Achronique

L’espion qui m’aimait

Remerciements aux tipeur : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer, ChocoFrog et Leithian pour leur soutien sur Tipee !

Note Spéciale : J’ai enfin autopublié mon premier recueil de nouvelles : Narcissisme. Mais vous devez probablement le savoir, vu que vous me suivez sur les réseaux (hein ?)

A propos : Voici donc la suite directe du chapitre précédent, où je vous laissais sur un début d’attaque et un baiser raté. Il est évidemment plus court, mais j’espère que son intensité vous plaira. Je n’ai pas encore eu l’occasion de commencer la suite, mais j’espère que ce chapitre vous permettra de patienter jusqu’au prochain. Très bonne lecture !

 


Chapitre 48 : L’espion qui m’aimait

 

Un terrible sifflement l’empêcha de comprendre ce que le Sorcier lui disait. De la poussière retombait autour d’eux, mêlée à quelques éclats de verre qui les écorchèrent malgré leurs précautions. La pièce et les couleurs tournaient, et le sol semblait prêt à les engloutir. Quand l’acouphène diminua légèrement, Jane put entendre la voix de Severus :

« Sous la table, ne bougez surtout pas ! »

Un petit hululement plaintif répondit à sa place et la Moldue se retourna pour voir la cage de sa chouette renversée, le pauvre animal coincé entre les barreaux défoncés. Jane envoya la main pour chercher à la libérer, mais le Sorcier la retint et lança un sort qui ouvrit brusquement la prison, laissant Ibis pépier et fuir ce maudit endroit. Une autre explosion non loin avala l’exclamation de Jane, et Severus se précipita contre ce qu’il restait de la fenêtre pour scruter le jardin.

Harry, Ron, Ginny et les jumeaux n’avaient pas bien compris sur le moment ce qu’il se passait tant ils étaient absorbés par leur partie. Quand une série d’éclairs et de cris perturbèrent leur jeu, Harry voulut foncer en piqué, mais Ron se mit en travers de son chemin d’un rapide crochet du balai.

« Pousse-toi ! C’est une attaque !

— Non, fous le camp, c’est trop dangereux, je ne sais pas qui a pu…

Houhou, Potter ! »

Au sol, les premiers échanges de sorts avaient fait fondre une bonne partie de la neige immaculée qui recouvrait le jardin. Un des fauteuils confortables dans lesquels les adultes s’étaient lovés avait volé en éclats, blessant Sirius au flan qui cherchait à retirer une de ces échardes. Tonks s’était directement avancée, baguette au clair et sa chevelure de feu s’était immédiatement transformée en coupe courte et noire. Elle pointait sa baguette en direction d’un Mangemort blond à l’allure nordique, agitant la main en arrière pour faire reculer Luna, Hermione et Neville. Mais les adolescents étaient loin d’être disciplinés, ils mettaient eux-mêmes en joue les ombres qui se dévoilaient peu à peu. Molly et Arthur bordaient Bill, Fleur et Percy, cherchant à dénombrer leurs assaillants, et Xenophilius Lovegood restait près de la vieille Augusta qui tentait de calmer une crise que la soudaineté de l’attaque avait déclenchée.

« Potter… ? Harry Potter ? Où est Harry Potter ? C’est pour toi que je viens, sale garnement. Pour régler définitivement un vieux problème ! » S’exclama Bellatrix en avançant lentement, alors que de grosses volutes noires la révélaient.

Elle ne portait pas son masque, d’ailleurs tous les Mangemorts se présentaient à visage découvert. Lupin en reconnut certains, mais un homme maigre à l’allure mesquine et une autre femme hautaine lui étaient inconnus. Un autre Mangemort, très jeune, ne lui disait rien non plus. Il frissonna.

« Tu veux dire que tu viens te faire liquider et nous débarrasser de ta détestable présence ? » Se moqua Sirius en se relevant doucement, pressant toujours sa plaie de sa baguette en laissant la magie refermer la coupure.

Sa cousine éclata de rire en rejetant la tête en arrière, faisant voler ses boucles dans tous les sens.

« Je sais qu’il est ici… Je sais qu’il est ici, et je pense même savoir précisément où… Ce gosse est décidément la faiblesse de beaucoup de monde… » Elle marmonna cette dernière partie plus pour elle-même, et leva lentement les yeux au ciel, un rictus de satisfaction étirant doucement ses lèvres.

« Oh oui, je savais qu’il voudrait essayer son joli cadeau… Tu ne viens pas me saluer, Harry ? Il te faut un petit rappel à l’ordre ?

— Harry, non… » Supplia Ginny.

Bellatrix leva une main et le Mangemort à l’air de rapace agita sa baguette en direction de Fleur qui hurla, avant de tomber au sol en hoquetant. Le Gryffondor n’écouta pas l’avertissement de son meilleur ami et inclina brusquement le manche de son balais, plongeant en piqué en direction de Bellatrix. Cela lui tira un autre rire de satisfaction et Bill hurla en direction d’Abernathy qui maintenait le sortilège d’étouffement. Rosina Blackwood, une jeunette fraîchement recrutée, cria pour se donner l’air menaçant et effectua une série de gestes avec sa baguette qui ne donnèrent rien dans l’immédiat. Les parents Weasley s’observèrent sans comprendre, espérant secrètement que le sortilège avait échoué, mais une série de grondements et de tremblements s’éleva de dessous leurs pieds, la terre se mit à onduler au rythme de rires et de menaces effectués dans une langue qui n’était pas humaine. Fleur continuait de se tordre au sol, ses longs doigts manucurés griffant sa gorge pour chercher à retrouver de l’air. Bill lança une volée de maléfices cuisants à Abernathy qui parvint à les esquiver sans rompre le charme pour autant. Fleur hoquetait peu à peu, ses yeux devenant rouges à mesure que les vaisseaux sanguins qui irriguaient ses globes se gorgeaient de sang. Le briseur de malédictions gronda comme un animal acculé et s’accroupit, prenant une posture d’attaque très particulière. Il coinça sa baguette entre son index et son majeur, ouvrant deux doigts de la main gauche pour articuler son attaque.

« BILL NON ! » Hurla son père qui comprit ce qu’il allait faire.

Mais son fils ne l’écouta pas, il n’entendait que le crachotement de sa future épouse et le ricanement de satisfaction du Mangemort. Il se contracta, rassembla son énergie et entama un chant dans une langue morte étrangère.

« BILL ! » Hurla à son tour Molly accroupie qui cherchait à lever le maléfice jeté à Fleur.

Le jeune homme se tendit ensuite soudain, et alors que les veines de ses bras saillaient anormalement, traversées de ce qui semblait être un sang presque noir, une aura rougeoyante et malfaisante émana de sa paume et de sa baguette. La malédiction inconnue s’échappa et se précipita en direction d’Abernathy qui pâlit brusquement et se jeta au sol pour l’esquiver, rompant le contact visuel avec Fleur. La Française inspira de grandes goulées d’air, les yeux paniqués allant et venant autour d’elle alors que son champ de vision s’était terriblement réduit. Le sortilège lancé par Bill atteint un des Mangemorts occupé à attaquer Ginny et Ron qui décrivaient encore des cercles dans les airs, pendant que Fred et George cherchaient à attendre leur autre frère. Arthur frissonna en voyant le résultat du sort de son fils. De grandes taches d’un rouge brun se répandaient peu à peu alors que le Mangemort hurlait et semblait se débattre pour tenter d’enlever ce qui le rongeait de l’intérieur. On l’aurait cru dévoré par des insectes rampant sous sa peau. L’attaquant se tortillait dans tous les sens, ses horribles cris d’effroi atteignant leur paroxysme quand il commença à se griffer la gorge, les yeux exorbités. Soudain il sembla muet d’horreur, et dans un borborygme répugnant, de gros scarabées noirs jaillirent de sa bouche, dévorant les lèvres et la chair qu’ils avaient à disposition. Un autre Mangemort à côté du pauvre homme frissonna d’un dégoût qu’il avait rarement ressentis. Arthur ouvrit la bouche d’effroi en observant son fils qui lui rendit un regard dur et ne montrant aucun remord. Ce dernier attrapa sa fiancée et la ramena rudement en arrière, Molly fermant la retraite.

Le sol tremblait encore terriblement et Molly jeta un sort en direction d’une sorte de butte de terre qui se soulevait et traçait un sillon en direction de Mr. Lovegood et de Mrs Londubat. Le sillon dévia, comme ayant sentit l’attaque, et la Mangemort qui avait lancé l’étrange charme éclata de rire. Molly courut en direction de son fils et de sa belle-fille, en direction de la vieille dame et du père de Luna, jetant une série de traits qui firent slalomer ce qui grouillait sous leurs terres. Quand, soudain, le sillon explosa dans une butte et qu’une étrange petite créature difforme à la tête ressemblant à une pomme de terre avec un visage en sortit en pépiant « Tuerlesrouxtuerlestous ! ». Elle bondit en direction de Xenophilius qui recula d’un pas sous la surprise, balbutiant sans comprendre ce qui l’attaquait, et le gnome qui avançait dans les airs toutes dents dehors fut stoppé net par un rayon de lumière argentée. Augusta se relevait péniblement, sa main parcheminée tenant fermement sa baguette vers l’assaillant. La terre trembla de plus belle et Arthur dû lui-même reculer pour tenter de contrer d’autres attaques de gnomes ensorcelés. Difficile de maintenir un charme de bouclier alors que la terre ondulait sous leurs pieds, se faisait traîtresse et laissait échapper de temps à autre les folles bestioles qui se mirent à les mordre, à chercher à griffer leur visage, arracher un œil…

Pendant ce temps, flanqué de Ginny et Ron, Harry descendit en flèche en direction de Bellatrix, mais un des sortilèges lancés par les Mangemorts au sol le toucha et il trébucha de son balai et tomba lourdement, la cuisse à vif. Sirius se précipita et leva sa baguette pour lancer un charme de bouclier, Ron se reçut difficilement non loin, et roula, bientôt tiré en arrière par Tonks. La jeune femme l’avait attrapé et s’était postée directement devant lui. Ron déglutit, frappé par la posture qu’il ne l’avait jamais vue prendre.

« Ils sont là pour nous tuer ! cria-t-elle à l’assemblée. Ne retenez aucun de vos coups ! »

Bill et Arthur échangèrent un bref regard, mais les gnomes les obligèrent à se reconcentrer. Avec Molly, ils formèrent une barrière de protection autour de Fleur, Augusta et Xenophilius, envoyant voler les gnomes enragés, les stupéfiants, les blessants parfois très grièvement. Crosby et Thorfinn profitèrent de la cohue provoquée par le sort de Blackwood pour fondre en direction de Rémus, Tonks, Hermione, Neville, Luna et Ron. Percy de son côté essayait d’allonger le bouclier de Sirius pour permettre à Ginny de se poser en toute sécurité. Les jumeaux cherchèrent à prendre à revers leurs assaillants.

« Je suis là ! hurla Harry en grimaçant de douleur et en tentant de se jeter quelques premiers sorts de stase pour sa cuisse. Tu crois que tu peux m’avoir alors que ton Maître n’y arrive pas ?!

— Harry, ferme-la, siffla Sirius paniqué qu’il mette sa terrible cousine en rage.

— Comment oses-tu ? Tu vas… »

Bellatrix leva les deux mains au-dessus de sa tête pour le frapper d’un sort perçant, mais un autre sortilège lancé par un de ses laquais le dévia et les deux frappèrent le sol et une des torches qui éclairait le terrain tomba, s’éteignant dans la neige dans un râle d’agonie totalement anormal.

« ABRUTIS ! » Hurla Bellatrix en se retournant vers l’homme qui recula instinctivement en voyant sa comparse s’avancer vers lui.

Harry, Sirius, Ginny et Percy en profitèrent pour se soustraire à leur vision et cherchèrent à rejoindre le groupe formé par l’Auror, mais Abernathy semblait très décidé à les en empêcher.

« Pas si vite petit con… » Cracha-t-il comme s’ils se connaissaient.

Abernathy jeta plusieurs fois le sortilège de la mort, obligeant leur grappe à s’éclater, roulant de chaque côté. Ron se précipita pour rejoindre son meilleur ami, et Abernathy les insulta une nouvelle fois.

Le champ de bataille était chaotique. D’un côté, la terre volait, projetait de grandes gerbes sous les sorties violentes des gnomes ensorcelés, de l’autre Bellatrix punissait elle-même celui qui l’avait fait échouer à tuer Harry Potter, d’autres Mangemorts livraient un combat terrible contre Rémus et Tonks, et Sirius tentait de remettre Harry sur pieds. Dans la cuisine, plaqué contre ce qu’il restait de la fenêtre, Snape réfléchissait à grande vitesse, alternant entre le terrain de combat et le scan de la pièce, cherchant quelque chose.

« Severus… ! Il faut…

— Shht ! »

Sa marque était froide. Voldemort n’avait pas ordonné cette attaque, peut-être même s’en savait-il rien… Il fallait prévenir le reste de l’Ordre, ou la Brigade, ou Dumbledore. Il n’arrivait pas à trouver la boîte où Molly rangeait la poudre de cheminette. Son patronus n’irait pas assez vite. Il ne pouvait prendre le risque de se dévoiler… Jane l’observait avec effarement, accrochée à un des pieds de la table, moins par peur que pour s’empêcher de faire une énorme erreur. Une autre explosion coupa l’espion dans sa réflexion et il vit Ron Weasley voler à quelque mètre plus loin.

« RONALD ! » L’appela Percy terrifié.

Comme mu d’un courage qu’il n’avait jamais eu, le sous-secrétaire se redressa et fonça sur le Mangemort qui venait de blesser son frère. Sirius ne put réagir, et Harry chercha à lui échapper pour faire face à Bellatrix, quand il vit sa route coupée par Abernathy et Blackwood. La femme et le maigre éclatèrent de rire et lui promirent que Lestrange lui accordait bientôt toute son attention. Sirius bondit sur ses jambes et fonça en direction de son filleul, balançant un sort à Abernathy qui en perdit sa baguette. Blackwood roula et ses mains projetèrent un rayon brûlant en direction d’Harry qui l’évita de justesse.

La neige se transformait peu à peu en boue et les torches s’éteignaient, les plongeant dans une obscurité particulièrement dangereuse. Il devenait de plus en plus difficile de voir ce qu’il se passait, les sorts s’échangeaient des deux côtés, zébrant les airs et pourfendant tantôt une parcelle de tourbe tantôt un bras qui n’avait pas été mis en sécurité. L’attaque du Ministère n’avait rien de comparable, les sbires de Voldemort n’étaient pas là pour récupérer quelque chose. D’ailleurs, étaient-ils seulement ceux du Fourchelangue à cet instant précis ? Harry leva la baguette en direction de la femme Mangemort qui se redressait, il hésita un instant tandis qu’elle essayait de se remettre sur ses pieds, puis il se frappa mentalement et beugla un Expelliarmus qu’elle dévia sans trop de difficulté. Il n’arrivait pas à se décider à l’attaquer réellement alors qu’elle était en position de faiblesse. Sirius s’écarta de lui, faisant face à Abernathy, son beau visage tordu par une grimace de concentration. Le Mangemort rit de son attitude, affichant sur sa trogne famélique un vilain sourire :

« Je vais détruire le héros de Rowle, hi hi hi… ! Il devait être si content de prendre ta commande. « Oh, oui Lord Black tout de suite, Lord Black ! » » Semblait-il singer, décontenançant Sirius par ce discours incohérent.

Sirius esquiva le sortilège de mort qui fusait traitreusement alors qu’Abernathy faisait une courbette. Il répondit par un Imobilis, que l’homme para d’un geste méprisant de la baguette.

« Ah oui, ah oui ! Les grands héros ne tuent pas ! Les grands héros restent tout blancs, tout doux… A la lumière, pour faire de belles photos ! »

L’incohérence du Mangemort le fit hésiter un instant, et Sirius ne put éviter l’autre sortilège qu’en se transformant de justesse. Cela tira un cri haineux au Mangemort qui vit un molosse bondir dans les ténèbres.

« Sale chien, tu ne m’échapperas pas ! » Hurla-t-il aux ténèbres.

Sirius profita des ombres pour reprendre forme humaine et se positionner pour tendre une embuscade au Mangemort.

« C’est donc ça qu’on apprend chez les bourges ? A se planquer au lieu de se battre comme un homme ?

— Mais qu’est-ce que je t’ai fait ?! Je ne te connais même pas ! craqua stupidement Sirius en se dévoilant.

— Rien, Lord Black, tu n’as rien fait ! » éructa le Mangemort en fondant sur lui, les obligeants à dévier en direction des marécages.

De son côté, Percy attira toute l’attention de Crosby sur lui, cherchant à protéger son frère qui était à terre, gémissant alors que sa main droite devenait peu à peu noire.

« Rémus ! Ramène-le ! cria sa compagne

— Mais je ne peux pas te laisser…

— C’EST UN ORDRE LUPIN ! » Répliqua-t-elle en lançant un trait vert en direction du Mangemort qui l’attaquait.

Personne ne s’interrogea sur la nature du sortilège qu’elle venait d’employer, et sa cible l’évita et répondit par le même. Le lycanthrope chercha à tirer Ron hors de la zone de combat, pendant que Percy cherchait à garder pied face à l’assaillant. Tonks dû se concentrer sur le sien, et le pauvre secrétaire livré à lui-même sentit peu à peu son bras fatiguer, ses membres s’engourdir, le désespoir l’envahir alors qu’il se voyait reculer d’un pas après l’autre, le terrain devenant assourdissant et étouffant, et son ennemi lancer, coup après coup, l’impardonnable. Il allait mourir s’il ne remportait pas ce combat, il mourrait, là, dans la boue glacée.

Rockwood perdit particulièrement patience face à Potter et décida de désobéir aux ordres. Tant pis pour Bellatrix, elle se chargerait elle-même du gamin. Usant d’une magie très primaire, elle se concentra à nouveau et agita la baguette pour aller puiser dans l’une des torches à la flamme mourante un feu vrombissant. Harry cligna des yeux et une violente poussée d’adrénaline lui fit voir presque clairement l’ensemble de la scène. Là, il avait vu ce sort avec Snape, il savait ce qu’il avait à redouter, il savait quelle volonté cela demandait au lanceur. Il savait aussi qu’il ne devait pas la laisser terminer son incantation, profiter des premiers moments d’instabilité pour renverser la domination du Feudeymon. Il retint sa respiration et banda les muscles avant de projeter un puissant sortilège d’Expelliarmus qui fit reculer de quelques mètres la femme. Mais elle était douée, bien trop douée, pour que cela suffise. Elle se moqua de lui, et autour d’eux, de grosses langues de feu s’élevaient lentement, formant par moments des doigts enflammés qui griffaient l’air.

Dans un gargouillis horrible, le pauvre Mangemort qui avait fait manquer le sortilège à Bellatrix mourut, s’étouffant avec son propre sang alors que plusieurs côtes jaillissaient de sa cage thoracique pour lui perforer un poumon en s’enfonçant à nouveau brutalement. La brune se retourna pour chercher sa proie du regard, furieuse de ne plus distinguer Potter. Quand elle remarqua le tourbillon de flammes et entendit le cri reconnaissable d’Harry et de son sortilège favori, elle sourit de satisfaction et s’élança dans leur direction. Un bruissement d’air l’arrêta net, et malgré les ténèbres, elle put voir une de ses mèches de cheveux tomber au sol, coupée net. Elle plissa lentement des yeux pour regarder dans la direction de celui ou celle qui avait lancé le sortilège de découpe, avant de se mettre à rire, hystérique.

Le visage à demi-éclairé par les flammes du Feudeymon, le regard plus enflammé que jamais et le bras droit portant sa baguette avec détermination, Neville Londubat avançait dans sa direction.

« Tu viens chercher la justice… ? caqueta Bellatrix.

— Non. La vengeance. »

Elle parut le prendre au sérieux car son sourire disparut quelque peu, avant de revenir fleurir sur ses lèvres.

« Ton père était très déterminé aussi avant qu’on s’occupe de lui… et de sa femme. Oh oui. Rabastan et Rodolphus ont été très appliqués ce soir-là… »

L’allusion fit hurler Neville qui arma le bras et griffa l’air de sa baguette :

« DOLORIS ! »

Bellatrix para et éclata de rire, se désintéressant de ce qui l’entourait.

« Il faut le vouloir. Pour que le sort soit puissant, il faut vraiment avoir envie de blesser l’autre. Il faut vraiment aimer faire mal. Attends, je vais t’aider. Imagine combien nous avons adoré nous occuper de ton petit papa et de ta jolie maman… Hein ? Comme ça a été bon de les mettre dans cet état… Dis-moi, ils bavent toujours ou…

— LA FERME ! »

Neville se ruait sur Bellatrix, lançant à la volée ce sortilège interdit. Percy de son côté perdait du terrain, Ron hurla, envoyant sa main noircie en avant dans un geste désespéré pour tenter d’éviter de voir son frère mourir pour l’avoir protégé. Percy recula une fois de trop, trébuchant sur l’une des grosses racines folles que faisaient pousser les gnomes ensorcelés, et il ne put éviter le trait vert qui se profilait inéluctablement. Il tomba en arrière comme une poupée de chiffon grotesque et inutile, offrant à son jeune frère un masque mortuaire profondément désolé. Molly et Arthur hurlèrent, s’élançant en direction de l’assassin de leur fils, délaissant leur rôle de protecteurs. Le bouclier qu’ils maintenaient jusqu’ici tomba, mais Tonks s’interposa et exécuta le Mangemort sommairement avant de tourner son attention vers les parents :

« Retournez dans le rang, reformez le bouclier, vite ! »

De son côté, Harry luttait toujours avec Rockwood pour l’empêcher de terminer son sortilège, les flammes prenant terriblement forme autour d’eux. Le jeune homme sentit la panique l’envahir, mêlée à un profond désespoir et dégoût, avant qu’une fureur terriblement viscérale ne s’empare de lui et se déverse dans ses veines à gros bouillon. Là, il braqua un regard vert anis enflammé en direction de la Mangemort.

« Oh oh… C’est l’œil d’un tueur, ça, Potter. »

Le garçon répondit par un impardonnable qui la surprit, mais pas assez pour lui faire lâcher prise.

Même en arrivant à la toucher, Neville n’arrivait pas à faire flancher celle qui avait détruit sa vie. Sa colère augmentait, en même temps que l’hilarité de son bourreau.

« Non, non, non… Je vais te montrer… Il faut, vraiment, vraiment, vraiment avoir ça dans ses tripes. »

Il allait répliquer, mais elle bondit de côté avec une grande célérité, et sauta dans les airs en pointant sa baguette vers lui comme si c’était une lance. Elle ne prononça même pas la terrible formule. Neville tomba à la renverse, un léger cri de surprise coincé dans la gorge, avant que son monde ne s’effondre et qu’une myriade de lames chauffées à blanc ne viennent à lui taillader la peau, lui broyer les os, lui arracher les nerfs. Il n’avait jamais enduré le sortilège du Doloris, mais il lui semblait à cet instant que tout ce qu’il ressentait était réel. La souffrance n’était pas uniquement liée au sort, elle venait de l’imagination de sa tortionnaire. Et Bellatrix avait un sens très aiguisé de la torture. Son hurlement déchira la nuit, avalé par les gémissements, les cris, et les explosions aux alentours. Se détourner de son adversaire signifiait pour chacun d’eux perdre une autre personne, voire sa propre vie. Sirius se battait toujours dans la tourbière contre un Abernathy qui continuait à l’invectiver copieusement, ils revinrent dans le giron du champ de bataille dans l’indifférence générale, ne prêtant aucune attention eux-mêmes à ce qu’il se passait autour. Lupin et Hermione cherchaient à contenir les gnomes qui ne faiblissaient pas, au contraire : les petites créatures semblaient commander à la terre elle-même et de grosses racines jaillissaient du sol pour menacer ceux qui cherchaient à se protéger.

Dans la cuisine, Jane attrapa lentement un couteau à large lame qui traînait sur la table, frissonnant sous les hurlements de Neville qui leur parvenaient. Plus que tout, c’était ce bruit horrible qui se propageait et trouvait écho sur la faïence qui les entourait. Severus serrait fermement sa baguette avec dégoût, inspirant profondément. L’attaque n’avait pas débuté depuis plus de cinq minutes qu’ils déploraient déjà des morts. L’espion frissonnait sous l’adrénaline et les pulsations de magie brute qui montaient en lui et le commandaient d’agir. Il sentait le regard interloqué de Jane sur lui, qui ne comprenait pas son inaction, qui ne comprenait pas qu’il refusât de prendre le risque de se montrer. Les cris de son étudiant devenaient de plus en plus terribles, de plus en plus insupportables. Quand la voix de Neville commença à se briser, il éructa soudain et se redressa, bondissant par-dessus le chambranle de la fenêtre et fonça en direction de l’ennemie. Il lança directement un sort de découpe violent qui taillada terriblement la Mangemort à l’épaule. Bellatrix hurla à son tour, et Neville reprit son souffle, ses yeux cessants un instant de rouler dans leurs orbites pour se fixer difficilement vers son sauveur. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, ce n’était pas l’allure fière d’Harry, mais le profil au nez crochu de sa terreur d’enfance qui le dominait, le regard d’un noir si profond qu’on n’en distinguait plus la pupille. Bellatrix battit légèrement en retraite, dessinant une arabesque légère sur son épaule pour arrêter l’afflux de sang. Severus enjamba Neville et se posta devant lui, pointa son arme contre son ancienne comparse. Là, derrière son épaisse crinière, elle lui jeta un regard de fureur pure, ses narines se fronçant alors qu’elle montrait les dents.

« Je savais… Je savais que tu étais un traître… »

Severus répondit par un autre sort qu’elle para difficilement, lui en renvoyant un autre qu’il dévia sans effort.

« C’est pour ça que Potter lui échappe… C’est à cause de toi… C’est pas à cause de cette prophétie… Je vais te tuer, sale sang-mêlé, je vais enfin te traiter comme il se doit ! Et après je tuerai bébé Potter, et Il n’aura plus d’autre choix que de reprendre notre projet. »

Elle jeta une salve qui l’obligea à réagir rapidement, sans succès. La haine qu’elle lui vouait toutes ces années pour sa maîtrise du duel, atteint son terme quand elle trouva la seule faille à exploiter. Bellatrix esquissa un rictus de triomphe, avant de viser Neville. Severus se plaça devant son élève par réflexe, tombant sur un genou tandis qu’il sentait la chaleur du Doloris résonner dans son corps.

Harry gémit de désespoir quand il vit que les flammes l’enserraient à un point tel qu’il n’avait plus le choix. Rockwood commençait à libérer doucement le Feuydemon, jetant de temps en temps des regards en direction des autres en retrait. Le front perlant de sueur à cause de l’effort, elle demanda dans un souffle :

« A qui tu tiens le plus ? La Maîtresse a dit qu’on t’avait tout pris… Mais je crois qu’il y a encore des gens que tu aimes par là-bas ! »

Harry s’obligea à ne pas regarder dans la direction indiquée et leva la baguette. Son cœur battait la chamade, il se sentait plus alerte que jamais. Il pensa un bref instant à Luna, à Ron, à Sirius, il ne voulait voir personne de tué à cause de lui, pas ce soir… Pas parce qu’il hésitait. À quoi ? A faire ce qu’il fallait faire ? C’était la guerre après tout… Une simple formule… Il connaissait la formule. Mais Snape avait été très clair, il fallait plus que de la simple volonté pour lancer ce genre de choses efficacement. Il fallait être prêt à le faire, il fallait avoir ça en soi. Les flammes commencèrent à s’écarter et à prendre la forme d’un énorme rapace qui battait frénétiquement des ailes pour prendre son envol et fondre sur ses amis. Rockwood sourit d’anticipation et leva les bras hauts, faisant prendre de l’élan à sa créature surnaturelle. Harry ne réfléchit pas davantage et hurla la formule.

Le trait vert fusa et traversa la Mangemort.

Jane s’était rapprochée de la fenêtre, gardant les yeux à peine au-dessus de ce qu’il restait de l’encadré, elle tremblait terriblement, entendant les sorts, les cris, voyant un formidable monstre de feu s’élever et s’apprêter à foncer sur le groupe qui luttait contre des racines et des créatures étranges sortant de la terre. Elle ne pouvait rien faire, son sentiment d’impuissance la désespérait. Elle observa Neville ramper difficilement vers la maison, l’écume encore aux lèvres, un instant elle envisagea d’aller l’aider, mais elle savait qu’elle se ferait immédiatement tuer. Serrant le manche du couteau de frustration, à en faire crisser le cuir, elle se figea quand un cri particulier lui parvint. Elle trembla de tout son corps en l’entendant. C’était celui d’un homme. Un homme qu’elle n’aurait jamais imaginé entendre crier de la sorte un jour.

Severus tomba totalement à genou, des étoiles dansant devant ses yeux. C’était très différent d’avec le Seigneur des Ténèbres. Il ne s’agissait plus d’une punition cruelle, mais bien d’une mise à mort. Bellatrix le tuerait comme ça, et la douleur n’avait rien de comparable avec tout ce qu’il avait pu connaître jusqu’ici. Son souffle se bloqua et pourtant sa gorge cria pour lui. Il se sentit projeté en arrière, son dos heurtant lourdement le sol. Il arma le bras pour tenter de répliquer, mais un terrible craquement lui fit comprendre qu’il avait trop forcé contre les spasmes qui l’animaient et qu’il venait de se briser le poignet.

« Je vais te faire ramper… Je vais détruire chacun de tes os… Je vais t’écorcher vif… Je te tuerai, bien entendu… Et puis je Lui rapporterai tes yeux, Severus Snape ! »

Il hurla d’une douleur sans nom, et pour la première fois de sa longue existence de Mangemort, de terreur. Bellatrix tournait lentement autour de lui, l’observant agoniser sous tous les angles avec un plaisir inouï.

Harry regarda Rockwood tomber au sol en sentant une profonde satisfaction l’envahir.

Sirius se retransforma et fonça à nouveau sur Abernathy, toutes griffes dehors, lui écorchant l’œil droit, ce qui lui permit de s’enfuir et de rejoindre le groupe.

Lupin traînait tant bien que mal le corps de Percy vers eux.

Le Feuydemon mourut lentement, projetant ses lumières sur les lieux, donnant un aperçu de l’horreur qui s’y déroulait. La lumière rougeâtre éclaira brièvement le visage de Jane qui ne parvenait plus à se cacher et qui regardait, impuissante, Severus mourir sous ses yeux, l’ombre du dos de Bellatrix se secouant d’un rire abominable. Jane serra le couteau, sentant son cœur sur le point d’imploser, voulant presque se transpercer les tympans pour ne plus l’entendre lui hurler et Lestrange y prendre du plaisir. La jeune femme gémit piteusement, quand le corps de son ami s’arcbouta pour lui dévoiler son visage tordu par la souffrance, les yeux totalement révulsés dans leurs orbites. Bellatrix s’accroupit lentement vers lui, maintenant le sortilège et commençant doucement à chanter une monstrueuse berceuse à son attention :

« Hurle, hurle petit sang-mêlé,

À mes pieds, bien agenouillé,

Tu te tortilles comme une anguille,

Hurle, hurle mon petit sorcier,

Sens la douleur qui fourmille.»

L’horreur la fit frissonner, et le froid l’enveloppa soudain, le silence aussi. Jane bondit. Elle manqua de trébucher sur l’une des racines qui jaillit devant elle, donna un violent coup de poing à l’aveugle à la chose qui sortit de terre pour l’attraper, ne se souciant pas un instant du cri de Luna qui fit imploser la créature d’un sortilège. La Moldue ne voyait et n’entendait que Severus, dont la voix se brisait peu à peu.

Bellatrix le tirait à présent par les cheveux pour élever son oreille à la hauteur de ses lèvres. Baissée, elle faisait dos à la Moldue qui s’approcha sans discrétion, levant le couteau, incertaine de ce qu’elle allait faire. Mais la main de Jane cessa soudain de trembler quand elle glissa les doigts sous le menton de la Mangemort. La comptine s’arrêta immédiatement, le sortilège aussi. Et dans cette fraction de seconde de silence, Jane poussa le menton en arrière, basculant la tête de Bellatrix vers elle. La jeune femme croisa le regard incrédule de la Mangemort, et son bras ne trembla pas davantage lorsqu’elle lui trancha la gorge d’un geste net. Un flot de sang jaillit brusquement, répandant une douce chaleur sur les doigts et le poignet d’une Jane qui gardait son regard fixé sur celui de Bellatrix, observant la vie quitter ses yeux avec une concentration presque méthodique.

La main plaquée sur son orbite sanguinolente, Abernathy hurla d’angoisse en voyant la scène, stupéfait par ce flot de sang qui se répandait peu à peu sur le corps inerte de son ancienne supérieure.

« RETRAITE ! RETRAITE ! » Cria-t-il à l’adresse de ses compagnons qui tentèrent de fuir, mais Lupin en abattit un autre, ne laissant que la moitié du groupe d’attaque repartir en vie.

L’air se chargea de magie alors qu’ils transplanaient dans le désordre le plus total, abandonnant leurs morts aux mains de leurs ennemis, Bellatrix toujours fermement tenue par Jane dont le bras s’abaissait doucement, l’adrénaline redescendant et lui faisant reprendre conscience de son environnement.

L’effarement laissa place aux premières mesures d’urgence. Harry tituba, s’écartant vivement de la femme qu’il venait de tuer lui-même, percutant Sirius, l’esprit embrumé. Neville se releva difficilement, avant de retomber lourdement sur ses genoux quand il vit le regard désolé de Xenophilius. Le cœur d’Augusta Lovegood n’avait pas résisté aux hurlements de son petits-fils. Tonks pressa le bras de son homme et balaya le terrain du regard :

« Repli immédiat ! Au QG, repli immédiat. Rapport à Dumbledore au plus vite ! »

Bill prit la main de Fleur et de Ginny, Fred et George celle de leur frère mort, et Arthur attrapa Ron, qui tenait Hermione fermement et ils disparurent dans un pop sonore.

« Sirius ! cria Luna. Il faut les faire sortir d’ici ! »

Elle tentait de secouer Neville qui pleurait silencieusement sur sa grand-mère sans succès. Son père se mit à faire léviter avec délicatesse le corps de la vieille dame, et Sirius hocha la tête.

« Harry ?! Viens ! »

Le garçon obéit comme un automate, avançant la main sans trop savoir vers qui, laissant Luna l’attraper et l’enserrer avec détermination. Ils disparurent également.

Les flammes mourantes du Feudeymon éclairait le visage tordu par la surprise de Bellatrix. Jane continuait de l’observer, la main gauche serrée fermement sur son menton, la droite autour du couteau. L’odeur du sang emplit ses narines avec force, l’écœurant presque. Hésitante, tremblante, la main de Severus se posa sur l’une des siennes et la força à lâcher le cadavre. La Moldue eut comme l’impression qu’on dut lui arracher le corps des mains tant elles étaient tétanisées. Épuisé, terriblement blessé, Severus se redressa péniblement sur les genoux et passa ses bras autour d’elle. Il se concentra pour tenter de les faire transplaner sans encombre. Ils atterrirent brutalement aux portes du parc de Poudlard, se séparant sous l’impact que le Sorcier n’avait put éviter. Il roula jusqu’à percuter les grilles, et tenta de se relever.

« Jane…, s’il vous plaît. »

La supplique la fit réagir et elle arriva à sa suite, passant son bras autour de son cou, l’autre autour de sa taille, l’aidant à se relever et à marcher en direction du château.

« Chez moi… Des potions… »

Elle hocha de la tête, et accrocha son regard à la structure aux hautes tours, se focalisant uniquement sur son objectif, tentant d’oublier les images qui revenaient sans cesse, ou le poids de son ami qui marchait avec difficulté. L’odeur du sang était insupportable, il collait à ses mains, à son ventre et à sa poitrine. Elle en avait partout et elle se sentait poisseuse. Il avait transpiré lui aussi, son poignet droit formait un angle bizarre, et sa respiration était sifflante. Ils arrivèrent avec peine jusqu’aux portes du château qu’ils passèrent après avoir croisés les Aurors de garde. Ils glapirent d’effroi en les voyant arriver, et avant même que Severus ne dise quoi que ce soit, Jane intervint :

« Allez prévenir Dumbledore, je l’emmène dans ses appartements. Dites-lui de contacter Tonks et Black en priorité. »

Les deux Sorciers hésitèrent, et elle jura :

« Mais putain, bougez-vous ! »

Ils s’exécutèrent et elle continua de marcher jusqu’aux cachots. Descendant avec difficulté les escaliers, remerciant la providence qu’il soit si tard et qu’aucun élève ne les croise. Quand ils parvinrent au salon, elle voulut l’amener à son lit, mais il la repoussa doucement, se dirigeant péniblement en direction de son bar. Il l’ouvrit et en tira une bouteille qui n’avait rien d’engageant. D’un geste sec, il tira avec ses dents le bouchon et avala directement au goulot une grande rasade. Elle le vit trembler furieusement, son corps entier semblait revivre les spasmes du Doloris. Alors qu’il ne pouvait ouvrir les yeux, endurant en silence la douleur, il pointa sa baguette vers son poignet et dans un crack malsain, elle vit le membre reprendre sa position initiale.

Là, les bras le long du corps, elle l’observait sans être vraiment présente, et quand les effets de la potion commencèrent à agir, l’apaisant, calmant sa souffrance, il lui rendit son regard. Ensuite, il la prit doucement par la main, Jane voulut un instant se soustraire à l’étreinte, ses doigts ensanglantés et poisseux glissants désagréablement contre les siens, mais il tint bon et il l’amena dans sa salle de bain. La propreté de la pièce contrastait avec leur état, leur puanteur, la poussière et la terre qui jonchaient leurs cheveux, le sang qui tachait leurs vêtements, visages, et mains… Severus agita sa baguette et la grosse baignoire se remplit instantanément d’une eau chaude légèrement parfumée. De la buée se forma sur le miroir, effaçant leurs reflets misérables. Il soupira doucement et se pencha vers elle, la tenant dans ses bras, il posa ses mains sur ses épaules et ses lèvres sur son front. Ses mains détachèrent avec délicatesse le collier qu’il lui avait offert, et le mirent sur le rebord en marbre du lavabo. Puis, il les déplaça doucement pour détacher sa robe, qu’il fit glisser lentement le long de son corps. Il garda les yeux rivés aux siens, préservant toute sa pudeur et attrapa sa main pour lui permettre de monter dans la baignoire. Jane se glissa dans l’eau chaude, se laissant doucement happer par la sensation rassurante, l’odeur délicate d’une lavande fraîche mêlée d’un bois marin lui montant aux narines. Elle s’assit complètement, laissant ses mains se laver dans l’eau qui prit momentanément la couleur du sang. Severus déboutonna sa redingote et releva les manches de sa chemise, dévoilant la Marque des Ténèbres qui était à présent d’un noir terrifiant. Il plongea ses mains dans l’eau, s’agenouillant au bord de la baignoire, laissant la magie opérer tandis que l’eau reprenait une teinte normale. La jeune femme se baissa totalement et disparut sous l’eau, se lavant intégralement. Elle resta un moment en apnée, observant par en-dessous le visage ondoyant de Severus qui la fixait, appréciant le monde de silence qui s’ouvrait à elle. Puis, elle revint à la surface, la tête tournant furieusement, l’esprit à la fois avec lui ici, et avec eux là-bas. Le visage ruisselant, ses cheveux retombant dans son dos en lacets épais et bruns, Jane posa le menton contre le rebord, avançant une main incertaine vers la marque. Avant même de la frôler, elle pouvait la sentir brûler, et la couleur anormalement sombre lui tira une seule conclusion. Jane releva les yeux vers Severus qui inclina la tête et qui se redressa, prêt à rendre compte à Dumbledore. Le Seigneur des Ténèbres devait probablement l’appeler à l’instant même, conscient de sa traîtrise…

D’un bruissement d’eau, Jane s’agita et posa une main mouillée sur celle de Severus. Elle lui attrapa le poignet, l’obligeant à pivoter, à rester encore un instant. Il se pencha légèrement et elle se redressa tout à fait, dévoilant son corps ruisselant et glissant sa main dans la sienne. Il cligna des yeux et comprenant alors son intention, attrapa sa taille dans un geste instinctif, la pressant nue contre lui. Jane releva le menton et captura ses lèvres sans cérémonie dans un baiser possessif et exigeant. Il l’entoura totalement, verrouillant ses mains sur sa chute de reins, se perdant à son tour dans l’étreinte. Ni timide, ni romantique, sans mise en scène et avec la brutalité réelle de deux âmes assoiffées de vies, ce baiser leur fit tourner la tête. Comme une évidence, une évidence rendue froide par l’absence de décorum, terriblement brûlante dans le ballet langoureux qu’ils s’offraient de leur langue, la sensation puissante du désir s’éleva et les firent frissonner, rappelant à leur mémoire que leurs corps n’avaient rien de morts. Jane passa ses bras autour de lui, s’offrant totalement, sa poitrine nue répandant une chaleur et un rythme puissant d’un cœur battant la chamade. Elle était en train de tremper ses vêtements, de mêler à la douce odeur de la lavande les éclaboussures de sang et l’aigreur sa sueur, mais aucun d’eux n’y prêta attention. Puis la passion reflua légèrement, comme une vague qui laisse une plage silencieuse et sage. L’épuisement les poussa à une tendresse surprenante que leurs bouches racontèrent en une série de baisers de plus en plus appuyés et délicats. Les yeux clos, goûtant avec caprice l’essence de l’autre, ils restèrent encore lèvres scellées un long moment, se refusant à retourner dans la réalité. S’accrochant encore l’un à l’autre dans un secret qu’ils ne semblaient pas décidés à ébruiter, ils laissèrent le silence les envelopper au point tel que seul l’égouttement des cheveux de la jeune femme résonnait dans la pièce.  Jane caressa doucement la mâchoire de Severus, s’écartant pour rompre délicatement le baiser, alors que son pouce traçait encore les contours de sa lèvre inférieure. Le Sorcier embrassa légèrement la chair qui lui était offerte, fermant un instant les yeux, avant de les rouvrir avec appréhension pour croiser son regard et capturer quelques bribes de ses pensées.

Les yeux habituellement verts clairs de Jane lui renvoyaient quelque chose d’à jamais éteint, et cela l’obligeât à rompre le contact visuel.

« Essayez de vous détendre, murmura-t-il d’une voix rauque. Vous avez besoin de repos. »

Jane ne répondit pas, sa main glissant à nouveau sur son bras, laissant un sillon d’eau perler sur sa Marque.

« Vous n’irez pas ? Même s’il vous le demandait, vous n’y retournerez pas, n’est-ce pas ?

— Ça serait suicidaire et Albus ne me demanderait jamais une telle chose.

— Mais même si c’était le cas, vous n’irez pas ? Promettez-moi ! »

L’espion ouvrit légèrement la bouche, comprenant la peur qui commençait à l’étreindre et il se rapprocha doucement d’elle alors qu’elle commençait déjà à frissonner de froid à rester hors de l’eau. Il glissa sa main sous sa nuque et frôla à nouveau ses lèvres.

« Vous avez ma parole, je ne mourrai pas ce soir. »

 

 

 

Le présent

Remerciements spéciaux : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer et ChocoFrog pour leur soutien sur Tipee ! Merci à ChocoFrog pour ses retours rapides sur l’avant-première de ce chapitre, ça m’a permis de corriger quelques coquilles ! Merci à Leithian qui vient de nous rejoindre sur le projet Tipee !

 


Chapitre 47 : Le présent

 

Noël était la période que détestait le plus Joseph Abernathy. Parce que c’était un moment de bruit, mais aussi parce que la boutique de balais où il triait tous les jours le courrier était généralement bondée. Des gens pauvres qui se pressaient à la vitrine pour admirer les dernières sorties sans jamais pouvoir se les payer aux riches qui passaient commande en personne – ou par courrier, sans considération aucune pour le personnel ; tous l’écœuraient. Ajoutez à cela qu’il devait donc recevoir les commandes, les préparer puis s’atteler à envoyer les vœux aux clients les plus fidèles, et vous obtenez des journées chargées, passées à monter et descendre les escaliers menant à la volière. Des journées où la fiente se disputait la primauté à la cire pour cacheter les enveloppes, à la ficelle pour emballer ces fichus engins de malheur et au sucre que déposaient les doigts sales et collants des gamins sans aucune éducation. Depuis quelque temps, ses soirées et ses nuits étaient peuplées de morts, de courses-poursuites avec la Brigade, de tags et de rires sinistres. Il s’amaigrissait à vue d’œil, lui dont Rowle disait souvent que s’il perdait encore du poids, on allait bientôt le confondre avec un des Nimbus de la vitrine… Il s’amaigrissait et s’aigrissait, son teint déjà blafard devenant peu à peu grisâtre et sa bouche apprenant à se tordre d’un terrible sourire. Il endurait ses pénibles journées de labeur en serrant les dents, se vengeant chaque soir, chaque nuit dans un graph, dans un Doloris – qu’il apprenait à lancer avec une grande application. Il endurait son existence en ayant l’impression de renaître dans les ténèbres, galvanisé par la sensation de la Magie Noire coulant dans ses veines. Bien que folle et terriblement inquiétante, Bellatrix était pour lui comme une sorte de libératrice. Quant au Seigneur des Ténèbres qu’il n’avait encore jamais vu, Abernathy apprenait doucement à le respecter, s’imaginant un être puissant et plein d’une sagesse qui lui était inaccessible.

En emballant la superbe nouveauté du fabricant, Joseph repensa avec plaisir à son épreuve réussie. Comme souvent, il s’échappait de sa réalité en se remémorant des passages clefs de son initiation nocturne, enjolivant parfois les événements, goûtant le pouvoir qu’il avait dans ces instants. Sur la portée de Mangemorts potentiels dont il était issu, ils n’étaient que deux à être encore en vie. Bellatrix avait condamné l’un des fuyards, et les autres s’étaient fait tuer lors de l’intervention de la Brigade. C’était sur ce pleutre que Lestrange les faisait s’exercer. En laçant machinalement le paquet, ne prenant même pas garde de ne pas froisser le papier velouté, Joseph fronça les sourcils en se disant qu’il faudrait bientôt changer de support, car leur victime était en train de mourir. Peut-être devrait-il lui-même aller en chasser une ? Peut-être était-ce ce qu’attendait Bellatrix ? Il coula lentement de la cire sur le cordon de soie tressé d’or, une cire dorée également dans laquelle il plongea un sceau aux armoiries de la boutique. Ce genre d’emballage était réservé à l’élite de l’élite et le simple fait de se plier à cette distinction exaspérait au plus haut point le Sorcier. Il tenta de se replonger dans sa réflexion, fuyant ce monde au service de ceux qui étaient nés « dans le bon chaudron » comme son père disait. Il réfléchit intensément à ce qu’il pouvait bien apporter de nouveau à Bellatrix. Si chaque soir il prenait soin de faire quelque chose qui la satisfaisait, il pressentait qu’elle se lasserait néanmoins s’il ne se montrait pas à la hauteur. Sensible à sa soumission, Bellatrix était très vite devenue agréable avec lui. Mais peut-être était-ce dû à son récit de ce qui s’était passé dans la ruelle, lors de sa première nuit ?

Il attrapa le papier sur lequel étaient notées les références du client et s’empara d’un superbe morceau de vélin épais et d’une plume taillée fraîchement. Peut-être qu’en réitérant un tel exploit sous ses yeux… ? Apporter du nouveau matériel et montrer sa progression sur l’ancien… ? Il se coupa avec le papier, ce qui le ramena brutalement dans sa réalité. Celle où il saignait à présent abondamment sur le bon de commande, où quelque chose d’aussi inepte qu’une adresse d’envoi pouvait le blesser. Il porta instinctivement son doigt à sa bouche, moins pour goûter à son propre sang que pour tenter d’éviter une catastrophe avec le colis. Il se moquait peut-être d’emballer correctement le balai, mais il préférait encore éviter de répandre son sang dans toute l’Angleterre… Surtout quand on sait ce qu’une personne mal intentionnée peut en faire. Sa colère monta d’un cran, et il essuya le bon avec aigreur, insultant mentalement ces gosses de riches qui se faisaient offrir des artefacts valant plus d’une année de son salaire.

Il coula un regard haineux au papier, quand il arrêta soudain de respirer. Son cœur cogna si durement dans sa poitrine qu’il gémit légèrement. Ne croyant pas ce qu’il avait sous les yeux, il relut à plusieurs reprises les mots griffonnés à la hâte par Rowle qui avait dû trembler d’excitation en prenant la commande.

Enfin, il partit à rire, d’un rire joyeux que personne n’entendait jamais chez lui. Lui aussi avait un très beau cadeau de Noël…

 

 

***

 

Colin repoussa son assiette avec une certaine satisfaction. Le repas avait été proprement délicieux et tout à fait bienvenu après autant d’émotions. Décidé sur le pouce, le menu les avait régalés. Ils avaient mangé des hamburgers maison – véritable première pour Severus – servis sur du pain de brasserie avec un mélange de patates douces et de haricots verts cuisinés au beurre français. Ne s’intéressant nullement aux protestations de sa compagne, Colin avait débouché une excellente bouteille de rouge, et à présent que les palais se faisaient aussi rêveurs que les estomacs, il hésitait à proposer un digestif avant le dessert. La bonne humeur s’était réinstallée doucement au sein de la petite famille, non pas en guise de voilage mortuaire, mais bien une véritable complicité saine et naturelle. Élise terminait de manger en silence son burger, concentrée sur ses gestes précis et sophistiqués qui lui permettaient d’utiliser un couteau et une fourchette, sous l’œil fasciné d’un Severus qui découvrait certaines conventions bourgeoises. Jane se leva en commençant à débarrasser, jetant des regards appuyés à son comparse.

« Vous êtes si pressés que cela ? demanda sa mère.

— Oui, plutôt. Je t’ai dit que nous étions attendus ce soir, et il faut encore faire la route en sens inverse…

— C’est quoi ton truc à l’école ? coupa Colin en se levant pour l’aider.

— Laissez, intervint Severus. Nous nous en chargeons. »

Jane arqua un sourcil en le voyant jouer les gendres parfaits, mais comprit où il voulait en venir lorsque ses parents échangèrent un énième regard de connivence à leur sujet. Seulement la manœuvre ne prit pas, et sa mère relança :

« Jane, il me semble que tu connais nos secrets… Quand est-ce que tu te décideras à partager les tiens ?

— Ah ! Maman, ça n’a rien de secret… L’année dernière j’ai pu échapper au Noël traditionnel de l’école, mais pas cette année, c’est tout…

— Mais je croyais que c’était des enfants de stars, n’ont-ils justement pas des Noël « de stars » ?

— C’est…, commença Jane en faisant la moue. C’est moins rose que tu ne le crois… Tu sais, beaucoup sont des fils et filles d’acteurs, chanteurs, politiques… Bref des gens qui bougent beaucoup en fait. Qui bossent aussi les soirs de Noël, et ce genre de choses. Tous ne sont pas coincés à l’école, mais on en a quelques-uns. Ça fait partie du service de l’école, en gros.

— Du devoir, en réalité, corrigea Severus avec sérieux. L’équipe enseignante qui encadre l’événement tourne d’une année sur l’autre. Seul notre Directeur et la Sous-Directrice sont systématiquement présents.

— C’est… triste, commenta Colin en les aidant à empiler les assiettes pour qu’ils débarrassent. Pauvres gosses.

— Non, pas « pauvres », justement, ‘pa. Mais ça va, c’est pas la mer à boire. J’en aime bien certains pour ma part, alors ça ira. Non, celui qui râle le plus, c’est Severus…

— Vous n’aimez pas les enfants, Severus ?

— Non, répondit-il franchement.

— Pourquoi enseigner, alors ?

— Parce que c’est bien payé, que je suis nourri, logé et blanchi. Que cela me permet de continuer à explorer un domaine qui me plaît et puis… j’ai de bons collègues.

— Ah ! Je veux bien le croire, s’amusa Colin en faisant rougir Jane jusqu’aux oreilles. Mais vous comptez faire ça toute votre vie ? »

Jane s’éclipsa pour porter les assiettes, et un instant, Severus se sentit stupide avec la plaque d’ardoise qui avait servi de plat de présentation entre les mains. Ses longs doigts en tapotaient les arrêtes, tandis qu’il haussait les épaules et finit par répondre :

« Non. Non, je pense que si je survis à la fin de la scolarité d’une des plus grosses têtes, je prends ma retraite…

— Une terreur ?

— Vous n’avez pas idée.

— Et vous feriez quoi, du coup ? Vous avez des projets précis ? »

Dans la cuisine, on entendit les assiettes se percuter, et Jane marmonner dans sa barbe. Severus eut un petit sourire en coin et décida d’empiler sur sa plaque la corbeille de pain et la bouteille de vin.

« Je crois que vous mettez votre fille très mal à l’aise.

— Pourquoi ça ? s’amusa Colin. Vos projets ne la concernent pas à ma connaissance… »

Avant même que Severus ne puisse répondre, Jane revint d’un pas légèrement raide :

« Bon, elle vient cette vaisselle ? On doit servir le dessert, le café, et après on a encore de la route. »

Severus et Colin échangèrent un regard entre hommes que ni Élise, ni Jane ne perçurent et le Sorcier inclina la tête en s’excusant pour rapporter les affaires. Restés à table, Élise proposa à son compagnon de prendre la suite sur le canapé. Dans la cuisine, Jane commença à sortir les glaces et les coupelles, tandis que Severus l’observait d’un œil critique. La Moldue évitait ostensiblement de croiser son regard et il finit par poser silencieusement la main sur la sienne pour l’inviter à le regarder. Jane joua le jeu, le laissant fouiller dans son esprit. Il ne l’avait jamais fait aussi directement. Et au lieu de percevoir une idée, une image, comme il en glanait quand il survolait légèrement ses pensées, il se retrouva dans un maelstrom aussi dense que la chevelure de sa propriétaire. En un mot : ses pensées n’avaient rien d’ordonné. L’esprit était pareil à un fleuve dans lequel de nombreux poissons, crustacés et courants s’entremêlaient. Mais pour certains caractères, il pouvait ressembler à une bibliothèque propre et rangée, ou à un champ de bataille et d’autres encore, à une sorte de marché où tout le monde hurlait des idées – ça, c’était plutôt les esprits créatifs. Severus évitait de se plonger dans les têtes de certains de ses élèves précisément pour éviter de se retrouver épuisé par leur imaginaire. Il n’avait, ainsi, jamais osé pénétrer l’esprit très probablement dérangé de Luna Lovegood. Celui de Jane ressemblait à un bal où les idées et les souvenirs dansaient et se mêlaient les uns aux autres dans un fragile équilibre. Mais l’ensemble donnait le tournis, elle était de ce type de personnes à penser à plusieurs choses en même temps, et c’était désagréable. Il put néanmoins extraire, au milieu de son questionnement sur le fait qu’elle allait lui mettre à nouveau des étoiles vertes en amande sur sa glace, non loin de son inquiétude quant au fait qu’ils avaient encore une soirée au Terrier ; il put trouver, coincé à côté de ses doutes récents quant à sa place un sentiment. Severus écarquilla les yeux, avant de sourire d’un air goguenard.

« Vous êtes d’un compliqué, murmura-t-il…

— Parlez pour vous, qu’est-ce que vous avez vu ? Pas votre cadeau, j’espère…

— Vous m’avez fait un cadeau, comme c’est mignon… Oui, pour répondre à l’une de vos questions, j’aime bien les étoiles vertes, cela relève le goût de la glace.

— Woaw, c’est dingue, vous avez vu quoi d’autre ?

— Hmm, vous trouvez que j’ai les mains douces. »

Jane manqua d’en faire tomber la boule de glace qu’elle raclait péniblement. Elle le regarda, écarlate, alors qu’il s’amusa à se placer derrière elle pour l’accompagner dans son geste et lui permettre de former une sphère crémeuse parfaite.

« S’ils débarquent dans la cuisine, on est mal…, murmura-t-elle.

— Ça serait très amusant de vous voir bredouiller, au contraire, lui glissa-t-il dans l’oreille. Non, ce que j’ai vu c’est votre dilemme.

— Mon dilemme ? Merci, ajouta-t-elle alors qu’ils formaient une boule parfaite qu’ils mirent ensemble dans la coupelle. Ça ira, Severus, je n’ai pas l’intention de faire un remake de Ghost

— Vous n’arrivez pas à vous décider entre profiter de ce moment, au risque d’être déçue par la suite, ou rester en retrait pour protéger vos émotions, lui répondit-il en s’écartant. »

Il pivota pour chercher les étoiles, lui laissant tout le loisir de méditer sur ce qu’il venait de dire. Elle se racla la gorge, manifestement agacée.

« Vous voyez tout en moi, c’est ça ?

— Non, je sais vous laisser vos secrets. Mais vous m’avez autorisé à comprendre votre énervement de tout à l’heure.

— Vous n’allez pas juger ma retenue, quand même. Pas vous.

— Non, certainement pas. Je crois que vous êtes prudente, et c’est une bonne chose. Vous ne l’êtes décidément pas assez avec moi. »

Jane piqua une cuillère dans chaque coupelle, avant de les poser sur le plateau, puis, elle releva la tête et observa le Sorcier à travers une mèche. Elle haussa les épaules et lui tendit le plateau.

« C’est… C’est comme ça. Je ne pense pas qu’on puisse se protéger de tout.

— Je ne pense pas non plus, répondit-il après un instant de réflexion.

— … Je vais essayer de me détendre, j’ai compris.

Dites ? On mange toujours de la glace, ou vous avez décidé de la briser ? cria Colin depuis le salon. »

Jane leva les yeux au ciel en souriant en coin avant de pousser Severus hors de la cuisine. Ils arrivèrent près des parents qui s’étaient installés l’un contre l’autre, Colin entourant de ses bras sa compagne. Ils disposèrent les coupelles et commencèrent à manger dans un silence que seuls les tintements des cuillères contre le cristal rompirent.

« Mais du coup… demanda soudain Jane pour détourner l’attention. Vous pouvez vous marier, maintenant ! Vous allez le faire ? »

Colin et Élisabeth se regardèrent un instant, menant une conversation muette. Après un moment de silence, ils se tournèrent vers leurs invités en haussant les épaules.

« Pourquoi pas… ? répondit lentement Élise. Cela serait l’occasion de se revoir tous et de faire une grande fête.

— Mais… Ce n’est plus à notre tour, compléta Colin d’un air entendu.

— Au contraire contra Jane en grimaçant sous le froid de la glace qui lui vrilla le crâne. N’ayant pas l’intention de me marier, de sitôt, ou… tout court, en fait… S’il doit y avoir une soirée, ça serait la vôtre.

— C’est fou ça, déjà petite elle se fichait des mariages ! Ah ! Romantique, ça oui… mais elle n’a jamais eu sa période « robe de princesse », même quand je lui ai montré le mariage de notre regrettée Diana…, ajouta Élise en regardant Severus avec espoir.

— Le mariage est un dénouement ennuyeux qui a si peu d’intérêt qu’on le narre rarement. Ce qui compte, c’est la rencontre, l’inimitié, les péripéties et jalousies, répliqua Severus. Personne ne s’enquiert de savoir si le mariage entre Darcy et Bennet fonctionne, ni ce que la Miss pouvait porter, d’ailleurs.

— Par contre, on narre chacune de leurs apparitions aux soirées. Cela, parce qu’ils y arrivent à l’heure, compléta Jane la coupelle vide et fixant son ami.

— C’est vrai, vous avez de la route… soupira Colin. Mais c’était déjà fantastique de vous voir. »

La mère et la fille se regardaient, la plus jeune faisant les gros yeux d’une jeunette ne désirant surtout pas revenir sur une discussion qui lui déplaisait. Élise semblait très amusée, quant à elle, de sa gêne. Mais quand ils se levèrent et retournèrent à l’ascenseur, la mère avait le regard légèrement embué de larmes. Elle étreignit tendrement sa fille, l’embrassant sur les deux joues avec force.

« Je t’ai déjà envoyé tes cadeaux à l’adresse que m’a donnée Diane… Ne me regarde pas comme ça, je l’ai menacée. J’étais contente qu’il y ait au moins un endroit où t’écrire, mais si tout ceci…

— Je sais. Je t’ai promis, je tiendrai ma promesse. Quand mon contrat sera terminé, je pourrai tout t’expliquer.

— Faites bonne route, surtout, soyez prudents. Severus…, ajouta Colin. Vous…

— Oui, je prendrai soin d’elle, coupa le Sorcier avec assurance.

Non, pouffa le père. Elle est assez grande pour prendre soin d’elle-même. Je voulais vous dire que vous serez toujours le bienvenu ici. »

Ils se saluèrent et se séparèrent avant l’ascenseur, aucun d’eux n’ayant le cœur à faire les embrassades sur le trottoir. Cela laissa à Jane et Severus tout le loisir de se taire dans la cage, avant de rejoindre l’extérieur. Il faisait toujours un temps minable et froid, et le contraste tira un frisson à la jeune femme qui serra inutilement son col sur son cou.

« Vous voulez que je vous dépose directement ?

— Où ? Ah non ! Non, il est encore tôt en fin de compte et je dois fermer l’électricité et le gaz à l’appart’, et retourner à l’école chercher les cadeaux et me préparer et…

— J’ai compris. Nous allons tout sécuriser, et je vous ramène là-bas, acquiesça-t-il en se dirigeant vers la ruelle où ils transplanaient.

— Vous venez bien ce soir, hein ? » Lui demanda-t-elle anxieuse.

En guise de réponse il leva les yeux au ciel et l’enlaça pour le sortilège. Elle était décidément trop stressée. Fort heureusement, sa terreur systématique et les nausées qui allaient avec lors de ce transfert se chargèrent d’effacer rapidement ce sentiment pour ne laisser que la béatitude d’être arrivée entière à Poudlard.

***

Elle en avait organisé des soirées, des repas de famille, des réunions extraordinaires… Mais un tel repas de Noël ? Jamais. Plusieurs décennies à la tête de la famille Weasley – car qui d’autre que Molly dirigeait réellement cette troupe ? lui permirent de ne pas craquer quand les livreurs se trompèrent et lui amenèrent non pas un chevreau, mais un cochon de lait. Ces mêmes années d’expérience l’empêchèrent de renier publiquement Fred et George quand une de leurs décorations magiques explosa dans le salon en répandant une quantité de paillettes musicales multicolores. En ce 24 décembre où elle recevait pour la première fois autant de monde chez elle, Molly Weasley courait dans tous les sens pour rattraper les catastrophes qui survenaient, imprévus, cassures et autres détonations diverses. Elle gérait le repas, la décoration, le coiffage de Giny – une tradition à laquelle elle ne voulait certainement pas déroger, le brassage des vins cuits, l’emballage des cadeaux… Essoufflée, épuisée, le visage rendu écarlate par l’effort et le front perlant de sueur, la matriarche se croisa un instant dans le reflet de l’horloge magique de la maison et soupira de défaitisme. Ah ! Elle pariait que Narcissa Malefoy était capable de tout gérer sans même transpirer un centième…

« Sans doute parce qu’elle a des elfes à son service… » Marmonna Molly et redressant le panier de pommes sur sa hanche ! « Aller, hauts les cœurs ! »

Sirius avait bien entendu proposé de lui allouer du personnel pour l’aider, mais la rousse avait décliné, déjà bien gênée qu’il participât autant aux frais. « Il faut bien que je paie pour les caprices d’Harry ! » avait-il expliqué. Mais pour autant que Molly se surprenne du choix des invités, il n’était pas question de profiter excessivement de la générosité de Lord Black. C’était déjà si gênant, parfois, d’être dans le besoin… Elle chassa cette pensée qui l’assaillait de plus en plus à mesure que sa maison se vidait. Jadis, leur précarité ne la dérangeait pas, tant qu’elle était encore riche des rires de ses enfants. Mais avec le départ de Fred et George… Elle secoua la tête, préférant se concentrer une nouvelle fois sur son plan de table.

Harry avait vu les choses en grand, en vraiment très grand. Comme paniqué à l’idée que cela soit son dernier Noël en famille, il avait invité près d’une vingtaine de personnes. Ainsi, la famille Weasley presque au complet était présente. Ce qui incluait à son déplaisir Fleur qui était fiancée à son petit Bill. Neville et sa grand-mère venaient, naturellement Harry et Sirius, Hermione, mais également Luna et son père, Albus Dumbledore devait partager avec eux un vin – bien que Molly doutât qu’il ait réellement l’opportunité de se déplacer – Rémus et Tonks comptaient se retrouver. Plus surprenant encore, Jane Smith et Severus Snape étaient conviés, Fol’Oeil ayant décliné en grognant que Noël était une fête trop futile pour lui. Que l’ancien Auror refuse n’avait rien d’exceptionnel, que l’ancien Mangemort vienne était inédit… Peut-être Snape avait-il tout simplement envie de sortir de l’école… ?

