elle avait tant la mise en scène dans l’sang que j’la gratifiai de mon premier regard – que j’espérais tout sauf étonné, ou pire : intéressé… La nouvelle me darda d’une œillade ambrée tellement suintant de malice, que j’me sentis pour la première fois depuis longtemps aussi con qu’mon cadet.

« T’es qui, bordel, pour m’manquer d’respect comme ça ?

— T’as pas une clope ? »

Mon orgueil de mâle eut envie d’lui dire d’aller s’faire mettre, pourquoi pas avec mon concours, mais mon instinct de flic prit le pas et j’acquiesçai en vissant sagement mon feutre sur la tête avant d’lever mon cul. Quand nous passâmes près du comptoir, je tentais de ne pas observer à la dérobée Jimmy et la gardienne des lieux. Même si j’crevais d’envie d’lui dire que j’étais toujours en attente de mon foutu Whisky !

C’est la nuit qui nous cueillit dehors, et j’compris qu’l’été s’était barré en vacances bien avant qu’on lui donne la permission. Aux premières bouffées d’air qui n’étaient ni polluées par la sueur, ni par l’alcool, j’attrapai mon paquet d’clopes pour m’en coller une dans l’bec, comme un malade qui retrouve son respirateur artificiel. Ma collègue croque-mort grimaça, et j’me souvins alors de sa demande. Voulant marquer l’impolitesse jusqu’au bout, j’attendis qu’elle craque et reformule. J’avais la nicotine, j’avais l’pouvoir…

« Si t’espères des infos sur ton gars, j’te conseille de me filer une cig’.

— J’ai compris ! Ton nom, avant ça. » Lui dis-je en tendant une baguette goudronnée entre deux doigts.

Elle ne daigna pas répondre, et avança une bouche trop pulpeuse pour le bien d’mon couple, et d’une langue diablement agile, tourna le cul d’la clope de telle manière qu’elle pouvait la coincer entre ses incisives. Elle le fit en me dardant d’son regard ambré, et l’image du saxophone s’imposa à moi. Elle m’allumait, j’décidai d’en faire de même et sortis mon briquet pour foutre le feu à son bout, en m’demandant, penaud, à quel moment j’avais perdu l’contrôle du mien.

Nous échangeâmes quelques volutes de fumée, mes vapeurs se mélangeant aux siennes dans un ballet éminemment intime, et j’appréciais pour c’qu’il était cet unique moment de partage du mois avec un femme. Putain ! Fallait vraiment qu’j’arrête de sécher les séances de psy avec Morgane…

« Claire. Je m’appelle Claire. »

Claire… Mon obscure inconnue ne l’était plus, mais connaître son nom ne lui enleva nullement son charme. À la lueur du réverbère tremblotant, je l’observai, savourant ce fragment de scène cinématographique… Dommage que Claire ne soit pas glissée dans une robe fourreau, et qu’elle ne cache pas dans ses bas un petit…

« Tu peux arrêter d’me reluquer comme ça ? T’es en service, il me semble.

— Et alors ? Boire est aussi interdit, et j’m’en prive pas, Claire.

— Sauf que boire ne me donne pas envie d’te faire repasser la porte sans l’ouvrir.

— … Il t’arriverait quoi si tu posais la main sur un keuf, tu penses, Claire ?

— Tu n’es pas ce genre de mec, Lieut’nant Webster. »

Sa voix n’avait pas tremblé, ni sa main lorsqu’elle retira la cigarette de cette bouche vermillon parfaite. C’était un fait, et elle le connaissait.

« Et si tu m’disais tout c’que tu crois savoir, au juste, Claire ?

— Mon prénom te plaît, on dirait.

— C’est tout c’que tu m’as donné jusqu’ici, je le chéris donc. »

Arrête ton baratin, Scott. Putain, t’as vu ta trogne ? T’as vu la sienne ? La donzelle a bien dix ans de moins que toi, et tu lui sors un numéro de charme comme si ton flingue avait une quelconque chance de tirer un coup…

« Tu veux des infos, ou mon cul, Webster ?

— Des infos, cocotte. Ça me sera bien plus utile. » Répondis-je en la voyant grimacer. Ah ! Elle encaisse mal… L’orgueil des femmes n’a d’égal que celui des hommes décidément !

« Vous recherchez un type qui se fait appeler Hannya.

— … C’est nippon comme nom, ça, hein ?

— Tout juste. C’est le terme désigné pour le démon vengeur. Et votre hacker aime porter un de ces masques en se baladant.

— Attends, tu l’as déjà vu, ce Hannya ?

— Pas son visage, si c’est ta question. En revanche, je l’ai entendu un soir de battle.

— Ce ramassis d’bourgeois fait des rap-battle ? Sans déconner !

— Ca arrive. Ils font aussi ce qu’ils appellent le « duel de Proust », mais c’est moins…

Hannya, recentrai-je brutalement.

— Ouais. Il a fait une rap-battle. On entendait pas bien avec son masque, tu vois… ? Et puis il balbutiait, il hésitait. Les mots étaient bons, une bonne façon d’les mixer, mais… En face… Ah ! En face, il y avait Rolland. »

A son air un peu rêveur, j’compris qu’le Rolland maniait pas que les mots. Je donnai une claque à ma clope pour l’envoyer valser contre le manche du réverbère, qui s’éteignit, comme vexé, et fourrai les mains dans les poches, à la recherche d’mon paquet pour en reprendre une.

« Et alors ? Le rapport avec mon démon ?

— Bah… Le type s’est fait rétamer, et… Enfin, t’as vu la populace du coin, non ? Ce ne sont pas les gens les plus aimables, ni tolérants… Ils…

— Se sont foutus d’sa gueule, et ça se serait mal terminé ? »

Claire leva légèrement un sourcil ironique, étirant sa bouche en coin. J’appris que la petite avait une appétence certaine pour le malheur des autres.

« C’était le moment le plus intéressant d’la soirée, tu veux dire ! » Me répondit-elle.

C’est bel et bien une salope, ma Claire…

A suivre…

Liens du Sang

Soirée de Slughorn, 31 octobre, 21h15,

« … Si tu le dis Malefoy. Mais je fais toujours face à mes peurs. Je ne m’en détourne pas et les affronte, baguette en main. Peux-tu en dire autant ? »

Harry fixait sa Némésis le torse bombé, comme un lion fier. Il était campé sur ses deux jambes dans une posture profondément guerrière, et cela sembla acculer quelque peu le blond qui esquissa un mouvement en arrière. À moins que cela ne soit le rappel du premier cours de DCFM qui soit en cause ? Draco sourit néanmoins et répondit presque en murmurant :

« Tu devrais au contraire souhaiter que je m’en détourne, à jamais, Potter…

— Tu pourrais les affronter au lieu de fuir.

— On pourrait en finir avec cette conversation ? interrompit Sirius d’un ton badin. Car je n’ai nullement l’intention de fuir une excellente soirée, ni la perdre en affrontements politiques. Est-ce qu’il vous est possible de retourner à vos inquiétudes de jeunes de votre âge ? »

Était-ce parce que l’Animagus ne souhaitait pas engager davantage le terrain avec Malefoy, ou parce qu’un certain nombre de convives les regardait, qu’il disait cela… ? Jane balaya la pièce des yeux, et pâlit en croisant le regard noir du vampire, elle se décala instinctivement derrière Sirius et ajouta pour la forme :

« Oui, allez boire, faites des rencontres, tombez amoureux, et arrêtez de vous menacer à couvert. Laissez-nous ce privilège.

— En fait, je ne le menaçais pas, Professeur.

— En réalité, Potter ne me menaçait pas. »

Les deux garçons avaient dit cela en même temps, se tournant d’un même geste vers leur enseignante, et la Moldue tordit la bouche dans une impression de voir trouble. Elle se remémora ce que les jeunes gens se disaient juste avant pour tenter de comprendre leur réponse énigmatique, tandis que Luna pressait Harry de s’écarter du cercle qu’ils avaient formé. Ron inspira longuement pour se calmer, et prenant Hermione par la taille la poussa en direction du buffet. Quant à Sirius, il adressa un bref signe de tête vaguement poli à Draco, et s’effaça quand Morgan Doyle reparue devant lui. Ne restaient que le blond et la Moldue qui tentèrent en vain d’éviter de croiser le regard. Jane amorça un geste en direction d’un plateau flottant, quand le fils de Mangemort attrapa rapidement un verre posé dessus, pour le tendre avec galanterie à son enseignante. Mais la brune ne lui offrit qu’un froncement de sourcils, suivi d’un remerciement pincé.

« Vous devriez accepter de répondre à l’invitation de mon père, commença le plus jeune.

— Vous devriez vous mêler de ce qui vous regarde.

— C’est exactement ce que je fais, Professeur. J’assiste – contraint et forcé – à ce cours, je suis donc concerné.

— Très bien, je vais le dire plus clairement dans ce cas, Draco : si je ne souhaite pas en discuter avec le père, ce n’est pas pour être obligée de le faire avec le fils.

— Vous avez peur ? se moqua-t-il.

Je me méfie. Et pour l’heure, n’ayant aucune obligation de m’y plier, je décline la proposition.

— Vous ne devriez pas.

— Vous faites toujours les courses pour votre père, Draco ? s’agaça Jane en grinçant les dents sous l’âpreté du vin.

— Je fais ce que ma position me demande. Vous ne comprenez rien à notre monde, n’est-ce pas, Professeur ? »

Jane cligna des yeux par réflexe, elle changea de pied d’appui, tout en tentant de ne pas paraître apeurée par la réplique du garçon. Que savait-il ? Pourquoi disait-il cela ? Pourquoi elle n’était pas restée avec Minerva, au fait ? Elle sentie une vague de panique la submerger, et repensa brièvement à son mentor. Que répondrait Severus, le maître espion, le pro de la réplique cinglante, le roi de l’évasion sémantique, le…

« Vous m’écoutez, Professeur ?

— Veuillez m’excuser, Draco, mais non. La conversation a perdu tout intérêt après que vous m’ayez servi un verre. » Répliqua du tac-o-tac la Moldue.

Les joues de son élève rosirent légèrement, et les yeux gris se plissèrent. Non pas de colère, comme elle aurait pu s’y attendre, mais tout d’abord de surprise, puis d’amusement. Enfin, Draco porta la coupe à ses lèvres pour y dissimuler un rire naissant, puis après avoir bu une gorgée, s’inclina rapidement. Il la laissa à son interrogation. L’avait-il trouvée vraiment drôle au point de lui accorder ce répit ?

Jane était plantée au milieu de la piste, toute habillée de sa belle robe rouge, seule et regrettant d’avoir mis un pied à cette détestable soirée. Une sueur brûlante lui picota soudain le bas des reins, et remonta en se glaçant le long de sa colonne, jusqu’à sa nuque. Elle se retourna lentement, en sentant que c’était au contraire la pire chose à faire, et croisa le regard noir du vampire qui ne cessait de l’observer avec intérêt. Jane déglutit, paralysée, et quand un élève préposé au service passa devant Sebastian en portant un lourd plateau de gambas, la Moldue perdit la trace de la créature qui semblait comme volatilisée. Ayant vu assez de films d’horreur dans sa vie, Jane s’ébroua en direction du buffet sans demander son reste. Elle esquiva un couple d’élèves qui s’élançait sur la piste au rythme de la musique langoureuse qui démarrait, percuta du coude un autre qui servait une pièce-montée de petits fours, et pivota pour éviter une chandelle volante. En se retournant, le souffle coupé, elle put voir au travers de la flamme brûlante un regard embrasé la fixer.

« Bonsoir… »

 ***

« Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous voulez ? »

Le vieil homme observait Severus d’un air méfiant. Il s’agrippait à sa porte comme si elle pouvait le protéger. Sa main parcheminée blanchissait à vue d’œil sous l’effort, et l’espion comprit que le Moldu s’y tenait également pour ne pas chanceler. William Dale était vieux, très vieux, et il semblait également malade. Ses yeux avaient le voile opaque d’une cécité galopante, et son teint était d’un blanc presque verdâtre. En somme, il était au crépuscule de sa vie, et l’espace d’un bref instant cela rassura Snape qui se repris immédiatement mentalement.

« Est-ce que vous avez emménagé ici courant novembre 2001 ? » Lui demanda-t-il.

Le Moldu observa Snape un instant sans comprendre, réfléchissant à la date et, fronçant d’immenses sourcils broussailleux, répondit d’une voix sèche et cassante :

« En quoi ça vous regarde, qui êtes-vous d’abord ?! Fichez-le camp d’ici où j’appelle la Police ! »

Il lui claqua la porte au nez. Derrière lui, les Carrow ricanèrent en tournant leur masque l’un vers l’autre. Snape ferma lentement les yeux, et pivota dans leur direction en levant légèrement sa baguette. Ils se turent immédiatement sous le regard qu’il leur offrit. Perchée sur la boîte aux lettres du Moldu à l’entrée du jardin, Bellatrix caqueta de plaisir devant l’animalité du Mangemort. Son rire se répercuta dans la rue déserte de ce petit lotissement coquet, tranchant nettement dans le style. Elle sauta de son promontoire, et s’avança presque en dansant en direction de l’espion :

« Alors… ? »

Il ne répondit pas. Severus pointa sa baguette en direction de la porte, qui explosa, projetant des débris de bois dans l’intérieur qui puait le vieux et la mort. Quant au vieux en lui-même, il était tombé à la renverse, soufflé par le choc et se recroquevilla en tremblant lorsque la horde de Mangemort pénétra chez lui.

 ***

Il n’était pas beau. Mais il était envoûtant. Particulièrement fascinant. Alors, quand il prit sa main dans la sienne et enserra sa taille d’un geste ferme pour les emmener danser, Jane eut à peine le temps de cligner des paupières, avant de se reprendre. Entraînée sur une musique au milieu des autres corps, elle sentit avec effroi qu’elle devrait attendre. C’est un regard courroucé qu’elle lança au vampire, qui ne parut pas s’en émouvoir.

« Vous reprenez vite pied. » Lui glissa-t-il en souriant.

Par l’enfer, sa voix n’était ni plaisante, ni douce. Elle semblait aussi tranchante que les canines qu’il dévoilait et pourtant, elle coulait à ses oreilles pour résonner en elle comme un rythme lascif puissant. Le contraste alarma la Moldue qui jeta un regard paniqué autour d’elle, mais les couleurs tournaient, les visages se mélangeaient les uns aux autres dans une difformité telle que la créature en face de lui n’en paraissait que plus majestueuse.

« Et vous êtes maligne, pour votre race… »

À l’allusion de sa condition, Jane envoya volontairement un coup de talon que le vampire esquiva avec grâce et rapidité. Elle jura, refusant de croiser à nouveau le regard avec Sebastian. Il en profita pour l’approcher de son torse, posa sa joue glacée contre la sienne, ses lèvres au creux de son oreille, de sorte qu’elle était la seule à pouvoir l’entendre.

« Je me demande à qui vous appartenez, petite chose. »

Le cœur de Jane rata un battement. Elle voulut s’écarter, mais il la tenait fermement. La musique ne cessait pas, et s’y mêlaient les rires et les applaudissements des convives. Ça en devenait insupportable.

« Lâchez-moi, ordonna-t-elle.

— Non. Votre Maître ne semble pas ici pour m’y obliger.

— … Je n’ai pas de Maître, espèce de timbré. Lâchez-moi.

— Chut-tu-tu, murmura le vampire en changeant de direction, l’obligeant à croiser le regard. Ne craignez rien petite Moldue, pour le moment, vous ne risquez rien… »

 ***

« Ne me faites pas de mal ! »

Le vieil homme suppliait d’un air misérable, et cela tira un rire mauvais au groupe de Mangemorts. À l’exception de Severus qui entra dans le vestibule, et réassembla la porte d’un simple coup de baguette. Les éclats de bois vinrent se ficher dans l’encadrement, se montant les uns sur les autres, jusqu’à ce que la poignée s’y encastre, et que le tout sautille sur les gonds. Le judas s’y accrocha en dernier dans un bruit de marteau qui secoua de frayeur la carcasse de Mr Dale.

Dans l’entrée du Moldu se trouvait le meuble haut avec son vide-poches et son téléphone. À un mètre au-dessus était accroché un somptueux miroir doré dans lequel Severus se refléta un bref instant. Le Mangemort croisa son propre regard, et détourna rapidement les yeux, ne pouvant le supporter lui-même. Il soupira d’agacement, et empoigna le col du Moldu pour le redresser sur son séant. Bellatrix ricana en redécouvrant ce Snape-là. Il était impossible de rater l’aspect méthodique et froid de ses gestes. Il n’accordait aucun intérêt ni au Moldu, ni à ses comparses qui se réunissaient en cercle autour du vieil homme, se moquant de la flaque odorante qui s’étalait doucement sous lui. Dale tournait la tête d’un côté, puis de l’autre, ne voyant que des masques moqueurs et inquiétants. Seul l’homme en noir était à visage découvert, mais son profil d’assassin aux traits anguleux ne le poussa pas à se tourner vers lui pour autant. Attendant totalement que l’homme compisse son pyjama, Severus lui reposa la question :

« Avez-vous acheté cette maison aux Evans en novembre 2001 ?

— Je… Je n’sais pas ! Je ne me rappelle pas ! Oh, mon Dieu, pourquoi me demander ça ? Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?

— Oh, oh ! Il reste du liquide à l’intérieur de lui…, se moqua Alecto. Regardez !

— Contentez-vous de vous me répondre : avez-vous acheté cette maison à quelqu’un s’appelant Evans ? »

Chaque fois que Severus prononçait ce nom, son ventre se contractait légèrement. Mais son esprit, rompu à l’Occlumancie, barrait toute pensée douloureuse et la seule chose qu’il s’autorisa à ressentir était son agacement croissant devant l’absence de réponse.

« On pourrait pas le tuer pour aller plus vite ? se plaignit Yaxley.

— Non, on a besoin de lui pour connaître l’adresse de Potter.

— J’vois pas l’rapport. De toute façon, on va le tuer à la fin, on peut pas abréger ?

— Fermez-là ! gronda Severus en voyant que son prisonnier tournait de l’œil sous l’effet de la peur. Laissez-le me répondre.

— Arrête de jouer, Snape, contra Bellatrix. Prends les réponses. »

L’espion fit un déplaisant rictus et obéit. Il s’accroupit près du vieillard et releva sa tête pour plonger son regard dans le sien. Sans aucune délicatesse, Severus fouilla l’esprit du William, tournant et retournant le moindre souvenir comme un tiroir en contreplaqué, blessant irrémédiablement le vieil homme. Il prenait les morceaux immatériels et les jetait après les avoir brièvement examinés, jusqu’à trouver un vieux fragment, là, dissimulé sous une épaisse couche de quotidien bien triste. L’écho d’une conversation s’étant déroulée quinze ans plus tôt.

« … Et si jamais je reçois du courrier, où dois-je l’envoyer ? »

Un homme massif à la carrure charpentée du paysan nouvellement arrivé dans la ville soupira de contrariété, son visage arborant une superbe moustache impeccablement peignée s’empourprant. Il leva les yeux au ciel, et balaya la requête de William Dale d’un impatient geste de la main.

« Eh bien, vous l’adressez à Madame Pétunia Dursley, au 4 privet drive à Little Whinging, dans le Surrey ! »

Snape ressortit rapidement du souvenir, lâchant le col du pyjama du pauvre Moldu qui lâcha un râle lamentable. Le corps vacilla, alors qu’il gardait les yeux grands ouverts, l’esprit totalement brisé.

« J’ai l’information, annonça le Mangemort en jetant le sortilège de mort sans sourciller. Allons chasser. »

 ***

La musique s’arrêta, et Jane en profita pour s’éloigner rapidement du vampire, avant qu’il ne l’attrape à nouveau. Elle marchait rapidement à travers la salle, ses hanches ondulant à cause de ces fichus talons tandis qu’elle cherchait un équilibre dessus et que la terreur qu’elle ressentait lui donnait le tournis. Quand elle arriva au buffet, elle s’y cogna, les deux mains s’y agrippant avec force, n’osant pas se retourner. Elle inspira profondément, le bourdonnement de la soirée l’empêchant de penser raisonnablement. D’un geste désespéré, Jane attrapa le premier verre à sa disposition et en vida le contenu d’un seul trait. Elle grimaça, sentant son ventre protester face à ce qui ressemblait à l’équivalent du champagne chez les sorciers. Elle détestait le champagne, cela l’enivrait trop violemment et lui donnait la nausée. Mais quand elle sentit le monde se fixer à nouveau sous ses yeux et l’alcool alléger sa peur, la Moldue gémit de soulagement. Après une inspiration profonde pour se donner du courage, elle se retourna. Le chasseur n’était plus là.

Jane avisa Harry et Luna qui dansaient étrangement sur la piste, comme s’ils n’écoutaient pas la même musique qu’eux. Les observer se mouvoir l’un et l’autre en harmonie, et pourtant totalement désynchronisés du reste de la salle avait quelque chose d’à la fois étrange et reposant. La Moldue chercha un autre visage familier, Slughorn, là, qui discutait avec Minerva, qui échangeait elle-même avec quelqu’un que Jane ne connaissait pas. Mais ce n’était pas la personne que la jeune femme voulait retrouver. Pour l’heure, perdue au milieu des Sorciers et des créatures magiques – bon sang, combien en avait-il d’autre ? Jane voulait à tout prix retrouver Sirius qui semblait avoir éloigné un temps le vampire. Mais aucune trace de l’Animagus. Un ricanement méchant à son oreille la paralysa. Elle s’agrippa à la nappe du buffet, cherchant des yeux les convives, voir si quelqu’un réagissait, mais personne ne semblait s’intéresser à ce qu’il se passait. Jane se refusa à se tourner. Elle ne voulait pas le voir.  Cela n’empêcha nullement Sebastian de s’approcher assez d’elle pour déposer l’ombre d’un baiser sur son épaule, en susurrant :

« Derrière le voile qui s’agite, se trouve votre chien de garde.

— Ne. Me. Touchez. Pas.

— Qui m’en empêchera ? Vous ?… » Se moqua le vampire.

Jane se retourna pour lui jeter à la figure ce qui lui restait de champagne, mais il attrapa son poignet d’un geste ferme. Elle ouvrit la bouche de stupeur, mais aucun son n’en sortit. Il la toisait, goguenard, prenant la coupe de sa main et la reposant sur le buffet. Puis, délicatement, il prit son poignet et le présenta à sa bouche, avant d’y appliquer ses lèvres glacées. Une vague de panique sans précédent s’empara de la Moldue, qui retira violemment son bras. Elle le vérifia sous toutes les coutures, déclenchant un nouveau rire moqueur de la part de la créature.

« Que d’inquiétude… Je ne vous ai encore rien fait… Nous avons toute la nuit pour ça. »

 ***

« Où est-ce ?! piaillait d’impatience Bellatrix.

— Patience, cherche le numéro 4.

