Achronique

Not Provided

J’crevais d’envie de le lui claquer à la gueule… Mon agacement sembla être étouffé par l’émotion qui me broyait les tripes en le voyant.

Je le croyais immortel, immuable, et si l’odeur et l’ambiance était la même que dix ans auparavant, l’homme que j’avais en face de moi était le crépuscule de celui que j’avais connu. De grosses rides dures striaient son visage, une calvitie avait fini par le rattraper, le jetant au commun des hommes touchés par ce fléau, et même sa carrure semblait s’être tassée sur son immense fauteuil de cuir. Seuls ses yeux conservaient cette fureur, deux billes noires et brillantes enfoncées dans leurs orbites. Deux éclats de lames prêtes à me crever les miens.

La fumée qui s’élevait de son cigare passait en grosses volutes âcres devant sa trogne, lui donnant cette aura que jadis j’avais trouvé tant impressionnante. Et j’devais reconnaître que même là, dans son pantalon que je savais avec un élastique souple, même là, le papy en jetait. Il sembla percer à jour mon cheminement mental, parce qu’un jappement rauque fit tressauter sa carcasse. Il s’foutait d’ma gueule, l’enfoiré.

« Pose ton cul, Scotty, et bois.

— C’est Lieut’nant Webster, Felipe. J’suis pas ici en visite de courtoisie, répondis-je avec dureté.

— Bien sûr que si, sinon mes gars t’auraient éclaté la face. Alors pose ton cul, Lieut’nant et bois. »

Il me poussait d’une main un verre ciselé avec du Whisky, beaucoup trop d’Whisky pour n’importe quelle heure, mais en particulier celle-ci. Aucun glaçon, du sec, comme il en buvait lui-même. Son incapacité à respecter quoi que ce soit, jusqu’à ma nouvelle vie et mon grade, m’énerva. J’étais plus un gosse qu’on pouvait rabrouer d’un ton paternaliste. Je balançai le k-way sur le godet, l’emblème bien en évidence, et lui jetai le regard que j’donnais aux criminels. Felipe cligna des yeux lentement, et porta son propre verre à ses lèvres pincées par la colère réprimée. Il ne parla pas, se contentant d’attendre, semblait-il, que je termine mon numéro.

« T’as rien à m’dire ? craquais-je comme un marmot impatient.

— Comment va ta femme, Lieut’nant Scotty ? »

Une grosse douleur me vrilla la tempe droite, palpitante, s’éclatant sur la pointe de mes sourcils et plongeant subitement dans mes orbites. Putain, ma tension remontait en flèche et j’allais me taper une migraine pas possible. Le sang vrombissait trop fort dans mes petites artères bouchées par l’alcool et la clope. J’avais pas l’temps pour ces conneries, et encore moins pour jouer au cadet qui sait pas c’qu’il fout ici. Instinctivement, j’lui crachai avec toute la hargne que ma migraine faisait naître :

« Et ta fille, Felipe… ? Elle aime ses cours de sociologie à Downstone ? »

Ce que je vis dans le regard de Felipe Velasco ressemblait à une rubrique nécrologique en nerfs optiques. Et les nerfs, putain, il les avait ! Je touchais un interdit : sa petite fille chérie, et j’savais qu’il pouvait être très dangereux dans ces cas-là. Mais j’déconnais pas moi non plus, tu causes pas d’Morgane comme ça… Une drôle d’impression étreignit mes entrailles.

« À quelle vitesse tu crois que tu peux tirer, à ton âge ? lui demandai-je en donnant un coup d’menton dans sa direction.

— À quelle vitesse, tu crois qu’tu peux esquiver, gamin ?

— Très bien, soupirais-je. Tu veux croire que t’as encore un peu d’gâchette, fais-toi plais’. Mais j’repars pas sans ma réponse, et crois-moi Velasco, ton pisseur de tout à l’heure s’ra pas l’dernier à s’faire démonter les dents, c’est clair ?

— A qui t’as refait l’portrait, Scotty ? »

J’entendis le « clic » du chien se désarmer, et j’vis mon ancien mentor se détendre. Il avait renoncé à me braquer, et je retirai alors ma main de mon futal. Pas besoin de dégainer non plus. J’poussai le vêtement en plastique et pris le verre pour en boire une lampée, avant de lui répondre :

« Ché pas. Mais c’était un d’ces croqueurs de liens que tu chopais à la sortie des events. Tu sais, ces pseudos stars montantes qui en veulent, mais qui peuvent pas assumer.

— T’as jamais pu les blairer… Il était comment ?

— Trempé de sa propre pisse, et pâle de trouille.

— Te la pète pas, Scotty, j’te parle de sa gueule.

— Avant, ou après que j’lui ai rééquilibré les traits ? »

J’étais ridicule, j’le savais. Putain que j’allais m’en vouloir en sortant d’ici… Tu peux pas t’en empêcher, hein ? Faut qu’tu lui montres que t’es un homme maintenant, qu’t’es un dur… Merde, j’ai quarante ans passés, j’ai rien à prouver. Mais il me laissa fanfaronner. Il avait l’habitude, et puis… Il aimait que les gens se sentent obligés de faire ça en sa présence. Putain d’orgueil.

« C’était un brun avec des yeux gris. S’il avait 20 piges, c’était l’bout. Tout c’que j’peux te dire, c’est qu’il m’a supplié de rien te dire.

Supplié ?

— J’crois que c’est c’qu’on dit quand on s’vide la vessie en bégayant des « je vous en prie », nan ? Mais c’pas ma question. J’te croyais à la retraite. Où est passé Juan ? Il a fini par te lâcher? »

J’pouvais pas m’en empêcher, j’devais cracher sur c’t’enfoiré. À l’époque, lui et moi étions dans une sorte de compétition pour le titre, et j’avais jamais pu digérer que Felipe le prenne pour second. Paraissait que moi, j’étais fait pour des choses plus nobles, plus sérieuses. Conneries ! Juan avait gravi les échelons à une vitesse folle, s’appropriant doucement les territoires et les affaires des autres, il était allé jusqu’à fonder son petit groupe qui lui assurait des coups bien rodés sans qu’il n’ait à s’bouger… Bref, il avait su utiliser les autres sans trop s’salir les mains et en tirer toute la gloire. De la bonne politique comme on n’en faisait plus dans c’milieu… Felipe toussa en ricanant, de gros ronds de fumée s’écrasèrent sur ma gueule. En manque de nicotine, j’inspirai comme un putain de junky.

Bordel, j’venais d’me sniffer sa moquerie ! Ça acheva mon humeur, et ça semblait égayer celle de mon vis-à-vis.

« Juan… Juan dirige le district 7 à Dodgeville. Il a une sorte de succursale, tu vois… ? Il s’est fait son petit écusson aussi. Un G avec entouré de couverts… »

J’en crachai presque dans mon verre. Comment avais-je pu passer à côté d’une telle info ?

« Ça date de quand ?

— Calme-toi, ça n’est pas officiel encore, c’est pas tes indics qui déconnent. Là, Juan en est encore à calibrer son image, je sais qu’il a décalé sa sortie à cause…

— De ton retour, il espérait te griller ta place et changer un peu l’spirit, c’est ça ? Et c’est bon, Felipe, cherche pas à maîtriser avec moi sur c’sujet. J’te l’avais dit, non ? Alors grimace pas comme ça. Mais j’m’en fous d’ce gars. Pourquoi t’es d’retour dans le game ? Qu’est-ce qui t’a fait sortir de ton cocon ? »

Il vida d’une traite son verre, et après m’avoir jaugé une nouvelle fois du regard, ouvrit son tiroir droit et farfouilla dedans. Yavait des pièces, une boîte en métal, quelques papiers, des clefs, je crois… Mais bien que mon ouïe habituée me détaillât à peu près le contenu d’son rangement, j’dû reconnaître que j’m’attendais pas à c’qu’il me sorte un truc pareil. Entre son index et son majeur, il tenait une carte de jeu bariolée. J’voyais pas bien c’que c’était, et il me la lança avec une dextérité qui me surprit pour son âge. Je l’attrapai avec moins de rapidité, et là, dans mes mains collantes à cause de mes efforts du matin, brillait une carte animée, montrant le dessin d’un ninja en train de faire un drôle de signe. C’était bien foutu c’te merde, plutôt jolie en plus : quand on la bougeait, son revêtement strié de plastique faisait faire des mouvements de mains au ninja. J’avais déjà vu un geste comme ça dans mon enfance, putain, qu’est-ce que c’était, déjà… ?

« T’souviens d’Naruto Chipendales ?

Shippuden, corrigeai-je machinalement. Ouais, c’est bon, je me souviens, c’est leur truc-là… D’accord, et c’est quoi ça ? Quel rapport avec toi ?

— J’ai trouvé ça dans ma boîte aux lettres… Privée. Mes gars m’disent que depuis quelques temps, ya des signes chinois – ou japonais j’sais pas – qui apparaissent sur les sites de notre réseau. J’en avais rien à battre, jusqu’à ce que Graziella m’raconte qu’elle a reçu un livre sur l’inquisition Espagnole marqué d’un d’ces trucs. J’crois qu’il y a des nouveaux, Scott, et qu’ils ont fait la connerie d’menacer ma fille pour m’atteindre… »

Je m’enfonçai dans le fauteuil et fis tournoyer la carte entre mes doigts. J’savais pas encore qui était l’con qui s’en prenait à Velasco, mais j’commençais à comprendre un truc qui aurait dû m’sauter aux méninges dès l’départ. Le gosse que j’avais marravé, avait été envoyé pour attirer mon attention, et Felipe me demandait ni plus ni moins d’enquêter pour lui…

Putain… Appeler l’444 aurait fait moins mal au gamin !

Pénalité Manuelle

« Oh putain, c’est… »

Jimmy gerba avant que je ne puisse savoir quel mot il nous avait dégoté pour décrire ce qu’on avait sous les yeux. À l’odeur du sang s’ajoutait celle de la bile, et j’pris une grande taffe sur ma clope pour dissiper par la cendre ce qui commençait à me monter aux narines. À côté de moi, Jimmy hoquetait dans des bruits dégueulasses, assez distincts pour que je comprenne qu’il nous rendait les morceaux avec. La pluie commença à tomber, et le gamin se précipita pour choper une bâche et protéger la scène de crime. En le voyant faire, j’pensais à ma femme qui foutait du cellophane sur mon plat de lasagnes. Je ricanai. Les gars allaient trop loin, bientôt on n’retrouverait même plus les corps. Je jetai ma clope qui rebondit sur une bite d’amarrage avant de plonger dans la flotte, et tournai les talons.

« Chef, hey, chef ? On n’attend pas l’équipe médicale pour l’identification ?! »

Pauvre Jimmy, ça fait trois semaines que t’es dans le service, et t’as toujours pas capté… Je ne pris pas la peine de le regarder.

« Ya rien à identifier. C’est plus qu’un plat à micro-ondes avec des ch’veux. Et c’est Timothy Denisov. Tu vois ? Affaire conclue ! Bâche-moi c’te merde et rentre.

— Mais comment… ? »

Je claquai la portière de la bagnole sur la fin de sa phrase. J’avais pas besoin de devoir lui expliquer la faune locale. Deux jours plus tôt, la femme et les gosses de Denisov avaient été retrouvés égorgés à leur domicile, et j’savais parfaitement d’où ça venait. Timothy avait fait la connerie de baiser John Makenzie l’été d’avant. L’Irlandais avait simplement attendu le bon moment pour s’venger… Je tapotais mon paquet de clopes que je savais vide, espérant stupidement qu’une apparaisse, en vain. Et ça acheva de m’énerver.

« Putain d’merde ! »

Le crachin s’intensifiait, et j’voyais mon second se tremper à vue d’œil en tentant de protéger la scène de crime. Je farfouillai dans la boîte à gants, priant pour trouver un autre paquet, quelque chose, et j’repensai à l’affaire. C’était mon quatrième corps. En deux mois… Et les gangs commençaient à s’échauffer. Denisov était la victime la plus informe, mais c’était pas la seule qu’on avait à la morgue. Et j’voyais pas comment arrêter ça. Quinze ans que j’étais dans le métier. Quinze ans que j’voyais petit à petit cette guerre quitter les réseaux sociaux et leurs serveurs à la con pour nous chier dans les rues… Quand les fourgons des scientifiques arrivèrent, Jimmy se hâta de les aider docilement, puis finit enfin par retourner dans la caisse. Il était trempé, puait le chien mouillé et tremblait de froid. Quel con. Il est gentil, mais qu’est-ce qu’il est con…

« Le Docteur Sherman est vachement forte, elle n’a même pas sourcillé quand elle a vu le cadavre ! s’ébahissait-il. J’sais pas comment elle fait pour supporter ce genre de trucs…

— C’est une pro, Jimmy. Et elle est un peu tarée, aussi. Faut être déglinguée pour faire son taff.

— Mais elle a l’air si gentille, si…

— Démarre, faut que j’passe racheter des clopes. »

C’est pas que j’aimais pas c’gamin, c’est juste qu’il parle trop. Et souvent pour dire de sacrées conneries. Il serait foutu de tomber amoureux d’une meurtrière en lui donnant l’bon Dieu sans confession. Comment il a pu atterrir à la crim’, c’était un putain de mystère. Me vomissait une fois sur deux quand c’était un peu sanglant, zéro capacité de déduction… Mais serviable, ça ouais… On tournait à l’angle de la deuxième et de la neuvième et l’orage n’avait toujours pas faibli. Il mit les essuie-glaces à fond, et le chauffage aussi, et on se retrouva rapidement sans rien voir, de la buée et de la sueur mélangées qui collaient aux vitres. Quand on s’arrêta à un feu rouge, je compris à son index agité de tremblements qu’il n’arrivait plus à se retenir.

« Vous croyez que ce sont les Penguin Fuckers, les coupables… ? »

Je ne répondis pas, me contentant d’entrapercevoir à travers la vitre embuée un homme recroquevillé sous un porche de banque. Il avait ramené ses jambes et ses bras sous lui, mais l’enfoncement était trop léger pour qu’il puisse s’abriter totalement de la pluie. Le bas de son jean qui était trop large trempait dans une flaque poisseuse. Quand il releva la tête pour mêler ses larmes à l’averse, je compris que derrière sa barbe dégueulasse, c’était un mioche d’à peine vingt ans. Un homme en costume et le crâne bien peigné, planqué au sec dans l’agence, frappa violemment la vitre de la porte contre laquelle le malheureux s’accrochait. Fallait qu’il dégage, ça fait tâche un clochard sur le perron d’une banque d’investissement… Foutue société de merde. J’pourrais bien ouvrir ma portière et aller faire flipper cet enculé, mais j’ai pas envie de prendre le grain. Et j’veux mes clopes. J’vaux pas mieux qu’cette salope dans son costume Brice de merde, en fait…

« … Après je sais pas, mais les SC vont mal le prendre, c’est certain. Ils vont répliquer comme des barbares.

— C’est des russes, répondis-je trop heureux de me détourner de ma culpabilité. Les Sputnikovyye Crados portent bien leur nom, et j’peux te dire que ça va être crade comme il faut quand ils vont réagir.

— Pourquoi personne ne les arrête ? J’veux dire, ça devient très grave là… Ya des morts, quoi !

— Yavait déjà des morts, Jimmy, répliquais-je en suivant du regard le clodo qui se traînait sous un autre porche. Tous les jours des gens crèvent, et j’peux te dire que ce biz n’a pas attendu la rue pour s’entre-tuer.

— Non, mais Chef, c’était pas pareil. C’était juste des sites qui tombaient, quoi. Au pire des prestas arrêtées, mais…

— Mais quoi ? Quand tu dépends de ton truc, gars, quand c’est ça qui t’fait bouillir la marmite, et qu’on t’a striké ton e-commerce, tu crois qu’il s’passe quoi au juste ? Nan, Jimmy, c’est aussi crade que hier, c’est juste qu’ils nous salopent le goudron maintenant…

— Mais c’est insensé ! C’est juste putain d’insensé ! On tue personne pour une histoire de… de… Putain de BackLink, quoi ! »

C’est sa vulgarité qui me fit décoller le nez de ma vitre. L’gosse disait jamais un mot plus haut qu’l’autre, alors des gros comme ça. Ça me tira un franc sourire, il commençait à comprendre où il foutait les pieds on dirait.

« Si on n’tue pas pour un NDD, gamin, pourquoi crois-tu qu’ils aient monté un service dédié aux crimes numériques, eh ?

— Mais c’est plus numérique, Chef. C’qu’on a eu au port, c’était, c’était…

— Un problème de chargement d’CSS, gamin…

— Bon Dieu, Lieutenant Webster ! C’est vraiment pas le moment de faire dans de l’humour noir ! C’est monstrueux c’que vous dites !

— Faudra t’y faire, petit, c’est ton job maintenant. Eux ils s’entretuent, nous on classe sans suite.

— Pourquoi personne fait rien ?

— Parce que ce biz génère du blé dans toutes les sphères, gamin… Toutes les sphères. C’est devenu une putain de mafia. C’était pas comme ça avant, tu sais… »

Je laissais ma phrase mourir, j’étais trop sentimental. Ça m’arrivait à chaque fois qu’il y avait de l’orage. L’gosse avait pas besoin d’en savoir plus. Mon clochard avait décampé, impossible de savoir s’il avait trouvé un coin. J’sais pas pourquoi ça m’importait, d’ailleurs…

« C’est vrai que vous étiez du milieu ? »

Il a des bollocks quand même ce cadet… ! Je me retournai avec lenteur, pour lui laisser le temps de bredouiller des excuses et de redémarrer parce que le feu venait de passer au vert, mais il n’en fit rien. À croire que gerber te donne des tripes…

« Et d’où tu sors ça ? »

Le feu était repassé au rouge, et derrière, ça jouait du klaxon, j’imaginais sans mal les gueules s’ouvrir pour nous vociférer des insultes. Tout le monde allait vraiment passer une journée de merde…

« … Quand j’ai été affecté, je… J’ai fait des recherches un peu sur vous… »

Sans déconner… Des années de pratique et de Poker SEO me permirent de rester impassible, mais j’devais admettre qu’il me trouait le cul, le petit. Pas que j’avais pas fait moi-même des recherches à son sujet, mais je le croyais assez naïf pour prendre poste en s’imaginant que j’étais le bon flic qui allait tout lui apprendre et avec qui former une équipe serait une grande aventure. À croire que je l’avais jugé trop rapidement.

« J’me suis barré quand ils ont commencé à se casser la gueule dans les events. Quand ça s’est mis à dépasser le stade du taff, tu comprends ? J’ai pas fait c’job pour voir des hystériques se sauter à la gueule pour le moindre tweet de travers.

— Mais… Mais vous avez forcément fait partie d’un des gangs, non ? On fait pas cavalier seul dans ce biz, je sais que vous…

— Écoute, Jimmy, tu sais rien, et tu… »

Un gars donna un coup de pied dans le pare-chocs avant, gesticulant comme un con sous l’averse, et je sentis le sang vriller mes tempes. J’allais lui dire d’aller se faire foutre quand le petit papillon scratché sur son k-way ridicule attira mon attention. Je plissai des yeux, oubliant jusqu’à mon envie de clopes, et poussai un juron en ouvrant la portière avec violence.

« Attendez, Lieutenant ! »

Mais j’avais déjà foutu l’camp, laissant ma porte ouverte, et la flotte tremper mon côté. J’avais pas besoin de me retourner pour savoir que Jimmy était debout dehors, comme un con sous l’averse, au beau milieu d’un carrefour en train de se faire insulter par les autres automobilistes. Heureusement qu’il ne se lançait pas à ma poursuite, là où j’allais, j’avais pas besoin d’un bleu qui vienne dire des conneries…

Le Backlink peut mener au meurtre

L’homme en k-way tourna sa capuche vers moi et je sus que dessous il s’pissait de peur. Il prit brutalement appui sur son genou droit, et pivota pour s’engouffrer dans une ruelle.

« Putain le con ! »

J’accélérai et sentis immédiatement un poids s’écraser sur ma poitrine et me cramer les poumons. Merde, c’était ça que de respirer à grosses goulées de l’oxygène. J’avais décidément plus l’habitude. Mes pieds frappaient le sol comme les pattes d’un vieil éléphant trop lourd pour ces ébats, et projetaient des gerbes d’eau dans tous les sens. Mon fut’ était trempé jusqu’aux tibias, et j’sentais l’arrière de mon complet me goutter dans le caleçon. Quelle importance ? J’étais déjà ruisselant sous cette averse, et je voyais la forme devant moi me mettre une sacrée distance. Ça devait être un jeune pour crapahuter comme ça… ! Ça acheva mon humeur, c’était pas bon de me faire courir comme un lapereau, et en insultant une nouvelle fois sa mère de putain, je fondis sur l’ombre pour lui faire amèrement regretter cette petite escapade. Ma proie fit l’erreur classique du débutant : elle se retourna pour vérifier que j’avais lâché ses trousses, et je l’entendis gémir quand je sautai pour la plaquer au sol.

J’sais pas si le tonnerre s’était enfin décidé à s’abattre sur nous, ou si c’était son poignet coincé sous sa hanche, mais il eut comme un « crack », et le gosse beugla comme jamais. Pourquoi ça me tirait toujours une certaine satisfaction ? Je lui écrasai la gueule sur le bitume pour la forme, envoyant mon poing briser son nez, puis le relevai avec une force que je n’avais plus cru présente dans mes bras. Ça me ramena brutalement en arrière, et c’est presque avec réflexe que je le fracassai contre le mur. Sa capuche était retombée sur ses épaules. C’était un de ces jeunes louveteaux avec leur raie sur le côté, une petite barbe naissante qu’il taillait désespérément tous les matins en espérant qu’elle devienne un jour virile. Je savais que sous son k-way, c’était probablement une chemisette noire, remontée sur un jean noir également. Il bredouillait. Ça devait pas faire longtemps qu’il était dans le biz pour s’pisser d’ssus autant à la vue d’un flic… Pressant sa trachée de mon avant-bras, le faisant hoqueter comme un asthmatique en crise de panique, je tirai sur le vêtement pour dévoiler parfaitement l’écusson. Putain, j’avais pas rêvé, yavait bien un papillon. Il était collé dessus, probablement au fer à repasser, et se déployait sur deux bons gros centimètres. La couleur n’avait pas changé, ce rouge sang un peu séché, ces lignes grises comme des cendres s’échappant d’une chrysalide brisée, c’était impossible que cela soit une coïncidence.

J’regardai le gamin en hochant la tête, il devint plus livide encore et des petites bulles éclatèrent à ses lèvres tant il bavait d’angoisse.

« Où est-ce que tu fuis comme ça ?