Avec ce beau monde, il était hors de question de tenir le repas dans le salon, ni même de se passer d’un banquet. Peut-être Molly voyait-elle, elle aussi, les choses en grand ? Ce n’était certainement pas ses invités qui diraient le contraire… La tente magique qui avait été ajoutée au Terrier, était devenue une salle de réception somptueuse qui n’avait rien à envier à celle des Black ou peut-être même des Malefoy.  Satisfaite, Molly sourit en observant l’endroit, heureuse d’avoir l’occasion de se faire autant plaisir. Le petit carillon de l’entrée interrompit le fil de ses pensées, et elle se précipita vers les arrivants avec joie. Dans l’entrée, portant leurs valises et leur bonne humeur, la petite troupe de jeunes gens déboulait dans la cuisine qui rapetissait à vue d’œil. Molly les embrassa un à un, une immense joie propre à Noël étreignant son cœur.

« Doucement, doucement, maman ! rit Sirius en fermant la marche. Ils vont étouffer.

— Oh, toi ! Arrête de m’appeler comme ça, hein ! s’amusa-t-elle. L’amour n’a jamais tué ! Oh, Ron ! Oh Ginny ! Vous m’avez tellement manqué ! Neville, Luna, Hermione, Harry ! Vous aussi mes chéris je suis contente de vous voir !

— Merci, Madame Weasley de nous recevoir, salua très poliment Luna.

— Oui, merci de vous être donné autant de peine, Madame Weasley, ajouta Harry.

— C’est normal, mon chéri ! Tu devrais remercier ton Parrain plutôt pour…

— Non, Molly, coupa Sirius très rapidement. Est-ce qu’il reste des choses à faire ou à casser ?

— Non, normalement…

— Maman ? demanda Ginny. On monte et puis tu nous rejoins avec les filles pour qu’on se coiffe ?

— Oui, pas de souci ma…

— Hey, maman ! Maman ! coupa Ron. Tu devineras JAMAIS comment Harry et Luna sont arrivés à la gare, c’était ouf !

— Ah bon, comment… ?

Rien, Madame Weasley, il est fatigué du trajet.

— Pas du tout, je…

— Madame Weasley, je peux monter avec les chaussures ? demanda Neville. »

Molly tournait la tête à chaque sollicitation, à la fois en souriant et en sentant la fatigue l’étreindre. Mais c’était une sorte d’épuisement qu’elle adorait ressentir. Chaque gamin posait une question, et où est-ce qu’on mettait ceci ? Qui voulait boire quoi ? Qu’est-ce qu’on mangeait le soir…

« Calmez-vous, tous ! Soyez un peu autonomes et laissez-la aller se laver et se préparer, je peux très bien vous aider ! »

Les jeunes observèrent Sirius qui tentait de maintenir un masque d’adulte responsable en place avec un peu de suspicion. Ginny fronça les sourcils.

« Sirius, c’est pas qu’on veut pas de toi, mais c’est maman qui me coiffe d’ordinaire, et…

— Et c’est Ginny qui me harcèle pour que je dompte ma crinière, ajouta Hermione.

— Ce qui n’est pas nécessaire, souffla un Ron bien inspiré.

— De toute façon, Lord Black, vous devriez respecter la tradition et vous occuper de ceux de votre caste…, termina Luna d’un air amusé.

— Oui…, enfin ça c’est d’un sexisme… »

Pendant qu’Hermione s’agaçait et que Ginny expliquait qu’elle voulait bien être progressiste, mais pas aux dépens de sa coiffure, pendant que Molly levait les yeux au ciel en pensant au débat improvisé, Sirius se tourna donc vers son filleul et ses amis d’un air pataud…

« Bon, je suppose donc que ça va être entre nous, alors… J’ai nos tenues, si jamais cela t’inquiète, Harry.

— Oh, ça non ! Tu es si coquet qu’il est impensable que tu n’aies pas prévu le coup.

— Mais, heu… Molly et moi sommes les seuls adultes, ici ?

— Mon père doit être probablement au Ministère, encore, expliqua Ron. J’espère qu’il sera libéré tôt cette année… Parfois, ses supérieurs le faisaient travailler jusqu’à tard pour lui rappeler son importance…

— Une chance que Malefoy soit Ministre de la Magie et pas du Département où…

— Bah, laisse donc tomber ces histoires Neville, coupa Ron. Il viendra bien. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire un tour à la tente voir ce qu’il y a avant de s’habiller ?

— Négatif, Monsieur Weasley ! trancha Sirius. Nous nous devons d’être à la hauteur du travail de Madame votre Mère.

— Dis plutôt que tu as hâte de parader dans ton nouveau costume, glissa Harry. »

Sirius prit un air offusqué qui ne trompa personne et les accompagna pour retrouver la chambre de Ron. Que cela soit la chambre de Ginny ou celle du dernier des fils Weasley, cela gloussait dans tous les sens, sentait le parfum et les produits cosmétiques. L’ambiance était à la coquetterie joyeuse, mais Noël était toujours l’occasion de se faire le plus beau…

Ou la plus belle.

« C’est une jolie tentative, je le reconnais, mais si tu crois qu’un chignon bouclé se fait avec des boucles naturelles, ma cocotte…

— Oh, la ferme ! »

Une fois de plus, Jane se disputait avec son double en s’habillant. Cela faisait plus d’un an et demi déjà qu’elle endurait ces miroirs magiques et elle n’arrivait toujours pas à les supporter. Elle se demandait fréquemment si c’était le sien qui était particulier, si c’était lié à son caractère, ou si tout le monde… Elle pouffa, s’imaginant celui de Severus.

« Oh, mais vas-y, rigole ! Anticipe donc leur réaction. Je te dis qu’un chignon bouclé ne se…

— Vas-tu te taire ?! »

Avant même que son reflet ne réplique, on frappa à la porte. Mince, était-elle tant que ça en retard ?

« Tu devrais faire la morte, tu n’as vraiment pas envie qu’il te voie… »

Jane ne répondit pas et ouvrit directement la porte pour dévoiler son ami. Elle s’attendait à une mine lugubre de l’homme coincé à une soirée avec Harry Potter et Sirius Black, mais au lieu de cela, il semblait plutôt détendu. À dire vrai, il semblait presque normal, si ce n’est…

« Wow, vous êtes superbe comme ça ! »

L’espion arqua un sourcil et esquissa un sourire en entrant lentement dans la pièce, portant son manteau au bras. Vêtu de noir, comme s’il n’existait définitivement aucune autre teinte au monde, il portait néanmoins une redingote qu’elle ne lui connaissait pas, doublée de velours et aux boutons d’argent. L’ouvrage était particulièrement sobre, mais témoignait d’un véritable savoir-faire. Si l’on exceptait la fois où elle lui avait acheté des vêtements, elle n’avait jamais vu Severus habillé d’une façon si seyante.

« Cela devient gênant, Jane.

— Que voulez-vous, c’est votre charme qui opère ! répliqua-t-elle sans se départir de son rougissement.

— Pouvez-vous vous habiller au moins ? C’est bien une robe de chambre que vous portez, rassurez-moi ? »

Elle lui fit une grimace tant sa remarque lui semblait ridicule et repartit dans sa chambre se battre avec son miroir et ses affaires. Il patienta en s’amusant à agacer Merlin qui se prélassait devant l’âtre, levant l’oreille de temps à autre en entendant Jane insulter copieusement l’artefact. Avec le temps, la Moldue avait ajouté à son répertoire un certain nombre d’insultes typiquement Sorcières qui auraient fait rougir de honte le plus vulgaire des habitués de la Tête du Sanglier.

« Laissez tomber la coiffure, Jane ! cria-t-il en grattant le ventre que lui présentait Merlin. De toute façon, vous êtes mieux les cheveux libres, ajouta l’homme à l’adresse du chat. N’est-ce pas ? »

Le félin se moquait éperdument de la question, se tortillant de plaisir devant les doigts agiles de l’ancien Maître des Potions. Qui se fichait d’une coiffure d’humaine quand on avait le plaisir d’être ainsi cajolé ? Elle sembla capituler cependant, car elle ressortit plutôt rapidement de sa chambre, fixant Severus avec crainte. Avant même de se retourner, l’homme soupira d’aise et se releva.

« Bien, enfin ! Je n’ai pas envie qu’on soit les derniers, ça ne ferait que mettre l’emphase sur nos déplacements conjoints et…

— Est-ce que je vous plais ? »

Jane avait bredouillé ça si faiblement qu’il crut avoir rêvé. Il se retourna lentement, lui laissant l’occasion de le conforter. Elle portait une élégante robe style Empire dans un satin pourpre, brodée d’une dentelle noire piquée de perles de la même couleur. Les nombreux volants légers, la délicatesse de l’ouvrage et le miroitement des perles grâce aux flammes du feu de cheminée lui donnaient l’air d’une héroïne de vieux romans. Ses épais cheveux bouclés étaient détachés, seules quelques perles noires et rouges étincelaient près de ses tempes, et il comprit immédiatement qu’elle essayait de reproduire plus ou moins une coiffure du début du siècle. Mais que cela soit possible avec ses cheveux, ou totalement irréalisable, il ne se posa à aucun moment la question. Il cligna lentement des yeux, hochant la tête en silence, avant de répondre :

« … Plaît-il ?

— … Est-ce que ça va ? Je veux dire, ma tenue, et heu…

— Vous nous mettrez en retard avec vos questions stupides un autre soir, Jane… Votre paquetage est où ?

— … Mes cadeaux ? mit-elle du temps à comprendre en accusant le coup. Attendez, sous mon bureau. »

Elle se pencha délicatement, soucieuse de ne pas déchirer ce voilage fragile, et lui présenta un, puis deux, puis bientôt un certain nombre de présents. Il écarquilla les yeux.

« Par Merlin, mais vous vous êtes ruinée ?!

— J’ai… J’ai effectivement demandé une avance à Albus, mais… Mais il fallait bien ça ! Je sais que c’est pas votre genre, mais c’est le mien.

— Pas étonnant que vous soyez célibataire, marmonna-t-il malicieux.

— Aucun rapport. C’est mon argent, j’en fais ce que je veux. Chez nous, les femmes…

— Chez nous, elles arrivent à l’heure à une soirée où elles sont conviées et pour laquelle elles se sont joliment préparées ! »

Le compliment lui coupa la chique, et il en profita pour miniaturiser les cadeaux et les faire glisser dans la petite pochette à perles dont elle s’emparait. Il lui jeta un regard critique, alors qu’elle s’apprêtait à sortir les épaules pratiquement nues, et prit rapidement le plaid dans lequel elle s’enroulait quand il venait lire avec elle sur le canapé, et le métamorphosa en un simple et très ample manteau noir.

« J’espère que nous ne serons pas les derniers, murmura-t-il réellement anxieux à cette simple idée.

— Si c’est le cas, j’espère qu’ils auront commencé à boire et que nous passerons inaperçus.

— Votre tenue est donc un élément de camouflage ? Très original toutes ces fanfreluches… »

Elle leva les yeux au ciel et ils sortirent jusque dans le parc, croisant les Aurors de garde, Minerva à qui ils souhaitèrent encore un Joyeux Noël – et beaucoup de courage ! et arrivèrent aux grilles où ils allaient pouvoir transplaner. Se pressant contre lui, Jane continuait néanmoins de froncer les sourcils.

« Tout va bien se passer.

— C’est à moi de vous rassurer, normalement. Vous allez vous en sortir avec Potter et Black ?

— Si vous arrivez à vous détendre et à arrêter de me prendre pour votre peluche, peut-être.

— Ça fait des années que je n’ai pas serré une peluche comme ça, Severus.

— Et les fabricants vous en remercient ! » Répliqua-t-il en les faisant disparaître.

Snape n’avait jamais trop aimé le Terrier. C’était moins l’architecture que l’ambiance qu’il y régnait qui l’agaçait. Les membres de la famille Weasley semblaient trop heureux pour qu’il supportât de rester près d’eux, et depuis qu’il était obligé de les fréquenter avec l’Ordre, il trouvait que le groupe entier dégoulinait de gentillesse, de joie de vivre… de ces trucs qui les rendaient bruyants et agités. Et la veille de Noël aggravait cela ! Ils n’étaient même pas entrés encore dans l’immense bâtisse que les rires et la musique provenant de la dépendance temporaire leur parvenaient, se mêlant aux délicieuses odeurs – il ne pouvait le nier – de nourriture, signe que Molly avait décidé de faire concurrence aux cuisines de Poudlard. Il pouvait très nettement percevoir le rire arrogant de Black, celui plus chaleureux de Molly, et les cris de joie d’une jeune fille… Granger ? Non, trop hystérique. Lovegood ? Non, trop régulier… Alors la petite Weasley, sans doute ? Mais pourquoi cette cacophonie ?! Alors que Jane lui tenait toujours le bras et fixait un point précis en attendant que son oreille interne se stabilise, il vit un sourire heureux naître lentement sur son visage. Son irritabilité baissa légèrement.

« Je crois que ça se passe derrière.

— C’est dingue le monde qu’il semble y avoir ! On va être combien ? souffla Jane ébahie.

— Trop. »

Ils entrèrent et trouvèrent effectivement la maison vide, toutes les portes étaient ouvertes pour permettre le passage entre le chapiteau et la cuisine ou les toilettes avec facilité. Par réflexe, l’espion jeta un œil en direction de l’âtre et y vit un chaudron dont il capta quelques essences de cannelle et de girofle. Ils se dirigèrent donc en direction des rires et traversèrent le salon dont la porte qui menait habituellement au jardin en friche ouvrait sur le chapiteau blanc où étaient réunis les convives. Les sons, la chaleur, et les odeurs diverses explosèrent à leurs sens tandis que l’un et l’autre affichaient des expressions diamétralement opposées. Si Jane souriait d’une joie totale, Severus faisait, semblait-il, son possible pour faire comprendre qu’il détestait sa propre existence.

La nouvelle pièce était proprement magique, le blanc des tentures mettait en valeur les formidables guirlandes des jumeaux Weasley. Des guirlandes multicolores qui tintaient et faisaient de temps à autre exploser quelques paillettes musicales et merveilleuses. Molly avait couplé à ces décorations des branches de houx perlées de fruits écarlates. L’immense sapin qui trônait au milieu de la pièce était ornementé des multiples boules peintes au fil des années par les enfants et les parents, des petits objets créés Noël après Noël, racontant la récente histoire de cette famille. Molly avait pris l’habitude de demander à Harry de participer et, sans surprise, on pouvait retrouver sa première décoration de sapin jamais créée : une sorte de vif d’or grossier en pâte à papier peint maladroitement en argent et dorures. Derrière le sapin, bordant le fond du chapiteau dans un « U » de tréteaux et de tables, l’incroyable buffet proposait odeurs et couleurs, formes et constructions exquises qui excitaient l’imaginaire, bien que l’apéritif qui commençait déjà à se servir satisfasse déjà les gourmandises. Que dire de ce menu tant Molly s’était démenée pour le réaliser, pour l’organiser et pour l’imaginer ? Si au départ elle avait semblé réticente à l’idée que Sirius prenne la charge financière de la nourriture, quand elle accepta de s’offrir cette carte blanche, elle ne le regretta plus. Ainsi, une série de plats présentés – des entrées aux desserts – dormait sous des charmes gardant chaleur et fraîcheur. Une table de roi s’offrait à leurs papilles.

Dans une grande soupière en terre cuite fumait un potage de courge brassé au lait d’amande. Tantôt sur des plaques de bois ou de pierre patientaient des tourtes aux champignons, poulet ou encore feuilles d’artichaut. Un pâté de gigot d’agneau trônait dans son pot, juste à côté de flacons de myrtilles confites, oignons glacés et confitures sucrées et amères pour l’accompagner. Un saladier mélangeait des plantes exclusivement sorcières connues pour aiguiser les sens, vieille tradition dans les anciennes cours où l’on aimait que les convives profitent de la moindre saveur. En pièces maîtresses, un chevreau de lait rôti nappé d’une sauce dorée reposait aux côtés d’un superbe poisson aux écailles d’un argent si vif qu’elles semblaient multicolores. Des champignons sautés dans des épices et une purée légère de lentilles complétaient le premier mets, tandis qu’une ribambelle de pommes confites dans du jus de citrouille parachevait les saveurs maritimes. Le côté droit était consacré aux desserts qui empruntaient au sucre et aux fruits toutes les saveurs opulentes et gourmandes que l’on pouvait trouver sur le marché Sorcier. Ainsi, une tarte à la mélasse se dressait à côté d’un pichet de limonade à la cerise, une grosse bûche glacée au nappage luisant et aux petits personnages animés répandait autour d’elle quelques volutes de froid, et enfin, une immense pièce montée de chocolat et de crème aux cristaux de sucre glace tentait de rivaliser avec la majesté du sapin. Bien entendu, pour accompagner tout ceci, de nombreuses boissons étaient servies par de petites dessertes enchantées qui déambulaient entre les convives. Proposant au choix des alcools et jus classiques à des bouteilles exquises et audacieuses empruntant davantage à l’art des potions qu’à celui de la cuisine. Les amuse-bouche quant à eux, étaient, de l’aveu même de l’hôtesse « de simples fondants salés et croustillants feuilletés de diverses inspirations ». En d’autres termes, la multitude des petits fours et la profusion de saveurs laissaient à penser aux invités qu’il était impossible de goûter deux fois la même chose au cours de la soirée. Les ventres étaient déjà pleins, et les papilles déjà alanguies par ces délices, mais aucun ne songeait à s’arrêter en si bon chemin tant il leur semblait à tous que la véritable magie tenait en cet instant précieux : un rare moment de perfection.

Par-dessus les conversations et les rires, se mariant à la perfection aux tintements des guirlandes, une série d’instruments enchantés diffusait une jolie mélodie enjouée qui poussait, parfois, les convives à remuer les jambes en rythme. Ces derniers étaient rassemblés en grappes, s’éclatant et se rejoignant au gré des conversations. Les plus jeunes s’étaient regroupés et étaient en train de regarder Ron faire une étrange imitation qui tira à Jane un léger ricanement. Molly discutait avec Sirius et Augusta Londubat, alors que Xenophilius s’intéressait au sapin de Noël en hochant de temps à autre la tête en observant les décorations. Bill et Fleur dansaient ensemble comme si personne d’autre n’existait, passant entre les groupes avec grâce. Severus marqua un temps d’hésitation, se demandant si le plus simple n’était pas de se diriger directement vers une desserte pour trouver quelque chose à avoir dans la main pour se donner bonne conscience, et il hoqueta en se rendant compte qu’il avait gardé le bras de Jane accroché au sien. Il se libéra rapidement, jetant un regard circulaire pour vérifier que personne n’avait rien remarqué et croisa l’expression légèrement triste de son amie. Il allait marmonner une tentative d’excuse quand, fidèle à son rôle, Harry Potter vint à le sauver :

« AH ! Ben ça tombe bien ! Professeur ? Hey ! Professeur Smith ?! Vous allez nous départager ! »

L’occasion était parfaite, Severus fit un pas en arrière, pivota et s’effaça pour attraper au vol la première coupe que lui tendait le charriot magique, laissant tout le loisir à Jane de prendre la place qu’il n’avait aucunement envie d’avoir dans leur petit manège.

« Appelez-moi Jane, ici, Harry… Nous sommes en privé. Et c’est à propos de quoi ?

—Il ne comprend pas qu’Anakin soit réellement l’Élu de la prophétie, expliqua Ron. »

Jane sourit un instant un brin gênée avant de comprendre de quoi il était question. Les gosses étaient toujours sur cette saga ! Elle avait beau leur avoir montré toute autre chose…

« C’est pourtant le cas, confirma-t-elle.

— Non, mais c’est pas logique : il détruit les Jedi et tout, ça n’a rien d’un élu, continua Harry.

— Bah… Les prophéties sont pas toujours positives, tu peux être l’élu d’une d’elles sans être un parangon de bonté, contra Neville en haussant les épaules.

— Totalement !

— D’autant qu’on ne connaît finalement pas le contenu de cette prophétie, en fait… releva Hermione avec justesse.

— Si ce n’est qu’il devait rééquilibrer la force, c’est ça ? essayait de suivre Ginny qui n’avait pas encore eu la chance de voir le film.

— Peu importe ! C’est pas logique ! Il n’équilibre rien : il trahit tout le monde et à la fin, certes, il sauve son fils et tout… Mais il n’a rien fait de bon, s’agaça Harry.

— Demandons à une spécialiste ! Vous en pensez quoi Pro… heu, Jane ?

— Je suis loin d’être une experte, Luna. Je pense que c’est surtout une affaire d’interprétation en fait… Pour moi, il est bien l’Élu et a bien accompli la prophétie : à la base, les Jedi étaient majoritaires en fin de compte… en les détruisant, et en permettant l’avènement des Siths, puis, en les détruisant à leur tour, il fait une table rase complète. Si on s’en tient stricto sensu à ces films…

— AH ! s’exclama triomphant, Ron. Tu vois ? Tu as du mal avec l’idée, parce que tu vois un lien entre Anakin et toi, mais en réalité, t’es plus dans la posture de Luke, mon pote… Quoi qu’heureusement que tu n’embrasses pas ta propre sœur…

— Comment ça « si on s’en tient à ces films », Professeur ?

— Jane. Appelez-moi Jane ce soir, Hermione. Eh bien… De nouveaux films sortent, pour commencer… Et puis il y a eu des livres, et des jeux… Et heu… De façon générale, l’univers étendu parle de plusieurs potentiels élus de cette prophétie, enfin… Tout ça est inutilement compliqué sans support, et même aujourd’hui ça fait débat au sein de la communauté.

— Moldue ?

— Ah-ah ! Non. De fans. Tous les Moldus n’aiment pas cette histoire, vous savez…

— Woaw, vous les connaissez tellement bien, s’ébahit Luna un brin rêveuse. »

Jane fronça les sourcils d’inquiétude en entendant ça, mais ils furent interrompus par le cri joyeux de Molly qui soulevait alors sa belle robe ample pour se fondre dans les bras de son mari. Monsieur Weasley, accompagné d’un Percy gêné à la démarche pataude entrait tout juste dans le chapiteau, sa serviette de travail encore à la main. Il écarquilla les yeux et sourit à son épouse avant d’échanger un des rares baisers qu’ils se donnaient en public, et les personnes les plus proches purent entendre le tendre compliment qu’il avait à lui donner sur sa toilette. Puis, Molly se tourna lentement vers Percy qui baissa les yeux de honte. Une certaine tension se propagea dans la tente, piquant même assez la curiosité malsaine de Severus pour qu’il se désintéresse de la composition d’un des breuvages. Tout le monde avait encore en tête l’attitude lamentable de Percy l’année précédente, sa défection à l’endroit de Dumbledore et Harry, mais surtout : son mépris affiché de son père et tous ses lettres immondes qu’il avait envoyées à Ron pour l’enjoindre à ne pas « se tromper de camp ». Harry jeta un œil en biais à Ron et Ginny et constata que le frère et la sœur semblaient bien plus en colère que Bill ou même Madame Weasley. Cette dernière secoua la tête et soupira, avant de prendre dans ses bras son fils et on l’entendit distinctement le remercier. Percy enfouit sa tête dans la chevelure flamboyante de sa mère, et Arthur opina quand il l’entendit lui demander pardon, puis il annonça qu’il comptait se rafraîchir avant de les rejoindre. Severus allait s’en retourner à son exploration et Jane à sa conversation quand un autre duo arriva, précédant le dernier couple. Fred et George déboulèrent en fanfare, somptueusement vêtus de costumes assortis blancs et or, et or et blanc.

« Mesdames et Messieurs, Gentilhommes et Gentes Dames, Fous, Animagus, Fonctionnaires, Repris de Justice et Repris de Justesse (Severus plissa des yeux quand George l’observa avec malice à cet instant), veuillez célébrer comme il se doit vos hôtes de marque !

— Merci à vous deux, s’amusa une voix douce derrière eux. Mais il n’est pas nécessaire d’en faire autant pour notre arrivée… »

Tonks ne put contenir son rire et Lupin adressa un clin d’œil à Sirius alors qu’il continuait de se moquer gentiment des jumeaux. Le chapiteau bruissa d’un éclat de rire général, et les comparses ne se laissèrent pas démonter, s’inclinant avec panache devant le couple, avant de leur jeter une poignée de paillettes argentées en les félicitant.

« Oh non, j’vais encore en avoir partout dans les cheveux, après ! » se plaignit Tonks qui arborait pour l’occasion une somptueuse chevelure de feu avec de grandes mèches argentées comme la lune.

Fred bomba le torse et sourit de plus belle, alors qu’il balançait une nouvelle poignée sur les cheveux déjà bien grisonnants de Rémus, qui devinrent soudain d’un blanc parfait.

« Et pas que dans les cheveux ! Félicitations ! Félicitations ! »

Le couple secoua d’un seul geste la tête, mais aucune paillette ne daigna bouger, promettant de rester en place pendant des heures, si ce n’est…

« Vous allez être si beaux comme ça, dans les jours à venir

— Ah-ah ! Ils sont merveilleux ces diables ! s’exclama Sirius en venant saluer son ami. On aurait bien eu besoin d’une telle imagination à l’époque.

— Oh, je sais pas Sirius. » Déclara doucement Rémus en jetant un regard gêné en direction de Severus qui retrouvait instinctivement sa vieille habitude de les épier. « Je ne suis pas certain qu’on en aurait fait bon usage… »

Avant que Sirius ne dise quelque chose de probablement stupide qui allait déclencher, à coup sûr, une dispute avec le Serpentard, Harry se précipita vers eux pour les saluer aussi. Il étreignit avec bonheur son ancien enseignant et sa compagne.

« Ça y est ?! Vous vous êtes mariés, alors ?!

— Oui, capitula Rémus un peu gêné. Nous ne voulions pas en parler, parce qu’avec ce que je fais c’est…

— La dernière chose à donner à vos ennemis. »

Brutalement, Snape était venu dans la conversation, les yeux brillants d’une colère froide fixée sur Rémus. Harry fronça les sourcils en ne comprenant pas quelle mouche pouvait bien le piquer, mais le lycanthrope qui anticipait bien les réactions des gens hocha doucement la tête.

« Comme souvent tu as entièrement raison Severus… Mais…

— Mais le danger que représentent les loups-garous n’est rien comparé à mon courroux, parce que je commençais très sérieusement à en avoir marre de lui courir après ! J’ai pas besoin d’être protégée, du reste, c’est moi qui ait le permis de tuer, ici… glissa Tonks en mettant mal à l’aise certains pour ce récent changement concernant les Aurors.

— Je n’ai pas remis en cause vos compétences, Miss Tonks. Vous faites une excellente guerrière, mais l’attention que l’on donne à ses proches est une attention qui nous fait prendre les pires risques.

— Et c’est pour ça que tu n’as personne, pour n’en prendre aucun ? se moqua Sirius venimeux qui n’aima pas que Snape gâche momentanément le bonheur de son ami.

— Sirius…, tenta Harry sans succès.

— Cela m’évite de faire prendre des risques insensés à des amis, comme celui d’en faire des meurtriers…, répliqua Snape d’un ton doucereux en faisant pâlir brusquement Sirius.

— Professeur…, essaya encore une fois Potter.

— Non, toi tu préfères te charger de ces choses toi-même.

— Sirius, arrête, c’est bon, se joignit Rémus.

— Je ne fuis pas mes responsabilités.

— T’as pas besoin, tu te planques dans les jupes de…

— C’est pas vrai ! Vous n’êtes même pas bourrés que vous vous battez déjà et faites chier tout le monde ! »

Si élégante fût-elle, Jane marchait à présent d’un pas agacé et d’une mine si décidée que d’autres injures allaient très probablement fuser.

« Allez dans le jardin, mettez-vous dessus une bonne fois pour toutes et lâchez-nous. Nous, on veut passer une belle soirée. Sans vos histoires de gamins. DE GAMINS, oui, Severus, je me fous de savoir qu’il a essayé de vous tuer et inversement, on en a tous marre ! Tonks et Rémus se marient s’ils veulent – d’ailleurs, félicitations tous les deux – ils sont grands, et ne se mettent pas plus en danger en faisant ça que nous en essayant d’avoir UN MOMENT de détente. Quant à Severus, s’énerva-t-elle en pointant un doigt accusateur en direction de Sirius. Il a des amis. À commencer par moi, parce que tout le monde n’a pas la flemme d’aller chercher ce qu’il a de meilleur, donc arrêtez avec ça aussi ! On peut pas simplement porter un toast aux gens qui ont encore assez d’espoir pour croire qu’ils vont avoir un avenir et s’épouser ?

— Heu… Merci, Jane… bredouilla Tonks, incertaine.

— J’t’en prie, acquiesça machinalement la Moldue. Nan, mais c’est vrai, quoi, on peut aussi être heureux, ça coûte pas plus cher ! Alors, vous décidez quoi ? Vous allez vous battre et nous foutre la paix, ou nous foutre la paix tout de suite ? Parce que moi j’suis là pour passer un bon moment, avec des gens que j’aime, avant qu’on se fasse tous massacrer par des fous du sang ! »

Snape observait Jane en pinçant les lèvres sans que l’on sache si c’était de colère ou d’amusement. Sirius s’était désamorcé lentement alors que Tonks et Rémus étaient gênés d’être au centre de l’attention. Harry soupira de soulagement, et on entendit un applaudissement derrière eux.

« Bien dit, Miss ! Sage, réaliste, et remarquablement efficace comme discours ! Et toujours ce sens du verbe… ! »

Jane rougit en bredouillant qu’elle ne voulait pas s’emballer à ce point, mais Albus Dumbledore lui sourit avec gentillesse.

« Professeur ! s’exclama Harry. Vous avez pu venir ! Et oh ! Vous portez votre super chapeau !

— Oui, effectivement… Je ne reste pas longtemps, car mon devoir m’appelle, mais j’espérais justement goûter à ce bonheur dont Jane parle si bien.

— Désolée…

— Aucune importance, c’est parfait, tout le monde est là, reprit la main Molly. On va porter un toast ! Aller, venez tous ! Non, Severus, pas de pas en arrière, vous êtes invité et bienvenu ici. Voilà, prenez tous un verre, nous ouvrirons après avoir mangé un bout.

— Ah ? Je les ai encore dans mon sac.

— Ce n’est pas grave, ma chérie, sourit Molly, tout le monde ne les a pas mis aux pieds du sapin.

— Ce n’est pas plutôt le lendemain qu’il faut les mettre ? s’étonna Hermione.

— Si, mais personne ne va dormir ici, alors autant déroger à la règle, souffla Ron.

— C’est dommage pour les lutins pourpres. Ils vont être au chômage ce soir… se plaignit Luna.

— Oui, opina son père très sérieusement. Avez-vous prévu de les dédommager d’une quelconque façon, d’ailleurs ?

— Qu’est-ce que sont…

— Bon, il vient ce toast ?

— Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de lutins de…

— Taisez-vous, Mère va faire une grande déclaration !

— Capitale.

— Cruciale.

— Épique.

— Déterminante !

— Ca suffit vous deux ! Bon… heu… Alors je commence !

— Comment ça, elle…

— Chuuuut, c’est la tradition ! »

Severus inspira longuement en fermant les yeux un bref instant. Il fit appel à tout son self-control pour ne pas s’en aller purement et simplement. Personne ne s’écoutait, il y avait trop de monde réuni au sein d’un même endroit et parlant en même temps pour qu’il supportât plus encore ce cérémonial. Avoir une vie sociale ne l’avait jamais intéressé, spécialement pour ça… Et il commençait à en avoir assez des traditions Weasley dont – il n’en doutait pas un seul instant – il n’entrapercevait qu’un fragment. Molly leva son verre et sourit tendrement à son époux et à ses enfants.

« Bien, pour commencer merci à tous d’être là ! Je suis vraiment très heureuse que nous soyons pratiquement au complet, une petite pensée pour mon aîné qui est à l’heure actuelle en train de célébrer Noël avec son équipe en Roumanie… Mais je suis vraiment, vraiment, vraiment, heureuse que la famille ait pu se retrouver ce soir, termina-t-elle en observant longuement Percy. Bien entendu, je voudrais aussi remercier Sirius pour…

— Son charme, coupa-t-il en lui jetant un air entendu et en lui souriant. Ce qui est bien normal. Et je profite de ce relais, Molly, pour te remercier, toi, pour ton superbe buffet, ton organisation parfaite, et toute cette beauté ! Tu nous as offert quelque chose de magique, merci. »

Il applaudit doucement la rousse, bientôt rejoint par tout le monde sans exception.

« À cela j’ajoute toutes mes félicitations à mon dernier meilleur ami. Puissiez-vous être heureux et avoir tout le loisir de vous engueuler encore longtemps ! À toi Harry.

— Eh bien… moi je voudrais vous remercier tous. Merci à vous, Madame Weasley pour tout. Merci à toi Sirius pour m’avoir laissé faire à mon idée. Et merci à vous d’être venus. Professeur Dumbledore… Professeur Snape… Professeur Smith. Merci Mrs Londubat d’être parmi nous ce soir, et… Heu… Merci Monsieur Lovegood pour votre présence et heu… Enfin, merci. »

Xenophilius inclina poliment de la tête en prenant doucement Luna par les épaules, et Sirius étouffa un rire moqueur en comprenant la gêne de son filleul.

« On doit tous faire ça ? s’étonna Hermione.

— Si vous avez besoin pour ce faire de lire votre discours quelque part, Miss Granger, je peux m’arranger pour vous l’écrire. »

Hermione pinça des lèvres, vexée, Ron s’empourpra, incapable d’avoir sa colère dominer son amusement, et quelques-uns pouffèrent de rire, tandis que Jane donna un coup de coude à Severus, en se mordant la lèvre inférieure. L’espion fit ce qu’il put pour ne pas esquisser le moindre rictus de satisfaction.

« Pourquoi pas ? contra Hermione. Je vous laisse montrer la voie, à vous ! »

Snape plissa des yeux comme s’il reconnaissait le coup et hocha la tête avec élégance. Impossible d’ignorer qu’il était un Serpentard à cet instant.

« Soit. Merci à Molly, dont le talent culinaire égale celui des potions hybrides à ce que j’ai pu constater pour le moment. Mes félicitations à Potter d’avoir trouvé un moyen original de me faire endurer sa présence et celle de son Parrain une soirée entière. Tous mes vœux de réussites à Lupin et Tonks en vous souhaitant que la mort ne vous sépare pas trop vite…

— Délicieux, comme toujours. » Grimaça Jane avant de regretter en voyant les gens se tourner vers elle.

Ça dura un certain moment. Chacun y allant de ses félicitations, de sa joie, et de sa gratitude. Les derniers à prendre la parole eurent la désagréable impression de faire preuve d’aucune originalité. Même les jumeaux furent sérieux le temps de l’exercice qui semblait si important aux yeux des Weasley. Diantre que c’était long à écouter ! Severus trouvait les traditions des Smith… enfin, des Barnes, autrement plus simples et agréables tout compte fait. Alors qu’il se remémorait celles de sa propre famille, un autre coup de coude de Jane le tira de sa rêverie :

« Vous avez goûté la liqueur de baies lunaires ? C’est somptueux.

— Vous ne pensez qu’à boire. » Répliqua-t-il machinalement en prenant pourtant le verre qu’elle lui tendait.

Rapidement, ils passèrent au repas en lui-même, quelques chaises apparaissant çà et là pour les personnes désireuses de se reposer les jambes. De façon très mondaine, ils mangèrent essentiellement debout, picorant les différents plats et s’extasiant devant leur sophistication.

« C’est quand même pas pratique, ronchonna Ginny. On manque d’en mettre partout.

— Si tu veux, on peut te mettre à la table des tous petits, se moqua son frère.

— Elle n’a quand même pas tort, et toi qui est en blanc encore, si tu te taches…

— On utilisera un Récurvite et point.

— Je ne sais pas si les créations de ce mec sont sensibles à la magie, en fait…

— Les jumeaux t’ont dit d’ailleurs de qui il s’agissait ? demanda Harry.

— Aucune idée, ils ne savent pas non plus. C’est un vrai mystère. Aucune boutique, que des contacts par hiboux, et pas question de trop fouiner. Qui que cela soit, en plus d’être doué, il est très secret.

— Ou elle. Cela pourrait être une femme, corrigea Hermione.

— Non, je pense que c’est un homme s’immisça Sirius en détachant un morceau de la chair tendre du chevreau qui était derrière eux. En fait, j’ai même ma petite idée… La signature qui est sur ses œuvres est assez évidente.

— Le dragon endormi, là ? s’étonna Ron. On y avait pensé avec Neville aussi, c’est bien une signature !

— Elle est présente sur chacune des pièces en tout cas, confirma Sirius. Brodée dans une doublure, gravée dans une broche, peu importe, c’est la même. Mais je veux être certain, selon, cela pourrait être très utile.

— Tu as l’intention de lui faire du chantage pour qu’il crée une gamme spéciale « Sirius Black » ? s’amusa Harry.

— Ah ! Pourquoi pas… »

Non loin de là, derrière Molly et Arthur qui discutaient avec Bill et Fleur au sujet de leur prochain mariage, Albus tentait discrètement de discuter avec Severus, alors que Jane empilait sur son assiette toutes sortes d’échantillons. Severus l’observait faire avec amusement, pendant que son supérieur lui racontait à mots à peine audibles ses péripéties de la veille avec Harry et Luna.

« … cette fois-ci, je veux faire ça avec vous, Severus. Severus ? Vous m’écoutez ?

— D’une oreille, Monsieur le Directeur, marmonna-t-il en tirant discrètement sa baguette pour la pointer en direction de l’assiette bancale de Jane.

— Je peux donc compter sur vous demain ? demanda Albus en baissant de sa main racornie la baguette que l’homme en noir avait tirée.

— À condition que vous arrêtiez de me dire quoi faire, ou ne pas faire.

— C’est… qu’elle se donne tant de mal, alors…

OH MERDE ! »

Severus était persuadé de n’avoir rien lancé pourtant, mais l’empilement improbable de son amie s’était bel et bien répandu au sol en éclaboussant autour d’elle et particulièrement sa robe. Elle jeta un regard navré à Molly pour le dérangement, puis de panique au vieil homme et à l’espion, et ce dernier scanna la pièce avec rapidité pour voir Fred et George absorbés par une conversation décidément bien trop sérieuse pour eux. La grand-mère de Neville se déplaça d’un air agacé et jeta un sort de nettoyage d’un geste ample.

« Allons, allons ma fille ! Quelle maladresse ! Quelle idée, aussi, de vouloir vous goinfrer comme ça ! Ne désespérez donc pas, vous trouverez bien un mari… Pas comme ça, c’est certain.

— Heu… merci… mais je…

— Venez au moins vous rafraîchir. Un Récurvite n’est jamais suffisant quand il s’agit de reprendre contenance. Et puis, reprenons quelques bases sur les convenances, ajouta Augusta d’un ton qui ne souffrait aucune réplique.

— C’est ça, Jane, allez tenter de vous faire une beauté dans l’espoir de trouver un mari. » Se moqua Severus qui, finalement, trouvait que la scène était bien meilleure qu’il ne l’avait espéré.

Jane n’eut pas l’occasion de lui répondre que la vieille dame demandait déjà à Mrs Weasley si elles pouvaient disposer de la salle de bain, proposant à d’autres jeunes filles de les accompagner, si besoin était. Ginny, Hermione et Luna partirent donc suivre Jane et Augusta pour ce qui semblait être un point de rappel sur l’attitude d’une Sorcière de bonne famille en Société. Neville grimaça, s’excusant du regard auprès d’Harry.

« J’espère que Luna n’est pas susceptible.

— Non, t’en fais pas. Je comprends pourquoi tu ne lui dis rien pour Hannah. »

Neville haussa les épaules. Il regrettait que la jeune fille ne soit pas avec eux ce soir, et Harry lui avait pourtant proposé de l’inviter, mais c’était mieux ainsi. Il aimait profondément sa grand-mère, mais il n’avait aucune envie de se battre avec elle au sujet de la personne qu’il aimait. Augusta Londubat était de bonne nature, mais demeurait plutôt snob.

Jane, emmenée presque de force par le groupement, jeta un regard si lourd de promesses à Severus que ça lui tira un petit rire satisfait. Dans son dos, un autre lui répondit :

« Elle n’a pas tort tout compte fait, on aurait peut-être dû chercher à aller « plus loin ». »

C’était Rémus qui souriait faiblement, incertain quant à la réaction de leur ancien ennemi. Le visage de Severus se ferma immédiatement et son regard reprit sa dureté.

« Vous êtes allés bien assez loin à mon goût.

— Je vous laisse, glissa Dumbledore en se dirigeant vers Harry.

— Severus, je… je suis désolé.

— Je m’en moque.

 

 

— Je sais, tu ne nous pardonneras jamais, et je…

— Écoute Lupin, soupira l’homme en noir en prenant un verre de cidre de citrouille. Je ne suis pas là pour votre petit plaisir. Potter a eu le caprice de croire qu’il pouvait se moquer de moi en m’invitant…

— Je ne pense pas qu’Harry se soit moqué de toi, il t’a étrangement en grande estime.

Étrangement… Tu as une conception de la paix très singulière. Quoi qu’il en soit, je suis là pour lui ternir le plaisir de sa soirée par ma seule présence, et j’endure la vôtre, mais pas au point que nous trinquions ensemble. »

Rémus l’observa un instant, d’un air buté, avant d’incliner la tête avec douceur.

« Tu sais… Tu peux le dire directement que tu es touché qu’il t’ait invité, et que tu apprécies la compagnie de certains d’entre nous.

— Et tu peux me laisser en paix et apprécier la mienne sans me hanter avec ta culpabilité. »

Le lycanthrope comprit qu’il n’aurait jamais un mot plus aimable. Sans doute dans une autre vie ils auraient pu être amis, et Severus pardonnait bien plus qu’il ne le montrait au loup ce qu’il s’était passé, mais la peur qu’il avait toujours de Lupin était une faiblesse qu’il ne supportait toujours pas.

« Tu trouves vraiment dangereux que l’on se soit… ?

— Par Merlin ! Lupin ! Ne fais pas de moi ton excuse pour continuer d’avoir la trouille de tes choix ! Je suis le moins bien placé pour en parler, je ne suis pas ton ami, et du reste, c’est fait ! Va emmerder Black à ce sujet, pas moi !

— Tu n’es jamais vulgaire, d’ordinaire…

— Et après ? Tu me prends pour ton conseiller matrimonial, alors que de l’aveu même de ton meilleur ami, je suis un meurtrier. Reviens me voir quand tu auras besoin de cacher un corps, pas d’en couvrir un du tien ! »

L’allusion choqua Rémus qui rougit furieusement et il décida de tester lui aussi le cidre de citrouille. Ils burent ensemble en silence, tandis que Snape continuait d’observer les jumeaux qui semblaient fomenter autre chose. Quand il comprit que la future cible serait l’abominable chapeau de Dumbledore, il retint difficilement un sourire d’anticipation, mais Madame Weasley revint dans le salon, les bras chargés de présents pour les disposer sous le sapin. Instinctivement elle jeta à ses fils un regard de défiance qui sembla les calmer immédiatement, et pendant que Molly disposait des cadeaux – dont certains de Jane qui avaient retrouvé leur taille initiale – Lupin siffla légèrement d’admiration.

« Je me suis toujours demandé si elle avait un sixième sens pour savoir quand ils allaient faire une bêtise, ou si c’est dans le doute qu’elle se montre méfiante et dure.

Dans le doute, confirma Severus qui connaissait bien la question. Il faut soupçonner dans le doute, les coupables finissent toujours par avouer leur forfait quand ils pensent qu’ils sont découverts.

— Tu pratiques beaucoup ça avec Harry. Parfois injustement.

— Parfois… et j’ai souvent eu raison, contra Severus en terminant son verre et en espérant prendre congé.

— Voilà, tout est en place ! s’écria Madame Weasley. Les filles sont de retour ? Bon, on va les attendre, on se regroupe tout le monde ? Nous allons ouvrir les cadeaux.

— J’en tremble d’excitation… persifla Severus. »

Seul Rémus entendit son commentaire et il secoua la tête, attristé que l’homme n’essaie pas davantage de s’intégrer. Augusta revint avec les demoiselles et dames à sa suite, la tête haute et le chignon toujours aussi impeccable. Hermione, Ginny et Fleur continuaient une conversation entamée, tandis que Tonks et Jane retrouvèrent rapidement conjoint et ami respectif. L’assemblée se rassembla en cercle autour du sapin où une pile de présents masquait le pied et les premiers étages. Ron s’agita, un peu excité devant une pareille vision, et Harry serrait fort la main de Sirius en souriant. Neville s’était rapproché de sa grand-mère, et lui dédia un léger sourire auquel la vieille dame répondit par un discret et très sobre geste d’affection. Albus donna un léger coup de baguette et fit venir une des dessertes à lui qui transportait une magnifique amphore de cristal ciselé et gravé d’or.

« Avant que nous ouvrions les présents de nos êtres chers, et parce que je viens les mains vides, il faut dire… Fillius a tenu à me faire parvenir sa traditionnelle création d’hiver ! »

Des « oooh » et des « aaah » ravis fusèrent chez les adultes qui connaissaient bien la tradition. Les jumeaux Weasley pépièrent, impatients d’avoir enfin l’autorisation d’y goûter. Severus se pencha discrètement vers Jane et expliqua en chuchotant :

« Flitwick aime beaucoup distiller de nouveaux alcools. Chaque année il nous fait parvenir une nouvelle recette. C’est un de ses cousins gobelins qui fabrique les bouteilles.

— C’est extraordinaire… !

— Et cette année, expliqua Albus en lisant le petit carton qui accompagnait le breuvage, le thème est l’espoir… ? Oh, quelle base a-t-il donc choisie d’utiliser pour articuler son vin ? Ah ! C’est à nous de le découvrir, eh bien allons-y !

— On peut en avoir aussi ? demanda Ginny pleine d’espoir.

— … Oh… Après tout, pourquoi pas ?

— OUAIS ! Merci maman ! »

Chacun obtint un verre de ce délicat liquide argenté qui rappelait une potion de joie de seconde année. Severus porta le sien à son nez et inspira lentement en fermant les yeux.

« Oh non… Pitié, Severus, ne joue pas s’il te plaît ! s’exclama Sirius.

— Aurais-tu peur que je devine facilement ?

— Évidemment que oui. Tout le monde ici sait que t’es le meilleur brasseur de bouillon de Grande Bretagne, donc s’il te plaît, ne dis rien !

— … Tu as bu, Black ?

— Tout le monde ici a bu, ou va boire, mon ami, coupa Dumbledore. Mais même sobre, Sirius aurait eu raison : vous êtes le meilleur. Alors, quelqu’un a trouvé ?

— C’est un peu amer, murmura Tonks. Drôle de notion d’espoir.

— Vous trouvez ? s’amusa le Directeur.

— Moi cela me rappelle le thé que faisait Pandora, proposa Xenophilius d’un air pensif. À base de menthe et de sel de marais.

— C’est marrant ça, papa, parce que je trouve justement que ça ressemble plus à du jus de citrouille…

AH TOI AUSSI ?! S’exclama Harry ! Je croyais que j’en buvais tellement que je ne sentais plus que ça.

— Ca a goût de marrons glacés, et toi Fred ?

— De glace aux marrons, George. Ça me rappelle qu’on n’a toujours pas osé se lancer dans ce produit dont on parlait…

— Alors ? Personne n’est prêt à réfléchir ? » Demanda Severus comme s’il était en classe.

Hermione leva la main par réflexe, puis la rabaissa, hésitant, reprenant une gorgée et fronçant les sourcils en réfléchissant encore, avant de la lever à nouveau, déclenchant un rictus moqueur à Snape.

« Vous n’allez pas gagner de points, Granger…

— Oui, oui, c’est bête. Je m’étonne, parce que j’ai un goût un peu étrange pour ma part, je sais pas trop ce que c’est.

— Moi non plus, confirma Ron.

— Moi c’est très clair, au contraire : c’est une base aromatique, un peu maritime. On dirait une plante d’eau de mer…

— T’as déjà bouffé un de ces trucs, Neville ?

— Non. Mais ça me fait penser à ça, tu vois…

— C’est bien ce que je dis ! reprit Hermione, on dirait que chacun voit son propre goût.

— Pas du tout, Harry et Luna ont la même chose, s’exclama Ginny.

— Et alors ? Nous aussi, intervint Fleur avec son accent Français. Nous on sent un beau goût de Bourgogne si vous voulez tout savoir.

— Intéressant, la France est effectivement un pays très agréable à vivre… ! commenta Albus les yeux pétillants. Et vous Miss ? ajouta-t-il à l’adresse de Jane.

— Moi ? Oh, c’est assez simple, c’est chocolat glacé et amande…

— Et donc ? interrompit rapidement Severus. Quelqu’un trouve ou bien suis-je le seul à me servir de mon intellect ?

— Arrête, on a dit que tu ne tricherais pas ! S’agaça Sirius. Ça m’fait penser quand même au fonctionnement de l’Amortentia, ceci dit.

— Incroyable… le miracle de Noël existe bel et bien…

— Oh la ferme.

— Mais c’est stupide, pourquoi ça serait un goût… de quoi ? De l’espoir pour nous, de ce que représente l’espoir ? L’avenir ? proposa Ron.

— Vous devriez essayer de boire dans mes cours, Monsieur Weasley, s’étouffa Snape. Cela vous réussit bien.

— Bon, aller, Severus, vous allez nous dire ? s’impatienta Jane. Qu’est-ce que c’est ?

— Vous capitulez tous ?

— Allez-y Professeur.

— Vous êtes certains de vouloir reconnaître ici votre infériorité ?

— Mais par Merlin arrête avec ton arrogance !

— C’est un spécialiste qui parle, se délecta Snape. Bien…  La base est l’essence de Perce-Neige. Il s’agit…

Oh ! C’est une plante qui ne pousse qu’en hiver sous la neige, justement, coupa Neville très excité. Celle qui est utilisée en potions s’appelle en réalité la Galanthus Nivalis ! Elle souvent prisée pour les antipoisons et quelques onguents pour les maladies incurables… Elle est très rare, mais je ne sais pas si elle a de vraies propriétés curatives, en fin de compte…

— C’est rigoureusement exact, Monsieur Londubat, et elle n’en a effectivement pas, les guérisseurs l’utilisent par superstitions païennes. Elle a en réalité des vertus hallucinogènes : nos sens sont trompés et puisent dans nos désirs et espoirs pour nous délivrer la saveur que nous ressentons. C’est, par ailleurs… bien une des composantes de l’Amortentia. Mais vous deviez le savoir, Messieurs les entrepreneurs…, termina-t-il à l’adresse des jumeaux qui s’inclinèrent.

— Donc, il est impossible de savoir quel goût a véritablement cet alcool ?

— Non, Arthur, et c’est ça qui est magique : il nous révèle ce pour quoi nous nous battons. Car, si ce n’est pour l’amour, c’est pour l’espoir de ce dernier que nous prenons la baguette. Quel merveilleux présent, vraiment. »

La phrase de Dumbledore les laissa songeurs un instant, avant qu’Hermione secoue la tête et ne demande :

« Pourquoi certains d’entre nous perçoivent les mêmes goûts, alors ?

— Mais parce qu’il arrive que deux individus aient l’espoir d’un avenir commun, répondit Molly en regardant tendrement son mari. Ce qui me fait dire que je ne me suis toujours pas lassée.

— Moi non plus, confirma Monsieur Weasley.

— Oh ! Maman ! Papa ! Pitié ! »

L’assemblée partit à rire et Molly ramena l’attention sur la pile de cadeaux.

« Allons, allons ! Cela risque de prendre un peu de temps, alors respectons un peu la tradition ! Honneur aux plus jeunes !

— Vous qui comptiez partir tôt, Albus, vous allez devoir attendre une à deux heures de plus…, se moqua Snape avec plaisir. »

Mais Ginny étouffa la réponse du Directeur avec son cri de joie, elle dépliait lentement une superbe robe bleu nuit avec des volants et dentelles exquises. Quand elle se précipita vers ses grands frères, tout le monde comprit que le fameux créateur comptait un autre Weasley dans ses clients. Par la suite, elle découvrit une pile de livres Moldus offerts par Hermione qui traitaient tous des mythologies nordiques avec gravures d’illustration – Ginny avait fait état de sa passion pour ces histoires lors des cours de Jane. Jane, justement, lui avait offert un joli bracelet d’argent torsadé qui reprenait le style viking. Son frère, Ron, lui offrit une nouvelle batte de batteuse.

« OH C’EST TROP LA CLASSE ! » Avait-elle alors hurlé avant de la tester au milieu des convives, sous le regard inquiet de Fleur et désapprobateur d’Augusta.

« Un seul enfant, et c’est déjà trop long pour moi, marmonna Severus à l’attention de Jane.

— Mais ce qui compte, c’est leur joie !

— Si j’aimais les enfants heureux, je n’en ferais pas pleurer autant, Jane… »

Il avait dit ça dans un rictus en fixant Ginny qui déballait à présent un gros pull avec capuche épaisse tricoté par sa mère, et Jane s’étouffa en tentant de terminer son verre d’espoir. Mais Severus n’avait pas exagéré en parlant du temps que prendraient les offrandes, entre les cris, les embrassades, les surprises et les remerciements, cela prenait bien plus d’une heure ! Particulièrement intime, l’exercice en dévoilait beaucoup sur les relations des uns et des autres, sur leur attachement notamment. L’affection d’Harry pour Luna se révéla à tous lorsqu’il lui offrit dans un écrin, un petit orbe de cristal qui luisait à la lumière. Neville avait immédiatement reconnu le cadeau que le jeune homme avait acheté chez les jumeaux des mois avant, et Luna avait souri avec tendresse en entendant la description de l’objet. Encore une formidable invention de ce duo improbable qui proposait cette fois-ci quelque chose d’éminemment poétique : un attrape-rêves qui permettait au dormeur d’en revoir, ou de les montrer à d’autres personnes. Severus arqua un sourcil en regardant les jeunes gens faire, curieux de les voir évoluer en public.

« Ils sont mignons quand même tous les deux, glissa Jane. Ils vont bien ensemble.

— Ce ne sont pas des chaussettes, Miss, ce sont des gens.

— Et alors ? C’est pareil, non ? On finit toujours par en perdre un des deux, de toute façon… »

Les cadeaux qu’offrit Percy pour se faire pardonner interrompirent cette métaphore. Le seul Weasley guindé de toute la tribu s’avança d’un pas raide, incapable de savoir comment se placer. Mais l’atmosphère s’était détendue quand il vit ses présents bien reçus. Ron fut particulièrement touché que Percy lui offre son précieux insigne de Préfet qu’il avait tant poli, et Harry accepta en souriant l’hommage quand il lui donna, encadré, un formulaire d’inscription pour l’Académie des Aurors.

« Je pense, au contraire, qu’il n’y a pas mieux pour nous défendre, Harry Potter. » Avait alors déclaré solennellement l’assistant du Ministre de la Magie. Et si Fred et George tentèrent de le singer dans son dos, Arthur les rappela à l’ordre et étreignit son fils avec fierté.

D’autres instants tout aussi tendres survirent, à commencer par l’accolade que partagèrent Harry et Neville quand ce dernier lui offrit une photo de l’Armée d’Ombrage que Colin Crivey avait prise l’année précédente. On y voyait toute la petite troupe en train de sourire, de rire, et de temps à autre s’entraîner quand on ne les regardait pas fixement. Au loin, on pouvait même voir le double de Harry dessiner une moustache « hitlerienne » sur un portrait grossier d’Ombrage sous l’hilarité du double de Ron. Le garçon éclata à nouveau de rire quand il vit le cadeau de Jane : un cadre de bois qui gardait sous verre un morceau de vélin :

« « Décret d’éducation numéro 66… Toute allusion à Vous-Savez-Qui sera passible d’un renvoi définitif » Oh ! Professeur, c’est géant, vous avez eu ça comment ?

— Je l’ai chipée à Rusard, pouffa-t-elle de rire… D’ailleurs, je voulais garder la surprise, mais j’en ai un aussi pour vous les jeunes, et pour vous aussi Luna. »

Elle tendit aux jumeaux celui qui interdisait nominativement « les produits Weasley », et à Luna celui qui interdisait la lecture du « Chicaneur ». Quelques anecdotes fusèrent à propos de l’année précédente, où chacun se moquait d’Ombrage à grand renfort de vulgarité, et quand les jeunes parlèrent du coup monté avec la salle tout en rose, Jane et Severus échangèrent un bref regard de connivence. Harry attrapa enfin son dernier cadeau, et son sourire mourut pour laisser place à une expression de choc intense.

« Wow, mec… Mec… MEC ! Putain, mais c’est… Nooon, c’est un Hyperion ?! Attends, il n’est même pas en sortie officielle ! Dingue, Quiddich Mag’ en faisait un test en avant-première dans leur dernier numéro, c’est ouf !

— Et après on me trouve intransigeant quant à leur sens d’élocution, glissa Severus. »

Ron continuait d’énumérer toutes les caractéristiques de ce superbe objet, alors qu’Harry regardait Sirius sans savoir quoi dire. Finalement, il se jeta dans ses bras, et Snape soupira :

« Et voilà, il va encore pleurer… »

Harry qui ne l’entendit pas éclata d’un rire nerveux et s’exclama :

« Mais je n’ai même pas encore détruit l’Éclair de Feu !

— C’est pas faute d’essayer ! se moqua Hermione.

— Mais c’était ça, alors que tu cachais, maman… s’exclama Bill ! C’est pour ça qu’on s’est retrouvé avec de la fiente de Grand-Duc partout sur la table de la cuisine !

— Oh, pitié, ne m’en parle pas… Cette boutique livre les réveillons, mais il faut voir dans quelles conditions !

— Hey, venez, on va l’essayer !!

— Eh oh, on peut terminer les cadeaux ? s’amusa Sirius. J’attends toujours, moi ! »

Les échanges reprirent, quelques ingrédients rares et étranges pour les jumeaux pour leurs expérimentations, des objets de fiançailles typiques pour le couple Bill et Fleur, puis, avant qu’on en vienne à Sirius, Harry leva la main et se dirigea vers Jane en souriant :

« En fait… Je ne connais pas votre âge, mais j’ai supposé que vous étiez quand même plus jeune que les autres Profs, donc…

— C’est le cas, pouffa Jane. Selon certains, je suis si jeune qu’on doive me chaperonner.

— C’est uniquement parce que vous êtes capable de vous perdre dans votre propre classe, répliqua Snape très sérieux.

— Peu importe, je ne savais pas trop quoi vous offrir et heu… Ben… Ben je sais que venez de loin et que vos amis et tout sont toujours en Australie, alors… Bah j’ai pensé que ça serait bien. »

Il tendit maladroitement un cadeau qui hulula, et Jane écarquilla les yeux de surprise. Elle déchira le papier qui recouvrait à moitié une petite cage contenant une petite chouette. Elle fixait de ses gros yeux ronds et ahuris l’humaine qui lui rendit son regard curieux.

« C’est une chouette Chevêche, il paraît qu’elles ont beaucoup d’humour et sont très affectueuses… Elles supportent bien le jour aussi. J’ai pensé…

— C’est un superbe cadeau, Harry. Merci beaucoup. »

Jane balbutia quelque peu en prenant la cage avec délicatesse et en observant l’animal. Severus fixa la chouette d’un air interdit, avant d’ajouter :

« C’est surtout l’emblème de la Déesse Athéna. Vous le saviez, Potter, n’est-ce pas ?

— Moi ? Vous plaisantez, Professeur, nous savons tous les deux que je ne sais rien ! »

Snape esquissa un léger sourire qu’Harry lui rendit pleinement, et il retourna à sa contemplation de la créature. Il eut un moment de gêne, car personne d’autre qu’Harry ne vint faire un présent à la jeune femme.

« C’est… C’est qu’on ne pensait pas que vous viendriez, en fait, expliqua Hermione, gênée.

— Je suis déjà comblée de votre présence, de cette nourriture, de tout ça. M’offrir un tel Noël alors que je suis loin des miens comme vous l’avez dit Harry, est un magnifique cadeau.

— C’est tout à fait charmant…, se moqua Snape.

— Justement, s’exclama Harry ! J’ai aussi quelque chose pour vous Professeur.

— Pitié… Non…

— Si, si, tenez ! »

Harry tendit à Severus un paquet en forme de boîte, que l’homme ouvrit avec beaucoup de délicatesse. Il appartenait à cette race de personnes qui ne déchirait aucun papier cadeau, même si cela devait prendre plus de dix minutes ! Mais il vint, avec patience, à bout de l’emballage et dévoila un coffre de métal qu’il ouvrit devant l’assistance. Son visage fut un instant masqué par le couvercle pivotant, et un bref ricanement lui échappa.

« Est-ce votre façon d’avouer, Potter ?

— Avouer quoi ? Je vous offre seulement des ingrédients, répliqua Harry innocemment.

— De la corne de Bicorne, et de la Peau de Serpent d’arbre du Cap… Les deux ingrédients – essentiels notamment au Polynectar – qui avaient disparu lors de votre seconde année…

— En fait, Professeur, commença doucement Hermione.

— Je sais, coupa-t-il avec une mine de satisfaction sadique. Je le sais depuis le début, Miss Granger…

— Ah-ah, et vous m’accusiez toujours ?

— Je voulais voir si vous la vendriez, à un moment. »

Ils échangèrent un drôle de regard avant qu’Harry hoche la tête en souriant. Snape lança ensuite un regard de défi à l’assistance, comme pour s’assurer que personne d’autre n’allait l’obliger à défaire un cadeau en public, mais Jane attrapa un paquet et le lui tendit. Il était rectangulaire, glissé sous un papier vert et violet.

« Est-ce que c’est dangereux ? demanda Severus impassible.

— Ça dépend pour qui… » Répondit-elle d’un air mutin.

En prenant les mêmes précautions qu’auparavant, il déplia une nouvelle fois son présent sur une boîte de bois oblongue gravée d’un S stylisé parfait. Il laissa filtrer une expression d’agréable surprise, avant de sembler hésiter à ouvrir devant les autres. Se raidissant, comme un animal coincé, il daigna néanmoins faire coulisser le couvercle qui révéla de grandes plumes noires aux pointes d’argent manufacturé, et un grand flacon d’une encre rouge sombre presque noire. Snape leva légèrement un sourcil en observant Jane sans mot dire.

« C’est une création des jumeaux. L’encre ne sèche pas vraiment, elle garde cet aspect… Eh bien de sang frais. Je leur ai demandé d’inventer ça, et… Ah ! Par Merlin, ils ont réussi à dépasser mes espérances !

— Nous l’avons baptisée « Le venin du Serpent ». Si vous nous autorisez à la vendre évidemment…

— Vous m’avez fait faire un nécessaire à corriger, Jane… ?

— Ouais, rit la jeune femme. Donc, pour répondre à votre question : ça peut être dangereux… pour vos élèves ! »

Snape sourit en coin en la remerciant brièvement, avant de se cacher derrière l’étude de l’encre pour détourner l’attention des autres sur sa réaction. Personne ne s’étonna qu’il n’offre rien lui-même. La valse des paquets reprit de plus belle, les jeunes commençant à sérieusement s’impatienter et parlant de faire une partie nocturne de Quidditch pour tester le nouveau balai. Les remerciements et les déballages prirent fin quand Harry offrit à Dumbledore une paire de chaussettes colorées – ce qui enchanta véritablement le Directeur – et quand ils jetèrent tous les emballages et rubans qui traînaient, certains furent chipés et noués au sapin ou au poignet des convives.

« Bon, allez ! Venez, VENEZ ! On s’fait une partie en deux manches gagnantes, on est assez nombreux, non ?

— Je vais y aller, merci encore Molly, merci à tous, mais j’ai beaucoup tardé ici… Minerva va me taper sur les doigts.

— Merci Albus d’être passé, souhaitez un Joyeux Noël à tout le monde, surtout !

— Oui, oui, je n’y manquerai pas ! Severus ? Nous reparlerons demain. Profitez tous de l’amour des uns et des autres ! salua le vieil homme en passant la porte d’un pas guilleret.

— Bon, aller, on y va, là ? s’impatienta Ron. Hey, mais Harry ! Techniquement tu as ton Éclair de Feu avec toi ! Dis Sirius ? Tu étais dans l’équipe de Quidditch à l’époque ?

— Ah pas du tout ! C’était James qui aimait ça, moi j’avais autre chose à faire que de faire autant de sport… Je n’en avais d’ailleurs pas besoin, se vanta-t-il.

— Écoutez-le… ! soupira Rémus. Il a bien essayé d’entrer dans l’équipe, mais il s’est fait virer des sélections pour indiscipline. Ça rigolait pas, à l’époque c’était…

— Je suppose que vous n’allez pas voler avec eux, Jane ? demanda Molly gentiment.