— Quel quartier pathétique ! C’est ici que Harry Potter a grandi ? »

Snape ne répondit pas. Il n’avait vu la rue que dans les souvenirs du garçon, jamais de ses propres yeux. A la vérité, après les événements de la quatrième année, Dumbledore ne s’était plus contenté de garder secrète l’adresse de l’Elu, il avait rattaché sa protection à sa présence. Personne, en dehors de Dumbledore, ou d’une personne portant son sceau ne pouvait retrouver la maison. Mais lorsqu’Harry avait déménagé à l’été…

Ils trouvèrent la plaque parfaitement lustrée qui affichait le numéro, et l’espion sentit la troupe de Mangemorts s’exciter en voyant qu’il y avait encore des lumières dans le salon des Dursley. Alors que Bellatrix s’avançait d’un pas pressé en direction de la porte, Snape lui enserra le poignet pour la stopper. La Mangemort pivota sur le champ, et il eut à peine le temps de décider de ne pas bouger, qu’elle lui avait collé l’extrémité de sa baguette sur la carotide. Mais avant qu’elle ne le menace verbalement, Severus s’approcha d’elle pour la prévenir tout bas :

« La maison d’en face. Arabella Figg. Cracmolle au service de l’Ordre, chargée de surveiller les Moldus. »

Bellatrix regarda par-dessus l’épaule de l’espion dans la direction de la maison de la pauvre dame, et sourit méchamment.

« Que suggères-tu ? lui demanda-t-elle, sans pour autant s’écarter de l’homme.

— De la tuer. D’éviter qu’elle n’appelle la cavalerie. » Répondit Severus en déployant des trésors de maîtrise de soi pour ne pas reculer et remettre de la distance entre eux.

Bellatrix n’approchait jamais personne, certainement pas un homme. Sauf dans un cas très précis, et Severus n’aima pas pouvoir sentir son souffle chaud contre son cou. Mais il n’esquiva aucun mouvement, et parvint à ne pas frissonner de dégoût quand elle lui répondit, presque sur les lèvres :

« Oh non… J’ai très envie de m’amuser ce soir, Severus… »

Elle se décala, abaissant sa baguette et fit signe aux autres Mangemorts de l’attendre. Juste avant d’aller frapper à la porte, elle se ravisa et tendit la main à l’espion. Snape s’approcha, sans mot dire, et la laissa cogner le bois. On entendit quelqu’un maugréer à l’intérieur et une litanie de miaulements divers surmonta l’agacement de l’habitante. Le verrou coulissa bruyamment, et la porte s’ouvrit sur une femme âgée qui perdit immédiatement tout sourire feint quand elle vit le visage de ses visiteurs.

« Oh par Merlin ! »

Mais Bellatrix ne lui laissa pas l’opportunité de dire quoi que ce soit de plus et lui jeta le maléfice de pétrification. Arabella retomba au sol dans un bruit mat qui souleva assez d’air pour faire voleter les touffes de poils disséminées sous les meubles. Un chat noir à l’œil jaune feula menaçant, et la Mangemort cracha dans sa direction avec la même animosité. Snape observa circonspect la brune, incertain quant à ses projets. Mais elle ne lui offrit aucune explication, et claqua des doigts en direction de Yaxley, qui entra et fit léviter le corps. Puis, elle sortit d’un pas joyeux, et arriva presque en sautillant sur le perron du 4 Privet Drive. Là, elle sonna en s’humectant les lèvres par anticipation. Et ils attendirent.

Contrairement à Arabella, cela ne se contenta pas de râler mollement derrière la porte, on entendit clairement les protestations tonitruantes et imagées d’un homme, puis les gémissements plaintifs et aigrelets d’une voix qui demandait le calme. Enfin, le raclement caractéristique d’une paire de chaussons traînée au sol précéda l’ouverture de la porte. C’était un jeune homme massif. Musclé et enrobé, il faisait pratiquement la taille de Severus, mais cela ne l’empêcha pas de couiner en voyant leurs baguettes.

« MAMAN ! PAPA ! YA… YA… OH MON DIEU ! »

Bellatrix éclata de rire, et entra, tandis que Dudley se précipitait dans le salon, trébuchant presque sur le parquet impeccablement ciré. Les autres Mangemorts s’engouffrèrent dans la maison, tripotant bibelots et jouant avec les lumières en ricanant. Yaxley posa sans ménagement Arabella contre la porte du placard sous l’escaliers, et on entendit le jeune garçon s’étrangler :

« ILS ONT TUE LA FOLLE AUX CHATS !

— Chut, ne regarde pas mon chéri, ne regarde pas, balbutia Pétunia sans oser relever le visage vers les Mangemorts.

— QUI ETES-VOUS ? QUE FAITES-VOUS DANS MA MAISON ?! » Hurla Vernon en gonflant sa poitrine autant qu’il le put pour impressionner la bande d’assassins. Mais son pull se tendit sous l’effet et ne projeta que les quelques miettes de chips qu’il grignotait l’instant d’avant en regardant un blockbuster.

« Je suis la vengeance, je suis la nuit. » Répondit la télévision d’une voix grave. « Je suis Batman. »

Alecto grimaça et pointa sa baguette en direction de la télévision qui explosa à l’impact. Severus cligna des yeux en entendant la réplique du personnage, et secoua la tête. Pendant que la famille Dursley hurlait de terreur en regardant l’écran plat fondre et s’affaisser sur lui-même, l’espion chassa rapidement l’association d’idées, et se replongea dans son rôle.

« Vous êtes la famille du petit Harry Potter, n’est-ce pas… ? répondit Bellatrix.

— Qu’est-ce que… ? On n’a plus rien à voir avec lui ! Il n’habite plus ici ! On nous avait promis qu’on nous protégerait ! Qui êtes-vous ?!

— SILENCE, Moldu ! Tu n’as pas à poser de question ! cracha Alecto en pointant sa baguette, menaçante vers Vernon.

Qui vous a promis une protection ? enchaîna Bellatrix, comme si elle devinait la chute d’une excellente blague.

— Le vieux-là… Dum… Dumbledore ! »

Les Mangemorts éclatèrent de rire, la favorite du Maître plus encore, se tournant vers ses comparses pour partager cette plaisanterie douteuse. Snape grimaça, repensant à son mentor et sachant pertinemment qu’il ne s’agissait-là que d’un de ses innombrables mensonges « pour le plus grand bien ». Bellatrix ne le laissa pas s’appesantir davantage mentalement sur le mage blanc, et lui sourit.

« Explique-leur. »

L’espion s’avança, les autres s’écartant sur son passage. Quand il arriva devant la famille recroquevillée il leur dit froidement et lentement :

« Dumbledore vous a menti.

— Severus Snape…, murmura Pétunia pétrifiée. Je… Je savais que tu finirais mal ! Je savais qu’Elle n’aurait jamais dû… Si Elle te voyait…

— Sauf qu’elle ne me voit pas, Evans, cracha Severus avec toute la hargne que la douleur du souvenir fit remonter. Et si tu tiens vraiment à savoir ce qu’en pense ta sœur, sois patiente. Tu auras ta réponse très bientôt. »

 ***

Elle était en train de manger un grain de raisin que lui glissait Sebastian entre les lèvres quand elle crut entendre son prénom gueulé à travers sa boîte crânienne. Jane cilla, comme hésitant à s’éveiller, mais les yeux noirs, luisants d’une teinte écarlate intense la fixaient. Elle était bien, là, noyée dans ces yeux, la chair tendre du grain qui croquait sous ses dents. Son jus sucré qui coulait et qui picotait sur ses papilles. Les doigts du vampire, pressés contre ses lèvres, étaient toujours aussi glacés mais la sensation avait quelque chose d’électrisant. Quelque chose d’infiniment sensuel. C’était comme goûter à sa propre mort et en apprécier toutes les subtilités. La voix cria encore dans sa tête. Tiens… En fait, c’était elle en train de se traiter, de… Quoi ?

Jane se redressa instantanément, giflant la main de l’Italien et lui lançant un regard particulièrement mauvais. Le vampire sourit et inclina la tête :

« Je ne suis pas aussi docile que vous le croyez ! cracha-t-elle.

— Ah non ? Peut-être est-ce moi qui vous laisse la bride sur le cou, car j’aime vous voir cavaler avec votre volonté… »

Elle n’aima pas ce qu’il sous-entendait, et s’écarta de lui rapidement, prenant la direction de la sortie. Pourquoi personne ne venait les interrompre pour lui parler ? Où était Slughorn avec ses réflexions déplacées ? Pourquoi était-elle seule ? Jane avait à peine atteint les tentures qui fermaient la pièce, qu’elle sentie la créature en émerger, comme si elle s’était déplacée si vite qu’elle avait pu la précéder. La Moldue serra les dents, repoussant une réflexion toute personnelle sur le fait que Stoker avait peut-être été le plus juste à propos de ces monstres.

« Vous ne pourrez pas fuir. Seulement courir. »

Sebastian glissa une main autour de sa taille et une autre dans son dos pour l’obliger à se tourner vers lui. Ça rappela à la jeune femme vaguement un gars au lycée, un peu lourd… Sauf que ce dernier n’avait pas des pouvoirs psychiques.

« C’est juste, je peux vous obliger à beaucoup, lui répondit-il comme ayant lu dans ses pensées.

— À cause de ce que je suis… ? tenta de reprendre pieds la demoiselle.

— Précisément. Les sorciers ne sont pas affectés de la même façon par nos pouvoirs. Ils ont même tendance à y résister et à nous repérer efficacement.

— Des Van Helsing dans l’âme, murmura-t-elle.

— Vous êtes vraiment distrayante … Ça doit être pour ça qu’on vous garde au chaud ici. C’est l’inverse, en fait. Van Helsing était sorcier. Dans le sang. »

Jane fit l’erreur de relever les yeux et de croiser à nouveau le regard avec lui. La créature lui offrit un sourire satisfait et enjôleur, resserrant sa prise autour de sa taille, comme voulant l’emmener derrière une tenture. Il se pencha vers elle, espérant sans doute voler un baiser, mais elle s’écarta en bredouillant :

« Arrêtez… Arrêtez de jouer avec moi.

— Et où serait le plaisir ? »

 ***

Bellatrix était en joie. Ils avaient transplané avec leurs prisonniers, et à présent, elle chantonnait une vieille comptine de la Samhain. Si tous connaissaient l’adresse parce qu’ils l’avaient lue dans les livres d’Histoire, ou encore dans les coupures de journaux, seul Severus était déjà venu. 15 années auparavant, pour être exact.

La rue était silencieuse, si l’on exceptait la chansonnette poussée par la Mangemort. Les rues désertes serpentaient entre de grandes maisons de traviole aux façades striées de poutres et à la toiture de chaume. C’était un village médiéval absolument charmant, respirant la magie et la bonhommie, le bien-être et la vie bien rangée. De gros arbres poussaient dans les jardins, touffus et rebondis comme le ventre d’un homme jovial, et la lumière des nombreux réverbères les faisait luire d’une aura verdâtre rappelant étrangement le sortilège de la mort. Et là, au milieu de cette profusion de vies et de vitres embuées par la chaleur des familles heureuses, se dressaient de bien tristes ruines que l’énorme lune de ce 31 octobre découpait nettement dans le décor.

Severus laissa son regard d’obsidienne passer sans la voir sur la maison. Il se concentra davantage sur l’afflux magique provenant de sa baguette, sur les énergies qui volaient autour d’eux, sur l’aura maléfique que dégageait la troupe. Tout ceci était décuplé sous l’effet de l’astre immense, et il en avala de grandes goulées pour s’aveugler de cette puissance. C’est comme ça qu’il arriva à s’approcher de l’immense statue érigée au centre, comme ça qu’il garda le silence quand Bellatrix singea ce qu’il y avait de gravé dans la pierre.

« À James et Lilly Potter, en mémoire de leur sacrifice pour le plus grand bien. » Le plus grand bien… Ah ! Voilà une phrase de faible ! Et regardez le petit chéri qui n’a pas de cicatrice, ooooh…  C’est mignon tout plein, ils nous ont mis le bébé Potter comme s’il était mort quelque part cette nuit-là… Ah ah ah. Bientôt, bientôt. Décrochez-moi cette horreur, elle n’a rien à faire au centre d’un village ! »

Nott et Dolohov pointèrent leur baguette en direction du pied du monument, et une énorme fissure trancha nette le socle. Après quoi, ils firent léviter la famille de marbre jusqu’à l’entrée de l’ancienne maison de James et Lily. Yaxley et les Carrow, eux, amenèrent les quatre prisonniers toujours pétrifiés. Bellatrix menait la procession, Severus la terminait, son esprit se refusant à penser à autre chose qu’à la méthode dont il allait devoir faire preuve.

La Mangemort donna un grand coup de pied dans le petit portillon en bois qui branlait à l’entrée du jardin en friche des Potter. Le bruit n’intéressa personne, et la rue resta toujours aussi déserte. Elle continua de trottiner jusqu’à la porte sortie de ses gonds, et la fit exploser d’un coup de baguette. Ils entrèrent dans l’ancien salon, dont la cheminée centrale ne montait plus au-delà d’un mètre. La toiture s’était effondrée sur la cuisine, et la charpente coupait une partie de l’espace. Les escaliers qui avaient un jour porté Severus jusqu’à la chambre de Lily, étaient en grande partie détruits, mais l’espion se coupait trop de ses propres émotions pour en être rassuré.

Il n’y avait plus de meuble. Avec le temps, de nombreux sorciers étaient venus pour prélever un morceau et l’emporter chez eux. Un bout de chaise. Une pièce de rideaux… La maison des Potter avait été gardée en l’état, et devait témoigner de ce qu’il s’était passé, sans pour autant bénéficier d’une protection particulière : seul le temps devait effacer les traces. Le temps, les pillards et autres pèlerins. Alors on jeta à même le sol les prisonniers, qui s’écrasèrent dans un drôle de bruit, les membres rendus raides par le maléfice. Gisaient donc entassés dans des postures improbables Arabella Figg, Vernon, Pétunia et Dudley Dursley.

« On les torture avant de les libérer, ou on commence tout de suite ? s’impatienta Alecto.

— Ah ! Ma chère… J’ai en tête quelque chose de beaucoup plus amusant… Mettez la statue au centre-là. Ah, et voyons… Nous risquons d’avoir un public, ouvrons le rideau. »

Elle se tordit pour tracer un rectangle invisible en pointant le mur. Lentement, comme criant de stupeur, la maison grinça et la pierre crissa. Les poutres couinèrent, et doucement, soulevant une quantité de poussière, le pan de mur s’affaissa pour dévoiler la rue. À présent, le salon donnait directement sur l’extérieur, comme une petite boite à chaussures dans laquelle un enfant aurait découpé une grosse fenêtre. Et eux, au milieu, s’y mouvaient comme des marionnettes destinées à jouer une pièce.

« Voyons… Gardez la sœur-là… Et son fils, laissez-les dans ce coin. Levez le sort, je veux qu’ils puissent crier.

— Ne nous faites pas de mal ! Je vous en prie, ne nous faites pas de mal ! Ne faites rien à mon fils ! suppliait Pétunia tandis qu’ils la collaient contre une poutre effondrée, son ado dans les bras.

— La Cracmolle et le gros, vous me le mettez aux pieds des Potter, là, continua la Mangemort en haussant la voix pour couvrir celle de la mère. Parfait. Enervate. »

Elle lança le sort sur la membre de l’Ordre du Phénix qui cligna des yeux, avant de fondre en larmes et de se jeter aux pieds de Snape.

« Severus, pitié ! Ne les laisse pas faire, s’il te plaît ! S’il te plaît Severus. Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Arrête-les ! Tu dois les arrêter ! Tu es des nôtres ! Je t’en prie, Severus, SEVERUS ! »

Bellatrix observa avec grand plaisir la réaction de l’homme qui regarda longuement la vieille femme, ses yeux obsidienne totalement fixes. Il la laissa se recroqueviller en enserrant les pans de sa robe, comme curieux devant le phénomène. À droite, Pétunia jura :

« Tu es un monstre, je l’ai toujours dit. J’avais prévenu Lily, si elle savait qui était vraiment son ami…

— Aies pitié, supplia Arabelle misérablement, ne les laisse pas faire, tu es des nôtres…

— Elle y croit en plus ! se moqua Alecto.

— Chut, intima Bellatrix.

— Severus, reprit Arabella. Severus, s’il te plaît ! Tu es de notre côté ! Dumbledore nous a dit que tu étais de notre côté !! »

Le Directeur de Serpentard se pencha lentement, saisissant la vieille dame par les épaules. Elle gloussa de soulagement entre ses larmes. Quand il la releva à son niveau, il l’entoura doucement de ses bras, et glissa à son oreille en fixant Bellatrix d’un regard totalement vide :

« Dumbledore s’est trompé. »

 ***

Il la tenait contre lui, et l’absence de pouls, la froideur de son corps, la rigidité de ses membres faisaient sonner une alarme dans sa tête. Et pourtant, cela faisait une bonne dizaine de minutes qu’ils discutaient tout bas, enlacés l’un contre l’autre. Sebastian l’abreuvait d’anecdotes invérifiables sur l’origine du livre de Bram Stocker, et Jane… Jane se laissait porter par les mots, par cette source qui nourrissait sa curiosité.

Si quelqu’un avait regardé dans leur direction, il aurait vu un couple en fin de soirée… Mais personne ne regarda, et Sebastian aurait tout aussi bien pu la faire disparaître derrière une tenture sans qu’on ne le remarque. C’est cette réflexion mentale qui tira Jane de sa léthargie, alors que le vampire caressait doucement sa nuque d’un index agile. Elle recula, tremblante :

« Peu importe vos plans, vous n’avez pas intérêt à me faire du mal.

— Pourquoi ça ?

— Parce que… Ben parce que ça n’est pas non plus pour rien si je suis ici.

— Et vous êtes là pourquoi… ?

— … Dumbledore ne permettrait pas qu’il m’arrive quoi que ce soit.

— Dumbledore n’est pas tout puissant. »

 ***

Arabella retomba au sol, comme sonnée, éclatant en sanglots, tandis que Bellatrix caquetait de plaisir. Muets de terreur, Pétunia et Dudley regardaient la scène sans comprendre.

« Je crois que briser la foi de quelqu’un est presque aussi plaisant que de lui briser les os, susurra la Mangemort. Je commence à comprendre ta façon de prendre ton pied, Severus.

— Tu commences seulement, répliqua l’homme en esquissant un rictus terrible.

— Ah ! Je vais te montrer, moi, ce qui me plaît ! Je vais leur montrer à tous. Hein ? On va rétablir la vérité ! Tu invoques Dumbledore, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle à l’adresse de la vieille dame. Ce vieux Dumby qui protège les Sang-de-Bourbes, les Cracmols et les Moldus… Eh bien on va voir pourquoi il vous aime tant, hein ? On va voir si vous méritez la place qu’il veut vous faire dans notre société…

— Lestrange… souffla Amicus choqué. C’est… C’est dégoûtant ce que tu dis, tu veux faire quoi ?

— Un jeu. On va jouer. On va jouer à « Qui a le droit de vivre, ou non ? »… »

 ***

« Vous croyez vraiment qu’un meurtre à Poudlard passerait inaperçu ? »

Jane était livide, elle avait reculé d’un pas et le vampire avait accepté de la lâcher. Le brun la fixait, sans fermer un seul instant des paupières inutiles, l’observant de ses yeux de prédateur, des yeux qui luisaient légèrement dans la pénombre. Il lui offrit un sourire carnassier, et lui répondit d’une voix basse et sereine :

« Cela ne serait pas la première fois…

— Que… »

Mais la Moldue s’étrangla de silence, repensant à ces rumeurs sur la Chambre des Secrets, sur les sévices corporels perpétués par Ombrage, sur ces créatures qui vivaient dans le parc, sur ces histoires de Détraqueurs attaquant Harry Potter, de Professeur tentant de tuer leur élève. Elle recula encore d’un pas, ce qui n’échappa nullement à la vision du prédateur. Le sourire de Sebastian s’agrandit de plus belle.

« Tu peux courir, si tu veux. »

 ***

La Mangemort libéra Vernon, et d’un coup de baguette, l’affubla d’un pantalon de toile rouge et d’un chemisier en lin de la même couleur. L’homme grimaça, s’époumonant, sous le sortilège de silence. Sa femme, prostrée dans un coin de la pièce avec leur enfant dans les bras, hoqueta et alpagua une nouvelle fois l’ancienne détenue :

« Ne nous faites pas de mal !

Je ne vais rien faire, femme. Ferme-la. »

D’un autre coup de baguette, elle transforma ensuite les vêtements d’Arabella de la même façon, lui attribuant un jaune vif qu’on ne pouvait manquer même dans la pénombre. Puis, remuant encore le bout de bois, elle produisit une série de petites flammes qui éclairaient l’endroit comme une scène.

« Bien… Maintenant les règles du jeu. Toi, le Moldu, si tu veux sauver ta femme et ton fils, je te conseille de tuer cette vieille chose. Toi, la Cracmolle, si tu veux sauver ta carcasse, je te conseille de tuer ce gros tas.

— Mais… Mais… Mais c’est absurde ! Mais comment… ? bredouilla la pauvrette.

Comment ? Mais très simplement : utilise ta magie.

— … Mais je… Je n’ai pas de pouvoirs magiques, je suis… Enfin, je suis…

— Dis-le ?

— … Une… Cracmolle… Une erreur, soupira-t-elle minablement enfin.

Exact. Mais crois-tu qu’il va hésiter à te faire du mal, hum ? »

D’un geste, Bellatrix libéra la parole de Vernon qui se traduisit par un torrent de jurons. Yaxley voulu envoyer un coup de pied, mais Snape l’en empêcha d’un geste instinctif. Il tourna lentement son regard noir vers son comparse qui ne protesta pas. Une hiérarchie se mettait doucement en place dans cette fosse animale.

« Alors, Moldu ? Vas-tu la tuer de tes propres mains ? Est-ce que tu vas avoir le cran de l’étrangler ? De la battre à mort ?

— … Vous êtes des dégénérés !

— JE T’INTERDIS DE… Soit, se reprit bien rapidement l’insultée. Tu as besoin d’une motivation, je vais t’aider. Donnez-moi le garçon.

— NON ! »

Les deux parents avaient hurlé de concert, plus livides que jamais. Pétunia le serrait si fort qu’il toussa contre sa poitrine, suffoquant dans la peur de sa mère.

« Pitié, supplia-t-elle.

— Alors ? demanda Bellatrix.

— Va au diable, sorcière !

— Severus ? Aide-le à me montrer le respect qu’il me doit. »

Snape tourna son visage vers la mère et l’enfant, la sœur de son ancienne meilleure amie hurla de terreur. Il s’approcha d’un pas décidé, attrapant le gamin par le bras, le tirant brutalement hors de ceux de sa génitrice. Là, il le traîna par les cheveux avec une facilité déconcertante, et le ramena auprès des futurs combattants. Il releva la tête de Dudley, la baguette sous le menton, fixant, impassible, le père.

« VOUS N’AVEZ PAS INTÉRÊT À LUI FAIRE LE MOINDRE… »

Mais Vernon se tut lorsque son fils hurla de douleur, un flot de sang jaillissant de son cou, son nez, et d’une centaine d’autres de coupures, qui apparurent simultanément.

« Êtes-vous prêt à jouer le jeu, maintenant ? » Répondit l’homme en noir d’une voix tranchante comme une lame.

 ***

La Moldue se cogna à une armure complète qui vacilla sous l’impact, l’entraînant dans sa chute. Le fracas du métal sur les pavés fit un bruit assourdissant et elle gémit de douleur, sa plainte accompagnée du craquement caractéristique de l’étoffe. La robe s’était déchirée, et elle saignait.

« Merde ! Non, non, pas ça, surtout pas ! »

Sa supplique se répéta dans le couloir désert, elle jeta un pauvre regard aux tableaux vidés de leurs occupants.

« Hmm… Tu ne lutte pas correctement petite chose. Ton sang a l’odeur de la peur. En aura-t-il le goût ?