— … Je… J’suis désolée pour vot’ caisse, j’savais pas qu’ziétez un keuf. »

Évidemment, ma bagnole est banalisée. Toujours. C’est une vieille habitude que j’ai prise aux débuts de la guerre des gangs, et Jimmy a fini par accepter de se plier à mes exigences…

« T’es désolé d’avoir joué au con, ou du fait que j’peux t’foutre en taule pour la nuit ? »

C’était une question trop compliquée pour lui, ses petits yeux gris allaient frénétiquement de gauche à droite à la recherche d’une aide extérieure. Mais yavait que nous, et sa vessie qui ne tenait plus le choc. Pendant qu’il compissait son jean de petit merdeux digital, je le remontai d’un geste brusque en beuglant :

« DE QUOI T’AS PEUR, PUTAIN ?!? »

L’gosse me regarda horrifié, comme choqué que je puisse lui demander une telle chose alors qu’il nous recrachait par la pine son dernier thé-gingembre. Ça va, je sais bien qu’à cet instant c’était surtout que je lui pète un autre truc, mais il était pas net, et on n’se trimballait pas avec cet écusson comme ça :

« QUI T’EMPLOIE ? »

Je décalai mes pieds, j’avais aucune envie de tremper dans sa frousse, et quand je compris qu’il était autant sonné par la douleur que par notre rencontre, je le lâchai sans ménagement, et son petit cri de victime me tira un rictus méprisant. Il avait dû piquer le k-way à quelqu’un, ou bien ça s’lançait dans le biz des vieux emblèmes de…

« Je vous en prie ! m’interrompit-il soudain dans mon monologue mental. S’il vous plaît, ne Lui dites rien !! »

J’aurais eu une clope au bec, je pense que j’l’aurais lâchée aussi sec. Yavait pas beaucoup de mecs qui pouvaient faire c’t’effet aux nouveaux… C’était normalement impossible, mais yavait des signes qui trompaient pas. Des cadavres qui s’amoncellent, le biz qui s’renouvelle, et puis surtout ça : l’retour d’un vieux dessin, un truc que j’avais pas vu depuis…

« On verra. Casse-toi. »

J’avais à peine bougé la tête d’un mouvement dédaigneux, il s’était redressé, avait même pas pris le temps de réajuster sa capuche en plastique, et quand il eut l’audace de me remercier, j’lui crachai un cinglant :

« Et jette-moi c’t’armure. Tu n’la mérite pas. »

Il obéit, comme il était dressé à le faire. Plus pathétique que les bleus d’mon époque… Il me tendit le k-way, avec une déférence qui m’énerva. J’étais furieux. Contre ce pauvre mioche, moi, et puis Lui, aussi. J’avais bien fait d’planter Jimmy… Mon instinct ne m’avait pas trompé, et il me conduisait à présent dans un quartier que je pensais avoir laissé derrière moi.

L’œil amateur s’y laissait prendre, une ruelle colorée, quelques échoppes avec une musique entraînante, une ou deux femmes rondelettes drapées dans de grands voiles noirs cousus main… C’était le quartier hispanique, où je n’avais plus foutu les pieds depuis une belle décennie, et il semblait tout à fait anodin. Mais les gonzes en faction à des points stratégiques ne laissaient planer aucun doute. Les rues n’appartenaient plus à l’alcool, la drogue ou le sexe, mais à ceux qui savaient référencer les petits artisans, et donc à faire vivre des chiées de famille entières. Et si le quartier retrouvait ses malabars en chemise noire, c’est bien que la guerre faisait ressortir les vieux démons des abysses. C’était la merde, en somme, et j’pataugeais les deux pieds d’dans.

J’avançai dans l’artère principale du quartier avec l’impression qu’on m’sondait l’cul par la pensée. À trop me mater, les gars allaient tomber amoureux… Ils voulaient juste savoir ce qu’un flic pouvait bien faire dans leur coin, à rôder près de cet embranchement. Je pouvais les entendre bloquer leur respiration quand je tournai dans cette impasse. Yen avait pas des masses, et une seule se terminait par une porte surmontant un petit escalier en béton. Quand j’montai les marches, la porte en fer s’ouvrit sur un colosse qui croisa les bras devant mon nez. Il s’croyait menaçant, et ça me tira un ricanement moqueur :

« Casse-toi, petit, t’veux pas me mettre en retard. » Lui dis-je en tendant le k-way.

Il pâlit, semblant reconnaître le vêtement, et obtempéra après une ou deux secondes de réflexion. C’est qu’il était aussi lent qu’il en avait l’air ! J’ouvris la porte et m’engouffrai dans le corridor mal éclairé. Ca puait toujours autant ce mélange de beuh et de cigare, avec ce fond de whisky. Le rythme caractéristique du jazz remonta et j’compris que j’étais attendu. Personne dans ce putain de couloir, personne pour garder l’entrée. Un autre escalier, on monte un étage, un autre couloir, et mon envie d’fumer est plus présente que jamais. Quand enfin j’arrive devant une grande porte capitonnée, je reprends mon souffle. J’ai l’palpitant qui s’excite comme celui d’une pucelle avant son grand rendez-vous. Quelque part, ça m’fait plaisir d’Le revoir. Et en même temps, j’sais bien que s’Il est de retour, c’est qu’c’est vraiment la fin. J’pousse la porte, et une voix profonde issue d’un autre monde m’accueille :

« Salut Scotty… »

Putain, ça non plus ça n’a pas changé… J’m’appelle Scott, bordel.

Dédale

Comme deux années plus tôt, il sentit la végétation se refermer derrière lui, faisant éclater un sentiment d’oppression dans ses entrailles. Mais il n’était plus le petit garçon de quatorze ans, il n’était plus le champion infortuné et involontaire du Tournois des Trois Sorciers. Harry regarda autour de lui, et constata qu’il était seul dans un grand couloir de plantes. Il soupira de soulagement, et inspira profondément en fermant les yeux. Il tenait sa baguette avec fermeté, sans pour autant se crisper dessus comme il l’avait fait lors de la troisième tâche. Un bref sentiment de peur l’étreignit, quelques souvenirs revenant en flash, et l’espace d’un instant, il se surprit à avoir peur que cela ne se termine comme au Tournois… Mais Voldemort était déjà de retour… Et le jeune-homme avait une certaine confiance en Snape, même s’il n’osait trop se l’avouer.

Ses grands yeux verts scrutèrent les branchages, et cela lui confirma la nature de la plante : aussi dense et infranchissable que celle du premier labyrinthe. Il hocha la tête, réfléchissant un instant, au lieu d’avancer droit, patientant. Les feuilles frémissaient, mais elles ne semblaient pas décidées à l’avaler. Il n’y avait pas particulièrement d’air, ni de bruit. Harry tendit l’oreille, et il ne parvenait pas à déceler la présence des autres élèves. Curieux, pour une zone pourtant relativement petite et densément peuplée. Snape avait dû mettre un sort, ou quelque chose comme cela.

« Homenum revelio. »

Harry avait murmuré cela, regardant aux alentours les effets de son sort, en vain. Est-ce qu’il n’y avait personne ou est-ce que cela était bloqué également ? Il avança, prudemment, le long du couloir. Il allait falloir accélérer s’il voulait arriver au centre le premier. Le voulait-il d’ailleurs ? Une brève accélération de pouls lui fit comprendre que oui. Il avança un peu plus vite, débouchant sur une sorte de terre-plein rectangulaire complètement fermé. C’était un cul de sac, son chemin menait à un cul de sac… Si c’était une métaphore qui lui était destinée, elle n’était pas très drôle, surtout si…

Harry s’approcha, ébahit par ce qui se dressait devant lui. Il avait à peine cligné des yeux, qu’une grande pierre tombale, semblable à celle du cimetière la fameuse nuit avec Voldemort, était apparue. Il maudit Snape pour son sens de l’humour. Quand il passa une main fébrile sur le granit, sur le nom qui était inscrit, il eut un étrange sentiment qu’il chassa en contournant la sculpture pour tenter de trouver un indice. La tombe appartenait à un certain « Harry James Potter », et le faisait mourir un certain 31 halloween, seize ans plus tôt. Ça n’était pas là à son arrivée, le sorcier en était certain, et il se demanda si ce n’était pas une projection de son esprit. Fronçant les sourcils, il tendit sa baguette :

« Riddikulus »

Mais rien ne se produisit. Ce n’était donc pas un Epouvantard… Le garçon cligna des yeux en se rendant compte qu’il avait un instant supposé qu’il puisse avoir peur d’être mort depuis longtemps. Qu’est-ce que Snape leur faisait faire, quel rapport avec les Forces du Mal ? Harry regarda la tombe sans comprendre, se rappelant qu’il avait été prisonnier de l’ange des années plus tôt.

« Les forces du Mal sont nombreuses, diverses, toujours changeantes. Elles prennent racines dans ce qui nous entoure et en nous-mêmes… » Avait dit Snape ?

Un mouvement se fit à sa droite, comme une forme bougeant en arrière-plan. Harry donna quelques coups de la pointe de son pied dans le sol de la tombe, et se rendit compte qu’il était aussi meuble qu’il en avait l’air. Il pointa sa baguette directement dessus et après une détonation, découvrit une sorte de trappe en pierre piquée d’un anneau de métallique. Il le tira, et la trappe s’ouvrit, délivrant un relent de moisissure et d’humidité qui le surprit. Dessous s’enfonçaient d’étranges escaliers. Où menaient-ils ? Harry amorça un geste pour descendre, puis se ravisa. Il chuchota la formule adéquate, et un gigantesque cerf argenté s’enfonça prudemment dans les profondeurs de la terre. Quand le sorcier comprit qu’il n’y avait aucun danger, il l’accompagna.

Ils débouchèrent tous les deux dans une sorte de grande grotte souterraine qui tremblait légèrement tout autour d’eux, comme si une myriade de créatures grattait un peu partout. Harry éclaira de sa baguette l’endroit qui était dallé par des blocs lisses et parfaitement taillés. Mais où est-ce qu’il pouvait bien se trouver, ce n’était tout de même pas… ?! Quand il entendit une sorte de sifflement qu’il connaissait depuis sa plus tendre enfance, il ferma instinctivement les yeux, tandis que son Patronus s’ébrouait. Impossible, il ne pouvait pas y avoir de Basilic ! Comment Snape arrivait à faire ça ? Qui lui avait donné l’autorisation ? Le cerf frappa de ses sabots immatériels sur le sol, et cela ramena Harry à la réalité. Laisser sa peur et sa rage s’exprimer était le meilleur moyen de rester coincé ici. Les yeux fermés, il tendit l’oreille, prêt à entendre les promesses mortelles de la créature, mais il n’entendit que des ricanements sifflants. Il y en avait trop pour que cela ne soit qu’un seul reptile, Harry se risqua à ouvrir un œil, et cela lui confirma son impression : face à lui rampaient une dizaine d’énormes serpents noirs qui sifflaient avec rage dans sa direction. Il crut entendre un rire familier se moquer de lui, mais le jeune homme n’osait pas regarder en direction de la source.

Ils ne semblaient pas faire cas du Patronus, et le sorcier abaissa stupidement sa baguette, pensant avoir à faire avec une illusion. Lorsqu’un des serpents lui sauta au visage, Harry cria et se détourna assez vite pour que la créature ne le fouette que de sa queue, et retombe au sol, plus furieuse que jamais.

« Tu vas mourir… Humain, siffla-t-elle avec hargne.

— C’est ça… Diffindo ! cria Harry, son sort décapitant net le serpent.

— C’est un parleur ! C’est un parleur ! s’exclamèrent les autres, en s’enroulant sur eux-mêmes de terreur.

— Et c’est un lanceur de sorts. »

Harry leva la baguette, mais les serpents détalèrent. Quand il l’abaissa, les plus malchanceux brûlèrent sous le souffle du sort incandescent qu’il venait de lancer. Le jeune homme grimaça quand l’odeur âcre de leur chair brûlée lui parvint aux narines, et il se sentit un instant prit de nausée. Il n’avait pas hésité une seconde, et c’était cela qui le pétrifiait.

« Harry ! Harry ! Par Merlin, merci ! Je sais pas ce que tu leur as dit, mais ça semblait faire effet… ! »

Le Gryffondor regarda dans la direction de la voix, et leva à nouveau la baguette, reculant le pied droit, se mettant en position d’attaque.

« Heu… Harry… C’est moi, Hermione… Est-ce que tu peux éviter de me cramer, moi aussi ?

— Quelle est la première chose que tu m’aies dite quand on s’est rencontré ? » Lui demanda-t-il avec brutalité.

La jeune femme se releva, elle était apparemment tombée au sol, et l’un de ses genoux saignait. Elle jeta un sort dessus, et sans même accorder le moindre regard à son ami, lui répliqua :

« Heu, je sais plus, moi… Que t’étais Harry Potter, et que j’avais tout lu à ton sujet, non ?

— … Ouais. Ouais, je crois…

— Comment ça, tu crois ? Harry ! Ta question ne sert à rien si tu ne peux pas la vérifier, enfin ! »

Le rouge et or sourit, et se rendit compte qu’il était soulagé, alors il abaissa la baguette. C’était forcément la vraie Hermione pour lui dire un truc pareil. Il ne savait pas depuis combien de temps il était là, mais finalement, l’avoir auprès de lui faisait beaucoup de bien. Et… Il ne voulait pas être obligé de devoir se battre contre une illusion de son amie.

« Sinon, la prochaine fois, demande à la personne de lancer son Patronus ! Non seulement ça te permet de savoir si elle est assez bonne pour pouvoir le faire, mais en plus, tu peux vérifier si c’est vraiment elle… Enfin, si tu connais la forme, évidemment. Où sommes-nous ? Moi j’étais dans une sorte de parc, il ressemblait à celui de mon enfance, et quand je suis montée sur le toboggan et que j’ai glissé, je me suis enfoncée dans le sol. Et puis après… J’ai entendu les serpents, et toi…

— Je ne sais pas, on dirait une reproduction de la Chambre des Secrets. Mais il n’y a pas la statue de Serpentard, c’est très étrange.

— Peu importe, on va sortir de là, tu es descendu comment ?

— Par ces escaliers, mais… »

Il s’était retourné, et se tut immédiatement. Naturellement, la structure avait disparue, et il ne restait plus qu’eux, coincés dans cette drôle de grotte aux murs noircis par le feu magique.

« Ca continue par là, viens ! »

Elle lança un sort, et une sphère de lumière se détacha de sa baguette pour avancer devant eux. Le couloir devenait de plus en plus étroit, et le plafond descendait lentement, à un point tel qu’ils durent continuer à quatre pattes. Hermione s’était placée devant Harry, et ce dernier le regretta, s’il lui arrivait la moindre chose, il ne pourrait pas la protéger.

« J’espère que ça ne va pas continuer comme ça, sinon, nous allons devoir ramper. Ca va, derrière ? » Lui demanda-t-elle d’une voix forte.

Harry sourit, quel sot, la protéger elle

« Ouais, impec, je suis juste en train de déchirer ma chemise, mais tout va bien.

— C’est pas grave, tu verras quand on sortira, ça te donnera un air de héros. Attends, ça remonte. Qu’est-ce que… Oh… Oh non…

— QUOI ?! »

La sorcière continua d’avancer, baguette en main, et le brun l’entendit même murmurer un sort de protection. Harry pesta quand il sentit ses mains coller à un truc gluant, il jeta un regard par terre et comprit le problème : la terre humide était recouverte d’une fine pellicule blanche et collante. De la soie d’araignée.

« Harry, tu crois que Snape…

— Chut. »

Un grondement tout autour d’eux l’avait fait s’arrêter net. Ça grattait de plus belle, et le sorcier en était certain, il y avait des créatures non loin. S’approchant de son amie, assez pour passer sa tête par-dessus sa hanche, Harry fixa le bout du boyau qui s’élevait vers le haut, sans pourtant voir la moindre lumière. Hermione ne bougea pas, gênée par la posture. Mais Harry lui lança un regard déterminé, et montra un chiffre avec ses doigts. Puis, il pointa sa baguette en direction du haut, et se colla contre son amie qu’il attrapa par la taille. La jeune femme pointa la sienne à son tour, et passa son bras autour des épaules du Survivant. Le tremblement autour d’eux se faisait plus pressant, comme si les créatures ne supportaient plus d’attendre. Hermione hocha la tête avec résolution, et quand le brun abaissa le dernier doigt, ils crièrent de concert « Defodio ! » « Elasticus ! » et une grosse explosion ouvrit une brèche béante vers la sortie, tandis qu’ils furent projetés en avant par un saut incroyable. Au moment où le pied d’Harry quittait le sol pour les porter, un souffle lui fouetta le mollet, et il entendit le cliquetis d’une paire de mandibules se refermer dans le vide.

Le sort les projeta avec une force incroyable, les vomissant de la terre, et les faisant valser à deux-mètres au-dessus de la surface. Comme au ralenti, Harry eut le temps de voir une clairière tapissée de toiles, et de cocons, et quelques ombres descendre des arbres qui bordaient la zone. Il termina sa course aérienne contre une sorte de gros œuf entoilé qui remuait frénétiquement. Quoi que ce soit qui était emprisonné dedans, c’était encore en vie.

« RECULEZ ! RECULEZ BANDE DE SALOPES OU JE VOUS CRAME ! »

Hermione aida Harry à se relever, et lui lança un regard amusé.

« Ca, c’est Ron… RON !  cria-t-elle dans la direction de son ami.

— Hermione, NON ! » Tenta de l’avertir Harry.

Mais la jeune fille s’ébroua dans la direction des insultes, pour découvrir son ami aux prises avec deux énormes Acromentules. Lorsqu’il vit la Gryffondor, le roux lui sourit, et se détourna de ses ennemis, déconcentré. Le Survivant jura, c’était précisément ce qu’il voulait éviter. Il pointa sa baguette vers l’une des araignées, et la fit exploser, mais il n’eut pas le temps de réagir pour la seconde qui transperça d’une de ses pattes le bras du garçon et le mordit férocement. Ron poussa un hurlement de douleur qui fit tressaillir son meilleur ami, et le paralysa momentanément. C’était pas le moment ! Hermione réagit plus rapidement, et lança un autre sort pour faire lâcher prise la créature. Des bulles de bave commençaient à éclater autour de la bouche de leur compagnon, tandis qu’il était secoué de convulsions.

« Non, non, merde ! C’est pas vrai, je n’ai rien pour le soigner ! Hermione ! Fais quelque chose !

— Je sais pas ! Je sais pas ! » Paniquait-elle.

Harry regarda autour d’eux, et d’autres formes s’approchaient en vitesse, les pattes gigantesques passant autour de leur abdomen, fondant comme des charognards sur leur victime, les horreurs se précipitaient sur eux pour les dévorer. Dans ses bras, Ron devenait plus blanc à mesure que les secondes passaient. Le Survivant blêmit, sa main droite glissant le long de sa baguette à cause de la peur, il regarda tout autour de lui, passa en revue les sorts qu’il connaissait, mais aucun pour stopper un poison. Ça, c’était plutôt le rôle d’une potion ou d’un… Harry jeta un regard noir à un cailloux empêtré dans une toile, puis hurla en désespoir de cause :

« Accio béozard, ACCIO BEOZARD !!

— Harry, vite ! Elles arrivent !

— JE SAIS ! J’ai vu. »

Il arma sa baguette et lança un autre sort de feu sur un des cocons, qui s’embrasa et qui poussa une sorte de beuglement inhumain. Il espérait que ça l’était… Et très vite, les autres s’embrasèrent, et tout autour d’eux, la soie se rétracta, devenant d’immenses flammes qui les encerclaient et qui maintenaient les bestioles en respect. La chaleur de l’endroit devenait insupportable, et Ron ne bougeait plus. Harry sentit son cœur s’arrêter, quand les flammes s’écartèrent pour laisser passer une sorte de balle dans sa direction. L’Attrapeur la saisit au vol et l’enfonça dans la gorge de son ami. Une araignée plus téméraire que les autres sauta par-dessus le brasier et se dressa sur quatre de ses pattes arrière pour les menacer. Elle se prit un sort de découpe lancé par réflexe par Hermione. Dans ses bras, Ron s’ébroua, toussant et crachotant, reprenant un peu de couleurs.

« C’est bon ! On dégage, ON DEGAGE ! »

Harry attrapa son ami, et le bascula sur son dos. Il étouffa un gémissement sous l’effort, plia les genoux, mais se redressa. Du coin de l’œil, il vit une forme taper dans ses mains comme pour le féliciter. Hermione ferma leur marche par un autre sort qui acheva de cramer la zone, et ils s’enfoncèrent dans les bois à une allure dangereusement réduite.

« Des Acromentules ?! Le mec nous a mis des Acromentules ?! s’énerva le brun.

— … C’est… C’est de ma faute… murmura Ron.

— Économise-toi, on va trouver un endroit où se reposer.

— … Et en plus je vous ralentis… »

Harry ouvrit la bouche pour répliquer, mais il ne trouva pas les mots. Il ne les trouva pas, car c’était vrai, et il se détesta de le penser. Ron se faisait plus lourd, mais il n’était pas question de s’arrêter comme ça. Les bois étaient épais, sombres, menaçants. Comme s’ils étaient dans la Forêt Interdite… Ce qui expliquait peut-être les araignées… Qu’est-ce que Snape avait fait ? Il n’arrêtait pas de se poser la question, mais il pressentait qu’il connaissait, en réalité, la réponse.

« Là, Harry, ça sera parfait, il y a un cours d’eau, il va pouvoir boire. »

Le brun ne protesta pas, bien qu’il trouvât que l’idée soit mauvaise. Mais il ne pourrait pas porter éternellement quelqu’un comme ça. Il reposa Ron avec toute la douceur dont il était capable vu sa fatigue physique, et repris son souffle avec difficulté. Il avait un instant fermé les yeux, et quand il les rouvrit, son regard émeraude était plus dur que jamais. Harry leva sa baguette et projeta des sorts de bouclier de zone un peu partout autour d’eux, rejoint par Hermione qui l’aida à monter ce camp improvisé.

Ron se pencha en direction du ruisseau, mais la jeune femme l’arrêta :

« Tu ne sais pas si ce n’est pas empoisonné. Attends. »

Elle transforma une feuille en une petite souris qu’elle poussa à boire, et cette dernière obtempéra sans manifester la moindre réaction négative. Elle hocha la tête, et retransforma la créature en végétal.

« Et si ça avait été empoisonné, ‘Mione, tu aurais tué une innocente créature…

— Ouais, mais toi, t’aurais survécu. »

Ses deux amis regardèrent Harry avec gravité. Il ne plaisantait pas et restait debout, alerte, comme s’attendant à autre chose.

« Tu devrais boire, Harry, l’intima son amie.

— Ca va aller. Il ne faut juste pas traîner ici. Tu as dit que c’était de ta faute, Ron, tu voulais dire quoi… ?

— … Je sais que c’est fou, mais je crois qu’elles étaient là à cause de moi, tout à l’heure un truc bizarre m’est arrivé, on aurait dit que c’était lié à mon passé.

— Oui, moi aussi j’ai eu ça, et Harry m’a dit qu’il avait été dans la Chambre, c’est ça ?

— … Oui. Mais ce ne sont pas des illusions. Et nous ne sommes pourtant pas dans la vraie forêt. Comment pourrait-on trouver un centre s’il n’y a pas de labyrinthe… ?

— Tu deviens incohérent, mec.

Au contraire. Je connais Snape. Enfin… Je crois que je commence. Ça n’est pas matériel.

— J’ai manqué de crever ! Tu peux me dire en quoi c’est une illusion ? »

Harry lui jeta un regard agacé en guise de réponse, et continua de scruter par-delà la rivière.

« Je n’ai pas dit que c’était une illusion, Ron. Je dis que Snape n’a pas fait ça. Je crois que c’est nous. Je crois que ce sont nos esprits…

— C’est impossible, je n’ai jamais lu quoi que ce soit qui parle d’une magie telle que…

— Hermione ! Arrête. Ce n’est pas parce que tu ne l’as pas lu, que ça n’existe pas ! » Lui répliqua le brun avec une brutalité qui la choqua.

Ses meilleurs amis fermèrent la bouche avec effroi, troublés par l’attitude du Survivant. Le corps tendu, baguette fermement tenue, il regardait entre les arbres qui se dressaient à quelques mètres d’eux. Il ne ressemblait pas à un adolescent de seize ans, mais à un homme prêt à tout pour s’en sortir. Sa réponse avait douché son amie qui s’était instinctivement rapprochée du roux. Si les colères de Harry étaient devenues rares, elles ne semblaient pourtant pas perdre en intensité, et le sorcier regardait fréquemment dans la même direction, hésitant à y aller.

« N’y pense même pas. » Lui ordonna Ron en tentant de se relever.

Harry lui jeta un regard perçant, avant de lui sourire avec gentillesse :

« Je n’ai pas l’intention de vous laisser tomber.

— Mais tu aimerais…

— Ron… Le jeu est fait comme ça.