— Non, en effet. J’vais plutôt aller trouver à boire pour ma chouette, je pense qu’elle doit commencer à avoir un peu soif…

— N’hésitez pas à prendre ce qu’il vous faut dans la cuisine ! On va probablement encadrer les petits, je préfère encore qu’ils se fassent mal sous nos yeux que… »

Elle fit un grand geste dramatique et pendant que toute l’assistance levait un des pans du chapiteau pour filer en direction du champ enneigé qui bordait le Terrier, Jane prit la cage avec soin et se dirigea vers la cuisine. Le contraste net entre le joyeux brouhaha de ces dernières heures et le silence quasi complet qui l’entourait, l’étourdit quelque peu. De la musique continuait de filtrer du chapiteau, et on pouvait à nouveau entendre la harpe qui égrenait des notes avec délicatesse. Jane posa la cage sur la table de la cuisine, et chercha un petit récipient qu’elle aurait pu glisser entre les barreaux. Quand elle trouva une sorte de petit mortier, elle soupira, agacée en fixant d’un air dépité l’évier dépourvu de robinet.

« Aguamenti. »

Severus approchait baguette tendue en direction du mortier qui se remplit instantanément d’eau. Jane sourit et hocha la tête.

« Merci… Molly a dû oublier que j’étais pas Sorcière.

— C’est plutôt bon signe. »

Jane hésita puis poussa doucement le mortier dans la cage de son index en observant la chouette qui continuait de la fixer intensément.

« Elle… par contre, elle a l’air de le sentir.

— Ce sont des créatures très intelligentes.

— Est-ce que je peux m’en occuper correctement, sans être Sorcière moi-même ?

— Il n’y a pas de raison. Si vous me posez la question sur le fait d’envoyer des lettres… je ne sais pas. Je pense que c’est à elle de voir.

— Hum…, soupira pensivement la jeune femme en s’accoudant à l’évier. Je ne sais même pas quel nom te donner… Athéna, ça me semble trop cliché… »

La chouette pépia en levant les yeux au ciel pour confirmer.

« Bon, nous sommes d’accord… Je vais éviter Morgane, parce qu’avec Merlin, ça fait déjà beaucoup…

— En espérant qu’il ne la dévore pas, d’ailleurs.

— Mais non, et puis tu seras à la voilière, je suppose ? Bon…

Ibis.

— Quoi ?

— Cela veut simplement dire « chouette » en latin. Appelez-la Ibis.

— Mais c’est complètement… »

Mais la susnommée hulula joyeusement en battant des ailes, avant d’en retourner à son eau, satisfaite.

« Bon, ben tant pis alors, pouffa Jane… »

Elle observa un moment Severus avant de se retourner et de regarder par la fenêtre qui donnait sur le champ. La cuisine était très faiblement éclairée, si bien qu’on pouvait apercevoir ce qu’il se passait au-dehors. Rémus et Tonks avaient fait apparaître de grosses lanternes pour baliser le terrain improvisé et tandis que les joueurs volaient dans tous les sens, ceux qui étaient restés au sol étaient confortablement assis dans de gros fauteuils conjurés à même la neige. Apparemment, ils sirotaient tranquillement quelques digestifs en regardant les prouesses qu’Harry faisait sur son nouveau balai. Jane sourit en les voyant faire, et le léger reflet qu’elle percevait sur les carreaux l’imita, avant de se figer quand elle se rendit compte que Severus l’avait rejointe. Il se tenait derrière elle et si les lignes de son visage s’imprimaient difficilement dans la vitre, l’intensité de son regard se reflétait presque parfaitement. Ils s’observèrent un instant en silence, soudainement aveugles quant au match qui tirait de temps à autre des cris d’encouragement aux autres convives. Jane sourit lentement au double de Severus qui s’anima. Elle fronça les sourcils, mais hoqueta quand elle vit un éclat rougeoyant miroiter dans la fenêtre et se nicher sur sa poitrine. Severus déplia les doigts, faisant tinter doucement la chaîne du collier qui s’enroula avec grâce autour de son cou. Le contact à la fois glacé et brûlant du pendentif troubla intensément la jeune femme qui observait, interdite, le reflet du bijou. Posé sur sa peau, un superbe grenat facetté projetait sa teinte carmin autour de lui. Rampants le long de son profil, de fins entrelacs argentés en dessinaient les contours, enserrant la gemme avec une possessivité d’une sensualité folle. Jane cligna des yeux, la gorge sèche, le cœur battant à tout rompre. Elle releva le regard vers le reflet de Severus qui la fixait avec une très grande attention. Elle ne savait que dire et s’humecta les lèvres en respirant profondément. Puis, lentement, elle recula d’un pas, son dos rencontrant son torse, et elle s’appuya contre lui, déposant sa nuque contre son épaule. Il inclina la tête et Jane pouvait alors sentir son souffle court dans son cou. Il était sur ses gardes, comme prêt à bondir à la moindre menace. La jeune femme ne le quittait pas des yeux et inspira une nouvelle fois, glissant doucement sa main droite dans la sienne. Leurs doigts s’effleurèrent et se découvrirent avec timidité, puis passion, avant de se mélanger possessivement. Jouant à se croiser, à s’emmêler, à se frôler. Elle inspira une fois encore, ce qui lui tourna la tête. Elle commençait à en avoir le vertige, son cœur s’emballait à lui faire mal, lui bourdonnant aux oreilles à un point tel que seule la respiration précipitée de Severus lui parvenait. Là, elle ferma un instant les yeux, appréciant le moment, appréciant le soulèvement léger de la poitrine du Sorcier contre elle, la caresse délicate de son pouce sur le dos de sa main. Puis, se mordant légèrement la lèvre d’anxiété et d’excitation devant son audace, elle rouvrit les yeux et tourna légèrement la tête en direction de Severus. Leurs regards se croisèrent, ils se perdirent un instant dans les craintes et les désirs de l’autre, et Jane releva légèrement le menton. Severus esquissa un bref sourire et inclina lentement la tête, profitant de chaque seconde de frustration, de l’intensité croissante de leurs souffles qui se mélangeaient peu à peu, appréciant dans cette distance tout ce qu’ils avaient traversé et tue, appréciant la légère impatience de la jeune femme, sa main qui pressait doucement la sienne et son visage qui se tendait vers lui pour le rencontrer enfin. Ses lèvres frôlèrent les siennes, et il la sentit nettement frissonner contre lui, ce qui lui tira un léger soupir d’anticipation. Il gardait les yeux entrouverts, imprimant mentalement l’expression qu’elle avait à cet instant, quand il vit une pâle lumière verte éclairer son visage. Il suspendit son geste, et Jane écarquilla brutalement les yeux, croyant qu’il changeait soudain d’avis, mais Severus fixait la fenêtre d’un air interdit.

Brusquement, il s’empara de Jane et la jeta au sol alors qu’un trait vert fit exploser la fenêtre et qu’un caquètement horrible s’éleva.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Amour de Jeunesse

Remerciements spéciaux : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer et ChocoFrog pour leur soutien sur Tipee ! Merci à ChocoFrog pour ses retours rapides sur l’avant-première de ce chapitre, ça m’a permis de corriger quelques coquilles !


Chapitre 46 : Amour de Jeunesse

Harry s’éveilla doucement avec la sensation d’émerger d’un rêve merveilleux. Il n’avait pas particulièrement envie d’ouvrir les yeux, alors il s’étira avec paresse dans son lit. Là, sa main partit vers les rideaux et au lieu de rencontrer le tissu épais du velours, il toucha une masse soyeuse et chaude. La masse soupira, Harry Potter hoqueta. Il y avait quelqu’un dans son lit. Le cœur battant la chamade, il se redressa pour découvrir qu’il ne se trouvait pas dans les dortoirs, mais dans une petite chambre étrange et confortable contenant un grand lit à baldaquin et un âtre vrombissant. À côté de lui, enroulé dans un drap mauve, un petit corps se soulevait au rythme d’une respiration. Il rougit furieusement en comprenant de qui il s’agissait, et se tira lentement du lit pour ne pas la réveiller.

La mémoire lui revint, et son cœur s’emballa. Quelle nuit ! Il avait su, dès le début, qu’inclure Luna Lovegood dans leur quête allait donner quelque chose d’improbable et surréaliste. Il n’avait juste pas encore tout à fait l’habitude…

***

Dumbledore et lui s’étaient aventurés dans les couloirs en pleine nuit. Ils comptaient aller réveiller la Serdaigle pour tenter de retrouver le diadème. Sans se presser, ils s’étaient rendus aux alentours du dortoir, croisant une patrouille d’Aurors quelque peu impressionnés de voir Harry Potter et Albus Dumbledore ensemble. Ils se dirent que les deux Sorciers avaient forcément quelque chose de grave à faire, probablement en rapport avec la lutte contre Voldemort, et leur témoignèrent un respect qui désarçonna le jeune homme. Lui, bien que l’objet de leur déplacement soit effectivement important, se sentait très excité par le fait de faire enfin quelque chose. Quand ils s’approchèrent de l’entrée réservée aux Serdaigles, Harry sortit le parchemin magique de sa poche et griffonna quelques mots dessus. Puis, ils attendirent un instant avant de voir la peinture pivoter pour révéler une Luna au regard plus brumeux que jamais.

« Miss Lovegood, navré de vous réveiller, chuchota Dumbledore. Harry me dit que vous pouvez nous aider.

— Hum, hum, je peux toujours. » Bâilla-t-elle en tirant la cape d’invisibilité de la poche d’Harry et en s’y emmitouflant.

Luna portait de grosses chaussures aux pieds, et une longue chemise de nuit légère et bleutée. C’était habituel, tout comme le fait qu’elle prenne la cape de James pour une couverture chauffante. Harry ne s’en émeut pas et c’est la tête de Luna qui commença à marcher pour les éloigner des dortoirs.

« De quoi avez-vous besoin, Professeur ?

— Tu te souviens de la pièce à méfaits dont tu parlais ? demanda Harry.

— Oh, oui, bien sûr ! On vous a volé quelque chose, Professeur ?

— Pas tout à fait, Miss, sourit le vieux Directeur. Mais allons-y, je ne peux m’étendre dans les couloirs à ce sujet. »

La tête de Luna et Harry conduisirent Dumbledore devant le pan de mur où ils avaient eu l’habitude de se donner rendez-vous l’année précédente. Harry se rendit compte qu’il n’avait jamais expérimenté la pièce autrement que pour se battre. D’une certaine façon, il trouva cela assez représentatif de son existence, et cela le chagrina. Pendant que Luna chuchotait à la pierre – sa façon à elle d’invoquer la Salle sur Demande – Albus l’observa avec la curiosité d’un enfant qui allait faire une grande découverte. Puis, les lignes de bois et de métal fendirent le mur pour y incruster une petite porte sobre à l’air vaguement louche, et la blonde se tourna vers eux en souriant légèrement.

« Faites attention, il y a des choses très dangereuses dedans, Professeur.

— Harry me protègera, sourit le vieil homme jouant le jeu. »

Ils pénétrèrent dans la salle avec une certaine appréhension, quand un sifflement strident passa à leur droite.

« Baissez-vous. » avait averti la blonde d’un ton égal.

***

C’est l’odeur âcre et chaude du café qui la réveilla. La sensation la plongea immédiatement de bonne humeur. Elle sourit, les yeux toujours fermés, et s’étira dans tous les sens comme un chat. Elle pensa brièvement à Merlin qui ne lui miaulait pas aux oreilles pour lui réclamer de la bouffe, puis, elle inspira un grand coup en paniquant et se releva d’un bond avant de se précipiter hors de sa chambre. Elle avait dû faire un certain boucan puisqu’elle se cogna au Sorcier qui l’avait rejointe et avait la baguette et les traits tirés.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? Quelque chose ne va pas ? »

La tête contre son torse, Jane marmonna vaguement quelque chose d’intelligible avant de se reculer et de reprendre.

« Tout va bien… Je me suis juste laissée désorienter un instant.

— Bien, il rangea sa baguette. Le café est prêt, pour le reste, je ne sais pas si vous avez des choses à manger.

— Ah c’est génial, c’est exactement ce qu’il me fallait, merci ! S’il reste de la pizza, ça fera l’affaire. »

Severus grimaça légèrement, mais se contenta de leur servir une tasse avant de se percher sur un des tabourets du bar. Humant avec plaisir la liqueur noire et attrapant d’un geste absent un des derniers triangles froids de la pizza, Jane l’observa les yeux encore collants de fatigue. Il avait l’air alerte, frais et dispo. Après un instant à le fixer sans trop savoir comment entamer cette conversation, elle tenta une approche plus classique.

« Vous vous êtes lavé ? demanda-t-elle en observant ses cheveux goutter doucement.

— Ça m’arrive.

— Non, mais je…

— J’ai compris.

— Vous êtes prêt et m’attendez, en gros.

— En gros. »

La Moldue avala bruyamment une gorgée de café en aspirant vulgairement le liquide. Elle évitait avec tant de soin de croiser le regard du Sorcier qu’il soupira d’agacement et prit les devants :

« Vous ne vous souvenez de rien, c’est ça ?

— De… pas grand-chose, ouais…  Murmura-t-elle en rougissant.

— Vous vous êtes mise contre moi, et…

— Et… ?

— Et…

— Et… ?! Severus, qu’est-ce que j’ai fait ?

— Que pensez-vous être capable de faire ?

— Oh, oh… Vraiment ?

— … Qu’avez-vous en tête ?

— Ah ! Alors, non, ce n’est pas ça. Qu’est-ce que j’ai fait ? Je me souviens à peu près du film…

— De la bouteille, aussi, peut-être ?

— Ah, oui ! Je reconnais que je lui ai mis une belle claque.

— Elle est vide.

— Une branlée, alors.

— Ce n’est définitivement pas le meilleur choix de mots.

Oh mon Dieu ! Qu’est-ce que j’ai fait ?!

— Vous vous êtes endormie. »

Il but lentement sur sa réplique, mais même la tasse ne parvint à dissimuler totalement le dessin des commissures de ses lèvres qui se redressaient. Jane était passée de l’écarlate au pâle en quelques instants, avant de repartir sur une teinte rosée – sensiblement la même que celle qu’elle avait ingérée la veille.

« … Vous vous trouvez drôle ?

— Oui. Vous êtes du genre à coucher avec quelqu’un dans cet état ?

— Ça m’est déjà arrivé…

— Vous n’auriez pas oublié.

— C’est prétentieux.

— Non, c’est une… »

Il se tut et but une autre gorgée pour clore le débat. Jane arqua un sourcil et lui sourit en hochant la tête.

« Vos silences sont parfois plus sexys et éloquents que vos répliques… »

Il s’étouffa, elle termina son café d’une traite avant d’engloutir sa part de pizza.

« Merci de m’avoir ramenée dans le lit, en tout cas.

— Je ne suis pas un oreiller, tenta-t-il de répliquer sèchement. Allez vous laver, nous avons fort à faire. »

La bonne humeur de Jane retomba immédiatement et elle lui jeta un regard dur avant de tourner des talons et de filer en direction de la salle de bain.

***

Harry se pencha avec délicatesse, ayant l’impression que le moindre de ses os pouvait craquer, que ses battements de cœur pouvaient se répercuter à l’infini dans la pièce magique. Il ne fallait faire aucun bruit, alors il retint sa respiration et dans des gestes trop amples, trop téléphonés, attrapa son pantalon en repensant qu’il avait dû avoir l’air aussi stupide la veille quand il s’était jeté sur le vieux sorcier.

***

Luna n’avait pas haussé le ton. Elle s’était contentée de se baisser souplement à son tour, et proposait le visage de quelqu’un pour qui ce genre de choses était banal. Harry avait bondi d’un geste souple que ses années d’entraînement de Quidditch et les mois de Défense Contre les Forces du Mal avec Snape avaient contribué à forger. Il avait plaqué sans ménagement son Directeur et avait eu le temps de sentir le courant d’air frais frôler ses cheveux indisciplinés. Levant à peine les yeux pour tenter de voir ce qui les avait attaqués, Harry entendit à nouveau ce drôle de sifflement et perçut le mouvement de Luna :

« C’est FINITE, Oui ?! » Cria-t-elle à la chose qui protesta en sifflant, avant de virevolter dans tous les sens dans une courbe furieuse.

Un gros « crack » les fit sursauter et Luna hocha la tête en fronçant les sourcils d’un air sévère qu’il ne lui connaissait pas.

« Elle a toujours besoin de faire son intéressante… »

Les deux Sorciers se relevèrent, l’air un brin hagard. Harry ouvrit la bouche pour demander des explications, mais son amie le devança.

« C’est toujours comme ça ! Elle cherche toujours à trancher des têtes en faisant les bruits les plus sinistres. C’est usant, et de mauvais goût s’il en est…

— Elle ?

— La hache ! Là, regarde ! »

Elle pointa du doigt une grosse hache normande dont la lame était profondément enfoncée dans une sorte de vieille armoire branlante. Du sang gouttait lentement du fil, et il semblait à Harry qu’elle continuait de gémir menaçante.

« Je l’ai toujours connue comme ça. Il suffit simplement de lui lancer un bon sortilège. Mais de façon autoritaire, vous comprenez ? Ce genre d’armes ne comprend que la force, de toute manière…

— Oui, c’est effectivement très logique… » Murmura Albus, tandis qu’Harry, qui pourtant était habitué aux pensées de son amie, trouvait cela tout de même particulièrement tiré par les cheveux.

« Ne marchez pas sur cette dalle ! Elle n’aime pas ça et vous le fait savoir.

— Comment ? se piqua de curiosité le vieil homme.

— Professeur, coupa Harry. On a quand même quelque chose d’important à faire ici.

— C’est vrai, Harry Potter, survivre à la salle des méfaits serait déjà pas mal. »

Harry secoua la tête, il n’aimait pas quand elle l’appelait comme ça. Cela sous-entendait souvent qu’elle allait lui donner une leçon politique, ou qu’il était dans une posture d’Élu, ou pire : qu’il venait de dire quelque chose qu’elle trouvait stupide. Il allait répliquer quand Luna étendit ses bras, ouvrant la cape d’invisibilité pour qu’on voie sa tête et deux mains dépasser. Là, elle pointa l’ensemble de la pièce, et la réflexion du jeune homme se coinça dans sa gorge. Oui, effectivement, il s’agissait déjà de survivre à l’endroit.

La salle ne semblait avoir ni de fond ni de plafond. C’était une série de monticules d’objets, de meubles, de choses dans tous les sens plus ou moins ordonnée en rangées, mis là par des générations et des générations d’élèves, de visiteurs, de surveillants, de professeurs. La pièce était plutôt calme, même si de nombreux ronronnement d’objets magiques, de créatures probablement cachées, de toussotements étranges, de tintements, de coups frénétiques, de grincements, de raclements s’élevaient de temps à autres. Malgré tous ces étranges bruits, on pouvait très bien converser à voix haute et distinguer différents types de son. Les couleurs et les odeurs étaient quant à elles toutes aussi variées, donnant le tournis aux nouveaux arrivants. Ni Harry, ni Albus ne savait où regarder en premier, et chacun jetait des coups d’œil comme des enfants émerveillés et lâchés dans une version cauchemardesque de la boutique des Weasley. Il sembla bien à un moment au jeune homme qu’une flamme vrombit au loin, derrière une drôle de calèche sans attelage, et Luna se contenta de hocher la tête comme pour signifier qu’il interprétait bien l’origine du feu.

« Heu…, balbutia-t-il. C’est vraiment dangereux, ici ?

— C’est la salle des méfaits. Je ne sais pas si elle s’appelle vraiment comme ça, mais toute chose volée, toute preuve de crime arrive forcément ici. Je te l’ai dit, c’est là que je retrouve toujours mes affaires quand on me les cache.

— Non, mais… La hache et le truc genre souffle du dragon, c’est quand même…

— Oh, ce n’est rien ! Tu devrais voir le squelette qui fume la pipe, il est marrant.

— Il y a des cadavres dans cette salle ?! s’étrangla Albus.

— Poudlard n’est pas un lieu pour les enfants, Professeur, je pensais que vous le saviez. » Lui rétorqua la Serdaigle très sérieuse.

Comme pour confirmer son propos, une longue plainte émana d’une drôle de boîte à taille humaine. Harry frissonna, ne sachant pas s’il n’avait pas plus peur de cet endroit que de la Chambre des Secrets.

« Que cherchez-vous, alors ? les relança-t-elle.

— Nous pouvons parler librement ici, Miss Lovegood ? Vous êtes certaine qu’aucune oreille malveillante n’entendra notre conversation ?

— Ah si, elles entendront. Mais aucun secret ne sort jamais de cette pièce. À moins qu’elles ne vous appartiennent, ou ayez une quelconque prétention à leur sujet… répliqua-t-elle sibylline.

— Ce qui me semble logique, acquiesça Albus, avant d’ajouter soucieux : Et heureusement resolvable.

Harry les regarda un long moment, avant de comprendre que ses deux alliés partageaient une certaine intelligence matifiée de folie. Il accepta l’idée de renoncer à tout comprendre, et hocha la tête pour signifier qu’il était prêt à partir en quête de l’objet.  Dumbledore jaugea un long moment la Serdaigle dont la tête flottait toujours, et se racla la gorge.

« Nous recherchons le diadème perdu de Serdaigle.

— Ah bon ? Ce n’est pas la salle des objets perdus, pourtant… Il a été volé ?

— Oui… répondit du bout des lèvres le vieil homme.

— Oh ! Et pas par quelqu’un d’agréable, à ce que je vois. C’est pour ça que vous m’emmenez, parce que je suis une Serdaigle. Oui, c’est évident… Bien, que devons-nous chercher réellement ? Un bijou ? Une preuve ? Un trophée ? Un artéfact ?

— Qu’entendez-vous par là, Miss Lovegood ?

— C’est très simple, Professeur. Selon ce que l’objet est aux yeux du criminel, il ne sera pas caché de la même façon. »

Harry et Dumbledore échangèrent un bref regard, et à la grande surprise du cadet, le Directeur explicita sa demande :

« Nous chassons un morceau de l’âme de Voldemort… »

***

Jane et Severus arrivèrent dans la ruelle qui bordait l’immeuble où vivaient Élise Smith et Colin Barnes. Après que les couleurs et les lignes du décor se soient stabilisées, le Sorcier planta son regard dans celui de son amie pour la sonder. Il la tenait fermement contre lui, comme il avait en avait pris l’habitude et il la laissa s’éterniser un instant de plus dans ses bras. Elle avait peur. Manifestement Jane se doutait des réponses qu’on allait lui apporter, mais elle avait peur des conséquences. Snape se recula doucement, accompagnant les mains de la jeune femme qui glissaient sur ses bras avant de s’accrocher aux siennes. Il les serra brièvement, et la lâcha en hocha la tête.

« Vous êtes prête ?

— Je ne sais pas, je devrais peut-être l’appeler pour vérifier qu’elle est bien à la maison… ?

— Nous sommes un 24 décembre, il y a des chances.

— Et si elle était en train de faire des courses ?

— Elle reviendra.

— Ou qu’ils avaient décidé de fêter Noël ailleurs ?

— Vous vous défilez. »

Jane soupira et se gratta la tête d’un air embarrassé. Elle inspira un grand coup et se dirigea vers l’interphone de l’immeuble d’un pas décidé. Avant d’appuyer, elle retint son index et se tourna vers lui :

« Vous… Vous êtes certains que vous voulez rester ?

— Ils pensent déjà que nous sommes ensemble.

— Certes, mais ça ne ferait que…

— Vous voulez que je m’en aille ?

— NON ! Non, je crois que… »

Jane rougit et leva les yeux au ciel, comme agacée contre elle-même.

« J’ai peut-être besoin de vous.

— Il n’y a pas de honte à avoir, Jane… Vu l’homme que je suis, c’est tout à fait normal. »

Il lui sourit et ça l’amusa assez pour que son regard s’éclaire légèrement. Puis, elle se rembrunit et remisa ses interrogations féministes loin derrière sa nouvelle angoisse. Elle pressa le bouton, et le carré métallique finit par répondre avec la voix d’Élise.

« Oui ?

— Salut maman… Heu… Ben, c’est Jane, ta fille.

— JANE ! Je suis si… Attends, que se passe-t-il ? Tu vas bien ? Un problème ? Je t’ouvre, monte tout de suite ! »

Une sorte de bourdonnement libéra la porte d’entrée qui s’ouvrit légèrement, invitant à la franchir. Severus s’empara de la poignée pour faire le portier à sa jeune amie qui n’eut pas d’autre choix que de rassembler son courage et monter. Heureusement, Élise n’avait pas dévalé les escaliers pour arriver à leur rencontre, cela leur laissa tout le loisir de s’observer à travers la glace de l’ascenseur. Ils se fixaient tous deux, sans rien dire, et Jane se demanda si on pouvait pratiquer la Legilimancie avec un miroir.

« Oui.

— Je vous avais dit…

— C’est une habitude.

— Ce n’est… »

La porte avala sa réplique, et la mine réjouie de la mère de Jane les cueillit. Élise sourit tendrement à sa fille avant de repérer Severus et d’hausser les sourcils si hauts qu’ils disparurent derrière sa frange. Elle gloussa et élargit son sourire, alors que l’espion comprit le cheminement mental de la mère. Il allait ouvrir la bouche, mais elle avait déjà tourné les talons en attrapant Jane par la main pour la tirer dans le salon.

« Ma chérie ! Ça fait si longtemps ! Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes. Enfin, que vous veniez ! À l’improviste, en plus ? Quelque chose se passe ? Une bonne nouvelle, j’ai envie de croire ? Asseyez-vous. Colin n’est pas là, il est toujours en train de faire les courses. On voulait se faire quelque chose en amoureux, mais… Si vous voulez rester… Je m’emballe, attendez, vous voulez boire un thé ? Un café ? Quelque chose ? Oh ! Raconte-moi tout, ça fait un an que je ne t’ai pas vu ! Tes cheveux poussent drôlement vite ! Et t’as l’air fatiguée, tu sais. Tu prends des vitamines ? Tu ne vois vraiment pas assez le soleil. Tu travailles sans doute trop… »

Le flot était incessant. Jane se laissa asseoir sur le canapé, Severus la rejoint sans mot dire, la fixant en espérant qu’elle se ressaisisse et interrompe sa mère, mais la jeune femme ne semblait pas en avoir le courage. Élise se mit à faire des allers-retours entre la cuisine et le salon pour leur servir quelque chose, tout en continuant son monologue. Comme l’année précédente, un gigantesque sapin richement décoré s’élevait dans leur dos, et la grande baie vitrée ouvrait sur un Londres grisailleux et froid matinal. Le fait de ne pas se sentir totalement étranger dans la pièce dérangea profondément Severus qui pressa discrètement son genou contre celui de Jane pour qu’elle retrouve ses esprits. La jeune femme tressaillit et secoua la tête sévèrement. Alors qu’Élise continuait de babiller, Jane se racla la gorge :

« Heu maman… ? MAMAN ? Viens te poser deux minutes, je… J’crois qu’il n’y a pas trente-six manières d’aborder la question. »

La mère jeta une œillade perçante aux deux comparses, et sourit malicieusement.

« Eh bien… ! Tu en as mis du temps, j’aimerais bien que tu apprennes à me dire les choses, plutôt que je doive te faire craquer. Alors, c’est pour quand ? »

Severus cilla. Il avait beau l’avoir vu en filigrane dans l’esprit d’Élise, il restait interdit face à la question posée aussi directement. Jane pinça les lèvres et après l’avoir observé lui, se lança :

« Non. Ça n’est pas du tout ce que tu crois. Je suis là… Je suis là pour papa. »

Le sourire de l’aînée se fana, et ses sourcils se froncèrent d’inquiétude. Élise prit une place en face d’eux en fermant lentement les yeux. Comme si elle s’y était préparé des années auparavant, elle inspira longuement, et murmura :

« Il fallait bien que ça arrive un jour… »

***

Harry attrapa sa cravate et la passa négligemment autour de son cou sans pour autant la nouer. Il avait l’air débraillé, mais ça n’était guère important, il se sentait bien. Il tira sa baguette et murmura un sort pour voir l’heure qu’il était. Il étouffa un petit cri quand il se rendit compte qu’il était déjà 10h passées. Abandonnant l’idée d’un réveil en douceur, il se précipita sur le lit.

« Luna ? Luna ? appela-t-il en secouant son épaule. Réveille-toi ! On va manquer le train du retour ! Luna ? Luna il faut qu’on se lève, qu’on s’habille et qu’on… Merde, on est vraiment à la bourre.

— Hmm… Tu es soudain pressé… »

Harry leva les yeux au ciel et attrapa ses chaussures qu’il tenta d’enfiler, mais son talon écrasa l’arrière de l’une d’elles, et il dut donner un coup de poing dans le cuir pour le redresser. D’une autre main, il attrapa les affaires de la Serdaigle et les lui lança.

« Pardon, mais on est vraiment à la rue, là…

— Nous ne sommes plus dans la salle sur demande ? » Demanda-t-elle d’une voix ensommeillée.

Harry sourit et au lieu de lui répondre se contenta de lui lancer sa cape d’invisibilité. Malgré la fatigue, Luna l’attrapa avec une certaine dextérité et observa le tissu miroitant un court instant avant de planter son regard dans celui du Survivant. Très sérieuse, elle lui demanda :

« Tu as honte de moi ?

— Au contraire. Mais t’as pas envie qu’on te demande pourquoi t’es en chemise de nuit aux côtés d’Harry Potter… On va te cribler de questions. »

Elle se redressa, les draps glissant sur sa peau et la dévoilant, faisant tant rougir Harry qu’il aurait pu devenir le nouvel emblème de sa maison. Haussant les épaules, la blonde passa la chemise de nuit et s’enroula dans la cape.

« Je les criblerai de réponses, en ce cas…

— Et tu diras quoi ?

— La vérité : qu’Harry Potter et Albus Dumbledore m’ont sortie du lit pour que je les aide à trouver un bijou dans une pièce pleine de bordel…

— Ça n’est pas toute la vérité, non plus…

— Oh, je peux bien taire les états d’âme de Voldemort…, commença-t-elle en abaissant lentement la cape sur sa bouche. Ou le corps à corps d’Harry Potter… »

***

Combien de temps avaient-ils erré dans cette immense salle étrange ? Ils avaient pris la décision de se séparer et chacun avait décidé d’inspecter une rangée. De temps à autre, quelqu’un faisait une remarque sur une drôle de découverte, et c’est ainsi qu’ils apprirent que la pièce était pleine d’armes et de livres dangereux, d’objets venus du passé ensorcelés et de squelettes d’animaux. Harry croisa même le portrait peint d’un homme brun magnifique qui lui rappela vaguement la description d’un livre Moldu. Alors qu’il se perdait dans les reflets d’un étrange miroir qui semblait le montrer plus âgé qu’il n’était réellement, Harry sentit une drôle de sensation sourde étreindre ses entrailles. Son cœur s’emballa, pulsant durement dans sa poitrine au point qu’il en eut le tournis. Son reflet se tourna vers la droite, et bientôt, l’original l’imita.

Entre une colonne de chaises brisées et un amoncellement d’anneaux de but de Quidditch – probablement ensorcelés, le regard d’Harry fut attiré par un buste de marbre à l’allure grotesque. Il était coiffé d’une perruque colorée et mal-peignée et le jeune homme passa instinctivement les mains dans ses propres cheveux désordonnés. Son cœur continua de battre avec frénésie. Il sentit même l’énergie autour de lui se densifier, comme si le simple fait d’avoir une meilleure circulation sanguine suffisait à améliorer la perception de son environnement. Un fourmillement au bout de ses doigts le poussa à les bouger. Il se sentait presque inconfortable, gêné physiquement. S’approchant lentement du buste, presque respectueusement, Harry sentit les frissons s’intensifier. Quelque chose s’agita doucement en lui. Était-ce de l’excitation ? La résultante de la profusion de magie autour de lui ? Un ricanement s’échappa de ses lèvres, le sentiment de suffisance le gagnait. Au front de l’improbable buste aux cheveux bleus brillait une superbe couronne faite d’or blanc et piqué d’un énorme saphir étincelant.

Il avança instinctivement la main vers l’objet ne pressant pourtant pas l’allure. Il était intimement convaincu d’être face au diadème de Serdaigle et n’avait aucune envie de briser la magie de sa découverte en se précipitant. Les fourmillements dans ses doigts augmentèrent, se diffusant doucement dans ses phalanges et son bras, remontant, serpentant en direction de son cœur. Un puissant sentiment de satisfaction s’empara du jeune homme. C’était tout à fait normal, presque évident, qu’il trouvât l’objet. La sensation de propriété le grisa, le troublant momentanément. Était-ce parce qu’il était satisfait de posséder désormais un morceau de l’âme de Voldemort ? D’avoir, en quelque sorte, une ascendance invisible sur son ennemi ? Il ne s’aperçut pas immédiatement que son index et son majeur frôlaient les arrêtes brillantes du bijou. Il cligna des yeux quand ses doigts glissèrent contre le saphir pour en caresser les contours, apprécier de la pulpe toutes les facettes ouvragées. La pierre était douce et chaude au toucher. Elle semblait vibrer très légèrement, comme douée de vie. Harry inspira de panique en se rendant compte que les pulsations de son cœur battaient le même rythme, et rompit tout contact visuel avec l’artefact.

« PROFESSEUR ? LUNA ?! JE L’AI ! »

Ses deux comparses déboulèrent après quelques instants, essoufflés et pour Albus, un étrange chapeau à grelots fiché sur la tête.

« Professeur, qu’est-ce que…

— Aucune importance, Harry. Où est-il ?

— Ici, c’est bien cela, n’est-ce pas ? »

Le jeune homme désigna le diadème, sans pour autant oser le toucher à nouveau. Albus s’approcha avec prudence, les grelots sur son chapeau tintant légèrement tandis qu’il se penchait. Il fixait une inscription gravée sur le rebord qu’il lut à voix haute :

« « Tout homme s’enrichit quand abonde l’esprit » Oui, c’est bien cela, Harry, bravo ! Comment l’as-tu trouvé ?

— Je… Heu… J’ai vu un éclat, et voilà, éluda-t-il. Luna, c’est à toi que cela revient, je crois ?

— Pourquoi pas…

— Non ! coupa brusquement Dumbledore avant de retrouver sa bonhommie et de faire sonner ses grelots en souriant. L’honneur revient à celui qui l’a trouvé. Fais attention, cependant. Ne le touche pas directement, on ne sait jamais. »

Ce disant, il agita sa vieille main racornie en guise d’avertissement, et Harry tira de sa poche son vieux mouchoir taché. Comme un policier sur une scène de crime, il s’empara du diadème en couvrant sa main du tissu.

« C’est en le prenant simplement que vous vous étiez brûlé, Professeur ?

— Non, c’est en cherchant à le détruire. C’est pour cela que nous allons y aller plus doucement avec celui-ci…

— Celui-ci ? releva Luna en levant lentement sa baguette pour la pointer vers eux.

— Merde… se maudit Harry, avant de balbutier. Heu, Luna ? Qu’est-ce que…

— Baissez-vous, elle est à nouveau d’attaque. »

Le tintement des grelots accompagna l’étrange hurlement furieux de la hache ensanglantée. Les deux Sorciers obéirent alors que Luna projetait un sort doré contre l’arme. La lame para la première attaque, la seconde, mais la troisième la toucha à la poignée et elle sembla dévier de sa trajectoire pour se ficher dans un long coffre de pierre. Sur le cerclage d’un verrou qui fermait une quantité de chaînes massives, plus exactement. La Serdaigle allait frapper une nouvelle fois la hache pour faire bonne mesure quand Harry lui attrapa rapidement le poignet pour l’arrêter.

« Harry Potter, vous m’entravez, s’agaça la bonde.

— Ouais… Et toi Luna Lovegood tu libères des trucs je crois… »

Il était devenu pâle et étira l’index de la main qui tenait le diadème dans la direction de ce qui semblait être en réalité un très vieux tombeau de granit. Le couvercle pivota très lentement. Les grelots du Directeur s’ébrouèrent.

« Il est temps pour nous de laisser les secrets reposer en paix, murmura-t-il baguette pointée.

— Je… Je crois que c’est le terme… »

La voix d’Harry monta légèrement dans les aigus quand une main décharnée agrippa le rebord et qu’un râle sinistre accompagna une odeur terrible de décomposition.

« MAIS, YA QUOI D’AUTRE DE DANGEREUX DANS CETTE ÉCOLE ?! hurla le jeune homme.

— JE NE SAIS PAS, JE N’EN SUIS DIRECTEUR QUE DEPUIS QUARANTE ANS ! »

***

La mère et la fille s’observaient déjà depuis plus de cinq minutes sans rien dire. Les mains serrées sur ses genoux, Jane tremblait de plus en plus, le corps entièrement tendu et cherchant des réponses. Quant à Élise, la douleur et la honte se lisaient sur ses traits. Severus qui n’était pas devenu espion simplement parce qu’il portait la marque se sentit gêné d’une telle profusion d’émotions pour des choses aussi… banales que celles qu’il avait lues dans l’esprit de la mère. Dans la cuisine, la bouilloire électrique cliqueta, signe que l’eau était à bonne température et le Sorcier se leva souplement. Jane frissonna et lui jeta un regard suppliant, mais il leva une main apaisante :

« Je vais servir le thé, cela laissera à tout le monde l’occasion de trouver le courage de se lancer. »

Il s’éloigna, et Élise hocha la tête doucement, avant de demander :

« Que veux-tu savoir, exactement ?

— … Tout. Qui est mon vrai père ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Pourquoi… Tout, maman. Je veux tout savoir.

— Pourquoi maintenant ? murmura Élise, d’un ton légèrement désespéré.

— … Une… Une journaliste américaine m’a contactée. Elle cherchait à retracer le parcours de pa… William pour un papier. Elle m’a trouvée, et… Elle m’a dit que… Eh bien qu’il était mort il y a pas longtemps et j’ai compris que tu m’avais menti. Pis, quand elle a parlé de ses autres gosses adoptés, j’ai pensé que…

— Que tu n’étais pas de lui ? Pourquoi ?

— Parce qu’apparemment il ne pouvait pas avoir d’enfant, maman. C’est ce que la journaliste m’a dit, et c’est pour ça qu’elle voulait savoir qui j’étais, pourquoi j’avais son nom alors que… Ben il avait refait sa vie. »

Severus trouva sans peine la boîte à thé et les boules nécessaires pour commencer à remplir la théière. Il n’avait pas particulièrement besoin de rester davantage dans la cuisine, mais il préférait écouter les mensonges de Jane de là où il était. Elle parlait d’une voix chargée d’émotion dont l’incertitude pouvait facilement être prise pour de la difficulté à évoquer cet épisode. La fable était plausible, beaucoup moins nébuleuse et incroyable qu’un vague fantôme d’adolescente aux connaissances des tabloïdes terriblement exactes. Son entraînement d’espion lui portait toutes les hésitations de ton, les pauses respiratoires, les mouvements et frottements de tissus témoins de gestes de gêne et d’inconfort. Mère et fille n’en menaient pas large, et tandis qu’il chercha à dénicher des gâteaux ou quoi que ce soit d’agréable à manger – le sucre et le chocolat avaient bel et bien des vertus calmantes, il le savait – il pinça des lèvres à la nouvelle question de Jane.

« Pourquoi tu m’as menti ? »

Qu’était le plus important pour elle ? La vérité sur ses origines ? Le fait qu’on l’ait manipulée ? Chipant un spéculos dans la boîte qu’il avait pu trouver, Severus grignota le bout sableux en réfléchissant à la question. Il n’était pas bien certain de comprendre pourquoi Jane vivait si mal cette affaire. Les faits étaient simples, les conséquences aussi. Poudlard était sans défense, fin de l’histoire.

« … Parce que la vérité était trop complexe ou sordide pour une petite fille.

— Je ne suis plus une petite fille.

— Et que par la suite il ne semblait pas nécessaire de revenir là-dessus. Tu n’as jamais trop posé de questions sur William. Un peu, vers l’âge où tous les enfants apprennent les noms des grands-parents et le principe des arbres généalogiques, mais… ça n’a jamais été important pour toi.

— Parce que… Parce que tu m’as dit qu’il était mort, d’un cancer… du pancréas ! s’énerva Jane. Putain, pourquoi ces conneries, en fait ?! Tu pouvais pas juste me dire que vous étiez divorcés, ou…

— Mais nous n’étions pas divorcés, Jane. »

Severus prétexta de trouver un plateau pour porter tout son attirail, et resta davantage dans la cuisine. Il avait été très surpris la première fois qu’il avait rencontré Élise et Colin, que les deux ne partagent pas le même nom, et que la mère et la fille si.  Peu assuré quant aux mœurs Moldues, il n’avait alors rien dit. Il trouva un plateau où une affreuse tour Eiffel était grossièrement peinte dessus avec le traditionnel « I love Paris » écrit, et disposa les tasses, le miel et le sucre.

« … C’est… C’est… C’est débile. Je comprends pas.

— Je pense que si, murmura Élise, lasse. Qu’il soit mort de quelque chose de tragique était plus simple à comprendre et moins douloureux.

— Pour moi ou pour toi ?

— Pour nous deux.

C’est ça

— Jane… Est-ce que tu peux au moins ne pas m’enlever le fait que j’ai sincèrement pensé à ton bonheur ?

— En me faisant croire que mon père était mort ? Non, pire : en me faisant croire qu’un mort était mon père, et c’est qui mon père, hein ? Le facteur ?

— CA SUFFIT ! »

La mère avait haussé le ton et frappé du plat de la main la table basse. Severus prit un autre spéculos et le laissa fondre sur sa langue en inspirant doucement. Attendant le bon moment pour revenir.

« Tu crois que je t’ai menti par plaisir ?!

— Je crois que tu l’as fait par égoïsme, surtout.

— OUI ! OUI SI C’EST CE QUE TU VEUX ENTENDRE !

— CE N’EST PAS CE QUE JE VEUX ! JE VEUX LA VÉRITÉ ! POUR UNE FOIS, DIS-MOI LA VÉRITÉ !

— TRÈS BIEN ! Très bien ! Tu veux une discussion de femmes ? Très bien ! »

Severus entendit Élise se lever et s’approcher de Jane. Un instant, il se tendit, craignant stupidement pour son amie, quand il perçut vaguement Jane s’étrangler et le bruit d’un briquet précéder un soupir. Élise ouvrit une des fenêtres de la baie vitrée, et se mit à fumer avec colère.

« Depuis quand tu…

— Je fumais quand j’ai appris que j’étais enceinte de toi, coupa la mère d’un ton dur. Oui, je t’ai menti sur ça aussi, oui, je fumais. Et pas que des clopes. Moi aussi je traînais avec d’autres artistes, tu n’es pas la seule à t’amouracher de mecs paumés et grunges ou de types sinistres vaguement satanistes. Sauf qu’à l’époque c’était des hippies et des rockeurs, et que la drogue, le sexe et le reste n’avaient rien à voir avec aujourd’hui. Non, j’étais pas encore avec William. Je te parle d’avant, avant ta naissance, okay ? »

Elle souffla encore, et Snape entendit Jane en allumer une également et la rejoindre en silence.

« Je travaillais sur le livre qui m’a fait connaître…

— « L’architecte de mes nuits ? »

— Celui-là même… Même si c’est un livre pour adultes, tu sais que je n’aime pas dire n’importe quoi dans mes romans, je veux que mes personnages soient convaincants. À cette époque, je me suis mise à fréquenter la fac d’Arts Appliqués, et à côtoyer un peu les étudiants de l’école d’Architecture qui n’était pas loin… Londres, dans les années 80 était… Ah… ! Tu n’as vraiment pas idée, ma fille… ! J’ai jamais autant bu, jamais autant baisé qu’à cette époque. »

Severus avala de travers le spéculos, et tenta de couvrir sa quinte de toux.

« C’est là-bas que j’ai rencontré William et Colin. Ils étaient amis, et on l’est devenu peu à peu tous les trois…

— Oh… Heu… Tous les trois… les trois ? s’étrangla Jane.

— C’était bien avant la question du Sida, et de toutes vos pudibonderies. C’était en 1982. Hall et Oates chantaient « Maneater », Les Clash nous excitaient tous sur le rythme sensuel de « Should I Stay or Should I Go » et on dansait encore sur « Start Me Up » des Stones… Le sexe n’a jamais été aussi libéré et présent qu’à cette époque.

— Libéré ? On parlait à peine de l’homosexualité, et on avait une vision du Sida très homophobe, justement… reprit Jane, agacée.

— Sauf qu’on baisait sans se poser de question. Du moment qu’on était consentant ça restait de la fête, une éternelle fête.

— Et vous avez festoyé ensemble, c’est ça ? Genre, tous les trois, quoi…

— Tu vas me juger, Jane ? Tu crois que je pense naïvement que tes études avec tes amis ont été chastes ? Je te rappelle que j’ai dû une fois venir vous chercher avec Diane, Lucy et Dimitri alors que vous étiez tous…

D’accord, d’accord, coupa Jane en jetant un coup d’œil en direction de la cuisine. Vous étiez assez bons amis pour… Avoir confiance et avoir envie de vous amuser.

— Ah tout de suite, tu te fais moins juge, hein… ? Ce n’est arrivé qu’une fois, j’ai vraiment craqué sur William à l’époque. On a fini par se mettre ensemble, par s’installer, tu vois ? Lui et Colin ont monté une étude tous les deux. Elle existe toujours d’ailleurs, ça non plus on n’a jamais pu régler ce problème…

— Quoi ?

— Tu comprendras. On a fini par se marier avec William. Tout se passait bien à l’époque, on emménageait dans une petite maison de banlieue, on essayait d’avoir un enfant, on s’était endetté pour payer tout ça et commencer à être des adultes responsables…

— À vingt-trois, vingt-cinq ans, c’est ça ?

— C’est ça. Mais à l’époque, Jane, c’était normal. On vivait intensément jeune, et…

— Quand est-ce que ça a merdé ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— À ton avis ? »

Severus n’arrêtait pas de changer les tasses de place, les cuillères de place, de manger un spéculos, d’en remettre sur le plateau, d’en manger un autre, de rougir, de se concentrer, d’hésiter à s’en aller.

« Le bébé de l’amour n’est pas venu, et ça a foutu la merde, c’est ça ? soupira Jane.

— Tu t’attendais à quelque chose de plus original ? Non ma fille, c’est aussi banal que ça. Ça a commencé à peser, je me suis mise à en faire une obsession, lui aussi. William en avait marre de rentrer et de ne faire que ça. Ça, c’est essayer de t’avoir.

— J’avais compris…

— C’était devenu ingérable notre couple. On s’engueulait, on couchait ensemble, je faisais un test, et on recommençait. C’était horrible, une des pires périodes de ma vie. Je… Je parlais beaucoup à Colin de tout ça, il était notre plus proche ami, tu vois ?

— Oui. Je crois que je vois totalement. Et t’es tombée enceinte…

— Évidemment… Une fois aura suffi. Tu peux être certaine que dans ces cas-là, une fois est suffisante pour te mettre vraiment dans l’embarras… Au début, je me suis dit que c’était super, tu vois ? Que ça allait calmer les choses, ce qui a été le cas.

— Jusqu’à ce que William apprenne la vérité… Comment il l’a su ?

— Il… Il a eu un problème et a dû être opéré des testicules. Une torsion qui l’a conduit à l’hôpital et après un check-up…, Élise soupira et jeta sa cigarette. Les médecins lui ont dit qu’il était stérile. Mais ce n’était pas du tout une conséquence de cet événement, tu vois ?

Oh que oui… Et lui qui avait une gamine de quoi… Quelques mois, c’est ça ? Ça a dû jeter un froid… »

Elles revinrent se poster sur le canapé. Élise hocha doucement de la tête et regardant sa fille avec honte.

« Je suppose qu’il n’y a aucune bonne façon de prendre une telle chose. William est entré dans une colère noire. Évidemment… Évidemment, il avait tout de suite compris qui était ton vrai père.

Évidemment, murmura Jane. Tu peux le dire, maman, je pense qu’il est temps.

— C’est…

— C’est moi. »

Deux gros sacs de courses posés sur le sol, l’écharpe et le manteau encore correctement boutonnés, Colin Barnes était rentré chez lui un 24 décembre dans l’idée de faire un somptueux poulet braisé, et faisait finalement face à sa fille. Sa fille. Jane Barnes.

***

Harry pressa le pas, cherchant à éviter au maximum de croiser des Aurors dans les couloirs, des élèves, ou n’importe quoi qui lui demanderait pourquoi il n’était pas déjà à la gare de Pré-au-Lard. Un instant, il se demanda s’il n’allait pas tout simplement foncer là-bas pour prendre le train au vol, mais à ses côtés, bien que dissimulée par la cape, marchait une Luna dans une toute petite chemise de nuit. Une vraiment toute petite chemise de nuit. Une décidément trop petite chemise de nuit.

***

Luna s’était écriée de stupeur, alors que la main décharnée retenait un pan de son vêtement. Au bout de la main, une créature hideuse et puante aux formes vaguement humaines tentait de l’attirer à elle. Ce n’était pas un Inferus, cela ne se pouvait. Ce n’était pas une goule, elles étaient inoffensives. Alors qu’était-ce ?! Harry attrapa Luna par la taille et la tira à lui comme Luke tira Leia pour la tenir face aux Stormtroopers. La créature refusa de lâcher la chemise de nuit qui se déchira sous la tension. La Serdaigle se retrouva cuisses nues mais la chose tomba à la renverse sous sa propre inertie.

« PROFESSEUR ! IL FAUT QU’ON SORTE D’ICI !

— PAR LÀ ! »

Le vieil homme et les grelots répondirent de concert et Harry s’élança, en tenant toujours son amie proche de lui. Luna se laissait entraîner et en profita pour jeter quelques sorts pour couvrir leurs arrières.

« Tu es sûre de ce que tu fais ?

— Cours vers ton destin Harry Potter… À moi les détails. »

Peu convaincu, il accéléra le pas en continuant de la tirer à lui. Quand il entendit un terrible grondement derrière et un léger hoquet, il grinça des dents :

« Les détails grossissent avec toi, apparemment…

— Ce n’est pas le moment de faire dans l’humour gras, Harry. Cours. Vite. »

Il fronça les sourcils, mettant beaucoup de temps à comprendre où elle voulait en venir, mais quand le cri agonisant de la hache lui parvint, mêlé à un grondement animal, au râle de la créature, et à une forte odeur de brûlé, Harry sut qu’il lui fallait obéir.

« MAIS C’EST QUOI CETTE ECOLE ?!?

— LÀ ! SAUTE HARRY ! ATTENTION ! »

Par réflexe, il obtempéra en attrapant Luna qui passa ses bras autour de lui rapidement. Un instant ils se sentirent suspendus dans les airs et contemplèrent non pas le sol dallé, mais une sorte de gouffre d’où vrombissaient des flammes écarlates et des hurlements sinistres. Ils se sentirent immédiatement attirés vers les profondeurs de cet enfer, quand la voix puissante de Dumbledore s’éleva, et qu’une sorte de main invisible les porta tout en douceur au-dessus de cette fournaise. Par chance, ce qui les poursuivait sembla craindre également cette vision cauchemardesque et ils purent sortir de la Salle sur Demande sans encombre. La porte les vomit presque avec agacement, comme énervée du foutoir qu’ils avaient provoqué et disparut lentement dans une plainte d’agonie.

Se relevant avec naturel, et rajustant la cape d’invisibilité, Luna les observa d’un air excité.

« C’était une belle aventure ! Si ta vie ressemble toujours à ça, Harry, tu devrais songer à l’écrire…

— C’était… C’était dingue, qu’est-ce que c’était que ça à l’entrée ? Putain, j’ai bien le… Oui ! Il est toujours là, soupira Harry en brandissant le diadème.

— Pour la faille vers le centre de la terre, je crois que c’est moi, j’ai couru sur la dalle que Miss Lovegood avait pourtant identifiée comme dangereuse… Mais ce n’est pas l’important, l’important est que vous soyez tous les deux sains et saufs et qu’on ait tout récupéré.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant Professeur, on le détruit ?

— Pas immédiatement, je vais demander l’assistance de Severus cette fois… Nous verrons cela après Noël, si je le lève ce soir après tout ce qui s’est passé…

— Que s’est-il passé ?

— Rien qui ne vous concerne pour l’heure les enfants, sourit Dumbledore en secouant son nouveau chapeau plein de grelots.

— Et ça c’est quoi, en fait ?

— Ça ? Oh… C’était à moi quand j’avais votre âge… Mais le bruit énervait mes collègues de chambrée, je crois… Et je l’ai… perdu. Je suppose qu’il a été en réalité « égaré » ici par un de mes camarades. Je suis content de l’avoir retrouvé. »

Luna hocha la tête et remit en place un grelot en souriant.

« Il est vraiment très beau et vous va très bien, Professeur.

— Je trouve aussi. Merci pour votre aide à tous les deux. Harry, nous nous verrons…

— Attendez, vous allez venir, tout de même demain ? Je sais qu’il y a plus important que Noël, mais…

— Je passerai sans doute, car il n’y a rien de plus important, surtout pour vous. Mais j’ai effectivement fort à faire. Je pense en avoir isolé un autre, et il est urgent que je planifie son extraction. Celui-ci devrait nous donner beaucoup plus de fil à retordre, termina Albus d’un air préoccupé. Mais laissez les inquiétudes d’un vieil homme là où elles ont leur place.

— Sur ses épaules ? proposa Luna.

— Tout à fait, Miss, et pas sur les vôtres. Prenez du repos, le train part tôt demain, n’oubliez pas ! »

Il s’en était allé d’un air guilleret, le diadème soigneusement enveloppé dans le mouchoir et le dissimulant sous son couvre-chef improbable. L’observant tous deux, Harry et Luna étaient restés seuls. Le jeune homme allait faire demi-tour pour retourner à son dortoir quand il vit son amie chuchoter à nouveau au pan de mur.

« Qu’est-ce que tu fais ?

— Je négocie.

— Tu veux y retourner ?

— Non, mais je veux bien retourner me coucher.

— Justement, tu… »

Des entrelacs, cette fois-ci plus délicats étaient alors apparus, dévoilant une petite porte aux formes rondes et accueillantes. Luna la passa, ravie, remerciant la Salle, et Harry hésita. Quels genres de monstres ou d’aventures à sensations fortes il allait trouver là-dedans… ?

***

 

Colin regarda sa fille avec gravité, les yeux embués de larmes. Un lourd silence s’installa, et Colin reprit les sacs pour les porter à la cuisine. Ils se croisèrent avec Severus, mais n’échangèrent pas un mot. Les deux hommes entreprirent de ranger en silence les victuailles, remettant le thé à réchauffer, avant de retourner dans le salon tous les deux, apportant un peu de réconfort à chacun. Colin se posta près d’Élise et lui prit délicatement la main, tandis que Severus s’assit maladroitement à côté de Jane, croisa les jambes en regrettant amèrement de jouer les figurants. Colin inspira, pendant que Jane servait le thé sans pour autant cesser de le fixer, ce qui manqua de les conduire à la catastrophe. Severus lui prit doucement les affaires des mains et décida de s’en charger, en inclinant la tête.

« Je suis ton père…, commença l’architecte.

— Tu l’as toujours été pour moi, murmura Jane émue.

— Je sais, je veux dire que… Tu es de moi. Et la décision de te mentir a été prise par nous deux. Je ne dis pas que ça a été la plus intelligente, seulement à l’époque, on ne voyait pas bien comment faire.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— William a…, sa mère s’arrêta, se mordant la lèvre en inspirant longuement. Le temps n’avait toujours pas effacé cette histoire.

— William s’est vengé. Il a copieusement insulté Élise, pour commencer… Il… ne lui a pas fait de mal physiquement. C’est à moi qu’il a cassé la gueule, en fait.

— Ton nez ce n’est pas à cause du Cricket, alors ?

— Si, mais ça n’a rien arrangé. Il s’est tiré surtout avec tous les papiers. Ceux de la baraque, ceux de l’étude, tout… Il a tout laissé en plan. Et surtout… »

La tasse de Colin trembla sous l’effet de la colère, et Élise évita de regarder son compagnon ou leur fille.

« Il s’est surtout gardé de libérer ta mère, et a dépensé des sommes folles en leurs deux noms – ou même au mien avec l’étude – pour nous faire payer.

— « Libérer »… ?

— Smith n’a pas divorcé pour que votre mère ne puisse jamais se remarier, qu’elle ne puisse jamais se séparer de lui. Jamais refaire sa vie. Qu’ils ne puissent jamais dire que l’enfant n’était pas de lui… Qu’ils ne puissent jamais être la famille qui aurait dû être la sienne. »

Severus avait la voix rauque et dure, et il regardait le couple sans laisser transparaître la moindre émotion. Il était facile pour lui de comprendre les motivations de William Smith, il aurait fait probablement la même chose… Quoi qu’à son âge, il aurait peut-être même envisagé de massacrer…

« Oui. Et le monde de l’Architecture est très particulier, de nos images dépendent nos carrières, compléta Colin. J’étais baisé si je voulais vivre avec elle…

— Mais… attends ‘pa, vous vivez ensemble, et lui était vivant. Dans le milieu ils doivent bien savoir qu’il y a un souci quand même ? Qu’ils sont séparés, ou un truc dans le genre ?

— Dans la Haute Londonienne, peut-être… C’était il y a trente-deux ans, Jane. Lui a pu refaire une réputation aux USA, et moi j’ai fait profil bas.

— Pourquoi ? Tu aurais pu faire carrière, en fin de compte toi aussi.

— Et laisser Élise élever seule mon enfant ? Avec des dettes et des imbroglios juridiques liés à notre relation ? On te fait boire quoi dans ton école de star pour que tu oublies qui je suis ?! Et ne t’avise pas de croire que tu n’es qu’une responsabilité. Moi, ça m’allait en fin de compte. J’aimais déjà cette sulfureuse auteure d’érotisme depuis des lustres… Peu importe qu’on doive se battre, elle en valait la peine. Et un seul regard sur toi m’avait suffi à savoir que toi aussi.

— … Et… Et toi, maman ? demanda Jane la voix enrouée.

— Moi quoi ? Est-ce que je regrette ? Certainement pas ! Nous avons été très heureux tous les trois. Assez pour qu’on oublie presque totalement cette histoire… Je suis désolée qu’on ait dû te mentir, on ne voulait pas que tu te sentes rejetée, ou mal-aimée, justement. Nous ne voulions pas que tu croies que tu étais un accident… »

Jane remua et Severus comprit qu’elle se retenait de faire remarquer qu’elle l’était justement. Il se tut, prenant doucement sa main dans la sienne et la leva légèrement, l’invitant à se lever pour qu’elle aille à leur rencontre.

« Est-ce si grave que ça, Jane ? demanda Élise inquiète. Si grave que tu aies cru tout ce temps que tu étais la fille de William ? »

La jeune femme hésita, échangeant un bref regard avec son ténébreux compagnon et secoua la tête.

« Je ne sais pas… Mais je comprends, murmura-t-elle. Vous étiez vraiment…

— … jeunes ?

— Oui, et dans la merde surtout… Je crois qu’il n’y avait rien d’autre à faire. »

Severus se leva en prétextant vouloir se laver les mains et les laissa seuls tous les trois. Les sanglots ne tardèrent pas à fuser alors qu’il quittait à peine la pièce et il inspira longuement, décidément peu à l’aise avec ce genre de situations.

***

Ils avaient pu repasser l’un et l’autre dans leur dortoir respectif et récupérer leurs affaires. Ils déboulèrent presque ensemble dans le parc de Poudlard et Harry pesta en voyant la longue pente descendre jusqu’au village de Pré-au-Lard.

« On n’y sera jamais à temps…, se lamenta-t-il.

— Qu’importe, si nous ratons le train nous irons en balais, ou à dos de Sombrals…, proposa Luna qui semblait adorer cette idée.

— Mais oui ! Accio Éclair de Feu ! »

Il tendit la main en direction des airs et tout en jetant quelques sortilèges de rétrécissement et d’allègement à leurs paquetages qui n’avaient pu être acheminés à temps par les elfes. Luna replaça machinalement le radis qui pendait à son oreille – dans le mauvais sens, et scruta les airs, peu convaincue.

« Tu n’as jamais songé que quelqu’un d’autre puisse avoir un autre Éclair de Feu à Poudlard ?

— Je le saurais, quand même… » S’amusa Harry avant qu’un vrombissement ne le coupe et qu’un superbe balai se fiche dans sa main.

Il écarquilla les yeux en voyant la poignée tressée d’un fin tissu écossais pourpre.

« Merde, c’est pas le mien… Mais à qui… ?

— Rends-le Harry, je pense que la personne n’a pas envie de se voir voler un objet aussi beau. Il est quelle heure ? Tu as peut-être le temps d’appeler le tien… ?

— Mais ? Mais comment on renvoie un balai ? Il faut le monter pour…

— Rentre retrouver ton propriétaire. » Ordonna Luna en caressant le manche avec tendresse.

À la grande surprise du jeune homme, l’artéfact obéit et fila en direction de la tour où il avait manqué de s’écraser lors de son premier cours de vol.

« C’est dingue… Tu… tu fais vraiment des trucs…

— Je suis surprise que cela continue de te surprendre, s’amusa-t-elle en lui lançant une œillade qui le fit rougir.

— « Accio Éclair de Feu de Harry Potter » ! Je suis très surprenable comme garçon, répondit-il en l’enlaçant avec tendresse.

— Et parfois surprenant. Au vol ?

— Au vol ! »

Ils sautèrent de concert quand l’objet déboula en sifflant, comme heureux qu’on le sorte de sa remise. Ils l’enfourchèrent et tandis que Luna tenait fermement Harry, les mini-valises dans les poches, ce dernier se coucha sur son balai avec une grande appréhension, portant pour la première fois quelqu’un.

« YOUHOU ! » Cria Luna de joie en lâchant les mains pour mieux se sentir libre.

Les entrailles d’Harry se contractèrent de peur et il attrapa une des mains de la blonde pour la remettre sur son torse. Ils filèrent droit vers la gare où le Poudlard Express les attendait, la fumée épaisse s’élevant en de grosses volutes préparatrices.

« Tu veux que je remette la cape ? murmura Luna à son oreille.

— Certainement pas ! À moins que tu préfères que je la mette moi, cria-t-il amusé.

— Non, je n’ai pas honte d’être avec toi… J’en suis même plutôt heureuse.

— Moi aussi ! » ria-t-il, incertain quant au fait que le vent n’avait pas emporté sa réplique.

***

Severus revint auprès d’eux quand il sentit qu’ils en avaient terminé. Il n’avait rien appris, il n’était d’ailleurs pas là pour ça. Jane leva des yeux rougis vers lui et lui sourit.

« Je vous ai gardé un spéculos. » Murmura-t-elle en lui poussa un petit bâtonnet et une nouvelle tasse de thé fumant.

« Merci, sourit-il. Il va falloir…

— Restez avec nous, proposa Colin.

— Heu… Ce soir nous sommes déjà pris en fait par un truc de l’école et…

— Je parlais de ce midi Jane. Et puis, vous pourrez nous dire un peu comment vous, vous allez. »

C’était une situation complexe, difficile de dire qu’il leur fallait rentrer immédiatement, difficile d’expliquer que Severus pouvait avoir mieux à faire… Difficile de trouver une parade décente à cette situation. Un instant, Jane regretta son choix de venir ici. Elle se tourna vers son ami, et le sonda du regard, il esquissa un sourire rassurant.

« Je n’ai pas particulièrement faim, puisque j’ai commencé dans la cuisine, mais cela serait avec plaisir… Si Jane en a envie, évidemment. »

Cet ajout tira un regard de connivence aux deux parents, et Jane déglutit en demandant à pouvoir se rafraîchir. Elle s’éclipsa si vite que Severus crut un instant avoir dit quelque chose de mal. Instinctivement, Colin comprit son malaise et secoua la tête :

« Montez, elle doit être allée dans sa chambre. Si elle vous hurle dessus, c’est qu’elle a besoin d’être seule, mais je pense… Je pense que non. Nous allons commencer à faire à manger.

— Vous êtes certain que…

— Non. On ne l’est jamais. Mais le courage ne doit pas être une qualité dont vous manquez, je pense. Merci, par ailleurs, d’être venu pour l’aider dans cette épreuve. »

Snape allait répliquer quelque chose quand il préféra se taire et bondit presque sur ses jambes pour prendre l’ascenseur qui l’amenait à l’étage des chambres à coucher. Il retrouva facilement son chemin, se dirigeant vers la pièce où il avait eu tant d’heures pour songer au passé… Et au présent. Il cogna doucement à la porte, et ouvrit sans trop attendre de réponse pour voir Jane sursauter et chercher à éviter son regard. Il se retint de lever les yeux au ciel et se contenta d’approcher en silence, prenant les épaules de la jeune femme entre ses mains avant de l’attirer doucement à lui. Elle resta un moment à lui faire dos, avant qu’elle ne finisse par pivoter et plaquer son visage contre son épaule. C’était incroyable le nombre de façons différentes qu’elle pouvait avoir de pleurer. Il avait fini par comprendre ce qu’un sanglot silencieux signifiait :

« Il n’y a pas de honte à avoir, Jane. Vous pouvez être… bouleversée par tout ça. »

Elle rit entre ses larmes, tremblant un peu nerveusement et leva un regard sérieux, bien qu’embué.

« Je sais que vous n’aimez pas les effusions. Et vous devez être en train de regretter d’être venu. Ou de vous dire que je me mouche dans votre cou.