— Va te faire foutre ! »

Jane tournait la tête dans tous les sens, ni portrait, ni fantôme pour l’aider. Elle leva sa robe, frissonnant de froid dans son étoffe élaborée, et enleva ses chaussures à talons.

« Vulgaire, mais maligne… Pars, je vais te laisser dix mètres.

— Espèce de taré ! À L’AIDE !

— Aller, vingt. Mais seulement parce que tu me plais quand tu te cognes aux armures.

— À L’AIDE ! » Hurla encore Jane, se relevant, et reprenant sa course en direction de la Grande Salle.

Elle dévala une série d’escaliers, ignorant la morsure du froid sur ses pieds, ou le sang qui s’écoulait de son genou meurtri. Quand elle aperçut les grandes lueurs rassurantes du hall, elle fit l’erreur de ralentir, et un voile froid l’enveloppa.

« Non, non, pas par là… » Claqua la voix rendue fantomatique du vampire.

Elle s’éleva dans les airs, transportée dans cette drôle d’aura informe qui puait la mort. Elle se débattit avec hargne, donnant des coups de poing et des coups de pied chaque fois qu’elle sentait quelque chose la toucher. Dans le cou, au creux du coude, sur la hanche, sous son oreille. Une série de baisers accompagnés d’un rire victorieux. Elle frappait la brume pour chacun, insultant, hurlant, incertaine quant au fait qu’on pouvait l’entendre dans cette tornade. Puis soudain, le froid. L’odeur de la mousse, l’odeur de la brume, la vraie cette fois-ci. Et elle, la grosse lune. Une grosse lune qui lui fait face, magnifique, magique. Mais une lune traîtresse qui l’expose sur cette allée. Une lune qui ne lui laisse aucun recoin pour échapper à la traque du chasseur.

Jane se relève, alors que la forme s’évapore, elle est seule dans le parc de Poudlard, pieds nus, vêtue d’une robe de soirée rouge sang. De ce genre de robe que portent les victimes dans les films d’horreur… Ou les films de vampires. Jane a beau en avoir vu plein, a beau avoir passé des heures devant son écran à critiquer les personnages… Elle panique devant cette lune trop brillante et sa position à découvert, et elle s’engouffre dans la forêt interdite.

« Enfin tu joues le jeu… »

 ***

Aux pieds de Severus, Dudley hoquetait en s’étouffant dans son sang. Vernon serra les dents si fort qu’il sentit son bridge se décaler. Il ferma ses poings et les releva devant son visage, fixant la Cracmolle qui pâlit.

« Vernon, souffla Pétunia choquée, incapable de terminer sa phrase.

Vulnera Sanentur… »

Sans quitter des yeux le Moldu, Severus passa la baguette contre le visage du garçon, murmurant son incantation. Le sang arrêta de s’écouler, et la respiration de Dudley retrouva peu à peu un rythme moins alarmant. Son père coula un regard dans sa direction, de la sueur perlait sur son front, puis il se retourna vers sa cible.

« Je… Mais je ne peux pas me défendre, bredouilla-t-elle.

— Utilise la magie ! ordonna Bellatrix. Plie-la à ta volonté, ou meurs.

— Mrs Figg… Je n’ai pas le choix.

— SI ! SI ! Vous avez le choix ! Ils vont nous tuer de toute façon, ils vont quand même tuer votre petit. SEVERUS ! SEVERUS ! Arrête cette folie !

— Je suis désolé, Mrs Figg, je vais essayer d’être rapide.

— Oh mon Dieu ! Vernon ! »

Pétunia détourna le regard quand elle vit les mains immenses de son mari s’avancer vers le cou gracile de la vieille dame qui gardait jadis leur neveu. Arabella hurla, et se débattit, frappant et griffant son assaillant, son instinct de survie se rebellant. Vernon hésita, assez pour que Severus relève le visage de son fils en le prévenant :

« Dursley… ! »

Il eut l’impression qu’il allait dégueuler sa semaine entière de repas. Déglutissant péniblement, il arma le bras, et l’abattit avec force. Sa femme hurla son nom, mais il eut le sentiment de ne plus jamais en mériter un.

 ***

« À L’AIDE ! SORTEZ-MOI DE CE CAUCHEMAR ! »

Une énorme branche agrippa l’un des voiles de sa robe et le retint. Jane força en paniquant, déchirant la ceinture qui donnait cette forme si particulière à sa toilette. Le tissu écarlate vola autour d’elle, se libérant en furie et gonflant sous l’air qu’elle propageait en courant.

« Tu devrais être plus discrète, il y a bien pire que moi dans cette forêt… »

Le vampire lui avait dit ça en passant à sa droite, entre deux arbres. Il semblait marcher avec nonchalance, alors qu’elle courrait à en perdre haleine. Jane ne répondit pas pour autant, les poumons la brûlant sous l’effort, et continua d’avancer dans les ronces et les fougères, ses pieds nus s’écorchant sur les pierres.

« À L’AIDE ! répéta-t-elle.

— Tu ne comprends donc pas… ? Personne ne viendra petite chose. Je te l’ai dit : tu peux courir, mais pas m’échapper. »

La Moldue trembla quand elle le sentit la frôler en passant près d’elle. Avec rage, elle attrapa une branche morte qui pendait à un entrelacs de fougères, et tenta de frapper la créature avec.

« VOILA ! Voilà ce que j’attends de toi ! Bas-toi ! Allez ! Bas-toi contre moi humaine ! AFFRONTE-MOI ! »

Jane fit volte-face et hurla en chargeant un vampire avec un ridicule bout de bois.

 ***

Pétunia gémissait de terreur, Vernon haletait, reprenant lentement conscience de l’endroit où il était, de ce qu’il venait de faire. Les Mangemorts frémissaient d’excitation, à l’exception de Severus qui restait désespérément impassible.

« Des animaux…, siffla d’admiration Bellatrix. Ce sont des animaux. »

Elle avait beau regarder le cadavre de Mrs Figg et les mains ensanglantées de Vernon, son commentaire pouvait s’appliquer à l’ensemble des occupants des ruines. Les Carrow tournaient autour du Moldu comme des rapaces, attendant l’ordre pour l’achever, Yaxley et Dolotov fixaient Pétunia, et malgré leur masque, leur posture laissait entendre qu’ils savaient comment la torturer. Severus gardait toujours le fils à ses pieds, celui-ci retrouvait peu à peu ses esprits, et l’homme qui le tenait était si mort qu’il n’en avait plus rien d’humain.

« Amicus, Alecto… Préparez l’autel, le gros fera l’affaire. J’ai autre chose en tête pour elle et lui.

— NON ! VOUS AVIEZ DIT… ! rugit Vernon retrouvant un semblant d’esprit.

— Pauvres Moldus… Tout le monde vous ment… ricana Bellatrix. Montez l’autel ici. Ça sera parfait. Severus, prends le garçon, Yaxley, Dolohov, préparez la pièce. Toi, ma chère, on va discuter entre femmes…

— NON ! VERNON !

— PETUNIA ! NE LUI FAITES RIEN SALES MONSTRES ! »

Severus et Bellatrix emmenèrent les prisonniers dans ce qui restait de la bibliothèque. Le plancher du premier étage tenait toujours et la pièce était donc plongée dans le noir. La Sorcière projeta quelques flammèches pour révéler une mère terrifiée qui jetait des regards inquiets à son fils, traîné par l’ancien meilleur ami de sa sœur. Bellatrix les observa tous les trois un instant, et Snape sentit au fond de lui qu’il était parmi les victimes… Mais il n’arriva pas à s’en émouvoir, la magie était puissante ce soir, la magie noire. Et ce qu’ils faisaient et faisaient faire ne cessait de la gaver, faisant rejaillir sa puissance sur eux. C’était enivrant, il avait beaucoup de mal à rester sur le fil, à ne pas y succomber.

« Rends-lui son mioche. »

L’espion relâcha sa poigne, et Pétunia attrapa son fils et le serra fort, l’emmenant loin d’eux, se recroquevillant dans un coin de la pièce, près d’un gros livre à moitié calciné. La Mangemort pencha la tête sur le côté, dans une posture faussement attendrie, elle poussa le vice jusqu’à sourire.

« À quel point aimes-tu ton fils ? »

La question resta en suspend dans la pièce, alors qu’on entendait au loin le Moldu hurler de rage. Un instant, Pétunia regarda autour d’elle, comme espérant que quelqu’un viendrait, alerté par ce tapage, mais le bruit distinct d’un coup et le silence par la suite tua tout espoir en elle.

« Qu… Qu’allez-vous faire de nous ?

— Réponds à ma question, femme : l’aimes-tu vraiment ?

— … Oui. Oui, évidemment, protesta-t-elle en passant ses deux bras autour du visage du garçon qui peinait à y voir clair avec la quantité de sang qu’il avait perdu. Qu’allez-vous faire de mon mari ?

— Le saigner. »

La brutalité et la décontraction avec laquelle Lestrange avait dit ça glaça la prisonnière qui cilla, et elle regarda Severus avant d’hoqueter de stupeur. L’homme semblait arborer l’ombre d’un sourire terrifiant.

« Le sang est puissant, Evans, tu le sais, lui expliqua-t-il d’une voix d’outre-tombe. Le Sabbat de la Samhain se fait dans le sang.

— Celui de nos ennemis, parfois…, compléta Bellatrix. Peu importe combien le vôtre puisse être impur, le sang, reste le sang… Même pour un rituel.

— … Vous… Vous êtes des monstres. Vous… Vous comptez tous nous faire ça ?

— Cela, femme, va dépendre de toi, et de la force de ton amour pour ton fils. » Répondit Bellatrix en souriant sadiquement.

 ***

L’ombre du vampire s’effaça une nouvelle fois au moment de l’impact, et il rit franchement devant la tentative désespérée de la Moldue. Jane arma une nouvelle fois et frappa, mais ses bras engourdis par la fatigue et le froid commençaient à se faire lourds. Contrairement au mort-vivant, elle avait des limites, et était en train de les atteindre dangereusement.

Dans un souffle, l’ombre disparut entièrement, et Jane haleta, sondant du regard les ténèbres qui l’entouraient. Ses bras tombaient doucement sous le poids de la branche qu’elle avait de moins en moins la force de soulever. Elle ferma les yeux un instant, le corps s’abaissant de fatigue, se reposant contre un tronc d’arbre. Juste un petit répit, un tout petit moment…

« Tu pourrais céder, et ça serait plus simple. Beaucoup moins épuisant… Terriblement moins douloureux. »

La Moldue tressaillit en comprenant qu’elle ne prenait pas appui contre un sapin, mais bien contre le corps mort de Sebastian. Il avait passé sa tête dans son cou, contre son épaule, humant pleinement sa crinière libérée et emmêlée par la sueur. Jane ferma les yeux un instant tandis qu’il passait ses deux mains sur son ventre pour la soutenir, l’invitant à se reposer entièrement contre lui.

« Peut-être même y prendrais-tu plaisir…

— Laissez-moi, je… Je m’appelle pas Bella, moi…, demanda-t-elle engourdie par le froid.

— Laisse-toi aller, cède à ton instinct.

— … »

 ***

Pétunia regarda tour à tour Severus et Bellatrix, arborant une grimace horrifiée. Jamais de sa vie elle n’avait ressenti une telle douleur, un tel désespoir. Son corps entier tremblait de peur, son cerveau s’embrumait, sa vue se rétrécissait à mesure qu’elle fuyait la réalité. Elle entendait distinctement le battement de cœur de son fils, le sien également. Elle n’entendait plus du tout les propos de la Mangemort qui l’enjoignait à faire un choix.

Un choix qu’aucune mère ne devrait avoir à faire…

Déposant un baiser sur le front de son fils, qui murmurait des « Maman, maman ? » inquiets, Pétunia remonta ses bras, jusqu’à ses épaules, pressant le visage du garçon contre sa poitrine. Elle renifla bruyamment, lui promettant que tout irait bien, que c’était bientôt terminé. Elle pressa plus encore, la voix de Dudley montant légèrement dans les aigus, tandis qu’il paniquait sans comprendre ce qu’il se passait. Pétunia étouffa un sanglot, et se mit à chanter la berceuse qu’il connaissait si bien, la voix chevrotante, mourant à chaque « Maman ?! » supplié contre sa poitrine. Elle serra, malgré les coups qui commencèrent à pleuvoir, malgré les soubresauts de panique et de défense.

« Il a peur…, murmura sadiquement Bellatrix en s’approchant. Il commence à comprendre, rassure-le.

— … C’est bientôt… C’est bientôt fini mon chéri… Je… C’est… »

Pétunia n’arriva pas à terminer sa phrase, sa gorge se nouant affreusement, comme si on lui enfonçait une lame en travers de la trachée. Elle ferma les yeux, de grosses larmes brulantes dévalant ses joues et s’écrasant sur le visage violacé du garçon. Il hoquetait affreusement, crachotait des sons qui ressemblaient à des « Ma… » et des « Man… ».

Bellatrix se mordit la lèvre inférieure en observant la scène, ses grands yeux fous rivés à l’expression de désespoir de la mère. Severus la fixait, elle. Ce n’était pas la première fois qu’il assistait à de telles atrocités, ni la première fois qu’il en provoquait. Il lui arrivait même d’y prendre du plaisir. Mais la façon dont Lestrange y goûtait était au-delà de tout…

« C’est… C’est fini mon cœur… C’est… C’est fini… »

Pétunia resta là à bercer encore un moment le corps refroidissant de son fils, sous les yeux hypnotisés d’une psychopathe, et vides de l’ancien meilleur ami de sa sœur.

 ***

Elle l’avait frappé. Jane avait envoyé les deux coudes en arrière, et s’était tordue pour se retourner et coller une gifle incroyable au vampire. Ce dernier, surpris par son geste n’avait pas esquivé, et ses yeux noirs exprimèrent tout d’abord de la surprise, avant de la fixer avec une rage terrible. Jane déglutit et recula, chancelante.

« Je t’ai dit… Je t’ai dit de céder à ton instinct, siffla-t-il furieux.

— Désolée… » Bredouilla-t-elle avant de prendre la poudre d’escampette.

 ***

Severus leva la baguette en direction de Pétunia, qui posa lentement ses yeux rougis de larmes sur lui. Elle continuait de balancer son corps d’avant en arrière, tenant son fils dans ses bras comme un bébé endormi. La peur avait quitté ses traits, et ilsn’exprimaient plus que la résignation et le dégoût profond.

« Ça te démange depuis si longtemps… » Cracha-t-elle.

L’homme en noir cligna des yeux, le bout de sa baguette s’abaissant imperceptiblement. Il sembla réfléchir un instant à ce fait, et inclina la tête.

« C’est vrai. » Répondit-il.

Il ne pouvait le nier. Tuer cette carne qui l’avait tant de fois insulté, qui l’avait tant traité de monstre quand il était plus jeune, qui avait essayé de l’éloigner de Lily… Severus sentit une certaine satisfaction à l’idée qu’il allait enfin faire taire cet abominable puits d’insultes. Sa baguette luisait doucement d’une aura verte, pulsant dans sa main, ronronnant au même rythme que son cœur. Elle anticipait elle aussi. Toute sa magie anticipait ce qui allait suivre. Comme toujours, c’était bon, c’était comme une drogue interdite qu’on prenait plaisir à reprendre après un sevrage. Ce soir c’en était que meilleur, la puissance coulait brute, à portée de main, si facilement utilisable. Il eut presque l’impression qu’il pouvait la tuer sans baguette, d’un simple geste, de sa seule volonté.

« J’espère qu’Harry vous règlera à tous votre compte ! eut-elle le temps de murmurer d’une voix ferme.

— Adieu, Tunie. »

L’éclat vert fusa et fonça droit vers la Moldue, la touchant en pleine poitrine dans le silence le plus complet. Elle n’avait pas crié, elle n’avait pas bougé. Son corps s’affaissa contre le mur, le menton tombant sur le sommet de la tête de son fils. Et Severus soupira de contentement. C’était une page de sa vie qu’il venait d’effacer.

Bellatrix l’observa un long moment en silence, plissant des yeux comme pour tirer une quelconque conclusion. Elle s’approcha lentement, tourna autour de lui comme un prédateur, et hocha la tête, avant de tourner les talons.

« Je n’ai plus besoin de toi, Severus… »

Il cligna des yeux lorsqu’elle le laissa, incapable de bouger en regardant ce qu’il avait fait. La magie coulait toujours aussi furieusement en lui, et sa soif de sang semblait à peine émoustillée. Comme mise en bouche. Quand il ressentit le regret de ne pouvoir goûter au terrible Sabbat qui profanait la maison des Potter, il sut qu’il était urgent de partir. Il transplana, sans un regard en arrière.

 ***

Cette fois-ci, Sebastian ne la laissa pas courir en avance. Il s’éleva rapidement dans les airs, étirant un bras impatient dans sa direction. En voulant l’éviter, Jane tomba à la renverse, dévalant une pente et tombant dans un cours d’eau glacé. La Moldue releva la tête, ruisselante et presque tétanisée par le froid, apercevant le vampire fondre sur elle comme un oiseau de proie. Jane saisit une touffe d’herbe à pleine main pour s’aider à se relever, ses ongles s’enfonçant dans la terre dure. Son genou meurtri raclait le sol mais elle arriva à retrouver ses appuis. Elle s’ébroua, les voiles de sa robe carmin flottant autour d’elle, courant droit vers un écartement d’arbres. Elle n’arrivait plus à crier, plus à appeler à l’aide. Terrifiée à l’idée que la créature ne l’attrape, la jeune femme en venait à souhaiter tomber sur n’importe quoi qu’abriteraient les lieux. La lune interrompit sa course, lorsque brutalement, la cime mourut pour laisser un ciel avalé par cet astre. Sa seule lueur était terrifiante, sa seule taille anormale coupait le souffle. Jane eut nettement l’impression de n’être qu’un lapin pris dans les phares d’une voiture.

Son corps bascula, des griffes s’enfonçant dans sa chair, ses hanches étaient prisonnières d’une poigne ferme, et son dos craqua lorsqu’il fut plié. Bientôt, sa tête lui fit mal. Le nez dans les herbes hautes, elle mit un certain temps avant de comprendre qu’il l’avait percutée et mise à terre. Jane tenta de pivoter pour lui faire face. Elle ouvrit la bouche de terreur, mais aucun son ne sortit. La créature n’avait plus rien d’humain, son visage anguleux était tiré comme un masque déformé, et ses yeux rouges luisaient puissamment dans les ténèbres. La lune rousse fit scintiller la mâchoire effilée du vampire.

« JE T’AVAIS DIT D’ÊTRE DOCILE ! hurla-t-il d’une voix affreusement grave. CELA AURAIT PU ÊTRE PLUS RAPIDE ! MAIS TU JOUES TROP DE MA PATIENCE !

— Arr… Arrêtez, NON ! CA SE SAURA ! »

La créature éclata d’un rire aigrelet, rejetant sa trogne difforme en arrière. Jane donna un coup de genou, puis un coup de pied. Mais ce sont des ombres qui se fendirent sous son geste. Elle se tourna, agrippant les touffes d’herbe, rampant, rampant. Vers où ? Il n’y avait aucune sortie.

« Personne ne te retrouvera. Même s’ils te cherchent, personne ne te retrouvera. Qui se soucie de toi ? Petit animal perdu sans son Maître… »

Jane était épuisée, des larmes brouillaient sa vue, une odeur douce et enivrante parvint à ses narines. Une odeur de fleurs. Elle tirait sur ses bras, ses muscles la brulaient, sa robe se déchirait, s’accrochant au sol, comme se retournant contre elle. Sa nuque frémit de peur quand elle perçu le souffle glacé du mort contre elle. Jane tira encore sur ses bras, les pétales de Lys caressant la peau de son visage comme des mains douces cherchant à la rassurer. Elle pouvait presque toucher le pan de la robe de granit.

« Pitié…, murmura-t-elle devant elle, comme à l’adresse de la figure sculptée.

— J’en ai déjà fait preuve. » Susurra le vampire contre son oreille.

Il avait presque repris une forme complète, Jane pouvait sentir son poids contre son dos, ses hanches clouer les siennes au sol, et ses mains… , ses terribles mains aussi longues que des pattes d’araignées bloquer ses poignets.

« NON ! » Hurla la jeune femme de désespoir quand elle entendit les dents claquer contre son visage.

Elle tenta de se redresser, en vain, envoyant une main désespérée en direction de la paume de granit qui tenait une tige de Lys. Jane ferma les yeux, sentant son dos protester face à sa cambrure. La main du vampire attrapa la sienne avant même qu’elle ne puisse agripper celle de la statue. Le cœur de Jane rata un battement lorsque le souffle saccadé de la créature siffla dans son cou.

« NOOOON ! » Hurla-t-elle encore.

Il y eut un « crack » violent et tempêtueux. Une bourrasque magnétique la fit rouvrir les yeux de choc. Jane sentit une odeur de sang et de feu. Elle sentit également une froideur brûlante s’emparer de son âme. Un instant, elle crut que c’était la morsure de Sebastian, mais ce dernier regardait dans la même direction qu’elle, son masque évoquant la surprise.

Il fallut un certain temps aux trois personnes pour comprendre la scène. La Moldue eut un haut le cœur en croisant son regard. En n’y voyant que ténèbres et malfaisance. L’homme en noir arma la baguette, et fondit vers le vampire qui s’élança dans un même temps dans sa direction. Un sort fusa, et le cri de la créature déchira la nuit. Jane pétrifiée se recroquevilla contre la statue, observant la scène ébahie. Severus et Sebastian roulaient dans une sorte de vapeur noire et informe, comme un rideau doué de vie, projetant des traits d’énergie brute. C’était la première fois que la jeune femme voyait de la magie noire, et elle semblait capable de s’étendre partout, de prendre corps partout. L’air était dense, oppressant, la lune brillait de plus belle, comme ne pouvant se détourner elle-même du combat. Il eut un flash bleuté, et les deux hommes retombèrent au sol de part et d’autre de la clairière. Pendant quelques secondes, aucun d’eux ne bougea, et Jane avala une grosse quantité d’air en paniquant. Elle tenta de se relever, elle voulait aller le voir. Severus se redressa, péniblement, à l’autre extrémité, le vampire en fit de même, pépiant de plaisir face à la difficulté.

« Je crois… soupira-t-il, trahissant pour la première fois une fatigue… Je crois que j’ai retrouvé celui qui tient la laisse. »

Snape grimaça, son regard onyx reflétant pour la première fois l’astre exceptionnel. Il aurait dû chercher à s’échapper. Quelque part, il sentait que la priorité était de mettre la femme en sécurité. Sa baguette pulsait, irradiait de puissance, il avait tellement de rage, tant de noirceur. Il fallait qu’il la déverse sur quelque chose, il devait se repaître de ce pouvoir, le laisser partir, y succomber pour ne plus avoir soif.

« Ne sois pas stupide, Sorcier… Je vais te détruire, et je vais la saigner… Je vais la dévorer. Je vais goûter à sa chair et la… »

Sebastian s’interrompit, stupéfait, quand l’espion donna un coup de baguette. Un trait de sang lui traversa la poitrine et le fluide se mit à jaillir en geysers. Severus s’approcha, courbé comme un animal, agitant la baguette en rythme avec les nouvelles plaies. Sebastian trembla, hoqueta, protesta, son corps déversant ce fluide qui lui était si vital. Ses mains blanchâtres se contractaient, tentant de griffer l’air, de griffer le Sorcier qui s’approchait inexorablement. L’homme en noir n’arrêta pas, et Jane retint son souffle en voyant pour la première fois un sourire qu’elle ne lui avait jamais vu. Un sourire de plaisir, figé, barrant le visage de son ami, s’élargissant à mesure que la créature ployait le genou. Un sourire vicieux. Celui d’un tueur. D’un chasseur. Le même genre de sourire que la créature lui avait adressé.