Le jeu ? C’est un jeu pour toi ? J’aurais pu mourir et c’est un jeu pour toi ?! Qu’est-ce qui te prend ? Harry Potter veut prouver qu’il aurait pu remporter le Tournois des Trois Sorciers, c’est ça ? Et c’est quoi la suite ? Tu sautes par-dessus la rivière et tu nous laisses, tu… »

Il fut coupé par un cri perçant. Il provenait de l’autre côté du cours d’eau, et avant que le trio ne puisse réagir, un jeune homme blond sortit de la rangée d’arbres, pour se précipiter vers la rivière. Il se retourna, marchant à reculons et tomba, alors même qu’il lançait des sorts qu’Harry savait être clairement de catégorie 3. Face à un Draco Malefoy manifestement terrorisé se dressait une silhouette encapée qui glissait sur le sol comme un Détraqueur.

« Pourquoi il ne lance pas un Patronus ? C’est bien la preuve que c’est…

— Parce que ce n’est pas un Détraqueur, c’est bien pire… » Répliqua Harry en armant la baguette.

Il la pointa dans la direction de Draco, et lança une série de cordes qui s’enroulèrent autour du blond, puis il tira avec force.

« Putain, aidez-moi au moins ! »

Hermione et Ron se précipitèrent près de leur ami, et tirèrent avec lui. Le Serpentard poussa un autre cri comme celui qu’ils avaient entendu et fut violemment extirpé en arrière alors que l’ombre noire fondait sur lui. Il traversa la rivière dans un bruit d’éclaboussures puissant, et arriva à leurs pieds, trempé, le regard inquiet. Il se redressa avec souplesse et se retourna en direction de l’autre rive. L’ombre avait disparue.

Draco soupira, avant de tressauter et de pointer la baguette dans leur direction.

« Super, maintenant, il nous menace…

— Ne vous avisez pas de bouger.

— On ne fera rien dans l’immédiat. À quoi ressemble ton côté, c’est la forêt, c’est ça ?

— … Ca ne se voyait pas Potter ?

— Pourquoi t’as pas lancé un Patronus ? Tu peux le faire, au moins ?

— Oh, ferme-la Weasley, tu ne sais même pas de quoi tu parles. C’était pas un Détraqueur.

— Je sais. Je n’en reviens pas que tu aies pu faire incarner ça

— Je t’interdis d’en parler, Potter. J’suis très sérieux. »

Ron et Hermione regardaient les deux garçons sans comprendre, une conversation muette avait lieu entre eux, et ils semblaient en être exclus. De quoi avaient-il sauvé le Serpentard ? Et quand est-ce que ça prenait fin ?

« T’as ma parole. Ça reste entre toi et moi. » Harry lui tendit la main, et le blond eut un rictus goguenard. Avant de la lui serrer, il regarda méchamment Ron :

« Finalement…

— As-tu vu une sorte de centre ? Ça ne ressemble pas du tout à un labyrinthe.

— Incroyable, Granger, t’arrives à poser une question stupide tout en tirant une déduction hautement brillante… Si je l’avais trouvé, je ne serais pas là, et je ne vous le dirais de toute façon pas. Et… Non, cela ne ressemble pas à un labyrinthe en effet… Sauf si tu considères que nos esprits entremêlés en dressent un.

— Ne lui parle pas…, commença Ron.

— Je suis arrivée à la même conclusion, coupa Harry. Je ne vois pas comment sortir de ça.

— Eh bien peut-être ne pas fréquenter d’autres têtes vides, pour commencer.

— Arrête, Malefoy, j’te jure que je vais…

— Retourne-toi ! À qui ça appartient, ça ? »

Derrière eux ne se trouvait plus la forêt pleine d’Acromentules, mais de grands buildings gris qui s’élevaient jusqu’au ciel. Entre deux bâtiments sans âme se dessinait une petite ruelle étroite et plongée dans la pénombre.

« Ça doit être moi… C’est Moldu.

— Super. Au moins nous n’allons pas risquer…

— A terre ! »

Harry avait hurlé cela alors qu’un immense voile noir fondait dans leur direction dans un râle morbide. Là, c’étaient des Détraqueurs, il pouvait le sentir. La rivière avait elle aussi disparue, et l’ombre qui poursuivait Draco se mit à glisser dans leur direction, bientôt rejointe par des…

« C’est impossible, elles ne peuvent pas être là ! Non, non non ! C’est pas logique !

— La ferme, Weasley, foncez !

— Si on va droit devant, on tombe dans la névrose d’Hermione, on…

— Me fais pas un cours, Potter, nos esprits se mélangent et sont TOUS à nos trousses ! Restez ici si vous voulez, mais j’ai pas l’intention de crever. »

Il s’élança dans la ruelle, rapidement suivit par Harry qui se retourna après coup pour vérifier que ses amis leur emboitaient le pas. Derrière, les créatures arrivaient à grande vitesse. Face à eux, une sorte de ville fantôme pleine de ruelles et d’immeubles gris.

« Spero Patronum ! cria le Survivant

— Aide-le Malefoy !

— Certainement pas. Vous ne saurez rien à ce sujet.

— Par Merlin ! C’est pas le moment de faire ton Serpentard ! lui hurla le brun.

— Au contraire, Potter. Et tu vas perdre la guerre si tu ne finis pas par comprendre.

— Hein ? »

Harry s’arrêta stupidement l’espace d’un instant, et Draco en profita pour bifurquer dans une autre voie. Il lança un sort sur de gros conteneurs qui s’animèrent et firent claquer leur couvercle comme des mâchoires.

« L’enfoiré ! » Jura Ron en faisant un léger détour.

Hermione repoussa les poubelles furieuses, pendant que Ron leur faisait prendre une autre ruelle. Harry gardait son Patronus en place, et tentait de maintenir les Détraqueurs en respect. Il jeta un regard perdu à leur arrière, et constata que l’ombre qui suivait Draco jusqu’ici était partie. Le Survivant écarquilla les yeux et ouvrit la bouche sous le coup de la compréhension, au loin, baguette pointée vers lui, la forme continuait de le pourchasser. Mais il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit à ses amis que le crissement de pneus le tira de sa réflexion, et il n’eut que le temps de s’écarter avant qu’une voiture folle ne lui fonce dessus.

« Oh non, c’est horrible, c’est horrible ! » Gémit Hermione en s’arrêtant, paralysée.

L’esprit de la jeune fille avait dressé un tableau morbide : des corps gisaient partout au sol, des voitures s’encastraient dans des vitrines de magasins, des gens se jetaient du haut des immeubles en feu. On n’entendait que des hurlements, et… Des sortilèges. Beaucoup de sortilèges, jetés dans tous les sens. Hermione était donc terrorisée par la guerre. Elle avait peur que cela n’affecte dramatiquement les Moldus.

Ron ne pouvait le comprendre, mais cette scène psychique était probablement la plus dangereuse de toutes, car Hermione y projetait toutes les forces de leurs ennemis… Draco avait eu l’intelligence de… Harry secoua la tête pour ne pas y penser, et attrapa les mains de ses amis.

« Il faut sortir de ça ! On doit trouver un endroit où on sera en paix.

— Mais ça n’arrête pas ! On va aller où ensuite ?! Dans un de tes délires ?

— On n’a pas le choix, il faut qu’on s’arrête et qu’on pense à autre chose, il faut qu’on souffle pour enrayer ce bordel !

— Par là, alors ! Rentre dans la banque.

— Quoi ? Mais pourquoi ?!

— HARRY, FAIS CE QUE JE TE DIS ! »

Ils passèrent les portes vitrées de l’édifice, et Hermione fonça au fond sans qu’ils ne comprennent pourquoi. Le tac-tac-tac des Acromentules sur les dalles du hall principal fit frissonner violemment Ron. Le râle des détraqueurs s’approchait, et le hurlement des gens en train de mourir prenait une ampleur de plus en plus insupportable. La Gryffondor les fit passer derrière les comptoirs, mais elle glissa de peur quand une araignée grimpa le long d’une colonne de marbre pour lui barrer la route. Ron jeta un sort sur la créature qui fit un bond de deux mètres en arrière. Hermione se releva et continua de courir, jetant des sorts derrière elle. Ron lui prit le poignet à temps pour lui éviter de percuter de plein fouet un homme en scooter qui s’écrasa contre un distributeur de billets. Le Patronus de Harry tremblota quand ce dernier vit les Détraqueurs s’écarter pour laisser place à une nuée de serpents furieux, suivis de la forme.

« DÉPÊCHEZ-VOUS, ON DOIT ARRÊTER ÇA ! »

Il se refusa à regarder, il savait ce qui le poursuivait. Hermione pointa une grande porte blindée et jeta un sortilège qui fit coulisser la poignée à une vitesse incroyable. La porte s’ouvrit lentement, et les sorciers redoublèrent d’allure. Ron rejeta une nouvelle Acromentule.

« VITE ! HARRY, VIENS !!

— ENTREZ ! DÉPÊCHEZ-VOUS ! ENTREZ !

— OUI ! MAIS VIENS VITE !

— ALLEZ-Y !! »

Un Détraqueur se dressa entre Hermione et la porte, et Harry envoya le cerf ruer sur la créature. La jeune fille se glissa dans le coffre, rejointe par Ron, et elle se retourna vers l’Attrapeur avant de pâlir.

« OH… MON DIEU, HARRY DERRIÈRE TOI…

Je sais… »

Le brun donna un coup de baguette et referma le coffre sur ses amis, avant que Ron ne puisse se retourner, et voir ce qu’il y avait. Le Gryffondor s’ébroua, alors qu’il entendait la voix d’Hermione hurler derrière la porte blindée et frapper à grands coups. Il lança une série de sorts d’une rare violence contre ses assaillants et redoubla d’allure. Il devait impérativement sortir d’ici, et les éloigner. Quand il repassa dans le hall, il croisa ce qui le poursuivait, et la projection ricana en le voyant :

« Alors il t’arrive de ne pas être stupide.

— Va te faire foutre, Harry. » Se répondit-il.

Il parvint à repasser les portes de la banque, mais au lieu d’atterrir dans une rue Moldue, c’était un vieux cimetière qu’il connaissait bien. Aucune trace d’un élément mental provenant de Ron, ou d’Hermione, et cela le rassura. Il avait visé juste. Mais il sentait derrière lui qu’un autre sorcier se mouvait. Il aurait tant préféré que cela soit Voldemort en fin de compte. Harry secoua la tête, il ne fallait pas penser à ces choses. Pas penser du tout. Il se rua sur la grande pierre tombale surmontée de l’ange avec la faux. Derrière lui, la forme avançait, et ricanait, lui parlant semblait-il, mais le Survivant se refusait à écouter. Il caressa doucement le nom sur la pierre, c’était le sien, et non pas celui du père de Jedusor. Harry ferma les yeux, si fort que de grosses larmes perlèrent et qu’il eut momentanément la tête qui lui tournait. Il fallait penser à autre chose.

Son double continuait de l’invectiver, et le jeune homme mit ses mains sur ses oreilles pour ne plus l’entendre. Il pensa à Square Grimmaurd, à cet été. Il repensa à son anniversaire, au rire de Sirius. Il passa en revue les pièces de la maison. Le jardin était faiblement éclairé, comme lorsqu’il y passait ses soirées avec son parrain. Sa chambre était en bordel, et il fallait la ranger, il ne l’avait d’ailleurs pas fait avant de partir… Il y avait la bibliothèque… Et puis . Cette douce chaleur, et ces rires. Les rires qui provenaient de cette pièce pleine de monde. Il y avait l’odeur d’un pot-au-feu en train de cuir, l’odeur d’alcools raffinés qui se dégustaient. Il reconnut la voix grave de Snape, bientôt suivie par le rire de Jane. Qu’est-ce que l’homme en noir avait dit encore ? Harry sourit, il aimait bien entendre son Professeur rire à cause du Maître des Potions, c’était un son rassurant. Il sentit des grands bras puissants le prendre et l’enserrer avec tendresse, c’était Sirius. Il n’était plus dans le cimetière, il était chez lui, dans sa cuisine, et c’était l’heure de passer un merveilleux moment. Harry souriait de plus belle, et ouvrit lentement les yeux, un profond sentiment d’allégresse le berçant.

Mais quand il le fit, c’était pour voir le visage grave de Snape qui lui jetait un de ces regards insondables. Harry était assis au sol, sous le saule pleureur, non loin des cabanons des maisons. Les autres élèves le regardaient avec curiosité. Ron et Hermione étaient là, aussi, et lui jetaient un regard lourd de reproches. Instinctivement, Harry chercha Draco des yeux, et constata que le blond l’observait avec un rictus goguenard qui lui confirma qu’il n’avait pas rêvé.

« Levez-vous, Monsieur Potter.

— Est-ce que… Est-ce que c’est terminé… ?

— Oui. Vous avez été capable de tenir les quatre heures entières. Peu d’entre vous l’ont fait.

— Personne n’est blessé ?

— Parce que tu t’y…

— TAISEZ-VOUS ! Monsieur Weasley, nous nous passerons de vos commentaires. Non, Monsieur Potter, tout le monde va bien, soyez rassuré. Tout le monde a été soigné, si c’est votre question.

— C’était donc réel…

— Oui, buvez ceci. »

L’homme en noir lui tendit une potion qui puait le souffre, et Harry la prit sans hésitation. Quand il termina de la boire, il regarda Snape avec une certaine inquiétude, et l’espion lui répondit, comme s’il lisait dans son esprit :

« Oui, cela aurait été plus sage de vérifier que c’était bien moi. Mais trêve de paranoïa, je vous ai poussé loin cette fois. Et vous m’avez donné plus que vous n’en avez jamais été capable. »

Il avait murmuré la dernière phrase de telle sorte que seul Harry entende. L’Attrapeur se releva, chancelant, et garda les yeux au sol, incapable de regarder ses amis en face.

« Est-ce que vous avez retrouvé vos esprits, tous ? Bien. Comme certains l’ont compris, ce labyrinthe était un piège mental. Les murs n’étaient que vos projections, et oui, Miss Granger, oui, se regrouper faisait bien entrer en collision vos imaginaires, et ne faisait que rendre la zone plus dangereuse.

— Genre, c’est pour nous sauver que tu es parti… Hein ? demanda Ron avec venin.

— J’ai pensé à ça, mais j’ai pensé aussi à ce que moi je… Enfin, merde, sois pas con pour une fois, j’ai pas envie d’en parler.

— Vous perdrez votre temps en ressentiments inutiles en dehors de mon cours.

— Combien sont restés jusqu’au bout, Professeur ? demanda une élève de Poufsouffle.

— 12. Et seuls trois ont pu ressortir par le centre. Dont le gagnant.

— C’était quoi votre histoire de centre, Professeur ? Il n’y avait aucun mur.

— C’était la pièce que l’on allait dresser et imposer au jeu.  C’est par là qu’on cassait le mécanisme et qu’on sortait, expliqua Harry.

— C’est exact, et la première à l’avoir compris est Miss Dwight de Serdaigle. Mais le premier à avoir pu accéder au centre est Monsieur Draco Malefoy. C’est lui le gagnant du… Jeu, comme vous dites, Potter.

— Et je suis le troisième, c’est ça ?

— C’est ça. »

Le soleil avait décru dans le ciel, et le temps commençait à se rafraîchir. Un léger vent se leva, et les fit frissonner. Le Survivant peut-être plus que les autres. Un tintement s’éleva de la grande horloge de la porte, et Snape hocha la tête.

« Le cours est terminé. Je vous conseille vivement de méditer sur celui-ci, et de vous préparer pour le prochain… Monsieur Potter, un mot, s’il vous plaît. De toute façon, Monsieur Weasley est trop occupé à ne rien comprendre à la guerre pour qu’il soit de bonne compagnie, ce soir. »

Ron allait répliquer une insulte dont il avait le secret, mais Hermione l’attrapa par le bras et le tira vers lui en direction du château. L’espion jeta au roux un regard plein de dédain, et se retourna en direction de Harry. Restés seuls, l’espion leva la baguette et un voile tomba sur les structure, les dissimulant. Le jeune homme se sentait mal à l’aise, il était soulagé quelque part de rester avec l’homme, de ne pas avoir à s’expliquer tout de suite auprès de ses amis… Mais…

« Ne le faites pas. Ne vous justifiez pas, l’interrompit l’aîné dans ses pensées. S’ils ne comprennent pas, c’est qu’ils ne sont pas prêts. Vous aviez bien fait de partir seul, vous avez fait une erreur en restant avec la fille.

— Vous nous voyiez ?

— Évidemment ! Comment je pourrais surveiller qu’il ne vous arrive rien de grave, sinon ?

— Et vous pouviez voir nos… Nos… Nos…

— Vos terreurs ? Oui. La vôtre est intéressante, Monsieur Potter. Très intéressante.

— Je crois qu’Hermione l’a vue. J’ai peur qu’elle pense que je suis… Enfin, vous avez vu comment elle m’a regardée après quand je suis sorti ?

— Votre amie fait ce qu’elle peut pour vous assister, mais n’est pas en mesure de comprendre pleinement ce que vous avez à faire. Mais je doute qu’elle pense que vous soyez maléfique. On craint rarement ce que l’on est déjà, ajouta Snape songeur.

— Ah bon… ? J’aurais pourtant cru que vous entre tous, auriez dit l’inverse.

— On craint ce que l’on croit être, Potter. Et ne vous aventurez jamais sur ce terrain avec moi, répliqua avec dureté le sorcier.

— Je crois être quelqu’un de mauvais ? Ou je crois d’être obligé de devenir… Attendez, j’ai peur d’être transformé par tout ça, n’est-ce pas ?

— Je ne suis pas psychomage, Potter, c’est à vous de me le dire. Mais je ne m’intéresse pas à ça. J’ai vu votre centre. Si vous avez mis plus de temps que Monsieur Malefoy y arriver, votre projection était pourtant très nette. Vous vous êtes entraîné cet été en Occlumentie ?

— Ah, il s’agissait bien d’un truc dans le genre, hein ? Vous avez quelque chose avec l’esprit…

— Potter ! Un guerrier est autant un corps qu’un esprit. Ne l’oubliez jamais.

— C’était quoi le centre de Malefoy ?

— Vous avez déjà connaissance d’une de ses peurs, ne poussez pas, Potter !

— Vous savez ce que c’était ?

— Non. Je ne suis pas certain en tout cas… Et je ne tiens pas à le savoir.

— Vous mentez, se moqua Harry en souriant. Vous ne voulez simplement pas l’obtenir de moi.

— Pourquoi suis-je présent dans votre pièce, Potter ? »

Snape lui avait posé cette question pour détourner la conversation, évidemment. Et Harry sourit de plus belle. L’homme ne le regardait pas, il se contentait d’observer les vitraux de la Grande Salle qui luisaient joyeusement, à mesure que le soleil se couchait. Le garçon le regarda, et hésita. Il pouvait lui mentir… Mais bien qu’il affectât de s’en moquer, Severus semblait accorder de l’importance à la réponse.

« J’aime bien quand vous la faites rire. On dirait que vous le faites volontairement…

Je vois.

— Mais cela peut rester à mes yeux une illusion mentale si vous voulez, Professeur.

— Bon appétit, Monsieur Potter. »

***

Ministère de la Magie, 19h44,

« Je ne vous ai pas remercié, Lord Malefoy. »

Le Ministre de la Magie et Lucius Malefoy marchaient dans le grand hall, pratiquement désert à cette heure, comme ils en prenaient de plus en plus l’habitude ces derniers temps. Le blond savait de quoi Scrimgeour parlait, mais il marqua un arrêt dans sa déambulation, et se retourna lentement pour afficher un air d’interrogation polie :

« Monsieur le Premier Ministre, je n’ai pas souvenir d’avoir fait autre chose que mon devoir…

— Je parlais de votre gestion de la Presse. Merci de nous avoir évité les cancans de la Gazette. J’ai ouïe dire que vous aviez accordé du temps au nouveau canard… ?

— Ah ! Oui, tout à fait. Je sais que les lectrices de la Gazette rêvent de savoir si mon catogan s’attache avec une liane de velours ou de cuir, mais les circonstances ne se prêtent absolument pas à ces légèretés. Quand bien même il nous est difficile de nous exprimer envers nos concitoyens… Le Veritascriptum se veut plus « sérieux », plus « politique », m’a expliqué la jeune journaliste. Je me suis permis d’exprimer notre engagement dans la lutte contre les Mangemorts et Vous-Savez-Qui, tout glissant les prochaines mesures que vous avez prises, Monsieur le Premier Ministre.

— Voilà pourquoi je tenais à vous remercier… J’aurais préféré Monsieur que Weasley soit en mesure de mener cette crise, mais…

— Le jeune Weasley, n’est-ce pas… ? Perceval, c’est cela ?

— Oui, Percy Weasley. Compétent, serviable, méthodique. C’est un bon assistant, mais sa gestion de la communication n’est pas… Eh bien… Je suis plutôt soulagé que vous ayez décidé de prendre un poste au Département de la Justice, vous vous montrez habile pour le représenter.

— Nous faisons tous de notre mieux, Monsieur le Ministre. Et les circonstances sont si exceptionnelles…

— Oui… Oui. Je ne m’attendais pas à… »

Mais Scrimgeour s’arrêta dans sa phrase et jeta un regard intense à l’homme qui avait été déclaré non-coupable du chef d’inculpation « d’association avec des Mangemorts ». Longtemps, l’Auror qu’il était avait été convaincu que s’il y avait une famille maléfique, c’était bien les Malefoy… Mais de voir leur patriarche s’impliquer autant dans la lutte juridique – fût-ce à l’éducation – depuis le retour du mage noir… Lucius inclina la tête dans un mouvement élégant d’un homme pardonnant tout.

« Monsieur le Premier Ministre, permettez-moi de parler franchement : c’est tout à fait normal que vous soyez surpris par mon travail. Nous ne nous connaissions que de réputation, et vous, comme moi, avons dû pendant des années tenir des rôles particuliers. Vous êtes devenu Ministre de la Magie parce que vous aviez été l’un des plus grand Aurors de notre temps… Et que vous n’êtes ni mort, ni fou. Si vous m’aviez accordé votre confiance dès notre première rencontre, je n’aurais jamais pu développer le respect que j’ai actuellement pour votre force et votre jugement. Et c’est d’un homme fort dont nous avons besoin dans ces temps de guerre. »

L’ancien Auror grimaça légèrement, comme mal à l’aise avec cette idée. Mal à l’aise d’aimer la flatterie, peut-être ? De faire preuve d’un orgueil propre à tous les vétérans… ? Lucius changea de jambe d’appui pour étouffer le sourire qui menaçait de poindre. Il prenait grand plaisir à voir Rufus dans une telle situation. Finalement, le Ministre décida de changer de sujet, trop incertain quant à la réaction à obtenir :

« Et votre interview paraîtra quand ?

— Demain, sans doute ?

— N’est-il pas anormal de ne pas avoir de copie sur votre bureau dès ce soir ?

— Oh… La journaliste m’a affirmé que le Veritascriptum ne mangeait pas de ce pain et souhaitait rester neutre. Ce qui en fait à l’heure actuelle un excellent medium, si vous voulez mon opinion à ce sujet…

— C’est peut-être bien, en effet. Vous avez ma confiance, Lucius. S’il s’avère qu’elle est justifiée, j’espère pouvoir compter sur vous à l’avenir… Peut-être aurons-nous à nouveau besoin de votre sens de la formule.

— Cela serait pour vous servir un café, Monsieur le Premier Ministre, que je le ferais si cela nous permettait de gagner cette guerre, répliqua le blond en s’inclinant.

— Si vous en avez fait autant avec la journaliste, nul doute qu’elle a dû être conquise, se moqua Rufus en souriant pour la première fois sincèrement au Mangemort.

— Extatique serait le mot. Je ne crains pas le papier de demain. »

Ils étaient arrivés aux abords d’une grande cheminée ouvragée. Le Ministre de la Magie prit une poignée de poudre de cheminette dans une vasque en argent, et la jeta dans l’âtre vrombissant :

« Madame doit vous attendre, je suppose ? Il est inutile que je vous propose un verre de brandy… ?

— Cela aurait été avec plaisir, Monsieur le Premier Ministre, mais mon épouse est en effet très tatillonne sur l’heure du repas. Et… Je ne tiens pas particulièrement à l’affronter sur ce terrain.