— Contre mon torse serait plus exact. Mais vous le prenez pour votre propriété depuis quelques heures…

— Ouais… C’est con, toute cette histoire pour juste… Merde, murmura-t-elle en se tapant le front contre son torse. Une bête histoire de cul, et paf !

— Une histoire de… cul, qui dure depuis plus de trente ans, cela dit. Arrêtez de me frapper, vous allez vous faire mal. »

Il avait dit cela très sérieusement, mais Jane partit à rire. Elle s’écarta et le fixa derrière les larmes qui devinrent des larmes d’amusement, et rit, rit sans pouvoir s’arrêter. Severus se pencha, inquiet, et lui tint le visage entre ses mains pour plonger dans ses pensées à la recherche de la moindre chose indiquant une attaque, quelque chose. Mais il n’y avait rien de grave. Il sourit légèrement en lisant dans son esprit. Elle avait juste trouvé sa réplique prétentieuse et amusante. Jane s’assit sur son lit et redevint peu à peu sérieuse, tandis qu’il l’observait, toujours debout.

« Et maintenant ? Qu’est-ce qu’il va se passer ? Je vais devoir partir, c’est ça ? Vous quitter ?

Nous quitter, Jane ? » Demanda lentement Severus en commençant à comprendre le nœud véritable de son problème.

Ils se fixèrent un instant, sans qu’il n’ose aller au bout de sa question. Elle se mâchouilla la lèvre, inquiète.

« Je ne veux pas partir.

— Albus vous a dit que vous pouviez rester.

— Mais je ne sers plus à rien.

— Si la Communauté Sorcière ne se composait que de personnes utiles, Potter aurait enfin débarrassé ma vie.

— Je suis sérieuse, Severus ! Mon sang ne vaut rien, il ne sert à rien ! Tout ça c’est très bien pour maman et… papa. Ouais ! Mais mon sang n’a aucun intérêt.

— Il n’en a jamais eu. »

Il s’accroupit près d’elle et l’observa le regard perçant, les mâchoires légèrement contractées.

« Votre sang ne m’a jamais intéressé. Je pensais m’être fait comprendre quand je vous avais expliqué combien cela n’avait jamais eu la moindre importance pour moi.

— Je ne parlais pas… bredouilla Jane en rougissant.

— Moi je parle de ça. Quant à la guerre, sang ou pas, une fois en dehors de l’école, vous ne serviez pas à grand-chose. Vous avez été plus utile comme Professeure, que comme réserve d’hémoglobine prestigieuse. Du reste, la seule fois où votre sang a été en jeu, j’ai dû décapiter votre prétendant… »

Il se releva et lui tendit la main d’un geste impérieux qui leur rappela un bref instant cette fameuse nuit. Elle l’attrapa et se pressa un brièvement contre lui en secouant la tête.

« Vous les tuerez tous ?

— Je suis un assassin, Jane, c’est ce que font les assassins.

— C’est un peu… rude.

— Je ne suis pas aussi conciliant que William Smith. »

 

Entretien d’évaluation

Remerciements spéciaux (Tipee) : Merci à Marine, Audrey, Clément, Minsky, Achille, Pierre, Mathilde et Amine, Alias, Jennifer pour leur soutien sur Tipee ! Merci à Pierre et Achille, les premières Muses à jouir de leur droit en proposant un personnage. J’espère que son devenir vous plaira. 🙂


Sa tête tournait. Ses membres lourds et engourdis l’avaient portée jusque-là sans que rien ne puisse expliquer un tel exploit. Chaque pas avait été un effort. Un effort pour continuer, pour assumer. Redescendre, littéralement, avait été un périple. Redescendre de son nuage, de ses certitudes. Et entamer cette descente pure sous le sol, dans les tréfonds de Poudlard, dans ses cachots avait été une punition. L’instant d’avant elle tutoyait des êtres merveilleux, quand soudain elle fut projetée à terre. Sous terre. Dans une Géhenne où l’on ne dort pas tout à fait. Et où l’on ne vit certainement pas. Elle avait laissé le panier au jardin, laissé les pommes près de l’arbre. Elle avait la connaissance. Et dans la froideur propre à la mortalité, comprenait que désormais, elle regarderait ces créatures d’en bas.

C’est le corps glacé, drapé dans sa mousseline vaporeuse et légère qu’elle poussa la porte de ses appartements, l’esprit absent. La chaleur de la pièce lui éclata au visage sans qu’elle ne la sente vraiment. Assis sur le canapé en train de lire, Severus maugréa, avant de blêmir et de se redresser, alerte. Il lui parlait, répétait sans cesse la même chose mais ses oreilles bourdonnaient, emplies du martèlement de sa circulation sanguine, des pulsations de son cœur. Au moins était-elle vivante, crut-elle important de se dire. Quand l’homme posa ses deux mains sur ses épaules pour la secouer, elle se demanda ce qu’elle faisait ici. Quand il prit son visage en coupe, la chaleur de ses paumes la brula et son regard vague se fixa enfin, reprenant brutalement pied dans la réalité. Par-dessus les appels de son ami, elle bredouilla d’une voix sans timbre :

« Dumbledore s’est trompé. »

Le regard obsidienne s’ancrant dans le sien, une seconde de trop, avant qu’elle ne le repousse brutalement en s’écriant :

« NON !

— …

— Je vous interdis de regarder dans ma tête.

— Je suis désolé.

— Ne refaites jamais ça. Je vous interdis…

— Je suis désolé, Jane, coupa-t-il d’une voix ferme. Voulez-vous me le dire à voix haute ? »

La Moldue tituba presque en direction du canapé, cherchant du bout des doigts son chemin. Elle trouva sa boîte à cigarettes, la caressa d’un air absent et tourna son regard délavé par les larmes vers son ami. Avait-elle pleuré tout le long de son trajet ?

« J’dois savoir. Dumbledore… Merde… Qu’est-ce que je vais faire ?

— Vous calmer, dans l’immédiat. »

Il avait beau moduler parfaitement le timbre de sa voix, elle commençait assez à le connaître pour sentir sa tension. Son regard allait et venait dans la pièce, la scrutait, repartait en direction de la porte. Severus calculait. Il était évident qu’il avait capté l’essentiel de ce qu’il y avait à savoir, et à présent il calculait, projetait, reconfigurait la situation selon les nouvelles données acquises. C’était inhumain d’être capable de voir la vie sous ce prisme-là. Totalement Serpentard. C’était surtout aux antipodes de ce dont elle avait besoin. Il sembla le comprendre, puisqu’il attrapa le plaid qui traînait sur le canapé et le plaça sur ses épaules.

« Vous devriez passer une autre tenue avant qu’on…

— Non, décréta-t-elle. Dumbledore doit tout savoir. Maintenant. »

Elle se redressa rapidement et rejeta le plaid qui chuta bêtement au sol. D’un geste rageur, elle attrapa sa blague à cigarettes et sortit aussi soudainement qu’elle était venue. Severus inspira et la poursuivit, la jeune femme ayant déjà mis une bonne distance entre eux. Elle marchait à vive allure, ce qui n’était pas son genre, soufflant bruyamment, et s’épuisant à vue d’œil. Agacé, Snape chercha à l’attraper par le poignet, mais elle l’esquiva, continuant sa route comme si elle le fuyait.

« Je suis désolé, répéta-t-il du bout des lèvres, espérant qu’aucun élève ou fantôme ne l’entende. Je n’aurais pas dû…

— Laissez tomber, ça n’est pas la première fois.

— Je n’ai pas tout…

— Mais ça sera la dernière. »

La colère vibrait intensément dans la voix de Jane qui semblait incapable de faire autrement que de la diriger pour l’heure vers Severus. L’homme ne lui en tint pas rigueur et se tut, l’accompagnant simplement. Ils arrivèrent devant la gargouille et Snape balança le mot de passe négligemment, se demandant s’ils allaient déranger ou non le Directeur de Poudlard. Mais Albus n’était pas un homme qui dormait particulièrement. Moins encore depuis qu’il se savait condamné, avec pourtant de nombreuses choses à accomplir avant de partir. Quand le portrait de la gargouille à côté de la porte lui annonça ses visiteurs, il repoussa les documents qu’il étudiait et déblaya son bureau. À l’arrivée de Jane et Severus, un thé fumant les attendant, assorti de quelques bonbons au citron. Le vieil homme allait faire une réflexion sur le caractère inséparable du duo quand la mine préoccupée de son protégé et le regard de la Moldue l’interpellèrent. Jane garda résolument les yeux baissés, et c’est en évitant ostensiblement de croiser son regard qu’elle lui expliqua :

« Je ne suis l’héritière de rien du tout. »

En venant, elle avait tourné et retourné plusieurs formulations, toutes plus grandiloquentes les unes que les autres, toutes dignes du début d’un épisode de série après un cliffhanger magistral. Mais maintenant qu’elle devait le dire, la honte, la peine, l’épuisement avaient pris le dessus, et c’est un timide, presque enfantin « rien du tout » qui lui vint à l’esprit. Elle n’était personne. Albus cilla, observant Severus avec attention. L’homme évitait lui aussi de le regarder directement. Parfait Occlumens, il pouvait faire face à Dumbledore, mais le geste était symbolique et ostensible. Jane le vit et quand elle reprit son souffle, le mage blanc comprit l’attention.

« Vous vous êtes trompé, ajouta-t-elle. Je viens de parler avec Helena Serdaigle, elle m’a tout dit. Mon père… Enfin, William Smith n’est pas mon père. Et il est mort, monsieur le Directeur, mort ! C’est terminé. Tout ça, c’est terminé ! »

Elle était montée dans les aigus, la panique reprenant le dessus alors qu’elle tripotait machinalement sa boîte de cigarettes. Elle hésitait à en fumer une tout de suite, mais elle se sentait incapable de se focaliser sur autre chose que son discours.

« PUTAIN, MAIS DITES QUELQUE CHOSE ! JE VOUS DIS QUE JE NE SUIS NI L’HÉRITIÈRE DE GRYFFONDOR NI CELLE DE SERDAIGLE ! VOLDEMORT A UN PUTAIN DE BOULEVARD POUR ROULER SUR CETTE PUTAIN D’ÉCOLE ! »

Les mains jointes devant sa bouche, aucun des deux ne le virent répondre dans un souffle quelque chose d’improbable.

« Je le sais, Miss, calmez-vous. »

***

Joseph Abernathy croyait savoir ce qui l’attendait en taguant sur les murs du chaudron baveur. Il s’était imaginé être démasqué par une patrouille d’Aurors, peut-être par une escouade de la Brigade d’Interventions Tactiques d’Élites ; mais être cueilli par une paire d’yeux gris brûlants, et un rire enfantin qui le hanterait à jamais n’était pas dans ses ambitions.

De sa baguette, et depuis quelques jours, il parcourait le Londres Moldu ou Sorcier pour graver les murs d’un crâne vomissant un serpent. Les policiers Moldus s’étaient mis sur l’enquête, ne comprenant pas d’où sortait cette peinture indélébile et s’inquiétant de la possibilité d’une émergence de groupuscule néo-sataniste. La Maire de Londres, fraîchement élue après une campagne houleuse basée sur un renforcement de la sécurité suite aux derniers évènements qu’ils attribuaient aux Irlandais, avait déjà recadré ses équipes à coups de vociférations et de communiqués de presse « musclés ». La situation était sous contrôle, circulez. Du côté du Ministère de la Magie, on s’inquiétait vivement de ces nouveaux symboles qui fleurissaient un peu partout, ça et les différentes agressions perpétrées dans le pays. De plus en plus d’objets maudits étaient volontairement laissés à disposition des Moldus, avec des sortilèges toujours plus agressifs. L’autre tendance était cette vague de soutiens apparents à ce qu’on commençait à appeler : « La ligne Vous-savez-qui ». La dichotomie de la société sorcière entre les positions de l’Ordre, celles de Voldemort, et au milieu deux positions politiquement modérées portées par Sirius Black et Lucius Malefoy, plongeait les Sorcières et les Sorciers dans un chao idéologique qui n’avait plus été atteint depuis les grandes guerres Moldues. Même la précédente guerre contre Voldemort n’avait pas apporté un tel lot de questionnements, obligeant les baguettes de l’époque à choisir simplement entre la vie et la mort. La profusion de communication, les nuances idéologiques, les nouvelles mouvances culturelles amenées par les nés-Moldus entraînaient un chamboulement tel que des gens comme Joseph Abernathy voyaient le jour. Des personnalités n’ayant plus rien à perdre, certainement pas un temps qu’elles avaient à profusion, et encore moins de famille. L’ennui, l’envie de vivre des choses extraordinaires et dignes de figurer dans les livres comme « Grandeurs et Décadence de la Magie Noire », les poussait à braver les politiques sécuritaires de plus en plus drastiques du Gouvernement Sorcier. Et tout ceci pour peindre quelques horreurs de mauvais goût sur des devantures aléatoires.

Simple préposé au courrier dans une boutique de balais, Abernathy pensait se soulager de son désaccord sur les assouplissements de règles en matière d’échange financier avec le monde Moldu, et de se venger de ce nouveau venu à la boutique qui ne sortait pas de Poudlard. Reproduire le dessin de la Marque des Ténèbres était pour lui un acte de vandalisme politique presque anodin, à peine de quoi vous faire faire un rappel à la loi par un comité restreint au Ministère… Certainement pas assez subversif pour vous retrouver dans cette posture. Car à présent, confronté directement à ce qu’il venait de soutenir, le Sorcier n’en menait pas large. Lui, comme les autres, tremblait comme des elfes.

« Calmez-vous… » Leur répéta cette voix qu’ils n’oublieraient plus jamais. « Vous n’avez rien à craindre de moi… Et tant que vous vous comporterez bien, vous n’aurez rien à craindre de Lui. »

Ils étaient un groupe de cinq sorciers et sorcières, tous manifestement « invités » à des moments similaires. Comme mus par les mêmes desseins, ils étaient habillés de noir, de vêtements qui pouvaient facilement masquer leur identité. Joseph ne mit pas longtemps à comprendre que, comme lui, les autres avaient été « conviés » par ce rire et des bras puissants alors qu’ils commettaient très probablement crime ou délit du même acabit que le sien. Ils n’avaient pas l’air d’assassins, ils n’avaient pas l’air de sympathisants des ténèbres non plus. Pourtant, malgré la peur que tous ressentaient, chacun d’eux était excité par la tournure que prenaient les choses. Si le Seigneur des Ténèbres était cependant absent, Bellatrix Lestrange et Fenrir Greyback suffisaient à leur faire comprendre que l’honneur était grand.

« Vous n’avez rien à craindre, disais-je… Car nous partageons de toute évidence les mêmes visions pour ce pays. Il est bon qu’il y ait encore des Sorciers et des Sorcières qui soient prêts à montrer leur opposition au laxisme du Ministère de la Magie et au délitement de notre race. Nous avons entendu votre appel et…

— … Heu… »

Joseph déglutit et les muscles de son dos se contractèrent instinctivement. Le malheureux qui venait d’interrompre Lestrange avait à présent attiré l’attention entière du groupe. La pièce qui n’était déjà pas particulièrement éclairée ni même chaleureuse sembla plonger de quelques degrés encore vers un froid mortuaire qui commençait à engourdir ses sens. Il n’avait pas été à Poudlard en même temps que Lestrange, Abernathy ne la connaissait donc que de réputation, mais il savait parfaitement qu’elle était dangereuse et impitoyable. Cet imbécile avait donc intérêt à avoir une bonne raison de se faire entendre. La Mangemort prit sur elle et étira lentement sa bouche en un sourire qui se voulait engageant.

« Oui… ?

— Je… Je crois qu’il y a erreur. Je… Je n’ai appelé personne, moi. »

L’abruti ! pensa Abernathy en regardant l’homme se tortiller sur sa chaise. Quoi qu’il ait fait pour se trouver ici, Bellatrix n’allait pas apprécier qu’on lui explique qu’elle s’était trompée. La brune observa l’impudent un moment avant de demander d’une voix innocente :

« N’as-tu pas crié cette nuit à l’Alambic que « Le sang vaincra » ?

— Si… mais…

— N’as-tu pas ajouté que le Seigneur des Ténèbres était le seul à s’attaquer aux vraies racines du mal dans notre monde ?

— … Peut-être… Peut-être… Mais…

— Mais quoi ? Renies-tu ton propos, Marcus ?

— Ben… C’est-à-dire, que… »

Abernathy cligna lentement des yeux, sachant très bien où cet ancien Serdaigle voulait en venir. Comme beaucoup dans ce petit groupe réuni dans le salon du Manoir Jedusor, Marcus Lockroad était un faible qui avait trouvé grisant de hurler avec les loups. Le pauvre homme termina sa phrase dans un souffle :

« … J’étais bourré, quoi… J’le pensais pas vraiment…

— Ah, je comprends, hocha doucement de la tête Bellatrix en s’approchant de lui. Tout le monde a déjà été enivré, n’est-ce pas Greyback ? »

Le loup-garou sourit d’un air animal, dévoilant des canines anormalement aiguisées. Il ricana d’une voix si gutturale qu’on aurait dit un prédateur en train de grogner de plaisir anticipé.

« Oh oui, mais l’alcool n’en est pas toujours la cause, se délecta-t-il.

— C’est vrai, admit Bellatrix… Mais nous comprenons ce que Marcus est en train de dire. Marcus est en train de nous dire qu’il ne croit pas vraiment que le Seigneur des Ténèbres puisse nous sauver…

— NON ! Non, pas du tout, ce n’est pas…

— Chut… Je comprends. Il arrive à tout le monde de faire des erreurs. Même à moi… AVADA KEDAVRA ! »

Abernathy cilla. Le sort fusa droit vers Marcus, le percutant avec tant de force qu’il bascula de sa chaise pour atterrir sur le dos, les bras en croix, une expression de terreur peinte sur le visage. Sur le sien, Bellatrix n’exprimait rien. Pas une once de pitié, aucune émotion ne transparut, si ce n’est l’ennui le plus profond. Jamais Joseph n’avait vu qui que ce soit se faire tuer sous ses yeux, et jamais il n’aurait cru que cela demande aussi peu d’effort.

« Même à moi, répéta-t-elle. Après tout, j’ai bien cru qu’il était des nôtres… »

Elle avait dit cela en souriant, levant les mains et les épaules comme une petite fille qui aurait sauté dans une flaque d’eau par amusement. Cela tira un éclat de rire terrible au loup-garou, et alors que le reste de la petite troupe frissonnait de terreur, Abernathy sentit une intense chaleur se déverser dans son corps.

***

Le silence dans la pièce était total, Severus refusait toujours de tourner son visage vers son mentor, préférant concentrer son attention sur Jane. Cette dernière regardait bouche bée le vieil homme. Quand elle sembla retrouver l’usage de la parole, elle demanda très froidement :

« Comment ça, « vous savez » ? »

Cela n’avait pas non plus particulièrement surpris Severus qui avait vu ici la confirmation d’une hypothèse soulevée à Halloween. Il n’y avait pas beaucoup d’explication au fait que Smith s’était retrouvée en danger dans l’école même dont elle était supposément l’héritière… C’était un fiasco, mais les deux Sorciers s’y étaient préparés depuis l’automne.

« Je le sais, répéta Dumbledore avec calme.

— Et on peut savoir comment ? Depuis combien de temps ? Quand est-ce que vous alliez m’en parler ?

— Jane, pouvez-vous au moins…, commença Snape.

— Non, coupa-t-elle. Et j’en ai ma claque de vos leçons de politesse, vous n’êtes ni mon père ni mon Professeur, Severus, alors foutez-moi la paix.

— Ne vous en prenez pas à lui, Jane, je suis le seul à blâmer. Je le sais depuis que vous êtes arrivée.

— Vous vous foutez de ma gueule, j’espère. »

Ils ne l’avaient plus entendue aussi vulgaire depuis leur première rencontre, peut-être. Mais même lorsqu’elle les croyait fous, la jeune femme avait eu plus de chaleur dans la voix. Sa posture, son ton, trahissaient une violente colère qu’elle tentait de maîtriser tant bien que mal. Severus vit également de la peur, mais il ne chercha plus à les interrompre.

« Je crains que non, Miss. Je m’en suis rendu compte lorsque la gargouille a refusé de vous ouvrir lors de votre première visite.

— Je croyais que c’était…

— Non, ce n’était pas une question de mot de passe. J’ai préféré me l’imaginer, mais les plaintes des elfes de maison par la suite…

Quoi ? Mais et pourquoi ?

—  Ils… Ce sont des gens très attachés aux traditions et au respect de… Eh bien de la hiérarchie… Le fait que vous chipiez si souvent de la nourriture sans être…

Une sorcière, comprit Jane en dévoilant un vilain sourire écœuré. De la hiérarchie… des races, vous voulez dire… Merde. Alors c’est ça ? Ça a toujours été ça en fin de compte : j’ai pas de pouvoir et il est important qu’on me le rappelle… J’aurais préféré que votre plan foire jusqu’au bout et que vous m’ameniez devant les ruines que j’aurais dû voir au lieu de l’école. Vous auriez eu l’air malin avec votre idée stupide et vos robes à paillettes. Parce que j’ai vu l’école… Je suis pas demeurée encore, Moldue peut-être, mais pas totalement débile : il est bien dit dans l’Histoire de Poudlard qu’il y a des tonnes de sorts pour « les gens comme moi », s’emporta-t-elle en se relevant avec colère. J’ai cru que c’était bien la preuve que cette histoire de dingue avait un sens : si je la voyais cette putain d’école, c’était que j’étais bien de ce putain de monde… Mais non ! »

À présent, elle attrapait une cigarette d’un geste brusque et l’allumait sans faire cas de l’endroit où elle se trouvait. Elle tira une grosse bouffée et la recracha tout en continuant.

« Mais je ne suis pas la descendante de machin et bidule. Je suis même pas Jane Smith. J’suis juste Jane. Mais je reste toujours Moldue. La Moldue. Jane la Moldue. Jane, la Professeure Moldue d’Étude des Moldus, et c’est ça votre entourloupe depuis le début, hein, Albus ? C’est COMME CA que vous vous êtes assuré que quoiqu’il se passe j’allais quand même vous être utile : j’étais pas du tout supposée faire les rayonnages à la bibliothèque et l’ancienne Prof n’a pas donné sa démission la veille de mon arrivée. VOUS LE SAVIEZ DEPUIS PLUS LONGTEMPS. Et comme vous êtes fou, et que rien ne vous arrête jamais : vous avez trouvé tout à fait pertinent de me coller dès le début à ce poste, ça m’occupait, ça vous permettait d’avoir quelqu’un pour faire de la propagande, et personne ne s’intéressait non plus à mon lignage. Vous vouliez juste que la pilule passe auprès du Ministère, donc vous avez différé et fait croire à une épiphanie de dernière minute. Une pierre, deux coups. Et moi… J’voyais ce putain de château, parce que ce tas de pierres avait magiquement capté que j’devais y faire cours ! »

Severus ouvrit la bouche, laissant sa surprise s’exprimer. Lui-même n’avait pas relevé ces détails ni cherché à comprendre les motivations du Directeur. L’histoire entière lui avait semblée trop rocambolesque et improbable pour avoir un quelconque sens. Il jeta un œil à Dumbledore dont le regard scintillait d’intelligence. Elle visait juste. Comme bien souvent.

« Alors, il va se passer quoi, maintenant, hein ? reprit-elle en continuant d’enfumer la pièce et de faire les cent pas. Quand vos copains de l’Ordre vont l’apprendre, il va se passer quoi, vous croyez ?

— Rien, Miss. »

Dumbledore agita la main et la fenêtre s’ouvrit magiquement, puis il se leva et contourna son bureau pour se poster près d’elle et l’observer longuement.

« Ils ne feront ni ne diront rien, car vous faites partie de l’Ordre à présent. Quant à moi, si vous me faites encore un peu confiance, je n’ai aucune raison de vous congédier. C’est donc à vous de me dire ce qu’il va se passer, je vous laisse ce choix.

— C’est ça… » Cracha-t-elle en détournant les yeux.

Jane se décala et inspira longuement en grimaçant. Elle jeta sa cigarette dans le parc et en ralluma immédiatement une autre.

« Comment avez-vous pu vous planter à ce point ? Vous pouvez faire voler des gens, des objets, vous pouvez vous téléporter… Comment. Avez-vous. Pu. Vous. Planter ? » Hacha-t-elle rageusement.

Cette fois-ci, Snape se racla la gorge et expliqua, sachant plus ou moins quelle réaction cela déclencherait :

« Il n’existe aucun moyen de vérifier la filiation chez un Sorcier. Les comptes en banque répondent à votre clé, ou à votre signature magique… Les objets appartenant aux familles également… Mais il n’y a pas de… De test comme chez les Moldus.

— C’est n’importe quoi ! Les gosses sont inscrits automatiquement à Poudlard à leur naissance, mais il n’y a pas…

— Les enfants avec une signature magique dont certaines nuances sont enregistrées au moins une fois à Poudlard, via… Leurs ancêtres, mais c’est un cas… corrigea Dumbledore.

— Et tous les nés-Moldus alors ? coupa Jane.

— Ils ont généralement des ancêtres Sorciers.

— Ce qui donne de l’eau au moulin des partisans de la théorie du sang, compléta Severus.

— Qui n’est pas une théorie, en réalité, Severus. Je pense de plus en plus que…

— Taisez-vous. »

L’ordre les choqua assez pour qu’ils y obéissent. Jane se percha sur le rebord de la fenêtre en fronçant les sourcils, continuant de fumer comme s’ils n’étaient pas là. Apparemment, elle réfléchissait :

« Donc, vous ne pouvez pas vérifier la filiation, mais il y aurait des nuances familiales reconnaissables, c’est n’importe quoi… C’est….

— Magique.

— Non, il a bon dos le deus ex machina. Granger aurait des ancêtres Sorciers et c’est pour ça qu’elle a été découverte, et moi qui était supposée en avoir, je n’avais aucune inscription à… Oui, je sais. Parce que je n’ai pas de pouvoir. Mais mon p… enfin, William Smith, il y était inscrit ?

— Non, il était probablement Moldu aussi. C’est Serpentard en personne qui a mis en place ce système, nous ignorons toujours comment. Jane, essayez de comprendre quelque chose : il nous est plus facile de découvrir qu’un enfant est Cracmol plutôt que de savoir de qui il est le fils, l’inscription au registre est un sortilège séculaire dont l’inventeur est mort sans jamais transmettre son savoir. C’est la seule exception à ma connaissance où la signature magique peut être liée à la famille… Ce qui explique la précision des lettres, mais uniquement pour personnes avec de la magie. Notre concierge, par exemple, Arabella Figg, et tant d’autres sont nés sans pouvoir, sans inscription, mais si leurs enfants en ont, le droit sera conservé. C’est à cause de cela que, par le passé, les enfants étaient abandonnés à leur naissance lorsque l’inscription était confirmée par hiboux dès celle-ci. Taire l’information avant la lettre des onze ans est une mesure contemporaine pour éviter ces drames familiaux.

— Vous êtes des monstres… » Murmura Jane.

Elle les observait à présent avec un dégoût et une tristesse infinis, et Severus hocha lentement la tête.

« Oui, autant que votre race a pu l’être face à ceux qui étaient différents, difformes, faibles… La nôtre refuse…

—  La vôtre est en guerre pour une histoire de pouvoirs magiques, coupa encore une fois la Moldue. Entre la consanguinité et le reste, c’est… Je ne trouve pas les mots.

— Il n’y en a pas. C’est pour cela que nous nous battons, d’ailleurs. »

Le vieil homme avait rappelé ça avec délicatesse, mais le regard entendu qu’il lui jetait était particulièrement intense.

« C’est plus mon problème. »

Jane jeta sa seconde cigarette et descendit d’un saut rapide de son perchoir. Elle leva le menton avec arrogance et répéta :

« J’suis qu’une Moldue, hein ? Alors, démerdez-vous avec vos baguettes.

— Vous allez partir et laisser vos élèves…

— Vous savez très bien ce que je veux dire. Je vais finir l’année, parce que ces gosses ont quand même besoin que quelqu’un ne…

— … les manipule pas, vous alliez dire ? »

Dumbledore avait terminé la phrase avec un brin de malice dans les yeux. Jane grimaça.

« Peut-être que je fais de la propagande, mais je ne joue pas avec leurs croyances ou leur vie. Donc laissez tomber, Albus. Je solde les comptes et je fous le camp. »

Severus remua légèrement sur sa chaise et prit la parole plus sèchement qu’il ne l’aurait cru :

« Vous êtes donc lâche.

— Oh, allez vous faire foutre ! J’vois pas en quoi reprendre mes billes c’est être lâche. J’vous dois rien du tout. D’ailleurs, votre ado éthérée, elle, avait des infos importantes à…

Qui… ?

— Helena, que vous auriez pu consulter en fait pour vérifier vos soupçons avant de me déranger dans ma vie…

— Qui était passionnante, glissa Severus acerbe.

Merde ! Helena m’a dit de vous avertir. J’aurais du mal à vous refaire son semblant d’énigme dramatique, mais en gros : le diadème perdu est à Poudlard et il serait dangereux. »

À ces mots Dumbledore se redressa, alerte, cherchant à maintenir un contact visuel immédiat. Jane le repoussa d’un geste de la main et continua :

« Elle m’a dit un truc du style « mon héritage ne sera pas leur perte ». Je ne sais pas où il est, d’accord ? anticipa Jane en voyant le mage s’agiter. Là aussi elle s’est fendue d’une autre énigme à la con, et…

— Harry Potter arrive. » Coupa le portrait de la gargouille.

Et en effet, quelques secondes plus tard on frappa à la porte et Albus donna un coup de baguette pour faire disparaître l’odeur de cigarette avant de se rassoir dans une posture qui se voulait calme. Jane et Severus avaient repris leur place, évitant avec soin de se voir.

Harry déboula avec un grand sourire victorieux, tenant dans ses mains une petite fiole et criant :

« Je l’ai, je l’ai ! Pro… Oh. Excusez-moi.

— Ce n’est rien, Harry, entre. Tu arrives au contraire au bon moment. »

***

« Par Morgane ! DISPERSION ! »

Nott avait hurlé cela alors que les silhouettes blanches reconnaissables de la Brigade d’Interventions Tactiques d’Élites apparaissaient dans une série de craquements. Ils n’étaient que deux Mangemorts à accompagner ce groupe de recrues potentielles, et il était hors de question de perdre encore qui que ce soit après les morts d’Halloween. Il donna un coup de baguette furieux, fendant l’air et la fenêtre qui se trouvait juste derrière le combattant.

« DISPERSION ! » Hurla encore le Mangemort, lançant quelques sorts à l’aveuglette par-dessus son épaule. Autour de lui, les Moldus criaient et se bousculaient, trébuchant devant cette profusion de magie destructrice. Abernathy plongea avec les clochards qu’ils étaient venus chercher, et d’un geste attrapa des ordures et couvertures pour le dissimuler. Le cœur battant la chamade, le corps en nage, le Sorcier tenta de réprimer un violent haut-le-cœur alors qu’il prenait conscience de son inconfort, de la moiteur environnante, et de la puanteur qu’il commençait à faire sienne.

Bellatrix les avait collés entre les pattes de Nott pour « attester de leur légitimité », et cela faisait plus d’une demi-heure qu’ils déambulaient dans les rues de York à la recherche « d’épreuves ». Des gens sans le sou, sans toit et sans plus aucune identité étaient parfaits, mais c’était sans compter l’interruption par la Brigade dont les baguettes projetaient bien autre chose que de simples Expelliarmus. Vêtus intégralement de blanc et d’or, les combattants avaient le visage intégralement dissimulé par des masques inexpressifs d’albâtre. L’effet, face à des Mangemorts également en tenue, était saisissant, et les pauvres Moldus avaient tout d’abord cru à un attroupement de gens étranges. Mais au milieu du combat, quand l’un d’entre eux tomba suite à un sort perdu de la Brigade, ils s’étaient mis à courir dans tous les sens comme des fourmis cherchant à échapper à un doigt vengeur.

Cette simple idée fit grimacer de dégoût Joseph qui se demanda pour la troisième fois de la soirée s’il était en mesure de sauver sa peau en prenant la vie d’une de ces ineptes créatures. Il avala la bile qui remontait dans sa gorge, et se concentra sur les mouvements méthodiques des Brigadiers qui lançaient des sorts aux alentours pour révéler toute personne dissimulée sous un charme.

Heureusement pour ce Gryffondor, Joseph avait également deux sous d’intelligence et se planquait à la Moldue. Entre une couverture à carreaux puant atrocement et une boîte de téléviseur 3D où un homme à la chevelure blonde, ressemblant vaguement au fondateur de sa maison, bandait les muscles en soulevant un formidable marteau, il attendit que les Sorciers ne déguerpissent pour s’autoriser à respirer à nouveau.

La ruelle, redevenue silencieuse, le troubla profondément. Les affaires des clochards étaient éparpillées, quelques poubelles avaient été renversées, et des pavés avaient éclatés sous l’effet de certains sortilèges. Le vent glacial de l’hiver s’engouffra soudain dans le boyau, le saisissant brutalement. Joseph trembla de tout son corps, se rendant compte qu’il était un mort en sursit : rentrer chez lui était impensable, aller au manoir Jedusor lui était impossible. Comment un simple graffiti, ou peut-être quelques-uns… avaient pu le mettre dans une telle situation ? Comment était-il passé de la préoccupation de rabattre son caquet à Rowle à tenter de survivre aux exigences d’une folle comme Bellatrix Lestrange ?

Il renifla piteusement, ne sachant pas comment se sortir d’un tel pétrin, quand il entendit un faible gémissement à sa droite. Joseph tira sa baguette et la pointa en direction de l’impudent qui glapit derrière sa barbe broussailleuse.

« Jésus… Pitié… »

La baguette se baissa doucement. C’était un homme qui semblait plutôt jeune derrière la misère et l’apparence négligée. Il avait des cheveux blonds mi-longs emmêlés qui tombaient sur un regard vert terrifié. Il ne cessait de balbutier des appels à ce Jésus, en cherchant à se confondre avec le mur, comme pour échapper au Sorcier. Joseph cracha au sol une salve de bile qui lui brûlait la gorge, et le mouvement paniqua plus encore le Moldu.

« Non ! N’approche pas, sale monstre ! »

Un tic nerveux agita la joue du Sorcier qui se retourna lentement vers le SDF. Joseph fronça les sourcils, détaillant avec mépris l’homme qui se tenait devant lui. Dépourvu de magie, terrifié, il trouvait encore le moyen de l’insulter… Une bouffée de colère monta lentement, accompagnée d’une dose d’adrénaline.

« Qu’as-tu dit ? souffla-t-il.

Le Moldu perdit quelques couleurs supplémentaires et son regard s’alarma soudain. Abernathy n’était pas un homme de grande taille, pas de quoi impressionner un garçon du même âge que lui, pourtant, l’ombre qu’il projetait sur le perdu semblait suffisamment menaçante.

« N’approche pas… Je… Ne me touche pas !

— De quoi m’as-tu qualifié… ?

— Arrête, putain ! J’déconne pas, j’vais…, il tira de son jean troué un couteau à cran à la lame émoussée. J’vais t’saigner si tu m’touches, casse-toi !

— Me saigner…, répéta Abernathy d’un air absent. Comme un animal… ? Tu te crois capable de faire ça… ? Tu crois être le chasseur, et moi la proie ? Tu crois que je suis faible ? »

Le Moldu écarquilla les yeux, choqué par la violence qui émanait de l’homme en face de lui. Il ne le connaissait pas, il était vêtu d’une robe noire ample comme un dangereux sectateur et agitait un bout de bois. Il aurait pu paraître ridicule si toute sa posture n’était pas si menaçante. En lui, Joseph sentait la frustration remonter, la solitude, le doute face à la guerre, l’autre abruti de Rowle et sa promotion… Et il avait là cette créature inférieure qui l’insultait, lui, le Sorcier, lui qui avait le pouvoir. C’était ça que Dumbledore protégeait ? C’était ça que ce bourge d’Harry Potter voulait défendre ?! Et qui le défendait, lui, quand il était viré de son boulot de préparateur d’onguents à Sainte-Mangouste ? Qui lui évitait d’être obligé de nettoyer des cages de hiboux pour payer une ridicule chambre de bonne au-dessus d’un sexshop Moldu ? Qui faisait des grands discours larmoyants quand quelqu’un comme lui mourait ?

« Des funérailles officielles… Vous avez eu des funérailles officielles, juste parce que ce mioche national avait de la peine… ! éructa Abernathy les yeux allants et venants dans tous les sens.

— Qu… Quoi ?

— Mais ça va changer… Le Ministère n’aura jamais assez de boîtes et d’Harry Potter pour vous honorer tous… On vous foutra dans des fosses communes, comme nous quand on est oublié. Et oh, oui : on vous oubliera alors, vous aussi. »

***

Dumbledore les avait congédiés sans plus de cérémonie, et Jane s’en était retournée à grandes enjambées en direction de ses appartements. Sans un mot, Severus l’avait suivie, incertain quant à la prochaine idée saugrenue de son amie. Ils arrivèrent au petit salon et Jane se déchaussa, en jetant sa blague à tabac sur le canapé. Sans même lui accorder un regard, elle fila en direction de sa chambre, se déshabillant. L’homme ouvrit la bouche de surprise et eut le temps d’entrapercevoir une fesse nue avant de commencer à s’inquiéter. Il se précipita sur la porte, mais elle la lui claqua au nez.

« Que croyez-vous être en train de faire… ? » Demanda-t-il d’une voix blanche.

Aucune réponse ne parvint. Seuls les miaulements inquiets de Merlin qui était revenu rompaient le bourdonnement et bruits étranges qui filtraient depuis la chambre. Un instant, Snape hésita à ouvrir la porte d’un sortilège, mais il se ravisa, retournant près du secrétaire de Jane où elle gardait toujours quelques bouteilles. Il n’eut pas le temps de se servir un verre que la jeune femme ressortit en jean et pull noirs, les cheveux grossièrement attachés. Elle ne lui accorda aucun regard et tira un sac boursouflé, avant d’attraper son vieux manteau moldu et l’écharpe sorcière que lui avait offert Minerva. Merlin miaula encore, Jane fit mine de l’ignorer et ouvrit la porte d’un geste sec, s’apprêtant à la refermer sur elle quand une main ferme se posa sur la sienne. Severus avait traversé la pièce et l’observait à présent en pinçant les lèvres. Il se tut, posant le verre qu’il n’avait pu se verser près du vide-poches et soupira :

« Jane, que faites-vous ? »

Elle essaya de reprendre sa main, mais il la maintint dans la sienne et saisit son visage avec l’autre. Ce geste d’une rare intimité sembla agacer la jeune femme au plus haut point.

« Est-ce que vous pouvez me laisser faire ma vie, un peu, Severus ?

— Que faites-vous ?

— Je me barre, ça s’voit pas ?

— La moitié de vos affaires est encore ici, et vous ne partiriez jamais sans votre chat. Où allez-vous ?

— Lâchez-moi, s’il vous plaît, je suis encore une grande fille, je peux aller où je veux.

— Jane.

— Severus.

Merde, perdit-il patience. Vous allez me faire un peu confiance ? Je veux… Je veux seulement savoir si je peux vous aider. »

Elle cligna des yeux, surprise, cessant d’essayer de le fuir. Après un coup d’œil dans les couloirs, elle soupira à son tour et concéda :

« Je veux juste avoir des réponses, je vais à Londres.

— À pieds ?

— Je vais bien finir par m’éloigner assez pour capter à nouveau et appeler un Taxi ou un Uber, ou…

— Ou des moutons, des vampires, Mangemorts, ou crapauds. Il n’y a rien à la ronde ici, si ce n’est Pré-au-Lard. Ce n’est que de la lande autour, Jane, c’est…

Stupide ? Merci, je commence à avoir l’habitude de vos remarques. Je veux juste savoir si… »

Elle s’arrêta un instant, avalant une grosse goulée d’air en fuyant le regard. Son corps trembla une fraction de seconde, assez pour qu’il esquisse un mouvement et qu’ils s’observent en silence quelques instants. Fermant les yeux de lassitude, Severus la lâcha enfin, attrapant son propre manteau.

« Je vous emmène.

— Quoi ?

— Si nous voulons être de retour avant la petite sauterie de Potter, vous allez avoir besoin d’un peu de magie.

— Vous allez…

Non. Moi aussi je suis un grand garçon, Jane. Je n’ai pas à demander la permission à Dumbledore pour chaque choix que je fais. »

Il referma la porte derrière eux et commença à marcher, boutonnant son manteau avec sérieux. Au milieu du couloir, voyant qu’elle n’avait pas bougé il l’observa d’un air contrarié :

« Vous voulez des réponses, oui ou non ?

— Personne ne vous oblige à…

— Justement, Smith. C’est parce que personne ne m’oblige à le faire que je le fais. Pressez le pas, je n’ai pas l’intention de vous attendre à chaque coin de couloir. »

Jane ouvrit la bouche légèrement puis la referma en esquissant un bref sourire. Elle fit sauter son sac de voyage sur l’épaule et trottina pour rattraper l’espion. Il hocha la tête et glissa :

« Commencez déjà à réfléchir au mensonge que nous allons devoir offrir à votre mère. Je m’occupe de celui nous évitant le Réveillon en famille. »

***

Harry ressortit du souvenir, le cœur battant la chamade. Son premier réflexe fut d’observer avec attention Dumbledore qui semblait avoir l’esprit totalement ailleurs. Cette version-là du souvenir était bien différente de celle que Slughorn avait tenté de leur refiler. Très loin de l’enseignant qui mettait en garde un futur Mage Noir, Horace avait au contraire répondu avec bienveillance à Tom Jedusor. Quoique sur les derniers instants de l’échange, le vieux Maître des Potions semblait commencer à comprendre qu’il avait participé à une très grave discussion. Mais Harry s’était surtout concentré sur Voldemort, son attitude, sa façon de chercher à séduire le Professeur, sa manie de toucher sa bague – qu’il avait reconnue comme celle des Gaunts ; tout ceci le mit mal à l’aise. Quand il se rendit compte qu’il avait usé sensiblement des mêmes artifices, Harry déglutit péniblement, l’inconfort augmentant.

« Professeur… rompit-il le silence. Vous croyez vraiment qu’il en aurait fait sept, alors ? »

Albus ne répondit pas, fixant Harry avec sérieux. Sa cicatrice plus précisément. Le vieil homme prit lentement appui contre son bureau et attrapa un bonbon au citron qu’il cala sous sa langue en réfléchissant intensément.

« Vous en êtes persuadés, en fait. » Comprit le garçon. « Mais quoi ? Le journal ? La bague ? Okay, peut-être la coupe qu’il a volée à la vieille dame… Nagini ? Le médaillon… » Il comptait en même temps sur ses doigts, fronçant intensément les sourcils. « Mystique comme il est, il a dû chercher un truc à Serdaigle et un truc à Gryffondor… Serdaigle, j’vois pas, mais… Professeur ? Est-ce qu’il a d’autres trucs que le Choixpeau ou l’épée ? Professeur ?

— Le diadème de clarté de Rowena Serdaigle.

— Hein ?

— Le diadème perdu, Harry… Rowena Serdaigle était connue pour porter un formidable bijou qui lui aurait conféré son incroyable intelligence… Cette partie est naturellement fausse, mais le diadème existe bien, c’est cette relique que Voldemort a corrompue.

— Heu… D’accord, mais il n’est pas… Heu… Perdu ?

— Plus maintenant. C’est… Vraiment très intéressant. Accorde-moi un instant veux-tu ? »

Harry s’impatientait, il aurait cru qu’apprendre la vérité aurait tout changé, mais au lieu de cela l’obscurité gagnait du terrain, le troublant plus encore. Sept horcruxes à détruire, c’était impossible ! Surtout s’ils ignoraient ce qu’ils devaient chercher. Dumbledore griffonna quelque chose sur un parchemin et – Harry en était persuadé – jura dans une langue étrange. Il reprit une autre draguée au citron, et le garçon comprit alors qu’il était en pleine réflexion. Albus Dumbledore faisait bien les cent pas entre son bureau et lui, alternant entre notes, bonbons, et jurons dans divers dialectes de créatures magiques. Au bout d’un moment, Harry prit place dans le fauteuil de Snape, renonçant totalement à la possibilité de revoir Luna avant le lendemain, et demanda un brin boudeur :

« Qu’est-ce qui est intéressant, Professeur ?

— Que j’obtienne cette information-là, au bon moment ! Le destin est capricieux.

— Oh… Vous savez… Je ne crois pas tellement au destin, marmonna le Gryffondor en prenant un bonbon à son tour.

— Ah ah, et tu as bien raison, Harry ! C’est y croire qui nous fait nous y plier ! Crois-tu en la magie, cependant ? »

Sous la stupeur face à une telle question, Harry croqua le bonbon qui libéra une vague acidulée et pétillante totalement inattendue. Il grimaça, reconnaissant en réalité une friandise Moldue. Toussant, les larmes brouillant la vue, il osa répliquer :

« Haem, évidemment, c’est… Hum, une question très… Étrange… Hum, Professeur.

— Nullement. Selon certains théoriciens d’autres temps, la Magie aurait sa propre volonté… Une volonté assez forte pour décider d’aider, parfois, ceux qui la servent.

— Heu… Comme la Force, Professeur ? »

Dumbledore le regarda sans comprendre et Harry se sentit stupide. Il se redressa sur sa chaise, cherchant à trouver les bons mots.

« Vous dites que la Magie peut chercher à nous aider, je vous demandais si en gros, c’était comme si elle… Heu…

— Comme si elle matérialisait parfois les réponses aux besoins, tout à fait, Harry. »

Le jeune homme pencha la tête sur le côté en faisant la moue, hésitant à répliquer qu’il avait plutôt à l’esprit une histoire de vaisseaux à déplacer et de jumeaux de l’espace, mais il se tut. Il avait toujours rêvé de se battre aux côtés de Dumbledore mais à présent qu’il entendait les histoires farfelues du vieil homme, il commençait à comprendre pourquoi Snape qui le fréquentait si souvent n’était guère impressionné. Albus le coupa dans sa réflexion par une autre question surprenante :

« Si tu étais Voldemort, Harry… Où cacherais-tu un objet dans Poudlard ? »

Le Gryffondor releva un sourcil comme le faisait son Maître Occlumens, réflexe que ce dernier semblait avoir imprimé chez tout le monde, puis il les fronça intensément.

« Bah… Alors là… Attendez, vous croyez qu’il a planqué un Horcruxe, ici ? À Poudlard.

— J’en suis persuadé. Tom est du genre à s’approprier cette école.

— Ouais… Ce qui est en soi pas faux, en fait… Hey ! Attendez, il l’a forcément mis dans la Chambre des Secrets, non ?

— Non, nous l’avons inspecté, elle est totalement vidée. »

Harry resta bouche bée un instant, avant de se gifler mentalement. Évidemment qu’ils avaient dû la passer au peigne fin après les événements de la deuxième année ! Jamais Dumbledore n’aurait laissé passer une telle occasion de…

« Vous avez fait quoi du cadavre du basilic, alors ? demanda-t-il avec intelligence.

— Disséqué, mis en bouteille… Tu devrais essentiellement poser la question à Severus, c’est lui qui a bénéficié du plus gros de ses composants, il les étudie encore à ma connaissance. Mais les secrets de pétrification ne nous intéressent pas, n’as-tu pas une autre idée ?

— Ben… Non… J’pense que si je voulais planquer un truc je trouverais un endroit que personne ne connaît, un truc dont j’aurais le secret ou qui… OH ! Professeur ! La Salle sur Demande !

— Continue, sourit Dumbledore.

— On l’a utilisée avec l’AO l’année dernière, mais j’sais que d’autres élèves s’en servent pour y passer du temps en amoureux, ou… Mais oui ! Luna va toujours chercher ses affaires là-bas ! Elle dit qu’il y a une « salle des méfaits ».

— Étrange appellation, y es-tu déjà allé ?

— Non, mais elle me raconte parfois ce qu’elle y trouve, je sais qu’elle aime bien y passer du temps pour regarder les objets. Il paraît qu’il y aura quand même des cadavres dedans…

— Miss Lovegood pourrait nous y mener ?

— Bien sûr ! Je vais aller la chercher »

Harry se leva rapidement, excité à l’idée de découvrir aussi facilement un Horcruxe. Dumbledore alla à sa suite d’un amusé :

« Elle doit déjà dormir, Harry… Comment comptes-tu te rendre dans un dortoir réservé aux filles ? »

Le jeune homme rougit furieusement et bredouilla :

« On a un parchemin enchanté sur lequel on…

— Magique et très intéressant…, murmura Dumbledore.

— Pourquoi ? C’est tout con comme système, Dean et Seamus…

— Parce que ton père avait l’habitude de contacter ta mère comme ça… »

***

Cela commençait à leur prendre trop de temps. Bellatrix savait qu’elle tirait beaucoup trop sur la corde mais Nott n’était pas une bleusaille, il saurait mener les imprudents là où ils révèleraient leur potentiel… Ou leur inutilité. La Mangemort continuait de faire les cent pas dans le salon, son visage éclairé par intermittence par le foyer quand le serpent de Voldemort glissa lentement vers elle. La brune était probablement la seule des fidèles de Voldemort à ne pas craindre le reptile. Néanmoins, elle se tint soudainement droite, sachant que son Maître pouvait tout savoir grâce à Nagini. De sa langue fourchue, le boa lui donna un ordre qu’elle ne comprit pas, mais à le voir tourner les écailles, la Mangemort comprit qu’il lui fallait le suivre. Lestrange remonta les escaliers menants au bureau de Voldemort pour le trouver en train de griffonner quelques notes sur un morceau de parchemin, tout en scrutant un épais grimoire dans ce qui lui sembla être du Grec.

« Maître…, s’inclina Bellatrix avec déférence.

— Es-tu en train de dévoiler notre position à des inconnus, Bella ? »

Il n’avait pas daigné lever le visage vers elle, préférant continuer sa lecture. Bellatrix plissa des yeux et après un bref instant d’hésitation, acquiesça avec aplomb.

« De futures recrues.

— Et ceux qui ne seraient pas à la hauteur ?

— Ils décoreront les jardins de leur cadavre. »

Voldemort ne répondit pas, se contentant d’esquisser un rictus satisfait. Nagini glissa vers lui doucement, se mettant à faire le tour du bureau et de la Mangemort, avec de se décider à s’étendre paresseusement devant l’âtre. Après quelques minutes de silence, Lestrange ne put plus attendre :

« Vous m’avez mandé pour une raison particulière, Maître ?

— Qu’as-tu l’intention de faire, Bella ? »

La Mangemort essaya de dissimuler son irritation. Il ne posait jamais aucune question à Lucius, à ce qu’elle sache ! Depuis que le blond était devenu Ministre de la Justice, il semblait jouir d’une liberté totale, lui qui se contentait de se gaver de champagne et de bals avec d’autres minets. Malgré ses tentatives, son agacement transparut légèrement dans son ton :

« Il nous faut plus de mains. L’action de Lucius est tout de même profitable à notre cause : de plus en plus de gens rejettent les solutions pacifistes et naïves de Dumbledore.

— Et tu prends cette décision, de toi-même ?

— Maître, murmura impudemment la Sorcière. Je ne crois pas que la confiance que vous me témoigniez soit acquise, je l’entretiens donc. »

Voldemort leva lentement son regard écarlate vers elle, l’observant intensément pour la première fois depuis des lustres. Ce simple fait combla la brune, la grisant instantanément. Elle avait totalement oublié ce que cela faisait. Quelque temps avant sa chute, Voldemort l’avait gratifié d’un immense honneur en lui confiant un bien personnel, depuis, elle n’avait eu de cesse de chercher à en être digne. Depuis son retour, il lui semblait que le Fourchelangue était incohérent et inaccessible, mais il était enfin à nouveau là, à elle. Le contact visuel fut bref, la pression légère qu’il effectuait sur son esprit s’estompa immédiatement et elle le regretta comme une amante insatisfaite. Elle était la seule à aimer le sentir s’emparer de ses pensées. Voldemort retourna à ses parchemins, ce qui déclencha une nouvelle bouffée de colère chez sa suivante.

« Laissez-moi vous aidez, Maître.

— Non, Bella… C’est entre Potter et moi. »

Cet énième rejet la fit bouillir, elle inspira profondément, pour tenter de contenir une insulte à l’encontre de son… rival ? quand Nagini releva instinctivement la tête et siffla bruyamment. Voldemort hocha la sienne et répondit en Fourchelangue. Le boa s’ébroua et les laissa un instant seuls. Jetant des regards venimeux à la prophétie qui luisait sur le bureau et aux parchemins, Bellatrix ne se rendit pas compte que ses doigts se serraient avec insistance sur sa baguette. Elle mourrait d’envie de détruire toutes ces inepties. Le retour impromptu du serpent l’empêcha cependant de commettre une grave erreur. Il se tourna vers son maître et lui parla longuement, avant que Voldemort n’acquiesce satisfait.

« Ton… Nouveau jouet est de retour… Occupe-t’en. »

Le bruissement du parchemin la fit ouvrir la bouche de stupéfaction. Quoi ? C’était tout ? Potter et la prophétie comptaient donc plus que tout ? Elle serra les dents et s’inclina avec raideur :

« Ni lui, ni ce que j’en ferai ne vous décevra, Mon Maître » Promit-elle avant de refermer doucement la porte.

***

Severus les fit transplaner à proximité du magasin de tatouages à la devanture érotique. Ils sortirent de la petite ruelle discrète, et retinrent leur souffle. Malgré l’heure particulièrement tardive, cette artère piétonnière était toujours aussi bondée et bruyante. Un homme en costume les bouscula, accompagné par une jeune femme en robe rouge qui leur lâcha un regard méprisant. Un groupe d’ados les dépassèrent en riant, les poussant légèrement. Jane se pressa contre lui et il l’entoura de ses bras avant de fendre la foule :

« Ça, ça ne me manque décidément pas…

— Vous n’êtes jamais allée au Chemin de Traverse un jour de Chaudron d’Abondance… Pratiquement toute la communauté anglophone se retrouve dans la même rue pour profiter de prix inédits.

— Ouais… Un Black Friday magique, en somme. Pourquoi sommes-nous près de chez moi et pas devant…

— Il est une heure du matin, Jane. Vous avez besoin de sommeil, et à mon avis débarquer en pleine nuit risque surtout d’alarmer Élise.

— Bon, vous avancez, oui ?! »

Une fillette aux cheveux bleus électrique et un énorme casque sur les oreilles se faufila entre eux après les avoir alpagués. En les dépassant, elle lâcha un « ‘tain, mais les vieux mous… » qui les firent grimacer. Jane pressa le pas en s’emparant du poignet de Severus et le tira en direction de la porte de son entrée, tapa le code rapidement et ils purent apprécier le silence du hall. Coincés dans l’ascenseur qui diffusait une énième chanson d’amour, ils restèrent silencieux, jusqu’à ce qu’ils arrivent enfin à son appartement.

Elle fit tourner la clef dans la serrure avec une appréhension qu’elle n’avait pas souvenir d’avoir eue la dernière fois. Quand ils pénétrèrent dans le salon, ils purent se rendre compte qu’ils n’avaient rien rangé de leur dernière excursion : le canapé était toujours défait en lit, il y avait quelques tasses de thé qui trônaient sur le comptoir, deux verres et la bouteille de Martini sortie. Dans un bol vide collaient des paillettes de calcaire, preuve qu’on avait oublié ici des glaçons qui s’étaient évaporés. Jane s’avança en traînant les pieds, soupirant d’avance à l’idée de ranger pour s’installer. Elle jeta son paquetage sur le canapé-lit et s’assit avec lassitude sur le rebord. Snape referma la porte derrière lui et commença à faire chauffer de l’eau tout en prenant la vaisselle et en la mettant dans l’évier.

« Laissez, murmura la Moldue entre ses mains qui lui servaient à tenir sa tête. J’vais m’en occuper.

— Occupez-vous plutôt de réfléchir à la façon dont vous allez pouvoir en parler à Élise et Colin demain.

— Qu’est-ce que je vais leur dire… ? se lamenta-t-elle avait de pâlir brusquement. PUTAIN ! Severus ! L’Oubliette ! Vous n’avez…

— Calmez-vous. Quand je leur ai effacé la mémoire, je n’ai touché qu’à votre conversation et le fait que vous deviez être en ville. Ils se souviendront de l’année dernière…

— Fiouf… Je me voyais pas recommencer avec cette histoire de prof de poésie, et de… Oh, la la… »

Le grondement de son ventre parla pour elle, elle leva ses yeux rougis vers lui et secoua la tête.

« Vous avez faim ? lui demanda-t-elle en tirant son portable de son sac.

— Ca m’arrive.

— Bon ben c’est réglé, dit-elle en tapotant sur l’écran de son smartphone.

— Qu’est-ce que vous comptez… »

Elle l’interrompit d’un geste de la main et releva les yeux en direction du boîtier sous la télévision. Tout en rebranchant divers câbles, elle parlait.

« Oui… Ça serait pour commander une pizza en livraison, s’il vous plaît… Oui ? Heu… Eh bien… » Jane interrogea du regard son ami qui fit une moue légèrement perdue en hochant les épaules. « Bon ben ça sera une quatre fromages, alors. Heu… Par carte, je pense. Ouais. Trente minutes ? Eh bien c’est parfait ! Vous livrez encore des bouteilles de rosé à cette heure ? Super ! Alors ça sera au… »

Severus la regarda faire, fasciné par son changement de ton et d’attitude. Épuisée et affamée, Jane s’était soudain relevée pour déambuler dans son salon avec naturel et assurance. Tout en calant le téléphone contre son épaule, elle rebranchait les téléviseurs et autres consoles. Dumbledore avait pris sur lui de régler les factures durant l’absence de la jeune femme, mais elle avait toujours tenu à tout débrancher à chaque visite. Au cas où. La faire venir d’abord ici avait été une bonne décision, au milieu de son univers, elle retrouvait une zone de confort qui l’aiderait à y voir plus clair. Il sursauta quand elle lui parla, manquant de lâcher une tasse « E.T ».

« Pardon… ?

— Est-ce que je peux vous laisser le temps de passer à la douche ?

— Heu… Oui. Mais si le cuisinier vient, et que…

Le livreur. Non, je ne serai pas longue. Vous vous souvenez comment on remet le lit en canapé ou… ? Bof, laissez tomber, vous allez y dormir de toute façon. Vous voulez changer les draps ? Ils n’ont servi qu’une fois, donc…

— Laissez, ça ira. Allez vous laver. »

Il profita de sa disparition pour réfléchir. Severus réfléchissait toujours quand il lavait les choses à la main, ce qu’il faisait très souvent pour l’obliger à remettre en ordre ses pensées. Que Jane souhaite avoir la confirmation de ce qui était évident était compréhensible, mais ils prenaient des risques à se balader comme ça à Londres. Et Dumbledore qui n’avait pas sourcillé… ! Cela semblait lui être égal, comme si l’information n’avait aucune importance, ou qu’il avait renoncé à ce qu’elle en ait.

« Pfff… Lui faire confiance… » Marmonna Severus à voix haute.

Le vieil homme demandait toujours l’assentiment aveugle des gens. Il fallait que chacun remette sa vie entre ses mains sans jamais savoir de quoi il en retournait. Et malheureusement, Albus Dumbledore n’était pas infaillible, comme la famille Dursley avait dû s’en rendre compte. Il pressa furieusement l’éponge qui vomit une belle quantité de savon. C’était facile pour Dumbledore, il n’avait plus personne de proche à perdre… Ils n’étaient que des pions pour lui. Snape essuya les contours de l’évier, le rendant étincelant et passant sans même y réfléchir un coup sur la paillasse. À quel moment lui-même avait cessé prétendre de se moquer des vies qu’il protégeait ? La sienne, Potter… Smith… ?

« Ca va ? »

Il ne l’avait pas entendue revenir, ni même s’approcher. Ce qui l’agaça prodigieusement. Jane avait posé une main sur son avant-bras et le regardait avec inquiétude. Toute enroulée dans un gros peignoir épais et noir, les cheveux enroulés également, elle avait une sacrée dégaine.

« Vous en faites une drôle de tête, continua-t-elle.

— Vous n’avez pas vu la vôtre. »

Jane se recula en haussant les sourcils avant de voir le léger sourire qu’il lui offrait. Elle le lui rendit, et maugréa.

« Eh oh, j’aimerais vous y voir avec des cheveux longs…

— C’est le cas.

— Non, mais vraiment longs. Et épais et bouclés comme les miens. Avec une crinière, quoi.

— Elle est très bien cette crinière. » Il avait répliqué ça en retournant près du canapé-lit pour remettre un peu d’ordre dans les draps.

Jane continua de râler sur ses cheveux en retournant dans la salle de bain pour les sécher. Avant que la machine ne la coupe, elle évoquait ce qui, selon elle, était son seul intérêt véritable. Alors qu’il essayait de remettre le canapé dans sa forme initiale, Snape, l’entendant, rougit furieusement. On sonna à la porte. Le sèche-cheveux s’arrêta et Jane sortit de la salle de bain en peignoir pour ouvrir, devant un Severus légèrement choqué. Elle retourna dans la pièce prendre son sac, paya le livreur au bout d’une dizaine de minutes où il fut brièvement question d’une sauce piquante, puis elle revint vers lui avec une boîte, une bouteille, et un grand sourire.

« Oh, vous emmerdez pas avec ça, on va traîner comme des larves.

— Pardon… ? »

Elle posa la boîte et la bouteille sur la table basse et pointa du doigt la kitchenette.

« Allez nous chercher le tire-bouchon – il est dans le tiroir à côté des plaques – et sortez-nous deux verres – ça, vous savez où c’est. Je vais me mettre un truc un peu plus décent sur le dos.

— Riche idée… »

Il obtempéra, et commença à s’emparer de la bouteille glacée dans ses mains, s’émerveillant de certains aspects de la société Moldue. Jane revint dans un pyjama noir en satin, et se hissa sur le lit pour s’assoir en tailleur.

« C’est… ça, votre tenue décente ?

— Oui… Au moins si je m’allonge, on ne verra pas mes fesses.

— Que vous prenez bien soin de me cacher depuis notre première rencontre… »

Jane pouffa de rire en ouvrant la boîte qui projeta une délicieuse odeur de tomate, de basilic et de fromages fondus. Le ventre de Severus gronda, et il décida de leur servir à boire pour se donner bonne contenance.

« C’est vrai que vous m’avez vue très souvent à poil, en fait… concéda-t-elle en détachant une part qui filamentait avec les autres. Ce qui fait de vous l’homme avec qui j’ai partagé le plus d’intimité en deux ans…

— Que devrais-je dire… ? » Soupira-t-il étrangement.

Elle écarquilla les yeux en manquant d’avaler de travers. Puis elle termina sa bouchée et le taquina.

« Vous aussi cela fait longtemps que vous n’avez plus eu d’homme dans votre vie ? »

Il pouffa et ils s’abîmèrent un instant dans un silence, alors que Jane allumait la télévision et pianotait sur une télécommande avec assez de boutons pour que la moitié ait une réelle utilité. Pendant qu’elle faisait défiler des affiches sur l’écran – il comprit qu’elle cherchait un film à leur montrer, il l’observa.

« Vous aviez aimé Batman, non ? lui demanda-t-elle les yeux rivés sur la télévision.

— Autant que vous, je suppose. »

Jane braqua son regard vers lui, le fixant un instant avec sérieux. Elle cligna lentement des yeux et reprit une bouchée et sa recherche.

« J’ai besoin de me changer les idées, un truc simple… Vous avez envie de quoi, vous ?

— De calme, et de terminer mon repas.

— Non, mais d’accord… Mais sinon ? Venez, on va squatter ici.

— On va quoi ? »

Avant de reprendre une part de pizza, elle tapota la place à côté d’elle et il comprit qu’elle attendait qu’il se lève de son pouf pour se joindre au mouvement.

« On va manger, boire, regarder un film, tout ça en étant allongés comme des larves et fuyants nos problèmes. »

Elle arrêta enfin son choix sur un film où un homme en costume défait marchait une arme à la main devant une silhouette féminine nue. Puis elle se cala au fond et allongea les jambes, lui faisant signe de la rejoindre et de récupérer nourriture et boisson.

« Qu’est-ce que c’est, cette fois-ci ?

Casino Royal… Un James Bond. C’est une série de livres, enfin, ici de films, au sujet d’un espion de sa Majesté.

— Ah… Le fameux aux doigts d’or ?

— Ah-ah, non, pas tout à fait. GoldFinger est plutôt un méchant, mais ouais, on parlait bien de ça avec Diane et… Woaw, vous avez une belle mémoire. Calez-vous, on va s’mettre bien.

— On va quoi, encore ? Smith, votre sémantique est vraiment particulière quand vous êtes dans votre environnement. »

Il essaya de trouver une posture confortable, avant de comprendre que tout le principe d’un canapé-lit reposait sur l’idée de se briser la nuque, d’allonger ses jambes, et de prendre son ventre pour une table parfaite pour recevoir un carton de pizza. Incertain, il la regarda s’installer et arriver à maintenir en équilibre son verre sur l’accoudoir.