Quand l’Italien tomba à genoux au sol, suffoquant, la carcasse secouée de spasmes horribles, Severus leva sa baguette et la pointa dans sa propre direction, une lueur dorée éclairant un instant sa poitrine et ses bras. L’aura se nicha jusque dans ses mains, qu’il plaça sur la mâchoire du monstre, enserrant presque son cou. Sebastian ouvrit de grands yeux de terreur, et Snape tira d’un coup sec.

La tête retomba au sol dans un bruit mat. Le tronc s’effondrant sous son propre poids. L’homme en noir s’approcha lentement de la jeune femme, qui le fixait sans le voir, la bouche ouverte dans un cri d’horreur muette. Les yeux verts croisèrent les ténèbres. Il respirait péniblement, comme écrasé lui-même par l’aura qu’il dégageait. Jane comprit alors ce qui séparait le Sorcier du Moldu, elle pouvait le sentir à cet instant, comme une chouette ferait aisément la différence avec un loup. Un instant, elle se demanda s’il allait la tuer. Un instant seulement.

Mais Severus lui tendit une main ferme, qu’elle attrapa sans réfléchir. Il la releva d’un seul geste, l’attirant à lui, couvrant ses épaules et son dos de sa cape. Là, blottie contre son torse, son nez captant les différentes fragrances de sang et de mort qu’il portait avec lui, elle l’entendit lui murmurer tout bas :

« Je ne vous ferai jamais de mal. »

Elle le crut.

À tombeau ouvert

Dortoir des Gryffondor, 31 octobre, 19h19,

« Ils ne se sont pas foutus de ma gueule, en plus ! »

S’observant sous toutes les coutures, debout face à un grand miroir, Ron sourit très largement. Il portait un costume blanc brodé d’or, avec une large cape ivoire accrochée de biais sur son épaule par une fibule en or massif. La fibule représentait un lion à gueule ouverte, et était un véritable bijou de travail artisanal. Ce vêtement était un cadeau des jumeaux Weasley à leur frère cadet, qui avait tant souffert lors de la quatrième année de l’horrible toilette dont il avait été affublé. Drapé majestueusement dans cette tenue, Ron ressemblait plus à un noble qu’à un gamin triste et sans le sou, tel qu’Harry l’avait connu aux pires moments de sa vie. Pour la première fois, le Survivant se rendit compte que son ami venait d’une famille de Sang-Pur de haute-lignée, et il en rougit en baissant les yeux.

« Quoi ? lui demanda Ron en le regardant à travers le miroir.

— Rien, t’es beau, c’est tout…

— … Et ça fait rougir Harry Potter, c’est ça ? »

Ils s’observèrent un instant à travers la glace, laissant le sous-entendu se répercuter dans toute leur chambre, avant d’éclater de rire bruyamment.

« JE FAIS ROUGIR HARRY POTTER ! » Se moqua Ron en jouant avec sa capeline, ce qui augmenta encore l’hilarité du brun qui lui fit une courbette en réponse, tirant sa propre cape noire doublée de vert. Ils s’empoignèrent l’un et l’autre et dansèrent de concert, trop heureux d’être si beaux ce soir, quand un Neville cintré dans un costume chic déboula en les observant longuement. Les deux comparses s’arrêtèrent net, et piquèrent un fard.

« Vous préférez que j’annonce la bonne nouvelle à vos cavalières, ou je vous laisse cet honneur ? les taquina le fils d’Auror.

— Oh, ça va, hein ! Laisse-moi profiter de cette belle étoffe, jamais je n’avais porté une telle chose ! J’suis même pas certain que Malefoy lui-même ait d’aussi beaux atours.

— C’est possible, c’est vrai que les jumeaux t’ont fait un beau cadeau. Ils t’ont dit de quel créateur, c’était ? »

Harry et Ron froncèrent les sourcils en regardant Neville avec intérêt. Depuis quand leur ami était versé dans la mode ?

« Qu’est-ce qui te fait dire que…

— Ca me semble évident, répliqua Neville en s’approchant et en soulevant légèrement la cape de Ron. Ca doit être griffé quelque part, d’ailleurs. Attends,  ! J’avais raison. »

Il venait de défaire la fibule en forme de lion et la retourna pour montrer un minuscule détail gravé dedans : un petit dragon roulé en boule. Neville sourit à son ami, avant de raccrocher l’ensemble avec dextérité, puis il hocha la tête.

« Je ne sais pas qui c’est, mais c’est effectivement un créateur. Il faudrait demander à Seamus, il s’y connaît mieux en mode Sorcière que moi… En tout cas, oui, je te confirme que c’est pas rien, Ron… Peut-être même est-ce du sur-mesure… »

Le roux en resta coi, rougissant intensément sous l’émotion. Il se retourna et se regarda encore, ses frères étaient vraiment surprenants.

« J’ai… L’impression de ne pas être fait pour porter ça, murmura-t-il après un instant.

— On est rarement fait pour un costume, Ron. Jusqu’à ce qu’on doive se glisser dedans… » Lui répondit Harry son regard déviant vers la fenêtre.

Ses deux amis l’observèrent sans mot dire. Même ici, promis à une si belle soirée, le jeune homme n’arrivait pas totalement à se détendre. Harry fixait la grosse lune qui brillait d’une aura orangée dans le ciel. Ses mots flottèrent lourdement dans la pièce. Neville s’approcha doucement de lui, et lui mis la main sur l’épaule, incertain quant aux pensées qui occupaient l’esprit de leur compagnon. Harry se retourna doucement et sourit.

« Excusez-moi, l’heure est à la joie, je crois… C’est un soir de célébrations, non ? »

 ***

« Pourquoi pas, Bella… ? »

Relevant le nez de ses notes, son bureau toujours pris d’assaut par les parchemins, les épais grimoires et les différentes boules de cristal et runes gravées dans de superbes pierres précieuses, Lord Voldemort observait un instant la Mangemort qui le fixait avec intensité. Le Fourchelangue posa lentement sa baguette sur le parchemin pour l’empêcher de s’enrouler à nouveau, pointe à l’endroit où il était en train de lire le document, et se redressa de toute sa stature.

Jamais ces dernières semaines il n’avait autant fait son âge. Le voir en permanence courbé sur de vieux textes à tenter de comprendre une prophétie qui – aucun Mangemort ne pouvait l’ignorer – le terrifiait, mettait de plus en plus en rage sa suivante. Si jusqu’ici elle s’était contentée de s’inquiéter et de tenter d’être patiente, en cette soirée si particulière, Bellatrix Lestrange était monté jusqu’au bureau pour proposer à son Maître de se ressaisir. Voldemort se détourna d’elle et regarda par-delà les carreaux crasseux de la grande fenêtre de la pièce. Il avait été pratiquement inutile d’allumer les chandelles qui garnissaient le bureau tant la lune était brillante.

« C’est même un astre propice. » Murmura-t-il en appréciant toutes les variantes dorées du satellite.

Bellatrix tenta de dissimuler sa grimace, agacée devant tant d’hésitation, et de la voix la plus calme recadra :

« La magie sera puissante, Mon Seigneur, ce soir. C’est une occasion parfaite de reprendre possession de cette nuit et de rappeler qui nous sommes. »

Le Mage Noir frissonna quand elle évoqua « cette nuit », et elle le perçu. La brune se mordit la langue avec dégoût, étouffant un reniflement dédaigneux. Quand est-ce que tout avait dérapé ? Elle se reprit, le goût métallique du sang lui emplissant la bouche et excitant ses sens.

« Nous pourrions ainsi envoyer un signal fort, Maître. Je sais exactement où frapper, quoi faire… Je n’ai besoin que de…

— Prends les hommes que tu désires, Bella, tu as mon accord.

— … Maître… »

Le Fourchelangue croisa son regard, et la fille Black eu l’intelligence de baisser immédiatement les siens. Il était inutile qu’il apprenne qu’elle aurait souhaité sa présence… Qu’elle ne souhaitait que sa présence. Elle balbutia, le cœur battant à tout rompre, un étrange picotement agaçant ses yeux.

« Bien, Maître, merci de votre confiance.

— C’est ça. Va, et amuse-toi bien… »

***

« Je ne sais pas si je vais y arriver, Minerva…

— Pourquoi ? Vous n’avez jamais vu une fête d’Halloween comme ça, vous verrez ! Vous allez vous y amuser, je vous le promets.

— Mais… Horace va surtout me faire remarquer que…

— Horace est allé trop loin sur le sujet. Suggérer que… Il ne vous connaît pas. Je ne vois pas comment il a pu concevoir que vous prendriez le risque d’aller demander une telle chose à Severus.

— … Vous l’avez dit, il ne me connaît pas. » Murmura Jane en regardant son aînée piquer ses cheveux d’une grosse rose rouge.

Cela faisait deux heures que Minerva jouait à la poupée avec elle. Jane, qui avait pourtant eu une vie pleine de fêtes et de sorties, reconnaissait que s’habiller pour aller en boîte et s’habiller pour assister à une soirée comme celle-ci, étaient deux choses radicalement différentes. Dans cet univers où la magie flottait partout, par un soir d’une pleine lune rousse, un soir de Samhain surtout ; le fait d’être habillée d’une robe aussi travaillée lui donnait surtout l’impression d’être dans un conte de fées.

Car la Directrice de Gryffondor lui avait offert une de ses anciennes tenues à elle, une pièce somptueuse qui fit comprendre à la jeune femme pourquoi Dumbledore aimait tant sous-entendre que sa Sous-Directrice avait été jadis une femme très coquette. C’était une robe droite un peu évasée à la base, cintrée à la taille par un morceau de satin croisé sur la poitrine. Les épaules étaient pratiquement dénudées : les manches étaient faites de dentelles de la même couleur que la robe, dentelles qui ne remontaient qu’au niveau des clavicules, laissant la nuque et le haut des épaules découvertes. Quant à la couleur… C’était bien cela qui mettait le plus mal à l’aise Jane qui n’avait jamais osé une telle teinte : un rouge carmin intense et sensuel, que Minerva avait fait ressortir en attachant les boucles de Jane avec des peignes larges en bronze. À la jonction du chignon élaboré qu’elle avait sculpté, la vieille femme venait de piquer une grosse rose rouge en train d’éclore, comme un bouton timide à la symbolique très aisément compréhensible.

L’ensemble donna l’impression à la demoiselle d’être habillée pour une offrande satanique ou nuptiale, mais Jane resta silencieuse, elle était surtout gênée de se trouver si…

« Vous êtes parfaite, je savais que cette robe allait vous aller. Quelques ajustements et c’était parfait…

— Je ne sais pas quoi vous dire, Minerva, je me sens si gauche dedans…

— Mais non, pas du tout ! Faites comme si c’était tout à fait normal pour vous, comme si vous étiez effectivement jolie. Vous allez voir, vous finirez vite par accepter cette idée

— … Minerva ?

— Oui ?

— Vous avez vraiment porté ça ? »

La Sorcière s’arrêta un instant de gesticuler autour de sa protégée, et posa ses deux mains sur ses épaules, en la regardant droit à travers le miroir. Elle sourit d’un air si espiègle qu’on aurait dit un chat devant sa prochaine bêtise.

« Cela vous choquerait-il tant que ça ?

— Je ne sais pas, c’est… Même pour mon monde c’est une tenue très… »

Minerva pouffa de rire et déposant une mousseline plus sombre sur les épaules de la jeune femme. Ajustant son propre châle d’un gris chartreux très raffiné, l’aînée offrit une de ses rares répliques croustillantes :

« Jane, croiriez-vous naïvement que les Sorcières et les Sorciers naissent dans des choux et des roses… ?

— Heu… Non, mais… Je pensais la société Sorcière très…

— Elle l’est. C’est bien ce qui m’amusait tant à votre âge. »

Sur cette phrase pleine de sous-entendus, Minerva passa la porte en laissant une Moldue rougissante devant son reflet, qui pour une fois ne la gratifia d’aucune remarque désobligeante. Seulement d’un clin d’œil si appuyé que Jane s’enfuit pratiquement en courant de ses appartements pour échapper aux propos sans doute libidineux de son double décidément démoniaque.

***

Bellatrix redescendit les escaliers, la mine soucieuse et un tic agitant son œil gauche. Ce n’était pas du tout ce qu’elle voulait, pas du tout comme ça que cela devait se passer. Elle n’aimait pas la tournure que prenaient les événements ni même l’attitude de leur Maître.

Elle déboula dans le grand salon, et s’effondra sur une chaise. Elle aurait aimé ordonner à quelque chose de lui apporter à boire, mais le manoir Jedusor ne possédait aucun elfe de maison, et Queudver, de toute manière, avait été exécuté à l’été. Tu parles d’une victoire que leur avait offert l’assaut au Ministère… Leur Maître était officiellement de retour, mais restait prostré dans son bureau, Snape et Lucius vaquaient à leurs occupations respectives, l’un à espionner Dumbledore – qui était mourant paraissait-il – et l’autre à gravir les échelons politiques pour… Ah ! Permettre à leurs idées de faire leur chemin légalement… Il ne restait à Lestrange que les mauvais Mangemorts, ou les plus brutaux, les hybrides comme les loups-garous, et…

Bellatrix soupira, sa mèche entortillée se soulevant avec lassitude de devant ses yeux. Ils n’étaient plus guère nombreux, en fait, et n’avaient plus d’objectif. Où était donc passé ce feu sacré ? Et la conquête de l’Angleterre ? Et la punition des traîtres à leur sang ? Des Moldus ? Leurs rituels ?! Où tout ceci se trouvait ? Dans leur glorieux passé ? À l’époque où le 31 octobre était synonyme de carnages et de sabbats colorés et sanglants ? À cette époque bénie qu’elle avait tenté de raviver dans les souvenirs de son Maître, en vain ?

Il avait peur. La Mangemort le sentait au plus profond d’elle-même. Là, tordant ses entrailles, faisant frissonner ses reins, elle le sentait. L’idée même lui faisait remonter une bulle de bile qui éclata aux coins de ses lèvres tant cette idée la révulsait. Il avait peur de disparaître comme 15 ans auparavant… C’était pour cela qu’il se refusait à affronter ce gosse sans savoir pourquoi il avait pu le vaincre plus tôt. Et c’était pour cette raison que Lord Voldemort ne sortirait pas ce soir. Parce que nous étions le 31 octobre.

***

Neville avait accéléré le pas pour retrouver Hannah près d’une fontaine, Ron, lui, avait bredouillé quelque chose d’assez peu intelligent quand Hermione était descendue pour prendre son bras. Il n’avait d’ailleurs probablement pas entendu Harry lui souhaiter bonne chance, car le jeune homme l’avait vu chanceler légèrement, avant de se reprendre et d’avancer plus conquérant qu’il ne l’avait jamais été dans ses beaux vêtements. Son amie, elle, semblait fière de traverser les couloirs en sa compagnie.

Harry sourit, et après avoir soupiré d’amusement, tourna à un angle pour rejoindre le point de rendez-vous donné par Luna. La jeune fille avait été fidèle à elle-même : très sibylline, et l’Elu dû chercher « L’arbre qui s’épanouit sous un ciel sans lune ». Quand il arriva aux jardins bordés d’arches, entendant le son reposant de la fontaine magique et appréciant l’éclat des étoiles sur le feuillage, il ferma les yeux avec plaisir, remerciant mentalement son amie pour cette si jolie découverte. Il observa un instant le ciel magique qui était, effectivement, dépourvu de l’astre principal. Ce dernier rougeoyait derrière les vitraux qui entouraient le jardin, ajoutant une touche mordorée à la scène. C’était un mélange de couleurs très surprenant, et Harry, il en était certain, percevait une sorte de magie très particulière à l’œuvre.

Un mouvement à sa droite le fit sursauter, et il la vit : la Dame Grise. Aussi belle qu’on le racontait. Elle l’observait de ses yeux tristes, et s’approcha doucement de lui, sa robe vaporeuse virevoltant derrière elle. Là, levant doucement la main, elle caressa du bout des doigts la joue du garçon qui frissonna. Le contact était froid… Froid, mais pas glacé. Elle le touchait, ne le transperçait pas. Harry écarquilla les yeux, et avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, le fantôme s’éclipsa après avoir jeté un regard en arrière.

« C’est une nuit spéciale, Harry Potter. Ceux qui furent marchent dans nos pas, ce soir… »

Luna apparue d’une alcôve, comme la Dame Grise semblait l’avoir fait elle-même. La jeune fille ne portait ni radis, ni bouchons de bouteille, mais une grande robe blanche drapée comme aux temps des druides, et ses cheveux blonds ondulés étaient coiffés d’une couronne de guis garnie de perles et de gypsophile. Elle avançait vers lui, pieds nus, tenant dans sa main une couronne de cyprès, piquée de seringas. Harry resta muet, comprenant le caractère sacré de ce que la jeune fille lui tendait. Il dégluti, et mis un genou à terre, courbant la nuque, la laissant à son office. Son amie déposa délicatement la couronne sur sa tête, et lui embrassa les deux joues doucement. Elle murmura le prénom de sa mère sur la joue droite, puis le prénom de son père sur la joue gauche. Le garçon ferma les yeux d’émotion, de grosses larmes traçant un sillon sous ses baisers. Debout devant lui, légèrement penchée dans sa direction, Luna posa ensuite un dernier baiser sur son front, plus appuyé. Le brun agenouillé passa ses bras autour de ses jambes pour l’étreindre, et pleura en la remerciant.

La Dame Grise observa avec une certaine mélancolie les deux jeunes gens prostrés dans la lumière surnaturelle de la lune, tandis qu’ils commémoraient en silence les morts.

***

Traversant la forêt à grandes enjambées, les fougères s’écartant sur son passage dans un bruissement respectueux, Severus respirait aussi lentement que possible, son pouls s’accélérant à mesure qu’il avançait. Sa baguette était rangée dans la manche du lourd manteau noir qu’il portait pour se protéger de l’humidité de cette fin d’octobre. Il savait qu’il ne risquait rien ce soir, les créatures qui peuplaient la forêt savait parfaitement pourquoi il était là. Et pour celles n’ayant pas la notion du calendrier, elles pressentaient la mission de l’homme.

Car voilà quinze ans que Severus s’enfonce à la même date dans les profondeurs de la forêt magique de Poudlard. Ce soir il était donc en sécurité, et l’homme continuait sans se laisser distraire par ses sentiments. Bientôt, il arriva à un petit ruisseau qui forçait les arbres à s’effacer sous le ciel, et il vit la grosse lune. L’espion s’arrêta un instant pour la contempler, écrasé par l’aura qu’elle dégageait. Il frissonna, cette nuit était spéciale… Severus étendit les mains, paumes vers le sol, et s’éleva légèrement, traversant sans encombre le bras d’eau. Puis il reprit sa marche, ralentissant imperceptiblement, ignorant même qu’il redoutait d’arriver à son but. Le cœur battant de plus en plus la chamade, il tourna à la pierre plate et douce qu’il connaissait si bien, bifurqua à l’arbre-mère penché sur ses petits, comme Elle aimait dire, et s’arrêta à une petite clairière baignée de la lumière orangée de la lune. Là, sculptée avec délicatesse, Elle l’attendait. Le pan de sa robe était chatouillé par un parterre de lys blancs, dont les pétales immaculés luisaient comme des feuilles d’or sous cette lumière si particulière.

Severus retint son souffle, le cœur transpercé d’une vive douleur, comme à chaque fois. Mais une main étreignit ses tripes le faisant frissonner et, pour la première fois, il hésita. La statue l’observait avec douceur, son visage lisse souriant tendrement, ses deux bras tendus dans sa direction comme une Madone accueillante. L’homme cligna des yeux, s’autorisant une larme à tomber librement au sol. Il haletait, comme s’il venait de courir, et avait beaucoup de mal à soutenir le regard de la statue. Il ferma les yeux, se remémorant comme à chaque fois le rire de Lily lorsqu’ils avaient découvert cet endroit. Sa joie quand ils avaient pu y planter cette variété si rare de Lys… La danse qu’elle avait offert au ciel lorsqu’il avait fleuri pour la première fois à la pleine lune. Ce lys mortuaire unique, utilisable aussi bien dans les plus grands remèdes, que dans les poisons les plus dangereux… Quelle ironie, remarqua pour la première fois l’enseignant.

Il s’agenouilla à un mètre de la statue, comme il avait coutume de faire. Il l’ignorait, mais chaque année de nombreuses créatures venaient l’observer avec curiosité et respect, laissant le Sorcier à son rituel. Aucune d’elles n’émettait le moindre son, seuls les sanglots – la plupart du temps – dérangeaient cet endroit paisible le reste de l’année. Car Severus ne parvenait pas à y aller plus souvent. Pas plus qu’il n’arrivait à aller sur la tombe même de Lily. Jalousement, tel un enfant capricieux, il avait invoqué son mausolée, comme pour signifier que cette femme lui appartenait, à lui seul. Et pourtant, il ne touchait jamais la sculpture, se considérant impur à cela. Alors, comme chaque année, Severus tira de sa poche sa baguette, et prononça la formule. Ce sort que seul Albus savait qu’il pouvait exécuter. Le sortilège du Patronus. La biche s’échappait traditionnellement de sa baguette pour aller couper et coincer une tige de Lys dans sa gueule, avant déposer la fleur sur l’une des paumes de la statue…

Mais tandis qu’il lançait le sortilège, Severus grimaça de douleur. Sa marque le brûla intensément. Qu’elle le fasse ce soir-là lui tira un juron puissant, et des larmes de colère brouillèrent sa vue. Quand son regard se fixa, à nouveau, il fut surpris de voir qu’il avait tout de même pu créer un patronus corporel. Mais avant de transplaner pour répondre à l’ordre, il écarquilla les yeux : c’était une chouette nacrée qui venait d’honorer son amour perdu.

***

« Oh, ma chère ! Vous avez pu venir, et quelle ravissante toilette ! Incroyable que je ne voie personne à votre bras pour admirer…

Merci, Horace. Mais il y a assez d’invités ici pour apprécier cette tenue, cela me suffira amplement. » Répondit Jane en souriant, les yeux pourtant fixes.

Minerva lui fit un clin d’œil discret en hochant la tête, tentant d’emmener la jeune femme loin du nouveau Professeur de Potions, mais le Serpentard fut beaucoup plus rapide, car il s’empara du bras de la Moldue pour l’accrocher au sien, et enserrant sa petite main dans la sienne potelée et chaude, il lui fit faire le tour du grand salon.