— Je comprends…  Eh bien à demain, Lord Malefoy !

— Excellente soirée Monsieur le Premier Ministre. »

L’ancien Auror jeta la poudre dans le feu, et s’éclipsa dans un crépitement de bois. Resté en arrière, Lucius regarda autour de lui, et jeta à son tour de la poudre. Il franchit le brasier, et fut emporté dans un espace vibrant de cheminées et de flammes de toutes les couleurs.

Quand il arriva à destination, il sortit d’un pas leste, et sourit à sa femme qui l’attendait devant, comme il pouvait lui arriver. Il n’y avait personne dans le petit salon, Narcissa avait allumé quelques bougies et était vêtue d’une très belle robe cintrée bleu-azur, avec un grand châle blanc nacré qui lui tombait sur les creux des bras, et dans le bas du dos. Lucius lui sourit de plus belle lorsqu’il vit qu’elle avait noué ses cheveux en boucles ramenées sur le côté, jouant ainsi sur leur longueur, chose qu’elle ne faisait qu’en de rares cas…

« Bonsoir, mon époux. »

Lucius étira plus encore son sourire, et s’approcha d’elle doucement. Il passa dans son dos, déposant une série d’ombres de baisers dans son cou.

« Bonsoir, mon épouse. »

Narcissa soupira et penchant la tête sur le côté, dévoilant sa nuque en frissonnant. Lucius cligna lentement des yeux, ravalant son dépit quand à devoir mettre un terme à cela, et l’embrassant délicatement sous l’oreille. Elle sembla comprendre son dilemme, car, elle expira franchement.

« Vous n’avez fait que transiter, c’est cela… ?

— Je suis désolé. Je ne pensais pas que tu aurais…

— Vous n’avez pas à vous excuser, Lord Malefoy. Le devoir avant tout.

— Narcissa…, supplia-t-il. Épargne-moi au moins ce ton guindé.

— Guindé ? N’est-ce pourtant pas ainsi que l’on doit s’adresser à quelqu’un de votre rang ? N’aies-je donc pas Lord Lucius Malefoy, de la Noble et Ancienne maison….

— Je dois aller Le voir. Je reviens au plus tôt, je te promets que je me ferai pardonner. »

Sa femme se retourna et le considéra avec gravité. Elle n’était pas de celles qui faisaient des caprices, et Lucius la savait d’une remarquable patience. Narcissa n’aimait pas le voir rentrer si tard en ces heures. Et le jeu auquel il jouait – et que son épouse avait éventé avec une incroyable rapidité – était dangereux. Elle le savait, et son inquiétude allait croissante.

« Je suis en colère.

— J’ai cru comprendre. Tu ne me vouvoies qu’en public, ou quand tu m’en veux particulièrement.

— Je t’en veux surtout de… Oubliez ça, Lord Malefoy, allez faire votre rapport, votre devoir, peu importe. Votre épouse vous attendra. »

Lucius cligna des yeux à plusieurs reprises, jamais Narcissa n’avait réagi de cette manière, et il n’aima pas qu’elle lui parle comme s’il était un tyran avec elle, et un serviteur avec…

« Lady Malefoy, j’espère bien que mon épouse m’attendra à mon retour, dit-il avec brutalité. Car c’est là sa place. Lorsque Madame ma femme est en colère, elle se doit d’attendre que je rentre pour me le faire payer. » Termina-t-il avec un clin d’œil discret.

Cette phrase grotesque tira un léger sourire à sa femme, ce qui éclaira brièvement son visage. Lucius déposé un bref baiser sur ses lèvres, et murmura :

« Je te promets d’être rapide.

— Il me plaît de savoir que tu me crains peut-être plus que… »

Mais elle ne termina pas sa phrase, cette conversation allait trop loin. Même pour un aussi grand manoir. Lucius hocha la tête et se dirigea vers son cabinet privé et transplana directement.

Il arriva aux abords du manoir Jedusor, et s’autorisa un instant pour ajuster sa tenue. Il vérifia s’il avait toujours l’enveloppe donnée par Miller dans son manteau, et ganta ses mains. D’un geste impérieux de la canne, il fit ouvrir les grilles et remonta le long de l’allée mal entretenue du domaine. Quel gâchis… Pensa-t-il en dépassant une sorte de rosier qui ployait sous son poids et semblait s’étouffer dans toute cette noirceur. Les herbes étaient hautes et les traverser n’était jamais un moment que le blond appréciait : ce genre de végétation était propice aux serpents. Lucius serra brièvement les dents et se décida à passer la porte sans s’annoncer. C’était inutile, le Maître devait savoir qu’il était là.

Quand il arriva dans le vestibule, il tendit l’oreille en direction des cachots et un silence lui répondit. Il s’autorisa un bref sourire de satisfaction. Il préférait parler au Maître lorsque sa belle-sœur ne se trouvait pas dans les parages. Lucius ricana dans les ténèbres et monta directement les escaliers. Il se dirigea instinctivement vers la grande salle à manger où Voldemort avait pris l’habitude de rester prostré des heures, et s’arrêta sur le seuil, le souffle coupé. La porte était grande ouverte, dévoilant une salle vide. Le grand fauteuil dans lequel se lovait son Maître avait repris sa place en bout de table. Où pouvait bien… ?

« Tu ne viens pas me saluer, Lucius… ? »

Le Mangemort avala péniblement sa salive et se dirigea vers la voix sifflante. Elle semblait provenir d’un bureau attenant à la salle à manger, et lorsqu’il y pénétra, il y découvrit l’homme chauve penché sur une table garnie de notes diverses et de livres ouverts. Lucius s’inclina profondément, une drôle de sueur froide descendant le long de sa tempe.

« Mon Seigneur…

— As-tu des nouveaux éléments à m’apporter, Lucius ? »

Le Seigneur des Ténèbres ne lui accordait aucun regard, tournant de ses longs doigts les pages d’un grimoire à la reliure épaisse. Lorsque le Mangemort mit trop temps au goût du Fourchelangue à répondre, ce dernier ferma sèchement l’ouvrage, et planta son regard carmin dans celui de son serviteur. Malefoy étouffa un soupir de soulagement lorsqu’il glana le titre du livre, et mit un genou à terre.

« Oui, Mon Seigneur… J’ai tissé des liens étroits avec un des archivistes du Département des Mystères…

— Tu as toujours été très doué pour t’attirer les grâces des faibles, Lucius.

— Et cela paie aujourd’hui, Maître. »

Le blond dévoila l’enveloppe, et l’ouvrit délicatement. Voldemort grimaça devant son aspect malmené et tâché de graisse, mais quand Lucius tira des morceaux de parchemin, ses pupilles se rétractèrent si violemment qu’il n’avait plus que deux fines fentes noires au milieu d’un océan grenat.

« Est-ce… Est-ce l’ouvrage que tu m’as promis, Lucius ?

— La partie que mon contact a pu copier. » Répondit l’aristocrate en tendant les documents à son Maître qui les lui arracha presque des mains. « Il y a du superflu, car je ne tenais pas à ce qu’il comprenne ce que je cherchais précisément, mais il y a une partie d’éléments de réponse. Je l’espère, Mon Seigneur.

— Je l’espère également, Lucius… Pour toi. »

Voldemort lui tourna le dos et disposa les fragments sur son bureau. Écrits dans une langue que peu étaient capables de parler, et plus encore de lire, les textes traitaient d’un domaine qui fascinait particulièrement le Mage Noir depuis l’attaque du Ministère.

« Je peux le déchiffrer, parfait. Ton contact a fait un travail de transcription remarquable : le Fourchelangue n’est pas aisé à écrire. S’est-il demandé pourquoi tu cherchais ce genre de textes… ?

— J’ai prétendu m’être mis au défi de comprendre, afin de marcher dans les pas de… »

Lucius se tut lorsque Voldemort ricana avec un dédain qu’il ne chercha pas à dissimuler.

« Tout n’y est pas, Lucius… Mais je vais pouvoir interpréter d’autres mots, encore. Tâche de récupérer la suite sous peu, je ne peux plus attendre… Maintenant, laisse-moi étudier ces documents.

— Oui, Maître. »

Lucius s’inclina et se recula de quelques pas, avant de tourner les talons et de redescendre. Il avait été extrêmement rapide, et se mêlait à ses réflexions morbides une certaine satisfaction à retrouver Narcissa aussi vite. Mais son allégresse mourut à l’instant même où il croisa le visage blafard de Bellatrix, qui lui lança une œillade incroyablement mauvaise.

« Encore toi. Qu’est-ce que tu lui as amené, cette fois ?

— Je suis, moi aussi ravi de vous revoir, ma chère belle-sœur.

— LA FERME ! Je sais ce que tu fais. Je n’arrive pas encore à lui faire entendre raison, mais je ne vais pas te laisser faire. »

Elle avait pointé sa baguette en direction de son cou et le regardait par-derrière ses mèches folles. La Sorcière semblait au bord de l’hystérie et si elle avait toujours été agressive, même avec Lucius, jamais elle ne l’avait menacé. Décidément, personne ne réagissait normalement ce soir. Lucius reboutonna son manteau avec lenteur, et lança un sourire cruel à la brune :

« Serais-tu en train de remettre en question l’ordre de priorité de notre Maître, Bella… ? Et que comptes-tu faire ? Me jeter un sort, ici ? A l’heure actuelle, il est déjà en train de travailler sur les textes que je lui ai transmis, crois-tu qu’il apprécierait que tu le déranges… ? »

Elle sembla pâlir derrière sa tignasse, et le bout de sa baguette s’abaissa légèrement, mais elle la pointa directement sur la pomme d’Adam de son beau-frère, le regard plus furibond que jamais.

« Tu le rends faible, murmura-t-elle si bas qu’eux seuls pouvaient l’entendre. Tu le pousses à avoir peur de cette prophétie… Mais moi je ne suis pas dupe, Lucius. Tu nous as trahi.

— Oh, vraiment ? chuchota-t-il à son tour en écartant de son index la baguette menaçante. Dans ce cas, vas le lui dire… »

Il s’écarta théâtralement, montrant l’escaliers qui menait à l’étage, mais elle ne lui accorda aucun intérêt. Bellatrix restait concentrée sur lui, et sa baguette se replaça devant ses yeux.

« Nous avons perdu une année entière à chercher cette chimère… Je refuse de perdre une de plus à la traduire…

— Toi, peut-être. Le Maître, en revanche, a une autre lecture du danger auquel il s’expose. Et je crois qu’il a raison d’être prudent… C’est peut-être parce que je comprends cela qu’il m’accorde autant sa confiance, Bella… »

Bellatrix étouffa un juron et lui lança une œillade meurtrière, avant de tourner les talons. Elle glapit, et à mi-chemin revint en arrière, souffla sur sa mèche folle pour la virer de là, et repointa son arme en direction du blond :

« Je ne te laisserais pas nous arrêter, Lucius. Je n’ai rien à perdre, moi. Je n’ai pas peur.

— Au contraire, Bella, tu as tout à perdre… »

Il se décala et ouvrit la porte, puis, sans même lui lancer un seul regard, l’avertit :

« Tu devrais avoir peur de perdre cette guerre. »

Lorsqu’il n’était que Vincent

Je ne me lasse pas de le regarder faire. Son pinceau court sur la toile avec une rapidité et une précision qui me plongent dans une douce contemplation. Je suis le médecin, et pourtant, à le voir aplanir ses couleurs, ajouter des touches d’ocre et de doré, à voir son regard incroyablement lucide et perçant aller et venir entre sa toile et moi-même ; je suis le médecin, et pourtant ! J’ai l’intime sensation que l’exercice apaise toutes mes douleurs, peut-être même plus que les siennes.

Vincent est calme aujourd’hui. Son visage reflète une concentration extrême, et son humeur, d’ordinaire morose, semble être éblouie par l’amour de son art.  Une ride profonde se creuse sur son front, tandis que sa bouche se tord dans une moue de crispation extrême. Il m’observe, me détaille, m’analyse, pour me restituer sur sa toile, plein et entier, plus fidèlement qu’un spécialiste comme moi pourrait le faire.

À nous voir ainsi dans sa chambre, moi assis sur une chaise de bois dur, et lui à son chevalet, l’on ne soupçonnerait pas la tempête qui régnait encore quelques heures plus tôt dans l’hôpital. Vincent oscille dangereusement entre deux attitudes totalement contraires. Tantôt destructeur, mon pauvre Vincent s’infligera les pires souffrances, projetant tout dans la pièce, se mutilant avec n’importe quel objet tranchant à la portée de sa main. Tantôt constructeur, il prendra place sur son tabouret, ses pigments et son huile pour seule médication, et produira le monde. Notre monde. Son monde. Le monde selon Vincent.

Peu le savent, mais mon patient est un génie. Un être violent à l’âme en pièces, à l’esprit chaotique et pourtant profondément analytique et méthodique. Il est à l’image de ses œuvres : maîtrisé et fantasmagorique. Vif et sombre. Joyeux et mélancolique. Vincent aime et souffre de sa vie, et ses toiles tanguent d’un univers à un autre.

Rien n’est droit chez lui, à commencer par sa propre symétrie : il manque un élément à sa tête. J’ignore la vérité derrière cette perte, Vincent assure qu’il s’est infligé cela tout seul, mais quelque chose ne colle pas. Cependant, je sais que l’histoire est plausible. Jamais ses gens ou ses fleurs ne répondent aux lois de la droiture. Jamais ses clochers ou ses bâtisses ne pourraient s’élever dans la réalité, tant leurs murs sont bancals, difformes, oppressants. Vincent semble souffrir intensément, enfermé dans son propre imaginaire, dans ses rêves éveillés, dans ses cauchemars colorés. Et chaque jour, il exprime cette pensée malade au travers de toiles incroyables. Trop incroyables pour ne pas être dérangeantes.

Vincent n’est pas seul, nous l’aimons tous. Son frère, Théo, sa belle-sœur, moi-même ; nous l’aimons tous. Même Paul l’aime ou du moins, l’a aimé avant qu’ils ne se fâchent. Mais nous sommes trop peu pour remplir le trou béant de son âme. Trop peu pour porter aux nues son excellence. Trop peu pour dire ce que nous voyons dans son œuvre. Et le peintre qu’il est, même s’il tente de le masquer, en meurt chaque jour un peu plus.

Il hoche la tête à présent, et repose ses pinceaux gras, avant de s’essuyer les doigts sur son pantalon gris. Je n’ose bouger, ne sachant pas s’il a terminé, ou non. Il ne me regarde pas, se contente de se lever, et de me laisser tout le loisir de me contempler. J’hésite, personne n’a envie de se retrouver seul face à soi-même. Vincent est à la fenêtre, il contemple les champs de blé, comme les peignant dans cette tête dont je ne sais finalement rien. Sur le chevet, je fais face au Docteur Gachet, avachi sur une table, la tête posée sur sa main droite. C’est moi, et mon patient m’a représenté tel que j’étais : perdu face à une énigme que je ne comprends pas, et que peu de contemporains comprendront. Je me vois peint, en train d’observer la toile qui me montrera dans cette fascination totale. Cette mise en abîme me dérange légèrement. Elle est vraie, et je n’aime pas cette sensation. C’est peut-être ça le talent de Vincent : de montrer la réalité par-delà la matière. De montrer l’âme, par-delà le corps.

Je me tourne vers lui, mais Vincent est déjà parti. Il n’a pas quitté la pièce, mais il est déjà dans les champs, dans son esprit. Je ne trouve aucun mot, et n’en trouverai jamais. À ce moment précis, j’ignore que dans quelques mois il se tirera une balle dans la poitrine pour mourir. À cet instant, je ne sais toujours pas à quel point les mots n’expliqueront jamais cet homme.

Il laissera une lettre prophétique en guise d’adieux : « Eh bien vraiment nous ne pouvons faire parler que nos tableaux. » Et ses œuvres parleront pour lui. Ses œuvres célèbreront Van Gogh, là où je n’ai connu que Vincent.

Entrée en matière

2 septembre, couloirs de Poudlard, 7h45,

Harry n’avait pas souvenir de s’être levé d’aussi bonne humeur un jour de rentrée. Ces dernières années avaient, au contraire, été éprouvantes dès les premiers instants. Mais ce matin-là, tout autour de lui était d’une incroyable normalité. Ron avait mis une demi-heure de plus à sortir de son lit, avait râlé contre les jeunes années qui prenaient trop de temps sous la douche, avait lui-même pris trop de temps à son tour ; Dean et Seamus continuaient leur conversation de la veille au sujet d’une des dernières créations des frères Weasley, Neville avait rejoint Harry dès leur salle commune, et tous deux perdirent un certain temps à se demander où était Hermione, avant de se rendre compte eux-mêmes qu’ils avaient pris beaucoup trop leurs aises sur l’horaire. Autour du Survivant, les gens le saluaient, lui souriaient, indépendamment de la menace de Voldemort et des derniers rebondissements politiques ou de la menace grandissante des actions folles de Bellatrix. C’était une journée qui s’annonçait sous les auspices les plus normaux. En d’autres termes : c’était une journée tout à fait extraordinaire pour Harry Potter.

Lorsque Neville et lui déboulèrent dans la Grande Salle qui commençait à se remplir par grappes d’élèves encore groggy de sommeil, Harry affichait un sourire qui se refusait à disparaître. Il chercha du regard Luna, qu’il retrouva plongée en grande conversation avec un autre Serdaigle à ses côtés. La jeune blonde s’interrompit et braqua son regard clair sur l’Attrapeur, et lui sourit. Harry frissonna, lui rendit la pareille, et prit place aux côtés d’Hermione dans un geste si rapide et maladroit que son coude percuta son assiette, qui percuta le verre de jus de citrouille.

« Oh Harry ! C’est pas vrai, fais gaffe, s’il te plaît ! » Le rabroua-t-elle en sortant sa baguette pour réparer les dégâts.

« Désolé, je t’en sers un autre…

— C’est pas ça le problème, t’aurais pu tacher le livre, et il n’est pas à moi…

— Déjà en train de bouquiner ? s’enquit Neville qui resservait Hermione dans un même geste.

— Oui, je l’ai emprunté hier, avant d’aller me coucher.

— Tu n’as pas déjà lu tous les livres de la bibliothèque ?

— Déjà d’une : non, et de deux chaque année Poudlard se met à jour sur les dernières publications. Vous n’aviez jamais remarqué ? »

Hermione s’intéressa que très brièvement à leur réponse, se rendant compte qu’en réalité, elle la connaissait déjà. Neville haussa les épaules, même lui ne vérifiait pas la collection de l’école. Concernant la botanique, le garçon s’était — et depuis longtemps —  abonné à diverses revues spécialisées. Quant à Harry…

« Eh oh ? Harry ? Arrête de la fixer comme ça, tout le monde vous regarde.

— Pardon ? »

Malgré sa maladresse, l’Attrapeur avait relevé la tête en direction de Luna et la fixait, en réfléchissant, et la jeune fille ne se privait pas de lui rendre la pareille. Ils se jaugeaient donc tous deux, et une bonne partie de la Grande Salle cancanait déjà à ce sujet.

« Harry, arrête, enfin ! Même le Professeur Snape se moque de toi ! » supplia Hermione en se mordant la joue pour ne pas rire à son tour.

C’était exact : l’homme en noir observait le fils de son vieil ennemi, en échangeant quelques mots avec sa voisine. Cette dernière dissimula un éclat de rire en toussant, mais crachota à moitié en s’étouffant. Harry rougit furieusement et se retourna sur son assiette en maugréant :

« Ça n’est pas ce que vous croyez, je voulais juste lui dire bonjour, et elle m’a regardée, alors même qu’elle ne pouvait pas savoir que je le faisais, et pourtant elle l’a fait, et ça me met mal à l’aise et…

— Et tu te retrouves à balbutier, comme un con, des tentatives d’excuses, alors même qu’on sait tous que tu as un faible pour les gens bizarres. Remarque, entre fous furieux, vous faites la paire… »

Ron avait annoncé ça tout en se servant un bol de café — sa nouvelle lubie depuis quelques temps — et prenait place à côté d’Harry qui plongea sa tête dans son assiette.

« T’aurais mieux fait de te noyer sous la douche, toi, grommela le brun.

— Ouais, bonjour aussi Harry.

— Alors c’est lui, Slughorn, changea de sujet Neville pour aider son ami.

— Il n’a pas l’air si terrible, s’étonna Hermione.

— Détrompez-vous, dans un sens, il est plus bizarre que Snape… Je le trouve même plus Serpentard d’une certaine manière. Il est… Je sais pas. »

Harry se tut, regardant le nouveau Professeur de Potions, et hocha la tête avant de se retourner vers ses amis :

« Vous savez, je ne crois pas que Snape ait été déplacé au poste de Défense, je me demande si Dumbledore n’attend pas quelque chose de lui. Sirius m’a dit que Slughorn était un prof gentil, mais qui organisait beaucoup de soirées pour tisser des liens, etc. Une sorte de club privé de la Haute, vous voyez ? Je sais pas… Je pense que c’est pas anodin.

— C’était peut-être pour te permettre de continuer à étudier les potions… ? Proposa Hermione. Après tout, tu n’as pas eu un Optimal et…

— Non, Dumbledore n’est pas tant que ça prêt à favoriser Harry, coupa Ron. Je pense que même lui a ses limites.

— Tout à fait, renchérit Neville d’un ton taquin, Dumbledore se refuserait à aller plus loin que de changer le résultat d’une coupe des quatre maisons de façon arbitraire et à la dernière minute.

— Oui, voilà, il a des principes ! hocha de la tête le rouquin avant d’éclater de rire. »

Ils s’esclaffèrent, cette vieille histoire traînait entre eux, et Harry se surpris un instant à jeter un drôle de regard à la table des Serpentards. Pour la première fois depuis son arrivée à Poudlard, il se demanda si Snape et Malefoy n’avaient pas soulevé un fait : la propension du Directeur à les favoriser… Le brun se grattant le nez qui le picotait furieusement, sentant un sentiment de gêne poindre soudainement. C’était de la honte. Il le savait. Mais Harry n’avait pas envie de penser à ça, il n’y était pour rien, après tout.

Un bruissement d’ailes interrompit le fil de ses pensées, et les sorciers mirent machinalement leurs mains sur leurs godets et autres bols. Plusieurs centaines de hiboux et chouettes déboulèrent dans la Grande Salle, projetant une myriade de plumes dans tous les sens, faisant pleurer les premières années qui ignoraient encore qu’il fallait protéger son repas au risque de le voir gâché par des morceaux de volatiles. Cette année, il semblait qu’il y avait peut-être plus de lettres, plus de colis, plus de communication entre les parents et les élèves. Ce n’était que le premier jour, et nombreux des enfants affichaient déjà une mine fermée, de celle que l’on montre quand on vient d’essuyer des rouleaux de parchemins de mise en garde et d’inquiétude parentales.

Deux hiboux aux couleurs criardes apportèrent un colis à Ron, après avoir foncé en piqué sur le pauvre garçon qui avait attiré l’attention de toute la grande salle en poussant un cri perçant. Les rapaces lui délivrèrent le paquet, chipèrent un pain au lait qu’ils se partagèrent d’un coup de bec, avant de repartir non sans avoir effectué un looping qu’Harry fut choqué de voir réalisé par des créatures d’ordinaires si paisibles.

« C’est Tweedledum et Tweedledee, les hiboux striés de Fred et George. Ne me demande pas pourquoi, mais ils les ont dressés à faire ça. Il paraît même que la plupart de leurs oiseaux livrent les commandes de cette manière, ils sont fous, ils… AH ! Mais c’est génial, ça ! »

Ron ne termina pas sa phrase et tira de son paquet une boîte à flemme, entièrement brossée de noir sur laquelle était gravée un corbeau vert.

« Qu’est-ce que c’est ? s’étonna Hermione.

— Il y a un mot, lis-le, s’il te plaît.