« C’est ça que font les Moldus quand ils ont des problèmes ?

— A peu près. On commande des pizzas, on boit un bon rosé, et on regarde Netflix.

— Et… Quand vous allez bien ?

— On commande des pizzas, on boit un bon rosé, et on regarde Netflix.

— Je vois. Et ça règle vos problèmes ?

— Non. Mais je vous ai vu tenter de résoudre les vôtres, et je ne crois pas que boire du Whisky Pur-Feu, faire des potions, et rester seul soit très efficace non plus.

— Ca m’évite de m’en créer d’autres.

— J’abandonne cette idée pour ma part, marmonna-t-elle en se rapprochant.

— Par Merlin, Jane, que foutez-vous ?

— J’ai dit que j’abandonnais l’idée de ne pas m’en créer d’autres. »

D’un coup de hanche contre sa main, elle le força à ouvrir son bras, et, comme un lombric, se tortilla pour se glisser contre son flanc, posant sans gêne sa tête sur son épaule. Il resta interdit, la jeune femme contre lui, alors que le film commençait par les premières notes puissantes d’un chanteur.

« Quoi ? Mon sang n’est plus digne de vous approcher ? » Se piqua-t-elle alors que ses joues rosissaient de son audace.

Severus fixa son regard sur les images de cartes et d’espions qui faisait des cabrioles. Il déglutit lentement, s’emparant d’une part de pizza pour se donner bonne contenance.

« Hum… Le sang n’est pas un problème à l’heure actuelle, Miss. » Murmura-t-il écarlate.

Ascendance

Annonce : J’ai lancé une page Tipee qui a pour but de récolter de l’argent pour financer notamment correction et impression (et quand c’est possible : publication) de mes textes. Cela concerne également « A la Moldue », puisque j’ai de plus en plus de demandes concernant une version papier. Si vous souhaitez soutenir notamment ce projet rendez-vous sur : https://www.tipeee.com/achronique

Chapitre 44 :  Ascendance

 

Samedi 23 décembre, 21h17,

Draco redressa sa cape sur son épaule, s’observant d’un œil critique dans le miroir. Son image qui se pliait toujours à sa volonté faisait dire aux autres Serpentards que les Malefoys dominaient même le mobilier. Quand il ne l’utilisait pas, il rejetait un voile dessus, ce qui empêchait quiconque de se refléter dedans et donc, de découvrir qu’en réalité, le secret de Draco Malefoy ne tenait pas dans sa volonté, mais dans le fait qu’il n’utilisait que des miroirs Moldus. Ce détail était partagé par toute sa famille depuis des siècles : jamais un Malefoy ne laisserait son image capturée par un miroir. Car, contrairement aux photographies, les miroirs, eux, pouvaient parler. Et il en était de même pour les portraits qui ornaient le manoir Malefoy : tous étaient immobiles, réalisés pour certains par de grands noms du monde Moldu. Les visiteurs, impressionnés par le prestige de la maison, supposaient à tort que les portraits savaient se tenir dans leur cadre, trouvant d’eux-mêmes une explication qui leur semblait à la hauteur de la réputation de leurs hôtes. Ainsi, pour ce qui concernait les miroirs, ni fuite ni commentaires désobligeants n’émaillaient les moments narcissiques d’un Malefoy, et Draco pouvait à loisir s’observer et juger de son sens esthétique. Pour ce 23 décembre, il avait revêtu une tenue noire à la coupe hybride. Entre la redingote et le costume moderne, il jetait dessus une cape noire doublée d’un vert anis. L’intérieur était brodé de fils d’argent semblables à des filaments de toile d’araignée. Joint à cette toilette, un haut-de-forme aux bords brossés. La fibule qui tenait la cape était gravée à l’arrière d’un dragon lové sur lui-même et Draco en caressa les contours en s’observant, pensif.

Une nouvelle fois, Slughorn l’avait invité avec force de compliments et courbettes. La position de son père au Ministère lui assurait un certain prestige, mais le blond espérait que cela ne soit pas uniquement à cause de son ascendance que l’ancien Directeur de Serpentard le mêlait à sa collection. D’une certaine manière, il n’enviait plus autant Harry Potter : constamment sous les feux de la rampe à cause d’un truc fait à l’âge ridicule où on te lave les fesses, et non pour ses réelles prouesses. L’image dans le miroir fronça les sourcils. Draco avait très largement observé l’étagère de « noms collectionnés » par Slughorn. Il en avait reconnu certains dont, à sa stupéfaction, une dénommée Lily Evans, accolée à un Severus Snape jeune nettement moins maussade. Son actuel Directeur de Maison avait très largement mérité sa place, Draco n’en doutait absolument pas, mais… Evans ? L’avait-elle été parce que morte ? Quoiqu’à la réflexion, il ne se souvenait pas d’avoir vu le père de Potter. Draco renifla, enfilant des gants blancs impeccables, son esprit toujours tourné vers cette découverte. Il était étrange que la mère – d’origine Moldue – y soit et pas l’héritier de l’époque de la maison Potter… Quand le jeune homme comprit qu’une née-Moldue avait dû se distinguer et gagner elle-même ce droit, il sentit son humeur s’assombrir. Lui… Lui, il n’était que l’héritier de Lucius Malefoy. Mais ça allait changer ! Il travaillait à cela. Tôt ou tard il révèlerait son talent et…

« Draco ? »

Derrière la porte, la voix étouffée de Blaise lui parvint.

« Il va être temps d’y aller. Parkinson et Greengrass commencent à s’habiller pour nous accompagner.

— J’arrive ! »

Il étouffa un juron. Il était hors de question qu’ils se rendent au dîner d’hiver avec qui que ce soit. Le problème ne venait pas seulement de la qualité de leurs hypothétiques cavalières – Greengrass était pour sa part plutôt au goût du jeune homme – le point tenait au fait que ni Draco ni Blaise n’avaient intérêt à être vus avec une femme à leur bras. Peu importaient les croyances de Parkinson à ce sujet, leur union était loin d’être assurée et s’afficher célibataire était le meilleur moyen qu’avait trouvé Draco Malefoy pour s’offrir encore l’opportunité d’éviter une telle mésalliance. Après un dernier regard à son reflet, il mit son haut-de-forme d’un geste impérieux.

« Dis-leur que c’est inutile d’espérer. J’arrive.

— Tu t’en chargeras, je ne suis pas ton larbin. »

Non, il ne l’était pas. C’était probablement la raison pour laquelle il appréciait autant Blaise Zabini. Riche, beau, intelligent, calculateur… le Serpentard était l’un des rares à être son égal. Blaise, par ailleurs, partageait sa réserve quant à l’exaltation générale à propos du retour de Voldemort. Bien qu’il fût impossible de déterminer ses pensées exactes, Draco était persuadé que Zabini rechignait lui aussi à plier le genou dans une guerre commencée par leurs parents. Il passa la porte, la mine de toute évidence préoccupée, car son comparse le remarqua immédiatement :

« Il se passe quelque chose ? »

Depuis Godric’s Hollow, élèves et adultes avaient pris l’habitude de poser cette question dès que quelqu’un se comportait différemment. Une nouvelle attaque ? Une nouvelle mesure ? Ils vivaient de brèves de Presse, de décrets, de lois, d’incidents et de… Draco ne répondit pas immédiatement, son cheminement mental l’éloignant de Poudlard.

« Malefoy ? » Répéta Blaise inquiet.

Draco sursauta et lui jeta un regard qui se voulait glacial.

« Je t’ai entendu. Rien qui te concerne. »

Son vis-à-vis se renfrogna et releva sèchement les manches de sa chemise. Ce geste sacrilège agaça instinctivement Draco :

« Elle ne se porte pas comme ça ! Ce tissu ne supporte pas d’être froissé.

— Puisque j’ai toute ton attention, permets-moi de te rappeler que je sais beaucoup de choses qui ne me concernent pas. Ne t’avise pas d’être plus secret que tu ne peux l’être avec moi, Malefoy. »

L’intelligence de Blaise lui avait coûté son plus gros secret quelques mois auparavant, ce qui le mettait dans une situation délicate. Le blond capitula et jeta un regard en biais sous le bord de son couvre-chef.

« Je pensais à la guerre. Tu désires réellement que j’évoque cela en public ? »

Zabini grimaça et remit ses manches en place, remettant par la même son col mao droit. Ils n’étaient que dans les couloirs, mais cela suffisait aux Serpentards pour se considérer exposés. Son collègue allait répliquer quelque chose, quand ils entendirent un rire franc. Dans les cachots, il n’y avait que des gens de leur maison à cette heure. L’entrée de leur salle commune s’y trouvait, ainsi que la salle de classe des potions, le bureau de Slughorn, les appartements de leur Directeur de Maison et…

« Mais non ! C’est beaucoup plus drôle si on va le voler nous-mêmes… J’en ai pour cinq minutes. Oh ! Oh… Bonsoir, Messieurs. »

Les deux élèves ne parvinrent pas à dissimuler leur surprise. Devant eux se tenait une Jane Smith souriante qui, contrairement à ce à quoi ils se seraient attendus, n’était pas apprêtée pour une soirée du Club Slugh. Au contraire : elle était vêtue d’une simple robe légère bleue, avec une sorte de manteau de chambre en voilage noir, une paire de ballerines et – comble du choc pour Draco Malefoy – les cheveux détachés, ses boucles libres de mouvements interdits par la convention des coiffeurs. Loin d’être une tenue de nuit, Smith était pourtant habillée pour une soirée détendue… accompagnée, visiblement. A qui parlait-elle ? Son sourire mourut en croisant ses étudiants et il fut évident qu’elle avait oublié l’espace d’un instant qu’elle était leur Professeur. Se reprenant néanmoins, Jane les observa tour à tour avant de leur demander :

« Que faites-vous dans les couloirs ? N’êtes-vous pas en retard pour la soirée ?

— Pas plus que vous, Professeur. » Rebondit rapidement Zabini d’un air entendu.

Smith se renfrogna légèrement, manifestement consciente qu’elle n’avait aucun mensonge plausible à leur servir. Elle les surprit en usant d’une méthode qu’ils connaissaient très bien et dont la paternité ne faisait aucun doute.

« Je ne crois pas vous avoir demandé votre avis sur mes horaires, Monsieur Zabini. Monsieur Malefoy, tout Préfet que vous soyez, vous n’êtes de toute évidence pas en service et n’avez rien à faire dans les couloirs. Rejoignez la réception ou rentrez dans vos appartements, avant qu’un Professeur n’applique le règlement. »

Blaise serra légèrement les dents, n’appréciant jamais qu’on lui manque du respect. Draco, quant à lui pinça les lèvres pour dissimuler son amusement et inclina légèrement la tête.

« Merci, Professeur pour le conseil, nous n’allons pas abuser de votre clémence. »

Il traîna son comparse rapidement hors de la vue de Smith. Quand ils changèrent d’étage, Zabini le jaugea d’un œil critique.

« « Merci, Professeur ? », vraiment ?

— Je ne crois pas qu’il soit malin de se la mettre plus à dos que cela. Pour le moment.

— Quel intérêt ? Elle n’a pas à nous parler ainsi, elle n’est…

— Smith est moins insignifiante que tu ne le crois. Elle a l’oreille de beaucoup de gens. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’elle n’est pas qu’une simple enseignante. »

Blaise observa les alentours, ils n’avaient toujours pas croisé d’élèves, parce qu’ils étaient bel et bien en retard d’ailleurs… mais on n’était jamais trop prudent. Il haussa les épaules.

« Et quoi ? Elle fait partie de leur Ordre, et après ?

— Shht ! Baisse d’un ton, ce n’est qu’une supposition. Après, ce qui change, Blaise, c’est que cet Ordre fait partie de nos forces désormais. »

Le brun s’arrêta soudain, fixant de ses yeux noirs amandes son vis-à-vis. Draco releva un sourcil interrogateur, tentant de masquer son excitation face à la situation. Ce qu’il venait de dire était loin d’être anodin. De la réaction de Zabini allait découler beaucoup d’autres choses.

« De quelles forces tu parles, Malefoy ?

Des nôtres. De celles qui nous appartiennent. Celles que l’on gouverne. Ou gouvernera, si tu souhaites que je sois ostensiblement précis. »

Ils se remirent à marcher en silence. Il était inutile d’en parler davantage, ils s’étaient compris. De cette compréhension qu’ont les gens d’une même caste à propos d’un sujet qu’ils maîtrisent parfaitement. En l’occurrence le système aristocratique Sorcier les plaçait au sommet de la pyramide, permettant donc à Draco Malefoy de parler du Ministère et de toute organisation affiliée comme des « forces qui lui appartenaient ». Le choix du blond était plein de bon sens. Tant, que Blaise Zabini ne pouvait qu’acquiescer, confirmant les premières suppositions de Draco à son sujet.

Ils arrivèrent à l’étage qui accueillait la soirée, de grosses lanternes blanches et or volant un peu partout, des guirlandes épaisses de houx encadraient la porte principale. Les battants s’ouvrirent à leur passage, dévoilant la chaleur et les odeurs de la salle dont la décoration n’avait rien à envier à la soirée d’Halloween. Lumineuse, la pièce était deux fois plus grande que la précédente. La musique était joyeuse, des odeurs sucrées d’alcools raffinés et de pâtisseries de Noël aguichaient des sens déjà bien émoustillés par la prestance des convives. S’il y avait une belle frange d’élèves, encore une fois, le nombre d’invités de marque était particulièrement impressionnant. Anciens élèves devenus des noms du Ministère, du monde sportif, quelques chercheurs renommés en exploration mondiale, une chanteuse… Une fois encore Slughorn s’était surpassé, et tous avaient répondu à son appel, car chacun savait ce qu’ils lui devaient. Quant à celles et ceux qui étaient aujourd’hui invités, alors qu’ils ne l’étaient pas de leur scolarité, ils se pressaient de se pavaner par esprit de revanche. Cela n’excluait pas Sirius Black que l’on pouvait voir en train de faire rire une jeune femme blonde à l’air hautain et aux formes généreuses mises en valeur par une robe à bustier noire et blanche somptueuse.

Draco sourit d’un air entendu, et se dirigea droit vers eux, Blaise préférant suivre le protocole et saluer leur hôte. Sirius affecta de ne pas avoir vu l’héritier Malefoy se faufiler vers eux, et continua de conter une histoire de sa jeunesse. Lorsque le blond arriva à sa hauteur, il hocha la tête lentement.

« Lord Black, mes hommages à vous et à votre compagne.

— Monsieur Malefoy, salua Black poliment avant de se tourner vers la jeune femme en articulant. Ma chère, je vous présente Draco Malefoy, le fils de Lord Malefoy notre actuel Ministre de la Justice.

— Bonsoir, Misteur Malfoï.

— Miss Lemoine est une cantatrice célèbre du Paris…

— Oh, mais je connais très bien le parcours de Mademoiselle Lemoine, coupa Draco en continuant dans un Français parfait. Tout le plaisir est pour moi, Mademoiselle. Vous portez admirablement bien une pièce de Cavalero, si mes yeux ne m’abusent.

Remarquable, Monsieur Malefoy ! s’esclaffa la Française avec élégance. Vous avez l’œil, c’est une création originale dont il m’a gratifiée pour la première d’Il cuore dello stregone. Il est rare de trouver des amateurs de haute-couture chez les Sorciers d’Angleterre, c’est plutôt…

Oui, coupa Draco avec un sourire froid. C’est une lacune que ne partagent pas les Moldus de Grande-Bretagne, il est vrai.

— Vous voudriez peut-être quelque chose à boire pour arroser votre passionnante conversation ? »

Sirius faisait clairement la moue et il était difficile de manquer le plaisir que cela procurait au Serpentard qui souriait d’un air mesquin. Il allait pousser l’insolence jusqu’à accepter quand il fut coupé par la voix de son rival.

« J’ignorais que Monsieur Malefoy parlait aussi bien Français.

— Lord Potter, s’inclina Draco avec une politesse que démentit son propos suivant. Le nombre croissant de quotidiens de Presse ne suffirait pas pour lister les choses qui échappent à votre esprit. »

Le sourire de Anne Lemoine se fana légèrement, tandis qu’elle comprenait que les échanges n’étaient pas aussi cordiaux que le laissaient supposer les politesses de façade. En temps normal, quelqu’un qui n’avait pas déjà rencontré Harry Potter aurait plutôt eu à cœur de le féliciter pour son existence, tout en lui disant combien il ou elle était honorée d’être en sa présence. Mais Anne se contrefichait de l’adolescent qu’elle avait en face d’elle, très peu impressionnée par sa notoriété, bien que cette dernière ait traversé la Manche. Ainsi, elle ne se priva pas de réagir comme les Français savaient si bien le faire :

« Apparemment, le savoir-vivre en fait partie. Mon ami, continua-t-elle d’un air hautain en se tournant vers Sirius. Vous devriez reprendre l’éducation de votre filleul en main. Peut-être puis-je vous recommander un précepteur que je connais très bien et qui saura lui enseigner l’étiquette ? »

Harry écarquilla légèrement les yeux, soufflé par son audace, mais une pression légère sur son bras suffit à le réduire au silence. Luna qui l’accompagnait une nouvelle fois se contentait de sourire légèrement en observant Sirius. Draco, quant à lui, tentait de dissimuler son plaisir face à une situation aussi ridicule. Les soirées de Slughorn recelaient décidément de véritables perles d’instants gênants. Black papillonna des cils, comme il le faisait souvent avant de présenter quelques mots agréables à une femme. Il sourit avec charme et Anne ne put s’empêcher de l’imiter, tout à fait séduite. C’est avec sa plus belle voix qu’il remit la jeune femme à sa place :

« Ma chère amie, commença-t-il en prenant sa main et en la portant à ses lèvres. Cette nuit délicieusement blanche… » Il déposa un baiser. « A dû vous épuiser au point… » Un autre. « Que vous oubliiez que vous êtes très loin de devenir Lady Black… » Un autre. « Ou que je puisse requérir votre opinion quant au tutorat d’un Lord. »

Tandis que le teint de la blonde s’empourpra de colère et de honte devant la grivoiserie publique de Sirius, ce dernier termina :

« Contentez-vous d’exceller dans votre domaine. »

Anne retira sa main si vite que l’Animagus ne put esquiver le soufflet. La gifle fut assez forte pour qu’on l’entendît malgré les discussions autour d’eux. Le sourire de Sirius ne diminua pas pour autant, ce qui acheva de scandaliser sa compagne qui tourna des talons et s’en alla comme si elle quittait la scène d’un théâtre sous une salve d’applaudissements. Le silence auprès du petit groupe était total. Harry peinait à ne pas ricaner de satisfaction.

« Pauvre Lord Potter, voir une maman de substitution renoncer à s’occuper de toi, doit être un coup au moral terrible… »

Draco fixait la tenture par laquelle Anne s’était enfuie avec un regard méprisant. De toute évidence, il n’était pas de ceux qui aimaient qu’une étrangère s’immisce dans des affaires de nobles, et le ton sarcastique qu’il avait employé fit réagir Harry très différemment de ce qu’il aurait fait des mois auparavant.

« Une blessure insupportable. Je me voyais déjà chanter la Marseillaise en ré mineur, avec un croissant coincé dans la bouche pour m’apprendre à articuler. »

Les ennemis échangèrent un bref regard de connivence, mais Draco brisa cet instant en redevenant très soudain très sérieux.

« Lord Black, ne deviez-vous pas nous rapporter des rafraîchissements ? »

***

Où était-elle passée ? Merlin n’avait pas particulièrement bien compris ce que sa Maîtresse allait faire dehors, mais il avait senti que c’était le moment pour honorer la demande du fantôme. Peut-être qu’ainsi, le spectre allait le laisser en paix et il pourrait retourner dormir à loisir dans le jardin sans qu’elle ne le dérange ? Quand Jane s’était éclipsée, il en avait profité pour se faufiler et se planquer derrière une armure. La suivant de quelques pattes, il l’avait vue vi parler à des élèves et après ? Le plus grand avait regardé dans sa direction et Merlin s’était tassé sur lui-même pour ne pas être vu. Malheureusement, une araignée en avait profité pour lui passer devant la truffe et son instinct avait repris le dessus.

Passant sa langue plusieurs fois sur sa truffe, cherchant à déloger la patte velue de l’arachnide de son palais – cette saleté restait collée et grattait affreusement, Merlin retourna dans le doute au niveau des appartements de Jane. Peut-être s’étaient-ils croisés ? Le chat arriva près de la porte et écouta longuement. Par-delà la porte, il n’entendait qu’un vague crépitement de feu et qu’un soupir agacé de temps à autre. L’homme en noir était toujours seul. Donc, sa Maîtresse n’était pas de retour. Il rebroussa chemin et se mit en tête d’aller du côté de la Grande Salle, la nuit tombée, Jane allait parfois dans cet immense endroit pour mettre des gens dans les murs et les obliger à raconter des histoires.

***

« Est-ce que la Grande Maîtresse ne veut pas que je lui donne aussi un peu de fromage ? Dobby sait qu’elle aime particulièrement ceux de brebis, et…

— Dobby, coupa Jane d’un air las. Je t’en prie, arrête de m’appeler comme ça, c’est vraiment gênant. Je ne suis la Grande Maîtresse de personne. Même si ça ne me ferait pas de mal de temps en temps, ajouta-t-elle mentalement.

— Si ! Miss Smith est la Grande Maîtresse de Poudlard ! Dobby le sait, Dobby l’a entendu de la bouche même de Monsieur le Directeur.

— Non, je ne… Attends, quoi ?

— Heu… Oui…, continua l’elfe en rougissant alors qu’il empaquetait quelques tomes de fromage. Dobby n’a pas vraiment voulu écouter aux portes, mais… Quand Monsieur le Professeur Snape et Monsieur le Directeur sont allés vous chercher, j’ai entendu Monsieur le Directeur expliquer que…

—  Ah, je vois. Mais laisse tomber quand même, regarde, ni Winky ni Rudi ne me donnent ce titre. À dire vrai, ils ne me donnent rien du tout, rectifia Jane en s’en rendant compte pour la première fois. »

Cela sembla énerver l’elfe parce que ses oreilles rougirent légèrement et que son sourire disparut. D’un geste un peu sec, il continua de garnir le panier qui débordait de victuailles en maugréant.

« Ca c’est parce qu’ils sont butés. Dobby sait ce qu’il dit. Dobby l’a entendu de… »

Poussée par les nouveaux aliments entrés de force, une pomme s’échappa et roula au sol. La jeune femme se baissa pour l’attraper rapidement et la frotta machinalement contre sa robe pour la dépoussiérer.

« Oh ! Donnez ça, Grande Maîtresse, vous n’allez pas la manger alors que… Dobby est maladroit quand il est énervé, Dobby est désolé.

— Laisse, c’est vraiment pas grave, et tu ne m’as pas vu tenter de faire à manger, tu sais. Si je ne renverse pas au moins un truc, c’est un mauvais repas. »

Il ne l’écouta pas et lui prit la pomme des mains pour la changer, Jane renonça à lui faire entendre raison et dû se résoudre à patienter. À l’origine, elle comptait bel et bien entrer discrètement aux cuisines et voler de quoi améliorer sa soirée. Se faire servir et se voir donner de grands titres ridicules avaient quelque peu rendu son escapade moins amusante. En voyant l’énorme panier, cependant, elle se dit qu’ils seraient gagnants. Plus qu’une collation, il y avait de quoi s’offrir un beau festin improvisé. De quoi passer une soirée privée autrement plus intéressante que celle où Slughorn voulait la traîner, plus précisément. Et puis au moins, elle était à la fois en sécurité et en compagnie de…

« Voilà, Grande Miss Maîtresse Smith, sourit Dobby fier de son effort sur les titres. Si vous désirez autre chose…

— Non, non, c’est parfait. Vraiment merci, c’est au-delà de ce que j’espérais. Merci Dobby, c’est super. Bonne soirée à tous ! » Lança-t-elle en repassant par la porte.

Portant difficilement son lourd panier à deux bras, qu’elle cala contre son ventre, Jane remonta les escaliers pour aller au grand hall en espérant ne croiser personne qui la voit dans cette situation. Elle n’avait pratiquement pas honte de voler de la nourriture aux cuisines, en revanche, il était difficile de ne pas comprendre à quoi servait un tel stock.

« À corriger des copies et bouquiner sagement » Se dit-elle pour la énième fois de la soirée.

Un peu plus tôt, Severus était venu lui apporter une fiole de jus d’abricot blanc en échange d’une place dans son fauteuil pour terminer de corriger les devoirs de ses élèves avant les vacances. L’homme continuait de prétexter que ce fauteuil était terriblement efficace pour la concentration. Jane, qui avait renoncé à le coincer à ce sujet, en avait profité pour commencer à empaqueter les cadeaux qu’elle offrirait à Noël, tout en dégustant cette boisson sucrée dont elle raffolait. Elle avait reçu une lettre d’invitation de la part d’Harry pour le fêter avec l’Ordre, disait-il, quelques semaines auparavant. L’attention l’avait touchée, mais il lui avait fallu demander une avance sur salaire à Dumbledore pour trouver et acheter en catastrophe des babioles à tout le monde. Pensant qu’elle resterait à Poudlard, Jane avait déjà préparé des présents pour l’équipe et s’était même félicitée de sa prévoyance. Pour une fois qu’elle avait terminé ses courses de Noël en avance… ! Eh bien non, Potter avait tout chamboulé, et avait envoyé des invitations au grand dam de Molly Weasley qui regretta terriblement d’avoir tant insisté pour que la soirée se passe au Terrier. D’un repas familial, ils étaient passés à une réception avec tout le noyau dur de l’Ordre, ce qui comprenait également son invité de ce soir. Quand elle avait terminé de tout préparer pour le surlendemain, Jane avait proposé à Severus de rester manger quelque chose avec elle, et à sa grande surprise, il avait accepté, même si l’homme voulait plutôt faire venir un elfe directement aux appartements plutôt que de risquer à ce qu’on surprenne la Moldue en vadrouille. Et c’est cette suite d’invitations et d’évènements qui la conduisirent à se balader dans les couloirs de Poudlard avec une robe plus légère que la température ne le permettait. Était-ce par bravade qu’elle y était partie toute seule ? Pestant contre la charge, Jane se dit que la prochaine fois qu’elle chercherait à combattre ses peurs, elle le ferait avec une paire de bras supplémentaires pour traîner un butin pareil.

Arrivant au Grand Hall, elle redressa le panier en inspirant un grand coup, s’intimant à faire attention, car le reste serait des escaliers descendants. Alors qu’elle s’apprêtait à emprunter ceux qui menaient aux cachots, une masse poilue frôla sa jambe et elle sursauta.

« Ah, mais qu’il est con que ce chat ! » Maugréa-t-elle par réflexe, le cœur au bord de la crise alors qu’elle tremblait de peur à l’idée d’avoir manqué de tomber.

Jane jeta un coup d’œil en biais, et entre la miche de pain et la bouteille d’hydromel, elle jeta un regard courroucé à Merlin.

« D’abord, qu’est-ce que tu fous ici, hein ? T’en as marre de moi et t’essaies de me tuer, c’est ça ?

— Maaow.

— C’est pas une raison. Tu vois pas que je suis chargée ?!

— Mewow !

— Merci, je sais bien que ça t’est égal. »

C’était un des innombrables dialogues qu’elle s’inventait, interprétant à loisir ses propos. Car, voyez-vous, Merlin ne venait pas du tout de lui dire qu’il en avait assez de sa Maîtresse et que oui, elle pouvait bien aller se faire voir chez les Mangemorts. En réalité, le félin avait demandé très poliment qu’elle le suive, mais comme toujours, Madame ne comprenait rien. Trop heureux d’être tombé sur elle, car il désespérait d’avoir à fouiller le château entier, il radoucit son miaulement et lui tourna le dos en espérant qu’elle la suive. Ce qu’elle ne fit évidemment pas.

La jeune femme inspira pour se donner du courage avant de risquer sa vie en descendant des escaliers sans aucune vision, et Merlin miaula bien plus fort pour attirer son attention.

« Oui, oui, merci. Amuse-toi bien aussi.

— FFFFSH ! »

Jane s’arrêta dans son élan, choquée, se retournant pour voir son chat le poil hérissé en train de l’observer.

« Mais… Qu’est-ce qu’il te prend ? »

Cela marchait ! Le chat bondit en direction des étages supérieurs en se retournant de temps en temps pour s’assurer qu’elle avait bien mordu à l’hameçon. Inquiète, et inutilement chargée, Jane avait à présent calé le panier contre sa hanche et remontait quatre à quatre les marches, échevelée et hors d’haleine, marchant un pas précipité sur deux sur son manteau en organza.

Dire qu’elle s’était, l’air de rien, faite très jolie pour une soirée sur le canapé…

***

Un Serdaigle de septième année dont Harry ne connaissait pas le nom, s’approcha d’eux avec un plateau surmonté d’une sculpture de glace bordée de petites fioles transparentes.

« Lord Black, ne vous déplacez pas, je serai honoré de vous servir la boisson offerte par un des invités qui n’a pu nous honorer de sa présence… »

Draco jeta un regard méprisant à l’élève, tout en scrutant avec plus d’attention le plateau. La sculpture translucide étincelait sous les éclairages. Elle représentait une immense fleur ouverte comme un écrin à une sphère d’où perlait ce qui était manifestement un alcool magique. Il avait déjà entendu les aristocrates parler de cette création, mais il ne parvenait pas à remettre de nom dessus. Voyant qu’il le fixait ostensiblement, l’élève expliqua :

« C’est de la liqueur de rosée de Lune, c’est un cadeau de…

— Je ne crois pas que tu sois ici pour nous faire la conversation, McReed. » Coupa Draco sans même lui accorder un regard et s’emparant d’une des fioles qui se rempli à son contact.

Le Serdaigle s’empourpra et se contenta de leur en donner à tous, avant de tourner les talons, dents serrées. Sirius resta silencieux, préférant renifler le breuvage avec plaisir, mais Harry réagit brusquement :

« Qu’est-ce qui t’as pris de lui parler sur ce ton ?

— Je vous demande pardon, Lord Potter ?

— Oh, laisse un peu ces… »

Le Gryffondor se tut un instant et inspira, se redressant et se remettant dans son rôle.

« Vous était-il obligé, Monsieur Malefoy, de lui parler ainsi ?

— Non, concéda Draco en souriant. Mais il est important de leur rappeler leur place.

— Ce ne sont pas des elfes de maison ! Ce sont…

— Des Sorciers de rang inférieur satisfaits à l’idée de servir leur élite.

— Et toi, tu approuves ? » Pris Harry à parti son Parrain.

Sirius haussa les épaules, savourant la liqueur délicieuse. Cela agaça plus encore son filleul qui s’ébroua.

« Alors c’est ça qu’on est ? Des gens aimant marcher sur les autres, et se réunissant en petits conciliabules pour décider de l’ordre du monde ?

— Non, Lord Potter… intervint pour la première Luna en le regardant intensément. Vous êtes des gens qui satisfaites au besoin de soumission des autres… Pour le moment. » Ajouta-t-elle en fixant Draco droit dans les yeux.

Le Serpentard but une gorgée de liqueur et haussa les sourcils lentement :

« Vous ne vous incluez pas dans cette aristocratie, Miss Lovegood. Vous êtes pourtant de Sang-Pur et au bras d’un Lord.

— Comment se porte Pansy Parkinson ? » Demanda Luna avec malice.

Draco plissa légèrement des yeux en souriant. Les Serdaigles et Serpentards partageaient cette intelligence qui leur permettait de se faire comprendre à demi-mot.

« Soit, je vous marie bien avant les fiançailles, il est vrai… Mais vous ne pouvez nier ne pas être étrangère à ce monde, du moins, pas sur la question de l’aristocratie. »

Harry se tourna vers Luna sans comprendre qui soupira légèrement. Sirius ne semblait pas particulièrement intéressé par leur conversation, il observait la tenture d’où était partie sa compagne d’alors. La jeune fille aux cheveux blonds opina du chef.

« Avez-vous au moins fait vos recherches vous-mêmes, Draco Malefoy ?

— Non. Je connais ce fait depuis que je me suis étonné de vous voir accompagnée au bal du Tournois des Trois Sorciers…

— Tu y étais ? balbutia Harry, rougissant.

— Oui, mais je dansais à l’opposé de l’endroit où tu regardais. »

Sirius termina son verre d’une traite pour cacher son amusement et prétexta de se resservir pour aller se moquer de son filleul ailleurs. Très embarrassé qu’elle fasse allusion à Cho comme ça, Harry vira à l’écarlate et préféra ramener la conversation dans la direction qui l’intéressait.

« Qu’est-ce que ça change qu’elle y ait été ?

— Dans quelle direction regardais-tu ? répliqua Draco en oubliant de le vouvoyer.

— Monsieur Malefoy m’a vue danser avec Nicolaï Yegorov, qui étudiait à Dumstrang. » Coupa Luna dans un élan d’empathie.

Harry la regarda avec reconnaissance, comprenant qu’elle dévoilait son secret pour lui éviter la honte du sien.

« Et ça m’a beaucoup étonné de voir un élève de dix-sept ans danser avec une jeunette de treize ans méprisée par toute une école. Ça n’est pas que tu ne sois pas capable d’être normale, voire jolie…

— Surveille ton langage !

— Mes excuses, Lord Potter, s’inclina Draco. Cela a néanmoins attisé ma curiosité. J’ai posé quelques questions, et j’ai appris qu’il n’y avait là rien de romantique – si cela peut vous rassurer.

— Ça suffit. Si Luna a quelque chose à me dire, elle le fera, je n’aime pas ta façon de sous-entendre que…

— Il ne sous-entend pas, coupa la blonde. Il te dit que je te mens. Ce qui est inexact, mais Monsieur Malefoy n’est pas à Serpentard pour rien.

— Est-ce qu’au moins c’est important ?! s’agaça Harry.

— Je ne sais pas, combien de temps encore tu vas accepter que l’on te cache des choses sur tes proches, Potter ? »

Le brun serra les dents et préféra terminer d’une traite sa fiole plutôt que de répondre. Sa compagne s’en chargea, jouant avec le liquide qu’elle n’avait pas touché.

« Nicolaï est un cousin. Plus éloigné que ne l’est Sirius pour Draco, rappela-t-elle. Mon père est bien né Lovegood. C’est mon grand-père qui est arrivé en Angleterre pendant la guerre de Grindelwald…

— Feodor Nikitine n’était pas qu’un fugitif Slave, Miss Lovegood…, coupa Draco en reprenant la politesse. Votre grand-père était surtout un historien et journaliste opposant… Une habitude dans votre famille.

— Ton grand-père était Russe ? souffla Harry. Pourquoi tu ne m’as pas dit qu’il avait cherché à…

— Parce qu’elle voulait sans doute éviter que tu croies que son intérêt pour toi était pour des raisons politiques. Après tout, Nikitine a grandement aidé Dumbledore lors de son combat contre Grindelwald, je me trompe ? »

Malefoy semblait tout à fait ravi de son petit effet. Il prit la réaction d’Harry pour un sentiment de trahison, et il semblait très heureux de lui démontrer sa vulnérabilité. Luna se tourna vers Harry avec un fond de tristesse dans les yeux.

« Mon grand-père, commença-t-elle lentement. Était en relation avec Grindelwald, il l’a… Il l’a aidé dans certaines recherches historiques. Papa n’en parle pas, il préfère garder l’idée qu’à la fin, grand-père a décidé…

— De rompre tout contact avec un mage noir, et de faire amende honorable, termina Draco. Mais je suis loin de juger : si toutes les personnes qui ont eu une amitié avec Gellert Grindelwald devaient être mises au ban de la société, Poudlard n’aurait pas le même directeur. »

Harry avala de travers sa salive, alors que Luna lui donnait sa fiole pour qu’il la boive. Son amie hochait la tête en fixant le l’élève qui continuait de porter la sculpture de glace dans la salle.

« Lord Malefoy a d’excellentes informations, et vous savez écouter aux portes. »

Draco fronça les sourcils et regarda dans la même direction qu’elle. Soudain, il se remémora le nom de la plante à l’origine de la liqueur : « La Rosée de Lune ». Il ne faisait aucun doute que le cadeau venait de son père, et que la jeune fille l’avait compris dès le début.

Draco se renfrogna, il eut l’impression que même dans son théâtre, son père arrivait à dominer la scène.

***

« Merlin, sérieusement… Han… Mais tu m’emmènes où comme ça ? »

Essoufflée, la robe salie par la poussière traînée sur plusieurs étages, la gorge rendue si sèche qu’elle hésita à ouvrir une des bouteilles de son panier, Jane s’arrêta dans le couloir. Elle posa son paquetage et s’appuya sur une armure qui grinça d’un air outré. Aucune trace de son chat. Après avoir feulé, il s’était échappé en course folle, ne laissant que de temps en temps un bout de queue dépasser. Jane inspira longuement, cherchant à retrouver son souffle, se demandant pour la troisième fois de la semaine si elle n’allait pas arrêter de fumer. Peut-être que Filius aurait un sort, ou bien…

« Maouh ?

— Ça t’amuse ?

— Meeeow ! »

Assis sur son postérieur, la queue ramenée contre lui, Merlin se tenait droit et noble aux pieds du gros chêne qui trônait dans les jardins de Serdaigle. La jeune femme enleva un cheveu qui collait à sa bouche d’un geste agacé, et récupéra son panier, sourcils froncés.

« Je n’ai vraiment pas que ça à faire, tu sais. Pourquoi on est arrivé ici ? Tu voulais me montrer ça ? C’est gentil, mais je connais très bien l’endroit… »

Le chat resta silencieux, clignant des yeux avec suffisance. Jane leva les siens au ciel.

« Bon, voilà, c’est superbe, je suis très contente d’être venue, gentil chat, maintenant j’ai plus important sur le feu… »

Elle se retourna avec empressement quand un souffle léger et froid la fit frissonner. Dans son dos, alors qu’elle sentait qu’elle commençait à avoir la chair de poule, une douce voix sans timbre s’éleva :

« Le seul endroit où vous devez être est ici, Jane Smith. Nous aurions dû commencer votre aventure par ça… »

***

Luna profita du silence de Malfoy pour entraîner Harry sur la piste de danse. Une valse moderne démarrait, et la blonde débuta un quickstep endiablé et totalement en dehors du rythme. Les convives ne s’intéressèrent nullement à eux, et la vitesse de leurs pas brouilla peu à peu l’environnement d’Harry. Il se sentit soudain plus léger au milieu des couleurs avec pour seule boussole le visage souriant de son amie.

« Nous en reparlerons, promit-elle. Après que tu aies obtenu la vérité ailleurs. »

À mille lieues de comprendre à quoi elle faisait allusion, Harry finit par saisir son propos quand elle les fit tournoyer habilement en direction de Slughorn. Les volants de sa robe verte et or se soulevaient comme des pétales de fleur, donnant l’impression d’une fée qui le guidait au milieu de mortels. Cette réflexion lui rappela qu’il ne savait finalement rien de sa cavalière. Comme toujours, elle sembla lire dans son esprit et ajouta :

« Je suis aussi surnaturelle que toi, Harry Potter. »

Elle l’avait dit d’un ton enjoué qui le fit sourire. Tournant et conquérant leur espace, évitant de percuter les autres danseurs, le couple pouvait voir que Draco avait renoncé à leur faire la conversation et qu’il avait à présent retrouvé Zabini. Sirius était introuvable, faisant dire qu’il cherchait sans doute à se réconcilier avec la Française. Quant à sa proie, Harry la trouva à rire, un verre débordant à chaque tressautement. « Sa proie » se redit le garçon, frappé par son choix de mots.

« Je ne sais pas si j’en suis capable, murmura-t-il.

— Il le faut.

— Pas comme Snape… Pas comme il m’a dit de le faire. C’est trop brutal.

— Aucun secret n’est destiné à rester enfoui, Harry. »

La valse accéléra, eux ralentirent. La Serdaigle avait une grâce et une aisance aérienne très particulières. Un jour, elle lui avait raconté que c’était sa mère qui lui avait appris à danser et qu’elle le faisait toujours quand elle cherchait du courage ou pour se remonter le moral. Ce soir, l’inquiétude qu’il avait prenait le pas sur cette jolie magie.

« Ce n’est pas moi…

— C’est Harry Potter.

— Tu ne comprends pas. Ça n’a rien d’héroïque, c’est même… C’est même vil. »

Peu importe les leçons qu’il prenait avec Snape, le jeune homme ne parvenait pas à se résoudre à ce que tout doive être sacrifié « pour le plus grand bien », à commencer par son honneur. Au milieu des couleurs, Luna le fixa très sérieusement.

« Tous les héros ne sont pas héroïques, Harry. Et toutes les personnes qui sont capables d’héroïsme ne sont pas des héros.

— Sauf qu’on attend de moi des choses !

— Peut-être que les attentes sont illégitimes. Ou peut-être ne comprends-tu pas le rôle que tu dois jouer ? »

Ils glissèrent à nouveau en direction de Slughorn, les grincements des violons et de la contrebasse laissaient entendre que la valse prendrait bientôt fin.

« Je dois être tant de choses… Je dois faire tant de choses…

— Non. Tu dois seulement te battre, Harry. Comme nous tous.

— Sauf que vous, vous n’êtes pas forcément l’Élu. »

Luna éclata de rire, il se sentit brusquement stupide et il s’arrêta de danser. Avisant à présent Slughorn qui lui souriait et se dirigeait vers lui pour se l’accaparer, Harry crut qu’il avait rêvé la réponse de son amie :

« C’est normal, Harry, il ne peut y avoir qu’un seul Élu… »

***

Légèrement grelotante, Jane observa le fantôme d’un air intrigué. Jusqu’ici, l’entité s’était bien gardée de lui adresser le moindre mot, faisant dire à la jeune femme qu’elle méritait un surnom aussi sinistre. Elle n’était même pas certaine de connaître son patronyme… La Moldue recula, posa son panier sur le banc de pierre où elle avait vu Luna l’année précédente. Le fantôme ne bougea pas, la fixant comme cherchant à sonder son âme. Merlin s’allongea et ferma les paupières comme s’il avait gagné le droit de piquer un somme. N’y tenant plus, Jane rompit le silence après quelques minutes à gigoter mal à l’aise :

« Heu… D’accord, mais c’est-à-dire ? »

Le spectre glissa dans sa direction et Jane se repositionna par réflexe. Cela sembla amuser la morte, car elle déclara :

« Vous ferais-je peur ?

— … Ben… Je ne parle pas souvent aux fantômes, donc… Même jamais, en fait. Je…

— Je suis la première que vous voyez d’aussi près. »

Ce n’était pas une question. Jane cligna des yeux et se rendit compte qu’elle avait raison. En plus d’un an, elle n’avait que très peu croisé les fantômes.

« Ce n’est pas contre vous. Les morts ne se mêlent qu’aux Sorciers.

— Merci, ce n’est pratiquement pas insultant, marmonna Jane à peine surprise que le fantôme sache sa nature.

— Asseyez-vous, Jane. Nous avons tout notre temps. »

Smith allait répondre que quand on vit, on n’a pas l’éternité à soi, mais elle se retint, le froid l’enveloppant de plus en plus. Prenant place en frissonnant, elle regretta de n’avoir que de la mousseline sur les épaules.

« Aimez-vous ce monde, Jane ? »

La Moldue arqua un sourcil interrogateur, décontenancée par le côté vague de cette question. Un instant, elle repensa aux duos de prédicateurs devant lequel elle passait chaque fois qu’elle achetait une viennoiserie en bas de chez elle. Une fois, ils avaient essayé d’entamer la conversation avec une question similaire. Incertaine, elle répondit :

« Je ne suis pas pressée de mourir… Maintenant, si la question est de savoir si je crois en Dieu, je sais plus trop.

Dieu… ? répéta le fantôme comme si le nom même était ridicule. Non, Jane Smith, je vous parle de notre monde. Le monde dans lequel Albus Dumbledore vous a plongée.

— AH ! »

Ah… La Moldue allait répliquer rapidement, un sourire aux lèvres, mais elle s’interrompit en se rendant compte que la question n’était pas si évidente. La guerre, le modèle sociétal, les croyances, la magie, les intolérances, les innombrables choses à découvrir, les gens… Elle soupira, puis répondit en choisissant ses mots avec soin.

« Pas plus que le mien, je crois… Ce sont surtout les personnes que j’ai rencontrées que j’aime. Je suis attachée à eux. »

Le fantôme hocha la tête doucement, quelques boucles de son abondante chevelure éthérée ondulant étrangement.

« Vous risquez votre vie pour cet amour. »

Jane fronça les sourcils et fixa sévèrement le fantôme en pinçant des lèvres.

« Nous parlons toujours du même sujet ?

— Plus que jamais. »

***

Harry riait si faussement que même lui se demanda s’il n’en faisait pas un peu trop. La fête battait son plein, et Horace Slughorn semblait tout à fait ravi par le succès de sa soirée. Regroupés autour de lui comme un harem, d’anciens élèves jouaient le jeu de l’amusement, tandis que ceux qui étudiaient encore à Poudlard cherchaient à attirer l’attention. Mais Harry avait habilement capté toute celle de son Professeur qui était à présent inarrêtable concernant les plaisanteries au sujet du Survivant et de sa compagne. Luna elle-même l’avait poussé à entrer sur ce terrain en racontant comment les Filidines – des fées romantiques selon elle – l’avaient amenée à chercher une nouvelle fois sa paire de chaussures en pleine nuit. Avec beaucoup de savoir-faire, la Serdaigle narra une course rocambolesque faite de discussions avec les tableaux et de couloirs interminables. Elle dépeint un Harry Potter serviable et un brin naïf qui sembla satisfaire à l’imaginaire collectif.

La vérité était beaucoup plus simple : une nuit après ses exercices avec Snape, la nuit où l’espion et lui-même avaient exploré le souvenir concernant Quirrel, Harry s’était enfui vers les cuisines. Voulant éviter la ronde des Aurors, il avait changé de direction et était tombé sur Luna qui cherchait bel et bien ses chaussures. La jeune fille avait simplement renoncé en expliquant qu’Harry cherchait quelque chose de bien plus important, et elle l’avait emmené dans les jardins où ils prirent plus tard l’habitude de se rejoindre. Là, sous le gros chêne et le ciel étoilé, il trouva bien ce qui lui faisait défaut : de la quiétude. Mais il était hors de question de livrer une chose aussi personnelle en pâture à son image. La fable présentée par Luna était donc parfaite.

« Cela ne m’étonne pas, mon garçon… Cela ne m’étonne vraiment pas. Votre mère était très attentive aux besoins des autres, elle aussi. »

Quelques convives se sentir gênés que Slughorn évoque directement le souvenir de Lily Potter. Après ce qu’il s’était passé à l’automne, le sacrifice des Potter était d’autant plus dans les mémoires. Harry se tendit. Le moment pointait. Autour d’eux, la musique baissait, les gens se retrouvaient en groupes de plus en plus restreints, disparaissaient derrière des tentures, les fontaines d’alcool voyaient leur niveau magique dangereusement disparaître et plus personne ne s’intéressait aux petits fours. Encore quelque temps à tenir, et chacun partira terminer cette soirée selon sa convenance.

« Merci, Professeur. Je ne l’ai pas connu, c’est… C’est bon de savoir qu’il y a un peu d’elle en moi… Malgré tout. »

Le vieux Professeur de Potions cligna des yeux comme un bébé avant un gros chagrin. Nulle malice ou petite anecdote croustillante. Pour la première fois il sembla voir Harry comme le fils de Lily, et sa peine s’afficha sur son visage poupin. Le Gryffondor but une gorgée dans le verre qu’il tenait pour s’occuper les mains. Il lui fallut dissimuler sa satisfaction, et la légère honte qu’il éprouva en ressentant la première émotion. Il allait enfin savoir.

***

Pour une raison qu’elle ignorait, Jane était profondément mal à l’aise en présence du spectre. La Dame Grise continuait de l’observer en silence, comme cherchant à décider de la façon dont elle devait s’adresser à elle pour se faire comprendre. Le corps engourdi par le froid de la nuit, sa tenue et le fait de rester assise sur un banc de pierre, Jane s’ébroua légèrement, impatiente de retrouver la chaleur de ses appartements.

« Dites-moi ce qu’il y a de si urgent à savoir, s’il vous plaît. Ou attendons demain, peut-être ? Un moment où je serais plus habillée, moins occupée… ?

— Demain ? Pourquoi demain ?

— … Ben pourquoi pas ? Pourquoi ce soir ? répliqua Jane en grimaçant légèrement.

— Parce que cela aurait dû être hier, ou même avant-hier. Cela aurait dû être avant que votre vie ne soit attachée à la sienne par une dette de sang. »

La Moldue cligna des yeux.

« Quoi ?

— L’homme que vous cherchez désespérément à rejoindre vous est déjà lié, Jane Smith. »

La susnommée arqua un sourcil dubitatif, et se pencha pour chercher quelque chose à boire et à grignoter dans le panier. Il lui fallait reprendre contact avec la réalité avec une action de vivant, et si possible une conversation normale. Mais en écartant les pommes et le brebis, en saisissant la bouteille d’hydromel et tripotant la cire qui cachetait le bouchon, elle ne parvint pas à se soustraire au sous-entendu.

« Je crois que je le saurais si j’étais liée à Severus d’une façon ou d’une autre, alors de quoi parlez-vous ?

— Vous lui devez la vie. Peut-être en est-il de même pour lui…

— Attendez, attendez… Attendez, répéta Jane une troisième fois en se battant avec le bouchon les sourcils froncés. Personne en dehors du Professeur Dumbledore, Snape et moi-même n’est au courant…

— L’homme-chien et l’enfant-guerrier le sont aussi, coupa le spectre. »

Jane déboucha la bouteille et s’exclama quand elle dû coller sa bouche au goulot alors qu’une épaisse mousse menaçait de jaillir. L’hydromel n’avait pas du tout apprécié son périple furieux dans les escaliers. Après une première gorgée sucrée, la Moldue releva la tête.

« Vous parlez de Sirius et d’Harry ? » Le fantôme acquiesça comme si ça n’avait aucune importance. « D’accord, mais c’est tout, il me semble. Alors, comment pouvez-vous savoir une telle chose ?

— Le savoir est ma maison, Jane Smith. »

Après un instant d’incompréhension et une gorgée supplémentaire, Jane écarquilla les yeux soudain :

« Vous êtes littéralement le fantôme de Serdaigle ?! s’exclama-t-elle.

— Non. Je suis le fantôme d’Helena Serdaigle, son unique enfant.

— Merde… C’est pour ça que vous disiez qu’on aurait dû parler avant, vous voulez me parler de…

— Il est temps que je vous transmette mon savoir. »

***

Il n’y avait rien à ranger dans la salle. Les elfes de maison se chargeraient de nettoyer les plats, de décrocher les guirlandes et d’éteindre toutes les bougies. C’est pour cela qu’Harry et Slughorn se faisaient désormais face dans de gros fauteuils moelleux près de l’âtre principal, un plateau d’argent garni d’un melting-pot des petits fours récupérés dans des restes sur les genoux du Professeur. Luna les avait quittés lorsque la conversation avait sérieusement dérivé vers Lily. L’alcool aidant, le vieil homme parlait de plus en plus de sa protégée, alternant entre gorgées, bouchées et détails. Harry sirotait de temps à autre un verre de jus de citrouille qu’il avait pu trouver. La boisson le réconfortait et il avait surtout besoin de ça à cet instant.

« Vous savez, reprit Slughorn alors qu’une gougère disparaissait derrière sa moustache avec un bruit de mastication. Lily était si positive et pleine de vie que l’amitié qu’elle avait avec Severus choquait. C’est qu’ils étaient comme le jour et la nuit, hein.

— Oui, j’ai cru comprendre qu’ils avaient même fini par ne plus se parler.

— Cette affaire a été terrible… Vous savez Harry, j’affecte de ne pas m’en rendre compte, mais je sais bien que ma maison n’a pas toujours abrité les sorciers les plus recommandables. »

Le Gryffondor déglutit, évitant de trahir ses intentions. Il préféra laisser l’homme continuer.

« Oh, bien sûr nous avons eu le grand Merlin, et puis des gens tout à fait exceptionnels, mais… Enfin, je ne veux pas sous-entendre que Severus est quelqu’un de mauvais, mais…

— Il a été Mangemort, oui. »

Et certains continuaient de croire qu’il l’était encore. À l’instar de Lucius Malefoy, Severus était officiellement blanchi. Horace semblait mal à l’aise à l’idée d’en parler avec Harry, comme s’il avait honte de ce qu’étaient parfois ses anciens élèves. Mais le jeune homme termina son verre de jus de citrouille d’une traite et, affectant de se servir du vin de noix, remplit celui de l’enseignant.

« Pourquoi se sont-ils brouillés ? Vous le savez ? demanda-t-il candidement.

— Oh… Ce ne sont pas de belles histoires à raconter, c’est…

— Le passé de ma mère, mon passé.

— Eh bien… Je ne sais pas quand Severus a… A pris la Marque. Un Directeur de Maison ne peut pas forcément savoir ce genre de choses… »

Une bouffée de colère vrilla les tempes d’Harry qui se retint de faire remarquer que Snape, justement, était particulièrement attentif à ce genre de choses. Particulièrement parce qu’ils étaient en guerre et que de nombreux enfants risquaient de prendre la Marque, comme lui. Il contint son émotion et hocha la tête de compréhension.

« Je sais qu’un jour il l’a traitée de cette horrible expression. Mes élèves en parlaient beaucoup et votre père et son meilleur ami ont grandement puni Severus pour cela.

— Quelle expression, Professeur ? demanda Harry en sachant très bien de quoi il était question.

— Sang-de-Bourbe. » murmura Slughorn dans un souffle mortifié.

Là, Harry sentit son cœur se pincer légèrement de honte, ainsi qu’une grande bouffée d’adrénaline éclairait son esprit. Ça lui fit du bien de s’imaginer la voix de Snape l’encourageant à continuer sur cette voie. Des mois d’Occlumancie lui avaient appris une chose : à qualifier et à comprendre l’esprit. La suite vint toute seule.

« Je connais bien ce mot…, murmura-t-il. Il a hanté mes nuits pendant des années, avant que je n’en comprenne la raison. »

Slughorn fronçait les sourcils, une lueur de curiosité qui filtrait entre les billes de larmes qui s’étaient formées à l’évocation de son élève chérie. Harry fixa son regard en direction de l’âtre, de la même manière que Tom Jedusor l’avait fait plus d’un demi-siècle avant lui.

« Pendant des années, je n’ai pas compris pourquoi mon plus vieux souvenir était constitué d’une lumière verte et d’un hurlement. Un hurlement et un rire… Un rire… Et ces mots. Sang-de-Bourbe… » Répéta Harry alors que le visage du vieux Professeur s’affaissait de crainte. « Il lui disait toutes les nuits « Pousse toi, Sang-de-Bourbe ! Pousse-toi, idiote ! » Et vous savez ce que maman criait toujours ? « Non, pas Harry ! Pitié, pas Harry ! Prenez-moi, prenez-moi à sa place… »

L’expression d’horreur muette qui se peignait à présent sur le visage d’Horace était parlante. Le jeune homme n’avait pas besoin de le regarder pour sentir qu’il obtiendrait ce qu’il était venu chercher.

***

Jane sourit doucement, jouant avec une épluchure de mandarine d’un air gêné. Après s’être mordue la lèvre, elle craqua :

« Pardonnez-moi, mais vous avez l’air d’être morte assez jeune, en fait…

— J’ignore ce que vous qualifiez de jeune, mais j’ai vu passer deux printemps depuis mon introduction dans le monde, déclara Helena avec une once de fierté, avant d’ajouter en voyant le regard de Jane : J’avais seize années.

— Merde… Oui, c’est jeune pour mourir… »

Helena haussa les épaules, préférant observer Merlin dormir. Le fantôme cherchait toujours manifestement un bon moyen d’aborder le nœud de la question quand Jane enchaîna :

« Mais… Mais si vous êtes la seule enfant de Rowena Serdaigle… À quel âge avez-vous eu… Le vôtre ? »

Le spectre sourit tristement, se relevant pour aller flotter près de la fenêtre. Un instant la Moldue crut qu’elle avait commis un mauvais pas, mais Helena répondit simplement :

« Je suis morte à l’hiver, mon fils est né au printemps. Nous avons pu jouir de l’abondance de l’été, avant que ne meurent nos espérances…

— Je suis désolée que vous ayez été séparés si tôt…

— Vous êtes d’un tempérament doux, Jane Smith. Vous me rappelez ma meilleure amie Anna.

— Ah… Heu… Merci.

— Vous partagez son amour des bonnes choses. Anna était comme sa mère : très grande sorcière de la table. »

Jane croisa les jambes pour masquer derrière sa main les restes de mandarine qu’elle remettait dans le panier. Gênée, elle préféra se taire, ce qui sembla tirer un des rares rires au fantôme. C’était le son le plus paranormal que la Moldue ait pu entendre. Quelque chose d’une tristesse très étrange.

« Anna Poufsouffle était mon amie.

— Et… Je lui ressemble plus qu’à vous ?

— Garderiez-vous le silence, fut-ce au prix de la vie des gens que vous aimez, par loyauté ?

— … J’en sais rien. Je crois pas, non. De quoi parle-t-on ?

— Anna m’avait juré d’emporter mon secret dans la tombe. Et nous le fîmes toutes deux, seulement… »

Intriguée, Jane n’osait plus respirer.

« … Seulement nous étions trois à le connaître. Il était difficile d’être la fille de Rowena Serdaigle. L’intelligence de ma mère, sa beauté, sa renommée… Son œuvre. Il n’y avait pas de temps pour moi. Mon père lui-même n’est pas resté dans l’Histoire. Qui connaît le nom d’Edwin Locardon ?

— Votre père n’est pas celui qui portait le nom de…

Non, répliqua simplement le spectre. Pas plus que je ne porte aujourd’hui celui de mon époux. Père n’aima pas rester dans l’ombre de sa femme, occupée à fonder une école en compagnie de Sorciers plus brillants que lui. Il… Il avait beau être un esprit d’une rare intelligence, Père ne semblait pas combler Mère au même titre que ses nouveaux alliés. Il a cessé peu à peu de feindre l’intérêt pour la construction de Poudlard et il s’est perdu dans ses chasses sur les terres environnantes. La forêt est dite « Interdite » depuis que…

— Merde, désolée, encore.

— Un grand saule pleureur pousse sur sa tombe. »

Jane réprima une grimace cynique, le fantôme était d’un sinistre affolant.

« Je suis restée seule pendant des années après cela… Seule et invisible. Mère était toute la lignée, tout le nom. Certes, Jane, je vois bien votre expression : vous allez dire que j’étais moi aussi très belle, mais pas assez. Pas assez pour Mère. Pas assez belle, pas assez intelligente, pas assez travailleuse.

— Mais, vous disiez avoir Anna…

— Anna ne m’aimait pas de cet amour, Jane. Seul le vrai Amour peut remplacer celui d’une mère. »

La Moldue ne parvint pas à contenir son sourcil qui se hissa vers sa crinière dans un air profondément dubitatif. D’accord, elle était proche de sa mère, mais ça va, c’était pas pour ça qu’elle était nulle dans ses relations !

« Jane Smith… Nous vivons à deux époques très différentes…

— Oui, et sur deux plans d’existence très différents aussi…

— Mais votre mère n’est plus celle qui compte le plus.

— C’est-à-dire que j’ai quand même trente-deux ans, maintenant. Il s’agit d’être une grande fille à un moment. »

Le fantôme ouvrit la bouche de stupeur, ses lèvres formant à nouveau le chiffre. Elle jeta un regard infiniment peiné à la vivante. Après tout, elle avait connu l’Amour seize ans avant elle… Jane comprit son raisonnement et enchaîna, mal à l’aise :

« Et… Et qui était l’homme de vos pensées ?

— Alaric Gryffondor, l’héritier de…

— De Godric Gryffondor, ouais. C’est là que cette double-lignée démarre en fait, murmura Jane. Mais… Mais comment ça a pu tourner à un drame comme le vôtre ?

***

Horace Slughorn ne savait pas quoi dire. Il sentait une forte pression comprimer sa cage thoracique et une violente bulle de bile remonter le long de son œsophage. Harry racontait depuis une dizaine de minutes comment, grâce aux Détraqueurs, il avait pu revivre les derniers instants de Lily Potter. Tétanisé, il sursauta quand le garçon déclara brutalement :

« Je n’ai jamais eu besoin de la prophétie pour être destiné à détruire Tom Jedusor. »

Le vieux Serpentard s’enfonça dans son fauteuil, cherchant de sa main droite quelque chose de réconfortant à se mettre sous la langue, mais rien. Quand il tâtonna de la main gauche, il soupira de soulagement lorsqu’elle rencontra une petite boîte de métal. Il baissa les yeux pour découvrir la couleur caractéristique de l’ananas confit. Il eut un mouvement de recul.

« Par contre, murmura gravement Harry en lui tendant la boîte. J’ai besoin de vous pour venger ma mère. »

***

« Nous devions nous enfuir. »

Jane passa ses mains sur ses bras pour se réchauffer et se redressa pour se rapprocher du fantôme et de sa fenêtre. Le parc de Poudlard luisait sous la lune, son herbe recouverte d’une épaisse couche de neige brillante. L’image était belle. Un beau cadre romantique à une histoire qui semblait en avoir l’ambition.

« Vous étiez enceinte de lui ? »

La Moldue avait demandé ça sans diplomatie, consciente de la honte probable du fantôme. En quelle année était morte Helena, déjà ? D’après les livres qu’elle avait pu lire, la fondation remontait au dixième siècle alors…

« Comprenez-vous ce que cela implique ? la coupa le fantôme dans son fil.

— Ben, ouais, je pense bien. Quoi que vous étiez mariée, vous m’avez dit ? Ce n’était donc pas un fils illégitime, alors, c’était…

Un secret. Un secret que seuls Anna et Alaric partageaient. Nous n’avions pas honte, Alaric était noble, je l’étais aussi… Mais nous voulions garder cela pour nous, que cela nous appartienne à nous. Pas à cette fichue école et à…  Nous devions nous enfuir, répéta-t-elle. Très loin, visiter les citées antiques. Alaric m’a donné quelques sous pour avancer les premiers frais, mais j’avais déjà emporté quelques affaires… Dont le diadème de Mère. Quand je suis arrivée dans ce que vous appelez aujourd’hui l’Albanie…

— En Albanie ?! Pourquoi si loin ?

— Nous devions nous retrouver en Grèce. Quand je suis arrivée en Albanie, j’ai attendu Alaric, mais il a tardé à venir. Peut-être est-ce de ma faute, mon larcin a dû provoquer un drame terrible dans la monotonie de Poudlard.

— Ouais, ou votre disparition… C’était vraiment un gros diadème ?

— Il s’agissait surtout du sien. Un artéfact qui aurait la faculté de rendre plus intelligent. »

Jane se mordit la lèvre en fermant lentement les yeux, comprenant le raisonnement de l’adolescente de l’époque.

« Vous avez cru que cela handicaperait votre mère, et lui ferait payer ce qu’elle avait préféré chérir plutôt que vous ?

— C’est pour cela que je vous parle, Jane Smith : parce que, malgré tout, vous êtes à la hauteur. »

La Moldue ne sut pas sur quel aspect de son génome on l’attaquait une fois encore, mais se retint d’envoyer sur les roses la rebelle séculaire.

« Ça n’a rien changé, évidemment. Mère a fini par apprendre ma perfidie quand ma disparition a été signalée. Ils ont tenté de me retrouver, et… craignant pour son enfant à naître, Alaric a parlé. Gryffondor est alors entré dans une rage folle aies-je appris par la suite. Si mon Aimé ne m’est pas venu, c’est parce qu’il avait été sommé de faire pénitence pour sa bravade. Mère a envoyé un autre homme sur mes traces, un homme éperdument amoureux de moi, malgré mes nombreuses éconduites. Il m’a évidemment retrouvée, et… »

Jane avait lu assez de romans, et entendu assez de faits divers pour savoir comment cela s’était terminé. Moyen-Âge ou époque moderne, Helena avait eu le malheur d’avoir choisi un autre homme que son bourreau.

« Quand il a réalisé ce qu’il m’avait fait, le Baron s’est suicidé.

— … Le Baron… Sanglant ?

— Oui. Mère est morte de chagrin quelque temps après. Alaric, lui, s’est perdu dans la guerre. Je suppose que c’est ma punition que d’errer pour l’éternité aux côtés de mon assassin, plutôt que de mon époux.

— Mais… Et l’enfant ? »

Helena sourit doucement, se détournant du parc de Poudlard pour regarder Jane pour la première fois depuis un moment.

« L’enfant, plutôt que le diadème ?

— Je sais que c’est du patrimoine, mais… La vie est bien plus importante.

— Mon fils a été recueilli par des marchands byzantins qui faisaient la traversé entre l’Occident et l’Orient. Ils l’ont bien élevé, avec beaucoup d’amour. Par la suite il a épousé…

— Mais comment pouvez-vous savoir une telle chose ? coupa Jane incrédule.