« Je dois impérativement vous présenter les bonnes personnes, ma jeune amie ! »

L’enseignante jeta un regard paniqué à son aînée, lui demandant silencieusement de l’aide que Minerva ne pouvait lui apporter. Cette dernière l’abandonna à son sort lorsqu’elle croisa la Capitaine de l’équipe de Quidditch d’Ireland, qu’elle adorait. La pièce était circulaire et grande, bruyante et colorée. De grosses tentures vertes et dorées, luisantes de leurs fils précieux, partaient du plafond pour tomber lourdement sur les côtés, fermant comme un écrin cette petite soirée privée. Une odeur d’encens flottait dans l’air, mélangée à des vapeurs d’alcool raffiné et de cire brûlante qui s’écoulait des chandeliers et des nombreuses citrouilles découpées qui flottaient un peu partout. Slughorn les firent papillonner de groupe en groupe, lui donnant l’air d’un bourdon qui tenait à s’assurer que son jardin restait bien entretenu. Il y avait de nombreuses têtes que la Moldue ne connaissait pas, des têtes pour certaines très inquiétantes, comme un homme à l’air austère et aux pommettes saillantes. Un instant, Jane se dit qu’il avait l’air plus malade et dangereux que Severus, mais le regard que l’inconnu lui jeta la glaça plus que ne l’avait jamais fait son ami. C’était des yeux totalement noirs qui la fixaient avec intensité, et malgré une jeunesse faite de boîtes et de night clubs à repousser les entreprenants un peu trop frotteurs, jamais Jane n’avait eu autant l’être d’être un morceau de viande. Littéralement. Le sorcier à son bras sembla se rendre compte de son trouble car il lui expliqua :

« Il s’agit du… Fils, de mon ami Sanguini, Sebastian. Il est fascinant, mais ne vous approchez pas trop de lui, surtout vu comment il vous dévore des yeux. »

Horace rit grassement à sa petite blague, et Jane pâlit en ayant la désagréable impression que l’homme les avait entendus. Ce dernier lui sourit lentement en dévoilant de grandes canines qui la firent frissonner. Elle dégluti péniblement, et se mordit la langue pour s’empêcher de poser la question fatidique à laquelle le Serpentard répondit instinctivement :

« Vous n’aviez jamais vu de vampire avant cela, ma chère ?

— … Non. Ça n’est pas dans mes habitudes de fréquentation…

— Sanguini est un ami de longue date. Je ne connais pas bien encore son fils, mais c’était l’occasion. Je sais qu’ils se sont rencontrés il y peu de temps en Italie lors d’un pèlerinage de Sanguini, ou je ne sais plus trop quoi. Quoi qu’il en soit, évitez de lui poser ce genre de questions. Il est peut-être très discipliné, mais cela reste un jeune vampire et… Eh bien une jolie femme portant du rouge, qui plus est…

— Parce que les vampires réagissent comme les taureaux, maintenant ? ne pût-elle stupidement s’en empêcher.

— Jane…, soupira avec une condescendance hallucinante Horace, la Défense Contre les Forces du Mal n’était pas votre matière favorite, n’est-ce pas… ?

— Non, mais…

— Mais la tauromachie oui, apparemment ! » rit une voix que Jane ne s’attendait pas à trouver ici.

Quelques murmures s’élevèrent devant le nouvel arrivant, et la Moldue cligna des yeux, avant de sourire avec sympathie, soulagée qu’il lui ait évité de dire quelque chose de cinglant à propos de l’idée d’inviter des créatures traitées en cours de DCFM à une soirée avec des enfants… Jane entendit une jeune fille glousser à côté d’elle, et se retourna, la poussant à rougir. Quand elle revint à l’arrivant, il s’était déjà assez approché d’elle pour lui faire une courbette et l’extirper des griffes de Slughorn.

« Vous permettez, Professeur… ?

— Voyons Sir… Enfin, Lord Black, appelez-moi Horace, tout de même ! Vous n’êtes plus mon étudiant, et je suis tout à fait ravi que vous ayez répondu favorablement à mon invitation. Votre filleul sera heureux de vous voir, je pense, mais s’il n’est pas encore arrivé… Jane, ma chère, vous savez si le garçon viendra ?

— Heu… Ben, non… C’est plutôt une question que vous devriez poser à Minerva, c’est sa Directrice de maison, après tout…

— Ah ! Oui ! Très bonne idée, excusez-moi… Minervaaâ ? »

Jane soupira de contentement en voyant le gros bonhomme s’éloigner enfin d’elle. Elle allait poser mille questions au Maraudeur, mais celui-ci l’entraîna délicatement – mais fermement, par le bras en direction du bar. Elle arqua un sourcil, quand elle remarqua que le vampire jetait un regard venimeux à l’Animagus. Arrivés devant les fontaines de vin, Sirius se détendit, et lui sourit franchement :

« Excusez-moi, c’est… Très cavalier, pour ne pas dire possessif, mais si vous pouviez éviter de vous faire saigner avant minuit, je crois que ça serait une bonne idée.

— Pourquoi, je n’ai rien… »

Sirius secoua la tête, pour l’intimer au silence, et tandis qu’il se penchait pour leur attraper deux verres de vin cuit, il lui glissa dans l’oreille discrètement :

« Il sent que vous n’êtes pas des nôtres. Vous êtes une proie, ici. »

Jane dégluti péniblement, et grimaça.

« Okay… ! Je… Eh bien, parlons plutôt de vous, d’accord ? Que nous vaut votre présence ?

— Slugh m’a invité, répondit l’homme à la barbe faussement naissante, en usant du surnom de son ancien professeur. Et j’savais qu’Harry serait forcément présent… Ce vieux Serpentard ne peut pas s’empêcher de collectionner les gens. C’était l’occasion de voir Harry… Et de passer une soirée en charmante compagnie.

— Heu… Merci. Mais Sirius, vous savez que je ne suis pas… ? »

L’homme pencha légèrement la tête sur le côté, puis éclata de rire. Jane fronça les sourcils, quelque part, il était vexant. Sirius lui pris délicatement la main et déposa une ombre de baiser avant de lui dire :

« Je faisais plutôt allusion à Morgane Doyle, la Capitaine de l’équipe de…

— Ouais, ouais, je sais, d’Ireland. Minerva aussi m’a fait faux bond pour elle, maugréa l’enseignante en se sentant stupide.

— Allons, Jane ! Depuis quand vous vous languissez de moi ? J’ai plutôt souvenir d’une femme très réfractaire à la cour lourdingue d’un ancien détenu.

— C’est un euphémisme, Sirius. Mais je suis contente de savoir que le message est passé.

— Bien plus que vous ne le croyez, à la vérité. »

Jane allait porter son verre à ses lèvres lorsqu’il lui dit cela, mais elle s’arrêta en le regardant bizarrement.

« Qu’est-ce que vous voulez dire… ?

— Que vous préférez les vrais meurtriers… » Lui répliqua gravement Sirius.

***

Quand il arriva aux grilles du manoir Jedusor, Severus chancela, et agrippa de ses longs doigts les entrelacs qui formaient le portail. Bien qu’il fixât son regard sur la bâtisse menaçante, il ne voyait que les grandes ailes déployées de la chouette fouetter l’air, et voleter jusqu’à la statue de Lily. NON ! Il grimaça, brutalisant son esprit, le pliant, le tordant sans ménagement pour qu’il adopte la moulure qu’il devait avoir à cet instant. Severus frissonna, sentant la morsure du froid s’emparer de son âme, les ténèbres s’y déverser comme s’il s’agissait de combler un vide de toute urgence. La magie s’excita autour de lui, la nuit était propice à ce genre d’exercices, et lentement, l’homme se redressa, un enivrant sentiment de puissance répandu dans tout son être. D’un geste simple de la baguette, il plaça le masque de Mangemort sur son visage, et entra d’un pas assuré dans le jardin en friche.

À mesure qu’il avançait, il sentait la puissance de la lune vibrer dans sa magie, c’était plus violent encore que l’instant… Il accéléra le pas, s’interdisant de continuer dans cette pensée, et entra sans s’annoncer. Montant rapidement les escaliers du manoir qui menaient à la grande salle à manger, il fit preuve d’un self-control exceptionnel en passant le chambranle. S’attendant à trouver Voldemort sur son trône, l’espion cligna des yeux de surprise derrière son masque alors que Bellatrix, à visage découvert, accueillait les Mangemorts qui accouraient pour répondre à l’appel. La diablesse n’occupait pas la place du Maître, mais avait tout de même la poitrine gonflée de l’orgueil de celui présidant la cérémonie et se tenait droite comme un « i », les gratifiant de son plus mauvais sourire. Comme de coutume, Severus s’installa à la droite d’un Mangemort aux cheveux blonds qui arborait le masque le plus délicat d’entre tous. Lucius inclina poliment la tête, avant de tourner son persona en direction de sa belle-sœur. Étrangement, il arriva à y mettre toute l’arrogance aristocratique qui le caractérisait dans ce geste. Bellatrix ne parla pas, se contentant d’attendre que tous arrivent, et quand le pas gauche de MacNair termina la procession, elle inspira longuement de satisfaction.

« C’est bien, c’est bien… Vous êtes encore obéissants, gargouilla-t-elle en longeant la table en les fixant.

— Où est le Maître ? Qu’est-ce que c’est que ça ? » Demanda sans réfléchir Nott.

Lestrange ouvrit la bouche en grimaçant, avant de laisser sa langue frapper ses canines, comme pour s’empêcher de lancer un sort. Elle se courba étrangement, et tenta de sourire par-derrière sa crinière indomptable. Quand elle susurra avec toute la douceur dont elle était capable, l’assemblée fut parcourue d’un frisson d’effroi :

« Ce soir, le Maître vous a confié à mes soins. Parmi vous, je choisirai les plus dignes de le servir, les seuls utiles pour l’entreprise que nous allons mener… Vous savez combien cette nuit est importante, n’est-ce pas… ? »

Severus ne broncha pas, puisant dans les ténèbres pour ne penser à rien d’autre que ces dernières. Il senti Lucius légèrement bouger, mais autour d’eux, la salle était partagée entre excitation morbide et incompréhension crasse. Ils n’étaient pourtant plus très nombreux, tous avaient connu la première guerre, et tous devait probablement se souvenir de ce qu’ils faisaient ce soir-là… L’espion fixa le drap noir qui recouvrait le trône de Voldemort, se passionnant pour ses nuances sombres et sa texture.

« Alors… ? répéta Bellatrix en avançant lentement près d’eux, le talon de ses bottines claquant au sol comme le bruit d’un os frappé sur la pierre. Quelqu’un peut nous rappeler ce que nous faisions à cette occasion… ? Alecto ? »

Bellatrix s’adressait à la seule autre femme de l’assemblée, la sœur d’Amycus Carrow, une brune trapue au regard mesquin et inquisiteur. Cette dernière retira son masque et se fendit d’un sourire rêveur, avant de répondre lentement, comme goûtant chacun de ses souvenirs :

« Notre Sabbat, souffla-t-elle. Le Sabbat de Samhain…

— C’est exact, et comment nous le fêtions, lorsque nous n’étions pas cloîtrés comme des rats dans un donjon, hum… ?

— Nous nous rappelions ce qui fait notre force, d’où coule notre puissance, et purifions les impies de leurs croyances et rites déviants. » Répondit une fois encore Alecto, ravie, remettant son masque.

Le gant de Lucius craqua imperceptiblement, sous la pression exercée par sa main s’agrippant à l’accoudoir. Seul son ami le remarqua, et en compris que le nouvellement nommé Ministre de la Justice ne goûtait absolument pas la thématique de la soirée. Cela ramena légèrement Severus dans le giron de son propre esprit, mais il se projeta rapidement à nouveau dans ses ténèbres. Si son instinct ne le trompait pas – et il ne le trompait jamais – l’heure n’était pas à la faiblesse d’âme. Il déglutit néanmoins péniblement, les cheveux de sa nuque se dressant doucement.

« C’est exact, Alecto… Et pourquoi nous ne célébrons plus ce moment… ? Pourquoi n’avons-nous pu, depuis quinze ans nous baigner dans cette eau de puissance ? »

Bellatrix tournait autour d’eux comme s’ils étaient des proies sur lesquelles elle allait fondre. Quelques-uns ricanaient d’anticipation, d’autres baissèrent la tête de honte. Les deux Carrow s’observèrent dans un instant de connivence, comme capables de savoir instinctivement ce que l’autre pensait de tout ceci. Grimés derrière leur pièce de métal, ils étaient comme deux statues sublimes par leur laideur, deux démons se promettant mutuellement un plaisir rare dans la vilénie. La magie dans la pièce crépitait de plus en plus, comme si elle sentait les excitations. Les ténèbres s’avançaient doucement sur eux pour enlacer leurs corps, se tenant prêtes à répondre au moindre mouvement de baguette. Il était presque difficile de résister à leur attrait, et Severus n’avait plus besoin de se concentrer pour les retrouver, elles emplissaient son âme, et il s’en sentit reconnaissant quand la Mangemort s’arrêta face à lui en lui souriant méchamment :

« Pourquoi nous ne célébrons plus le Sabbat de la Saimhain, Severus… ? Que s’est-t-il passé il y a 15 ans ? »

***

« Mec, t’étais où sans déconner ? »

Ron avait momentanément délaissé Hermione pour se rapprocher d’Harry et de Luna qui venaient d’arriver à la soirée. Luna marchait toujours pieds nus, et avait la main posée sur celle de Harry, qui la tenait haute, comme si elle était une reine. Pour sa part, l’Elu ne portait pas la couronne déposée par son amie, mais avait un Lys et un Laurier entrelacé sur sa poitrine. Le brun cligna des yeux comme s’éveillant d’un rêve, et sourit à son meilleur ami. Mais avant qu’il ne puisse répondre, une voix traînante lui coupa la parole :

« Tu peux te draper dans les étoffes les plus riches, Weasley, tu resteras aussi pauvre en jugeote. À ton avis ? »

Draco Malefoy avait dit cela sans accorder le moindre regard au roux, se contentant de fixer de son regard gris acier l’Attrapeur. Tenant un verre de vin dans une main, s’appuyant sur une cane d’ivoire de l’autre, son apparition coupa le souffle à l’ensemble des invités. Le Serpentard arborait un costume droit d’un blanc presque argenté, un costume à la coupe étonnamment moldue, brocardé d’argent en partie sculpté directement sur le tissu, et agrémenté d’une chaîne de montre à gousset en or clair. Harry et lui se faisaient faces, comme des opposés naturels. Harry en noir dans une cape éminemment sorcière, et Draco tout de blanc, plus moderne que jamais.

« Qu’est-ce que tu fais ici, Malefoy ? cracha Ron en s’empourprant.

Je suis invité. Je ne suis le cavalier de personne, répliqua le blond avec un sourire carnassier. Bien qu’il puisse y avoir de belles façons d’accompagner quelqu’un. »

À la grande surprise des comparses, Draco s’inclina se disant devant Luna, pliant trois doigts sur sa poitrine en l’observant avec respect. Harry cligna des yeux, perdu.

« Je vois que Lord Black ne t’a pas tout à fait mis au courant de nos traditions, Potter… Je rends hommage à la fonction qu’a choisi d’occuper Miss Lovegood, ce soir. Quant à Weasley, je suppose qu’il a dû revendre ses livres d’Histoire pour se faire un peu d’argent, car c’est navrant de découvrir qu’il ait pu oublier l’importance de ce jour pour toi… »

Draco avait grimacé légèrement en disant cela, offrant à Ron un premier regard si dégoûté que le cadet de la famille avança d’un pas menaçant. Harry esquissa un geste pour l’arrêter, fixant avec froideur Malefoy. Mais ce fut une voix qu’il connaissait bien qui les interrompit :

« Monsieur Malefoy, je m’attendais à devoir vous croiser, ce soir. »

Sirius s’approchait d’eux de sa démarche élaborée d’héritier de la Maison Black, et s’inclina à peine en direction du garçon. Ce dernier, en revanche, se courba profondément, et Harry finit par comprendre le manège :

« Lord Black, je me réjouis d’avoir la primauté de la rencontre de nos deux familles. C’est un plaisir de voir que la maison des Black n’est pas restée enfermée à Azkaban.

— Certaines branches vont pourtant y retourner, jeune Malefoy, répliqua Sirius en faisant une référence directe à sa cousine en plissant des yeux.

— Quand la branche d’un arbre est pourrie, Mon Seigneur, on la coupe. C’était ce qu’avait coutume de dire mon grand-père…

— Et le mien aimait à dire que la pomme ne tombait jamais loin du pommier. Force est de constater qu’il avait raison. »

Cela fit sourire presque franchement Draco qui semblait apprécier que Sirius ne soit pas dupe malgré les amabilités.

« Mon père réitère son invitation, Lord Black.

— Et je lui oppose une nouvelle fois mon refus.

— Je lui transmettrai, et permettez-moi au nom de la famille Malefoy de vous présenter nos condoléances à vous, ainsi qu’à vous, Monsieur Potter. »

Le sourire forcé de Sirius se tordit légèrement, mais l’Animagus resta de marbre face à la référence. Harry lui, sentit l’air vibrer d’un puissant courant magique qui les traversait tous. Il regarda Draco droit dans les yeux, et lui répondit avec une rare brutalité :

« Un an auparavant, je t’aurais présenté les miennes, pour vos pertes. »

Harry sentit la main de Luna presser délicatement ses phalanges, comme pour l’intimer au calme. Draco arqua un sourcil, puis lui sourit comme seul un Serpentard savait le faire :

« Laisse la Politique à ton Parrain, Potter, je crains que tu ne saches pas quand te taire…

— Intéressant conseil, Monsieur Malefoy. »

Sirius cligna des yeux et se retourna pour secouer discrètement la tête, tentant d’empêcher Jane de commettre une grave erreur. Mais la Moldue s’approcha lentement, ses hanches se balançant avec grâce sous sa robe. Quand elle arriva à la hauteur du petit groupe, elle poursuivit :

« Je gage que vous saurez l’appliquer à l’avenir dans mon cours.

— Nous parlions Politique, Professeur, pas de prises ou de voiture, je le crains. Ne prétendez pas malmener un autre domaine que vous ne connaissez pas. »

La tension était palpable. Juchée sur ses talons hauts, Jane faisait pratiquement la même taille que Sirius et, de fait, dépassait d’une bonne tête Draco. Cela donna à sa réponse un maternalisme qui fit mouche auprès du blond :

« Je suis ravie de constater que vous ne prêtez pas le flan aux allégations diffamantes de votre père concernant la visée politique et propagandiste de mon cours, Draco. »

Le blond trempa ses lèvres dans son verre, comme pour dissimuler un sourire de satisfaction. Harry se demanda l’espace d’un instant s’il n’appréciait tout simplement pas la joute verbale pour ce qu’elle était. Il inclina la tête après un moment de silence :

« Je concède que vous avez autant de goût en matière de tenue, que de sens de la répartie. Mon propos était déplacé, veuillez accepter mes excuses si je vous ai offensée, Professeur.

— Pour l’heure, c’est la ligne politique du Ministre de la Justice que vous avez offensée, Draco. Il est heureux que vous ne soyez pas son attaché de Presse. »

Mais avant que le blond ne puisse répondre, un rire tonitruant les firent brutalement retomber dans la réalité. Soudain, la musique leur revint aux oreilles, et l’air semblait beaucoup plus respirable :

« Aaaah ! Voilà donc de magnifiques jeunes gens ! Mais si, Lord Black et Miss Smith, vous restez jeunes à mes yeux. Vous êtes somptueux tous, et je suis ravi de voir que la bienséance préside à cette soirée. Je n’aime pas les petites querelles et les empoignades vulgaires ! les prévint-il très clairement. Monsieur Potter, vous voici donc, j’avais peur que vous changiez d’avis…

— Nullement, Professeur, mais je tenais à honorer mes morts avant cela.

Oh !  Oh… Oui, tout à fait. Tout à fait, le lys à votre boutonnière, oui… »

Le gros bonhomme perdit un peu de sa joie et pendant un bref instant on put voir une sourde tristesse passer derrière ses yeux. Mais il se ressaisit et sourit à la troupe :

« Mais c’est aussi une soirée de victoire, hein, Monsieur Potter ? Il faut célébrer l’espoir… Oui, il faut célébrer ça… »

Il s’éloigna très vite, comme fuyant la teneur de la discussion, et l’Attrapeur sentit la main de Luna se presser à nouveau doucement contre la sienne. Il se tourna vers elle, et elle hocha la tête comme s’il pouvait tout à fait comprendre où elle voulait en venir.

« C’est intéressant de voir comment tout le monde cherche à oublier cette soirée, en fin de compte… »

Draco avait presque murmuré cela, pensif, fixant lui aussi Slughorn et mettant mal à l’aise l’auditoire par la neutralité de son propos. Il y avait quelque chose de lourd, quelque chose de trop lourd qui flottait dans l’air. Puis, le Serpentard accrocha son regard à son vieil ennemi et lui susurra :

« … Sauf toi, Potter. Tu auras toujours peur de cette nuit. »

***

« Alors… ? Parle sans crainte, Severus. Raconte-nous cette nuit. »

L’homme en noir se noya dans son passé, étouffant le moindre frémissement, le moindre souvenir précis contenant une once de sentiment. Il ne devait y avoir que la mort, seulement la mort. Bellatrix savait, comme beaucoup ici, que Lily Evans et lui avait été amis… Lorsqu’il avait traité Lily de Sang-de-Bourbe, de futurs Mangemorts étaient présents, et n’avaient pas manqué de colporter cette vieille histoire… Malgré l’insistance qu’avait eu Snape à les faire taire chaque fois qu’ils évoquaient cela en sa présence. Que Bellatrix lui demande à lui, lui fit comprendre la dangerosité de sa situation. Alors, il raconta.

« Il y a quinze ans, commença-t-il d’une voix égale. Notre Maître nous a ordonné de pratiquer le grand Sabbat de la Samhain, comme de coutume. Nous nous devions d’entrer en communion parfaite, car le Maître avait des choses à accomplir. Des choses importantes. La prophétie, dont je lui ai rapporté l’essence, mentionnait une menace et notre Maître a attendu patiemment cette soirée-là pour la tuer dans l’œuf…

— Continue, Severus. Fais-toi le conteur de cette tragique et historique nuit.

— … Il s’est donc rendu au domicile des Potter, après le début du cérémonial. Après avoir échangé avec toi la première coupe, Bellatrix.

— Je me souviens parfaitement de cela, la lune était aussi puissance qu’aujourd’hui.

— Il a tué les Potter, mais… Lorsqu’il tenta de tuer leur enfant, il fut vaincu.

Comment ? Raconte comment Severus !

— Le sacrifice de Lily Potter a protégé son fils. Et le sortilège de mort a ricoché sur notre Maître.

— Mais il n’est pas mort ! s’enorgueillit la brune en criant presque. Non, celui qui a vaincu la mort ne peut être tué ! Mais cela n’a pas empêché les faibles et les traitres de croire que c’était terminé, hein, Severus ? Que s’est-il passé après ?

— De nombreux Mangemorts ont été arrêtés, d’autres tués, d’autres encore ont… eu l’intelligence de faire croire à leur rédemption, ne put s’empêcher de se moquer Severus, ce qui déclencha un crachat chez sa vis-à-vis.

— EPARGNE-MOI TON VENIN, SNAPE ! Tu sais ce que j’en pense…

— Et tu sais ce qu’en pense le Maître, répliqua, glacial l’espion. »

Malgré le masque de l’homme en noir, ils se jaugèrent avec animosité. Le craquement de l’air leur rappela qu’il leur était interdit de perdre pied ce soir. Qu’ils ne pouvaient retourner la baguette contre l’autre. Bellatrix dégagea sa mèche folle derrière son oreille, et demanda encore :

« Et les autres Sorciers, Severus… Comment ceux qui gangrènent notre société se sont comportés ?