— « À utiliser en cas de Snapitte aigüe ». C’est une boîte à flemme pour le cours de Snape ! comprit le rouquin en éclatant de rire.

— Pourquoi un corbeau ?

— Bah… T’as vu un peu son tarin, Harry ? Tiens, et mes frères me font te dire qu’ils te remercient, bla bla bla, et qu’il serait temps que tu passes voir ton investissement. Est-ce que tu vas enfin me dire officiellement ce qu’est cette histoire de…

— Non, j’ai promis. Mais oui, il faut qu’on y passe, Sirius voulait y faire des achats, mais nous n’avons pas eu l’occasion d’aller au magasin… Si seulement ils avaient une boutique plus proche ! On va devoir attendre Noël.

— Non, répliqua malicieux Ron. Mais moi aussi j’ai promis… Alors tu ne sauras rien si je ne… »

Il s’interrompit quand un Hibou Grand-Duc se posta devant Harry pour lui tendre la patte d’un air impérieux. Un parchemin était roulé dans une bague, et quand le garçon le déplia, l’oiseau s’envola sans même lui laisser l’occasion de répondre à l’expéditeur.

« Tu n’aurais peut-être pas dû l’ouvrir comme ça, tu ne sais pas d’où ça vient, grimaça Hermione avec crainte.

— Si ça a passé les scrutations des Aurors, ça peut bien arriver à ma table, ‘Mione. Ils vérifient tout, tu le sais. Et puis ça vient de Dumbledore. »

Ils se turent et se penchèrent immédiatement en sa direction pour être dans la confidence. Harry sourit en secouant la tête, on aurait dit une bande d’espions en pleine mission.

« Je vais continuer mes cours avec Snape… Apparemment, ça sera des « cours de DCFM » privés… Et je vais en commencer avec le Directeur ! »

Il avait terminé sa phrase avec une pointe de stupeur, et il releva immédiatement la tête en direction de la table des professeurs. Sans surprise, le vieil homme l’observait, comme pour s’assurer qu’Harry recevait bien le message, et il se saisit de sa tasse de thé pour la lever dans la direction du jeune homme. Le brun lui sourit en hochant la tête mais un cri interrompit cet échange d’amabilités.

Le Survivant rata un battement de cœur, et dégaina sa baguette immédiatement. Ceux qui avaient suivi les cours de l’Armée d’Ombrage l’année précédente en firent de même, et rapidement, ils observaient la source du cri. Dumbledore avait jeté sa tasse et s’était levé avec rapidité, suivit de près par Snape et Mc Gonagall. À la table des Poufsouffles, une jeune fille rousse pleurait à chaudes larmes dans les bras d’un septième année de sa maison. Harry reconnut Susan Bones. Il n’eut pas besoin d’en savoir davantage pour comprendre, et le départ précipité de la jeune fille, escorté par le Professeur Chourave, sa Directrice de maison lui confirma ses déductions.

Dumbledore sembla donner une série d’instructions à ses collègues, puis il se posta sur l’estrade qui relevait la table professorale, et sans préambule annonça :

« La Ministre de la Justice, Amélia Bones, a été retrouvée morte non loin du Ministère de la Magie. Les journaux le titreront demain, et pour l’heure, je vous demanderais d’épargner votre camarade de vos questions légitimes, mais bien trop curieuses. Miss Bones aura surtout besoin de calme et d’amitié. »

La Grande Salle trembla légèrement quand les élèves se mirent à parler en même temps, demandant au Directeur s’il en savait davantage, ou ce qu’il allait advenir de la journée. Le vieil homme releva les mains pour les faire taire, et Harry frissonna violemment de dégoût quand il vit celle qui était calcinée.

« Les cours auront lieu, bien entendu. Ce n’est certainement pas le moment, ou l’époque, de vous passer d’enseignement. Cela arrivera encore… Vous vous en doutez. Alors profitez. Apprenez, comprenez, renforcez vos amitiés. La vie prendra toujours le pas sur la mort, mais elle a besoin de vous pour cela. »

Quelques élèves grimacèrent en singeant les propos du vieil homme, mais la plupart restaient silencieux et se retirèrent de la salle avec morosité. Harry sentit un poids descendre dans son estomac, et il avala une grande goulée d’air pour tenter de se rassurer. La journée avec si bien commencé…

« Au moins on ne commence pas par Snape, soupira Ron. Peut-être que Slughorn est aussi sympa qu’il en a l’air, et qu’il va nous changer les idées… ?

— Ouais… Peut-être… Mais j’crois que j’aurais préféré commencer par la Défense, en fait. »

Neville hocha la tête aux propos de son ami, et Hermione approuva également. Cela mit mal à l’aise le jeune Weasley, qui comprit pourquoi ses compagnons avaient tant besoin d’entrer rapidement dans le vif du sujet. Il était le plus grand du groupe, approchant d’un bon mètre quatre-vingt-dix et il détesta ce fait l’espace d’un instant, comme s’il avait la responsabilité de les guider physiquement vers une meilleure humeur. Il grogna.

« Moi pas. Si c’est pour l’entendre dire à Harry que c’est un miracle qu’il ait pu survivre jusqu’ici, j’crois encore que j’préfère me taper un questionnaire sur pourquoi Lockhart est l’homme le plus beau de la terre… Hey, remarquez : p’tetre bien qu’il pourrait nous faire faire ça, vous imaginez ?

— Qu’est-ce que tu racontes… ?

— « Question 1 : Pourquoi Severus Snape est-il le professeur le plus détesté de Poudlard ? », « Question 2 : Est-ce que Severus Snape vous a déjà fait pleurer ? Si oui, expliquez en détail comment… » »

Harry sourit, bientôt suivit par les autres, et relança :

« J’vois bien un QCM aussi, genre : « Harry Potter est-il, Réponse A : Une imposture ; Réponse B : Une plaie comme rarement Poudlard en a connu ; Réponse C : … »

— « Réponse C : Toujours prompte à faire son intéressant et fondamentalement incapable d’arriver à l’heure à un cours de potions, et ce, même si ce n’est pas le Professeur Snape qui le donne. » »

Le groupe s’arrêta net en entendant cette voix dans les couloirs. Ils savaient à qui elle appartenait, et aucun ne prit la peine de se retourner pour confirmer. Un instant, ils se demandèrent si l’espion ne prenait pas un peu trop à cœur sa mission pour l’Ordre et ne s’était pas mis à espionner tout et tout le monde, mais Snape les dépassa dans un tourbillon de robe noires, sans même leur accorder un regard, et monta quatre à quatre les escaliers menant à l’étage de sa nouvelle classe.

« … Il n’a pas retiré de points, s’étonna Neville.

— Et on est bien en retard, confirma Hermione.

— Heu… C’est moi ou il vient de faire de l’humour ? »

Harry et Ron se regardèrent avec horreur, se demandant si cela n’était pas le plus gros signe de la fin des temps, puis, ils éclatèrent de rire et partirent en direction des cachots pour deux heures de potions avec le nouveau professeur.

***

Même jour, Ministère de la Magie, Grand Hall, 09h32,

 

« Lord Malefoy ! Lord Malefoy ! »

Lucius ralentit le pas, sans pour autant s’arrêter. Il allongea sa foulée, pour garder une certaine prestance, et fit claquer plus fortement sa canne sur le sol impeccable du Ministère. Des têtes s’étaient tournées vers lui. Déjà à son passage naturellement, mais à présent, tout le monde l’observait pour savoir ce qu’il se passait. À l’exception de Poudlard, le Ministère de la Magie était le lieu ultime des racontars et autres commérages. C’était une perpétuelle représentation – Politique oblige – et il adorait ça. C’était son élément, sa scène, et il était en était l’acteur principal. Même si pour l’instant, le public ne le comprenait toujours pas.

Une jeune fille lui courrait après, les mèches en folie qui dansaient autour de son visage, et le bras droit tendu sur un carnet noircit de notes. C’était probablement une nouvelle journaliste, qui tentait de lui arracher une interview croustillante. Et il aimait à les rendre rares, surtout depuis le retour de Voldemort, désirant montrer qu’il se plaçait au-dessus de la mêlée. Des photos, oui, des interviews, non… Il n’avait pour le moment pas fait exception, mais quand elle se posta devant lui, osant lui couper la route, quand il conclut, à sa tenue et à sa remarquable beauté, qu’il avait encore devant lui une nouvelle recrue de Skeeter, le Mangemort décocha un rictus méprisant du plus bel effet.

Depuis son retour à la Gazette, Skeeter embauchait à tout va des gamines écervelées prêtes à tout pour du scandale et de l’info’ croustillante. Et elles devaient avoir autant d’allure que de charme pour arriver à leurs fins. Les officiers de l’étage Administratif tenaient même les comptes et les classaient par notation esthétique. Non, vraiment, le Ministère de la Magie était l’antichambre de l’immaturité. Lucius ne jouait pas à ce jeu-là, satisfait que son rang le lui évite, mais intimider les nouveaux venus lui plaisait énormément. Quand la scribouillarde ne s’arrêta pourtant pas, marchant à reculons en lui faisant face, et ne rougissant même pas devant son regard hautain, il s’arrêta.

« Que voulez-vous… Miss… ?

— Delorme, Nathalie Delorme. Je suis journaliste à…

La Gazette du Sorcier, et vous espérez une interview. Vous venez de l’avoir, Miss, elle fut courte, mais intense, se moqua-t-il en se surprenant à ressembler à Severus. Votre père travaille bien au Département des transports magiques, n’est-ce pas ?

— … Heu… Oui… Mais en fait je ne voulais pas…

— Et vous avez fait vos études où Miss ?

— Cela fait deux questions, Lord Malefoy. Vous m’en devez donc deux. »

Le blond cilla en regardant attentivement la demoiselle. Edward Delorme était peut-être un sot, mais sa fille était vive d’esprit. Il sourit narquoisement :

« Poudlard, je suppose, à Serpentard, non ?

— Trois.

— Je vois… Suivez-moi dans mon bureau, voulez-vous ? »

Lucius avait incliné la tête et prononcé cette phrase en laissant sous-entendre tout ce qui pouvait faire jaser, et qui commençait déjà à alimenter les conversations qui démarraient sur leur passage sans grande discrétion. Mais Nathalie ne sembla pas en tenir cas, et cela plut au patriarche de la maison Malefoy. Il prit le temps de l’observer quand ils furent coincés dans un ascenseur les amenant à son étage, la jeune femme ne pipa mot, probablement pour garder son avance, et le blond apprécia ce silence. Le Ministère était un lieu particulièrement bruyant, plein de cris, d’explosions, de rires et de revendications. Quand ils arrivèrent devant sa porte, il hésita, puis s’effaça pour lui permettre d’entrer la première. Pas assez pour lui éviter cependant de le frôler, ce qu’elle fit sans lui accorder le moindre regard, ni frissonner comme les autres femmes pouvaient en avoir l’habitude. Voilà qui était intéressant !

Ils étaient à l’étage dédié au Département de la Justice Magique, et Lucius y occupait une place importante de Sous-Secrétaire dédié à l’Éducation. Il avait obtenu son poste avec un naturel déconcertant, s’imposant dans les inconscients avec facilité. Il n’était nommé que depuis l’année précédente, et personne ne se souciait du fait que, jusqu’ici, jamais Lucius Malefoy n’avait eu à travailler. Un Malefoy l’avait-il jamais fait au cours des derniers siècles, d’ailleurs ?

Il déposa sa canne allongée sur son bureau, son pommeau en forme de serpent fixant Nathalie qui s’était déjà installée sur un fauteuil attenant au meuble. Lucius fronça les sourcils, se demandant s’il avait bien en face de lui une apprentie journaliste, mais il lui sourit, usant, lui aussi de ses charmes :

« Du thé, du café, ou quelque chose de plus fort, peut-être… ?

— Puisque nous sommes entre nous, nous pouvons éviter cela, je suppose. Je ne suis pas ici pour vous voir faire mine de vous intéresser à moi.

— Pourquoi pas ? Vous êtes tout à fait charmante…, répliqua le blond en masquant superbement sa stupeur.

— Votre réputation vous précède, Lord Malefoy, notre maison raconte encore votre indéfectible loyauté à votre épouse. Pour ma part, j’ai toujours pensé que vous l’aimiez peut-être…

Ca suffit, qui êtes-vous ? »

Son ton avait perdu de sa chaleur, et ses yeux étaient devenus gris acier. Il était difficile à cet instant de douter que Lucius Malefoy eut été quelqu’un de très dangereux, mais Nathalie ne recula pourtant pas.

« Je suis bien journaliste, mais pas à la Gazette… C’est un grand reporter qui m’a recrutée, et vous êtes ma première mission.

— Je vois… »

Foutu Oaken ! Il avait le don de dénicher des profils atypiques, et celui-ci n’y faisait pas exception.

« Vous êtes de quelle promotion, au juste ? Je m’étonne de ne pas avoir entendu parler de vous.

— 2013, j’ai terminé mon année quand le scandale sur les loups-garous à Poudlard a éclaté.

— Ah, oui… »

Le blond se fustigea mentalement, il avait perdu de vue pas moins de cinq années de Serpentards comme ça, se concentrant essentiellement sur la scolarité de son fils, et ce maudit Potter. C’était une grave erreur qu’Oaken ne semblait pas avoir commise.

« Et vous êtes chargée de m’interviewer, c’est cela… ?

— Je ne m’intéresse pas à votre couleur préférée, si c’est la question, Lord Malefoy. Je voudrais plutôt savoir si vous êtes au courant pour le meurtre d’Amélia Bones… »

***

Salle d’Étude des Moldus, 10h02,

Jane grommela lorsqu’elle avisa l’horloge qu’elle avait traditionnellement accrochée au-dessus de la porte. Ses élèves étaient en retard, signe qu’ils avaient radicalement oublié le peu de règles qu’elle avait tenté de leur imposer l’année précédente.

Elle était angoissée, son cours avait été interrompu si vite, et avait repris à la nouvelle année sans qu’elle ne puisse vraiment s’y préparer. Jane n’en menait pas large. Elle ignorait dans quelles dispositions seraient ses élèves, et la sixième année – qui contenait hélas toujours les Malefoy et autres Potter – la stressait. Pas uniquement à cause des illustres noms. C’était surtout une affaire de contexte. Maintenant que Voldemort était officiellement de retour, elle comprenait la difficulté à enseigner cette matière. Combien de temps lui faudrait-il pour être une cible comme la Ministre de la Justice, ou bien…

« Allons, Jane ! se rassura-t-elle. Depuis quand on s’intéresse aux profs, hein ? Il n’y a que dans la banlieue de Londres qu’ils sont attaqués au couteau, ici tu ne risques que… Awn. Qu’un Doloris, qu’un Avada, qu’un… »

Elle s’interrompit, entendant des éclats de rires provenant du couloir. Pas juste un petit groupe, mais une belle horde de Gryffondors avançant en riant aux éclats, sous le regard amusé des Poufsouffle et Serdaigle de leur âge, et celui médusé des Serpentards. Jane leur ouvrit la porte sans rien dire, et les laissa prendre place. Les gamins s’asseyant sans même lui prêter la moindre attention. Le brouhaha ne semblait pas capable de se tarir, et les conversations allaient bon train. Les gamins prenaient leurs aises, sortaient leurs plumes et rouleaux de parchemins, et les rouges et or continuaient de bavasser. Les Serdaigles se turent les premiers, suivis par les Poufsouffles qui – après un regard en direction de leur enseignante – se turent immédiatement eux aussi. Les Serpentards, quant à eux, goûtaient par anticipation la réaction de Smith, qu’ils n’avaient pas oubliée. Eux, se souvenaient qu’elle était aussi impitoyable que leur Directeur de maison.

Jane s’était installée contre son bureau, comme elle l’avait fait l’année d’avant, et les observait, lèvres pincées. L’horloge affichait 10h12, et les conversations continuaient, bien que quelques Serdaigles tentaient, en vain, de faire taire les Gryffondors. À 10h13, Harry tourna la tête vers Jane, en essuyant une larme de rire suite à la chute du sketch de Ron, et il laissa échapper un gracieux :

« Oh, merde…

N’est-ce pas ? »

Elle n’avait pas haussé le ton. Elle n’avait même pas forcé les mots ou appuyé sur la moindre syllabe. Smith s’était contentée de souligner une évidence : ils étaient mal. Instinctivement, les élèves se tirent droits, en sachant pertinemment que c’était trop tard, et frissonnèrent. Nous étions le 2 septembre 2016, et à ce jour, il n’y avait que Minerva McGonagall, Severus Snape et Jane Smith qui parvenaient à les faire sentir coupables en si peu de mots.

« Deux points de moins pour Serpentard, Poufsouffle et Serdaigle pour le retard de deux minutes, et 13 points de moins pour Gryffondor et sa fanfare de ricanements périscolaires. C’est la rentrée, je ne vais pas vous compter ces points en moins par élève, je ne suis pas sadique… »

Elle laissa sa phrase en suspens, et certains étudiants sourirent en grimaçant, incapables d’arriver à déterminer s’ils lui en voulaient ou si son humour faisait mouche.

« Néanmoins. Le programme est chargé, l’actualité aussi, et à moins que je ne sois à nouveau destituée par une folle aux relents autoritaires, ou assassinée par ses congénères – et oui, Miss Granger, on peut l’écrire en deux mots – nous avons trop à faire pour que je tolère le moindre relâchement dans la classe. »

Ils la regardèrent, choqués. Des gentils Poufsouffles aux plus retors des Serpentards, sa phrase avait choqué par sa brutalité. C’est Draco Malefoy qui leva la main, surprenant son petit monde avec sa docilité :

« Oui ?

— Vous avez peur d’être tuée, Professeur ?

— Oui, Monsieur Malefoy, répliqua Jane en déclenchant une vague de rires chez les Serpentards. Et j’ai peur, parce que je m’efforce de mener une vie intéressante. C’est un sentiment logique quand on a un sens à sa vie.

— Et c’est quoi le vôtre… ? lui demanda-t-il avec insolence.

— Répondre à des questions personnelles au lieu de faire mon cours ? Tenter de vous apprendre quelque chose qui ne soit pas préformaté par le Ministère ? Faire de vous des adultes un peu moins… Cons, que la moyenne ? Choisissez Monsieur Malefoy, j’ai une foule de vocations. Mais pour l’heure, ça serait plutôt de faire mon cours, à moins que… Oui ? Monsieur Potter ?

— Vous croyez que vous risquez quelque chose, Professeur ?

— Précisez votre pensée.

— J’veux dire, vu la matière que vous enseignez, quoi.

— Ah. Nous y voilà… Oui, je le crois. Je risque autant que vous tous, un peu plus que Monsieur Dodge qui est de Sang-Pur et qui n’a que des gens fréquentables dans sa famille… Moins que vous, Monsieur Potter, ou vous, Monsieur Malefoy.

— Pourquoi moi ?! s’ébroua le blond. Qu’êtes-vous en train de…

— Votre famille est ancienne, puissante, versée dans la Politique, et riche. Et puis, soyons francs : c’est dans vos rangs que les Mangemorts recrutent le plus. Vous, les Serpentards, allaient être plus courtisés et manipulés que des catins un jour de sortie de Jack l’Éventreur. Si ce n’est pas déjà fait… Tout ça pour dire que oui, j’ai peur pour ma peau, mais comme vous, en fin de compte.

— … Pourquoi continuer à enseigner cette stupide matière, alors ?

— Parce que votre détestation de ces heures est l’un de mes plus gros plaisirs dans la vie, Monsieur Malefoy… Les pauvres gens se divertissent avec ce qu’ils peuvent… D’autres questions sur la guerre ? Ou je vais enfin avoir l’explication de votre hilarité de tout à l’heure ? »

La joie avait quitté les rouges et or, et à présent ils regardaient leurs amis avec gravité. Les Serpentards ne fanfaronnaient pas le moins du monde, reclus dans leurs pensées pleines de devoirs et de problèmes familiaux. Draco lui-même avait apprécié qu’elle change de sujet. Même s’il le dissimulait admirablement bien, il redoutait cette guerre… Comme beaucoup de Serpentards qui auraient préféré mener le conflit idéologique sur le front Politique, et non pas en tuant à tout va. Contrairement à ce que les adultes pensaient, cette génération n’avait pas soif de sang, bien au contraire.

C’est Neville qui leva la main pour répondre à la question du Professeur :

« En fait, c’est à cause d’une potion. Tout à l’heure, nous avions cours avec le Professeur Slughorn, et quand il a vu nos têtes à cause de… Enfin, de ce matin… Il nous a fait travailler sur une potion d’euphorie pour nous changer les idées. Et du coup…

— Et ça vous a fait du bien… C’était une bonne idée. Je devrais lui en demander pour ici. Si vous continuez à vouloir parler de sujets aussi graves, il va nous en falloir.

— Vous voudriez qu’on évite, Professeur ? se permit une nouvelle fois Draco sans lever la main cette fois-ci.

— Non. En revanche, évitez de prendre la parole comme ça. Je vous rappelle que vous êtes trop nombreux pour qu’on puisse se couper tous les uns et les autres. Mais non, n’hésitez jamais. Je vous l’ai déjà dit l’année dernière : s’il y a un cours où vous pouvez vous exprimer, c’est celui-ci. Mais que je sois claire…, ajouta-t-elle alors qu’une foule de chuchotements commençait. Le premier qui parle de « Sang-de-Bourbe » ou un autre truc dans le genre, le regrettera amèrement. Je ne plaisante absolument pas avec ça. Je sais parfaitement que dans ma classe j’ai ce que les Moldus appelleraient des néo-nazis – et non, Miss Granger, nous n’allons pas en parler tout de suite, mais cette année sans doute ! Je connais vos théories suprématistes, et je ne vous empêcherai pas de vous exprimer… »

Elle ne put terminer car un tonnerre de protestations s’éleva, principalement du côté des Serdaigles qui hurlaient qu’on ne pouvait laisser la haine s’exprimer. Jane les laissa faire, et quand ils en furent à s’invectiver les uns et les autres, elle donna un grand coup de pied arrière dans son bureau pour les interrompre. Choqués par un geste aussi basique, ils se turent.

« Je ne vous empêcherai pas de vous exprimer à une condition : que vous soyez capables d’argumenter, et de laisser vos détracteurs contre-argumenter. Et vous avez intérêt à le faire dans le respect. Je n’accepte aucun « j’ai vu ça dans les journaux », et autres « tout le monde sait ça ». Si vous ne pouvez soutenir vos thèses, aussi méphitiques soient-elles, vous allez les taire. Sinon… si elles sont solides, au point de déclencher une guerre, vous devriez pouvoir les défendre, n’est-ce pas ? »

Elle aurait frappé un par un les élèves que c’était pareil. Les verts et argent accusaient plus durement le coup, et il fallut une fraction de seconde à Draco pour retrouver son masque, la dernière phrase de l’enseignante tournoyant dans son esprit… Pouvait-il vraiment… ?

« Nous allons parler de ça cette année, Professeur ? demanda avec crainte Hermione.

— Vous voudriez que l’on parle de quoi, au juste, Miss Granger ?

— Mais ce n’est pas neutre que d’aborder de telles questions en plein conflit idéologique…

— Non. Mais l’école n’est pas neutre, Miss Abbot. Ni moi, d’ailleurs, ni vous. Ici, chacun a ses convictions, et on ne va pas se faire l’affront de se mentir. La majorité chez les sorciers est à 17 ans, combien ici vont l’atteindre cette année scolaire ? »

Un certain nombre de mains se levèrent, et Harry comprit immédiatement où elle voulait en venir.

« C’est bien ce qu’il me semblait… On va donc se comporter comme des grands et se traiter de racistes avec dignité, s’il vous plaît. Mais puisque les histoires de joies provoquées par de la magie vous plaisent, on va parler d’une vieille histoire Moldue qui s’est passée en France… »

Jane leur raconta alors les légendes sur les danses macabres, dont la célèbre danse de Strasbourg, survenue au 16ème siècle. Elle leur raconta la terreur des habitants, leur réaction, leurs conclusions de l’époque. Elle leur raconta comment de pauvres gens se mirent à danser jusqu’à la mort, ou jetés dans des auspices car on ne savait pas soigner leur mal.