— Quand nos descendants meurent, nous découvrons leur vie. C’est une torture et un étrange cadeau qui est fait à ceux qui choisissent de rester.

— Vous connaissez tous vos descendants ?

— Tous ceux qui sont morts, oui.

— Vous connaissez donc mon père ? »

***

« Harry, s’il vous plaît… Ne me forcez pas à cela. Vous n’avez pas idée de ce que vous me demandez. »

Mener Slughorn à révéler ses secrets obligeait Harry à plonger dans une psyché qui ne lui plaisait pas, et dans laquelle il tirait une puissance et une satisfaction malsaine très paradoxales. Severus l’avait déjà mis en garde contre cela, lui expliquant qu’avoir un ascendant psychique sur quelqu’un était une extase des plus dangereuse. Slughorn n’était pas un Serpentard pour rien, il aurait pu résister à n’importe qui d’autre. Mais pas au fils de Lily.

« Vous avez connu ma mère. Moi non. Pendant des années, vous avez pu la voir grandir et s’épanouir, apprendre des nombreuses choses, lui en faire apprendre également. Moi non. Vous avez eu la chance de connaître ses goûts, de la voir sourire, de l’entendre rire. Moi non. Vous avez eu le loisir de la collectionner, de la photographier, et vous l’exposez aujourd’hui fièrement sur votre étagère… Moi, je n’ai que quelques clichés que ceux qui n’étaient pas uniquement obnubilés par mon père ont bien voulu me donner. Pétunia Evans, sa propre sœur qui m’a élevé, ne m’a jamais parlé d’elle… Et elle ne pourra plus jamais le faire, car, aujourd’hui elle est morte, à cause de la guerre, à cause de Voldemort…

— Ne prononcez pas ce nom ! supplia le Sorcier.

— SI ! IL EST CELUI DE L’ASSASSIN DE MA MERE ! IL EST CELUI DE L’ETUDIANT QUE VOUS ESSAYEZ AUJOURD’HUI DE PROTEGER !

— Non, non… Jamais je ne…

— Vous êtes lâche, souffla Harry d’une voix dangereusement glaciale. Je parie que ma mère a admiré sans le savoir un lâche qui préfère être complice de son meurtrier qu’allié de son fils.

— Mais… Mais vous ne comprenez pas, bredouilla Slughorn. Vous ne comprenez pas ce que j’ai fait… Oh, Merlin… Qu’est-ce que j’ai fait ?!

— Qu’est-ce que vous pouvez faire.

— Non, non… Harry, je ne peux pas, je ne savais pas.

— Donnez-moi la vérité, Professeur. Elle vous libèrera, elle nous libèrera tous. »

***

Le cœur de Jane battait la chamade. Cette question n’avait jamais été importante. Bien entendu, quand elle était petite, elle avait demandé à connaître un peu son père. William Smith était mort jeune d’un cancer du pancréas, et sa mère, bien qu’elle retombât amoureuse par la suite ne s’était jamais remariée. Jane savait très peu de choses, si ce n’est qu’il avait été un architecte, comme celui qu’elle considérait aujourd’hui comme son père adoptif, Colin Barnes. Mort peu après sa naissance, William n’avait pas marqué sa fille, et c’était un autre qui l’avait élevé à sa place. À la réflexion, la jeune femme se demanda si ce n’était pas une malédiction pour la lignée des Serdaigle et Gryffondor.

Elle fixait le spectre avec appréhension, espérant qu’elle lui en apprenne plus à son sujet.

« Non. » Finit par dire le fantôme après un long moment à l’observer gravement.

Jane se traita mentalement d’idiote. Évidemment qu’elle n’avait pu le connaître, elle venait de lui expliquer qu’elle n’apprenait tout de leur vie qu’à leur mort, le choix des mots était on ne peut plus mauvais. Son indélicatesse lui fit honte et elle baissa légèrement la tête.

« Excusez-moi, c’était très maladroit, je voulais dire…

— Je sais ce que vous avez voulu dire, Jane Smith, et non, je ne sais rien de votre père. »

Le cœur de la Moldue s’arrêta une seconde. Une seconde assez longue pour que cela soit douloureux et qu’elle en ait le souffle coupé. Puis, lentement, la panique commença à la gagner, faisant rougir ses joues et trembler ses mains.

« Mais, mais, mais…

— William John Smith est mort le 4 août 2014 dans un accident de travail causé par un effondrement d’échafaudages. Son corps a été retrouvé dans les décombres de l’installation destinée à construire un opéra de sa création. Smith, qui venait de recevoir le prix Pritzker, au National Gallery of Art, à Washington, était un fervent partisan de la réforme de l’administration sur les normes de sécurité dans le bâtiment… »

D’un ton journalistique, le fantôme récitait la brève nécrologique, les yeux dans le vague, alors que Jane n’écoutait déjà plus. Son corps entier semblait plongé dans de la glace. Elle avait l’impression de mourir, que « Jane Smith » mourrait lentement à mesure qu’elle commençait à comprendre.

« … William Smith laissera derrière lui une femme et trois enfants âgés de sept à vingt-deux ans, termina Helena avant de reprendre un ton plus aigre : trois enfants adoptés, dont aucun ne porte son sang.

— … Putain…

— La lignée de Serdaigle et Gryffondor est éteinte. »

Le poison du Lys

« Et pourquoi pas un brevet pour les autoriser à étudier en cours, hein ? Depuis quand Dumbledore tolère-t-il des idées pareilles ? Putain, mais à quel moment vous allez comprendre qu’il est quand même un Mangemort ?! »

Merlin sauta des genoux de Snape pour cavaler en direction de la porte. Il pouvait tolérer beaucoup de choses : la magie, les armures qui s’amusent à lui faire peur, l’esprit frappeur qui le pourchasse, les fantômes, les élèves… Mais que sa maîtresse hurle à tout va comme ça, alors même qu’elle et l’homme en noir venaient de le réveiller en débarquant en trombe dans les appartements… Non. Merlin n’avait jamais rien demandé à personne, sauf peut-être un coin où dormir, un bol de croquettes toujours plein, une gamelle aux produits frais et variés (il avait en horreur que l’on répète une même saveur dans la semaine), de l’eau fraîche, une boule qui roule bien, un truc qui fait du bruit à planquer sous les meubles et – parce que ça restait tout de même le minimum syndical : une planque en hauteur où se cacher quand il en avait marre de jouer les chats sociables. Ce n’était tout de même pas la cuvette des WC à boire, qu’il sache ! Eh bien non, même cela, cette paix qui était la juste rétribution pour sa patience et sa tolérance envers la race humaine, même cela lui était enlevé. D’humeur particulièrement bougonne quand il était dérangé durant sa quatrième sieste de la journée, Merlin décida de s’en aller la queue haute. Puisqu’il était persona non grata chez lui, il irait ailleurs. Non, mais !

Accoudée contre le manteau de la cheminée, un exemplaire du Veritascriptum entre les mains, Jane continuait de respirer à grosses goulées, attendant apparemment que son ami lui donne raison. Dans le canard, il était question de la mise en place d’une mesure phare et audacieuse de « Celui-qui-n’hésite-pas-à-réformer-la-société-Sorcière », à savoir la création de cours obligatoires de Culture Sorcière aux nés-Moldus entrant à Poudlard. L’article expliquait brièvement les tenants de la mesure, les différentes discussions qu’il y avait eu à la chambre des Lords à ce sujet – avec une pleine page consacrée à dénoncer les positions « archaïques » d’un certain Sirius Black qui semblait être le plus grand opposant à ce jour de Malefoy –, mais surtout un dossier complet compilant les témoignages de parents, et autres sorciers ayant bien voulu répondre aux interviews de Delorme. L’édition presque spéciale était menée d’une main de maître, Oaken démontrant tout son génie propagandiste dans la manœuvre.

« Il l’avait déjà annoncée lors de sa prise de fonction, Miss, commença Severus avec patience. Quant à…

— Oui, c’est vrai, mais si ce n’est pas une nouvelle, pourquoi on s’retrouve à devoir transplaner au QG ?

— J’aurais pensé que de revoir votre ami cabotin vous aurait fait plaisir.

— Severus… Ne recommencez pas avec votre jalousie mal placée.

— Nous devons faire un point sur les forces en présence à Poudlard, et trouver une solution pour différer cette décision, changea-t-il de sujet. Le Directeur ne souhaite pas qu’elle soit effective cette année.

— Pourquoi ? Parce qu’il devrait alors gérer ça de son vivant ? »

Le regard obsidienne de l’espion s’étrécit soudain, et la jeune femme le soutint en haussant les épaules.

« Pas la peine de chercher à me faire peur, vous savez que j’ai raison.

— Cela vous gênerait-il de lui témoigner du respect… ? siffla-t-il.

— J’en ai, et j’ai même de l’affection pour lui. Sauf que c’est pragmatiquement une des raisons pour lesquelles il veut repousser ça, n’est-ce pas ? À moins qu’il y ait autre chose ?

— Je n’ai rien à vous dire, mettons-nous en route, il va paraître suspect que nous ayons du retard. »

Snape tourna les talons brusquement et ouvrit la porte en trombe. Il ne prêta pas attention au chat qui attendait, et qui s’élança dans les couloirs. Jane leva les yeux au ciel, et attrapa sa boîte et son briquet qu’elle rangea en boudant dans son gros manteau. Quand ils atteignirent le parc, elle rabattit la capuche épaisse sur sa tête en frissonnant. L’air de cette mi-novembre était particulièrement glacial, et le vent qui dégageait le ciel achevait de transir de froid toute personne sortant à une heure aussi tardive. La nuit était belle, la lune argentée incomplète éclaira brièvement le visage blanc de la demoiselle qui cherchait à s’emmitoufler le plus possible. Snape arqua un sourcil en l’observant :

« Vous êtes vraiment vexée ?

— Vous dites ça pour la capuche ? Non, je me pèle le…

— Ça va, prenez mon bras.

— De toute façon, j’ai bien compris que vous ne m’expliquerez pas ce que fabrique Dumbledore depuis cet été, je ne suis pas stupide, Severus, je vois bien que son accident et ses absences sont liés. Il ne veut pas que quelqu’un du Ministère fourre son nez dans son école alors qu’il intrigue…

— Je ne vous ai jamais trouvé stupide, sourit Snape en l’enlaçant pour transplaner. Seulement lente à vos heures perdues… » Ajouta-t-il alors que les couleurs dansaient violemment autour d’eux.

***

Harry se rendit compte qu’il fixait Luna depuis une dizaine de minutes, déjà. Il rougit, mais heureusement la blonde préférait continuer de tresser des fleurs bleues aux branches du chêne qui trônait au centre. Elle ne lui prêtait aucune attention, semblait-il, ce qui lui laissait le loisir de la contempler. Non, Harry Potter ne contemplait pas une jolie fille, il était simplement venu faire ses devoirs dans cet endroit précis, et il venait seulement de lever les yeux de son essai sur les sortilèges de protection. Voilà. Luna pouffa de rire, avant de se tourner lentement vers lui.

« Tu peux venir m’aider, si tu le souhaites. »

Harry piqua un fard, et relut pour la quatrième fois ce qu’il venait d’écrire. Son amie reprit son ouvrage, n’émettant aucun commentaire supplémentaire. C’était ce qu’il aimait le plus chez elle : sa façon de le comprendre. C’était embarrassant, présentement, mais reposant, qu’elle ne l’assaille pas de questions, qu’elle comprenne à demi-mot et lui laisse le temps de formuler les choses. Est-ce que c’était ça

« Je ne sais pas si je vais aller voir Snape, en fait. »

Il avait jeté ça, comme ça, plutôt que de terminer la question qu’il formulait mentalement. Son esprit avait rapidement fait un drôle de lien. Un instant, il s’était demandé si la complicité qu’il partageait avec Luna était de même nature que celle entre sa mère et… Il avait gardé les yeux baissés, et c’est une paire de pieds nus aux orteils gigotant qui lui répondit avec la voix de la Serdaigle :

« Pourquoi tu n’irais pas ? Sirius a bien dit que c’était la personne la mieux placée ?

— Ouais, mais… Je connais Snape, c’est pas le genre à partager des tranches de son passé comme ça. J’me vois assez mal lui proposer d’aller boire une Bierraubeurre et d’en discuter autour d’une chopine, tu vois ?

— Eh bien ne lui propose pas de Bierraubeurre, alors, répondit Luna avec une simplicité déconcertante.

— Non, mais c’est pas ça le problème… Peu importe ce qu’on va boire, j’pense que c’est mort, il va me tuer si j’aborde la question.

— J’en doute, répliqua Luna, en poussa Harry à rester immobile tandis qu’elle lui accrochait les dernières fleurs qu’elle avait dans les cheveux. S’il supprime Harry Potter, il ne pourra jamais venger ta maman, ni se libérer. Je ne crois pas que le Professeur Snape soit… »

Mais un miaulement dépité les interrompit. Dans l’angle, le chat blanc du Professeur Smith les fixait avec un mépris à peine masqué. Harry renifla d’agacement, il n’avait jamais vraiment pardonné à l’animal de lui avoir coûté sa cape d’invisibilité. Luna s’écarta de son ami et remit ses chaussures.

« Viens, Harry. Il est temps qu’on laisse la place, et le groupe aura peut-être d’autres idées de boissons à partager.

— Ca n’est pas le… »

La blonde ne le laissa pas terminer et le tira par la main, le poussant à se lever. Harry hésita à protester, en particulier quand le ronronnement du chat lui parvint – lui faisant instantanément monter la moutarde au nez –, mais Luna accéléra. Une fois dans le couloir, le tenant toujours par la main, elle s’élança en sautillant, et Harry Potter dû apprendre à courir en jonglant une jambe sur l’autre.

L’espace enfin libéré, Merlin avança dans la lumière magique pour se pelotonner contre les racines étrangement chaudes du chêne. Son ronronnement atteint son paroxysme quand il arriva à trouver une bonne position pour s’enrouler, une patte négligemment posée sur le truffe pour lui masquer les yeux. Un souffle glacial le fit frissonner, et le félin miaula, agacé.

« Je ne vois pas ta maîtresse à tes côtés, jeune Merlin… »

Ne pouvait-il avoir la paix ? Était-ce trop demander qu’il se retrouvât maintenant en train de se faire sermonner par un fantôme. Et puis d’abord, pourquoi elle l’embêtait avec l’humaine, hein ?

« Je croyais que tu avais compris l’importance de ma requête, mon ami… continua Helena de sa voix d’outre-tombe. Cela fait maintenant plusieurs mois que je t’ai chargé de cette mission… »

Merlin observa le fantôme de ses yeux perçants, ça n’était pas tant qu’on lui demande encore l’impossible qui lui posait problème, c’était le fait qu’on lui reproche de ne pas le faire en temps et en heure. D’ailleurs, ça n’était pas le nœud du sujet, en réalité :

« Pourquoi diffères-tu ma requête, jeune Merlin ? L’heure devient de plus en plus pressante, il est nécessaire que tu organises une rencontre avec ta Maîtresse ! »

Ah… ! C’était donc ça qu’il avait à faire. Le chat cligna lentement des yeux, ses moustaches en guise de sourcils tremblant légèrement. À quoi s’attendait le spectre, au juste, qu’il ait une mémoire de bipède ? Il n’était qu’un chat, après tout. Les messages, c’était plutôt de l’ordre des hiboux dans cette maison de fous, non ?

« C’est juste…, murmura le fantôme comme lisant toujours aussi bien ses émotions. J’ai peut-être surestimé ton intelligence, je n’ai pas l’habitude de… attend ! »

Il y avait des limites à ce qu’il pouvait tolérer, et se voir insulter en était une à ne pas dépasser. Peu importe l’urgence de la situation – qui ne le concernait en rien, du reste – le fantôme n’avait pas à lui parler comme ça. Il était bien aimable de partager le jardin, sans qu’elle ne l’invective de la sorte. Le chat bondit hors des racines et retourna errer dans les couloirs à la recherche d’un endroit où il ne serait ni jugé ni réveillé.

 

***

Le mois de novembre continua de leur échapper dans une ambiance de plus en plus froide. La réunion de l’Ordre du Phoenix au sujet de la loi sur l’intégration des nés-Moldus ne fut que la première d’une longue série et bientôt, Severus regretta le calme du début de l’année. Le renoncement du Seigneur des Ténèbres à s’attaquer frontalement à Potter lui laissait un temps libre que Dumbledore s’était récemment accaparé. Halloween avait eu des conséquences bien plus désastreuses qu’initialement prévu. Si eux avaient pu gérer l’horreur de ce à quoi ils avaient assisté – ou fait, l’opinion publique s’en trouvait durablement altérée. Malgré l’ouverture de nouveaux quotidiens, la concurrence entretenue par les titres ne faisait que renforcer l’hystérie croissante de la populace. Désormais, la Gazette du Sorcier proposait une édition par jour, deux éditions spéciales par semaines, et de nombreux dossiers ; le Veritascriptum s’était spécialisé dans les témoignages et paroles données aux Sorciers – sans oublier leurs numéros spéciaux aux titres racoleurs comme « Comment sauver l’Angleterre », « La dictature des anti-Sang-Purs » ou plus récemment :  « L’Auror est-il à la hauteur ? », un dossier consacré au parcours de Scrimgeour et remettant en cause sa compétence après les récents événements. Quant au Chicaneur, il publiait surtout des tribunes anonymes de plus en plus rares de Sorciers cherchant à s’opposer à la vague conservatrice qui montait partout dans la Communauté.

Jane n’y écrivait plus depuis le début de l’année scolaire. Elle manquait cruellement de temps, plus encore depuis qu’un groupe d’élèves inter-maisons avait demandé la mise à disposition de l’appareil magico-technologique. Le groupe s’était fait appeler « Les amateurs de la toile cirée », puis « Les spectateurs magiques », avant de s’arrêter, sous proposition de l’enseignante, au sobre et faussement innocent « Les visionnaires ». Le club avait pour but de proposer deux films par semaine, et Jane surveillait tout naturellement le déroulement des séances. Bien que rejointe de temps à autre par Minerva ou Fillius, la jeune femme ne pouvait plus se permettre d’écrire des heures durant. Elle avait transposé la guerre sur le terrain des images et de la jeunesse, avec à la clé une réactivité de leur part particulièrement intéressante. Si le club n’avait rien d’obligatoire, dès la deuxième session on y avait vu un monde assez incroyable, au point que l’on dût trouver un moyen de déplacer et d’installer le dispositif dans la Grande Salle. De fait, les Serpentards étaient parfois également de la partie, ce que Jane n’avait pas manqué d’exploiter. Elle garda pour les soirées les films les plus oniriques et merveilleux, amusant la galerie avec des titres connus de SF, de fantastique, et quelques pépites animées, mais lorsque les « incidents » commencèrent, l’enseignante préféra accélérer son programme.

Les journaux appelaient cela « des incidents », là où aux réunions de l’Ordre, on n’hésitait pas à employer des mots comme « attaque », ou encore « expéditions punitives ». Les exactions de Bellatrix n’avaient fait que renforcer certaines passions destructrices chez divers Sorciers qui n’attendaient que ce prétexte. Si Lestrange faisait profil bas depuis Godric’s Hollow, quelques agressions avaient eu lieu çà et là aux domiciles de Moldus, et parfois même de famille de nés-Moldus. Lucius Malefoy s’était très largement appuyé sur ces événements pour justifier la ratification de la loi sur les cours pour aider à introduire les nouveaux élèves. Et même si Sirius Black continuait de s’opposer à lui, jouant sur un nombre incalculable d’outils législatifs à sa disposition (il était même allé jusqu’à demander une commission d’enquête), l’opinion publique, elle, commençait à croire que le problème venait du manque d’intégration des gamins. Ce glissement d’une rapidité alarmante, usant de méthodes tout à fait légales, avait fait sortir Jane de sa mesure, et elle avait alors envoyé une lettre suppliante à son amie Diane qui la fournissait depuis septembre en DVD. Jusqu’ici, cette dernière avait gentiment accepté de lui faire parvenir des copies matérialisées du catalogue de films que son célèbre employeur proposait en streaming, mais quand Jane avait expressément demandé certains titres, la Moldue avait trouvé non pas un colis à Pré-au-Lard, mais une lettre griffonnée rageusement lui promettant de la forcer à tout lui dire « si ça continuait comme ça ». Jane s’était arrangée. Elle avait calmé le jeu, utilisant Snape malgré lui, et elle avait obtenu les films dont elle avait besoin. Diane Aberline, qui était alors « Manager Social Media » au sein de Netflix, était donc persuadée qu’il se passait bien quelque chose entre Jane Smith et l’homme qu’elle avait rencontré l’été d’avant, et avait arraché la promesse d’avoir les détails croustillants en premier sur l’étrange rituel cinématographique que les tourtereaux pratiquaient. Jane en avait encore honte, mais les derniers films gravés valaient le coup et l’enseignante horrifia ses élèves de 5ème, 6ème et 7ème années en leur passant « La liste de Schindler » et « Hitler la naissance du Mal ». Elle les traumatisa avec « La vie est belle », à un point tel qu’elle se prit une volée de bois vert à une réunion de l’Ordre juste après. Défendue étonnamment par Maugrey – qui n’avait évidemment pas vu les films, mais abondait largement dans l’idée de mettre les gosses faces à des réalités – Jane avait enfoncé le clou avec la première série qu’elle présenta aux élèves, une série allemande sous-titrée en Anglais que Diane lui avait déniché : « Generation War ». Ils n’avaient commencé que le premier épisode, mais déjà, le lien évident avec leur situation avait rendu mal à l’aise ses élèves. La série racontait comment un groupe d’amis allemands de sexes et de parcours différents vivait la Seconde Guerre mondiale. Déconstruisant les clichés et intense, la série avait eu un écho très puissant chez les Gryffondors et Serpentards.  Novembre avait été pour les élèves un mois de violence historique et culturelle inouïe, et Jane n’imaginait pas s’arrêter aux films quant à la question du fascisme.

Impossible pour les eux de ne pas comprendre où elle voulait en venir, et le renforcement du dispositif de sécurité à Poudlard, la création de l’unité spéciale évoquée par Malefoy à l’automne, l’hystérisation globale de la Société ne faisaient rien pour la contredire. Il n’était plus possible d’entendre une conversation, fut-elle mondaine ou familiale, qui ne traitait pas de la place des Nés-Moldus dans la Société Sorcière ou du changement culturel en cours. Jane qui avait quitté un Londres Moldu obnubilé par les attentats irlandais, la menace d’une intelligence artificielle et le réchauffement climatique, savait que la guerre que menaient les Sorciers n’était en réalité pas contre Voldemort. Tôt ou tard, ils allaient paniquer quand ils comprendraient de quoi était capable… quoi ? Sa race ? Son peuple ? Ses gens ?

« Une jolie jeune fille comme vous ne devrait pas gâcher sa mine à être si inquiète ! » Pouffa Slughorn en entrant dans leur salle de professeurs. Il était probablement le seul à conserver sa bonhommie habituelle, et il clamait partout qu’il fallait être heureux : décembre était arrivé, et le mois de Noël se devait d’être célébré dans la joie et la bonne humeur.

L’ambiance était loin d’être chaleureuse à Poudlard, même si de temps à autre on voyait les élèves rire ou s’émerveiller devant un film, discuter entre eux, et trouver encore le cœur aux rapprochements. C’était d’ailleurs la chose la plus incroyable chez cette jeunesse : elle semblait incapable de renoncer à la légèreté et à l’amour. Une source d’espoir d’après Dumbledore.

« Je sais ce qui vous ferait du bien, Jane, reprit Slughorn bien qu’elle ne répondît pas. Vous avez besoin de vous amuser, de sortir, de voir du monde ! Vous vous enfermez continuellement, on vous voit rarement en dehors de votre salle et de vos appartements. Où passez-vous vos week-ends ? »

Jane releva le nez de ses notes, et haussa les épaules :

« Vous exagérez Horace, je mange à la notre table, et je débriefe mes cours ici.

— Certes, certes, mais je parlais de sortir vraiment, en bonne compagnie, vous amuser un peu.

— Ben je…

— Miss Smith est souvent accompagnée du Professeur Snape quand elle va chercher ses étranges colis, glissa Pomona d’un air entendu.

— Oh, oh, vraiment ? s’enquit Slughorn en s’approchant lentement comme une salamandre prête à dévorer sa proie.

— Non, on se croise à Pré-au-Lard, mais…

— Pas du tout, coupa Chourave en déclenchant un gloussement amusé chez Flitwick. Je vous ai déjà vus sortir du château ensemble et rentrer au château ensemble.

— Il n’y a pas trente-six chemins pour faire Poudlard-Pré-au…

— Non, mais de là à le faire tous les deux, à la même heure…

— C’est vrai que cela pose des questions, ponctua Horace.

— Non…, commença doucement Jane en inspirant pour ne pas s’énerver. Ce n’est que…

— Oh, puisqu’on parle du loup ! s’exclama Chourave. »

Slughorn sembla trouver l’expression tout à fait drôle, car il partit à rire à gorge déployée. Snape venait d’entrer dans la salle, une boîte sous le bras, et il fronçait à présent tant les sourcils qu’ils n’en formaient plus qu’un. Il regarda tour à tour les professeurs en place, avant de s’arrêter sur Jane et de marmonner :

« Qu’est-ce que vous avez encore dit ?

— Oh, mais ça va, oui ?! craqua-t-elle en se levant d’un bond.

— Attendez ! Attendez, l’arrêta Slughorn en riant. Jane, mon enfant, et si vous veniez justement à ma soirée avant les vacances ? Vous pourriez venir accompagnée de…

— Non ! »

Jane et Severus avaient répondu d’une même voix glaciale et ferme. Cela fit immédiatement mourir l’hilarité du vieux Serpentard dont le visage se dégonfla comme une baudruche. Il parut se tasser, douché par leur réaction et balbutia pratiquement :

« Je ne voulais pas paraître indiscret…

— Ça serait bien la première fois, ironisa Snape en tournant des talons sans demander son reste.

— Miss Smith, je suis désolé si…

— Laissez tomber Horace, c’est gentil pour l’invitation. »

La précipitation avec laquelle la Moldue repartit fut un bref sujet de commérages. Jane ne savait si elle préférait qu’ils sachent la raison de son refus, ou qu’ils imaginent encore quelque chose à leur sujet. Elle pressa le pas dans le couloir, tentant de remettre de l’ordre dans les feuilles qu’elle avait embarqué à la va-vite en partant. Severus n’avait pas marché à grandes enjambées comme à son habitude, il semblait l’attendre. Quand elle le rejoint, elle lui sourit simplement, et il hocha la tête.

« Je n’avais pas à me mêler de ça, murmura-t-il du bout des lèvres tandis qu’ils évitaient un groupe d’élèves.

— Non, mais je comprends que vous préfériez éviter tout incident. »

Ils descendirent naturellement vers les appartements de Snape. Arrivé devant la porte, Severus pinça les lèvres :

« Vous comptez prendre encore mon canapé pour votre bureau ?

— À vous de voir, j’ai encore un peu de travail avant la projection de ce soir.

— Et vous êtes bien mieux installée en tailleur, qu’assise face à un secrétaire en chêne massif.

— Est-ce que je vous juge quand vous traitez les Poufsouffles de Boursouflets chez moi ?

— L’inspiration me vient mieux dans votre fauteuil. » Répliqua-t-il en entrant chez lui.

Il laissa la porte ouverte, signe qu’elle pouvait le suivre et ils prirent naturellement place. Lui à son bureau, elle sur son canapé.

« On devrait peut-être échanger d’appartement, en fin de compte, murmura-t-elle.

— Je ne vois pas pourquoi. »

Il s’installa rapidement à son bureau, posa et ouvrit la boîte, avant d’en tirer les premiers rouleaux de parchemin.

« Pourquoi continuer de leur faire faire des devoirs écrits, si vous détestez corriger ?

— Parce qu’ils détestent plus encore le faire, et lire mes corrections, d’une part. D’autre part, je ne peux totalement me passer de la théorie dans ma matière. Parfois, le savoir est plus utile que la baguette.

— Et c’est quelles années, ça ?

— Les troisièmes, nous avons traité des loups-garous, je pense que vous comprendrez pourquoi nous éviterons toute pratique.

— Ouais… Et vu ce que Lupin raconte de son espionnage… Vous croyez qu’il va…

— Jane…, soupira Snape agacé. Pouvez-vous me laisser travailler ? Posez ces questions aux réunions, elles sont faites pour ça.

— Oui, c’est vrai. Excusez-moi. »

Le silence revint dans la pièce, et la jeune femme releva son tas de feuilles pour les tasser avec vigueur sur la table basse. Snape grogna, et se pinça l’arête du nez.

« Très bien, qu’est-ce qu’il y a ?

Rien.

— Oh, Merlin, Jane… C’est pour ça que je vis seul… Qu’est-ce que vous… Ah, s’arrêta-t-il en l’observant. C’est l’allusion d’Horace qui vous a fait repenser à Halloween.

— Oui, c’est bête, mais j’aurais préféré qu’il n’en parle pas. Vous avez lu dans mon esprit, encore ?

— Non, je décode les émotions des gens, c’est mon rôle.

— C’est loin d’être une évidence quand on vous voit agir, mais…

Ca, c’est parce que je m’en moque aussi paradoxalement. »

Il avait dit cela en souriant en coin, et ça sembla suffire pour éclairer le visage de la jeune femme. Elle pouffa, et hocha la tête.

« Bon, c’est pas tout, mais vous me retardez dans mon travail, Severus. Concentrez-vous.

— C’est ça. »

L’un et l’autre se plongèrent dans leurs textes, un vague sourire accroché aux lèvres, et le calme revint totalement dans la pièce pendant un bon quart d’heure. Seuls le crépitement du feu et de temps à autre les grognements de Snape – accompagnés de ratures rouges et nerveuses – vinrent à troubler la paix ambiante. Ils avaient réussi à se remettre dans leurs univers respectifs quand on frappa timidement à la porte. Les deux adultes s’observèrent, s’interrogeant en silence sur la responsabilité de ces coups, avant qu’une autre volée – plus affirmée – ne confirme qu’ils allaient être dérangés. Snape inspira, et son amie se leva et ramassa ses affaires pour sortir du cadre de la porte.

Ça n’est pas qu’ils avaient quelque chose à cacher. Ils ne voulaient simplement pas alimenter les ragots qui allaient déjà bon train. Et puis, personne n’avait besoin de savoir combien de temps ils passaient ensemble, non ? Fort heureusement, leur sens du secret évita à Severus d’ouvrir son intimité à un Harry Potter qui semblait incapable de garder les deux pieds en place. Le garçon se balançait l’un sur l’autre, les yeux fixés au sol. Quand il salua son Professeur, cela fut en rougissant, et l’espion comprit immédiatement qu’il n’allait pas aimer la suite.

« Heu… Bonsoir… Heu… Professeur Snape.

— Monsieur Potter.

— Voilà… Heu… Je me demandais…

— Nous nous demandons tous.

— Ouais, enfin… Je me demandais si vous… Enfin… Heu… Est-ce que vous auriez du temps à me consacrer ? »

Snape arqua un sourcil en esquissant un rictus méprisant et Harry piqua un fard, avant d’inspirer profondément.

« Non, mais c’est quand même important, en fait.

— Cela ne peut attendre ?

— Ben… C’est que j’ai quand même pas mal attendu… Et que… Je suis là à la demande du Professeur Dumbledore. »

Le garçon se dit qu’il aurait dû probablement commencer par ça, car Snape se décida à lui ouvrir d’un air soupçonneux, dévoilant son salon. Harry entra à son invitation, fixant le bureau où il ne pouvait manquer les copies raturées dans tous les sens. Il prit place sur le canapé, tandis que son enseignant s’accouda au rebord de la cheminée, dos à la porte de sa chambre.

« Je vous écoute, Monsieur Potter, qu’est-ce qu’il y a de si urgent ?

— Bon… C’est… Écoutez, c’est compliqué.

— Pour vous, sans doute.

— Non, mais… s’il vous plaît, me rendez pas la tâche plus difficile…

— Crachez le morceau ou je viens le chercher moi-même, s’agaça Severus. »

Harry hésita un instant de trop, et sans même tirer sa baguette, l’homme plongea dans son esprit avec brutalité. Pressé, il laissa transparaître son envie d’en finir et… Qu’est-ce que c’était que ça, que cachait-t-il ? Harry claqua les portes de son esprit avec précipitation, hésitant à s’engouffrer dans la petite lumière qu’amenait Snape avec lui. L’espion ralentit en comprenant ce que le gamin avait en tête, et ils se firent mentalement face, jusqu’à ce que Severus ne lui agite un fragment de ce qu’il lui dissimulait. Comme un enfant à qui ont tient la dragée haute, Harry s’y précipita, curieux, et Severus esquiva l’attaque et profita pour la retourner contre son cadet. Il put entendre le Gryffondor râler quand il découvrit le souvenir qui concernait Luna et lui dans le sanctuaire.

« Je suppose que vous ne venez pas me demander mon opinion sur votre couronne de fleurs… commença-t-il en rompant le lien.

— Non, pas vraiment, non. Pourquoi vous chopez toujours ce genre de détails de ma vie privée ?

— Parce qu’à votre âge ce genre de choses constitue le quotidien, sans doute. Très bien, quel rapport avec Dumbledore au juste ?

— Est-ce que vous êtes au courant de tout, en fait ? demanda Harry après un instant de réflexion.

— C’est maintenant que vous vous souciez de laisser filtrer ça, Potter ? Oui, je sais. Je sais aussi pourquoi vous ne pouvez pas passer une soirée en tête à tête avec Miss Lovegood le 23 décembre prochain…

— Je ne vois pas de quoi vous voulez…

— Potter, vous voulez me parler de quelque chose que je ne souhaite pas évoquer, et qui m’est très personnel. Donnez-moi une monnaie d’échange.

— Mais ça n’a rien à voir, et puis ça vous servirait à quoi ce genre de détails à me sujet ? »

Snape pinça des lèvres, mais à force de le fréquenter, Harry comprit qu’il réprimait un sourire. L’homme se détourna de lui pour se diriger vers son bar. Il s’arrêta un instant, relevant la tête en direction de la porte de sa chambre. Le jeune homme cligna des yeux quand son Professeur le complimenta.

« Vous commencez à comprendre comment raisonner avec intelligence. Je ne critique pas votre choix, Potter. Je ne m’y intéresse pas le moins du monde, d’ailleurs. C’est uniquement pour que nous soyons sur un même pied d’égalité en matière de gêne.

— C’est ça. Vous me posez presque autant de questions que notre Directeur à propos de Luna… Quoi que non en fait, lui il… Enfin vous ne comprendriez pas à quel point il peut être intrusif. »

Les épaules de l’espion tremblèrent un instant, et Severus toussa avant de se retourner avec deux verres. Harry se demanda s’il avait tenté de contenir un rire. Il prit le godet qui lui était tendu, et renifla avec suspicion.

« Si je voulais vous empoisonner…

— Ce n’est pas ça, c’est que ce n’est pas du jus de citrouille.

— Croyez-vous que je sois encore en âge d’en boire, Potter ? Je n’en ai pas dans mon bar. Venez-en au fait. Il n’y a pas beaucoup de raisons pour lesquelles vous viendriez me voir compte tenu de la mission qu’Albus vous a confiée.

— Ah. Vous savez donc, confirma Harry en prenant une petite gorgée de l’étrange liqueur fraîche et légère qu’on lui avait servie. Bon, voilà… Je me vois mal choper Slughorn…

— Le Professeur Slughorn.

— Ouais. Je me vois mal lui demander comme ça s’il peut me raconter un peu son entrevue avec Vol… Heu, Jedusor. Je pense qu’aller le voir à la soirée, ça risque de faire tache entre le champagne et les petits fours.

Vous croyez ?

— Ouais, ouais. Bon, je sais, pas la peine d’en rajouter. C’est pour ça que je suis là : j’ai demandé à Sirius de m’en dire plus sur Slugh’, ‘voyez ? Et heu… »

La lueur de mépris qu’il capta dans les yeux de son enseignant ne lui échappa pas. Pas plus que le léger tic nerveux qui agita sa joue gauche. Harry vit que Snape avait deviné la suite. Il continua tout de même, préférant laisser le temps à l’espion de se préparer. Bien qu’il ait essayé de respecter son passé, l’enfant qu’il était voulait savoir si sa mère…

« Il m’a expliqué un peu la façon dont Slughorn le traitait.

— Horace occupait la fonction que j’ai actuellement, croyez-vous vraiment qu’il allait trancher entre une famille puissante et un exilé ?

— Mais… C’était une famille mauvaise.

— Et alors ? Qui décide des carrières et des succès de tout un chacun ? Il y avait deux frères, le Serpentard a privilégié l’héritier de l’époque, point final.

— Sirius a toujours conservé son droit, les vieilles familles ne peuvent pas couper totalement avec ses branches, c’est une loi incontournable, même pour Walburga Black.

— Je vois que votre Parrain prend son rôle plus au sérieux qu’on aurait pu l’imaginer capable… C’est juste, mais à l’époque, ça n’avait aucune importance : celui qui devait briller était Regulus.

— Mais… Mais il a fini Mangemort…

— Et alors ? répéta Severus lentement. Combien croyez-vous qu’il y ait eu de Mangemorts à la table d’Horace Slughorn, Potter ? »

Harry s’humecta la lèvre inférieure, sentant le terrain très glissant. Il reprit une gorgée de la boisson inconnue, et inspira un grand coup.

« Justement… commença-t-il maladroitement.

— Vous êtes une catastrophe, coupa Snape. Vous voudriez me soutirer des informations personnelles, et vous commencez par m’insulter.

— Ben c’est que…

— Je vous confirme que vous n’avez pas le talent de faire parler le Professeur Slughorn.

— … Je sais. Excusez-moi Professeur. C’est pour ça que je viens vous voir.

— Parce que je suis un Mangemort ?

— Non, vous ne l’êtes pas, répliqua brutalement Harry.

— Je porte la marque, contrat Snape qui souhaitait en finir une bonne fois pour toutes avec cette question.

— Je sais.

— J’ai rapporté la prophétie au Seigneur des Ténèbres.

Je sais…

— J’ai tué votre tante.

— JE SAIS ! Je sais tout ça. Je… J’ai déjà pu voir certaines choses quand vous êtes avec Lui. Je sais de quoi vous êtes capable. Je sais aussi de quoi Dumbledore est capable, ajouta le jeune homme en plantant un regard dur dans celui de son aîné. Je sais aussi de quoi je suis capable, Professeur. »

Snape but lentement dans son verre, hochant gravement la tête. Ils s’observèrent un instant en silence, de toutes les personnes qui entouraient Harry Potter, Severus était le seul à connaître ce secret : Harry se souvenait parfaitement d’une nuit de ses onze ans, dans une salle avec un miroir. Il s’en souvenait, et grandir n’avait fait que renforcer la compréhension de ses actes.

« Personne n’est innocent, conclut-il en gigotant sur le canapé.

— Vous…

— Je sais ce que vous en pensez, Professeur. Nous en avons déjà assez parlé. Mais si vous pouvez considérer que j’ai fait ce que j’avais à faire, laissez-moi mettre de côté le fait que vous portez la marque, et faire preuve d’un humour douteux. J’ai merdé dans ma formulation, désolé. J’aimerais qu’on évite de discuter de ça. »

Ils l’avaient tant fait. Se plonger dans la psyché et le parcours de Voldemort avec Dumbledore, vivre ce qu’il devait endurer ces derniers temps, savoir sa destinée, explorer et maîtriser son esprit… Tout ceci avait conduit Harry à revoir certains souvenirs sous un autre angle, et Snape en avait été le témoin direct. Son Parrain ne pouvait comprendre. Ron et Hermione… Oh, Harry les aimait, mais les deux ados étaient si normaux, si bienheureusement normaux, qu’il était de plus en plus difficile d’évoquer des choses aussi terribles avec eux. Neville et Luna, surtout Luna… Auraient pu compatir, trouver quelques mots, sans doute ? Mais ce n’était ni verbiage ni compassion qu’Harry cherchait. Il voulait que quelqu’un comprenne son acte et soit en capacité de le nommer froidement. Sans état d’âme, sans égard pour son âge. Et Snape, quelques mois auparavant, l’avait mis à terre en lui confirmant ce qu’il redoutait : oui, il avait du sang sur les mains. Il avait brûlé vif le Professeur Quirrel.

« Soit, concéda Severus. Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

— Vous connaissez Slughorn, non ? Comment vous y prendriez-vous pour lui tirer les vers du nez si vous étiez à ma place ? Jedusor utilisait son charme, moi je crois qu’il a une autre faiblesse…

— Et moi je crois que vous connaissez déjà la réponse, et que c’est précisément de ça que vous voulez parler. »

Snape s’agita un instant, il sembla hésiter et se leva pour les resservir. Harry fixa le dos que l’homme lui offrait, cherchant à déceler des signes d’une colère ou d’un quelconque refus. Mais son Professeur semblait absent, comme pesant le pour et le contre de toute cette conversation. Quelque chose n’allait pas, Harry n’arrivait pas bien à savoir quels enjeux il y avait. Mais Snape revint s’asseoir avec un nouveau verre et hocha la tête.

« Il vous arrive de ne pas être stupide, qu’avez-vous compris d’Horace ?

— Bon… Il m’a beaucoup parlé de maman. Je crois qu’il l’aimait beaucoup.

— Oui. Il l’adorait.

— Je… Je ne sais pas comment utiliser ça… Heu… Ben… Contre lui. »

La fin de sa phrase se perdit un peu, car il avait baissé le volume tout en rougissant et détournant les yeux. Severus toussa, retenant avec peine un fou-rire devant la honte du gamin. Il redevint immédiatement sérieux quand il rétorqua :

« C’est exactement ce que vous avez à faire, complimenta l’homme avec un brin de satisfaction, avant de reprendre durement : Mais ne vous avisez jamais d’utiliser Lily contre qui que ce soit d’autre, pour quoi que ce soit d’autre. »

Lily… Son Professeur honni l’avait appelée par son prénom. Harry sentit une étrange chaleur lui tomber au creux du ventre et lui gonfler la poitrine. Ses yeux le brulèrent un instant, il suffoquait presque à mesure qu’une boule se coinçait dans la gorge. Ce n’était pas le moment de se mettre à chialer comme un gosse devant un prétendu père de substitution ! Se maugréa-t-il avec la voix imaginaire de Snape. Il eut l’impression que les mots restaient coincés derrière ses dents, alors il ouvrit grand la bouche pour tenter de lui répondre :

« Jamais. »

Ça sembla satisfaire Severus qui soupira légèrement, comme relâchant son souffle. L’homme reprit une gorgée et la conversation :

« Lily était une de ses préférées. Pas seulement parce qu’elle était douée en Potions – votre mère était une virtuose, si vous voulez tout savoir. Mais elle était aussi exceptionnelle en métamorphose. Lily voyait la magie comme nous avons tous perdu l’habitude de la voir : quelque chose de magique, justement. En grandissant, elle n’a jamais oublié cet amour de la beauté, et son agilité en métamorphose lui faisait créer des choses… Merveilleuses. »

Harry se rendit compte qu’il avait totalement cessé de respirer et qu’il avait les larmes aux yeux. Il n’osait bouger, parler… Son cœur lui-même hésitait à battre, tant le temps s’arrêtait pour laisser cet homme dire ce qu’il n’avait jamais dit à personne. Cela semblait lui coûter de s’ouvrir. Mais Severus se surprit à en souffrir moins qu’il ne l’aurait imaginé. Parler de Lily avec son fils était finalement quelque chose qui le libérait.

« Le Professeur Slughorn est un grand enfant capricieux, mais un enfant qui s’amuse d’un rien. Il était toujours très enchanté des créations de votre mère. Son affection et son admiration pour elle venaient de l’exceptionnel talent qu’elle avait de rendre son univers plus magique. Lorsque le Seigneur des Ténèbres a tué votre mère, il l’a arrachée à ce monde, et toutes les personnes qu’elle a touchées de sa grâce ont perdu à jamais un éclat de lumière. »

Une larme chaude et timide roula sur la joue du jeune homme et vint se ficher au creux de ses lèvres. Il inspira longuement, croisant pour la première fois le regard de son Professeur, il voulait tant lui dire qu’il était désolé qu’il l’ait perdue, lui aussi. Il s’apprêta à ouvrir la bouche, mais un bruit provenant de la chambre de l’homme l’interrompit. L’espion sursauta, et son regard s’enflamma soudain de colère. Harry pâlit brusquement, et on entendit un miaulement plaintif. Snape se leva et se dirigea vers la porte qu’il écarta légèrement. Un autre miaulement, cette fois-ci plus impérieux filtra, et le garçon reconnu le chat qui en sortit.

« Mais c’est…

— Utilisez la mort de votre mère, coupa l’espion. Forcez Slughorn à comprendre que se taire revient à être complice de son meurtrier. Amenez-le à parler d’elle, à vous évoquer son affection, poussez-le à s’ouvrir à un point tel qu’il ne pourra esquiver vos accusations. Proposez-lui de cesser d’être lâche. Dites-lui que vous êtes bien l’Élu. Il ne pourra résister à l’idée de s’en associer.

— Je… »

Mais Harry ne trouvait pas les mots, il était sonné par l’instant précédent, fixait Merlin qui était assis dos à lui, une patte en l’air pour sa toilette. Il sentait une vague de tristesse l’étreindre à l’idée d’avoir été interrompu, et son esprit réfléchissait à toutes les informations qu’il venait d’encaisser. Snape s’était relevé et se servait un troisième verre, refusant de croiser le regard à nouveau. Il semblait considérer avoir répondu à la demande du garçon, et ce dernier se demanda si ce n’était pas sa façon de le congédier.

« Merci… »

Il se leva maladroitement, chancelant, et se dirigea vers la porte. Dans l’embrasure, il sursauta quand il entendit Snape ajouter ceci :

« Harry. C’est elle qui a choisit votre prénom, car c’était celui d’un héros d’une histoire de son enfance.

— … Vous connaissiez cette histoire ?

— Oui, je l’ai toujours trouvé simpliste : le héros était le genre stupidement fonceur et d’une chance terrible. Lily le trouvait touchant et courageux. Quand j’ai appris votre nom, j’ai compris qu’elle n’avait pas changé d’idée.

— Ni vous sur le héros, apparemment.

— Votre mère n’avait pas totalement tort à ce sujet, murmura Snape en gardant le visage tourné vers les flammes.

— Merci… Pour tout, Pro… Severus.

— Bonne nuit, Potter. »

Le Gryffondor referma doucement la porte derrière lui, comme s’il remettait le couvercle d’une boîte fragile en place, et s’enfuit presque dans les couloirs. Près de la cheminée, Severus releva les deux bras pour s’y accouder, et poser son front contre la pierre chaude du manteau. Il réfléchissait, un pied dans le présent, l’autre dans le passé. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi, jusqu’à ce qu’il prenne une grande inspiration.

« Vous pouvez sortir. »

La porte de sa chambre s’ouvrit une seconde fois et Jane avança lentement, observant intensément son ami. Snape se tenait légèrement en retrait, comme se préparant à une attaque, mais la Moldue resta muette. Elle s’approcha doucement de lui et leva une main vers son visage. Il cligna des yeux, choqué par son geste, mais l’inclina quand il sentit la chaleur de la main s’imprégner dans sa joue et sa tempe, calmant une migraine qui menaçait à cause de la pression sanguine.

« Je vais y aller, moi aussi.

— … Vous n’avez pas terminé de…

— Je suis en retard pour la projection. »

Il s’était attendu à ce qu’elle lui parle de Lily, à ce qu’elle pose mille questions. Il aurait cru que cela aurait été normal, compte tenu de…

« Venez avec moi, le coupa-t-elle dans ses pensées.

— J’ai des copies à corriger.

On s’en fout. Vos élèves les premiers, moi, Merlin… Vous vous en foutez aussi. Venez avec moi.

— Je n’ai vraiment pas envie de me coltiner des élèves, je…

—Vous vous planquerez. Vous avez tout sauf besoin de rester seul à ruminer le passé.

— Vous seriez restée s’il n’y avait pas eu ce film ? »

La question la décontenança. Elle le regarda, surprise. Merlin lui-même arrêta de se lécher dans des positions improbables et les observa tous les deux, la langue coincée encore entre ses dents. La jeune femme esquissa un sourire, avant d’hocher la tête.

« Oui, mais je ne vous aurais pas laissé repenser à tout ça.

— Et si j’en avais besoin ?

— Non, je crois que vous l’avez assez fait.

— En quoi ça vous regarde ?

— Vous avez voulu que ça me regarde, répliqua-t-elle en le fixant d’un regard perçant. »

Snape baissa la tête, et pinça les lèvres. Il reposa son verre sur son bureau, et déplaça les copies d’élèves sans trop les voir. Jane reprenait ses affaires en silence.

« C’est vrai, j’ai été lâche. Je voulais que vous le sachiez finalement.

— Ça n’est pas lâche Severus, c’est humain. » Le fit-elle sursauter en posant une main apaisante dans son dos. Il ne s’était pas rendu compte qu’elle était revenue sur ses pas. À présent, elle pressait doucement son épaule gauche.

« Et j’avais compris depuis un moment, ajouta-t-elle. Mais c’est à vous de définir ce que vous avez besoin de dire.

— Cela vous est égal ?

— Pourquoi en serait-il autrement ? »

Snape se retourna ouvrant la bouche. Jane lui souriait, sa main glissa de son épaule à la sienne. Elle la serra fermement.

« Nous ne sommes pas dans un roman, Severus. Votre passé, tant qu’il n’interfère pas avec mon présent, n’a pas à être un problème pour moi. Et puis vous aimez qui vous voulez…

— Jane, je… »

Mais elle le lâcha et tourna des talons, puis se pencha vers Merlin et lui présenta sa main qu’il renifla, et fit sauter sur sa tête pour réclamer une caresse :

« Tu veux rester ici avec lui, ou tu veux retourner chez nous ? lui demanda-t-elle.

— Vous leur montrez quoi ce soir ?

— Une autre adaptation de comics, répondit Jane en caressant Merlin. Cette fois-ci du DC, ça va leur changer des Marvels et de leur légèreté.

— Une traduction, peut-être ?

— Ils vont faire la rencontre avec Batman, Severus. »

Merlin miaula de ce ton que le Sorcier avait appris à décoder. Il observa le chat le fixer, bâiller, puis s’amener en trottinant pour sauter sur le bureau et s’allonger sur les copies. Snape le regarda faire, le félin lui jetait un regard si méprisant qu’il put pratiquement lire qu’il le trouvait bête d’hésiter. Ça faisait beaucoup d’un coup, beaucoup même pour lui. Il jeta un regard à son bar, sachant déjà à quoi ressemblerait sa nuit s’il restait. Il hocha la tête, et attrapa sa cape qu’il rabattit théâtralement.

« Vous allez avoir besoin de moi, alors. »

État d’âme

« Professeur, commença prudemment le garçon. J’aurais aimé vous poser une question pointue.

— Ah ! S’exclama le Directeur de Serpentard en gonflant légèrement la poitrine d’orgueil. Demandez donc, si je puis y répondre, je m’en ferais une joie.

— Le sujet est complexe, c’est pour cela que je m’adresse à quelqu’un de plus savant : que pouvez-vous me dire à propos… des Horcruxes ? »

Une puissante brume s’engouffra dans la pièce et masqua Horace Slughorn et Tom Jedusor. Le son en devint si étouffé qu’Harry tressaillit lorsqu’une voix semblant sortir de l’extérieur de la pensine s’époumona :

« JE NE SAIS RIEN DES HORCUXES ! MÊME SI JE SAVAIS QUELQUE CHOSE JE NE VOUS EN PARLERAIS PAS ! NE VOUS AVISEZ PLUS JAMAIS DE PRONONCER CE MOT ! SORTEZ IMMÉDIATEMENT ! »

Harry cligna des yeux sans comprendre, observant Dumbledore qui fixait impassible la brume. Le souvenir s’arrêta brutalement à cet instant et le jeune homme chancela lorsque son esprit retourna à la réalité. Il eut la désagréable impression de tomber sur son fauteuil et un violent soubresaut le fit descendre de quelques centimètres. Face à lui, Albus Dumbledore leur servait déjà un thé au citron.

Depuis le début de l’année, ils visitaient des souvenirs en lien avec le passé de Tom Jedusor. Tout d’abord l’orphelinat, où Harry avait pu découvrir les tics d’un tueur en série ainsi qu’une certaine propension à faire souffrir et à soumettre les autres ; puis la recherche de ses origines, le mépris vis-à-vis de sa mère, le meurtre de son père… Tout ceci dépeignait une personnalité brutale et névrotique, un cyclone de malheurs dont l’œil renfermait la terreur humaine la plus primaire : la peur de la mort. Des années après avoir rencontré le souvenir de Tom Jedusor, des années après avoir cru aux similitudes troublantes qu’il y avait entre eux, Harry commençait à y voir plus clair. S’il craignait toujours sa part sombre, comme en avait témoigné le premier cours de Snape, il était désormais certain de n’avoir rien en commun avec Voldemort. Revenant au dernier souvenir, l’Attrapeur regarda perplexe son Directeur, tandis que celui-ci l’enjoignait à boire quelques gorgées.

« Et… C’est tout ? Qu’est-ce que c’était que ça ? demanda-t-il de but en blanc en soufflant avec soin sur le thé brûlant.

— À toi de me le dire, Harry, que penses-tu avoir vu ?

— Un souvenir incomplet ? Quelque chose d’anormalement brouillé. Est-ce que le Professeur Slughorn ne se souvient plus très bien ?

— Tu penses que quelqu’un comme Horace peut oublier quelqu’un comme Tom ?

— Non. Non, il y a quelque chose qui ne va pas. Qu’est-ce que c’est Professeur ?

— Qu’en dirait ton Maître d’Occlumancie, Harry ? »

Le brun fronça les sourcils, réfléchissant à la question. Comment Snape analyserait ce souvenir ? Qu’est-ce qu’il dirait ? « Merlin, Potter ! Votre esprit est d’une lenteur affligeante, pourquoi est-ce que… »

« Que ce souvenir a été trafiqué ! s’exclama Harry en coupant net le Severus imaginaire qu’il s’imagina offusqué de son interruption. La brume, c’est cela, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un manque de détails, c’est au contraire une tentative de manipulation ! On dirait… On dirait…

On dirait vous en train de me résister. » Termina le Severus imaginaire ce qui tira une grimace enfantine à Harry. Le vieux Directeur l’observa faire en réprimant un fou-rire, car le garçon ne s’était pas rendu compte qu’il avait répliqué à voix haute un « Oh, ça va, hein ! ». Il préféra touiller son thé pour diluer à la fois le sucre et son hilarité.

« Tu as vu juste, Harry, reprit-il sérieusement. Le Professeur Slughorn a modifié sa mémoire.

— Pourquoi ? C’est quoi un Horcruxe ? C’est grave ?

— Je vois que tu poses pratiquement toutes les bonnes questions. Il t’en manque une, cependant. »

Le Survivant reprit une gorgée, songeur, puis avala de travers en écarquillant soudainement les yeux :

« Est-ce que ça ne serait pas une catastrophe que Voldemort ait eu sa réponse… ? C’est quelque chose de puissant qui… Non… Qui aurait tout changé, c’est ça ? Qui…

— Reprends ton souffle, sourit doucement le vieil homme, tu y es presque.

— Qu’a-t-il fait… ?

— Qui ? Horace, ou Tom ? »

Dumbledore avait beau lui sourire, son regard perçant mit mal à l’aise le jeune homme qui comprit que c’était précisément à cause de ce genre de questions que le souvenir était falsifié. Il rougit légèrement, refusant néanmoins d’excuser quelque chose qu’il pressentait être un vrai problème.

« Il lui a répondu… Et ça a été dramatique, c’est ça ? Il le sait, Slughorn…

— Le Professeur Slughorn.

— Ouais, Slughorn sait donc que Voldemort a… Heu… Fait quelque chose en rapport avec l’Horcruxe, c’est ça ?

— Je pense que seul le souvenir complet pourrait éclairer véritablement nos recherches et notre compréhension de Jedusor, c’est d’ailleurs…

— Mais vous, vous vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? » Coupa Harry avec sagacité.

Albus ouvrit la bouche, incertain, comme pris de court par la question du garçon. Il s’apprêta à répliquer lorsque le jeune homme murmura :

« S’il vous plaît, Professeur… Cette fois-ci ne me mentez pas. Même par omission. »

Le Directeur de Poudlard considéra gravement son cadet. Aussi gravement que le soir où il lui avait finalement révélé la prophétie.

 ***

D’un geste impérieux, Voldemort envoya voleter dans la pièce le parchemin taché d’encre et de sauce collante. Peu importait la rareté du propos malhabilement reproduit sur le vélin, le Mage Noir ne parvenait pas à supporter plus que de raison le contact de ces pages poisseuses et indignes de leur savoir. L’homme que Lucius Malefoy avait soudoyé était définitivement un animal sans aucune éducation – quand bien même il était capable de recopier presque correctement une telle langue ! Les premières piles de feuillets étaient tâchées de moutarde, les précédentes d’une sauce blanchâtre puant la ciboulette, et cette fois-ci… Lorsque le parchemin retomba au sol avec négligence, une sorte de souffle le fit s’approcher si près de l’âtre ronflant de la pièce que l’héritier de Serpentard se leva précipitamment pour l’attraper au vol. Le support avait beau être indigne de son rang et de la main qui avait couché à l’origine ces vérités, le texte restait tout de même d’une importance capitale.

Comment Malefoy avait fait pour apprendre l’existence du grimoire d’origine, Voldemort l’ignorait. Quand et comment le blond avait découvert l’autre secret de Serpentard, cela aussi l’héritier l’ignorait. S’il était de notoriété publique que Salazar Serpentard était Fourchelangue, peu savaient en revanche qu’il était un astronome et prophète de talent. Pour des raisons évidentes, l’Histoire retint que l’emblème du fondateur de Poudlard venait de sa capacité à parler avec les serpents. De façon générale, cette créature se retrouvait affublée des pires symboliques allant du Mal à la tentation, en passant par la félonie et la mort. Mais le serpent était aussi symbole de vie éternelle et de sagesse, de connaissance et d’ouverture d’un esprit supérieur… En d’autres termes, les fantasmes à propos de Salazar Serpentard avaient presque définitivement enterré une facette importante du personnage : sa clairvoyance.

Le livre avait été écrit par Salazar en personne, puis transmis à ses premiers descendants. Voldemort soupçonnait même l’un d’eux de l’avoir en réalité déniché au sein même de la Chambre des secrets. L’ouvrage avait traversé les siècles sans que l’on ne parle directement de lui, comme doué d’une volonté farouche à rester inconnu. Oh… La lignée des Serpentard se trouva pourtant très souvent à son contact, refaisant par la même occasion surface et permettant ainsi de remonter l’arbre généalogique ; mais il n’était jamais question du « Libro lingua posterum ». Du moins, en mention directe, car le libram avait pourtant accompagné la famille, permettant à certains héritiers d’entrer dans la légende. Avant de devenir une branche tordue par la consanguinité, elle offrit quelques Sorciers de renom, dont un Français – pays où l’on retrouva trace du texte pour la première fois – appelé Michel de Nostredame pour qui, et l’Histoire le démontra, l’ouvrage fut une grande source d’inspiration.

Était-il possible que Lucius Malefoy, dont la famille prenait racine autant en France qu’en Italie, ait pu avoir vent de ce livre grâce à certains ancêtres ? À moins que le blond ne se soit directement intéressé aux questions… Non. L’aristocrate était un cartésien pur et dur. Tom Jedusor aurait aimé répondre qu’il en était de même pour lui, mais il n’arrivait pas à aller au bout de cette hypocrisie. De plus, il n’avait pas hérité du don de voyance de son aïeul, et cela l’irritait au plus haut point, compte tenu de son propre destin.

Il se pencha et récupéra les feuilles qu’il avait jetées l’instant d’avant, se forçant à reprendre son travail sur la prophétie. Bellatrix ne comprenait pas, elle le prenait pour un faible qui ratait l’occasion d’en finir avec Dumbledore et l’Angleterre, mais le Mage Noir se refusait à commettre la même erreur que précédemment. Il se refusait à s’embourber dans des chimères prophétiques sans maîtriser la linguistique. Pour l’heure, ce qu’il cherchait à comprendre était très simple : quel était le pouvoir caché que possédait Harry Potter et quand et comment avait-il pu marquer comme son égal un enfant médiocre aux capacités très moyennes ?

 ***

L’hésitation de Dumbledore ne fit qu’accroître l’agacement du cadet. Harry sentit sa colère monter sourdement et il inspira très longuement pour tenter de garder la maîtrise de sa langue. Comme il en avait à dire ! L’Occlumancie ne lui permit que de se taire, mais ses yeux semblèrent exprimer toute sa rancœur ainsi la liste – longue – des cachoteries faites par le vieil homme et qui lui avaient coûté cher, car le Directeur acquiesça :

« Il est vrai, Harry, il est vrai que je t’ai dissimulé beaucoup. As-tu besoin de m’en faire l’énumération ? proposa-t-il avec une douceur qui fit exploser le brun.

— IL EST VRAI ?! PUTAIN MAIS… »

L’attrapeur se leva d’un bond, se tourna immédiatement en direction de la fenêtre pour s’obliger à observer le parc. Ce n’était pas du tout le moment de perdre le contrôle de ses nerfs, l’enjeu était trop grand. À cette heure, il ne vit que les ténèbres et une lune timide tenter de percer à travers de gros nuages étonnamment blancs, signe qu’il allait probablement neiger pendant leur sommeil. Harry inspira et expira plusieurs fois, cherchant à visualiser quelque chose de rassurant et plaisant. Il avait développé cette technique à force de pratique avec un Severus qu’il avait découvert capable d’une brutalité bien supérieure aux premières leçons. Force était de constater qu’il faisait effectivement des progrès, car il se retourna et parla d’une voix neutre.

« Excusez-moi, Professeur. Nous règlerons nos comptes quand le temps nous le permettra. »

Le regard bleu intense du magicien scintilla brièvement, ce qu’Harry apprécia instinctivement, sans qu’il ne parvienne à se l’expliquer.

« Tu as grandi plus vite que je ne le craignais…

— Est-ce mal ? murmura Harry incertain.

— … Le Professeur Smith aurait beaucoup à y redire, je pense, mais pour le plus grand bien, je crois que c’est un mal nécessaire.

— Je vois. C’est un des sacrifices que je dois faire, c’est ça ?

— Un des ? Tu penses devoir… »

Le Directeur s’interrompit devant le sourire triste du Gryffondor. Un instant, il sembla hésiter, regretter, se haïr, peut-être… ? À moins qu’Harry n’ait rêvé tout ce panel d’émotions vives. Le jeune homme haussa les épaules, cela aussi il n’était pas question. Ils évoqueraient son rôle plus tard.

« Dites-moi ce qu’est un Horcruxe, Professeur. Je sais que vous aimez distiller les informations en fonction de votre avancée de pions mais…

— J’ai, effectivement, une excellente raison de ne pas te l’expliquer maintenant. Et je constate que tu ne fais pas qu’apprendre l’Occlumancie avec Severus, termina le mage en faisant légèrement rougir de honte le plus jeune.

— D’accord, je ne doute pas que vous ayez une bonne raison, mais vous faire confiance n’est pas toujours la meilleure des choses, répliqua à brûle-pourpoint Harry. J’aurais préféré éviter de vous balancer ça dans la…

— Mais il fallait que ça sorte. Je le vois bien. Si je t’explique ce qu’est un Horcruxe, Harry, tu risques d’être particulièrement influencé, et je crains que tu ne puisses plus aussi facilement convaincre Horace.

— Pourquoi vous ne lui avez pas fait boire du Véritasérum ? Ou bien utilisez…

— Non, Harry, répliqua sévèrement Dumbledore. Horace est un Sorcier assez puissant pour résister à l’un et à l’autre, de plus, ce ne sont pas…

Quoi ? Vos méthodes ? »

Ils se jaugèrent l’un et l’autre, Fumseck s’ébrouant légèrement sur son perchoir. Le Gryffondor sentait qu’il allait trop loin, mais décida tout de même de franchir la limite. Plantant son regard émeraude dans celui de son Directeur, il ajouta :

« Si vous voulez vraiment respecter vos méthodes, envoyez donc Snape lui arracher le souvenir par la force. »

Jamais Albus Dumbledore n’avait regardé avec une telle colère le jeune Harry Potter. Et pourtant, du haut de ses seize ans, campé sur son presque mètre soixante-dix, le cadet lui tint tête et parvint à lui faire entendre ce qu’un homme autrement plus grand endurait.

 ***

Quand il avait senti la morsure de la marque étreindre son bras, Severus avait vu ses entrailles se contracter brusquement. Depuis les événements du Ministère, dire que les réunions étaient rares constituait un euphémisme, et Bellatrix avait tendance à être la personne à l’origine des appels. Après Godric’s Hollow, l’espion n’était pas pressé de réitérer ce genre de partenariats, et se voir ainsi interrompu durant sa soirée ne l’enchantait pas davantage. Au moins, lorsqu’il ne devait que supporter les rires épars de Jane en train de lire à ses côtés, il était en sécurité.