— Ils ont fêté la fin présumée du Seigneur des Ténèbres, se félicitant d’un événement auquel la plupart n’a eu le courage d’y participer. »

Lucius tourna son noble masque vers lui, comme pour sonder son ami par-delà l’argent. Ce n’était guère malin, mais Severus avait en effet beaucoup de mal à réprimer son mépris pour ceux s’étant contenté de boire jusqu’à la lie alors qu’ils…

« Exactement, Severus, l’interrompit Bellatrix. Exactement. Ces misérables ont fêté ce qu’ils ont cru être la victoire. Et depuis ? Depuis, cette date est une commémoration de la chute de notre Maître ! Mais pas cette année, oh… Oh, oh, oh… Non. »

Elle tira d’un pan de sa robe une coupure de Presse, la une de La Gazette du Sorcier, pour être exact, et la jeta en direction de l’homme en noir. Le parchemin virevolta paresseusement, comme épuisé de cette mise en scène.

« Que lis-tu dessus ? demanda la brune.

— Assez, Bella ! interrompit Lucius en s’emparant de la coupure. Viens-en au fait. Je n’ai pas ma soirée, si vous voulez tout savoir et mes fonctions m’obligent à retourner auprès de mes invités…

— Tes obligations sont ici, Lucius ! Je me fous de tes petites magouilles de politicien. Lis cette page, obéis !

— Lis-la toi-même, Bellatrix. Je ne suis pas ton elfe, et je n’ai d’ordre à recevoir que de notre Maître. Peu importe l’autorité dont il t’a investie ce soir, cela ne va pas jusqu’à ce point, je peux te l’assurer.

— Soit, mais réponds à une question avant cela : est-ce de ton fait cette décision, ou bien notre Premier Ministre nous craint ? »

Severus inspira doucement, commençant à comprendre de quoi il était question, tout en pressentant que ce n’était le cas que d’une poignée d’entre eux… L’espion ricana quand Goyle se fendit d’une bredouille pathétique :

« Heu… Bellatrix, moi j’peux la lire, tu sais…

— Ferme-la Goyle, lui répliqua la femme sans même lui accorder un regard. J’ai autre chose à faire que de te voir buter à chaque mot en suivant du doigt les lettres ! Très bien, je vais m’expliquer : il n’y a pas de discours du Premier Ministre cette année ! Pas de commémoration, pas de petite gerbe de fleurs déposée sur la tombe de Lily et James Potter… Pas de petite photo de leur maison éclatée dans la Gazette, avec l’encadré italique inévitable « L’horreur figée à jamais »… Il n’y a pas tout ça… Pourquoi Lucius ?

— Parce que le Premier Ministre souhaite éviter toute provocation inutile, du fait du retour du Maître. Il a en mémoire nos rituels passés, et craint qu’une publication raviverait à notre bon souvenir nos petites habitudes…

— EXACTEMENT ! L’Auror s’attend à ce que nous nous manifestions, et ne pas le faire serait avouer notre faiblesse. C’est cette mission que m’a confié notre Maître : frapper très fort les mémoires, les aider à se souvenir précisément de cette date. À notre façon

— Peu importe ce que tu désires, Bella, tu sais que je ne peux…

— Oh, je sais Lucius. Je sais que tu dois regarder Scrimgeour et d’autres piques assiettes s’engraisser à tes frais en te remerciant pour ton patriotisme. Je ne te demande rien. Au contraire, parade comme tu sais si bien le faire, tu es très bien dans ce rôle, je m’occupe de servir le Maître. Moi… Ainsi que les meilleurs, bien entendus. »

Lucius encaissant la série d’insultes sans broncher, mais Snape lui, contracta instinctivement les entrailles en jetant un regard circulaire à la table. Les meilleurs n’étaient pas nombreux, et tous ne jouissaient pas des mêmes obligations que Malefoy pour éviter les projets de Bellatrix.

« Alecto, Amycus, vous serez bien entendus présents… Toi aussi Antonin… Nott, si tu le désires, Yaxley, tu sais que je compte sur toi, également… »

La Mangemort passait les troupes en revue, ignorant Crabbe et Goyle qui se tortillaient sur leur chaise. Elle marchait lentement, feignant de découvrir son plan au fur-et-à-mesure. Elle passa devant Severus sans le voir, continuant doucement sa route pour reprendre place à sa chaise. Se pencha pour s’assoir, puis s’arrêta soudain, les deux mains posées à plat sur la table. Elle émit un petit rire, puis releva doucement la tête en direction de l’espion, et là, au travers de sa crinière emmêlée, l’observant de ses yeux incroyablement sauvages, Bellatrix ajouta en souriant méchamment :

« Et puis toi aussi, Severus Snape, tu es même indispensable… »

L’autopsie de Salton

Cette histoire est née d’une série de clashs survenue dans le monde du SEO. Il s’agit donc d’une satire.

Le SEO est un domaine professionnel du Web ayant trait au référencement naturel. Ce qu’on appelle les « SEO » sont des personnes travaillant dans ce domaine (à savoir chercher à faire remonter les sites Web en tête des résultats de recherche sur Google, Bing, Qwant, etc.).

Il s’agit d’une courte histoire écrite en micro-chapitres. Une mini-série où les personnages sont presque tous inspirés de personnes réelles. Toute ressemblance n’est donc pas fortuite. Aucune réclamation ne sera prise en compte. *En cours*

Type : Série noire/gangster.

 

E-réputation

« LIEUTENANT WEBSTER ! LIEUTENANT WEBSTER ! »

J’aurais été sourd que j’aurais quand même pu savoir qui me sautait d’ssus à mon retour au bercail. Putain, Jimmy, tu peux même pas me laisser poser correctement les deux pieds au commissariat, t’accoures comme un…

« LIEUTENANT ! Bon sang, mais vous étiez où ?

— En train d’me d’mander pourquoi t’as pas mon café dans les mains » Lui braillais-je depuis le pas de l’ascenseur.

J’pouvais gueuler à loisir. Fallait au moins ça pour couvrir le bordel ambiant. Un commissariat, c’est pas une place calme, c’est pas un joyeux open-space où les gens s’échangent des gifs de bites ou de chats qui vomissent. Non. Un commissariat, de nos jours, c’est des putes qui te traitent de fachos, des gauchos qui te traitent de collabos, des petits bourgeois qui t’menacent de « tout dire à leur papa », et puis… La section crime numérique. Ma section. Elle, ouais… Elle elle échange bien des photos d’queues. C’est peut-être le coin le plus calme du plateau, en fait. À part les rires gras, les blagues salaces, les clics frénétiques…

« J’VOUS L’APPORTE TOUT D’SUITE, CHEF ! »

Qu’est-ce qu’il est docile… S’il s’fait pas crever d’ici deux ans, il finira à un meilleur grade, qu’moi ! C’est qu’le commissaire les préfère bien obéissants aussi et que…

« Hey, beau gosse, t’veux pas dire à c’t’enfoiré que j’ai l’droit de marcher dans la rue quand même ? »

J’lance un regard de travers à la putain qui m’alpague. Elle est sacrément désespérée, parce qu’avec mon front dégarni, ma barbe râpeuse et mes yeux jaunis pas une cirrhose que j’veux pas faire diagnostiquer, j’suis pas un parangon de sexitude. Remarque, elle n’est pas mieux la carne, vieillie avant l’âge à cause de la clope, un bustier qui retient des mamelles trop lourdes et un ventre gras et mou… J’peux pas m’en empêcher, j’étire ma bouche dans un vilain rictus, le genre de sourire mauvais qu’une femme n’aime pas trop voir chez un homme. Encore moins un homme de pouvoir.

« Va t’faire foutre ! crache-t-elle.

— Mauvaise réponse, Jodie… » Lui répond l’collègue qui remplit sa paperasse, à côté.

J’passe sans leur accorder plus d’importance, mais j’entends quand même la Jodie qui semble reconnaître la maternité de Mike… Ou du moins qui sous-entend qu’sa mère faisait l’même taff. Sacré vocabulaire, c’fou c’que les gens sont vulgaires d’nos jours, putain…

J’traverse la zone, j’arrive à mon coin. J’dis « mon coin », parce qu’on n’a même pas de porte. Personne n’a de porte, d’ailleurs.  Sauf le grand chef – qui a un fauteuil qui fait la taille de mon bureau – et on est tous à s’entasser comme des cons sur des carrés d’un mètre par un mètre, séparés par des montants en agglo. Des boxs, quoi. On est parqués dans des boxs, et on fout des gens taule. C’est plus une putain d’Police, c’est du BTP.

J’arrive à mon poste. Qui est vraiment dans un coin. Tout Lieutenant qu’j’sois, j’ai pas d’traitement d’faveur. J’allume ma bécane qui s’met à vrombir comme si elle était faite de récup’ d’Apollo 13. Faudrait qu’Jimmy nettoie un peu le ventilo, c’est pas sérieux. Pendant la phase de décollage, je remonte ma chaise roulante, et coince un trombone dans son rouleau central pour pas m’retrouver encore le cul parterre comme l’autre fois. Quand est-ce que j’ai d’mandé un nouveau siège, déjà ? Apollo a enfin aluné, et j’peux accéder à la console. J’cliquette vite du piano. Très vite. Ça, j’ai pas perdu… Je sens un instant d’flottement autour de moi, les gosses sont toujours choqués de voir un vieux d’ma trempe fracasser aussi vite un clavier, moi qui traîne ma carcasse en permanence sous leurs yeux. Enfin… Jimmy n’s’impressionne plus. Il commence à comprendre d’quoi j’suis capable. J’inverse deux lettres quand j’me rappelle que l’gamin a enquêté sur moi. J’marque une pause, et j’fixe l’écran noir qui m’affiche mon rapport en blanc. Rapport perso, mais j’note toujours tout pour plus tard, vieux réflexe d’la belle époque… Quelque chose m’échappe, j’arrive pas à me rappeler le fil conducteur. Je disais : je tape vite, ça les fait baver, Jimmy est moins con qu’il n’y paraît et…

« Tenez, Lieutenant. Désolé, j’ai dû descendre chez Moshé parce que la machine est en panne. »

Il m’a calé un godet fumant sur le bureau, ça sent délicieusement bon. Le café d’Moshé est le meilleur, c’est p’tet pour ça qu’on s’en branle que la machine soit out la plupart du temps… J’opine du chef, et j’bois une rasade. J’tuerais pour une clope, j’ai même pas pris l’temps d’en acheter en sortant d’chez Velasco. Fait chier. J’retourne à mon rapport, t’façon j’ai pas l’temps, faut que j’fasse une recherche, là.

« … Et j’ai pris ça aussi. »

Jimmy doit savoir que j’m’en cogne pas mal de ses emplettes, parce qu’il finit par me foutre le truc sur les mains. Un paquet, souple, noir, qui m’dit que j’vais crever et tuer des milliers de gens si j’l’ouvre. Je siffle de reconnaissance.

« Cadet White, lui offrais-je en articulant bien les syllabes pour qu’il kiffe un coup. T’viens d’gagner une journée de plus à mon service.

— … Merci, Chef, mais… J’suis assigné avec vous pour encore deux ans.

— Ouais, ben tu vois ? Ton travail est apprécié. »

J’savais que sur mon flanc, Jimmy grimaçait. Mais il ne dit rien, et le silence que j’obtins pendant quelques minutes me fit comprendre qu’il appréciait que j’lui donne du « Cadet » un peu. Quand, au bout d’une demi-heure nous échangeâmes un bref regard, je compris que l’môme me lâcherait pas.

« Fais-moi sortir les dernières activités d’Jardiland, Optical Center, RedBull et Jaguar. J’veux toutes les données, liens, réseaux sociaux, SERPs, tout.

— Chef, ce pas sont des clients des Los capullos de union ? »

Je ne répondis pas. L’gosse était pas con, et s’il ne l’était vraiment pas, il allait me d’mander c’qu’il lui brûlait la langue depuis tantôt.

« Est-ce que tout à l’heure vous avez…

— Fais c’que je te dis, Jimmy, et on ira bouffer un kebab ensuite pour papoter, okay ? »

Il n’insista pas, et je le sentais m’zieuter régulièrement par-delà sa séparation. J’crois qu’il faisait des liens dans sa tête et que notre discussion allait être inutile…

« Comment Il est en vrai ? craqua le cadet au bout de dix minutes à trépigner sur son poste.

— J’te souhaite bon app’, Jimmy, j’pense plutôt m’faire un Jap’ tout compte fait… » Lui répondis-je lourd de sous-entendus.

J’entendis vaguement un « merde » soupiré à travers l’agglo plastifié, et je montrai les dents à mon écran dans une grimace satisfaite. Nous nous étions parfaitement compris…

Je terminai de coder l’algo de recherche et j’le lançai ; après quoi, j’décidai de foutre le camp. Mais je me relevai trop rapidement pour mes vieux genoux, car la rotule droite craqua en se remboîtant. Mon ventre gronda de concert pour me rappeler qu’on n’courait pas les nouveaux d’un gang l’estomac vide. Jimmy ne m’emmerda pas et me laissa sortir fumer une clope sans poser d’nouvelle question.

La pluie avait repris et je poussai un juron coloré quand elle trempa en deux grosses gouttes ma clope. Je tins le tube avec précaution, terrifié qu’il ne se casse en deux, et allumai mon poison. Dès la première bouffée, ma tête tourna avec violence. J’sais pas si c’était le manque, ou le tabac humide, mais ça m’coupa presque les guibolles, et l’espace d’un instant, je me sentis parfaitement détendu… Franchement, j’aurais dû faire les Stup’s ! Je souris en portant la clope à mes lèvres, mais un tintement autoritaire m’arrêta dans mon geste. Coinçant la tige au creux de ma bouche, je sortis mon smartphone qui clignotait. Dessus, la notification de mon appli m’informait que la recherche était terminée. Cela avait été rapide ! Je sus immédiatement que j’avais affaire à un gang qui ne se cachait pas. Qui que cela soit, ceux qui s’en prenaient à Velasco cherchaient à s’faire connaître. D’une pichenette désinvolte, j’envoyai valser mon mégot, et remontai promptement à mon étage, les grolles même pas essuyées sur l’paillasson du hall. Quand j’éboulai d’la cage, personne prêta attention à moi, et dans un bruit spongieux, trahissant mes semelles trop molles, j’retournai à mon poste. Jimmy n’avait pas bougé d’un iota et il ne moufta même pas quand je claquai la langue contre mon palais de satisfaction. Il boudait, le con. Tout en matant mon écran, j’notais une adresse. Quand j’arrachai le bout d’papier pour le fourrer dans une poche, j’ricanai :

« Lève ton cul, Jimmy, on va aller écouter d’la poésie…

— Oh non… C’parce que j’pose trop de questions, c’est ça… ? »

Le quartier était populaire, dense avec des immeubles branlants aux façades lézardées. Bien qu’il soit déjà quinze heures, le crachin délavait totalement l’paysage au point qu’les réverbères eux-mêmes n’savaient plus s’il fallait ou non s’allumer. L’un d’eux semblait ne pas vouloir trancher et clignotait en ronronnant. La rue sentait la pisse de chat et les embruns marins. On était à deux pas du port et au lieu d’avoir d’la fiente de pigeon, les bagnoles étaient criblées d’merde de goéland. Un truc bougea à ma droite, et j’eus à peine le temps d’voir la queue grise d’un rat glisser dans une poche de chips qui traînait. Et là, dans cette pauvreté presque bucolique, une devanture se distinguait vulgairement de par ses peintures fraîches et ses vitres intactes. Du jazz filtrait à chaque ouverture de la porte et des rires, trop heureux pour appartenir à ce quartier, nous parvenaient aux oreilles.

« Lieutenant ? Vous êtes sûr que c’est là… ? »

Décalquées sur la vitre dans un beau filtre plastique, les lettres du bar nous racontaient « Le cercle des rappeurs disparus ». Je toussai un rire rauque en relisant ce nom débile et branlai du chef.

« Ouais, notre piste démarre ici…

— Mais, heu… Lieutenant… On devait pas chercher genre des hackers ou des trucs dans l’genre ?

— Et alors, Jimmy ? Même eux on l’droit à un peu d’poésie, tu sais… »

Je tirai sur la poignée d’l’entrée, en même temps qu’j’sortai une clope de son paquet d’un simple coup de langue. Mon cadet me tapota le bras en donnant un coup d’menton en direction d’un pictogramme barrant une cigarette.

Putain d’pseudo rebelles !

Promotion canapé

5 septembre, Hall du Ministère de la Magie, 15h41,

Excitée par l’attente, la foule qui s’était rassemblée devant le pupitre, frémissait d’anticipation. Les uns agacés par le retard que prenait la conférence, les autres toujours piqués de curiosité quant à l’annonce. Agents de l’Administration, journalistes, petits chroniqueurs, grands reporters, nantis, le gratin avait été convié pour une annonce exceptionnelle, l’avait-on promis.

Certains péroraient sur la possible démission du Premier Ministre, incapable de supporter la montée de la brutalité des Mangemorts, d’autres imaginaient des excuses publiques faites à l’encontre d’Harry Potter, et de pourquoi pas, Dumbledore. À moins que Dumbledore ne prenne carrément des fonctions au sein du Ministère ? À moins que Potter n’entre directement au bureau des Aurors ? Non, non, attendez, et si c’était le nouveau Lord Black qui se voyait promu ? Ou bien ils ont arrêté le meurtrier d’Amélia Bones… ? C’est peut-être ce traite, là, ce Pettigrow… Ah non, lui avait été exécuté à l’été, eh bien alors, ça serait…

Les hypothèses les plus plausibles se disputaient au plus stupides, et au milieu de tout ce chaos, les scribouillards grattaient sans relâche leur parchemin, couchant à peu près tout ce qu’ils entendaient, de peur de rater une information croustillante. Comme la couleur du costume que porterait Scrimgeour au moment de son allocution… Ou encore ce qu’il avait mangé ce matin. Adossée à une des colonnes qui soutenaient les arcades du hall, Nathalie Delorme gardait son carnet et sa plume en main, sans pour autant esquisser le moindre geste. Elle, comme certains d’entre-eux, pressentait la nature de la conférence, mais elle préférait observer et s’imprégner de l’ambiance pour mieux la retranscrire dans son papier. Le bruit était insupportable, cela discutait Politique, Quidditch, People, et Guerre. On entendait çà et là des gens hausser le ton pour tenter de convaincre leur voisin, et cette cacophonie atteint son paroxysme quand une tête rousse s’approcha d’un pas raide du pupitre pour y déposer quelques feuilles. Percy Weasley, Sous-Secrétaire du Premier Ministre, se racla la gorge, et chercha à capter l’attention des journalistes. En vain. Le voir se donner une contenance amusa profondément la Serpentarde qui ne put s’empêcher de laisser naître un rictus goguenard sur son visage. Bien que Sang-Mêlé, Nathalie avait appris dans sa maison à mépriser férocement tout ce qui était Weasley. Une manie qui datait de l’époque de Lucius et Arthur, et qui perdurait encore aujourd’hui.

« Mesdames et Messieurs… Heu… Votre attention, s’il vous plaît… Heu… De la tenue, nous ne sommes pas dans un…

— Quoi ? Hey, parle plus fort petit on entend rien !

— J’AI DIT…

MONSIEUR LE MINISTRE !! »

Pauvre Percy, la foule lui coupa la chique en se tournant comme un seul homme en direction de Rufus Scrimgeour qui hochait la main en signe d’apaisement. Nathalie remarqua, non sans froncer les narines, que Skeeter s’était empressée de commenter sa tenue, la plume à papote griffonnant frénétiquement le vélin.

« Du journalisme d’investigation pur jus…, marmonna-t-elle.

— Mesdames et Messieurs, merci de votre venue. Je vous ai rassemblé pour vous faire part d’une annonce importante pour notre communauté. Comme vous avez pu le lire dans la Presse, un drame récent est venu endeuiller cette rentrée, et a lourdement pesé sur l’ensemble des collaborateurs du Ministère de la Magie. Je veux parler, bien sûr, du meurtre d’Amélia Bones, ancienne Ministre du Département de la Justice… »

La foule s’ébroua légèrement, mais Scrimgeour hocha négativement la tête pour refuser toute interruption. Quelques jours auparavant était sorti un papier dans le Veritascriptum, avec les déclarations de Lucius Malefoy. On y lisait toute la détermination du Ministre à lutter contre les Mangemorts. Malefoy semblait être catégorique quant à l’implication de ces derniers dans cet acte, et avait longuement détaillé les preuves laissant à penser cela, ainsi que les mesures prises par le Ministère pour la guerre. Le papier s’était vendu comme jamais, et Oaken avait même offert une bouteille à la journaliste pour fêter leurs chiffres qui étaient passés devant ceux de la Gazette et du Chicaneur.

« … les Sorciers de Grande-Bretagne sont en guerre. Cet acte commis est un acte de guerre. Il constitue une agression contre notre société, contre ses valeurs, contre sa Justice. Ils sont le fait d’une armée de fanatiques, de sorciers adeptes des Ténèbres qui nous combattent parce que nous représentons ce qu’ils haïssent : des sorcières et des sorciers libres. Ma volonté est de mettre toute la puissance du Ministère de la Magie au service de la protection de nos frères et sœurs. Je sais pouvoir compter sur le dévouement des Aurors, des Ministres, des Langues de Plomb, de vous-mêmes, porte-paroles de notre communauté. Vous connaissez le sens du devoir, et lorsque les circonstances l’exigent : l’esprit de sacrifice. Les Mangemorts croient que notre peuple se laisserait impressionner par l’horreur, il n’en est rien. Et la Communauté Magique a surmonté bien d’autres épreuves, et elle est toujours là. Et ceux qui ont entendu la défier ont toujours été annihilés, et il en sera de même une fois encore. Au moment où tout laisse à penser que la menace va grandir, nous voyons qu’au cours de ces derniers mois, au milieu des difficultés de toutes sortes, une nouvelle ère a commencé à se construire… »

Balayant l’auditoire des yeux, Nathalie chercha à repérer le ou la journaliste envoyé par le Chicaneur. Ce torchon ne pouvait manquer un tel discours, et après avoir arrosé son lectorat de décryptage de prises de paroles officielles et ou même de décisions de Justice pendant l’été, Delorme s’attendait à trouver au moins une paire d’oreilles venue recueillir cette envolée lyrique. La reporter tendit le cou, sans trop savoir quel genre de physique elle cherchait, mais rien de très loufoque ne ressortait dans la masse. Elle secoua la tête. Bien que concurrente, elle devait admettre qu’elle appréciait lire des analyses politiques et rhétoriques, c’était bien trop exceptionnel et audacieux pour la société sorcière pour qu’elle ne ressente pas un semblant d’admiration pour cette Lane.

« … Nous ne cèderons rien aux vents qui soufflent la peur dans nos cœurs. Les Mangemorts se fracasseront sur le Ministère comme les vagues s’écrasent sur Azkaban. Nous ne cèderons pas un pouce de terrain, ni médiatique, ni politique, ni juridique ! Nous ne changerons pas nos habitudes et nos coutumes par peur des représailles ! Mais tant que la menace est là, nous nous devons d’utiliser tous les moyens, et le Département de la Justice, plus que jamais, doit être soutenu par une personnalité aussi noble et forte que celle d’Amelia Bones. Plus que jamais, nos lois doivent être appliquées pour protéger les sorcières et les sorciers de ce pays. Plus que jamais nous nous devons de lutter contre ces Ténèbres, sans tomber dans les travers ayant conduit aux erreurs juridiques que nous connaissons tous… »

Nathalie toussa pour dissimuler son ricanement. Quel bel élément de langage pour dire qu’ils avaient, entre autres, enfermé Black injustement pendant 12 ans.