« … Et c’est un phénomène qu’on a vu assez souvent, parfois représenté sur les fresques religieuses pour avertir le citoyen de l’époque des dangers des plaisirs. Parce qu’il ne faut pas croire, mais dans cette culture Moldue, il n’y a pas que la peur de la magie… Il y a la peur du divin ! Tout était l’œuvre de Dieu, ou du diable ! Bien entendu, la sorcellerie était celle du diable, sinon on n’aurait pas brûlé à tout va n’importe qui…

— Mais… On a su ce qu’il s’était réellement passé ? demanda Antony Goldstein.

— Ah, oui… Les scientifiques pensent que c’est lié à un empoisonnement au pain de seigle. Le seigle s’étant flétris sous l’humidité, il aurait libéré des toxines hallucinogènes.

— Comme peut le faire le Bouton-Noir, quand il est mal dosé ? proposa Neville.

— Le… ?

— La Belladone !

— Ah, oui ! Moi et la Botanique… Oui, tout à fait. Mais apparemment, les gens en ont eu des convulsions, et des grosses crises… Après, les opinions divergent à ce sujet, mais aujourd’hui, les Moldus n’associent plus du tout cette histoire à un empoisonnement de sorcières, ou une malédiction.

— Pourquoi ils nous accusaient systématiquement… ? Pourquoi ils nous ont brûlés, alors que la plupart du temps, nous étions innocents ? demanda une Poufsouffle.

— La peur, répondit Draco rapidement. C’est la peur qui fait que tu proclames un ennemi et que tu l’éradiques.

— Exact, vingt points pour Serpentard. Et vous savez ce que l’on dit ? »

Ils étaient plus de cinquante visages à la regarder sans comprendre, et l’espace d’un instant, Jane eut l’impression d’être catapultée dans une autre dimension. Elle avait beau prendre l’habitude, c’était toujours autant dépaysant…

« La peur mène à la haine, et la haine mène à la souffrance ! On ne vous apprend jamais rien d’utile dans cette école, en fait !

— Professeur, vous venez de citer Star Wars, non ? s’écria Seamus.

— C’est exact ! Cinq points pour Gryffondor ! Je me sens moins seule…

— C’est quoi, Star Wars ?

— Un film.

Un quoi ?

— La plus grosse histoire jamais créée !!

PAARDON ? C’est le Seigneur des Anneaux, j’te signale !!

— QUOI ? C’est l’ENTIERETE de l’œuvre de Tolkien, pas juste le…

— Merlin… TAISEZ-VOUS ! Je suis contente que la culture Moldue vous intéresse, et elle a clairement de quoi, mais ce n’était pas le sujet… Et puis c’est difficile de vous expliquer ce que c’est, et c’est bien dommage, faudrait le voir, pour cela.

— C’est une pièce de théâtre ? Mère dit que c’est nous qui leur avons apporté le théâtre lorsque nous cohabitions…

— Pas exactement, Monsieur Malefoy, le cinéma est l’héritier du théâtre, mais sans télévision, ou rétroprojecteur… Sans lecteur de DVD, je ne vois pas comment vous montrer ça. »

Elle les avait perdus, et c’était amusant de voir les né-Moldus ou Sang-Mêlés se gonfler d’orgueil en voyant leurs amis dans l’incompréhension. Jane pesta, en avisant l’heure : 11h47.

« Laissez tomber, nous nous faisons du mal. Rien ne passe dans ce fichu château ! Voilà à quoi sert mon cours, Monsieur Malefoy : à tenter de percer la couche de magie qui empêche le moindre appareil Moldu de fonctionner. Si l’un d’entre vous se trouvait une vocation pour trouver une solution…

— Qu’est-ce que vous racontez, Professeur ? Où est le problème ?

— Le problème, Monsieur Malefoy est que le moindre appareil Moldu est détraqué par la magie, on ne peut rien faire fonctionner. Et ça concerne également le respect, vu le ton que vous vous permettez d’employer avec moi !

— Mais… Et les radiophones, hein ? »

Draco avait dit cela avec le ton d’un enfant qui ne comprend pas pourquoi l’adulte pouvait être aussi stupide. Il venait de perdre bien dix ans dans sa posture, et quand il vit Jane devenir blême, il comprit ce qu’il venait de faire, et balbutia…

« … De… De toute façon, je m’en moque…

— Par les jupons de Dumbledore… Draco, vous venez d’avoir une idée brillante ! »

***

Couloirs du Ministère de la Magie, 11h55,

« C’était un plaisir Lord Malefoy, merci encore de m’avoir reçue…

— Allons, Nathalie, tout le plaisir était pour moi. »

Madison Rickens passait dans le couloir à cet instant, et écarquilla les yeux, avant d’étouffer un gloussement. Elle n’osa pas jeter un regard à la journaliste et au politique, mais elle devinait une belle femme allant de pair avec cette jeune voix. Lucius Malefoy ne pouvait qu’appeler de son prénom une jolie fille, non ? Elle pressa le pas quand elle entendit la Nathalie éclater d’un rire qu’elle trouva d’une vulgarité incroyable… Il fallait impérativement qu’elle raconte ça à Patricia !

Restés aussi seuls qu’on pouvait l’être dans les couloirs du Département de la Justice Magique, Malefoy et Delorme observaient en coin Madison se précipiter pour cancaner. Cela allait occuper une partie des esprits, assez pour que la jeune femme ait le temps d’écrire son papier proprement.

La rencontre s’était parfaitement bien passée, et le politique comprenait alors pourquoi la journaliste avait l’estime de son supérieur. Bien que jeune, Nathalie était d’une sagacité très agréable. Elle semblait avoir parfaitement compris ce qui se tramait au Ministère, et semblait même capable de capter l’essence de la mission qu’il avait confié à Oaken. Lucius fit tourner sa canne dans sa main, en observant son serpent argenté miroiter sous les luminaires :

« Nous allons être amenés à nous revoir, je suppose ?

— À moins que ma présence ne vous ait incommodé, le journal préfère garder une certaine fidélité avec ses reporters, oui.

— Voilà qui est parfait. Quand aurais-je l’exemplaire ? La veille ?

— Non, Lord Malefoy, vous devriez savoir que le Veritascriptum ne souffre d’aucune pression politique ni censure, nous gardons secrets nos numéros jusqu’à leur sortie… Ainsi, pas de risque de faits alternatifs… Comme avec une autre Gazette.

— C’est un parti-pris audacieux que je respecte. Vous savez quel amour de la vérité je peux avoir… »

Ils ne parlaient pas particulièrement fort, mais il fallait mal connaître les Serpentards pour ne pas comprendre qu’ils s’adressaient à un public invisible. Quand Delorme prit congé, Malefoy esquissa un rictus satisfait. Bien sûr qu’il aurait un exemplaire terminé la veille ! Il finançait ce fichu torchon, il pouvait bien en avoir la primauté ! Cela, en revanche, Nathalie l’ignorait superbement.

Le Mangemort se dirigea vers les ascenseurs, vérifiant sur une montre à gousset raffinée s’il n’avait pas pris du retard, puis il referma le clapet quand il vit dans la cage l’hideux Jake Miller et son complet ocre toujours taché de sauce. Miller travaillait au Département des Mystères, et ce n’était un secret pour personne. Il était le plus ancien, chargé de l’archivage et de la documentation des étrangetés que l’on pouvait y trouver, Miller était surtout connu pour être de nature profondément dépressive, voire suicidaire. Il n’avait ni femme, ni enfant ; buvait comme un trou, travaillait comme un elfe. Il était méprisé de tous, et c’était, là encore, une erreur de jugement général que Malefoy exploitait avec beaucoup d’empressement. Car Miller était passionné par son travail, et il était l’incarnation de l’homme pour qui la quête de la vérité était plus importante que la moralité ou le pouvoir. Et il aimait qu’on lui demande d’approfondir son domaine, et cela faisait quelques mois que Lucius Malefoy ne s’en privait pas. À dire vrai, cela faisait même plus d’un an.

Quand le blond entra dans la cage d’ascenseur, l’archiviste s’effaça dans un angle, en recroquevillant ses bras sous ses aisselles, avant d’en tirer discrètement une lettre qu’il donna sans que qui que ce soit qui serait passé par là ne puisse le voir. Malgré la transpiration qui devait probablement s’être imprimée sur le document, ou même l’odeur âcre qui commençait à emplir la cabine, Lucius s’en saisit, et sans se départir de son air aristocratique, partit d’un pied leste quand la machine les délivra de leur promiscuité.

***

 

Grande Salle, heure du déjeuner,

Severus tapota discrètement la main de Jane, en lui faisant un signe de tête. La Moldue arqua un sourcil avant de comprendre sa requête muette : il n’aimait jamais demander à voix haute qu’elle lui donne un morceau de fromage, il détestait passer pour un gourmand. Profitant d’avoir son attention, il chuchota :

« Qu’est-ce que vous leur avez fait, ils sont bien silencieux, et ne touchent même pas à leur assiette ? »

En effet, les Serpentards semblaient soudainement muets, et les autres maisons jetaient des regards suspicieux aux corbeilles de pain qui garnissaient les tables. Jane cligna des yeux en manquant de se couper l’index au lieu de sa portion de roquefort, puis éclata de rire, terminant d’achever une tranche qui n’avait plus aucun aspect présentable :

« C’est à cause de l’ergot du seigle ! lui expliqua-t-elle en effritant son roquefort sur son morceau de pain. Vous savez ? Cette histoire de seigle tout moisit qui a rendu fous des villages entiers, en les contraignant à… Danser, comme ils disaient.

— Ah… J’en ai entendu parler lors d’un séjour en Europe, je croyais que c’était des histoires pour faire rire les sorciers.

— Non, non, il y a bien eu ce genre d’incidents. Vous voyagez en Europe, des fois ?

Bien tenté. Et donc ils refusent d’en manger, maintenant ? Dire que j’ai menacé plus d’une dizaine de fois Potter d’empoisonner son jus de citrouille, et que cela ne l’a jamais empêché d’en boire des litres…

— Vous dites, Severus ? s’enquit une Minerva qui affilait le regard malicieux du félin curieux.

— Que je reprendrais bien du chèvre, s’il vous plaît, Smith. »

Jane se pinça les lèvres pour ne pas se moquer, et lui tendit le fromage. Il avait beau avoir largement dépassé la trentaine, Severus continuait de baisser les yeux devant Minerva… La Directrice des Gryffondors lui jeta le regard typique de l’enseignant n’étant pas dupe, avant de reprendre sa conversation avec Dumbledore.

« C’est dommage qu’ils ne mangent pas… Ils vont le regretter… C’est mieux de vomir le ventre plein. »

Jane s’étouffa. Snape avait prononcé ça d’une voix si calme qu’elle en eut le souffle coupé.

« Vous dites ? singea-t-elle en toussant.

— Que leurs quatre heures vont être une torture telle, qu’ils vont en venir à regretter les potions… »

« QUATRE HEURES ?! »

À la table des Gryffondors, Harry, choqué, relisait l’emploi du temps en pâlissant.

« Mais, mais, mais… Je n’avais pas compris ça, moi !

— C’est bien pour ça que je te dis de manger, et d’arrêter d’en vouloir à cette tranche de brioche, répliqua Hermione.

— Attends, mais il compte faire quoi, au juste ? Je ne comprends pas bien pourquoi il dispose d’autant de temps, même Smith n’a pas de plages horaires dans ce genre. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cause de la rentrée, est-ce que…

— Non, ça serait marqué. Mais apparemment, nous sommes tous ensembles, encore.

— Ensemble ?

— Ouais, comme dans « tous les sixièmes années », précisa Ron agacé. J’espère que ça ne va pas devenir une habitude, je commence à me dire que l’éducation dans cette école part dans tous les sens.

— Qu’espère Snape ? Qu’on s’entre-tue dans de grosses mêlées, ou quoi… ? »

« Vous verrez, Smith ! »

Severus la regarda avec un air de conspirateur, lui offrant même un de ses rares sourires. Il était d’excellente humeur, et c’était assez exceptionnel pour être communicatif.

« Allez, ne faites pas autant de mystères, dites-moi !

— Non. Mais ce soir, je peux vous dire qu’ils ne parleront plus, parce qu’ils seront trop épuisés pour ce faire. Ou alors, qu’ils auront perdu un membre dans le processus.

Hein ?

— A ce soir ! »

Il se leva en emportant sa tasse de café, et un spéculos. Sa joie et son attitude anachroniques jetèrent un trouble à la table des professeurs qui regardaient les robes du Directeur de Serpentard avec effroi. Et s’il y avait bien un problème avec le pain, finalement… ?

Rassemblés en rangs ordonnés, les sixièmes années des quatre maisons de Poudlard tentaient de rester silencieuses et immobiles. Il était hors de question qu’elles perdent encore des points supplémentaires après les deux heures avec Smith. Et qu’avaient donc leurs professeurs à généraliser ce type de cours ?

Il était quatorze-heures et une minute quand Harry échangea un drôle de regard avec Draco Malefoy qui haussa les épaules. Le brun frappa à la porte de la salle, mais n’obtint aucune réponse. Il se tourna encore vers sa némésis, qui ne put s’empêcher de lui décocher en grincheux :

« Je ne suis pas sa nounou, Potter !

— Non, en effet, Monsieur Malefoy. Que faites-vous ici, vous autres ? »

La voix provenait des escaliers, et à leur bout, ils découvrirent un Snape qui les regardait avec un certain dédain.

« Eh bien ? Sur cent-quarante élèves, est-ce qu’il y en aura un avec le courage, la loyauté, l’intelligence, ou l’ambition de me répondre ?

— … Nous nous rendons à votre cours, Professeur, lui répondit Hermione sans ciller.

— Cela m’étonnerait, il a lieu à l’extérieur. Mais personne ne peut vous en vouloir, Miss Granger, ce n’était marqué dans aucun livre. Suivez-moi. Et en silence. »

Harry allait répliquer machinalement quelque chose quand Hermione secoua la tête en levant les yeux au ciel. Après six ans de ce genre de traitement, elle avait l’habitude. Les élèves descendirent à sa suite, arrivant au rez-de-chaussée avec les immenses sabliers colorés. Ils notèrent avec une certaine amertume que Poufsouffle était une nouvelle fois en tête, et ils passèrent la grande porte avec leur Professeur.

Le temps était clair et l’air encore chaud de l’été leur fit se sentir immédiatement bien. À cette heure, le parc de Poudlard était plutôt silencieux, même les oiseaux semblaient faire une sieste digestive. Snape leur fit longer les contreforts du château, et contourner une tour qu’aucun ne parvenait à rattacher à une pièce intérieure, puis, ils arrivèrent près d’un grand saule pleureur et d’un banc, ignorant que c’était l’endroit où leur Professeur d’Étude des Moldus se détendait. À cinq mètres de l’endroit se dressaient quatre cabanons de bois, bordant une sorte de…

« Non ! Ils ont refait un labyrinthe ?

— Pas exactement Monsieur Potter. Reformez les rangs ! Bien. Cette année, vous aurez deux fois quatre heures comme celles-ci, où vous devrez vous rendre à l’endroit précis où vous vous trouvez, et ce sans aucun retard. Les autres cours, plus classiques, se dérouleront dans la salle habituelle de Défense Contre les Forces du Mal. Ces derniers seront des enseignements théoriques, et ils ne couvriront que deux heures supplémentaires par semaine. Nous y ferons certains devoirs, et je serai aussi impitoyable que dans ma classe de Potions.
« Je ne tolère d’ailleurs aucun débordement, aucun manquement aux règles, et aucune rixe qui ne serait pas explicitement ordonnée, sera sévèrement punie. Ce cours est aussi dangereux que celui auquel je vous ai habitué, et il n’est pas impossible que certains d’entre vous se retrouvent, à l’issue de l’année, estropiés à vie. La Défense Contre les Forces du Mal vous a été enseignée d’une façon si pathétique que je doute d’arriver à tirer quoi que ce soit de vous. Cependant vous n’êtes pas ici pour me recracher un cours sur un quelconque Epouvantard, ni pour ricaner devant des lutins échappés de je ne sais quelle baguette d’incompétent. Vous êtes ici pour apprendre à survivre. Les forces du Mal sont nombreuses, diverses, toujours changeantes. Elles prennent racines dans ce qui nous entoure et en nous-mêmes, elles peuvent revêtir le masque le plus vertueux, ou celui de l’amitié la plus soumise. »

Harry en fut convaincu, cette dernière phrase était pour lui, et il faisait référence à Queudver.

« Vous allez devoir apprendre à vous défendre contre elles, et cela commence par votre capacité à les reconnaître, à les comprendre, à les anticiper. Je ne vous ferai aucun cadeau dans mon cours, et vous n’y gagnerez aucun point. »

Les élèves commencèrent à protester vivement, et Snape leur jeta un sort de silence sans même ouvrir la bouche.

« Un Silencio, en informulé. Vous allez apprendre à jeter des sorts informulés cette année, et vous allez devoir apprendre à contrer ceux que je vous enverrai. Car oui, Miss Greendass, inutile de faire cette tête de sirène hors de l’eau, j’ai pleine autorisation du Directeur pour vous lancer des sorts… Nous verrons si cela vous encourage à la discipline. Il n’y aura pas de points donnés, ni de points retirés pour la simple raison que dehors, si vous vous trompez, on ne vous retirera pas quelques grains de sable dans un sablier. Mais un ou deux membres, voire, la vie. Afin de juger de votre niveau, vous allez vous constituer en groupe. Pour le moment entre vos maisons, vous allez commencer par vous découvrir entre vous. Vous allez vite comprendre qu’un blason ne suffit pas à garantir la loyauté. »

Draco ne fut pas plus dupe qu’Harry précédemment, et compris tout à fait le sous-entendu.

« C’est pour aujourd’hui un labyrinthe, mais vous verrez, Monsieur Potter, qu’il a eu quelques aménagements, et qu’il saura vous surprendre au cours de l’année. Vous y entrerez dans quinze minutes, et devrez trouver le moyen de parvenir à son centre. Vous y trouverez un objet, et il appartiendra au vainqueur.

— A la maison vainqueur, vous voulez dire Professeur ? corrigea Hermione en fronçant les sourcils.

— Non, Miss Granger, j’ai bien dit AU vainqueur. Un seul, ou une seule d’entre vous aura l’objet… Je vois que vous commencez à comprendre… Avant de débuter l’épreuve, sachez qu’aucun impardonnable n’est accepté, ni aucun sort de catégorie 3. Si vous blessez trop sévèrement un de vos compagnons, je peux vous garantir que le renvoi de l’école sera le cadet de vos soucis. Mais en dehors de ces règles… Aucune n’est érigée.

— On peut donc trahir ou abandonner ses coéquipiers, attaquer dans le dos…

— En temps normal, c’est plutôt à moi de faire ce genre de listing, Potter. »

Les élèves regardaient Harry médusés, choqués qu’il ose parler de ça. Une jeune femme de Serdaigle ne se priva pas pour formuler ce que beaucoup pensait tout bas :

« Peut-être que c’est comme ça qu’il arrive à survivre là où d’autres meurent… ?

— Peut-être que c’est comme ça que l’être humain pense à survivre, contra Harry sans état d’âme. Pense ce que tu veux Chang, mais dans la vraie vie, il n’y a pas de règles. Et je suis l’un des rares à l’avoir expérimenté ici. Et je pense que Sna… Le Professeur Snape veut nous le faire comprendre.

— … Je vois que vous n’avez pas bien compris mon propos, Potter : aucun point ne sera accordé dans mon cours…, lui adressa-t-il en le fixant intensément. Maintenant préparez-vous, quand le clairon que vous voyez chantera, la course commencera ! »

Harry se surprit à lui adresser un sourire en comprenant ce que son enseignant lui avait dit. Mais il reporta son attention sur Cho Chang qui le foudroyait du regard. Ça lui fit mal, mais pas autant que ce qu’elle avait osé sous-entendre. Autour de lui, se rassemblaient les Gryffondors, naturellement, mais quelques-uns des autres maisons lançaient des regards suppliants dans sa direction.

« Laissez tomber, je ne vais pas vous mener à la bataille, vous avez entendu ? Un seul va gagner. Alors il va falloir vous préparer à l’éventualité que l’un d’entre nous essaiera de… »

Il se tut, cherchant le mot adéquat, et il entendit Ron tousser grossièrement. Un verbe ordurier fusa, et Harry hocha la tête :

« Ouais, voilà. Pas mieux. Bon, pour ceux qui se souviennent de l’AO, on fait pareil. Et pour les autres… Vous faites au mieux. Gardez en tête qu’il n’y a pas que les Serpentards qui vont tenter de vous arrêter. Rien ne vous dit que les Serdaigles ne vont pas le faire, ou, croyez-moi : les Poufsouffles.

— Pourquoi tu dis ça, Harry ? Cédric avait tenté de…

— Laissez tomber. Ne comptez que sur vous-mêmes. Et si vous voulez vraiment faire des alliances, n’espérez pas me compter dedans.

— Attends, mec, pas même nous ? s’étonna Ron.

— Harry ne veut pas être obligé de nous trahir, ni devoir supporter le poids de sa responsabilité. Il a pour la première fois la possibilité de partir seul, et il va essayer. »

Neville avait expliqué ça avec son ton habituellement doux, mais ses yeux étaient d’une dureté telle qu’Harry baissa les siens, incapable de soutenir son regard. Il avait honte, mais c’était vrai. Pour une fois, une fois, il ne voulait être responsable de rien.

« Je sais que dans la vraie vie… »

Mais il fut coupé par le coup de clairon, et tous s’ébrouèrent en direction des diverses entrées du labyrinthe. Une branche lui griffa l’oreille, et il eut l’impression d’avoir rêvé la voix de son Professeur qui lui disait à son passage :

« Dans la vraie vie vous êtes seul, Potter. »

La Relève

1 septembre, plateforme 9 ¾ , 10h45,

Hedwige hulula furieusement, tandis qu’elle était bringuebalée dans sa cage qui cliquetait presque autant que le chariot. La roue avant droite crissa et se bloqua, obligeant Harry à contrebalancer avec son corps, percutant au passage un Moldu en costume, absolument outré par son geste.

« Pardon, désolé, pardon… Vraiment désolé, pardon… »

L’Élu repartit aussi vite qu’il était arrivé dans ce pauvre homme, sans même entendre les diverses insultes à l’égard des jeunes, des chômeurs, puis de l’Europe. Sans le savoir, Harry Potter venait de confirmer le vote extrémiste d’un citoyen Anglais, jouant ainsi le rôle de la goutte d’eau faisant déborder l’urne. Mais Harry Potter faisait souvent cet effet-là… Que l’on soit Moldu ou Sorcier, d’ailleurs, et cela ne serait certainement pas son Professeur de Potions qui…

« A DROITE ! »

Le garçon bifurqua sous l’ordre et fonça droit vers un mur. Personne ne le remarqua, comme si ce geste, pratiquement suicidaire, était d’un banal tel qu’il ne méritait aucune prise de vidéo. Personne ne s’offusqua non plus quand une seconde silhouette fonça dans ce mur, et que les deux disparurent, au lieu de s’y aplatir. Ce genre d’inattentions faisait souvent dire aux Sorciers que les Moldus étaient des êtres inférieurs puisqu’ils ne voyaient pas l’essentiel. A la vérité, les Moldus étaient – comme les Sorciers – simplement des êtres égocentrés, et donc désintéressés par l’hypothétique accident d’un gamin de 16 ans et de son parrain, au look trop rock pour être quelqu’un de respectable.