Alors, lorsqu’il arriva au domaine Jedusor, et qu’il ne fut pas accueilli par le grincement hystérique de Lestrange, mais par le sifflement impérieux d’un boa constrictor femelle, Snape pâlit brusquement et son cœur rata un battement de peur. Le Maître le mandait explicitement. Il suivit le serpent qui remonta les escaliers en glissant le long de la rampe. Nagini le conduisit directement au bureau où s’enfermait désormais Voldemort, et quand Severus vit le Mage Noir penché au-dessus de ses documents, il s’autorisa à respirer à nouveau. Il s’agissait probablement de la prophétie.

« Severus… Assois-toi, prends place, susurra le Fourchelangue. J’ai eu vent de tes récents exploits… Bellatrix s’est montrée très évasive, mais Lucius s’est chargé de me raconter le moindre des détails dont il avait connaissance… »

Snape obtempéra, se demandant si tout ceci était un préambule à une punition. Est-ce que Voldemort lui reprochait soudain sa participation au raid ? Est-ce qu’il lui reprochait d’avoir été l’intermédiaire entre Malefoy et Dumbledore ? Il préféra garder le silence, laissant le mage poursuivre.

« Retire ton masque, Severus. Voilà… Maintenant, je peux voir ton visage. Cela change rarement grand-chose te concernant, mon mystérieux et taciturne Mangemort, mais je préfère voir tes émotions lorsque j’évoque le nom d’Evans. »

Quelles émotions ? La haine qu’il présentait systématiquement et que Voldemort prenait pour une rage dirigée vers la « Sang-de-Bourbe qui avait préféré James Potter » ? Ou la tristesse, la douleur, qu’il devait invariablement cacher aux tréfonds de son âme, de peur que ce fou n’apprenne toute la vérité à son sujet ? Lorsque les pupilles des yeux écarlates s’étrécirent davantage, Snape comprit qu’il affichait un masque différent d’à l’ordinaire.

« Essaies-tu de me cacher quelque chose, Severus ? Pourquoi cette soudaine apathie ?

— … J’ai réglé mes comptes avec cette famille, mon Maître, proposa Snape en inclinant docilement la tête. Quant au reste des racines, elles seront bientôt désherbées.

Regarde-moi. »

Bien sûr. En dix-huit années de servitude, jamais l’héritier de Serpentard ne l’avait vu réagir autrement qu’avec cette haine brûlante au fond des yeux. L’absence totale d’émotions était donc un signal suspect. Severus lui offrit son esprit, rangeant avec soin et patience ce qui concernait son début de soirée dans l’endroit le plus verrouillé de toute son âme. Il éparpilla avec savoir-faire des bribes de journées, des éléments relatifs à la nuit d’Halloween, et laissa là, comme coincé sous un meuble imaginaire, ce lambeau d’instant meurtrier. Voldemort s’y précipita, comme une mère cherchant un objet coupable dans la chambre de son fils sacré. Le mage tira sur le souvenir, et goûta avec un plaisir malsain aux sentiments qu’il renfermait. Haine, plaisir sauvage à tuer, exaltation devant sa propre puissance… Un subtil mélange malsain et presque érotique enrobait l’instant figé à jamais où il avait tué la sœur de Lily Evans. Le Mage Noir en apprécia toute l’intensité, goûtant par procuration la sensation de domination, avant de s’extraire de l’esprit de son serviteur, bien plus satisfait qu’il ne l’aurait songé.

« Je vois…, soupira-t-il pratiquement. Tu as eu un exutoire.

— Oui, et je n’en remercierai jamais assez Mon Maître de me l’avoir offert.

— Tu ne remercies donc pas Bellatrix… ? »

Snape sentit qu’il s’agissait ici d’un piège, et qu’il était hors de question de tomber dedans si l’on espérait sortir de cette entrevue sans châtiment. Il regarda directement Voldemort dans les yeux, et avec une sincérité totale rétorqua :

« Elle a été autorisée à mener ce Sabbat, et vu les conséquences de celui-ci…

— Tu désapprouves son sens de la mise en scène ? Tu désapprouves les choix que j’ai pu faire ?

— Oui, Maître. Je la désapprouve totalement, même si cela s’avère utile en fin de compte, elle vous a obligé à prendre de gros risques. Elle nous a tous obligés à prendre de gros risques. Malefoy est plus que jamais observé dans sa… Ah ! Collaboration avec l’Ordre du Phoenix, et nous, nous sommes officiellement…

— Nous ?

— Les Mangemorts, et peut-être même vous, Mon Maître, nous sommes vus comme des bouchers.

— N’est-ce pourtant pas ce vous êtes ? N’est-ce pas ce que tu es, Severus ? Meurtriers, violeurs, bourreaux, vous êtes tous des monstres. Des monstres magnifiques de puissances, et pour certains, magnifiques d’équilibre. Il est parfait que la populace se précipite dans les bras de Lucius. Il est parfait qu’elle boive ses paroles et adoube toutes ses lois… Le Bien et le Mal sont des notions irréelles nécessaires aux faibles. Nous, nous savons qu’il n’y a que le pouvoir, et eux ne sauront jamais en disposer. Ils n’ont donc pas besoin de croire qu’il existe autre chose… Non, c’était au contraire une excellente nuit pour nos projets… »

Voldemort ne s’adressait clairement plus à lui. Il réfléchissait à voix haute, le regard écarlate s’abîmant dans ses pensées. Était-il en train de se repasser mentalement leurs souvenirs à tous que Snape – il en était convaincu – l’imaginait avoir prélevés chez chacun ? L’espion ne se risqua à aucun commentaire et ils restèrent un long moment silencieux. Soudain, le Fourchelangue reprit la parole en murmurant rageusement :

« … Et il n’est pas question de les voir avortés une nouvelle fois ! Je saurai me défaire de cette menace. Severus ?

— Maître ?

— Je ne t’ai pas fait venir ici pour parler de Politique. Je veux entendre l’espion me rapporter ce qu’il a espionné chez nos ennemis. J’espère que la confiance que Dumbledore est toujours pleine et entière… ?

— Elle s’accroît presque autant que celle de cet imbécile de Potter, Mon Seigneur.

— Aaah, Severus… murmura Voldemort en souriant d’un sourire qui mit profondément mal à l’aise l’homme en noir. Si tu n’étais pas si laid, j’aurais pu te dire que nous avions beaucoup en commun… ! »

Snape encaissa ce qui semblait être aux yeux du Seigneur des Ténèbres un compliment, et se fendit d’une légère courbette de remerciement sur son siège. Le Fourchelangue continua sur sa lancée :

« Tu vas donc lever une incertitude : la marque que j’ai déposée sur Potter, Dumbledore pense que c’est sa cicatrice, n’est-ce pas ? »

 ***

« Est-ce qu’Horace Slughorn avait conscience de ce qu’était déjà Tom Jedusor à l’époque ? Je suis incapable de le dire. Mais il faut que tu comprennes quelque chose Harry : Tom avait une faculté très particulière de tisser des liens avec des gens. Il savait les convaincre de le servir d’une façon ou d’une autre, de l’admirer, de l’aimer parfois. Non, ne m’interromps pas. Je sais que tu en as une vague idée, mais c’est précisément ce que je tente de te dire : c’est une idée vague. Tom Jedusor était aussi talentueux que beau, aussi incroyable qu’extraordinaire, aussi touchant qu’intrigant, aussi séduisant que repoussant. Repoussant, car il émanait de lui une aura d’une grande dangerosité que quelques-uns percevaient néanmoins, tout en étant paradoxalement attirés par lui.

— Un peu l’inverse de Snape, quoi, marmonna le cadet songeur.

— Je ne crois pas que le Professeur Snape ait jamais exercé pareille attraction, et nous savons tous les deux que c’était d’autant moins le cas à l’âge qu’avait Tom…

— Non, je parlais de parvenir à attirer malgré la dangerosité. En fait…, s’interrompit Harry comme comprenant soudain quelque chose. En fait… ça n’est pas moi qui Lui ressemble le plus.

— … Pour autant Severus dispose de capacités que n’a pas Voldemort et qui font très nettement la différence, rappela Dumbledore en plongeant un regard entendu en direction de l’élève. Mais il ne s’agit pas de lui, Harry. Je suis content que tu commences à comprendre quelqu’un que je respecte autant, mais nous parlons de tout autre chose : nous discutons de la culpabilité d’Horace.

— Est-ce si grave que cela ?

— Ce qu’il a dit à Jedusor a nécessairement changé la face de l’Angleterre et transfiguré de nombreuses vies. Bien que j’ignore à quel point. Et c’est pour cela que je dois savoir précisément ce qui a été dit dans cette pièce il y a cinquante-trois ans.

— Vous voulez savoir si Voldemort a eu sa réponse ?

— Pas exactement. Mais pour l’heure, Harry, je vais t’expliquer ce qu’est un Horcruxe, et tu devras te contenter de cela et ne pas me demander de plus amples explications, d’accord ? »

Harry fronça les sourcils, une drôle d’impression lui picotant le nez désagréablement. Dans son esprit, la voix qui avait pris les accents de Snape depuis un peu plus d’un an lui suggéra qu’il y avait Veracrasse sous chaudron. Mais il se contenta d’hocher simplement la tête, bien déterminé à en savoir davantage.

« Comme tu dois t’en douter, nous parlons ici de Magie Noire. A la vérité, c’est même considéré par beaucoup comme la forme la plus sombre de celle-ci. Un Horcruxe est un objet dans lequel on a enfermé une partie de son âme. »

Le brun cligna des yeux, se sentant presque déçu. Les atrocités commises par Voldemort et ses sbires allaient si loin qu’entendre quelque chose digne d’un roman de fantasy ne le choquait guère. Puis, lentement, comme un cadavre boursouflé refaisant surface à l’instant même où le coupable jurait ses grands dieux qu’il n’était pas le meurtrier, doucement, sournoisement, un souvenir lui revint en mémoire.

« Vous êtes un fantôme ?

— Disons plutôt un souvenir conservé dans les pages d’un journal pendant cinquante ans… »

Harry écarquilla les yeux de terreur, se souvenant du corps mourant de Ginny, de l’horrible impression de trahison qu’il avait ressentie à l’encontre du souvenir… Du… D’un…

« Merde… » Murmura le garçon à voix haute le regard dans le vague.

Le Directeur de Poudlard haussa les sourcils, avant de sourire tristement.

« Tu as deviné. Le journal de Jedusor était un Horcruxe.

— Mais… Mais à quoi ça sert ? Pourquoi ? Comment ?

— De quoi a le plus peur Voldemort, Harry ? Que lui est-il arrivé lorsque le sortilège de mort l’a frappé ?

— Mais… Il a pu survivre parce qu’une partie de lui-même vivait dans le journal ? Mais maintenant qu’il est détruit ? Maintenant que le journal n’existe plus, alors ? Est-ce que Voldemort… Mais ce sont des morceaux d’âme… D’ÂME ! Comment on peut déchirer quelque chose comme…

— Calme-toi Harry, reprends ton souffle. Les Horcruxes se créent à partir d’un meurtre. Tuer déchire l’âme et il est alors possible…

— Mimi…, soupira d’horreur le jeune homme. C’est… C’était son premier meurtre, n’est-ce pas ? C’était sa première fois ? Non ! Non… Il avait déjà tué son père, non, non… »

Durant sa réalisation, le garçon se leva et se rassit à de nombreuses reprises, jusqu’à retomber sur le fauteuil, vaincu. Le vieil homme lui poussa une nouvelle tasse de thé fumant, et rectifia en parlant d’une voix égale :

« Tu as vu qu’il avait tué son père et sa famille l’été avant d’entrer en sixième année. Je pense qu’il s’agit effectivement de son premier meurtre. Du moins, un être humain, précisa Dumbledore en faisant frissonner son cadet. Effectivement, le souvenir que nous cherchons à obtenir se situe bien entre la mort de Tom Jedusor Senior et celle de Myrtle Elizabeth Warren. Que cela soit Horace ou non qui l’ait aiguillé dans son apprentissage et maîtrise des Horcruxes, Tom a pu apprendre à le faire et…

— En aurait fait un sous votre nez, au sein même de Poudlard, termina Harry lugubre.

— … C’est exact.

— Pourquoi ? Pourquoi vous qui savez tout vous n’avez pas senti ça ?

— Et comment voudrais-tu que je le fasse Harry ? Je n’étais pas Directeur à cette époque, et quand bien même, tu penses qu’une alarme anti-magie noire existe à Poudlard ?

— … Elle devrait. Au moins Voldemort n’aurait pu rentrer il y a cinq ans et…

— Je pense que peu importe les sortilèges – qui pour certains nous sont encore inconnus – qui entourent Poudlard, Lord Voldemort peut passer au travers.

— Parce qu’il est puissant ?

— Non, parce qu’il en a le droit. »

 ***

Snape observa un instant l’homme défiguré face à lui, rassemblant les éléments qu’il avait en sa possession concernant la prophétie. Il n’avait pas lui-même réfléchi à cette fable pour adultes, il s’était plutôt concentré sur la recherche du Directeur, et sur les soins qu’il devait lui apporter pour retarder l’inévitable. Il devait donc envoyer ces informations-là rejoindre celles qu’il avait mises de côté plus tôt. Si quelqu’un avait été en capacité de percer ses défenses mentales, il aurait vu la douleur qu’il avait ressentie en apprenant la vérité sur Harry côtoyer l’éclat de joie en entendant… Il se concentra, et opina lentement du chef.

« Non, il a émis l’hypothèse que la cicatrice ne soit pas que la marque du sortilège de la Mort. Il existe de nombreux cadavres, aucun d’eux n’a été ainsi balafré. Mais Dumbledore croit que c’est plus figuratif que cela : qu’en le choisissant lui, et non un autre comme cible, vous l’avez « marqué comme votre égal », votre seul et unique destructeur potentiel…

— Un autre, hein… ? Il y en avait bien un autre, c’est vrai… murmura Voldemort en réordonnant ses feuillets. Le fils Londubat, n’est-ce pas ?

— Tout juste, mon Seigneur.

— À quel point est-il dissemblable de Potter ? »

La question surprit grandement l’espion qui ne comprit pas immédiatement l’intérêt soudain de l’homme pour un gosse presque anonyme. Il soupira, cherchant à définir Neville, s’apprêtant à dire qu’il était aussi maladroit que mauvais en toutes choses, avant de se raviser. C’était faux, il le savait. Neville était doué dans certaines matières, excellait même dans la Botanique, et depuis qu’Horace avait repris la classe, on racontait même qu’il se débrouillait en Potions. C’était un gosse courageux, en définitive, et plutôt sage, éduqué par une vieille au tonus légendaire, et donc, pour devenir probablement un des meilleurs guerriers de sa génération… Surtout s’il continuait à fréquenter…

« Il était si insignifiant que je l’ai cru un temps Cracmol, commença Severus avec franchise, déversant des souvenirs honteux et authentiques. Mais il semble qu’il se soit découvert quelques talents et courages. Que cela soit parce qu’il souhaite ressembler à Potter, ou parce qu’il est fatigué d’être la risée de sa lignée… Quoi que ses parents ne baveraient pas davantage s’ils l’apprenaient… »

Cette dernière phrase tira un ricanement au Fourchelangue qui appréciait Snape notamment pour cela : il était l’un des rares à avoir un humour assez cynique pour le satisfaire.

« Peu importe, il commence à lui ressembler. Une copie de moins bonne qualité si vous voulez mon opinion. Ce qui fait de Londubat une sorte de chaînon manquant entre l’endive et le Sorcier.

— Est-ce qu’il en aurait été autrement si les rôles avaient été inversés ? »

Voldemort avait posé cette question à son serpent qui était lové en face de la cheminée. Si Dumbledore avait raison – et il y avait de grandes choses pour que cela soit le cas – le Seigneur des Ténèbres était en train de se parler à lui-même… Mais aussi étranges que soient la question et la situation, Severus prit le temps d’y réfléchir. Oui, il était tout à fait possible que si Voldemort avait choisi Neville et non Harry, le premier ait connu un parcours bien plus reluisant et… L’espion arrêta sa réflexion quand il comprit pourquoi Potter était l’Élu. Le Mage Noir avait jeté son dévolu non pas sur la famille, mais sur le sang de Harry. Harry Potter, qui, comme lui, était Sang-Mêlé. Voldemort, dans son immense narcissisme, n’avait pu imaginer un adversaire autre que quelqu’un lui ressemblant. Et en tuant ses parents, en rendant Harry orphelin, il n’avait fait qu’accentuer cette curiosité. Comment l’homme avait réagi en apprenant que le cadet était Fourchelangue, comme lui… ? Mais Harry n’avait rien à voir avec… Severus stoppa immédiatement le fil de sa pensée en frissonnant. Soudain, il se sentit indigne et sale. Ce n’était pas la première fois qu’il comprenait ce qu’il s’apprêtait à formuler intellectuellement. Jeune, lorsqu’il avait pris la marque, il s’en était senti honoré, mais à présent…

« Cela serait aussi simple que cela ? continua Voldemort. Il est mon adversaire, parce que je l’ai désigné ?

— C’est ce que pense Dumbledore, confirma Snape en chassant la comparaison qu’il faisait de lui-même et du Seigneur des Ténèbres. Il semblait même très satisfait de votre façon d’agir en conséquence.

— Que veux-tu dire ?

— La nuit où vous nous êtes revenu, Mon Maître, vous avez définitivement marqué Potter comme votre égal. »

C’était risqué. Dévoiler l’une des hypothèses réelles d’Albus était un sacré coup. Mais Voldemort avait besoin d’éléments de sa part, il avait besoin de se focaliser sur Harry, de continuer à être obsédé par le gamin. L’héritier de Serpentard le dévisagea comme s’il venait de dire quelque chose de stupide, avant de siffler de colère.

« Depuis quand sais-tu cela ? cracha le Fourchelangue en accentuant certaines consonnes.

— Depuis que Dumbledore a raconté la prophétie au gamin. Après l’attaque du Ministère il…

— Et tu ne m’en as rien dit ? »

L’instant d’avant, il faisait rire son supérieur, se voyait même gratifié de l’extrême compliment de lui ressembler, et celui d’après Severus glissait de sa chaise, se convulsant sous les assauts du Doloris qu’il n’avait pressenti que trop tard. Une brève pensée lui traversa l’esprit, faite de moqueries à l’égard de Voldemort qui aurait dû comprendre quelque chose d’aussi évident, et une lassitude à voir son corps une nouvelle fois malmené par un sortilège de Magie Noire. Il passerait le reste de sa soirée à se soigner, et le lendemain serait une lente torture à endurer silencieusement face à ses élèves. La douleur du sort n’était rien quand on la comparait à tout ce qu’elle engendrait par la suite. Avec l’âge, Snape sentait ce qu’une radio aurait confirmé en quelques clichés : son corps souffrait durablement, ses os étaient striés de microfissures, sa chair…

« Dumbledore se trompe, s’arrêta soudain Voldemort avec une fierté qu’il ne parvenait pas à dissimuler. Si j’avais marqué Harry à cet instant, il n’aurait pu me résister plus tôt. Dans sa toute-puissance, le vieil homme ne comprend pas que le terme est purement symbolique. »

Était-il en train de se rassurer, lui qui posait la question précédemment ? Combien de temps encore allaient-ils tous pouvoir lui cacher la vraie signification derrière ces mots ? Le sortilège levé, Snape resta l’échine courbée jusqu’à ce que le Mage Noir l’autorise à se rassoir. Parfois, l’ordre ne venait jamais, et le Mangemort puni devait subir l’humiliation d’être prostré comme un animal une réunion entière.

« Il y a même à parier qu’il interprète le pouvoir caché de ce minable avec son éternel optimisme, est-ce que je me trompe, Severus ?

— Non, Maître. Il pense effectivement que c’est la capacité à aimer de Potter qui…

— L’amour, coupa Voldemort avec un mépris tel que son visage se contracta sous le dégoût. C’est l’amour qui est à l’origine de tous les maux de ce monde. C’est la pire des faiblesses. C’est l’amour qui a tué Merope Gaunt… »

Le Fourchelangue avait murmuré cette dernière partie à l’attention de Nagini qui ne prit pas la peine d’ouvrir les yeux d’intérêt. Snape frissonna malgré la chaleur, déclenchant une vague de douleur dans ses muscules encore parcourus de Magie Noire. L’espion savait qu’il parlait de sa propre mère, et pendant longtemps, Snape avait partagé la même opinion à propos de la sienne…

« Mais Dumbledore ne fait que supposer tandis que moi je dispose de ressources bien supérieures, reprit Voldemort. Je confirmerai son idée folle, et je tuerai « l’Élu de l’amour ». Je le détruirai, après lui avoir pris tout ce qui comptait pour lui. Tout ce qu’il a aimé, je le détruirai et ensuite, je regarderai Harry Potter sombrer dans le désespoir. »

L’idée semblait lui plaire et éclaircir son humeur au point qu’il congédia son serviteur aussitôt. Snape ferma la porte du bureau sur le souffle erratique du Mage Noir qui anticipait manifestement les conséquences de son plan. En descendant lentement les escaliers, les articulations chauffées à blanc, l’homme en noir se dit que Voldemort ne comprenait effectivement rien à l’amour et qu’il oubliait un détail essentiel : peu importait les souffrances ou la mort, on ne perd jamais sa capacité à aimer.

 

 ***

« Je ne comprends pas.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu le fasses Harry. Et ça n’est guère important dans l’immédiat. Pour l’heure, je voudrais que tu te concentres sur le souvenir du Professeur Slughorn et sur la façon dont tu vas l’obtenir.

— Non, mais attendez, le principe d’Horcruxe, on n’en a pas terminé !

— C’est bien pour cela que je t’ai demandé quelque chose, tu sais… »

Le ton était doux, mais Harry comprit qu’il n’en saurait pas davantage, et que c’était à lui de jouer. Les questions tournaient dans sa tête à une vitesse folle, avec une principalement qui prenait de plus en plus de place, et qui commençait à rendre toutes les autres inaudibles. Dumbledore sembla la lire dans son esprit, car il ajouta :

« Oui, c’est bien la première question que je me suis posée, et c’est bien pour y répondre que nous avons besoin de savoir ce qu’il s’est dit dans cette pièce.

— … Jusqu’à quel point on peut morceler une âme, Professeur ? murmura Harry en clignant des yeux, comme s’il avait du mal à imaginer une telle hypothèse.

— Je l’ignore. Je ne crois pas qu’il y ait une réponse, et de toute évidence, Tom ne l’a pas non plus, car il est encore en vie, aujourd’hui.

— Vous pensez que passé un stade, on… On meurt ?

— Pas tout à fait, mais je pense qu’on finit par ne plus rien avoir d’humain, ce qui, de mon point de vue, est un sort bien pire que la mort. »

Harry joua un instant avec le fond de thé parsemé de miettes de feuilles qui flottaient dans la tasse. Il releva son regard en direction du vieil homme en faisant la grimace.

« Il en aurait fait combien pour… Pour… Pour ressembler à ça ?

— C’est une excellente question, Harry. Bien que je ne doive pas t’encourager à te moquer du physique d’une vieille personne, la question reste pertinente.

Vieille ? questionna le cadet en fronçant les sourcils.

— Tom Jedusor a un peu plus de soixante-dix ans.

— Oh… Eh bien… La Magie Noire conserve !

— Tu trouves ? »

Le Mage Blanc lui sourit avec malice, et le plus jeune éclata de rire, ayant l’impression de respirer pour la première fois depuis le début de la soirée. Ils échangèrent un regard de connivence, avant que l’hilarité du plus vieux ne grimpe d’un étage encore :

« Mon secret est bien plus simple, Harry. Mais toi et le Professeur Snape refusez désespérément d’y goûter. »

Le Gryffondor pouffa et se leva en souriant, l’esprit un peu plus léger et remerciant le Directeur de prendre soin à chaque fois de le quitter en bons termes. Chaque soirée passée à scruter les souvenirs de Voldemort se terminait toujours par un petit instant comme cela. Harry soupçonnait le vieil homme de vouloir l’aider à cloisonner son esprit, et à apaiser ses pensées avant de sombrer dans le sommeil où il était vulnérable. Ils mirent fin à leur entrevue, et le jeune homme s’en retourna en direction de son dortoir. Restait à convaincre Slughorn de lui ouvrir sa tête et de lui montrer ce dont il avait le plus honte. Harry haussa les épaules en marchand, se rendant compte qu’il n’avait aucune idée de la façon avec laquelle il devait s’y prendre. Il s’arrêta soudain, avant de s’élancer comme un diable en direction de l’étage de son dortoir. Il mâcha pratiquement le mot de passe à la Grosse Dame, et monta directement jusqu’à la chambre. Là, il bloqua sa respiration pour tenter de ne pas réveiller ses camarades qui devaient probablement dormir, et se glissa le plus silencieusement possible jusqu’à son lit, d’où il tira le miroir de Sirius.  Le ronflement soudain de Ron manqua de lui faire lâcher l’artefact de peur, et Harry redescendit à la salle commune pour se lover dans un fauteuil face à la cheminée. Il se concentra, jusqu’à ce que le visage marqué par l’inquiétude de son Parrain s’y montre.

« Tout va bien ?

— Hey, salut ! Oui, oui, t’en fais pas, je voulais juste te poser une question. Je sais qu’il est tard, mais tu ne dors jamais avant… »

Harry s’interrompit soudain, constatant que l’Animagus portait un col haut et richement brodé. Il était également peigné, et la barbe impeccablement taillée. Le garçon se mordit la joue et rougit, gêné.

« Je te dérange, c’est ça ?

— Non… Pas si l’on considère qu’interrompre une charmante soirée, magnifiée par la plus délicieuse des compagnies (un rire féminin ponctua sa phrase), et encadrée par l’incroyable décor de La Rosée de Lune, n’est en rien un dérangement… Mais je serais un bien piètre Parrain si je ne répondais pas à l’appel désespéré de mon filleul préféré. Je te préviens, si c’est une histoire de filles, je ne pourrai y répondre dans l’immédiat, je ne voudrais pas que mon talent se dévoile trop vite (nouveau gloussement). Veuillez m’excuser Miss Lemoine, articula lentement Sirius en souriant charmeur. »

Harry n’entendit pas ladite Miss lui répondre, et vit que le décor changeait légèrement, Sirius se mettant à l’écart. Quand il recroisa le regard de son aîné, c’était pour le voir légèrement agacé.

« Tu as fini de te moquer ?

Madeuhmoizellheu Leuhmoineuh, singea Harry avec un accent anglais très prononcé. Qui est-ce cette Miss ?

— Une jeune Française que j’ai rencontrée… Peu importe, quel genre de question nécessite que tu ne puisses attendre demain ?

— Dumbledore m’a demandé un truc très précis. Il veut que j’arrive à convaincre Slughorn de faire quelque chose pour l’effort… Je sais pas si je peux t’en dire plus, en fait…

— Albus m’avait déjà parlé d’une mission spéciale pour toi. Je n’en sais pas plus, je sais juste qu’il fallait que ça soit toi. Par rapport à ta notoriété, je crois… Mais je ne comprends pas en quoi puis-je t’aider, Harry, je ne connais pas bien ce type.

— Ah bon ? Mais il était ton prof, non ? T’as dû aller aux soirées privées !

Moi ? jappa Sirius en guise de rire. Jamais j’aurais pu foutre UN orteil dans une des sauteries de Slugh, tu rigoles ? James en était vert en plus… On a même essayé une année d’y aller ensemble, en prétextant que le règlement n’interdisait en rien les couples du même sexe, mais ça a fait un scandale… Oh, si tu avais vu la tête des Sangs-Purs… ! Non, non, Harry, moi j’étais persona non grata.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Mais parce que ma famille craignait un max ! Ou bien parce que j’étais rayé de cette dernière, j’sais pas trop. Slug’ avait le cul entre deux chaises avec moi. Le mieux pour ce vieux Serpentard était de prétendre que je n’existais pas. Non, si tu veux l’avis de quelqu’un qui l’a bien fréquenté, et qui sait manipuler les gens, c’est vers Snape que tu dois te tourner. »

Harry soupira de fatalisme en jetant un regard perdu au feu en face de lui. Quelque part, il le redoutait. C’était même la première idée qu’il avait eue lorsque Dumbledore lui avait demandé de convaincre Slughorn. Pourtant, il se voyait encore moins discuter avec l’homme en noir pour…

« Parce qu’il était son Directeur de maison à l’époque, c’est ça ?

— Ah, non non. Parce que Slugh avait un gros faible pour l’inénarrable duo de potions Lily Evans et Severus Snape. Ce qui fait qu’à chaque fois que ton père revenait d’une soirée, il passait quatre heures à s’énerver sur « Snivellus qui lui volait sa Lily ».

— Je vois, grinça Harry. Ça va me compliquer la tâche pour obtenir l’aide de Snape, mais merci Sirius, je ne voudrais pas te voler à ta « Madeuhmoizellheu Leuhmoineuh ».

— Hey, attends ! Harry, si tu as le fin mot à propos de…

— Si je l’ai, Sirius, il restera entre les principaux concernés. Merci encore, sourit le jeune homme pour adoucir son propos, passe une bonne soirée !

— Ouais, ben bon courage avec lui, hein ! »

Le miroir redevint un simple miroir et Harry fronça les sourcils. Oh, oui ! Il allait avoir besoin d’une bonne dose de courage pour affronter l’espion sur une question aussi personnelle que celle-ci ! Le jeune homme gémit piteusement en se rendant compte que sa mission s’était dramatiquement complexifiée.

 ***

Severus poussa sa porte en soupirant. Il était fatigué de sa soirée, épuisé de la guerre, épuisé des sautes d’humeur du Mage Noir et des idées stupides du Mage Blanc. Quand il entra dans son salon, la démarche lente et appuyée, trahissant sa douleur, la queue blanche d’un chat s’enroula autour de son mollet, lui tirant un sourire franc. Il se dirigea vers son bar d’où il sortit deux bouteilles. Une de scotch, une de potion. Mélanger les deux n’était pas interdit, simplement déconseillés par Sainte-Mangouste. Et personne n’irait le leur dire. Il tira d’un coup de dents le bouchon de la potion d’antidouleurs, et but une bonne rasade, tout en se servant de l’autre main un verre ambré, puis, il se laissa tomber sur son canapé pour le déguster.

Snape ferma lentement les yeux, quand il sentit un genou étranger contre sa cuisse. Merlin sauta sur lui, et l’empêcha de se relever, ronronnant déjà comme si la posture était tout à fait normale.

« Vous n’avez pas bougé…, murmura l’espion.

— J’étais pas mal inquiète. J’avais un peu peur que ce ne soit un traquenard son appel.

— Je suis un grand garçon, Jane.

— Vous tremblez.

— Vous êtes encore assise en tailleur sur mon canapé.

— Ca n’a aucun rapport.

— Je croyais que c’était ça la règle du jeu… »

Smith se replaça à côté de lui, plutôt que de s’asseoir convenablement, elle ramena ses deux jambes contre elle. À quel moment avait-elle enlevé ses bottines pour se percher sur son mobilier dans ses appartements, Severus l’ignorait, mais la Moldue n’avait vraiment pas l’air décidé à bouger. La jeune femme l’observait, inquiète, et quand le Mangemort chercha à échapper à son regard inquisiteur pour croiser celui du chat qui le fixait par en dessous, il se sentit piégé. Un piège confortable, mais un piège tout de même.

« J’ai pris un Doloris, expliqua l’homme en se surprenant à parler de cela à quelqu’un.

— Je peux faire quelque chose pour vous soulager ? »

Un instant, l’homme hésita à lui dire de s’en aller, puis il se ravisa. Il n’avait pas envie que cette soirée se termine comme chacune d’elles se finissait dans ces cas-là. Il jeta un regard insondable à la Moldue, et cette dernière ouvrit de grands yeux avant de rougir et d’éclater de rire.

« Ah-ah, non ! Je ne sais pas à quoi vous pensez, mais je ne parlais pas de ça… ! »

Severus cligna des yeux, puis sourit sournoisement :

« Mais à quoi pensez-vous, vous ?

— Non, non, pitié, ne cherchez pas dans ma tête pour une fois, pouffa-t-elle de rire en baissant instinctivement les yeux.

— J’ai vu trop de choses étranges pour ce soir, Smith… »

Il avait toujours mal au bassin, au dos, ses jambes le tiraillaient, et son cœur continuait de battre à un rythme désordonné. Plus le temps passait, plus cela devenait compliqué… Heureusement que Voldemort s’était absenté de leurs vies pendant une douzaine d’années… ! Alors que Jane reprenait le livre qu’elle lisait avant son départ, Severus lui demanda de but en blanc :

« Suis-je laid ? »

Quand il la vit reposer avec lenteur son roman, il porta à ses lèvres son propre verre pour se donner une contenance. Jane le regarda comme s’il lui était étranger, et fronça les sourcils. Il pouvait presque voir la réponse dans ses yeux, mais il ne pouvait se résoudre à vérifier dans son esprit.

« Mais qu’est-ce qu’il vous a fait… ? lui demanda-t-elle doucement, très sérieuse.

— Vous éludez.

— Non, vraiment, ça ne vous ressemble pas. Pourquoi cette question ?

— Répondez-moi. Je vous expliquerais peut-être. »

C’était surtout de l’inquiétude et de l’incrédulité qu’on lisait sur le visage de la Moldue. Puis, après une profonde inspiration qu’il estima être une dose de courage, elle lui répondit enfin :

« Non. Je vous ai déjà retrouvé repoussant, terrifiant, mais laid, jamais.

— Et me trouvez-vous fascinant… ?

— … Qu’est-ce qui vous prend ?

— Vous adorez donner votre opinion sur tout, pour une fois que je vous la demande, faites-moi plaisir… »

Jane passa sa langue sur sa lèvre inférieure en levant les sourcils, tout dans sa posture exprimait clairement le malaise. Elle tourna la tête en direction de l’âtre, manifestement peu encline à l’idée d’assumer la suite.

« Oui. Ça m’arrive. Est-ce que votre besoin narcissique de domination est satisfait ?

— Vous pensez que c’est pour cela que je vous pose la question, Jane ? répliqua-t-il, une pointe d’inquiétude dans la voix.

— … Non. J’en sais rien, vous m’aviez dit que vous m’expliqueriez, donc… Je vous… Je vous charrie parce que vos questions me gênent. Enfin, mes réponses, surtout.

— Vous me faites confiance ?

— Severus, vous êtes flippant ce soir.

— Est-ce que vous me suivriez si je vous emmenais vers l’inconnu ? Si je risquais votre vie ? »

La jeune femme planta son regard dans le sien. Elle n’avait pas besoin de le formuler, qu’il comprit où elle voulait en venir. Mais la Moldue ne lui épargna pas la vérité :

« Je passe mon temps à le faire. Est-ce que vous allez enfin me dire ce qu’il se passe ?

— Rien, laissez tomber.

— Mais, Sev…

— S’il vous plaît, faisons comme si nous n’avions pas été interrompus. »

Merlin miaula, comme pour ordonner à sa Maîtresse de céder. Elle le regarda, interloquée, inquiète et assez suspicieuse, puis se leva lentement pour se servir elle aussi un verre. Lorsqu’elle revint, le Sorcier n’avait pas bougé, il braquait son regard vers le feu qui miroitait dans ses billes onyx. Elle ouvrit la bouche, la referma en se ravisant, puis se remit en tailleur près de lui et attrapa son livre. Son cœur cognait fort dans sa poitrine, Jane sentait que quelque chose de grave lui échappait, et qu’elle était incapable d’aider son ami. Mais elle obtempéra, comme elle put, la curiosité laissant place à une certaine tristesse.

Severus coula un regard dans sa direction, l’observant bouquiner, penchée sur son livre comme s’il l’aspirait vers un nouveau monde. Il sourit discrètement, et respira à nouveau normalement. Peu importait son physique, ce n’était pas là sa seule différence avec le Seigneur des Ténèbres… Au bout d’un moment, Jane pouffa de rire et tourna une page.

Oui, il n’avait rien à voir avec Voldemort.

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Lundi 3 novembre, couloirs de Poudlard, 5h12,

Severus passa la tête, observant et écoutant les alentours. Les torches piquées au mur étaient encore éteintes, signe que les portraits dormaient très probablement à poings fermés. L’homme en noir avança, satisfait, appréciant le bruissement léger de ses capes perçant le silence. Il ne se précipita pas, se dirigeant nonchalamment en direction du rez-de-chaussée. Il ne croisa ni fantôme, ni Préfet. On aurait dit qu’il avait le château tout entier pour lui seul, et cette idée fit naître un sourire paisible sur son visage.

Quand il arriva au Grand Hall, Severus fronça les sourcils. L’immense accueil était baigné de lumière, les grands sabliers égrenant les points de chaque maison, brillants de mille feux. Il ne put s’empêcher de jeter un œil à celui des Serpentards, un rictus agacé lui barrant le visage. Les portes de la Grande Salle étaient fermées, comme toujours à cette heure matinale, mais Severus n’était pas arrivé jusqu’ici pour cela. Il partit à droite du grand escalier principal, se dirigeant vers une porte qui grinça en se refermant sur son nez. L’espion plissa des yeux, tira sa baguette rapidement, et se faufila en silence pour tenter de surprendre l’élève qui n’avait aucune raison de se trouver ici. D’un geste rapide, il tira sur la poignée, mais le couloir qui descendait sur les escaliers était vide. Il pressa le pas, se demandant dans quelle mesure il ne pourchassait pas quelqu’un d’invisible. Son entraînement d’espion lui permit de contenir son ricanement d’anticipation, alors qu’il s’imaginait tomber sur un Harry Potter en cavale. Mais lorsqu’il déboula soudain devant la grande peinture qui gardait l’accès aux cuisines, son expérience ne lui fut d’aucune utilité pour masquer son exclamation de surprise.

Devant lui, le fixant tout d’abord d’un air incrédule, puis trop rapidement à son goût moqueur, se trouvait Jane Smith qui tentait, en vain, de chatouiller le mauvais fruit. Ils se jaugèrent un instant en silence, avant que l’homme ne se décide à rompre le charme en reprenant une posture profondément paternaliste :

« Puis-je savoir ce que vous faites ici à l’aube, Miss ?

— Oui.

— … Comment ça, « oui » ?

— Oui, vous pouvez, répéta-t-elle malicieusement. Je crois que je me trompe de méthode, ce n’est pas le raisin qu’il faut chatouiller ? Dites, vous pouvez nous ouvrir, s’il vous plaît ? »

L’homme en noir esquissa un mouvement, avant de se raviser et de toiser son amie du haut de sa stature. Il lui offrit un sourire goguenard et répliqua lentement :

« Oui. »

Jane fit une grimace infantile, et chatouilla en vain pomme, banane, pastèque… L’homme en noir la laissa faire, même lorsque le grondement de son ventre interrompit un instant le geste de la Moldue. Ils s’observèrent à ce bruit, et elle pesta :

« J’en reviens pas, vous préférez me laisser m’empêtrer, quitte à crever la dalle.

— Je me nourris de votre désarroi, Miss.

— Pire qu’un Détraqueur, ce mec… marmonna-t-elle avant de s’exclamer : AH ! La poire ! J’aurais dû attendre avant de confisquer ce mot, je le savais. »

Le tableau pivota, dévoilant une entrée taillée dans la roche qui charriait une délicieuse odeur de brioche sucrée et de chocolat chaud. Jane jeta un regard incertain à Snape et s’engouffra, bientôt suivie. À mesure qu’ils avançaient, les odeurs alléchantes se renforçaient et rapidement, leurs ventres grondaient à l’unisson. Quand ils arrivèrent au sous-sol, ils ne pensaient pratiquement plus qu’à leur petit-déjeuner.

Jane laissa échapper un hoquet de surprise lorsqu’un elfe étrange l’apostropha suspicieux :

« Que faites-vous ici ? Il est beaucoup trop tôt, Miss ! Vous devriez…

— Leggy ! Ne t’adresse pas ainsi à la Grande Maîtresse ! rabroua une voix que la Moldue reconnut. Grande Maîtresse, reprit Dobby en s’inclinant profondément. Professeur Snape… Je vous apporte immédiatement votre petit-déjeuner. Monsieur voudrait quelque chose de différent, ou je mouds immédiatement votre café ? Et Miss la Grande Maîtresse voudrait… »

Jane eut un léger mouvement de recul devant l’enthousiasme de l’elfe de maison, alors que Snape hochait la tête vaguement, fixant le susnommé Leggy qui jetait un regard condescendant à son collègue. L’espion l’observa lui, ainsi que les autres créatures affecter de ne pas s’intéresser à leur arrivée, et il fronça légèrement les sourcils quand il vit une petite elfe secouer négativement la tête alors que Dobby en était à proposer de faire des choux glacés spécialement pour Jane. Cette dernière éclata de rire, et leva les mains en signe d’apaisement :

« Non, non, ne vous prenez pas cette peine, je suis désolée de vous déranger si tôt. Mais il faut que je travaille vite, un café sera parfait pour moi aussi, et quelques tranches de pain beurrées. Vraiment, ne vous dérangez pas outre mesure pour moi.

— Grande Maîtresse ! piailla Dobby, vous ne pouvez nous déranger ! Et de la brioche, elle est toute chaude encore, pleine d’éclats de sucre, est-ce que je vous en coupe quelques tranches, à vous aussi… ? »

Severus arqua un sourcil de défi en direction de Jane lorsqu’elle se retourna pour lui faire un commentaire, mais la Moldue se contenta de répondre à l’elfe :

« Si vous en coupez déjà pour Severus… Merci… Dobby ?

— Oui, Miss, s’inclina-t-il. Prenez place, prenez place ! Professeur, vous partagerez votre table ?

— Il semblerait… »

La petite créature ne le laissa pas tergiverser davantage et s’effaça, vaquant à ses occupations. Dans la cuisine, les autres elfes de maison les toisèrent un long moment, avant que les deux enseignants ne décident de rejoindre le coin auprès du feu, et ne s’asseyent dans des fauteuils bas et incroyablement confortables. S’enfonçant avec paresse dans l’un d’eux, la Moldue sourit à son collègue et ouvrit la bouche, mais il la coupa :

« Oui, il m’arrive de venir prendre mon petit-déjeuner ici.

— Et c’est pour cela que parfois vous ne mangez rien à table avec nous.

— Vous vous passionnez pour mon alimentation, Smith ? Qu’est-ce qui vous fait vous lever si tôt ?

— Mon cours, bailla la scribouillarde en couvrant sa bouche du dos de sa main.

— Il a lieu à 10h ! s’exclama Snape d’une voix blanche. Vous en faites trop !

— Ah-ah, non ! Si je n’installe pas, et surtout ne teste pas, l’équipement bien avant, je vais avoir l’air fine s’il ne fonctionne pas. Et alors mon cours ne servira pas à grand-chose… Et ATTENTION Severus, je vous vois venir.

— Je n’allais rien dire.

C’est ça… Et vous ? Pourquoi êtes-vous si matinal ?

— Mes cours également… Et l’envie de prendre un petit-déjeuner en silence, ce qui semble, hélas, raté.

— Je me nourris de votre désarroi, Professeur, répéta-t-elle goguenarde. »

Dobby revint rapidement, portant un immense plateau avec deux cafés fumants, une belle assiette de tartines de pain beurré, une somptueuse brioche dorée… Et des bananes, raisins, pommes et confiture, jus de citrouille et eau fraîche. Il déposa le tout sur la table qui séparait les enseignants, et s’inclina avec un profond respect, puis repartit à ses fourneaux. Jane jeta un regard entendu à son vis-à-vis en désignant d’un hochement de la tête l’ensemble des victuailles et ce dernier haussa les épaules, apparemment habitué. Ils attrapèrent d’un même geste leur tasse respective, et burent en synchronicité parfaite. Pendant deux minutes, ils restèrent silencieux, se contentant de manger et de profiter du bruit de crissement du feu, du tintement des casseroles et des légers chants fredonnés par les elfes. Ce fut Snape qui relança la conversation :

« Et… Comment vous aviez eu connaissance de cet endroit ?

— Ah ! La semaine dernière j’ai chopé Londubat en train d’envoyer un message à la petite Abbot… Et ils en parlaient dedans. Bon… Je lui ai confisqué le parchemin avant qu’il n’indique le fruit à tripoter, mais…

Oh oh… Ils se donnent rendez-vous aux cuisines, maintenant ?

— Que voulez-vous, rien de plus romantique qu’un déjeuner au coin du feu, eh ? »

Leurs sourires moqueurs s’évanouirent en même temps lorsqu’ils croisèrent le regard. L’homme en noir jeta un regard venimeux à leur repas, et la jeune femme croisa les jambes en reprenant une gorgée de café, lèvres pincées.

 ***

C’était un sujet qui avait été abordé au début de leur mariage. Ils en avaient parlé longuement et avaient décidé de ne plus jamais évoquer la question. Ainsi, depuis plus de seize ans, Lucius et Narcissa Malefoy prenaient leur petit-déjeuner ensemble, mais chacun avait sa propre théière, et il ne saurait en être autrement. Car, voyez-vous, Lord Malefoy faisait infuser son thé avec une rondelle de citron directement dans la théière, là où Lady Malefoy faisait couper une rondelle à chaque nouvelle tasse, rondelle fraîche et encore juteuse déposée dans le thé brûlant. Et là, seulement là, l’acidité se mélangeait au breuvage. En profond désaccord – assez pour que la querelle ne leur ait coûté quelques éclats de voix une paire de décennies auparavant – les époux, pour la paix des ménages, turent cette divergence de points de vue.

En Amour, comme en Politique, il fallait savoir faire des concessions pour garder son siège.

Narcissa tourna la page du journal qui était posé devant elle avec ce geste élégant qu’il aimait tant la voir faire. Quand elle fronça les sourcils en lisant, il sut qu’il pouvait interrompre sa propre lecture, car elle allait l’interpeller. Il affecta de continuer « Le Sorcier sans baguette » un roman humoristique qu’il n’avouerait jamais lire en public, mais son instinct avait visé juste :

« Il semblerait que vous soyez la nouvelle coqueluche de ces dames, mon ami… »

Lucius ne répondit pas immédiatement à l’utilisation du vouvoiement, il se contenta de relever humblement un sourcil interrogateur en direction de sa femme. Il savait parfaitement de quoi il était question, et pourtant, il feignait l’ignorance, avant d’entamer l’expression d’indifférence qui ne tarderait pas à l’agacer.

« Ne faites pas l’innocent, mon cher. Cette Delorme dresse un portrait tout à fait élogieux à votre égard dans le Veritascriptum. Je n’avais plus vu pareille prose depuis les tentatives de lettre d’amour de Lucrece Corsini… Quoi qu’il serait injuste pour cette petite Serpentarde de lui prêter un aussi mauvais goût pour les superlatifs. »

Le Chef de la maison Malefoy n’avait pas encore lu l’édito, mais il savait que la jeune Nathalie Delorme ne lésinait pas sur les compliments ni les comparaisons flatteuses. Loin d’avoir été séduite par le blond, elle le faisait parce qu’elle était payée en ce sens. Voir son épouse l’alpaguer à ce sujet, qui plus est en exhumant l’indémodable Miss Corsini… était du sucre pour l’orgueil. Il sourit, de ce sourire qu’il avait savamment étudié :

« Seriez-vous jalouse, ma Douce… ?

— D’une gratte-papier ? Vous avez un drôle de sens de l’humour. Je voudrais, au contraire, souligner qu’elle mettait peut-être trop d’emphase dans sa description grandiloquente de votre personne. Tenez, dans sa page « L’irrésistible ascension d’un Aristocrate du Peuple » – et vous conviendrez que le titre est absolument ridicule – elle n’hésite pas à vous décrire comme un « orateur hors pair », « un grand sorcier qui aura su trouver un costume à sa mesure »… un homme qui selon elle serait « moderne et sachant pourtant incarner l’esprit puissant et bienveillant de nos valeurs les plus chères ! ». Mais ce n’est pas tout, mon époux ! La jeune Delorme n’hésite pas à retracer votre parcours, j’ignore comment elle a pu trouver toutes ces informations, mais elle a les dates exactes de vos prises de fonction en tant que Préfet de Serpentard et… Oh ! Par Morgane ! La date de notre première rencontre, où elle évoque… Non. C’en est trop. Elle évoque « votre charme qui aura su conquérir le cœur d’une des plus belles femmes et riches héritières d’Angleterre » ! Lucius, comment peut-elle savoir de tels détails sur notre vie privée ?!

— C’est très simple, ma Douce, c’est moi qui les lui ai donnés. »

Le blond venait de reposer délicatement son livre à côté de son thé et buvait ce dernier à petites gorgées. En face de lui, sa femme rougit légèrement de colère, et il contint un rire. Narcissa Malefoy était une femme particulièrement belle, mais également d’une redoutable intelligence. Passée la jalousie, elle inclina un peu raidement la tête pour signifier qu’elle comprenait sa démarche. Néanmoins, c’est dans une moue boudeuse tout à fait charmante qu’elle le menaça :

« N’allez pas plus loin que nécessaire dans vos révélations croustillantes, ou je risquerais moi-même de désirer compléter le portrait du « fascinant Lord Malefoy ».

— Les temps changent, mon épouse. Et la populace aime les détails, aime que leurs grands soient aussi humains qu’eux.

— Ils n’ont pas besoin de savoir que nous nous sommes fait la cour une année de plus que ne le veut la coutume !

— Bien au contraire ! Il faut savoir distiller ce sentiment de proximité. Leur montrer que nous leur ressemblons. » Répliqua l’aristocrate en se levant souplement pour la rejoindre. Il se posta derrière sa femme, attendant qu’elle incline légèrement la tête de côté, dévoilant une nuque qui captiva immédiatement son attention. Il traça les courbes de son index, et poursuivit : « Mais ils doivent aussi sentir combien nous leurs sommes supérieurs. Beaux, sublimés dans une perfection qu’ils pourraient atteindre s’ils se donnaient la peine de nous ressembler. »

Narcissa frissonna légèrement, affectant de continuer de lire le journal, alors même que son époux la savait les yeux fermés. Le Mangemort continua sa caresse, se courbant pour frôler sa nuque d’un baiser.

« Les opinions sont comme les femmes : pour les avoir corps et âme à votre cause, il faut savoir les séduire. Leur faire miroiter un plaisir aisément accessible pour peu qu’elles s’abandonnent totalement.

— Pourquoi ai-je l’impression de te partager avec une maîtresse… ? murmura la fille Black, alors qu’elle offrait totalement son cou au traitement qu’il lui infligeait.

— Parce que c’est le cas, ma Douce… souffla-t-il entre deux baisers brûlants. La Politique est ma Maîtresse.

— Mais je suis ta femme, recadra Narcissa en se tournant vers lui, le fixant avec sévérité.

— La seule. » Confirma-t-il avant de prendre possession de ses lèvres.

 ***

 

C’est quand elle osa se dire que, finalement, elle aurait bien aimé avoir un homme dans sa vie pour se faire chier avec ça à sa place, que Jane sut qu’il fallait qu’elle fasse une petite pause. Redescendant de la chaise sur laquelle elle s’était juchée, la robe pleine de poussière et les bras brûlants sous la fatigue musculaire, la Moldue grogna. Non, vraiment, si elle en était à se dire qu’il fallait une paire de testicules pour pouvoir visser cette satanée machine au plafond, c’était bien qu’il lui fallait un break. Elle retourna à son bureau, et s’y assit négligemment, non sans mordre dans un morceau de brioche que Dobby avait eu la gentillesse de lui apporter. Dobby… L’elfe était décidément bien serviable et lui sauvait la mise. Après son petit déjeuner, Jane s’était mise en tête d’installer l’équipement qui allait servir à la bonne réalisation du cours, mais une fois arrivée dans la salle, constatant avec horreur qu’elle n’avait aucun moyen de percer le plafond pour y mettre les chevilles, elle avait finalement rebroussé chemin. Voulant noyer son chagrin dans la pâtisserie servie le matin, soulagée que Snape se soit bien absenté pour s’occuper de ses classes, Jane avait manifestement attisé la pitié de l’elfe de maison, et ce dernier lui avait apporté son aide. Outre un plateau garni de victuailles qui étaient bienvenues à cet instant, plus une centaine de sièges confortables installés spécialement pour l’occasion, Dobby avait accepté de percer magiquement divers trous dans les murs et plafond.

« Pourquoi, déjà ? » Se demanda à voix haute pour la énième fois la Moldue en faisant fondre un éclat de sucre sur la langue. Mais parce que l’expert de la société MagicWaves lui avait spécifiquement commandé d’installer « à la Moldue » tout son équipement. Et si Jane acceptait de se prendre pour une petite bricoleuse avec son tournevis et le reste, elle ne voyait pas bien comment elle pouvait percer les murs d’une école de magie avec une perceuse quelconque fonctionnant à l’électricité…

« Bah oui ! cria-t-elle épuisée au vide de sa classe. Parce que c’est bien connu qu’il existe des perceuses qui fonctionnent SANS ! »

Un coup d’œil rageur aux morceaux de l’installation qui étaient éparpillés partout sur son bureau lui fit remarquer qu’elle était sacrément de mauvaise foi, et qu’elle ne rendait décidément pas justice au travail de Thomas Barlow, l’ingénieur en chef de la MagicWaves.

« Ouais, eh bien c’est pas lui qui se retrouve à visser son barda, maintenant ! »

Jane sauta de son perchoir et vérifia au fond de sa classe si, au moins, ce qui tenait le rideau était toujours aussi solide. D’une certaine manière, la Moldue était assez surprise de voir que le château ne rejetait pas les chevilles, vis, et autres. C’était même un soulagement. Après une grande inspiration d’encouragement, elle retourna se hisser sur sa chaise, et releva douloureusement les bras. Patience, deux petites vis, et c’est terminé, elle pourra accrocher le projecteur. Heureusement que Barlow l’avait prévenue en avance qu’elle devait aussi acheter tout ça, elle se retrouvait maintenant avec une pleine caisse à outils Moldus à Poudlard… Bah, au moins elle pourrait peut-être les recycler pour un cours si jamais les élèves…

« Ah bah quand même ! »

Elle redescendit rapidement, et observa un peu l’installation d’un œil critique, comme s’attendant à ce que tout s’écroule soudain. Sur son bureau, elle fit un peu de place et brancha le clavier et la souris qui étaient reliés à l’énorme sphère orangée bardée de rouages et de gravures ésotériques. Malgré sa qualité de prototype, c’était un objet vraiment magnifique. Elle tira un autre câble qu’elle brancha au projecteur, fila en toute vitesse en direction du panneau blanc qu’elle déroula avec douceur, par crainte de voir le store lui tomber dessus, retourna à son bureau, et puis là, elle enfonça le bouton de bronze qui surplombait la sphère. Il s’enfonça en grinçant, tournoyant sur lui-même et cliquetiquant. Le cœur de Jane s’arrêta de battre, elle retint son souffle, écoutant avec appréhension le bruit de cette machine qui n’avait plus rien à voir avec sa demande. Pas de ventilateur, pas de ronronnement de carte-mère, elle angoissait au plus haut point. Quand de l’autre côté de la salle, un énorme texte se projeta sur le tissu blanc, elle rugit de joie. Là, étalée en gros pixels sur le mur et dans une police définitivement gothique, l’injonction la plus délicieuse tremblotait fièrement :

« Placez le disque laser devant l’œil d’Horus »

 ***

Plus tard dans la matinée,

« Ca va Hermione ? Tu es tremblante… »

Ron observa son amie avec inquiétude, tandis qu’Harry se mordait la lèvre pour tenter de ne pas éclater de rire. Le Survivant savait qu’il n’avait surtout pas intérêt à laisser son hilarité filtrer sous peine de subir les foudres de la jeune fille. Quand il s’écarta légèrement pour masquer son rictus, il se rendit compte qu’ils arrivaient à l’étage de la classe d’Étude des Moldus, et pire : que les Serpentards, les Serdaigles et les Poufsouffles les attendaient déjà. La foudre allait donc s’abattre sur eux, et les soupçons du brun se confirmèrent quand Hermione et Draco croisèrent le regard. La première sembla chercher à tuer l’autre à coups d’œillades particulièrement meurtrières, le second ricana d’autosatisfaction en relevant le menton. Ron grogna, prêt à faire une réflexion, mais Harry le stoppa net d’un geste de la main, fixant Malefoy avec insolence. Allait-il craquer et fanfaronner sur la prétendue supériorité des Sangs-Purs… ? A la grande surprise générale, le fils du Ministre de la Magie démontra qu’il savait parfaitement tenir son rang et sa langue, et cela inquiéta quelque part Harry qui n’aimait pas voir son monde devenir dangereusement sérieux. Comme voulant absolument répondre à sa demande muette, Hermione céda :

« Tu ne la méritais pas ! cracha-t-elle, venimeuse. Tu as triché ! Depuis quand tu es meilleur que moi en potions ?! »

Le sourire satisfait du Serpentard leur apprit donc qu’il espérait vivement que la jeune fille le cherche à ce sujet. Draco répondit en goûtant sa petite victoire :

« Je l’ai toujours été. Seulement jusqu’ici, tu croyais que j’étais avantagé par Snape…

— Tu l’étais ! Et puis c’est pas juste ! J’ai proposé une meilleure potion que toi ! La mienne permettait de soigner une grosse partie des effets secondaires des Doloris, la tienne… Peuh ! C’est du parfum pour narcissiques dans ton genre qui ne peuvent…

— La mienne, coupa Draco très sérieusement, fonctionne effectivement comme un parfum et avec une bonne dose de phéromones. Il est même vrai que j’utilise une partie des composants de l’Amortentia. Mais la mienne, Granger, permet de se faire remarquer… Ou au contraire de se rendre plus discret au nez et donc à l’instinct de toute créature pourvue d’un odorat.

— Et en quoi est-ce utile en temps de guerre, hein ?! La consigne était de proposer quelque chose qui puisse être utilisé…

— Si votre truc à vous les Gryffondors c’est de survivre aux impardonnables, l’arrêta une nouvelle fois Draco en regardant tour à tour Neville et Harry, nous, nous cherchons plutôt à palier les problèmes avant qu’ils ne surviennent : s’effacer de l’instinct de quelqu’un évite de se faire lancer des sorts pour un oui ou pour un non. Tu devrais l’essayer, Granger, tu ferais des vacances à beaucoup de monde !

— MAIS JE VAIS TE… »

La porte de la salle de classe s’ouvrit, et le Professeur Smith les regarda sévèrement alors qu’Hermione avait tiré sa baguette et la pointait en direction de Malefoy qui continuait de sourire. Poufsouffles et Serdaigles les observaient avec plus ou moins d’intérêt, et cet étrange tableau fit relever un sourcil interrogateur à l’enseignante. Harry se fit la réflexion qu’elle passait décidément trop de temps avec Snape.

« Vous allez quoi, Miss Granger ? »

Décidément trop de temps, conclut Harry Potter avant de prendre la parole :

« Très sincèrement, ça n’est rien Professeur, seulement deux bons élèves qui supportent mal la compétition.

— Mais enfin, Harry…, balbutia Ron ahurit.

— Ah oui ? Il s’est passé quoi, en fait ? Entrez tous, et racontez-moi. »

Ils passèrent la porte, un brouhaha commençant à s’élever, mais se turent quand ils découvrirent la salle transfigurée : en lieu et place des tables et chaises habituelles se trouvaient des rangées de gros fauteuils moelleux tournés en direction d’un mur. Une élève au blason bleu leva la main pour poser une question, mais Smith secoua négativement la tête, redemandant aux jeunes gens la raison de leur dispute :

« Alors ?

— Le Professeur Slughorn nous a demandé de faire une potion utile à la guerre. D’en inventer une, à partir d’une autre, ou peu importe, expliqua Hermione.

— Et Granger ne supporte pas que je puisse avoir gagné.

Gagné ? Comment ça ? fronça les sourcils, Jane.

— Le Professeur Slughorn aime bien nous faire gagner des trucs… La dernière fois c’était un flacon de potion d’allégresse, la première fois de concentration, là…

— Là, Malefoy a triché pour gagner un flacon de Felix Felicis ! éructa Hermione, rouge de colère.

Pardon… ? » S’étouffa Jane et les élèves comprirent à tort qu’elle était choquée devant la valeur du présent.

Heureusement pour elle, la fureur d’Hermione lui expliqua le concept du breuvage.

« C’est injuste ! De la chance liquide ! Vous vous rendez compte, Professeur ?! Malefoy a triché pour gagner une journée entière de succès !

— La chance se provoque… Et puis je sais gérer le succès avec sérénité, j’en ai l’habitude, moi ! commenta le Serpentard très satisfait.

— Et comment ça, « triché » ? redemanda Jane.

— Eh bien… Il n’a pas vraiment triché, mais… Disons que ce qu’il a proposé est moins utile, quoi, et… »

Jane sourit narquoisement et commença à avancer en direction du mur, d’où elle tira un tableau blanc qui se déroula du plafond. Depuis le fond de la salle, elle s’amusa :

« Disons surtout que vous perdez difficilement, Miss Granger. Quelles étaient les idées, au juste ?

— Soin post-Doloris pour Hermione et potion de manipulation d’odorat, je crois pour Malefoy, expliqua un Serdaigle brun. J’ai cru comprendre que la seconde était plus complexe et se basait sur la potion d’amour, en s’intéressant au fait de masquer, ou de mettre en exergue la présence de quelqu’un au sein d’un groupe d’individus, c’est ça, Malefoy ?

— Pas exactement, de créatures serait un mot plus juste. Ce qui m’intéressait, c’était de toucher le maximum de créatures vivantes, pas juste les humains.

— Ingénieux… murmura Jane stupéfaite. Les potions sont loin d’être un domaine que je comprends véritablement, mais l’idée est tout simplement très créative, c’est décidément une manie chez vous, Monsieur Malefoy ! »

Hermione ouvrit la bouche, choquée, et décida de bouder pendant un certain temps, et le blond cligna des yeux, laissant filtrer sa propre surprise.

« Comment ça, Professeur ?

— Le cours d’aujourd’hui est rendu possible grâce à vous, si vous voulez tout savoir. Prenez place dans les fauteuils, tous, mettez-vous à l’aise, je vais vous expliquer… »

Elle retourna à son bureau, et se moqua d’eux tout en attrapant quelque chose sous le meuble :

« Le Professeur Slughorn devrait tout de même vous faire travailler des potions d’acuité visuelle, ça aussi c’est utile pour la guerre : entrer dans un endroit, et l’observer pour en tirer les portes de sortie, les éléments de danger, etc. Vous n’avez pas remarqué ce qui est au-dessus de vos têtes, n’est-ce pas ? J’en connais un qui vous ferait payer cher ce manque d’attention… »

Quand elle déposa un globe de métal sur son bureau, ils levèrent le nez et découvrir ce que les Nés-Moldus et Sang-Mêlés savaient être un vidéoprojecteur. Voyant leurs mines interloquées, Jane leur sourit et les invita à expliquer à leurs comparses ce dont il s’agissait. Fletcher leva la main :

« Ca sert à projeter l’image d’un ordinateur ou d’une télévision quelque part… souffla-t-il. Hey, mais c’est pour ça que vous avez tiré ce panneau, là ?

— Oui, c’est exact, qui peut expliquer à quoi ressemble la salle de cours, s’il vous plaît ?

— A une salle de cinéma, murmura une Poufsouffle en rougissant après s’être rendu compte qu’elle n’avait pas levé la main.

— Mais… Attendez, comment ça vous avez installé tout ça… Professeur ? s’étonna Hermione, vous n’ignorez pas que les machines Moldues ne fonctionnent pas à Poudlard !

— Non, je n’ignore pas, Miss Granger, répliqua Jane lentement dans une parfaite imitation de Snape. C’est bien pour ça que ce n’est pas un ordinateur Moldu qui est posé sur mon bureau, mais un superbe prototype Sorcier. »

Des « Ooooh » et des « Aaah » fusèrent d’un peu partout, ponctués de quelques « Et c’est quoi un ordinateur, en fait ? » que Jane fit taire rapidement d’un mouvement de la main. Elle leur sourit avec complicité, et appuya sur un drôle de bouton qui surplombait la sphère. À ce moment-là, la lumière autour d’eux s’éteignit, et après une série de petits grincements, un texte apparu au fond de la classe, le même que Jane avait pu tester quelques heures plus tôt.