« … C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous annonce la nomination de Lucius Malefoy au poste de Ministre du Département de la Magie… »

Des exclamations fusèrent, tandis que le blond apparaissait théâtralement d’une alcôve plus magnifique que jamais. Drapé dans un complet anthracite, brodé d’argent, les cheveux détachés, et peigné parfaitement, Lucius ressemblait davantage à une créature surnaturelle, presque divine, qu’à un simple Sorcier. L’effet était saisissant, l’expression « homme providentiel » n’avait jamais autant pris corps. L’aristocrate s’avança en souriant à la foule, et rejoint l’estrade d’un pas conquérant.

« Merci, Monsieur le Premier Ministre. Mesdames et Messieurs, avant de répondre à vos questions, je souhaiterais évoquer avec vous mon émotion. Je suis, en effet, le premier surpris, car il y a quelques semaines encore je travaillais sous l’égide de Mrs. Bones, en tant que Secrétaire chargé de l’Éducation, et quelques années encore, je craignais de ne pas être à la hauteur d’un engagement au service de nos frères et sœurs. Et, en même temps… Fier et obligé par la confiance qui m’est faite par le Premier Ministre, de prendre la suite, et d’occuper ces responsabilités au Ministère de la Justice. Alors, depuis des années, beaucoup a été fait, et je veux, ici, rendre un sincère hommage à ma prédécesseure. Et je tiens à vous dire qu’il n’y a pas la moindre hésitation, pas le moindre doute quant à ma détermination à poursuivre l’œuvre qui a été entamée, et nous la continuerons ensemble, et étendrons son champ d’action à de nombreux domaines. Le Département de la Justice, comme vous le savez, est un des Départements primordiaux de notre système de valeurs, de notre société. Alors, au-delà de l’hommage qui est rendu, je vais maintenant rentrer dans les dossiers, et si notre action doit être une action axée sur le combat, ma conviction profonde est que la Justice doit être au front. Je ne vais pas ici être très long, parce que je veux avant tout me mettre à travailler. Simplement quelques messages pour vous avant de finir. Je connais le Département, je connais les hommes et les femmes, je connais leurs qualités, et j’ai besoin de leur aide. Ensuite, ma conviction c’est qu’on ne peut réussir sans travailler en équipe. J’arrive tout auréolé d’une réputation qui m’est faite, par mon nom, je dois le dire, mais… Jugez-moi sur les actes. Il n’y a que ça qui compte. Et donc, je travaillerai pour ma part dans le respect de nos valeurs, et dans le contrôle de celles-ci. Je lutterai avec conviction contre celles et ceux qui menacent notre monde, tout en garantissant que les changements auxquels nous faisons face, nous soient bénéfiques, sans altérer pour autant notre culture. Pour cela j’ai besoin de vous. Je ne crois pas au grand sauveur. Je n’aurai qu’une boussole, quels que soient les débats du quotidien : c’est l’intérêt de notre pays, et je compte sur vous pour le sauvegarder. Je vous remercie. »

Les journalistes se précipitèrent en avant, chacun hurlant plus fort que son voisin pour tenter d’avoir la primauté des questions. Scrimgeour fronça les sourcils, agacé par ce manque de discipline, mais Malefoy, lui, continuait de sourire. Il observa ses différentes options, avant de donner la parole à Rita Skeeter qui pépiait de plaisir :

« Monsieur Malefoy, minauda-t-elle en gonflant la poitrine, est-ce que c’était déjà acté au moment où vous avez su pour la mort – paix à son âme – de cette pauvre Amélia ? Ou avez-vous observé quelques heures de deuil ? »

L’accusation, à peine voilée, choqua l’assistance et Rufus Scrimgeour s’avança pour répliquer, mais Lucius sourit doucement, comme pour signifier qu’il pouvait gérer ça :

« Merci pour cette question, Miss Skeeter, elle me permet de préciser quelque peu les circonstances de ma nomination. Le Premier Ministre a souhaité me rencontrer hier, et nous avons pris la décision de convoquer la Presse dans un même temps. Lorsque nous avons su pour Miss Bones, je travaillais à de possibles pistes pédagogiques à soumettre au Directeur de Poudlard, à la demande de notre ancienne Ministre de la Justice. Vous savez tout, quelqu’un a une autre question… ?

— Oui, moi. Nathalie Delorme, du Veritascriptum. Vous avez parlé tout à l’heure de préserver notre culture, êtes-vous en train de dire que les suprématistes, que sont les Mangemorts, sont une menace pour celle-ci ? Ou parlez-vous d’autre chose… ?

— Les deux, Miss Delorme. Merci pour cette question d’ailleurs, car je suis ravi d’entrer directement dans le vif du sujet. Les Mangemorts veulent nous diviser brutalement sur la question du sang, et des privilèges à accorder à ceux-ci. Apeurés par les enjeux et les transformations structurels de notre époque, ils se recroquevillent sur des positions et des méthodes qui ne peuvent être tolérés. Cependant, je crois qu’il doit être possible de parler de la question de l’intégration des nés-Moldus dans notre société, sans être associé à cette dérive, et c’est sur cet axe que je souhaite que mon Département se penche, parallèlement à la lutte contre la corruption de nos administrés, bien entendu.

— Une intégration qui se ferait au sein de Poudlard, c’est cela ?

— Le Directeur Albus Dumbledore fait un travail remarquable au sein de cette école, mais nous avons pu constater par le passé qu’il y a une certaine forme d’idéologie qui est pratiquée. Je crois sincèrement, pour ma part, que l’école de nos sorciers de Grande-Bretagne doit être un vecteur de nos valeurs, de nos coutumes, afin qu’elles perdurent.

Qu’entendez-vous par là ?

Oui, que comptez-vous faire ?

Mais vous disiez encore il y a peu qu’Albus Dumbledore était…

— MESSIEURS-DAMES ! tonna Lucius sans se départir de son sourire, les yeux pourtant incroyablement fixes. Le Département va entrer en discussion avec Poudlard afin de mettre en place un programme clair et structuré pour la classe d’Étude des Moldus, et à terme, proposer également aux Nés-Moldus de suivre une classe d’Étude de la Culture Sorcière.

— Selon-vous, l’Étude des Moldus serait source d’idéologie ? Relança Nathalie.

— J’ai pleine confiance dans le Directeur, mais nous savons qu’il lui arrive de méjuger un Professeur, comme l’expérience malheureuse avec Lockhart nous l’a appris… Je ne souhaite pas jeter l’opprobre sur Jane Smith, mais je désire soulever la question de son engagement auprès de la communauté Sorcière Bretonne… Et plus particulièrement de sa pédagogie envers nos enfants. »

 

***

 

« BON, ÇA SUFFIT ! Donnez-moi ça ! »

Jane haussait rarement le ton avec les deuxièmes années, mais elle ne supportait plus d’entendre ce bruit vrombissant. Le garçon rougit furieusement et lui tendit une sorte de grosse toupie bariolée qui tournait sur elle-même.

« Johnson, vous aussi ! J’en ai marre de voir ces trucs dans ma classe, vous ferez des combats en dehors de mes cours. C’est confisqué jusqu’à la fin de l’année !

— Mais… Professeur…

— Ne me poussez pas à ne vous les rendre qu’à la fin de la septième ! répliqua l’enseignante en se faisant l’effet de ressembler à ses vieux profs. Maintenant, si vous pouviez vous concentrer, j’apprécierais que l’on avance sur le mythe d’Arthur et… »

Mais le tintement caractéristique de son horloge l’interrompit, et les élèves se levèrent et s’en allèrent, les deux élèves punis ne la saluant même pas. Jane soupira de fatigue, et s’adossa à son bureau, déposant machinalement les deux toupies qui se mirent à se défier et à se foncer dessus en provoquant de multiples explosions, dont une qui mis le feu à ses notes.

« PU…TAIN…DE MERDE ! » Hacha-t-elle en tentant de sauver ses écrits.

Devant elle, une gravure représentant Merlin – qu’elle avait spécialement sélectionnée pour sa ressemblance avec Dumbledore – se recoquillait sous l’effet des flammes qui dévoraient à présent son bureau. Jane ferma les yeux avec lassitude, et se lança dans une litanie de jurons marmonnés dans le seul but d’exprimer une incroyable frustration.

« Par la barbe de Merlin ! Jane, qu’est-ce qui s’est passé ?! »

Minerva se précipita dans la salle, baguette au clair, et d’un geste vif, souffla les flammes. Le bureau était noirci, l’encrier avait explosé, son contenu s’était déversé en grosses bulles visqueuses incrustées dans le bois, les rares papiers sauvés de la catastrophe ne racontaient plus rien de cohérent… Tout était bon à jeter. À l’exception de ces fichues toupies qui continuaient de se battre, se fonçant dessus à grande vitesse, dans un ballet furieux qui projetait toujours des gerbes d’étincelles.

« Ah. Je vois… »

L’enseignante agita encore son bout de bois et les engins stoppèrent net, retombant sur leur tranche. Jane avait été dépassée par des jouets, et cette idée acheva son humeur.

« J’en ai marre de leurs conneries aux Weasley, mais marre !

— Jane, allons… ! Surveillez votre langage. Et puis ce n’est rien comparé à ce qui va nous arriver : j’ai cru comprendre qu’ils ouvraient une boutique à Pré-au-lard à l’occasion d’Halloween… Les élèves vont pouvoir se fournir directement à chaque sortie.

— Oh, pu…naise. Est-ce qu’on ne peut, tout simplement, pas interdire leurs produits ?

— Ca ne vous ressemble pas d’être aussi extrémiste, Jane, sourit McGonagall en l’enjoignant à la suivre. Vous dites ça parce que vous êtes fatiguée.

— Ah ! Non, je crois que je suis quand même un peu sérieuse. D’accord, l’année est dure à démarrer, mais sans magie, ces trucs me rendent vraiment folle.

— Vous savez, même avec des pouvoirs nous ne sommes pas davantage sereins. C’est de la belle magie qu’ils font ces petits, c’est même très impressionnant, mais en tant que Professeur, je reconnais que moi aussi ça m’impacte, et ça m’est pénible. Mais essayez de voir les choses du bon côté : quand ça ne perturbe pas nos cours, c’est assez amusant !

— Ouais, ouais… J’irais peut-être à leur boutique, on verra si je vais trouver ça plus drôle dans un autre contexte, mais en attendant… »

Elles descendaient les marches de leur étage, s’apprêtant à rejoindre la salle commune des professeurs. Le vendredi, ils se retrouvaient brièvement entre collègues pour s’échanger les dernières informations concernant les punitions, et décider de pédagogies communes. Et puis pour boire une petite bière-au-beurre parfois… Quand Minerva ouvrit la porte de leur salle, Jane passa rapidement la tête avant de cligner des yeux, et de soupirer.

« Il gère les retenues de Potter.

— Hein… ? Qui ? »

La Directrice de Gryffondor sourit brièvement, puis jeta un regard entendu à la Moldue en lui répondant :

« Eh bien Severus…

— Quoi Severus ? Pourquoi vous me parlez de lui, Minerva ?

— Parce qu’il est en retenu avec Harry Potter…

— Oh ! Mais ça c’est son problème ! Je m’en fous royalement ! »

La jeune femme entra dans la salle en haussant les épaules, et se jeta presque avec férocité sur la cafetière fumante posée sur le guéridon. Quand Minerva la vit gober presque sans le mâcher un petit beurre, elle dû réprimer un rire devant la mauvaise foi – et humeur – de sa protégée. Elle allait ajouter une remarque quand Slughorn la coupa d’un air préoccupé :

« Pauvre Harry, je tenais absolument à ce qu’il soit présent à ma soirée de rentrée. Vous pensez que je peux peut-être convaincre Severus de décaler sa retenue… ? Disons… À demain ?

— Horace, réprimanda Minerva, Severus est plutôt du genre inflexible concernant la discipline, de plus, Monsieur Potter doit faire son premier entraînement en tant que Capitaine de l’équipe, donc…

— Ah ! C’est pour ça qu’il ne tenait pas en place ce matin à mon cours, s’amusa Flitwick. Il l’a su au courrier du jour ?

— Oui, la nouvelle lui a été envoyée ce matin même. Il faut qu’il se prépare et qu’il prépare son équipe. Je n’ai pas l’intention de voir la coupe de Quidditch ailleurs que dans mon bureau. C’est important !

— Mais mes soirées également, Minerva ! se défendit le nouveau professeur de potions. Elles sont importantes pour leur avenir, pour leur réseau. Tu sais combien se faire des alliés est…

— Tout autant que le sport et la discipline, Horace. Et Monsieur Potter doit… »

Jane secoua la tête. La salle était encore vide, mais les trois enseignants faisaient un bruit infernal autour de cette histoire de Quidditch, et la Moldue voyait bien que Minerva n’était pas prête de lâcher le morceau. « Pauvre Monsieur Potter », pensa-t-elle. Il ne devait pas se contenter de leur faire gagner la guerre, voilà qu’il devait assister à des soirées, et remporter un tournoi sportif…

 

***

« Je ne vous demande pourtant pas grand-chose ! »

Severus était exténué, il était bientôt 19h30, et cela faisait deux heures qu’il fouillait l’esprit d’Harry Potter. Le garçon semblait avoir beaucoup travaillé durant l’été, car il était difficile d’accéder à ses souvenirs. En cela, Snape était très satisfait. Sans être une forteresse, l’esprit du jeune-homme étaient beaucoup moins accessible que l’année précédente. Mais ils ne travaillaient pas sur ça, mais sur sa capacité à gérer les images mentales, et à empêcher son cerveau d’aller chercher des moments antérieurs correspondants. En clair : à rester psychologiquement impassible, quitte à suggérer de faux souvenirs. Mais ça… Harry en était incapable.

À chaque fois que Severus lui imposait une image, le garçon pensait immédiatement à un équivalent réel, et son nouveau Professeur de Défense Contre les Forces du Mal avait à présent une certaine idée de l’été que le Survivant avait passé. Harry lui jeta un regard agacé, avant de s’asseoir et de conjurer un verre d’eau.

« J’y arrive pas.

— Je constate.

— Je sais pas comment faire, dès que vous me montrez quelque chose, j’y pense immédiatement… Je sais pas comment bloquer ça.

— De la même manière que vous bloquez mes intrusions en temps normal. Par Merlin, Potter, je n’aurais pas cru dire ça un jour, mais vous pensez trop. »

Severus agita sa baguette et s’offrit également un broc d’eau qu’il but d’une traite. Sa dernière phrase déclencha un petit rire rauque à son cadet, qui se transforma en toussotement hilare. Severus pinça des lèvres en arquant un sourcil interrogateur.

« Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

— Ce que vous avez dit. Vous faites souvent de l’humour, comme ça.

— Je n’ai aucun sens de l’humour, Potter.

— Si, au contraire, même. En fait, je ne sais pas pourquoi je n’avais jamais remarqué cela avant…

— Peut-être que vous étiez trop occupé à me haïr sans savoir pourquoi, et à vous intéresser uniquement à vous-même ? »

L’homme en noir avait dit ça d’un ton égal, mais Harry sentit qu’il n’était pas aussi détaché qu’il le prétendait. Bien que fatigué par sa semaine, est les intenses réunions de l’Ordre et des Mangemorts qui avaient ponctué ses soirées, Severus était alerte, assis contre son bureau, les bras derrière lui et les épaules rentrées, le corps totalement tendu. Il semblait prêt à bondir sur le garçon à la moindre saillie verbale. Et son jeune âge le poussa à prendre ce risque :

« Vous vous souvenez du premier regard que vous m’avez jeté ? lui demanda le lion. Et de la première heure de cours… ? »

Snape soupira et observa le jeune homme sans vraiment le voir.

« Et vous, Monsieur Potter, vous en souvenez-vous ?

— Attendez, évidemment ! Pourquoi vous retournez la conversation, comme ça ? Je veux seulement qu’on mette les choses au clair.

— Je ne vous dois aucune explication, Potter. Et je viens de vous répondre. »

L’homme en noir commença à se relever, mais la rapidité de l’Attrapeur le surprit quand la main d’Harry tenait fermement son poignet :

« Non, on n’a pas terminé. Vous me haïssez, et je veux savoir pourquoi.

— Lâchez-moi. Je ne vous hais pas, je vous l’ai déjà dit.

— C’est parce que je ressemble à mon père, c’est ça ?

— On a terminé avec la leçon de ce soir. Potter, nous sommes vendredi, j’ai bien l’intention de me reposer, et de…

— Sortir en bonne compagnie ? le coupa le brun avec insolence.

— Qu’est-ce que… ? »

L’espion plissa des yeux devant la réplique, et avant même que son vis-à-vis puisse réagir, s’infiltra dans son esprit. Harry hoqueta sous le choc, et Severus put voir immédiatement à quoi il faisait référence. Agacé, l’homme en noir allait cesser ses pérégrinations mentales quand il entendit une phrase qui l’intrigua : « Mais arrête un peu les bons sentiments, Harry ! Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu es capable d’imaginer Snape en train d’aimer quelqu’un. » Choqué, Severus se propulsa en avant, défonçant la maigre barricade mentale que dressait en hâte le Gryffondor, et il déboula dans le souvenir. Harry était installé confortablement dans un fauteuil, faisant face à Sirius Black qui semblait mal à l’aise. De toute évidence, la conversation n’avait rien d’agréable pour le Maraudeur. Il regardait son filleul avec un air de défi, et quand ce dernier lui répondit, il grimaça d’horreur. Sensiblement la même grimace que fit Severus en ressortant de l’esprit du jeune homme, entendant son « Oui. En fait, oui. ».

Relevant la tête dans une expression glaciale, Snape s’apprêta à chasser Harry de son bureau sans ménagement, mais il fut coupé dans son élan :

« Je suis désolé. On a parlé de vous, je voulais savoir pourquoi, en fait…

— Pourquoi, quoi, Potter ?

— Pourquoi mon père et vous ne pouviez vous encadrer. Je dis pas que ça lui a coûté la vie… Je sais que ça a manqué de vous coûter la vôtre en fait…

— Ca, c’est plutôt la haine que son cabot me voue…

— Sirius.

Pardon ?

— Il s’appelle Sirius. Ou Black. Mais c’est pas un cabot. De la même manière que je lui ai demandé d’arrêter de vous appeler Snivellus, et de…

C’est très touchant de votre part, Potter, mais je ne suis pas votre parrain. Vous n’avez pas à me fixer des limites. Je m’exprime comme je l’entends. Par ailleurs, votre père et Black me haïssent parce qu’ils aimaient bien détester tous ceux qui leur semblaient différents, moins riches, ou… moins de sang-pur.

— Je sais ce qu’ils étaient plus que cons, qu’ils se sont comportés comme de vrais enfoirés, et vous n’avez pas idée d’à quel point j’ai honte, et d’à quel point je peux comprendre ce que vous avez enduré.

— Ah vraiment ?

— Professeur… Vous avez déjà vu ce que mon cousin m’a fait subir, je sais ce que c’est.

— Alors pourquoi chercher des détails croustillants auprès de Black, eh ? Qu’est-ce qui vous prend de parler de mes sentiments, en quoi ça vous regarde, au juste ?

— Nous parlions de votre véritable allégeance. De la preuve que dit avoir Dumbledore de vous croire. » Répondit Harry avec une sincérité qui le surprit lui-même.

Un tic agita la joue du Mangemort, et Harry hocha la tête. Ils se regardèrent tous deux durant un temps interminable, jouant un dialogue muet qu’étrangement tous les deux comprirent. C’était surréaliste, Harry se sentait plus que jamais lucide sur cette question. Était-ce le fait de passer autant de temps avec Snape ? De laisser leurs esprits se frotter aussi longtemps l’un à l’autre ? Est-ce que ce n’était tout simplement pas Severus qui faiblissait et laissait transparaître bien plus de…

« Asphodèle… » souffla soudain Harry, comme frappé violemment.

« Quoi ?

— L’Asphodèle… ! Vous m’avez demandé ce que…  À notre première rencontre, vous… Oh mais quel con !

— … Je pensais avoir statué à ce sujet, Potter.

— Non, je parle de vous : comment avez-vous pu croire qu’un gosse de 11 ans aurait compris telle énigme ?!

— Quelle énigme, Potter ?

— Mais vous, à notre première rencontre ! Vous vouliez… Mais comment j’étais supposé comprendre ça ?

— Il n’y a rien à comprendre, Potter. Allez-vous en, j’ai déjà répondu a suffisamment de questions comme ça.

— Mais je…

— Et ne m’insultez plus jamais.

— Mais Professeur… »

Snape frappa d’un grand coup de poing sur son bureau, et soupira sèchement. Quand il releva la tête, c’était pour jeter un regard froid au jeune homme. Harry comprit qu’il ne pourrait jamais lui en donner davantage. Le garçon sentit une piqûre lui agacer les entrailles et le faire frissonner. Il aurait tant aimé être certain que… Il hocha la tête, et jeta un dernier regard dans l’entrebâillement de la porte.

« Merci.

— C’est ça. »

***

« Ça ?! T’appelle ça, « Ça » ?! Putain Ron, c’est juste tellement énorme !! Ça vaut bien plus que ça ! »

Harry souriait jusqu’aux oreilles. La perspective de la première sortie à Pré-au-lard l’avait mis dans d’excellentes dispositions depuis quelques semaines, mais là… La petite surprise faite par son meilleur ami était juste incroyable. Il se tenait là, devant l’immense boutique des frères Weasleys, devant leur seconde succursale, et elle était tout aussi magnifique que celle qui se dressait sur le Chemin de Traverse.

L’ambiance, toutefois, était très différente. Là où la grande rue Londonienne était quasi-déserte, à cause de la peur croissante des gens face au retour de Voldemort, ici, ça grouillait d’étudiants soulagés de pouvoir échapper à la morosité de leur époque. Poudlard avait cela de magique : leur offrir cette ultime protection. Ici, pour quelques temps encore, ils pouvaient n’êtres que des gosses qui se demandaient comment ils allaient dépenser leurs Gallions… Ron rendit son sourire à son meilleur ami, et après un clin d’œil lui répondit :

« Tu vois qu’t’es pas l’seul à faire des cachoteries avec eux… Aller viens, j’dois passer commander ton cadeau d’Noël en plus. Espérons qu’il reste encore un peu de filtre d’amour parce que sinon, je sais pas comment tu vas pouvoir…

— Oh non, Ron ! Harry n’est pas obligé d’avoir une fille dans son lit ! Le rabroua Hermione en secouant la tête. Et c’est malsain ces trucs, c’est…

— Tu pourras leur demander la composition, si tu veux, coupa Ron qui connaissait très bien la demoiselle.

— Ah ? Ah ! Eh bien par intérêt pour les potions je…

— Tu vas te dévouer, ‘Mione, et entrer. »

La petite troupe d’amis s’engouffra, non sans mal, dans la boutique bondée, dans une cacophonie de rires et d’exclamations stupéfaites devant les premières découvertes.

À deux pas d’eux, emmitouflées dans de grands manteaux d’automne, l’un vert bouteille à carreaux bleutés écossais, et l’autre brun noisette, Minerva McGonagall et Jane Smith se tenaient le bras d’un air peu assuré. Elles devaient rejoindre Pomona et Renée aux Trois-Balais, mais toutes deux étaient étrangement arrivées en avance. Et s’étaient rejointes bizarrement au même endroit. À présent, elles se tenaient l’une contre l’autre, un sourire amusé impossible à déloger de leur visage.