Une épaisse vapeur fouetta le visage d’Harry et lui confirma que non, le Poudlard Express n’était pas parti sans lui. À ses côtés, Sirius jetait un œil à la grosse pendule qui affichait un rassurant 10h47, et il ricana de satisfaction, non sans gratifier son filleul d’un :

« Tu vois, on est à l’heure, pas d’raison d’s’inquiéter ! »

Harry secoua la tête, amusé, et poussa son chariot en direction de l’avant du train. Et pour la première fois depuis qu’il était arrivé dans le monde Sorcier, Harry n’était pas la source de toutes les discussions, ni la cible de tous les regards curieux. Sirius, qui paraissait rarement en public depuis sa libération, déclenchait à chacune de ses sorties, des réactions assez incroyables : des hordes de femmes se pressaient dans tous les sens pour tenter de l’apercevoir, de le voir, certaines essayaient d’échanger assez de mots pour, le croyait-elle, récolter une invitation à dîner, peut-être ? Quant aux hommes… Beaucoup de bourgeois assuraient à Sirius leur soutien sans faille, et le fait que « Non, Monsieur Black, évidemment, Monsieur Black, nous n’avons jamais douté de votre innocence… » Et c’était sans compter sur les milliers de hiboux et chouettes qui déposaient lettres, invitations, promesses, tendresses et tentatives de séductions économiques à Square Grimmaurd.

Ainsi donc, pour la première fois de sa vie, Harry put pousser son chariot sans qu’aucune réflexion ne lui soit faite, ni sur sa coiffure, ni sur les derniers événements. Il avançait comme un gosse tout à fait normal, suivi par son tuteur qui jouait les soleils pour tournesols munis de baguettes : parents et enfants se tournaient pour l’observer sur son passage. Et il ne fallut aux deux comparses qu’une petite minute pour atteindre le compartiment habituel dans lequel Harry montait. Sirius pinça les lèvres en regardant son protégé. Il hochait la tête, comme cherchant le mot approprié à l’instant. Et le garçon lui sourit :

« Je sais. J’vais t’manquer.

— Pas du tout. J’étais justement en train de me dire que j’allais enfin pouvoir me lever à l’heure que je voulais, et ne plus passer mes journées à réviser des cours que j’espérais derrière moi !

— C’est toi qui voulais que je bosse, j’te signale ! Si ça n’avait tenu qu’à moi…

— Si ça n’avait tenu qu’à toi, Harry, t’aurais encore passé l’année à copier sur moi. Ou, du moins, à essayer. » Coupa la voix d’Hermione derrière eux.

Elle était accompagnée de ses parents, et se ramenaient avec elle Neville, Luna, Ron et Ginny, bloquant ainsi une belle portion du quai avec leurs chariots alignés. Et malgré les protestations des autres élèves et des adultes, les jeunes gens ne bougèrent pas d’un iota, délaissant leur attelage pour aller embrasser leur ami.

« Bon alors comme ça, t’as fait des devoirs ? lui demanda Ron amusé.

— Pire ! Programme de rattrapage intensif, et tout ! Paraît que papa avait de bien meilleures notes, en bossant deux fois moins…

— Trois fois, précisa Sirius.

— Ouais, bah il était un peu plus au courant du monde Sorcier que moi j’te signale…

— Eh oui, Harry… C’est bien connu que les nés-sorciers ont un net avantage, se moqua Hermione en le fixant avec insolence.

— Non ! Non, ‘Mione, j’voulais pas dire ça, je…

— Mais tu l’as dit, l’enfonça Neville en prenant ses valises en main pour embarquer.

— Non, mais je voulais dire…

— Que ton père, avec un plus vieux contact avec le monde Sorcier que toi, avait un avantage…, en rajouta Ginny qui traînait sa vieille malle.

— Hermione, les écoute pas, tu sais que les nés-Moldus…

— Auraient besoin d’un meilleur sauveur que ce Harry Potter. »

Cette fois-ci, c’était Luna qui s’en était mêlée, et il était difficile de savoir si elle plaisantait, ou si elle était, au contraire, très sérieuse. Sirius, qui était toujours incroyablement mal à l’aise face à la jeune fille et à sa logique, décida plutôt de porter les valises de son filleul, et de les pousser à embarquer. Neville, Ron et Ginny montèrent également, suivis d’Hermione qui tapotait l’épaule de son ami Attrapeur d’un air compatissant. Harry leva les yeux vers Luna, dans une question muette.

« Je parle de ton éloquence… Pas de tes convictions. Tu ne risques pas de défendre grand monde avec un bouclier verbal aussi fissuré.

— On m’en demande beaucoup trop…

— Non. Juste ce pour quoi tu as été fait. »

Luna l’abandonna sur cette étrange phrase, et sauta d’un mouvement souple dans le train. Harry tiqua, avant de se rendre compte qu’elle avait laissé ses valises sur le quai. Peut-être croyait-elle qu’elles seraient acheminées par des Valisogoles ou autres créatures dont elle avait le secret ? Il jeta un regard perdu aux alentours, et constata que personne ne s’intéressait à lui. Absolument personne. On parlait de Sirius qui venait de monter, on s’interrogeait à ce sujet… Mais Harry était bel et bien isolé. Le Gryffondor soupira d’aise, et attrapa les valises de la jeune blonde pour les embarquer. Les gestes les plus simples étaient très agréables quand il n’y avait personne pour les commenter !

« Dites Monsieur Black, vous voyagez avec nous ? »

« Si vous voulez, Monsieur Black, vous pouvez rester dans notre compartiment… »

« Moi, j’vous cède même ma place, j’en n’ai pas besoin de toute façon… »

En passant déposer les valises de Luna, Harry capta ces quelques phrases lancées à un Sirius qui peinait à contenir un éclat de rire. L’Animagus était rentré dans le train pour y monter les affaires de son filleul – et aussi par nostalgie inavouée – et ne s’attendait certainement pas à ce genre de réaction. Gardant ostensiblement le silence, il redescendit, en faisait signe à Harry de le suivre. Sirius sur le quai, le jeune homme perché sur les marches du wagon, ils se regardaient avec émotion, ignorant superbement les invitations et autres commentaires qui fusaient encore.

« Bon… Tu fais attention à toi. T’évites de te mettre Snape à dos. Tu bosses bien à l’école…

— Ouais ! Et puis je me couche tôt, je mange équilibré, et je n’oublie surtout pas de rendre hommage à Merlin avant de faire dodo, se moqua Harry.

— Pfff, t’es bête ! T’as raison, j’suis ridicule dans ce rôle. Fais c’que tu veux. Enfin presque : fais quand même attention à toi, et à tes études, là j’suis sérieux. Quant à Snape… Bah, débrouillez-vous. Ah, et tombe amoureux, c’est mieux de se battre pour quelque chose d’aussi cool que ça, et… »

Mais le garçon ne lui laissait pas l’opportunité de terminer sa phrase, car il venait de sauter du train pour lui atterrir dans les bras. Sirius le serra fort, une boule coincée dans la gorge et les larmes lui picotant les yeux. Jamais Harry n’avait été aussi triste de retourner à Poudlard. Il n’avait jamais compris les réactions de ses camarades. Jusqu’ici, il trouvait ce ballet émotif assez agaçant, pour ne pas dire ridicule. Et là, à seize ans passés, le voilà en train de pleurer dans les bras de son parrain.

« J’te promets d’faire plein de bêtises… murmura-t-il.

— Ouais, mais pas trop non plus… »

Le Poudlard Express siffla deux fois, et Sirius repoussa doucement le jeune homme pour le faire remonter. Ils allaient se manquer. Cet été s’était vraiment bien passé, malgré les révisions, malgré l’entraînement… Au contraire : Harry n’avait jamais eu autant l’impression d’être aimé que durant ce temps. Ça lui tira une petite larme, quand même. Il n’aurait jamais cru ça, d’ailleurs. Et sur le quai, pendant que le train se mettait en branle, Harry en aurait presque juré, Sirius Black pleurait également.

 

Poudlard, même jour, 10h59,

« Échec et Mat. Je ne sais même pas pourquoi je gaspille ma salive et mon temps à énoncer une évidence, vous devriez… »

Severus Snape s’arrêta et fronça les sourcils, vexé. En face de lui, Jane regardait l’horloge qui tictaquait sur le manteau de sa cheminée. Ils disputaient leur troisième partie de la matinée, et la énième depuis l’arrivée de la Moldue à Poudlard. Mais bien qu’elle fasse quelques progrès, elle n’arrivait toujours pas à battre son mentor. Elle ne risquait pas de le faire, en fait : à ce jour, seule Minerva y arrivait. Oui, même Albus perdait face à lui. Cela ne devait pas décourager pour autant la scribouillarde, bon sang ! Ou alors, peut-être, mais qu’elle fasse au moins l’effort de l’écouter quand il la gratifiait encore d’une réplique fanfaronne.

« … Il devient de plus en plus difficile de capter votre attention.

— Mhhum… »

La brune fixait toujours l’horloge, et tressauta quand elle sonna pour annoncer qu’il était onze heures.

« … Et c’est la vraie raison de ma présence ici, Jane, je brûlais de vous le dire…

— Vous croyez qu’ils sont partis ? le coupa-t-elle sans sembler relever sa précédente phrase.

— Qui ?

— Les élèves, Severus ! Les élèves !

— Oh, bon sang ! Qu’est-ce qu’on s’en fiche ? Ils arriveront ce soir. Et puis oui : le train part à 11h. Pourquoi ça vous intéresse ? Attendez, vous angoissez, c’est ça ? »

Jane rougit légèrement, et redisposa les pièces correctement sur l’échiquier pour se donner bonne contenance. Snape savait qu’il visait juste, même lui était quelque peu tendu par cette rentrée. Pas seulement à cause du retour officiel du Seigneur des Ténèbres, pas seulement à cause des révélations faites durant l’été, pas non plus seulement parce qu’Albus était en train de mourir… Simplement parce qu’il allait enseigner pour la première fois une matière qui lui tenait tant à cœur. Et il tirait de cette angoisse un certain sentiment de normalité.

« Ne vous moquez pas de moi, Severus, ou on reparle de ce que vous brûliez de me dire…

— Ah ! Donc, vous écoutiez quand même un peu.

— J’entends toujours ce genre de choses, vous savez… »

Et au lieu d’avancer un de ses pions blancs, elle se leva, et réajusta son corset qu’elle desserrait souvent quand ils étaient vautrés dans son petit salon.

« Ça y est. Vous ne tenez plus en place.

— J’ai juste besoin de m’aérer, rien de plus.

— Vous n’avez quand même pas pris mon propos au sérieux, Jane… ?

— Ce n’est pas vous qui me faites fuir. Je vais juste marcher un peu dans le parc.

— C’était bien la peine que je me déplace, à votre demande, pour vous tenir compagnie… »

La Moldue lui sourit et ouvrit la porte pour la franchir. Derrière elle, Severus abandonna l’idée de trouver une excuse et se redressa prestement.

« Hey, attendez ! »

***

 « ATTENDEZ ! Attendez ! Je vous dirai tout… Tout ce que vous voulez savoir. Absolument tout ! »

Amélia Bones se tenait à genoux, suppliante, tandis que la sorcière en face d’elle caquetait de rire. La pauvre femme s’était levée guillerette ce matin, avait amené sa fille à la gare de King’s Cross, lui avait souhaité une bonne rentrée, et s’était éclipsée, aussi rapidement que de coutume, ses importantes fonctions réclamant sa présence au Ministère de la Magie. Mais Amélia n’y arriva jamais, et c’est dans le sous-sol du manoir Jedusor qu’elle termina sa matinée, accueillie avec violence par un Doloris qui la cloua contre la pierre pendant trois interminables minutes. Trois minutes durant lesquelles la pauvre femme se demanda, la peur au ventre, ce qu’il était advenu de sa fille. Était-elle montée dans le Poudlard Express ? Allait-elle arriver saine et sauve à l’école ? Qu’allait-t-elle devenir si jamais sa mère mourrait ici comme…

Son frère ! Était-ce parce que son frère était mort au combat en tant que membre de l’Ordre du Phoenix, lors de la première guerre, qu’elle se trouvait ici ? Était-ce parce qu’ils pensaient que peut-être, elle l’était devenue également, qu’ils la torturaient ? Dans le but, sans doute, de lui faire dire tout ce qu’elle savait à propos de l’organisation…

« Ah vraiment… ? se moqua la sorcière de sa voix aigrelette. Eh bien vas-y ! »

Amélia déglutit péniblement, s’avançant avec lenteur sur ses genoux meurtris. Elle ne savait pas quoi dire, devait-elle mentir ? Levant un regard plus terrifié qu’elle ne le souhaitait, la Ministre de la Justice cilla en affirmant :

« C’est vrai… C’est vrai, j’ai rejoint l’Ordre du Phoenix peu avant le procès de Harry Potter… »

Bellatrix ne pipa mot, se contentant de caresser sa baguette avec un air gourmand qui donna la nausée à sa victime. Amelia continua :

« Mais… Je ne sais pas où se trouve le quartier général. Il y a un Fidelitas dessus. C’est… C’est Albus qui en est le Gardien ! » Cria-t-elle presque en se disant que, probablement, c’était proche de la vérité. « On ne connaît pas tous les membres. Ils ont peur… Ils ont terriblement peur depuis vos attaques à l’aveugle.

— C’est bien. C’est ce que les Moldus appellent le terrorisme. » Se délecta Bellaxtrix en susurrant presque ce dernier mot.  « C’est une belle nomination, tu ne trouves pas Amélia ? Comme si la terreur devenait un métier, un art… Tu es terrorisée, dis-moi ?

— … Oui. Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous… Ma fille, où est-elle ?

— Je croyais que c’était à toi de me donner des réponses. » Cingla Lestrange en agitant sa baguette d’un geste sec qui fit gémir la femme en face d’elle.

Sur la joue d’Amélia Bones s’étalait une grande balafre hideuse qui se mit à saigner abondamment.  La sorcière eut un terrible cri d’effroi et trembla de tout son corps, tandis qu’un haut le cœur soulevait une nouvelle fois sa carcasse. Elle vomit, dans une série de hoquets bruyants lesquels claquaient contre les murs en résonnant dans toute la pièce. Le plus écœurant fut surtout l’expression de plaisir accroché au visage de la Mangemort.

***

« Eeeurk ! »

Ron frissonna en grimaçant, la tête rentrée dans ses épaules, alors qu’il fermait les yeux intensément. Ça fit éclater de rire Neville, qui attrapa à son tour une Dragée Surprise de Bertie Crochue, la fourra sur sa langue, et sourit de plus belle quand elle se révéla être au délicieux goût de menthe.

« C’est pas juste, Nev’… Vraiment pas juste ! T’as été gâté par le destin, ma parole, tu ne tombes jamais sur une mauvaise » S’écria Ron en recrachant la draguée dans un mouchoir.

Puis, quand le rouquin se rendit compte de sa boulette, il regarda son ami en rougissant furieusement, alternant avec un coup d’œil jeté à Harry, qui se mordait la joue pour ne pas rire de son embarras. Mais Neville sourit avec délicatesse, et répliqua, non sans échanger un regard de connivence avec « L’Élu » :

« Ne t’en fais pas, le destin hésitait entre me donner des parents, ou une sacrée chance avec les bonbons… Et j’adore les Surprises au cassis.

— Ouais, et tu sais, Ron, ya encore plus naze que toi au tirage des dés : j’ai ni les parents, ni la chance aux bonbons. » En rajouta Harry, après être tombé sur un goût qu’il ne voulait pas identifier.

Ron Weasley était plus écarlate que ses cheveux ou même que l’emblème de Gryffondor et bredouillait des choses incompréhensibles. Dans le compartiment, tous riaient de le voir tenter de trouver un semblant de contenance. Mais le jeune homme avait toujours eu du mal avec l’humour noir. Harry lui, se rendit compte que ça lui faisait un bien phénoménal. Lorsqu’il coula un regard en direction de Neville pour vérifier qu’il n’avait pour autant pas dit une énormité, il sourit de plus belle en constatant que « Celui-qui-aurait-pu-être-l’Élu » semblait tout aussi détendu que lui. Ils auraient peut-être dû commencer par prendre les choses comme ça, en fin de compte… ?

« En parlant de parents, Harry, reprit plus sérieusement Hermione. Sirius compte porter plainte contre Ombrage, ou pas ?

— Il voudrait, mais moi non… J’en ai marre de ces procès et de voir notre nom dans la Presse. D’autant que maintenant, ce n’est plus un journal, mais trois qui nous harcèlent.

— Le Veritascriptum t’as envoyé une autre demande d’interview ? demanda Neville en fronçant les sourcils.

— Ouais, c’est la cinquième. Et j’te parle même pas de ce que Sirius a dû recevoir, je crois qu’il n’ouvre même plus son courrier, il le fait faire par un service dédié de Gringotts. Oaken nous traque, et j’pense qu’on n’est pas les seuls… Vu ce qu’il s’est permis de dire à propos de Snape…

PUTAIN, c’est au-delà ! s’écria Ron après avoir retrouvé une teinte normale. Je suis même surpris qu’Oaken ait encore des doigts pour écrire ses chroniques. Il est plus violent à l’égard de Snape que de toi, j’avais jamais vu un truc pareil…

— Ouais, et puis… Le fait qu’il rende totalement public son procès et son passé de Mangemort…

— Ca, c’était de notoriété publique, Harry, balaya Hermione.

— Ouais, heu… Enfin, le sortir comme ça, l’air de rien, alors que Snape prend comme fonction un poste clef de Poudlard, en pleine nouvelle guerre… Pardon, ‘Mione, mais t’étonne pas si t’es mauvaise aux échecs après ça.

— C’est uniquement parce que j’ai autre chose à faire que de jouer, Ronald. Si j’avais le temps de m’entraîner, et que je délaissais, moi aussi, mes études, peut-être que…

— Le temps est une fausse excuse. Le Professeur Snape n’en a aucun et ça ne l’empêche pas d’apprendre au Professeur Smith. »

Le compartiment devint immédiatement silencieux, et cinq têtes se tournèrent illico en direction de la jeune fille qui venait de lâcher cette petite bombe. Les toisant par-dessus son Chicaneur à l’envers, Luna leur jeta le regard qu’elle leur réservait quand ils ne la croyaient pas pour les Joncheruines. Harry retint sa respiration, il ne leur avait jamais dit qu’il avait déjà trouvé l’un chez l’autre, et que, par conséquent, Luna venait probablement de répondre à une des questions qu’il se posait depuis quelque temps.

« Ils jouent à quoi, tu dis… ? demanda Ron après un instant de stupeur.

— Aux échecs. Ils jouent aux échecs. Vous n’avez jamais croisé le Professeur Snape avec sa boîte, allant rendre visite au Professeur Smith ?

— Non, Luna, pas plus que je n’ai croisé de Ronflacs Cornus… soupira Hermione.

— Ou de Nargoles, renchérit Ron.

— Ou d’énormes babilles dans le lac, termina Ginny, hésitante.

— Non, sans doute… Et c’est avec beaucoup de bon sens que vous en concluez qu’aucun n’existent. »

Il était rare que la Serdaigle use directement de sarcasme avec la bande. La plupart du temps, la demoiselle se contenait de les regarder avec gentillesse, comme trouvant touchant qu’ils ne voient pas autant de choses. Mais à cet instant, Harry comprit ce qu’elle voulait dire, et il hocha la tête en silence, avant d’échanger un autre regard avec Neville qui lui aussi semblait prendre très au sérieux l’information.

« Quoi qu’il en soi, enchaîna Ron. Le fait que Snape soit nommé Professeur de Défense Contre les Forces du Mal, n’est pas non plus anodin.

— Non, et je ne sais pas si c’est à cause de l’arrivée d’Horace Slughorn, ou… » Embraya Harry en oubliant instantanément Luna.

***

Severus s’arrêta de marcher un instant, et il fallut une seconde ou deux à Jane pour s’en rendre compte. L’homme en noir regardait dans le vague, et étira un sourire satisfait. Celui qu’il avait quand il tourmentait un de ses élèves.

« Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda-t-elle.

— Ils parlent de moi. »

Jane arqua un sourcil dubitatif.

« Qui « ils » ?

— Les gamins, je pense… Peut-être même un qui traîne avec Potter, ou mieux : le gosse lui-même. »

La Moldue plissa un œil en grimaçant comiquement, puis elle s’approcha de lui très lentement, en l’observant comme s’il était…

« Je vais très bien, Smith. J’ai juste eu les oreilles qui sifflent, et vu que c’est la droite, je pense que quelqu’un dit du mal de moi et… Qu’est-ce que vous avez ? Vous pouvez arrêter de ricaner bêtement, Miss ?

— Pffrrrt… L’oreille qui siffle. Vous me faites une divination sur une oreille qui siffle, et en plus en concluez que c’est forcément eux qui parlent en mal de vous.

— C’est très sérieux, Smith ! Toutes les croyances Moldues ne sont pas fausses ! Et OUI, je pense que c’est un de ceux-là.

— Et oui… Évidemment. Parce qu’il n’y a qu’une poignée de gamins qui vous déteste. Vous ne vous êtes pas aliéné, hum… Environs les trois quarts de la population sorcière Anglaise, ce n’est tellement pas dans votre style d’être détesté par tout le monde, ou presque.

— Je vous dis qu’ils parlent de moi. Et tout le monde ne me déteste pas, vous êtes bien là, vous.

— Ouais, c’est vrai. Mais vous aviez vous-même conclus que j’étais d’intelligence limitée. Bon, et vos oreilles, c’est quoi cette histoire ?

— Rien de plus que ce que vous, Moldus, croyez. À ceci près que c’est vrai.

— Et c’est pour ça que les Sorciers ont peur de dire « Voldemort » ? Parce que ça lui fait « ding-ding » à chaque fois ? » Se moqua Jane, après un instant de réflexion perplexe.

Severus allait lui répliquer quelque chose de venimeux sur le fait d’employer encore ce nom honni en sa présence, mais il se retint, en ayant en tête l’image qu’elle venait de lui proposer. Jane le regardait avec les yeux pétillants de malice, un franc sourire s’élargissant de plus en plus. Elle semblait le mettre au défi de rire, et il secoua la tête négativement. Elle pouffa, hochant la sienne, s’approchant de lui le corps soulevé de tremblements. Severus se mordit la joue, détournant le regard. Il dut même se pincer les lèvres, tandis que chez la jeune femme, le tremblement se muait en ricanement de plus en plus moqueur. Quand elle posa sa main sur son torse pour s’appuyer, à demi-pliée, l’hilarité montante, Severus sourit, puis pouffa à son tour, avant qu’ils n’éclatent tous les deux de rire.

***

Voldemort pencha la tête sur le côté, agacé. Il n’entendit pas la question de la sorcière, et ça obligea cette dernière à se répéter, ce qui n’était jamais bon en général.

« Maître, est-ce que je suis vraiment obligée d’attendre le retour de Lucius… ? Bones est prête à me dire tout ce que je veux, et elle m’a même menti sur tout ce qui ne m’intéressait pas. À commencer par sa prétendue allégeance à l’Ordre du Phoenix… »

Mais Voldemort n’écoutait plus. Il grimaça, il avait horreur de cette sensation. Elle était rare d’ailleurs, très rare. En fait, elle était si rare qu’il se demanda un instant si ce tintement n’était tout simplement pas lié à…

« SILENCE ! » Ordonna-t-il impérieusement.

Bellatrix abaissa immédiatement la tête, craignant d’avoir déplu à son Maître, mais ce dernier ne lui accorda aucun regard, ses yeux allaient et venaient aux quatre coins de la pièce, comme cherchant quelque chose d’invisible. La Mangemort se risqua à l’observer du coin de l’œil et, comme cela lui arrivait de plus en plus souvent, elle trouva à son supérieur un comportement particulièrement incohérent. Mais elle ne parla pas pour autant, craignant qu’il ne la punisse pour sa désobéissance. Alors, elle attendit, sentant Voldemort se mouvoir sur son trône, humant l’air et réfléchissant intensément.

« Continue. »

La Sorcière regarda son Maître un instant sans comprendre, et puis reprit le cours de la conversation.