« Bon, alors, explication rapide : un ordinateur est une machine Moldue destinée à effectuer des calculs électroniques et permettant la réalisation numérique d’un certain nombre de tâches. Imaginez qu’on ait fabriqué quelque chose pouvant résoudre toutes vos énigmes d’arithmancie – même les plus complexes – en une fraction de seconde. Puis, qu’à force de développement de cette technologie on ait pu faire en sorte qu’elle remplace vos encres et papiers, qu’elle permette d’afficher des photographies – immobiles chez les Moldus. Ou des vidéos… Ce qui est l’équivalent des photos sorcières, mais avec du son… Imaginez que l’on puisse créer des images totalement virtuelles, comme des peintures créées et stockées dans l’écran, et que l’on permettre à la personne qui se sert de l’ordinateur d’interagir avec les peintures, de les modifier, de… Jouer avec. Enfin, imaginez que l’on puisse brancher toutes ces machines entre elles, les relier, et que le monde entier puisse communiquer en temps réel simplement au travers de ces écrans… Pour faire simple, c’est ça un ordinateur. »

Les Sorciers digérèrent comment ils purent les différents concepts inédits qui leur étaient balancés à la figure. Certains affectaient de comprendre de quoi il était question, quand d’autres semblaient avoir tout bonnement renoncé à trouver ça limpide. Les Nés-Moldus et Sang-Mêlés quant à eux, se demandaient déjà comment elle avait pu rendre possible cette première prouesse : faire fonctionner deux machines à Poudlard. Avant même que Jane ne puisse expliquer, Pansy Parkinson s’exclama dédaigneusement :

« C’est n’importe quoi ! Si les Moldus pouvaient faire tout ça, ça ferait bien longtemps qu’ils nous auraient surpassés ! »

Cela déclencha un tollé similaire aux premières empoignades de l’année précédente. Ce qui les calma immédiatement fut non pas le hurlement de leur enseignante assorti d’une perte significative de points, mais bien un rire. Un rire franchement condescendant. Tous l’observaient un peu vexés, peu importe leurs origines.

« C’est mignon comme vous persistez à croire que ça n’est pas déjà le cas. Les Moldus ont inventé l’électricité, les moteurs, la chirurgie, Internet, peuvent manipuler la matière en comprenant au minimum ce qu’ils font, la génétique… Ils envoient des sondes aux confins de l’univers, établissent des théories sur les multivers, envoient des hommes sur la Lune, découvrent la physique quantique, se battent pour savoir quand l’IA va véritablement apparaître, peuvent recréer numériquement des cités entièrement détruites il y a des milliers d’années… Ils peuvent recréer le visage d’un homme mort avant l’apparition de l’écriture, peuvent stocker la totalité des données générées par les humains, s’ils le voulaient… Impriment des membres entiers à des personnes amputées, sont capables de générer de l’énergie à partir d’à peu près tout… De projeter mentalement les personnes dans des univers virtuels dont vous ne soupçonnez même pas l’existence… Ah ! » Reprit-elle son souffle au bout d’un moment. « Vous me faites marrer à croire qu’agiter une baguette et marmonner des formules fait de vous des sommités d’évolution… »

Un silence glacial accueillit sa réaction, et Jane jeta un regard si méchant à l’assemblée, qu’il était difficile de ne pas se sentir insulté par sa tirade :

« Je n’ai pas le même rapport que vous à la question Moldue, je suis Née-Moldue, vous le savez, non ? Et contrairement à beaucoup d’entre vous dans le même cas, manifestement, je continue de me mettre au courant. En fait, ce qui relève véritablement du « N’importe quoi », Miss Parkinson, c’est qu’une bande de névrosés se déguisant et massacrant aveuglément hommes et femmes Sorciers ou Moldus, puisse terrifier une communauté, et pire : voire la moitié de leurs théories adoubées par cette même communauté. Ce qui est « N’importe quoi », Miss Parkinson, c’est que parmi vous, certains vont prendre la Marque bien volontiers, d’autres vont combattre ces idées… Mais qu’en attendant, aucun d’entre vous n’arrive encore à ne pas renifler de dédain dès lors qu’on parle de Culture Moldue. Je vous mettrais devant une PlayStation que vous seriez foutus de me crier « à la sorcellerie », sans comprendre comment se servir d’une manette… Alors, épargnez-moi vos exclamations fumeuses sur ce qui est, ou non, possible à l’être Humain. Entre les Sorciers et les Moldus, les premiers sont définitivement arriérés, et il serait temps que quelqu’un vous le rappelle. »

Une jeune Serdaigle aux cheveux clairs et au regard perçant leva la main en même temps que le menton, et exprima tout haut, ce que certains commençaient à penser, agacés :

« Peut-être que les Moldus font tout ça… Mais ça ne les empêche pas pour autant d’avoir des guerres, de la famine, des dictatures, de la pollution… Je suis Sang-Mêlée, je me tiens quand même un peu au courant de ce qu’il se passe, et c’est vraiment pas joli les guerres de religion et la haine des gens de couleurs chez eux…

— Oui… Alors que la guerre du sang, et la haine de ce qui n’est pas pur, c’est tellement, mieux, n’est-ce pas ? Les Sorciers sont à la race Humaine ce que les platistes sont au Moldus, mais ce n’était pas l’objet de mon cours…

— C’est quoi un « platiste » ?

— Quelqu’un qui croit que la Terre est plate, expliqua évasivement Jane d’un geste las de la main. On peut se reconcentrer sur ce le miracle que je vous propose ?

— C’est normal qu’ils croient que la Terre est plate, ils n’ont pas l’astronomie comme nous, si ? demanda un Serpentard dédaigneux.

— Merlin… soupira Jane. Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans : « L’Homme Moldu a marché sur la Lune » ?! Les Moldus peuvent voir en direct depuis leur écran la terre, il suffit d’aller sur… Oh, misère. Vous ne comprendriez pas… Essayez juste d’intégrer l’idée que s’il le désire, le Moldu peut voir l’univers et la terre en direct grâce à des machines qui volent au-dessus de la planète. Voilà. Donc, c’est stupide de la part de certains de croire que la Terre est plate, voilà !

— En clair, vous nous expliquez qu’on est illogiques dans nos positions politiques et totalement en retard, murmura Draco.

— Exactement ! Dix points pour Serpentard ! railla Jane.

— Bah alors, si les Moldus sont si forts, on peut la voir, nous, cette planète, hein ?

— Non. Parce que j’ai besoin d’Internet pour ça… Et je doute que vos ingénieurs soient capables d’une telle prouesse pour l’instant. Dans un ou deux siècles, peut-être… »

Certains commençaient à se moquer, d’autres à dire que c’était bien pratique. Harry observait silencieusement son Professeur et repensait à son énervement. Était-elle à ce point touchée par ce qu’il s’était passé à Godric’s Hollow ? Il céda à la curiosité, et leva la main :

« Si ça n’est pas pour parler de l’ordinateur, Monsieur Potter, vous pouvez oublier…

— Non, attendez, je crois que vous devez quand même une explication à votre classe pour vous être autant emportée sur le sujet. Pourquoi…

— Monsieur Potter, soupira Jane, ce qui restait de votre famille biologique a été massacré ce week-end parce qu’une bande de tarés croit encore qu’elle est supérieure à la majorité de la race Humaine. J’aurais cru que vous puissiez comprendre à quel point, nous, les « amoureux des Moldus » puissions commencer à fatiguer des racines primitives de cette guerre. Quant à vous, les Sangs-Purs, j’arrive même pas à comprendre que vous supportiez le massacre de vos frères et sœurs à Godrics’Hollow. Ça n’est pas de l’idéologie, c’est une boucherie. Voilà ce que votre prétendue supériorité est en train de nous apporter à tous : la ruine.

— Et qu’est-ce que vous proposez, au juste ? demanda Draco d’une voix d’où filtrait la colère.

— De vous cultiver, pour changer. De sortir de votre réalité. De vous heurter à des choses qui vous semblent impossibles, et qui peuvent pourtant être imaginées… Voire réalisées.

— Ca va terriblement nous aider à survivre à cette guerre, se moqua le blond.

— Oui, et ça va surtout vous aider à envisager l’avenir. Ce qui aide, définitivement, à vouloir survivre.

— Qu’est-ce que vous comptez faire, au juste ?

— Remercier Monsieur Malefoy pour m’avoir donné cette idée, déjà, et donner 50 points à Serpentard pour la peine. Calmez-vous, je vous explique : vous vous souvenez de ce qu’a dit Draco à propos des radios Sorcières, non ?… Apparemment pas, je comprends que je vous en demande beaucoup aujourd’hui. Alors c’est en fin de compte très simple : je me suis renseignée, et c’est vrai : les radios Sorcières fonctionnent parfaitement sans électricité, et pourtant, elles proviennent bien de la technologie Moldue. J’ai cherché, et ce sont des américains qui ont mis ça au point, une société pour être exacte – et de toute évidence, personne n’a jamais entendu parler de lois contre le monopole économique, mais passons. J’ai contacté l’entreprise MagicWaves, et je leur ai soumis l’idée : pourquoi ne pas faire la même chose avec un ordinateur et un vidéoprojecteur ? Ce n’est pas tout à fait au point, et pour le moment, il s’agit surtout d’une console qui lit les DVD… En fait, ça n’est finalement qu’un lecteur, avec une interface navigationnelle… mais c’est déjà ça… »

Ils étaient tous tournés vers son bureau, certains accrochés au dossier de leur fauteuil en la regardant avec de grands yeux vidés de toute compréhension. Elle esquissa un rictus amusé, et haussa les épaules :

« Laissez tomber l’électronique… Gardez en tête deux choses : premièrement, la magie est une énergie, et MagicWaves l’a compris il y a un moment… Deuxièmement, s’il n’y a pas plus d’adaptation de la technologie Moldue grâce à cela, c’est uniquement parce que, je cite : « le marché n’est pas porteur ». En clair : comme les Sorciers ne sont pas en demande, il n’y a pas d’offre. Je gage qu’après mon cours, quelques Serpentards fortunés vont vite réfléchir à fonder une boîte concurrente et déposeront un brevet pour la machine qui est là. Enfin, si jamais ils font honneur à leur maison et innovent en faisant preuve de plus de deux sous de jugeote…

— Mais de quoi vous parlez, Professeur ? s’agaça Ron.

— Laisse, c’est une affaire de riches…, répliqua Draco qui fronçait à présent les sourcils en réfléchissant.

— Ca, en revanche, le mépris de classe, on en trouve partout…, marmonna Jane en ouvrant un boîtier d’où elle tira un rond plat et brillant qu’elle fourra dans une fente de la sphère. Vous faites perdre dix points à votre maison, Monsieur Malefoy. Je ne tolère pas la discrimination dans mon cours. Maintenant taisez-vous que je lance le film.

Le quoi ?

— Professeur… railla Harry avec un sourire narquois sur les lèvres, allez-vous vous sanctionner pour vos propos discriminants sur les Sorciers de tout à l’heure… ?

— Monsieur Potter, entraînez-vous à l’avenir au Quidditch dans la forêt interdite au lieu de tester ma patience. Ah, ça commence ! »

L’écran fut noir, alors qu’ils étaient tous plongés dans une pénombre manifestement déclenchée par l’engin. Sur le tissu, une inscription bleutée s’afficha pour leur annoncer que c’était « il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine… Très lointaine. »

Harry ricana en se disant que décidément, Smith passait trop de temps avec Snape et que ça commençait sérieusement à se voir. Mais, tandis qu’il allait ajouter mentalement que ça en devenait louche, une trompette lui coupa le souffle, et ses yeux se rivèrent à l’écran alors qu’une inscription jaune avança, lui procurant une myriade de frissons.

À son bureau, Jane sourit en entendant les respirations se bloquer et des exclamations enfantines fuser. Quand même, se dit-elle, qu’est-ce que ça aurait eu de la gueule s’ils avaient eu le temps de développer une projection en 3D… !

 ***

 

Boutique « Strate à Gemmes », Londres, 12h44,

Bien souvent, les adresses les plus prestigieuses se passent de publicité racoleuse et se diffusent par un bouche-à-oreille sélectif. La bijouterie/orfèvrerie « Strate à Gemmes » n’échappait évidemment pas à la règle, et derrière ce jeu de mots à faire pâlir d’envie les coiffeurs les plus excentriques, se cachait en réalité l’un des meilleurs joailliers des deux mondes. Cartier et Tiffany, entre autres, connus chez les Moldus comme les plus grandes maisons de bijouteries étaient en comparaison des vendeurs de breloques en plastique.

Rolland Adroman n’était pas seulement réputé pour sa capacité à sélectionner les plus belles pierres, ni même pour sa connaissance des filons où extraire les éclats magiques les plus recherchés, il était également un dessinateur de talent et ses créations alimentaient les conversations mondaines des mois après leur sortie. Loin de parader sur le Chemin de Traverse, « Strate à Gemmes » était un local coincé entre deux échoppes louches au beau milieu de l’Allée des Embruns. Oui, l’une des adresses les plus lucratives à piller de tout le monde Sorcier se trouvait bien dans l’une des ruelles les plus malfamées de celui-ci. Mais lorsque Adroman avait démarré son affaire, voilà quelques décennies plus tôt, il n’avait ni nom ni sous en poche et s’était contenté bien volontiers de cette bâtisse branlante et puant le rat crevé, car acheté une dizaine de gallions. Soit une bouchée de pain rassis. De fait, l’atelier de ce créateur de génie était involontairement devenu un alibi pour toutes les personnes un peu fortunées venues chiner dans la ruelle sombre.

Cela n’étonna donc personne de voir le Ministre de la Justice s’engouffrer, visage découvert, dans l’Allée des Embruns et se diriger droit vers « Strate à Gemmes ». Quand le blond passa la petite porte noire aux vitres opaques, ni carillon ni chant d’oiseau délicieusement poétique ne retentit. Contrairement aux autres échoppes luxueuses, celle-ci ne s’embarrassait d’aucun décorum pompeux. C’était davantage un atelier qu’une boutique éclairée où s’étalait une quantité folle de bijoux éclatants sur leurs présentoirs. Lucius Malefoy tomba donc directement sur le propriétaire des lieux, le dos courbé sur un ouvrage devant lequel étaient dressées bougies et loupe. Rolland, l’œil droit surplombé d’un monocle épais, scrutait avec attention une pierre somptueuse d’environ 1 pouce et demi, à la robe rouge sang. Le Mangemort siffla d’admiration, en la voyant, avant de saluer poliment son hôte.

« Maître Adroman, veillez me pardonner pour mon intrusion inopportune, je désirais…

— Un instant, Lord Malefoy. » Le coupa le joaillier sans même daigner lui accorder le moindre regard.

Il hocha la tête, puis rajusta son monocle, avant de lever une lame si affûtée qu’un reflet bleuté flottait au-dessus du tranchant. D’un geste assuré, l’artiste tailla la face de la gemme, produisant une poussière écarlate légère. Adroman était en grande partie réputé pour sa faculté à tailler les pierres en perdant le moins de matière. Ce faisant, l’exemplaire qui luisait dignement devant lui avait pratiquement la taille finale. Il hocha une nouvelle fois la tête, puis reposa le monocle et se tourna enfin vers son client.

« Voilà, votre intrusion est pardonnable. »

De son origine modeste, Rolland Adroman avait gardé son ton mordant et quelque peu insolent à l’égard de la bourgeoisie, et ce même si elle payait grassement ses services. Face à un Lord – qui plus est habitué à lui commander des parures complètes – Rolland n’adoucissait certainement pas le ton. Mais Lucius ne lui en tint jamais rigueur, car aux yeux du Mangemort certaines personnes gagnaient, de par leur mérite ou leur Art, le droit d’être odieuses.

« Est-ce un rubis que je vois là ? laissa donc couler l’aristocrate.

— Eh ! Absolument pas. C’est un grenat. Une pièce superbe et d’un éclat rare, je vous le concède, mais je taille un grenat.

— Il est… Il est plus rouge que…

— Aux yeux d’un néophyte, sûrement. Mais il n’est surtout pas à vendre, Lord Malefoy, ce que vous voyez ici est une commande.

— Je vois… Un pendentif ?

— Exact, Lord Malefoy. Une fois la gemme taillée, je créerai une monture.

— De l’or ? demanda avec une curiosité non feinte le blond.

— Non, le client m’a spécifiquement demandé un alliage de plomb et d’argent.

— Curieux… C’est destiné à une œuvre magique ? »

Rolland observa longuement de ses yeux d’un bleu saphir le Ministre, et esquissa un sourire mystérieux en répondant :

« J’ai déjà répondu à votre question, Lord Malefoy.

— Bien… Je ne suis pas spécialiste de…

En effet, c’est pour cela que vous venez me voir. Que puis-je pour vous ?

— Je…, commença Lucius légèrement décontenancé. Je voulais voir vos dernières œuvres libres. Il se trouve que je voudrais…

— Vous devez vous faire pardonner, ou vous désirez seulement remettre un peu de bois dans la cheminée ? »

L’image vulgaire fit hoqueter le Mangemort qui se racla la gorge en faisant tournoyer sa canne d’un geste gêné. Il n’osait plus regarder l’artisan qui semblait boire du petit lait. Préférant porter toute son attention sur les divers colliers et diadèmes, pierres pailletées de métal et lingots en tous genres, Lucius finit par répondre en détournant le visage pour dissimuler un léger rougissement.

« Je n’ai rien à me faire pardonner, Maître Adroman.

Je vois. Sur l’étagère de droite, au-dessus de votre épaule. Dans le coffret en chêne.

— Celui-ci ?

— Non, celui avec le cerclage de cuir, oui, voilà. Dans le sachet de velours mauve. Mauve, Lord Malefoy, pas noir.

— C’est magnifique.

— C’est mon travail, Lord Malefoy. »

Au creux de sa paume, glissée depuis la petite bourse violine, scintillait une bague en or blanc surplombée d’un saphir taillé en ciseaux. Unique pierre aux dimensions généreuses, la gemme était encadrée d’une monture fine toute en arabesques et entrelacs délicats. Lucius sourit au bijou, le visage dissimulé par un rideau de cheveux blonds. Son cœur donna deux gros coups dans sa poitrine, alors qu’il anticipait la réaction de son épouse.

 ***

 

Grande Salle de Poudlard, table des professeurs, 12h54,

« Merci. » Souffla Jane alors que son voisin lui donnait la corbeille de pain. « Vous pouvez aussi me passer la carafe d’eau, s’il vous plaît ?

— Vous allez me faire déplacer la table entière, ou je peux manger en paix, Smith ?

— Oh, ça va, hein… ! C’est juste un petit service, rien de très coûteux non plus, je crois. Vous étiez de meilleure humeur tout à l’heure, qu’est-ce qui vous arrive ?

Tout à l’heure, baissa d’un ton Severus qui ne tenait pas à ce que l’on pose des questions. Je n’avais pas fait cours aux Premières et Troisièmes années. Et tout à l’heure, Smith, ma classe intégrale des Sixièmes années ne promettait pas d’être compliquée.

— Compliquée ? Comment ça ?

— Mais regardez-les donc ! »

Il désigna d’un mouvement de couteau rageur le brouhaha excité qui régnait sur les quatre tables. Des tonitruants Gryffondors aux taciturnes Serpentards, en passant par les gourmands Poufsouffles et habituellement calmes Serdaigles, les élèves concernés babillaient dans tous les sens, se retournant parfois vers la maison voisine pour échanger, semblait-il, des informations de la plus haute importance.

« Tous les lundis, c’est comme ça : après votre cours, ils sont intenables, vous me les rendez… On dirait des…

Des adolescents, je sais, c’est dingue, hein ? D’ailleurs, c’est faux, il est arrivé que l’Histoire Moldue ne les calme. Mais là, je reconnais qu’ils sont en forme…

— J’ai besoin qu’ils soient concentrés ! Mon cours est capital, s’ils ne sont pas attentifs…

— Ca va, ils vont en crever plus tard, j’ai compris, soupira Jane en retirant distraitement la mie de sa tranche de pain. Je fais mon boulot, Severus, si vous n’êtes pas content, voyez ça avec Albus.

— Ca revient à me dire d’en parler avec le Chevalier du Catogan…

Le quoi ?

— Laissez tomber. Le Directeur a bien plus urgent et grave à penser que nos problèmes d’enseignement.

— C’est-à-dire ? tenta la Moldue qui faisait à présent rouler une boulette de mie entre son pouce et son index.

— J’ai dit « Laissez tomber », et laissez cette nourriture en paix, Smith, c’est répugnant. Merlin, mais comportez-vous comme une vraie enseignante ! »

Jane arqua un sourcil interrogateur, avant de laisser tomber la boulette qui roula en direction de l’assiette de Severus. Le Sorcier la chassa d’un geste impatient de la main, et frôla involontairement celle de son amie. Il se raidit, semblant sur le point d’exploser. La Moldue reposa la main fautive sur celle de son comparse, la tapotant doucement.

« C’est bon, la prochaine fois je leur passe un documentaire.

— Vous me compliquez la vie, Jane… Si vous saviez combien vous me la compliquez… »

 ***

Parc de Poudlard, 14h47,

« C’est pourtant simple ! C’est même à votre portée… »

La voix magique de Snape résonna au-dessus des élèves coincés dans ce maudit labyrinthe. Cette fois-ci, il les avait fait entrer dans les rayons feuillus par groupe de sept, baguette en main, avec pour seule consigne de « survivre aux obstacles et arriver au centre sans la moindre blessure ». De toute évidence, le Professeur de Défense contre les forces du Mal gardait un œil sur eux, car c’était la troisième réflexion sarcastique du genre dont il les gratifiait. Ron jeta un regard las à ses amis, et releva la baguette, répétant la formule en direction du Filet du Diable qui bloquait le passage :

« Flammis vivere ! »

Une flammèche verte s’échappa de la baguette du roux pour filer à toutes allures en direction de la plante, mais avant même de se jeter sur ses branches et la dévorer, elle ralentit sa course et préféra grignoter les plantes grimpantes qui tenaient lieu de murs au labyrinthe.

« Pathétique… Si vous ne maîtrisez même pas ce genre de feu, n’espérez pas…

— Mais merde à la fin ! Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on apprenne tous seuls à nous battre ?! cria Ron au bord de l’hystérie. »

Il eut une sorte de fumée noire qui les enveloppa, Harry redressa sa baguette et se mit en position d’attaque tandis que Ron se rapprocha d’Hermione d’un geste apeuré. L’instant d’après, le trio, ainsi que l’ensemble des autres élèves de la sixième année, se retrouvèrent le cul trempant allègrement dans une herbe humide et glacée, à l’extérieur du terrain. Face à eux, enroulé dans sa cape d’hiver, Snape les toisait d’un regard de rapace. Ron déglutit péniblement, mais soutint son regard.

« Oui, Monsieur Weasley, vous devez apprendre de vous-mêmes, car personne d’autre ne peut le faire à votre place…

— Et à quel moment vous faites votre job, eh ? coupa le Gryffondor furieux, sourd aux murmures d’apaisement du Survivant.

— Retenue, Weasley, et vingt points de moins. Retenue avec Monsieur Rusard, bien entendu… Quant à mon « job », comme vous dites, quelqu’un peut-il l’expliquer… ? Vous, peut-être, Potter ? »

Il dévisagea méchamment le brun, mais ce dernier ferma simplement les yeux et répondit loyalement :

« Non, Monsieur, je n’ai pas davantage compris.

— Vingt points de moins également, alors… Monsieur Malefoy ? se tourna Snape rapidement.

— Vous le faites en nous mettant en situation.

— Certains ont l’intention de survivre à cette guerre… Trente points pour Serpentard.

— QUOI TRENTE-POINTS ?! C’est injuste ! J’ai perdu…

— Le sens commun, de toute évidence, maîtrisez-vous Weasley ! C’est ce qui vous fait défaut pour contrôler ce feu.

— Professeur ? » Tenta Hermione en levant la main et en se donnant la parole, car elle savait parfaitement qu’il ne l’aurait pas fait. « Pourquoi nous étudions les flammes vivantes si vite, d’après le livre nous devrions…

— Si vous préférez apprendre auprès d’un livre, Miss Granger, vous pouvez quitter mon cours. » Coupa Snape de sa voix doucereuse.

Harry fronça les sourcils, sentant la tension magique tout autour d’eux et ses poings se serrer. Il n’avait plus eu envie de s’en prendre à l’espion depuis un moment, mais son attitude menaçait sérieusement ses bonnes résolutions. Le Survivant inspira doucement pour se calmer. Mais qu’avaient donc tous leurs profs aujourd’hui à les invectiver violemment, ou à être totalement passifs ?! D’abord Smith, et maintenant Snape ! Quant à Flitwick, il avait passé l’heure à leur faire travailler des sortilèges d’allégresse, et Slughorn à… Harry écarquilla les yeux et coupa à voix haute ce qui menaçait d’être encore une perte conséquente de points pour sa maison :

« Les Inferis ! Vous nous faites ch…

Potter…

— … hum travailler sur le feu à cause des Inferis ! »

En face de lui, accolé par ses comparses verts et argents, Draco Malefoy opina du chef en pinçant des lèvres. Il était arrivé à la même conclusion, et bientôt, certains Serdaigles l’imitèrent gravement. Snape releva lentement le menton en fixant intensément le fils de sa Némésis. L’homme en noir agita doucement sa baguette au-dessus de lui, et une aura ambrée tomba sur eux, les réchauffant instantanément. Même à cette heure, de la brume se formait en gros nuages sur le parc, et malgré leurs exercices et leur énervement, les jeunes gens commençaient à se glacer.

« Il vous arrive donc de comprendre mes cours, Potter. J’espérais, en effet, estimer vos chances si d’aventure…

— Vous croyez que Vous-Savez-Qui va encore… murmura Hannah, en coulant un regard instinctif à Neville.

— Non, je ne le crois pas. J’en suis certain. Les Inferis sont une spécialité des Mages Noirs. Lors de la Première Guerre, expliqua Severus en commençant à se mouvoir comme s’il était en classe, le Seigneur des Ténèbres a eu particulièrement recours à cette magie nécrotique. Quant à l’âge sombre précédent, ceux qui ne se contentent pas des répétitions du Professeur Binns et qui lisent un minimum leurs livres d’Histoire, savent que Gellert Grindelwald avait pour habitude de créer des escouades de cadavres et d’attaquer avec.

— Justement, Professeur, se permit encore Hermione, j’ai toujours cru que c’était des exagérations d’historiens… Des escouades entières ? Il faudrait une concentration…

— Il le faut, en effet. Créer un Inférius est un processus complexe qui, une fois mis en place, demande de la vie pour se maintenir… Ou se réactiver.

— Se réactiver ? intervint Neville en surprenant tout le monde.

— Oui, Monsieur Londubat. « Se réactiver ». Quand un corps est profané, il reste à jamais l’esclave du Sorcier qui s’en est servi. Même si la source de la vie n’est plus à portée, il suffit d’un peu d’essence pour faire relever les morts une seconde fois. La seule façon de remettre un corps dans sa tombe est de tuer son invocateur. Mais… Même dans ces cas-là… »

Snape leva les yeux en direction de l’Élu, et tout le monde compris où il voulait en venir. Les détails n’avaient pas manqué de filtrer dans les différents journaux. Les plus sordides avaient même fait l’objet d’une attention toute particulière, à l’exception peut-être du Chicaneur qui avait tenu à respecter le deuil des familles. Ainsi donc, tout le monde savait ce que les Mangemorts avaient créé à Godric’s Hollow, et ce qu’ils en avaient fait. Harry replaça une mèche de cheveux pour dissimuler sa peine, et il hocha la tête d’une façon qu’il espérait noble.

« Même dans ces cas-là…, chercha-t-il à continuer d’une voix blanche, je suppose qu’ils gardent une sorte de marque sur eux, c’est cela ?

— La Magie Noire laisse toujours des traces, Monsieur Potter. »

Sans savoir pourquoi, le Gryffondor sentit que Snape n’avait pas répliqué ça au hasard, et cela le mit particulièrement mal à l’aise. Instinctivement, il porta la main à sa cicatrice.

« Par exemple. » Confirma son enseignant brutalement.

Harry déglutit, les paroles de la prophétie lui revenant en tête « Le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal… ». Il leva les yeux vers Snape, et sentit une intrusion dans sa tête. Severus ne pipa mot, et personne ne perçut la légère tension qui se fit dans leurs deux corps. L’espion cligna des yeux, et poursuivit à l’attention de la classe :

« Mais aussi complexe que soit ce sortilège, un corps mort reste mort, et il n’y a aucun moyen de le prémunir de la morsure du feu… Voilà pourquoi vous avez intérêt à maîtriser le sortilège de flammes vivantes ou bien je vous colle un devoir de quatre rouleaux de parchemin à me rendre sur l’Inferius. Mettez-vous par deux. Non, je me fiche de savoir avec qui, contentez-vous de vous dépêcher. »

Snape leur laissa moins de deux minutes pour obtempérer, et agita la baguette. Chaque binôme vit un petit bocal en verre se matérialiser au milieu des deux élèves. Neville attrapa celle qui flottait face à lui, un brin surprit, et Harry haussa les épaules en réponse.

« L’un de vous va tenir le bocal, l’autre va invoquer une flamme vivante, et chercher à la rentrer dedans. S’il échoue… Eh bien… Il vaudrait mieux pour son comparse que cela ne soit pas le cas… »

 ***

 

Couloirs de Poudlard, 18h15,

Snape referma le bureau de Minerva en soupirant de lassitude. Avec les exploits de Seamus Finnigan, il avait été obligé de rendre des comptes à la Directrice de Gryffondor, et de lui expliquer pourquoi trois de ses élèves se trouvaient à l’infirmerie pour brûlures sérieuses. Trois élèves, dont Dean Thomas, son partenaire d’exercice, qui avait dû nécessiter l’intervention directe de l’espion. Les accidents et les blessures étaient monnaie courante à Poudlard, mais ce genre de problèmes n’arrivait d’ordinaire qu’à Harry Potter. Pas aux autres élèves… Mais voilà, Severus Snape était devenu Professeur de Défense contre les Forces du Mal, et en à peine deux mois, avait prouvé que le faux-Maugrey était un exemple de douceur et de pédagogie. Quand Snape avait dû interrompre le cours pour porter les gamins à l’infirmerie, la centaine d’autres élèves avait eu l’occasion de se lancer dans un débat incompréhensible et invraisemblable. A son retour, l’espion les trouva en train de disserter sur la prétendue supériorité des Sorciers sur les Moldus, sous prétexte que les premiers pouvaient relever les morts. Il avait écourté la leçon quand Johanna Robins avait traité Damian Longes « d’abruti-congénital », parce que celui-ci aurait suggéré que les Moldus, eux, maîtrisaient…

« Merlin, qu’est-ce que c’était leur histoire ? » Demanda à voix haute Snape en s’arrêtant soudain dans les couloirs. « Une force, ou quelque chose dans le genre… ». Se souvint-il en levant les yeux au ciel. Il les avait même entendus évoquer un recours probable de Smith, qui pouvait manifestement trancher l’épineuse question. Sans chercher particulièrement à comprendre, Severus était pratiquement certain que tout ceci avait un rapport avec le cours qu’elle leur avait donné plus tôt. L’homme en noir grimaça en passant devant la porte de la salle de cours incriminé, mais stoppa net, les yeux écarquillés. Il jeta un coup d’œil à droite, un autre à gauche, puis une fois qu’il était certain d’être seul et qu’on ne le verrait pas faire, il posa son oreille contre le bois de la porte pour écouter attentivement. Étouffée, une voix d’homme puissante chantait son invincibilité, ou quelque chose approchant. Severus tira sa baguette et fit ouvrir la porte légèrement d’un informulé. Là, dans l’entrebâillement, ce qu’il vit et entendit réclama tout son entraînement d’espion pour ne pas s’exclamer, ou éclater de rire…

« Yeah, I’m a rocket ship on my way to Mars… On a collision course !  I am a satellite, I’m out of control…»

Mêlée à la voix d’homme, la voix de Jane s’essoufflait sous la prononciation rapide. La batterie marquait le temps, accompagnée de la basse qui semblait anormalement élevée. Severus fronça les sourcils et poussa légèrement la porte encore, se glissant silencieusement dans la salle. Au milieu des fauteuils, en train de les tirer vers l’arrière, remuant hanches et chantant à tue-tête, la Professeur d’Etude des Moldus se faisait manifestement un petit plaisir :

« Oooh… ‘am a sex machine ready to relooooad ! » Cria-t-elle aux vieilles pierres en donnant quelques coups de hanches évocateurs. « Like an atom bomb about to… Oh oh oh oh oh explooooode !!!! »

Quand les coeurs reprirent pour accompagner Fredy Mercury, Jane tourbillonna sur elle-même en chantant, un grand sourire accroché au visage qui se figea immédiatement lorsque le regarde de la Moldue croisa celui du Sorcier.

« Oh, I’m burnin’ through the sky, yeah ! »  continua Fredy en solo, alors que Jane restait muette d’horreur.

Severus s’approcha lentement du bureau de l’enseignante, un rictus goguenard destiné à la jeune femme, et au lieu d’appuyer sur le gros bouton qui dépassait de l’étrange sphère – ce qui aurait été le premier réflexe de quelqu’un découvrant le rock balancé à pleine puissance… Il préféra prendre appui contre le meuble et intimer Jane à continuer.

« Don’t. stop. Me. Now ! I’m having such a good time »

Le rictus de l’espion devint un sourire clairement moqueur, ce qui acheva de rendre écarlate sa collègue. Elle sembla soudain retrouver l’usage de ses jambes et se précipita sur la petite boule avec son fil – la souris apprendra-t-il – pour arrêter la musique. Puis, quand Queen cessa d’enchanter les oreilles du Sorcier, elle lui lança un regard si menaçant qu’il ricana :

« Pas. Un. Mot, exigea-t-elle.

— J’avais surtout l’intention de regarder… »

Jane rougit davantage si cela eut été possible, et retourna à ses chaises pour les remettre rageusement au fond de la classe. L’espion l’observa faire quelques secondes, avant de craquer :

« Je préférais quand vous remuiez le…

— Ne me cherchez pas, Severus !

— Je peux remettre ce que vous qualifiez de musique, si vous voul… »

Il se tut quand elle se retourna, avec une lueur dans le regard qui lui suggéra de ne pas aller trop loin. Quand la Moldue s’approcha de lui lentement, il eut l’impression d’être une proie face à un félin joueur.

« Encore une allusion à ce qu’il s’est passé ici, et je vous mêle à mes étranges activités…

— C’est-à-dire… ?

— C’est-à-dire, murmura-t-elle en s’approchant tant qu’il en rougit à son tour. C’est-à-dire que si je relance la musique, je vous entraîne avec moi. »

Snape ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle leva un index impérieux et menaçant en direction de la souris.

« Merlin, vous ne bluffez pas…

— Vous m’avez déjà vue danser, Severus, vous savez que je peux tenir une nuit entière…

— … Ne me faites pas une promesse que vous ne pouvez pas tenir. » Répliqua-t-il comme satisfait d’avoir pu retourner à son compte cette phrase.

Jane cligna des yeux, et après un instant d’incompréhension, son regard se fit rieur, alors qu’elle se souvenait d’avoir été la première à dire cela. Elle éclata de rire, et lui donna un coup d’épaule :

« Aller… Aidez-moi.

— Certainement pas. » Se leva Snape, et quand il atteignit l’entrée, il se retourna. « Les Sixièmes années racontent que les Moldus maîtrisent une force, qu’est-ce que c’est que cette histoire, Smith ?

— Pas « une », « La ». Je vous aurais bien expliqué, mais j’ai une salle à remettre en ordre… »

L’espion pinça des lèvres, et après une hésitation, referma la porte devant lui, avant de retrousser ses manches.

 

  ***

Manoir Malefoy, Salle de réception, 19h22,

Lucius ne répondit pas à la question de l’elfe de maison, et se contenta de retirer son manteau et de le lui confier négligemment, ainsi que sa canne. La créature s’inclina profondément en répandant d’immenses remerciements auxquels l’aristocrate ne prêtait aucune attention. Ses yeux gris acier étaient au contraire fixés en direction de l’arche qui ouvrait sur la salle de bal, et d’où provenait une jolie musique de chambre. Il n’était pas rare, à cette heure, que son épouse s’y trouve, soit pour y jouer d’un des nombreux instruments qu’elle maîtrisait, soit pour… Lucius sourit et s’avança silencieusement pour confirmer ses espérances. Dans la somptueuse pièce éclairée subtilement par des chandelles orangées, au milieu des instruments qui jouaient magiquement, Narcissa se mouvait, faisant onduler les voiles de sa robe vaporeuse, une étoffe négligemment coincée sur les coudes, dénudant ses épaules et tombant au creux de ses reins.

L’habituellement austère Sorcière avait détaché ses cheveux et les laissait ondoyer dans des boucles blondes qui reflétaient la lumière. Elle dansait, au rythme des notes de la harpe, et son mari resta un instant interdit, laissant son regard s’abîmer dans ces mouvements lents et hypnotiques. Elle ne paraissait pas l’avoir remarqué et Lucius en profita pour avancer discrètement, jusqu’à pouvoir déposer une main sur chacune des hanches de sa femme. La blonde frissonna en sentant le souffle de son époux dans son cou, puis elle leva un bras derrière elle pour lui caresser le visage. Fermant les yeux, elle laissa ses doigts remonter le long de la tempe du Mangemort et s’enrouler autour d’une mèche de cheveux. Lucius effleura du bout des lèvres son oreille, et, toujours dans son dos et tenant fermement sa taille, il commença à accompagner ses mouvements pour entrer dans la danse.

Comme saluant cette initiative, la musique reprit de l’entrain, et accéléra le rythme, proposant aux deux amants de tournoyer en cercles amples et synchronisés au centre de la pièce. Ils allèrent à gauche, s’attardèrent à droite, s’arrêtèrent lorsque les archets des violons glissèrent sur les cordes en symbiose avec les gestes de l’homme. Elle se cambra, offrant sa gorge et le laissant la guider d’une main nichée au creux de son dos. Il prit sa main droite dans la sienne pour y déposer un baiser, le regard embrasé par la vue qu’elle lui offrait. Narcissa sourit en réponse aux étoiles qui clairsemaient le ciel magique de la salle. Quand la harpe reprit sa valse hésitante, Lucius glissa délicatement la bague qu’il avait achetée à l’annulaire de sa femme, puis il la releva et pivota pour lui faire face. Les volets azur virevoltèrent autour d’elle, et ses yeux s’agrandirent de surprise mêlée de joie. Le Mangemort entoura sa taille, et prit sa main gauche dans la sienne. Quand il relança la danse d’un mouvement de hanche, la blonde reposa avec grâce sa main sur son épaule, et l’éclat bleu intense du saphir lui tira un sourire resplendissant.

La musique accéléra, le couple accompagna le mouvement, tourbillonnant dans cette salle qu’ils habitaient de leur seule passion.

D’acier & de Plume

La pluie tombait sans discontinuer, s’abattant avec fracas sur la chaume, ruisselant sur la cheminée de la forge, gouttant abondamment le long de l’auvent qui s’ouvrait sur la rue. Elle tombait si fort, que le sol boueux s’éclatait à chaque impact, clapotant bruyamment dans tous les sens, produisant un roulement assourdissant.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG ! »

Sous le ciel furieux vrombissait une averse, sous le toit brûlant de la forge rugissait un marteau.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG ! »

Le bras s’armait et se contractait, puis s’abattait avec force et rapidité. La tête du marteau beuglait un cri de guerre avant de plier à sa volonté la barre de fer qui, elle, protestait sous les assauts rythmés. Un coup sec et sonore sur l’enclume sonnait la charge, trois coups nets sur la tige, un double-coup léger sur l’enclume pour clôturer. Et l’on recommençait.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG ! »

Une longue mèche de cheveux s’échappa de son bandeau de cuir, et caressa un instant le bras qui ne faiblissait pas. C’était un mouvement particulièrement anachronique, un mouvement lent et doux qui contrastait nettement avec la rigueur brute que faisaient marteau et bras. Le forgeron l’ignora, comme on ignore les suppliques d’une femme avant de partir en guerre. La guerre, voilà sa seule épouse, sa seule enfant. Non pas comme un soldat qui l’étreint jusqu’à sa mort, non pas comme un roi qui l’esquisse sur une carte en déplaçant ses pions. La guerre était pour lui son commerce, son lit, son refuge, sa vocation.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG ! »

La lame prenait lentement forme. Dehors, le tonnerre retentit, l’écho faisant trembler le clocher de l’église. On aurait dit que les dieux étaient en colère, que Thor foudroyait les cieux de son arme légendaire.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG ! »

Sous cet orage, il répondait à ce courroux divin, il se faisait pourvoyeur de la vengeance cosmique. Il était l’artisan d’Ásgard, il s’imaginait Völund.

Et ni le marteau ni l’enclume ne trouvèrent à redire à ses prétentions.

Garin de Mortelune était le forgeron le plus doué à des lieues à la ronde, sa renommée allait jusqu’au Duché voisin et faisait l’orgueil de son Seigneur. Quant au village où il officiait, ce dernier empochait avec grand plaisir les dépenses des clients étrangers venus spécialement pour s’offrir une lame, tandis que dames et damoiseaux cancanaient très abondamment à propos de la vigueur observée. Vigueur qui ne faiblissait jamais : du matin au soir, il frappait avec entrain son instrument, peu importait le froid qui gelait les peaux sur sa devanture, peu importait la rumeur chaleureuse d’une fête estivale. Garin Mortelune fascinait par sa constance, la beauté de ses gestes, l’équilibre de son visage, la carrure de l’homme. Il était hors de leur temps, hors de leur race, il était ce marteau et cette enclume.

Il était pour eux Völund, et Garin Mortelune ne trouva jamais à redire à cette comparaison.

« BING ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG-DABANG !

— Piou ! »

Dans cette cacophonie, le forgeron n’entendit pas nettement cet étrange bruit cristallin, préférant garder le rythme, rosser la lame qui en rougissait de plaisir. Une deuxième mèche de cheveux s’échappa de son bandeau et s’enroula avec délicatesse autour de son poignet. Garin esquissa un rictus, il savait ce qui avait provoqué le bruit. Une des jeunes filles était encore plantée devant son comptoir, à le fixer avec de gros yeux enamourés, soupirant à chaque mouvement qu’il imprimait… Il ne daigna pas lever les yeux, n’accordant son attention qu’à son œuvre. La jeune fille finirait bien par partir, une fois lassée de prendre la saucée de sa vie dans le vague espoir qu’il la fasse rougir à son tour. Le forgeron redoubla d’ardeur, chassant à coups de marteau cette nouvelle prétendante dont il n’avait que faire.

« BING ! BANG ! BANG ! BA…

— Piou !

— BANG ! BANG-DAB…

— Truliou-Piou !

— …BUNK ? »

Le marteau rata la lame et frappa l’enclume. Garin fronça les sourcils et releva lentement la tête pour observer avec curiosité la source de cet étrange bruit. S’approchant à petits sauts hésitants, un magnifique rouge-gorge piaillait doucement. Le forgeron reposa lentement son marteau, observant la créature tourner et retourner sa tête dans sa direction avec un air interrogateur. Les plumes de l’animal étaient toutes ébouriffées, son poitrail écarlate tout en désordre, et par-dessus ses gros yeux noirs, une grosse goutte ruissela pour lui retomber sur le bec. Le rouge-gorge piailla une nouvelle fois, et de la façon la plus naturelle qu’il soit, Garin s’écarta, ouvrant la main en direction du foyer incandescent.

« Oui, bien sûr… » S’entendit-il répondre à la demande muette de l’animal, la voix rendue rauque par son manque de conversation.

Il se sentait stupide à cet instant, invitant un oiseau à sa forge, lui parlant comme s’il s’agissait d’un…

« Trupiou-pipou !

— Je t’en prie… »

Le rouge-gorge s’ébroua avec joie, et sautilla en direction du brasier. Il sembla danser un moment sur lui-même, étirant tout d’abord l’aile droite, écartant toutes ses plumes comme on déploierait des doigts, puis il proposa la gauche. Il secoua la queue, dansa encore quelques minutes devant la flamme chaleureuse, avant de s’arrêter et de se tasser sur lui-même, rentrant totalement son cou dans son petit corps, comme se glissant sur une épaisse couette duveteuse. Là, l’oiseau ferma les yeux un instant, et Garin eut l’impression de le voir sourire de contentement.

« Piou.

— De rien. Eh bien… Fais comme chez toi, je vais reprendre le travail.

— Piou.

C’est ça. »

Quelque peu interloqué, le forgeron replaça maladroitement ses mèches folles derrière son bandeau, et reprit son marteau d’un geste qu’il eut pour la première fois d’hésitant. Dans cette douce chaleur et à l’abri de l’orage, il sentit une légère pointe au cœur à l’idée de rompre le quasi-silence des lieux avec quelque chose d’aussi brutal que son art. Garin jeta un œil incertain à l’oiseau qui gardait résolument les siens fermés. Et s’il prenait peur et s’en allait ? La tête de métal s’abattit avec force sur la lame, une gerbe d’étincelles fusa, menaçante. Le feu sacré reprenait de la vigueur, il ne pouvait s’éteindre.

« BING !

— Piou !  »

Garin s’arrêta immédiatement, observant l’animal qui n’avait pas bougé d’une plume. L’homme fronça les sourcils, et leva une nouvelle fois son marteau, fixant l’oiseau à côté de lui.

« BANG !

— Pipou ! »

Le rouge-gorge avait tressailli lorsque marteau et enclume s’étaient rencontrés, mais il ne s’était ni envolé ni avait daigné ouvrir les yeux. Il se contentait de rester campé sur ses deux pattes, yeux fermés, bec s’ouvrant brièvement avec sérieux pour proposer cette note. Tout tassé sur lui-même, la poitrine gonflée comme par l’orgueil de donner une représentation unique, l’oiseau semblait se tenir prêt. Le forgeron ouvrit la bouche, incrédule, puis la referma, comme pris d’une soudaine inspiration. Il reporta son attention sur son ouvrage, et leva lentement le marteau. L’oiseau ébouriffa ses plumes, et inspira profondément :

« BING ! Piou ! BANG ! Pipou ! BANG ! Pipou ! BANG ! Pipou ! BANG-DABANG ! Truliou-Piou ! »

Garin Mortelune éclata de rire, un son qu’on n’entendait jamais à la forge. Un son qui se mélangeait parfaitement à la mélodie de l’enclume et de l’oiseau. Il leva à nouveau le marteau, et recommença.

Derrière le rideau d’eau, sous une petite devanture de chaume et de bois, dans un quelconque village coincé dans une quelconque vallée, Völund riait en forgeant, un rouge-gorge l’accompagnant de son chant.

Chapitre Bonus – Probabilités

Note : Pour remercier les lecteurs et les reviewers, car sur le site « FFNET » l’histoire est arrivée à 500 reviews, j’ai conçu ce petit chapitre bonus.

Alors… En attendant les 1 000 reviews, voici pour la 500ème un court chapitre qui raconte la conversation entre Albus et Severus, lorsque le premier annonce son plan au second. Cela raconte le court instant avant que « La Moldue » ne rencontre « Le Sorcier »… J’espère que cela vous amusera. En attendant : Merci à toutes et tous de faire vivre cette histoire, et très bonne lecture !

 

Chapitre Bonus : Probabilités

 

« J’ai l’intention de renforcer les protections de Poudlard. Les élèves sont en grand danger, que cela soit ceux d’origine moldue ou les proches d’Harry. Par ailleurs, il ne m’étonnerait guère que Tom tente quelque chose contre sa vieille école.
— À cause de son droit de propriété ? demanda Snape, en plissant des yeux.
— Précisément ! Si Poudlard cherchera toujours à protéger ses étudiants, l’école ne peut pourtant pas s’opposer trop longuement à la volonté de ses propriétaires légitimes. Voldemort a imprimé sa marque en ces lieux et gardera toujours une certaine emprise sur eux, ajouta Dumbledore, semblant signer ici une référence précise à un élément inconnu du Potionniste.
— Et que comptez-vous faire pour remédier à cela, Albus ? Ouvrir aux enchères Poudlard pour lui trouver de gentils acquéreurs ? Vous lancer dans une quête épique à la poursuite des autres descendants ? »

Le Directeur éclata bruyamment de rire, déclenchant une vague de frustration de la part de son collègue qui détestait avoir la désagréable impression de ne jamais rien savoir. Snape le laissa à son hilarité, touillant d’un air boudeur son thé, et attendant, avec le peu de patience qu’il lui restait, de pouvoir enfin prendre ses vacances. Mais le vainqueur de Grindelwald détruisit à néant tous ses rêves de paix, en même temps qu’il aiguisa sa curiosité :

« Mon garçon… Ma quête épique est terminée. Nous partons sur-le-champ pour ramener l’héritière de deux maisons ! »

L’espion avala son thé de travers, et fronça les sourcils en jetant un regard incertain à son mentor par-derrière la petite tasse brûlante qui menaçait désormais de s’échapper de ses mains. Il tremblait légèrement, et cela acheva son humeur déjà bien massacrante. Les pensées tourbillonnaient dans sa tête. Était-ce parce que le vieil homme parlait d’une personne issue de deux hauts-lignages ? Parce qu’il semblait manifestement acté que c’était à lui de s’en charger… ? Ou tout simplement parce que c’était une femme, car l’homme en noir voyait mal comment convaincre ce qui devait probablement être une mère et une épouse de tout quitter pour les aider. En lieu et place de ses inquiétudes, il opposa à son supérieur un rictus dédaigneux, et susurra :

« Deux maisons… Rien que cela.

— C’est inespéré, n’est-ce pas ?! s’exclama le mage blanc manifestement sans relever le sarcasme. J’ignore si Tom a conscience de son pouvoir sur Poudlard, peut-être seulement a-t-il cru qu’être l’héritier de Serpentard justifiait à lui seul sa capacité à se mouvoir ici ? Quoi qu’il en soit, après des années de recherches, et quelques dernières semaines intensives, j’ai enfin trouvé un moyen de parer à cette éventualité.

— Et quelles maisons sont concernées, je vous prie ? Serpentard me semble exclu, n’est-ce pas ?

— Et pourquoi pas ? rétorqua malicieux Dumbledore. Les lignées se mélangent, entre elles… Entre d’autres personnes…, ajouta-t-il en se resservant abondamment du sucre. Mais je préfère taire cette information, vous le découvrirez bien vite.

— Ce n’est pas un jeu, Albus.

— Pourquoi pas, répéta-t-il. Vous voulez parier une nouvelle fois, mon garçon ? »

Snape soupira bruyamment par les narines et reposa sèchement sa tasse sur le bureau. Il jeta un regard en direction de la fenêtre, son masque affichant un dédain et un ennui qui auraient à eux seuls mis mal à l’aise n’importe qui. Mais Albus Dumbledore n’était pas n’importe qui, et du reste, le Directeur de Serpentard le soupçonnait d’au contraire prendre un malin plaisir à déclencher ce genre de réactions chez lui. Sans même lui accorder un regard, il ne put s’empêcher d’attaquer brutalement la seule question qu’il y avait à se poser :

« Et pourquoi est-ce moi qui vous accompagne ?! »

Les yeux bleus pétillèrent de malice derrière les lunettes en demi-lunes et Severus comprit que quelque chose n’allait pas. Il inspira profondément et articula lentement, comme s’adressant à quelqu’un d’éminemment stupide :

« Monsieur le Directeur, pourquoi mon instinct me souffle qu’il y a un problème dans votre plan, et que vous allez – comme toujours – me charger de palier les conséquences de ce problème… ?

— C’est pour cela que j’ai tant confiance en vous, mon ami. Parce que…

C’est ça. Allez droit au but : elle a des gosses, et je vais devoir les endurer cet été comme un garde-chiourme que je ne suis définitivement pas.

— Non.

— Un mari, alors ? Un mari qu’il va falloir convaincre, et vous craignez de ne pas être capable de faire ce qu’il faut, alors vous m’envoyez, moi le Mangemort, m’en charger…

— Non. Et Severus, vous n’êtes pas…

— Tssk, tssk. Une étrangère ?

— Non.

— Une estropiée ?

— Non.

— Ah… Une hybride, peut-être ?

— Non.

— Alors une Cracmolle… ?

— Heu… Non. »

Snape secoua la tête, reportant toute son attention en direction de la fenêtre, puis des étagères, du phoenix qui dormait sur son perchoir ; avant de glisser un œil à la ribambelle d’objets divers et étranges dont la plupart restaient encore un mystère pour lui. Il cherchait l’inspiration, un indice. Du coin de l’œil, il vit le Directeur se tordre légèrement les mains, et il repassa mentalement leur conversation. Là, arrivé à la dernière question, Severus se retourna vivement, la bouche entrouverte dans une expression de stupéfaction muette. Le vainqueur de Grindelwald pinça légèrement les lèvres derrière sa barbe, déclenchant un grognement chez son vis-à-vis.

« Vous plaisantez, Albus…

— Je crains que non… Le problème est que c’est une Moldue. »

Severus se leva, s’échappant en direction de la fenêtre. La nuit était tombée depuis quelques minutes, déjà, et le parc s’illuminait peu à peu de petites lucioles qu’il savait aimer se promener en été. C’était pire que tout ce qu’il croyait, bien pire… Le vieillard était en train de perdre la tête.

« Êtes-vous certain de vous ? lui demanda-t-il en lui tournant le dos.

— Oh oui ! Elle vit dans le Londres Moldu, a un travail incompréhensible et…

— Non, pas qu’elle soit Moldue. Que deux lignées de grands Sorciers se terminent par…

— Ah… Oui. Oui, absolument certain, mon ami.

— Mais… Elle a des pouvoirs, n’est-ce pas, quelque chose ?!

— Eh bien…, commença le vieux Directeur en faisant naître une once d’espoir chez son cadet. J’ai cru comprendre que Miss Smith était plutôt débrouillarde et intelligente. Je crois qu’elle ne s’en sort pas trop mal dans sa vie… Ses parents…

— Vous n’y pensez pas, Albus ! le coupa l’espion. Vous croyez qu’on va prendre une… Non. C’est incroyablement fou, même pour vous.

— Mon ami… Vous me faites confiance ?

— J’en doute.  Vous me dites que nous devons kidnapper une Moldue, la ramener ici, et espérer que son sang suffise à donner une minuscule protection supplémentaire à Poudlard ? Que nous allons prendre tous ces risques seulement pour une possibilité – dont on pourrait se passer ?

— Nous n’allons pas l’emmener de force. Et oui, Severus, nous allons prendre tous ces risques, car il peut être au contraire très utile d’avoir quelqu’un de sa… nature avec nous. Qui sait ce qu’elle pourrait nous apporter ?

— Des ennuis. »

Le Directeur pouffa de rire, et fit disparaître le plateau d’argent d’un coup de baguette. Il se leva, contourna son bureau, et posa une main sereine sur l’épaule de son protégé.

« Allons, Severus… Ne partez pas immédiatement défaitiste, cette histoire pourrait bien vous plaire !

Certainement pas. Et je ne suis pas défaitiste, je suis factuel : en m’obligeant à repousser mes vacances et à m’embourber à Londres, cette Moldue m’apporté déjà des ennuis.

— Si vous préférez le voir comme ça… Moi j’y vois une belle aventure. » S’amusa le vieil homme en agitant sa baguette.

Avant d’être le Directeur de Poudlard, Albus Dumbledore avait enseigné la Métamorphose. Pas seulement parce qu’il était particulièrement doué dedans… Non, parce qu’Albus Dumbledore adorait changer l’aspect et l’ordre naturel des choses. Severus s’en rappela lorsque la magie puissante et pleine de malice tournoya autour de ce grand Sorcier, pour le faire disparaître dans un épais nuage mauve zébré d’éclairs bleutés et argentés. Snape haussa les yeux au ciel. Il n’était pas nécessaire pour une métamorphose que de grands arcs de magie soient déployés. Encore moins qu’une fine pluie de paillettes tombe autour d’eux. Mais Albus aimait par-dessus tout ajouter à la magie, un peu plus de magie, comme il disait.

Quand le nuage se dissipa enfin, le Directeur de Poudlard portait un costume Moldu entièrement mauve, dans un tweet doublé de velours luisant, d’où scintillaient tous fiers une multitude de strass ridicules. Ses longs cheveux étaient attachés dans un catogan bas, tandis que sa barbe reposait sur son ventre, impeccablement brossée. L’espion arqua un sourcil moqueur qui s’affaissa immédiatement quand le mage blanc releva sa baguette, cette fois-ci dans sa direction.

« NON ! Certainement pas ! » Esquiva habilement Severus qui agita la sienne avec fureur.

Dumbledore sembla profondément déçu de ne voir ni couleurs, ni fanfreluches sur ce simple et dramatique costume noir à veston. L’espion jeta dessus un manteau à la coupe sévère, remontant le col jusqu’à caresser ses mâchoires, et il lança une œillade mauvaise à son supérieur.

« Ne vous avisez jamais de toucher à mes vêtements.

— … Je voulais vous aider, Severus.

— C’est ça. Si nous nous changeons immédiatement, c’est bien que nous allons devoir…

— Oui, venez. Je voudrais observer un peu les lieux avant d’entrer directement chez elle.

— Parce que ça n’est pas déjà fait ?! »

***

Quand ils transplanèrent au centre-ville de cette maudite capitale, une pluie battante et glacée les cueillit, avant que la moiteur de la foule ne les étouffe rapidement. Apparus dans une ruelle adjacente à une artère grouillante de vie, les deux Sorciers pouvaient percevoir la cacophonie incroyable de Londres, sa puanteur, son effroyable cœur qui ne cessait jamais de battre. Bien qu’essentiellement Moldu, l’endroit pulsait d’énergies que l’on nommait « ondes ». C’était une des raisons pour lesquelles les Sorciers détestaient déambuler dans les parties Moldues de la cité : la ville semblait coincée sous un dôme puissant d’ondes invisibles. Comme une sorte de toile d’araignée dans laquelle le Sorcier se retrouvait alors englué. Une mouche, dans un piège qui le dépassait.

Sensibles à la magie, les lanceurs de sorts l’étaient plus encore aux champs électromagnétiques. Le bourdonnement qui commença à assourdir l’espion lui tira un léger grognement.

« Deuxième ennui : une migraine comme un jour de rentrée.

— Je reconnais que ces gens vivent dans un environnement particulièrement hostile, murmura le Directeur en secouant doucement la tête.

— Et cet air ! Il brûle la gorge, assèche le palais. Il pue la mort… Ça empire d’année en année !

— Je crois qu’ils essaient de lutter contre ça, commenta Albus en avançant en direction de la foule.

— On ne leur demande pas d’essayer, mais de le faire ! »

Bien qu’il soit vingt-deux heures, l’avenue était noire de monde, de grandes vitrines brillantes éclairant la zone piétonne comme en plein jour. Et il se trouvait du monde pour entrer et sortir de ces échoppes, les bras chargés de sacs. Il se trouvait du monde pour boire et chanter aux différentes terrasses qui dégueulaient ses clients les plus avinés sur leur chemin. Snape avait beau passer ses étés dans un quartier Moldu, sa demeure se cachait dans une impasse. Il n’avait jamais vu autant d’êtres humains de sa vie. Pas même au Chemin de Traverse. Pas même un jour de match de Quidditch de l’école… C’était tout bonnement inconcevable que des êtres doués d’intelligence puissent avoir envie de se regrouper dans un endroit pareil.

« Et elle habite où votre héritière ? hurla le Maître des Potions pour tenter de couvrir le brouhaha.

— Dans un immeuble entre un… Ah ! Un Vegan’s Coffee et un… Heu… Un Demons&Angels Tatoos… Je…

— Ce sont des noms de boutique, ça ! pesta l’espion qui ignorait ce qu’il devait chercher.

— Ah ! Vous voyez que vous m’êtes indispensable, Severus.

— La barbe ! Vous n’avez pas une adresse plus précise ?

— Si, si, mais…

— Laissez tomber, je crois qu’on y est. »

Si l’homme en noir ignorait ce qu’était un « Vegan », il connaissait en revanche l’expression « tatoo ». Il le savait même très bien. Non pas parce qu’il était à présent marqué, mais parce que plus d’une quinzaine d’années auparavant, il avait accompagné une jeune fille rousse se faire tatouer. Refusant de l’être lui-même, car « il répugnait l’idée même qu’on puisse transpercer sa chair comme s’il était un animal ». Severus grimaça, repoussant très loin le souvenir et la honte qui l’étreignit. Il jeta un regard accusateur au démon bodybuildé qui étreignait avec vigueur une femme ange dénudée, et chercha aux alentours l’entrée d’un immeuble. Et entre une boutique verte qui promettait des breuvages et plats « Veggy-Friendly » et l’éternel conflit en version pour adultes, se trouvait bien une porte noire laquée, avec à côté une sorte de plaque de métal garnie de boutons en tout genre, de noms… Et de numéros. Snape perdit patience, et grogna :

« Et je suppose que vous ignorez le code à taper, n’est-ce pas ?

— Vous présupposez mal, mon ami. C’est 2474 ! » Annonça fièrement Dumbledore.

À côté des chiffres, une petite diode clignota rouge, et Snape en vit de même.

« Évidemment… Bon, ça suffit ! »

Il tira directement sa baguette en direction de l’interphone et lui jeta un sort. Une diode verte clignota, incertaine, et un drôle de claquement sec entrouvrit la porte d’entrée. L’homme en noir passa rapidement, le Directeur lui emboîtant le pas. Ils arrivèrent en bas d’une grande porte en acier brillant, avec pour seul moyen d’action, un gros bouton blanc.

« Un Alohomora, Severus ? lui demanda gentiment le vieil homme en appuyant sur le bouton.

— Non, sortilège de confusion. Je ne vais pas laisser une porte Moldue me dire que je me trompe. Qu’est-ce que… ? Sommes-nous obligés d’y entrer ?

— Vous voyez des escaliers ?

— La peste soit ce monde. Quel étage ?

— Le dernier, Severus.

— Évidemment…

Oh, angel sent from up above

— QUOI ?

You know you make my world light up

— Je crois que ça vient de la grille là-haut, Severus. »

Le Directeur pointait du doigt les haut-parleurs qui diffusaient ce que les deux sorciers ignoraient être un des hits du moment…

« When I was down, when I was hurt… You came to lift me up… Life is a drink and love’s a drug… »

Snape fronça les sourcils et pointa sa baguette en direction des enceintes. Elles se turent après un grésillement d’agonie.

« Vous n’aimez pas la musique Moldue ?

— Je n’aime pas les invitations à la débauche racontées d’une voix geignarde d’adolescent. Est-ce qu’on va finir par arriver au bon étage, bon sang ?!

— Vous avez tant que ça hâte de la rencontrer ? se moqua le Directeur.

— Non. Je veux en finir. Je me contrefous de votre Moldue, Albus, je veux mes vacances. À moins que vous ne changiez d’avis, évidemment, je peux toujours demander à cette cage de nous ramener en bas…

— Nous n’allons pas faire demi-tour, Severus. Vous rechignez à l’aventure ?

— Je ne veux pas d’aventure, Albus, je veux en finir ! » Tonna l’homme en noir.

Un tintement couvrit la réplique du Directeur, et Snape préféra s’imaginer qu’il n’avait pas entendu que ça ne lui ferait précisément pas de mal. La porte de la cage s’ouvrit sur un palier sombre qui puait une odeur de tabac froid. Le mage blanc le devança et lança un Lumos que son cadet rendit inutile en trouvant l’interrupteur électrique. La lumière se fit sur ce couloir sordide habillé d’une unique porte blindée verte. À leurs pieds, un gros tapis rêche sur lequel une sorte d’elfe de maison vert semblait dire « Go Away, You Should ». Snape se dit que bien qu’analphabète, la créature avait tout à fait raison, mais son mentor appuya sur un gros bouton à côté duquel était griffonné « Jane Smith » sur une feuille à carreaux. Instinctivement, l’espion se mit dans une posture agressive, serrant sa baguette, alors que son supérieur se redressait, préparant un sourire bienveillant. Mais personne ne vint leur ouvrir. L’ex-Mangemort espéra un instant qu’il n’y ait personne, mais Albus s’acharna sur la sonnette et on entendit une insulte étouffée derrière la porte, suivie par le tambourinement d’un pas lourd et énervé. La serrure coulissa, et la porte s’ouvrit brutalement sur la femme la plus étrange et ridicule que Snape avait pu voir jusqu’ici.

Une épaisse crinière marron et bouclée tombait en mèches parfois grasses sur un pyjama noir flanqué d’un drôle de symbole doré : une sorte d’esquisse de chauve-souris coincée dans un rond. Et au lieu d’avoir une paire de pantoufles tout à fait normales, la Moldue semblait trouver de bon goût d’avoir… Des pattes poilues d’animaux ? Elle sentait la cigarette, son teint blafard témoignait d’heures passées confinées, et son regard vert clair ressortait par l’écarlate de ses globes. Snape n’apprendra que plus tard que Jane se brulait les yeux à refuser de porter des lunettes devant un écran. Par coquetterie.

Elle le toisa lui tout d’abord, le fixant droit dans les yeux. Il esquissa un rictus méprisant lorsqu’il capta l’image qu’elle s’était faite de lui. La jeune femme changea vite de sujet de prédilection, et s’intéressa à Albus, qu’elle gratifia d’une entrée en matière particulièrement désagréable :

« ‘Voulez quoi ? »

Snape aurait donné n’importe quoi pour que son mentor ne le prenne pas de court. Oh… Comme il aurait aimé répondre qu’il voulait surtout foutre le camp d’ici ! Et qu’il n’avait, définitivement, pas besoin d’aventure.