« Vous êtes trop curieuse, Jane.

— Plaît-il ? J’vous vois faire depuis tout à l’heure et on dirait un chat devant une nouveauté.

— Soit, soit… Vous vouliez faire des achats ?

— J’hésitais à entrer, il y a beaucoup d’élèves, je sais pas si ça fait très sérieux en fait… Et puis, s’il se passait un truc et…

— Alors je viens avec vous, pour vous protéger, bien entendu.

— Bien entendu ! »

Aucune n’était dupe, elles entrèrent en riant comme les gosses avant eux l’avait fait, et le rire de la Moldue se coinça dans sa gorge lorsqu’elle passa la porte. Elle resta interdite, ses yeux grands ouverts, bouche formant un « o » muet. C’était magique. Juste magique ! Doucement, un sourire naquit sur son visage, puis un petit rire enfantin, et elle tapa dans ses mains d’un air ravi.

« C’est… C’est… C’est Wow ! »

Dans le brouhaha de la boutique, personne n’entendit le Professeur d’Étude des Moldus dire quelque chose d’aussi peu spirituel. Tout le monde était à sa petite découverte et à sa petite affaire. Jane elle-même ne s’entendit pas, tant elle était captivée par les couleurs, les odeurs, les sons et autres bizarreries qui virevoltaient autour d’elle et s’élevaient jusqu’à trois mètres de hauteur de plafond. La boutique était certes plus petite que celle de Londres, mais ses étagères regorgeaient de produits, et Jane, qui n’avait jamais vu le siège, était folle de joie.

À droite, un bol de licornes en gelée frémissait, Jane sursauta quand elle vit l’une d’elles, multicolore, sauter du rebord et lui lancer un regard courroucé avant de tenter d’échapper à la main gourmande d’un étudiant. Juste au-dessus, une grande pancarte peinte en rouge vif hurlait « ATTENTION AU TROU PEINT » avec une grande flèche bariolée qui pointait le sol. Et, en effet, un étrange rond semblait peint sur la pierre. L’enfant qui tentait d’acheter les LiPOPcornes s’écria quand l’une d’elle perça son sachet transparent de sa corne, avant de s’extraire et de sauter. Le rond l’avala, et Jane cligna des yeux devant le phénomène. Est-ce que les jumeaux avaient inventé le trou d’Acme… ? La Moldue recula légèrement, et percuta quelque chose qui tinta. C’était une grande fontaine rose sculptée dans un verre avec de grandes pampilles facettées qui sonnaient au moindre frémissement. De grosses bulles enivrantes s’élevaient du bassin, et une foule de jeunes filles gloussait autour.

« Ah, attention à ça, Jane.

— C’est…

— Oui. Mais autant en parler ailleurs, je crois qu’elle est prise d’assaut et connaissant votre opinion sur ce genre de choses, vous n’allez pas aimer savoir que c’est en vente libre ici.

— Pu…naise. C’est peu de le dire !

— Aucune importance, vous avez vu les plumes ? Les frères Weasley proposent des gammes adaptées des stylos Moldus, ça pourrait vous intéresser ! »

Jane se désintéressa de la fontaine dite « d’Aphrodite », et se dirigea vers une sorte d’écritoire géant garni de tiroirs et d’étagères où étaient exposées plumes et encres. Observant une « Plic », sorte de mix entre le Bic et la plume classique, Jane sursauta quand la voix enjouée de Fred, ou George, peu importe, l’interpella :

« Alors, Professeur ? On décide de symboliser la belle rencontre entre nos deux mondes ? L’équilibre parfait entre la technologie et la magie, l’ingéniosité et le génie ?

— Ça fait combien de fois que vous dites ça aujourd’hui ? répondit-elle un sourire en coin.

— Quatre, mais j’ai des dérivés sur l’équilibre et le sport pour notre gamme Quidditch, par exemple. Blague à part, ça vous plaît Professeur ?

— C’est… Franchement, ce que vous avez fait est incroyable, c’est génial ! C’est vraiment super que vous ayez pu monter votre petite affaire comme ça.

— Bah ! On a eu de la chance, et puis… Certaines personnes ont eu les bons mots pour rassurer maman quant à la question de l’entrepreneuriat chez les jeunes. D’ailleurs, cette plume vous est offerte, et l’encre rouge-maîtresse avec, si vous voulez ! »

La Moldue devint écarlate et balaya le remerciement et le cadeau d’un geste de la main.

« Je ne peux pas accepter, c’est juste… Trop. Je…

— Vous allez repartir avec ça, et puis comme ça, vous nous ferez de la pub au château ! Vous êtes les premiers enseignants à venir nous voir, répondit le roux en inclinant la tête poliment en direction de son ancienne Directrice de maison. D’ailleurs, Professeur McGonagall, vous ne voudriez pas une plume spéciale « punitions ? ».

— Oh, depuis que vous êtes partis, je pense qu’elle ne servirait plus à grand-chose, pouffa l’aînée. Il me faudrait peut-être une pour ne pas soupirer devant la copie de votre frère ceci dit…

— On a de tout ! Dites-moi ce que vous voulez, et je vous l’offre ! »

Ils avaient effectivement du choix, et les encres n’étaient pas en reste, c’était assez impressionnant. Quand elle était petite, Jane était déjà entrée dans une boutique spécialisée en calligraphie, sa mère en faisait beaucoup – et était très douée à cela. Jane avait pu voir une quantité de plumes et de couleurs, de textures et parfois même d’odeur. Mais là…

« Comment ça se fait que vous puissiez avoir autant de choix… ? finit-elle par demander à voix haute.

— C’est le résultat de réflexions, d’idées, et parfois de suggestions. Les collections changent aussi. Vous verrez à Noël, on va sortir une encre glacée qui ne fond pas. J’parie que l’enchantement va plaire à ce vieux Flitwick !

— Et vous prenez des commandes spéciales, parfois ?

— Ça dépend si l’idée est intéressante, ou pas… » Lui répondit, mutin, le jeune Weasley.

Harry manqua de lâcher le globe en cristal qu’il avait dans les mains quand Neville lui tapota l’épaule en regardant en direction du rayon des plumes. On pouvait y voir Smith et McGonagal discuter avec Fred.

« Tu crois qu’elle va leur demander de fabriquer un truc pour son cours ?

— C’est pas impossible, Neville, mais j’pense qu’elle est là par curiosité. Ça a l’air d’être quelqu’un de curieux.

— Comme toutes les personnes saines d’esprit, sourit Luna. Qu’est-ce que tu caches derrière ton dos, Harry ? lui demanda-t-elle après l’avoir vu planquer la boule de cristal.

— Heu… Rien, rien. Qu’est-ce que tu voulais ?

— Vous dire qu’on a trouvé une table aux Trois-Balais et que la commande est passée, on vous y attend. Et quoi que ce soit, merci, Harry ! »

Elle lui offrit un sourire rayonnant et le Survivant balbutia en la voyant se faufiler entre les uns et les autres pour ressortir de la boutique. Quand il se retourna en direction du comptoir avec la caisse, Harry croisa le regard inquisiteur et amusé de Neville.

« Rien, hein… ?

— S’il te plaît, n’en parle à personne. C’est…

— Son cadeau de Noël ?

— Ouais, ouais… Un petit truc. »

Harry haussa les épaules et se dirigea vers la caisse pour payer. Le fils d’Aurors, le regarda faire sans rien dire, sans même lui faire remarquer que son « petit truc », valait plus d’une centaine de Gallions.

Ils ressortirent les bourses un peu plus légères qu’à l’arrivée, flanqués de Ron qui avait terminé de discuter avec George. Se dirigeant vers la taverne pour y rejoindre leurs amies, ils croisèrent en chemin Draco Malefoy qui marchait seul d’un pas digne. Il ne leur prêta aucune attention, et Harry cligna des yeux en soufflant de surprise.

« Vous avez pas remarqué que Malefoy ne nous fait plus chier… ?

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que ça fait… Quoi ? Un mois et demi que les cours ont repris ? Et pas une seule fois il n’est venu nous importuner. Tout ce que je vois, c’est un gamin qui se la pète et qui change de costard maintenant jusqu’à deux fois par jour…

— Ah parce que t’as remarqué ça, toi aussi ? s’étonna Ron. Je me disais que j’étais peut-être un peu étrange pour porter autant d’attention aux tenues de Malefoy, mais de le voir coquet comme ça, c’est…

— Il agit comme le fils du Ministre de la Justice doit agir, je pense, les coupa Neville. Rien de très étrange.

— Ah ben si, carrément ! En deuxième année, quand son père était encore au conseil, il passait son temps à faire son connard prétentieux. Là, j’suis assez choqué qu’il n’en profite pas davantage.

— Ouais… Enfin il a seize ans, maintenant, Harry. Je pense que c’est normal qu’il soit plus malin. Et c’est un Serpentard, quand même.

— Raison de plus, je me demande ce qu’il compte obtenir comme ça… »

La chaleur de la taverne lui coupa souffle et parole lorsqu’ils ouvrirent la porte. À l’intérieur, ça riait, ça buvait et ça fumait. Les restrictions concernant le tabac n’avaient décidément pas cours chez les sorciers, et si cela ne choqua pas le trio, quelques minutes plus tard, lorsque Jane et Minerva entrèrent, la première se surprit à se dire que c’était désagréable.

Les garçons repérèrent bien vite la table réservée par Hermione et Luna, et bientôt, ils s’y assirent pour profiter des premières Bières-au-Beurre commandées. La conversation démarra tout naturellement par la question des achats, puis glissa en direction de la soirée d’Halloween de Slughorn à laquelle Harry, Neville et Hermione étaient conviés.

« Je ne pense pas que tu puisses y couper cette fois-ci, sourit Hermione en regardant son ami. Et puis ce n’est pas si terrible. D’ailleurs, puisqu’on en parle, il faut y aller accompagné, est-ce que tu veux venir, Ron ? »

Le roux s’étouffa avec son breuvage, et malgré la lumière tamisée des chandelles, on put le voir nettement rougir. Hermione se retint de sourire, lui laissant le temps de reprendre contenance. Finalement, il opina du chef sans vraiment arriver à parler.

« Alors c’est réglé. Et vous, vous y allez avec qui ?

—  Hannah Abbot, on s’est mis à correspondre depuis cet été et sa réponse dans « L’Ent causeur ».

— Le quoi ?

— C’est un magazine de botanique. Ils ont publié un article erroné sur une plante médicinale et Hannah leur a écrit pour… Bref, on s’est mis à parler après ça. Et toi Harry ? changea vite Neville, sa pudeur reprenant le dessus.

— Ben…

— Avec moi. Il cherchait juste un peu de courage dans la boutique pour me le demander… C’est ça que tu cachais derrière ton dos, Harry ? lui demanda Luna avec un air si étrange qu’on ne sut jamais si elle était sérieuse ou le taquinait.

— Ouais… Ouais, mais je suis grillé, je crois. Du coup… T’es okay ?

— Oui, pourquoi pas ? Vous avez l’air de trouver ça intéressant.

Chelou, corrigea Ron. C’est ultra chelou ses soirées paraît-il. Mais ça doit être un synonyme chez toi. »

La blonde opina sans répondre, et termina sa chope. Harry soupira d’agacement en voyant Slughorn entrer à son tour et s’extasier de voir la bande d’enseignantes en virée entre filles. Apparemment, il ne comprenait pas bien le concept car il s’y précipita, et les dames eurent toutes les peines du monde à cacher leur embarra.

« En fait, j’crois que j’aurais préféré que Dumbledore me demande de me rapprocher de Snape… marmonna Harry.

— Il ne t’a rien dit de plus depuis le temps ? J’veux dire, ça fait trois bonnes semaines qu’il t’a demandé de sympathiser avec lui, mais sans t’en dire davantage ?

— Oui, et je me doute que ça a un rapport avec le travail qu’on fait, mais je vois pas bien ce que je dois faire. Aller aux soirées ? J’ai déjà tellement peu de temps ! Entre les cours, le Quidditch…

— Aaaaah ! M’en parle pas ! s’ébroua Ron qui travaillait deux fois plus, depuis ses premiers déboires en tant que gardien.

— Et puis les cours avec Snape, ceux avec Dumbledore… Ma tête va exploser, et je commence à ne plus trop savoir distinguer la réalité. Je plaisante ! ajouta l’Attrapeur précipitamment quand il vit Hermione ouvrir la bouche inquiète. Je plaisante, Hermione ! Je veux juste dire que je suis crevé. Et franchement, c’est… Enfin c’est glauque ce que je vois quand même.

— Ouais, il a l’air bien barré ton mage noir, en fait… J’dis pas que j’aurais préféré qu’il ait des raisons de faire ça, mais quand même.

— Heu… Ron, ya pas de raison de faire ce qu’il fait, glissa Neville mal à l’aise.

— Si, je vois ce qu’il veut dire. Chez nous, on a souvent des œuvres fictives qui font état de psychopathes, comme ça, devenus fous à la suite de traumatismes. Là… » Hermione se pinça les lèvres comme pour signifier qu’elle n’en voyait aucune.

Harry fronça les sourcils. Lors de sa deuxième année, le souvenir de Jedusor lui avait dit qu’ils se ressemblaient beaucoup. Et à le voir dans les souvenirs récoltés par Dumbledore, le mage avait très largement exagéré le propos. Déjà, sa famille était plus normale que…

« … J’sais pas, tu lui trouverais des excuses, toi ?

— Non ! sursauta Harry ramené brutalement à la réalité. Non, aucune ne peut être trouvée pour ça. Peu importe qu’on explique un état mental, peu importe la maladie, ou je sais pas quoi… Non, j’crois pas qu’on puisse lui trouver d’excuse. Il est maléfique. Au sens strict. C’en est presque pathétique. Je peux avoir de la pitié pour lui, mais l’excuser ? Jamais. »

L’ambiance était devenue glaciale à la table des jeunes gens. Tous pensaient à quelque chose qu’ils auraient préféré laisser aux portes de Poudlard. C’est un rire gras, reconnaissable entre mille, qui mit fin à leur morosité. Dans le coin où leurs enseignantes essayaient de se débarrasser de Slughorn depuis près d’une demi-heure, ce dernier riait aux éclats face à une Smith passablement gênée. Il parlait fort, mais pas assez pour que sa voix grave passe par-dessus le brouha de l’endroit. Et cela contraria légèrement les élèves qui auraient bien aimé savoir pourquoi leur Professeur regardait autant autour d’elle comme ne voulant surtout pas que qui que ce soit entende.

« Horace, je pense qu’on a compris, souffla-t-elle discrètement. Ma vie privée ne regarde personne d’autre que moi.

— Oh, oh ! C’est une vie privée alors ? Alors, pourquoi refuser, Jane ? Je suis certaine que Sev…

— Par Merlin, Horace ! coupa à temps Minerva horrifiée. Laissez donc cette pauvre enfant aller aux soirées qui l’intéressent et avec les personnes qui l’intéressent ! »

Jane fit une grimace désagréable, la conversation partait vraiment mal. Pourtant au départ, elle avait correctement commencé : quelques amabilités, et « Voyons pourquoi vous ne venez pas à mes événements, Miss ? » et autres « Il faut impérativement que vous assistiez à… » jusqu’à ce que le Professeur de Potions évoque la question du cavalier, et ça avait dérapé sur ce qu’il pressentait comme « une grande amitié » entre elle et Snape. Mais là, Minerva avait beau essayer de l’aider… Jane leva les yeux au ciel et balança quelques mornilles sur la table collante :

« Écoutez, je vais y réfléchir, en attendant, laissez-moi faire comme je l’entends, et évitez de pérorer partout à propos de – oui, c’est le cas – ma vie privée, d’accord, Horace ?

— Parfait, parfait ! Mais dépêchez-vous de vous trouver une robe et de lui demander, parce que c’est dans deux semaines seulement et…

— Horace ! Je n’ai jamais dit que je viendrai accompagnée. Maintenant, excusez-moi. »

Elle le bouscula presque, et avec l’air d’un animal traqué, fondit en direction de la porte sans même remarquer les regards inquisiteurs de ses jeunes étudiants braqués sur elle. Quand la première bouffée d’air frais s’infiltra dans ses poumons, Jane ferma les yeux de contentement. Le soleil se couchait lentement à l’ouest, et la rue principale était vidée. Les boutiques commençaient à baisser le rideau et on voyait le long du chemin menant au château qui dominait le paysage quelques élèves remonter la pente douce en se montrant des choses, d’un air excité. Le froid humide de la fin de l’automne la fit frissonner, et elle resserra son grand manteau, avant de rabattre la large capuche sur son nez. Elle remit les gants que Minerva l’avait obligée à prendre, et amorça un pas en direction du château, quand elle hésita. Elle repensait à la conversation qu’elle venait d’avoir, et secoua la tête. Pivotant, Jane se dirigea vers le chemin qui menait à la cabane hurlante. Le long du trajet, elle rumina la question, sans parvenir à prendre de décision, et s’arrêta net quand elle atteint la clôture de bois pourrie qui encadrait l’accès à la cabane. L’édifice était encore loin, mais le vent écossais charriait le bruit de ses grincements sinistres. Dans ce décor fait de gris, de vert délavé et de mauve chardonneux, Jane sourit, se sentant apaisée et conquise par ce tableau. Ses épaules se détendirent, et, même lorsqu’une brume dévala lentement le pré qui menait à la cabane, même lorsqu’une légère bruine se mit à tremper légèrement son dos, Jane resta là, appréciant le spectacle et le calme. Elle ferma un instant les yeux en frissonnant, quand elle sentit quelque chose de dur se presser légèrement contre son épaule et y diffuser une douce chaleur. La jeune femme sursauta, et se retourna, sa capuche masquant à moitié la personne à côté d’elle, ne dévoilant qu’un menton et le début d’un sourire léger qu’elle commençait à connaître.

« Vous cherchez à attraper la mort et à vous faire porter, pâle ?

— … Zut. Mon plan machiavélique tombe à l’eau.

Littéralement. »

Elle se tourna tout à fait pour voir Severus l’observer d’un air sérieux, un paquet emballé dans du papier craft sous le bras, ramenant à lui la baguette qu’il venait d’utiliser contre elle. Avant même qu’elle n’ait pu lui demander quoi que ce soit, il lui répondit :

« Il y a un apothicaire ambulant qui passe deux fois l’an pour moi, justement. La période est propice pour certains ingrédients et certaines potions.

— Halloween, vous voulez dire ?

— Oui, et puis une grosse lune se prépare aussi. Vous comptez rester ici prendre l’eau ?

— A la base je voulais… »

Mais elle se tut en l’observant. Severus arqua un sourcil interrogateur, avant de hocher la tête.

« Pourquoi ai-je l’impression que vous alliez me demander quelque chose d’impossible ?

— Pas du tout, j’allais surtout dire que je tentais d’échapper à Horace et à ses invitations, ses questions et son… Enfin, sa façon qu’il a de forcer l’intimité des gens. »

L’espion serra les dents un instant, et la jeune femme se mordit la joue en se traitant mentalement d’idiote pour sa maladresse. Il ne pouvait pas avoir oublié que son remplaçant était spécialiste de l’indiscrétion ! Mais Severus ne fit nullement allusion à la dernière fois avec son ancien Directeur de maison. À la place, il préféra tarauder directement la Moldue, non sans un certain plaisir pervers à lui faire subir ce genre d’interrogatoires.

« Et qu’est-ce qu’il a dit à votre sujet ? Il ne vous connaît pas, je vois mal comment il a pu vous gêner.

— Détrompez-vous, il… Ah ! Bien joué. Nous parlions de sa soirée, en effet.

— Et… ? »

La pluie se mit à tomber avec rudesse sans que cela ne les intéresse le moins du monde. Jane remarqua à peine qu’elle ne ressentait pas l’humidité, ou le froid de l’averse. Les gouttes formaient juste une sorte de rideau sous lequel ils se seraient glissés tous deux pour échanger quelques confidences. Le bruit aurait dû la forcer à hausser le ton pour qu’il entende bien la suite, mais elle tremblait. De peur. Et se contenta de marmonner.

« Et il m’a demandé si je comptais… Eh bien… Si je… Je comptais y aller avec… Heu… Vous. »

Jane avait baissé le regard bien avant d’avoir achevé sa phrase, mais elle cligna si fort les yeux en se traitant de gamine, que quand elle les rouvrit pour regarder la tête que faisait Snape, de petites étoiles blanches picotaient au coin de la rétine. Le Mangemort avait froncé les sourcils et l’observait comme s’il était face à quelque chose d’insondable. La Moldue déglutit péniblement, prête à lui demander de tout oublier, mais il répondit lentement :

« Mais… Pourquoi est-ce que j’irais avec vous ? »

Jane chancela sous la réplique, comme si elle venait de prendre un coup et elle avala une grande goulée d’air qui se coinça douloureusement dans sa gorge. Jamais elle ne s’était sentie aussi bête. Du moins, pas depuis un certain temps, et à ce moment, elle aurait préféré être n’importe où qu’ici. Qu’est-ce qui lui avait pris de dire ça ? Un violent tremblement s’empara de ses entrailles, remontant le long de sa gorge, et ce qui était l’ébauche d’un sanglot douloureux se mua dans une sorte de rire nerveux.

« C’est… C’est exactement ce que je lui ai dit ! Je sais pas ce qu’il a, il est vraiment bizarre ce type ! »

Elle tourna les talons en riant comme une perdue, et repris assez vite le chemin qui menait à l’école, sans même attendre son aîné. Ses jambes étaient cotonneuses, et sa vue était brouillée. Mais il pleuvait beaucoup, n’est-ce pas ? Elle venait de bifurquer pour reprendre le sentier, quand une main attrapa son bras par le creux du coude, pour la faire pivoter. Jane se retourna pour voir le visage de Severus totalement fermé. Ses cheveux ruisselaient sous l’averse, et ses yeux noirs la fixaient avec intensité. L’espace d’une fraction de seconde, la jeune femme sentit son cœur manquer un battement quand elle repensa à une lecture de sa jeunesse. Snape ferma les yeux lentement et soupira, avant de les ouvrir et de déclarer d’une voix douce :

« Je ne suis pas Monsieur Darcy. »

Jane se mordit la lèvre en regardant vers le bas. Elle posa sa main sur son torse. Severus posa la sienne dessus, ne se dérobant pas. Elle secoua la tête.

« Je sais. Je sais, c’était très con de ma part.

— Pas plus que d’ordinaire…

— Severus, s’il vous plaît… »

Ma pauvre fille, se dit-elle. Pourtant, avant même qu’elle n’ait l’occasion de s’insulter plus encore, elle sentit la main de Snape presser doucement la sienne.

« Est-ce que vous vous contenterez de boire un verre avec moi, au chaud ? » Lui demanda-t-il après un instant.

Severus écarquilla les yeux de surprise devant le sourire que sa proposition déclencha chez elle. Cela le mit particulièrement mal à l’aise et… Et soudain il n’était plus aussi trempé et glacé qu’il ne l’était l’instant d’avant. Il esquissa un rictus, et lui tendit son bras, auquel elle s’accrocha pour remonter en direction du château.

« Pourquoi vous ne vous êtes pas jeté un sort d’imperméabilité à vous aussi… ?

— …

— …

— … Parce que je sais que vous aimez l’archétype du brun ténébreux dégoulinant. »

Jane éclata de rire, et avant qu’ils n’atteignent l’enceinte proche de Poudlard, elle lui avait fait remarqué qu’il était quand même sacrément de mauvaise foi.