« Je… Je voulais savoir s’il était réellement indispensable qu’Amélia Bones survive à sa captivité, je ne vois pas bien en quoi il est impératif que Lucius… »

Voldemort chassa de son esprit le précédent désagrément pour couper Bellatrix d’une voix plus agacée qu’à l’ordinaire :

« Ce n’est pas à toi de dire ce qui est nécessaire, ou non. Lucius a eu une riche idée en proposant de s’occuper de Bones, et oui, Bella, tu modéreras tes ardeurs en attendant qu’il ait eu pleine et entière satisfaction.

— Mais, Maître, je voudrais seulement…

— Et JE ne veux que ton obéissance, Bella. Si je te permets de jouer avec notre invitée, c’est uniquement par générosité… N’en vole pas davantage.

— Pardon, Maître, oui… Merci, Maître. »

Elle s’inclina, profondément, quittant le salon où trônait Lord Voldemort pour rejoindre directement les sous-sols. Elle déboula comme une furie au poteau où était attachée la Ministre de la Justice, et avant même qu’Amélia Bones ne sorte totalement de l’inconscience, Bellatrix lui envoya un maléfice qui la replongea immédiatement dedans. Quoi qu’avait en tête Lucius Malefoy, elle commençait à en avoir marre de ce blond peroxydé !

***

« Je ne sais pas. Ce n’est pas tant que je ne m’intéresse pas aux affaires de Père, mais je suis déjà trop pris par les miennes… »

Draco laissa la fin de sa phrase faire son effet, relevant légèrement le menton dans un air profondément aristocratique. Cela fit rougir Pansy Parkinson qui en gloussa presque d’admiration, Nott hocha la tête comme s’il percevait le sens caché de ces mots… Crabbe et Goyle ricanèrent, mais Zabini… Blaise Zabini, lui, ne s’y trompa pas. Il connaissait parfaitement son camarade de chambrée, ainsi que les habitudes de la Haute.

Les deux Serpentards échangèrent un bref regard entendu, et Draco continua :

« Cependant, je suis convaincu que c’est une excellente année qui s’offre à nous tous. Pas seulement parce qu’il semblerait que le pays dispose d’une chance d’avoir un avenir. Non. Parce que je crois profondément qu’on pourrait y prendre part.

— Tu fais référence à… Oh, Draco, tu as pris la Marque ?

— Pansy… Tu es la réponse à la question que se posent tous les élèves de Poudlard.

— Laquelle ? minauda-t-elle en souriant très largement.

— Est-ce qu’il arrive au Choixpeau de se tromper lourdement sur la répartition ? Par Morgane, Pansy… Qu’est-ce qui t’a fait atterrir dans la maison de Salazar Serpentard !?

— L’ambition, Draco ! répliqua-t-elle venimeuse, ses petits yeux de pékinois s’étrécissant soudainement. C’est d’ailleurs l’ambition qui me fait te fréquenter, j’ai cru comprendre que tu avais de l’avenir, mais si tu continues à m’insulter, je crains que le destin ne me détrompe. »

Le blond eut un rictus particulièrement satisfait : Parkinson avait réagi exactement comme il le voulait. Il aimait tirer le meilleur de ses hommes, et ça commençait par un certain sens de la répartie, et une hargne à toute épreuve. Il hocha la tête, ce qui calma presque totalement les ardeurs de sa comparse, puis il lui répondit enfin :

« Non. Pour l’heure, cela serait réellement stupide de le faire. Oh, non ! Non pas que j’ai peur de montrer ma loyauté. Seulement, les pistes se brouillent ces derniers temps, la Communauté Sorcière doute. Elle doute de ses dirigeants, de ses leaders, de ses institutions… Ce n’est pas du tout le moment d’aborder des couleurs trop ostensibles.

— Tu dis ça à cause de ce nouveau journal, n’est-ce pas ?

— Exact, Blaise. Je pense qu’Oaken n’a vraiment pas apprécié sa démission de La Gazette du Sorcier, ni les différentes diffamations que le journal a pu faire à son sujet. Il a sauté parce que Fudge a sauté, et il ne digère pas ce fait.

— A quoi s’attendait-il ? Il était la plume du Ministère, à quel moment a-t-il cru que Fudge ne tomberait pas ? C’était stupide de sa part d’être aussi virulent, aussi tôt dans la guerre. On dirait l’attitude…

— D’un Gryffondor, oui, acquiesça Draco en souriant à son collègue. Il l’est. Il fait peut-être preuve d’un peu plus de jugeote que Pansy, mais il n’est pas aussi fin stratège que toi, Blaise.

— Ou toi. » Répliqua sans chaleur Zabini, en posant une main sur celle de la jeune fille qui s’étranglait de rage.

Draco lui adressa un nouveau sourire entendu, et allait répliquer par une autre mondanité lorsqu’ils furent interrompus par le chariot de confiseries. Il était midi passé, et c’était une tradition dans le Poudlard Express depuis…

« Pff… Il n’y a que Dumbledore pour croire que les bonbons constituent à eux seuls un repas ! » S’agaça Draco comme à chaque fois.

***

« Arrêtez Smith ! grimaça Severus en contenant à la fois son rire et sa douleur. C’est la septième fois que vous le dites !

— Mais… Eh eh ! Imaginez que ça fasse « ding-ding » à chaque fois, hein ? On pourrait peut-être la gagner comme ça cette guerre…

— Je doute que ça soit aussi simple, ou même que ça marche comme ça. »

Mais il grimaça de plus belle, et cette fois-ci, sa main droite esquissa un mouvement en direction de son bras gauche. Il parvint à se rattraper, mais quand il vit l’hilarité de sa collègue totalement tarie, il comprit qu’elle l’avait vu.

« Mon Dieu… Severus… Je suis désolée, est-ce que… ? Oh non, excusez-moi, je… Est-ce que quand je prononce son nom ça… ? »

Elle avait amorcé un geste en sa direction, suspendit sa main, puis finalement la posa sur la manche gauche de Snape. Et quand elle sentit la chaleur irradier à travers l’épais tissu de la redingote, elle pâlit en le regardant horrifiée.

« Quelle idiote ! Je ne savais pas, je suis tellement, tellement…

— C’est bon.

— Non, vous n’arrêtiez pas de me dire de ne pas le faire, j’ai cru que c’était votre peur, ou je sais pas, votre caractère, pas… Ça brûle tellement… Je suis si désolée.

— Jane, ça va. » Murmura-t-il en posant à son tour sa main sur la sienne.

Ça appuya davantage celle de la Moldue sur le bras, et elle put entrapercevoir ce qu’il endurait l’espace d’un bref instant. La main froide du Maître des Potions par-dessus la sienne, elle plongea son regard dans le sien, et hocha la tête. Ils restèrent un long moment comme ça, silencieux et immobiles, jusqu’à ce que…

« Vous tentez une nouvelle technique de guérison pour ma blessure, Severus… ? »

La voix caractéristique du Directeur fit l’effet d’un électrochoc. Les deux adultes bondirent presque dans des directions opposées, et l’un comme l’autre recomposèrent un visage neutre, offrant un air d’intérêt poli au vieux Directeur. Qui ne s’arrêta pourtant pas en si bon chemin :

« L’imposition des mains est une croyance Moldue, il me semble, non… ? les asticota-t-il. Je ne sais plus si les travaux d’Aurora Bullent ont été, ou non, acceptés par la communauté.

— Albus…

— L’imposition des mains ?

— Oui, Miss, c’est une croyance qu’ont les Moldus, et qui est persistante. Il faut dire que votre Sauveur n’a jamais aidé en la matière. Lui aussi touchait tout le monde pour faire leur bien.

— Albus… !

— Professeur, vous parlez de Jésus Christ, là ? s’éberlua la jeune femme en déclenchant un grognement de la part de l’homme en noir.

— Lui-même ! Une belle entourloupe si vous voulez mon opinion. Oh, non pas que l’on sache beaucoup à son propos, mais… Quoi qu’il en soit, il guérissait par le toucher, beaucoup. Et il était très proche d’une jeune femme tout à fait charmante, au demeurant, mais qui faisait scandale auprès des…

— Dumbledore ! coupa Severus avec colère. Je pense que ça ira. Et vous n’étiez pas obligé de comparer Jane à une prostituée. »

Ce satané éclat pétilla dans les yeux du Directeur. Il pétilla, jusqu’à l’illuminer, en même temps que son sourire satisfait. Le vieil homme abaissa la tête et regarda son protégé par-dessus ses lunettes en demies-lunes :

« Voyons, Severus… Pourquoi dites-vous une telle chose ? Jamais je ne ferais cela, j’évoquais seulement…

— Ca va. » Coupa encore Snape en comprenant qu’il venait de commettre une grossière erreur.

La Moldue rougit quelque peu, en faisant une moue qu’il ne lui connaissait pas, mais elle se reprit très rapidement.

« Vous nous cherchiez, Professeur ? changea-t-elle de sujet.

— Eh bien oui, il est treize heures et nous commencions à nous demander si vous alliez nous rejoindre pour déjeuner… Je ne souhaitais pourtant pas vous déranger

— D’autant que ça n’est ni dans vos habitudes… commença Severus, acerbe.

— … Et cela vous gêne d’ailleurs profondément de le faire. » Termina Jane.

Les deux échangèrent au passage un rictus de connivence, satisfaits de leur réplique à deux langues quand le vainqueur de Grindelwald leur asséna :

« Vous avez raison, je vous laisse terminer. »

Il les planta là en s’en allant de ce que, l’un comme l’autre, qualifièrent mentalement « d’horripilante démarche presque sautillante ». Et sans même échanger un regard, ils le suivirent, chacun longeant un pan de mur, découvrant tous deux que les couloirs de Poudlard étaient plus étroits qu’il n’y paraissait.

***

« Vous désirez déjeuner à La Rosée de Lune, Monsieur le Premier Ministre ?

— Mais… Il est déjà treize heures quinze, Lord Malefoy ! Il nous sera impossible d’obtenir une table, même en cuisines ! »

Le blond sourit lentement, en caressant le pommeau de sa canne en argent. Il adorait jouer ce petit numéro. Cela faisait toujours son petit effet, même sur l’implacable Rufus Scrimgeour. La Rosée de Lune était l’une des tables les plus huppées du centre-ville de Londres. Une table exclusivement sorcière, d’ailleurs, et pourtant implantée dans la City. Car, le Ministère de la Magie, ainsi que bon nombre d’affaires lucratives sorcières, se trouvaient, elles aussi, à la City. Non loin de celles des Moldus. Et cela ne choquait aucun bon sorcier de cette bonne société privilégiée. Quant au restaurant, il était réputé pour demander une réservation des mois à l’avance… Pouvoir y obtenir une table sur un coup de tête était signe de pouvoir ou de richesse. En l’occurrence, pour Lucius Malefoy, c’était très exactement les deux : il en était le secret et heureux propriétaire.

« Monsieur le Premier Ministre… Je suis certain que La Rosée de Lune ne refuserait jamais de servir son illustre représentant politique. » Flatta Malefoy avec habileté.

Scrimgeour rougit sous le propos et sous le souvenir humiliant du dernier refus du restaurant. Précisément le soir de son élection. L’ancien Auror avait voulu fêter cette victoire avec ses proches collaborateurs, mais la réponse fut très exactement la même que pour le « Bas-Peuple ». Et Lucius le savait parfaitement, la « patrone » l’avait contacté pour lui demander si elle devait, ou non faire une exception.

Le Serpentard ouvrit la marche avec assurance, les amenant aux portes de l’établissement. Frappant trois coups, puis un, et enfin un autre, Lucius se fit ouvrir, dévoilant une jeune femme de petite taille aux cheveux rouge vif, et aux formes particulièrement généreuses.

« Messieurs ?

— Une table au nom du Ministre de la Magie, et de Lord Malefoy, je vous prie.

— Mais tout de suite, mes Seigneurs, suivez-moi. »

Elle leur fit traverser une magnifique pièce voûtée, peuplée de gens trop intéressés par le contenu de leurs incroyables assiettes pour les remarquer. Ils passèrent devant un orchestre tenu par des femmes vêtues de voiles et jouant de la harpe. Et enfin, ils arrivèrent dans une arrière-salle éclairée par un ciel magique qui dévoilait constamment une lune pleine et irisée. Il n’y avait qu’une table, spacieuse, garnie de chaises, que l’on enleva, pour n’en laisser que deux. La nappe semblait être tissée dans une étoffe magique très précieuse. La vaisselle reflétait la lumière de l’astre dans leur or blanc étincelant. Même l’odeur qui flottait dans l’air était exquise. Tout dans cet endroit semblait avoir été fait dans le seul but de plaire aux rares élus.

Scrimgeour en avait le souffle coupé, ce qui ne fit qu’attiser davantage le sourire satisfait du Serpentard. Cela serait encore très long, mais il y arriverait. Ils s’assirent, et on leur servit le traditionnel apéritif, qui était une spécialité de la maison : une liqueur faite à partir de rosée de lune, une plante entrant dans la composition du filtre de Mort-Vivante. Lucius saisit délicatement le petit verre ciselé et le porta en toast à son invité qui lui lança un regard de défiance comme seul l’ancien Directeur du Bureau des Aurors pouvait faire. Et ils burent, dans un même geste, quelque chose qui engourdirait leurs muscles légèrement, tout en aiguisant leurs autres sens pour la durée entière du repas.

***

« Ooooh, ça n’est pas tellement que Severus était un élève désagréable. Au contraire, une fois qu’on le connaît un petit peu, c’est une personne d’une remarquable profondeur. Et d’une rare intelligence ! C’était peut-être mon élève le plus doué en potions, ah ! Lui… Lui et Lily Potter… »

Ledit Severus contracta les mâchoires devant les paroles du sorcier. Quelque peu éméché, le nouveau Professeur de Potions, Horace Slughorn répandait de son bon vin aux noix un peu partout sur la table des professeurs, devant quelques enseignants restés terminer ce long et ultime repas entre collègues. Jane faisait donc la rencontre avec l’exact opposé de Snape, et se surprit même à douter qu’il fût un jour Directeur de Serpentard. L’homme ventripotent avait passé les deux dernières heures à narrer quelques anecdotes croustillantes, et à présent que le vin lui donnait un semblant de courage, il s’attaquait à une part de son passé… Et de celui de l’homme en noir.

Severus semblait profondément gêné, mais la tension de ses épaules augmenta quand il évoqua le nom de la mère de Potter.

« … Enfin, à l’époque, c’était Lily Evans, précisa le sorcier avec son sourire enfantin. C’était… Ah ! Elle était une élève vraiment, vraiment douée. D’ailleurs, c’était très simple, à l’époque…

— Horace ! rappela à l’ordre Dumbledore, d’un air lourd de sous-entendus.

— Excusez-moi. » murmura Severus à l’oreille de Jane, avant de s’éclipser, une grimace furieuse accrochée au visage.

La Moldue l’observa s’éloigner, avant de jeter un œil au Directeur qui avait son regard braqué sur elle. Pendant qu’Horace Slughorn trouvait un autre sujet à aborder, l’homme à la longue barbe sourit doucement à la jeune femme, qui vida d’un trait son verre, et se leva à son tour.

Elle déboula en trottinant dans un couloir, le cœur battant une chamade qui n’avait rien à voir avec les cent mètres qu’elle venait de monter en escalier. Elle s’attendait à voir au moins la silhouette de Severus tourner à l’angle au bout, mais rien. Jane soupira, s’adossant à un mur, hésitant à aller jusqu’aux appartements de son mentor.

« Pourquoi cela ne me surprend même pas… ? »

Sa voix profonde émergea de l’angle où il aurait dû se trouver, bientôt suivie par un regard onyx particulièrement dur à cet instant. L’enseignante frissonna, se sentant presque stupide à cet instant. Il s’approcha, lentement, ses robes flottant doucement derrière lui comme une traîne mortuaire. À mesure qu’il avançait, Jane sentit son cœur s’affoler de plus en plus. Pourquoi était-elle là, déjà ? Était-ce vraiment utile… ?

« Vous ne pouvez vous en empêcher, n’est-ce pas… ? De fourrer votre nez dans ce qui ne vous regarde pas.

— Vous n’êtes pas obligé de répondre à mes questions.

— Et après ? Vous me les auriez posées où ? Jusque dans mon lit, peut-être ? »

La Moldue rougit soudain à sa réplique, et cilla avant de se reprendre, avalant une grande goulée d’air.

« Ce n’est pas la première fois que je vous vois réagir comme ça à ce nom. Je…

— Est-ce que vous tenez à m’interroger au beau milieu du couloir, ou j’ai encore la possibilité de protéger une partie de ma vie privée aux yeux entiers du château ? »

Jane hésita, et après une instant de silence, elle secoua la tête négativement, s’approchant de l’homme en noir. Elle posa une main légère sur son bras gauche, et secoua une nouvelle fois la tête, avant de répondre :

« Non, ça ne me concerne pas. Je n’ai pas à savoir. »

Severus se tut un instant, la fixant en réfléchissant, puis se détourna en direction de ses appartements. Lorsqu’il passa l’angle, il lui lança :

« Vous finirez par me poser cette question, Jane… »

***

« Pourquoi… ? Pourquoi vous me faites ça… ? »

Il fallut des années d’expérience à Bellatrix, et des heures de pratique pour arriver à comprendre cette simple question. Aux oreilles d’un néophyte, ce n’étaient que borborygmes et suppliques entrecoupées de gémissements. L’évadée d’Azkaban releva la baguette un instant, observant la forme qui se tordait à ses pieds en raclant le sol de ses ongles. Il y avait du sang. Beaucoup. Trop, à dire vrai, pour ce qu’elle était censée faire.

Lestrange cligna des yeux en soupirant, reculant lentement, comme pour admirer son œuvre, puis elle se laissa tomber au sol dans une position accroupie très infantile. Là, elle ferma les yeux avec paresse, laissant Amélia Bones se recroqueviller sur elle-même. Depuis combien de temps était-elle ici ? Une heure seulement ? Un jour ? Un an… ? La Mangemort éclata de rire, ce qui augmenta les tremblements de l’ancienne Ministre de la Justice.

« Sept heures, et peut-être quelques minutes de plus. »

Bellatrix utilisa le bout de sa baguette de bois pour relever délicatement une de ses mèches frisées qui lui barraient le visage, puis elle ouvrit à nouveau les yeux, et les darda en direction du corps qui s’arqueboutait pour lui présenter un visage tuméfié et profondément choqué.

« Vous vous posez tous la question… Jusqu’à en perdre la tête pour certains… C’est toujours trop long à vos yeux. Et aux miens… Ah ! » La Mangemort soupira si fort que ses épaules en tressautèrent, et qu’elle manqua de perdre son équilibre sur ses pieds. « Aux miens… C’est toujours incroyablement furtif. Comme vos vies. Furtives. »

Amélia déglutit péniblement, la gorge en feu d’avoir tant hurlé, les lèvres gercées et rongées par les coups de dents frénétiques qu’elle s’était donnés sous l’effet des sorts noirs. Elle entendait à peine son bourreau parler, cela lui semblait si surréaliste. Susan était-elle en vie… ?

« Insignifiantes, en fait. Je ne saurais dire à quel moment vous avez commencé à me dégoûter, tous. Avec vos principes… Votre moralité… Vos airs de sorciers parfaits. Aussi répugnants que des Moldus, à grouiller perpétuellement entre vous, forniquant… Les cousins avec les cousines… »

La Magistrate agrippa un lambeau de tissu poisseux qui s’étalait devant sa main, pour tenter de se hisser quelque peu. Mais elle grimaça de douleur et d’écœurement quand elle se rendit compte que c’était de la chair. La sienne.

« Je ne sais pas me contrôler. Il me suffit de vous entendre vous plaindre, implorer pitoyablement comme vous savez si bien le faire, et… »

Bellatrix écarta les bras, comme pour signifier qu’il se passait quelque chose de magique dans ces moments-là. Elle se redressa, et s’approcha de sa captive, assez pour écarter d’un coup de botte nonchalant ce qui savait être un morceau de cuisse. Elle abaissa son visage, et sa voix, déjà particulièrement glaciale, s’aggrava davantage.

« Qu’est-ce qu’il peut bien te vouloir, au juste… ? »

Instinctivement, les entrailles d’Amélia se contractèrent. Elle ne put dire comment, ni pourquoi, mais elle sut à cet instant que la Sorcière était redevenue lucide, et que c’était cette question qui lui brûlait les lèvres depuis le début. Mais Amélia Bones ne savait même pas de quoi il était question… Elle bredouilla, crachant du sang mélangé à de la bile.

« Le Seigneur des Ténèbres…

— JE NE PARLE PAS LUI ! » Avait alors hurlé la meurtrière. Puis, elle lui agrippa les cheveux, et força ce qui restait de la sorcière à la regarder dans les yeux.

« QUE TE VEUT LUCIUS MALEFOY ?!? »

***

« Vous partez ? Déjà ? »

Rufus avait prononcé ça d’une voix légèrement pâteuse. Ils avaient mangé et bu plus que de raison, et Lucius Malefoy était amplement satisfait d’avoir pu ainsi faire ingérer autant d’alcool au Ministre de la Magie. L’homme austère était réputé pour être incorruptible, pour n’avoir aucune faiblesse de la chair…

Mais les mets de La Rosée de Lune étaient très particuliers. Ils envoûtaient les sens, charmaient les convives, ravissaient les moins épicuriens des invités. Et tout ancien Auror qu’il était, Scrimgeour n’avait pu combattre bien longtemps ses propres instincts.

« Il est bientôt dix-huit heures, Monsieur le Ministre, les élèves seront déjà arrivés à Poudlard, et mon épouse m’en voudrait si je ratais la lettre de notre fils.

— Ah bon ?

— Oui, il la rédige dans le train, et nous la fait parvenir en arrivant, c’est une exigence de Narcissa. Vous comprendrez qu’un père ne peut se dérober à son devoir…

— Non, non, évidemment. Vous faites bien, Monsieur Malefoy.

— Allons, Monsieur le Ministre ! Il est évident que vous pouvez m’appeler Lucius, s’inclina le Mangemort avec un sourire.

— Lucius… répéta le politicien. Mes hommages à Madame.

— Naturellement. Je vous laisse en compagnie de la maîtresse de ces lieux… Dame Cassiphoné, nous pouvons compter sur votre discrétion… ?

— Bien évidemment » Lui répondit la belle jeune femme rousse qui leur avait ouvert la porte.

Lucius s’inclina profondément dans leur direction, à un point tel que le Ministre ne put déterminer à qui s’adressait cette marque de respect, puis l’aristocrate repassa par la grande salle, toujours pleine de rires, de gens attablés, qui ne firent pas grand cas de sa traversée. Enfin, lorsqu’il déboucha sur la grande rue de la City côté Sorciers, le blond sortit de sa poche de veste une fiole bleue vive, et en vida le contenu d’un trait. Sa vue se fixa rapidement, et le picotement aux bouts de ses doigts cessa immédiatement.

Il releva la tête avec satisfaction, arrangea d’un simple geste sa chevelure d’un blond cendré presque argent, et transplana avec élégance.

***

« Père,

Il est long et inutile que je vous fasse le récit détaillé d’une traversée qui n’a eu de palpitant que les cahots des rails, et les éructations de Crabbe, à moins que cela n’ait été celles de Goyle. Aussi, je vous épargne la – bien trop – longue conversation habituelle avec Miss Parkinson, qui tente désespérément depuis tout à l’heure de lire par-dessus mon épaule. Après six années, la pauvrette reste persuadée que ce que je couche dans ce parchemin a une quelconque utilité.

Quoi qu’il me faille tout de même vous confirmer que mon ami et précieux allié, Blaise Zabini se conforte à nos attentes, et qu’il ne semble être dupe d’aucunes de mes facéties. Je le soupçonne même, Père, d’avoir parfaitement compris depuis longtemps que ce manège était destiné à intriguer.

Serait-ce utile que je vous mentionne le fait qu’Harry Potter et son parrain se sont jetés dans les bras l’un de l’autre sur le quai, en profusion de muqueuses et autres manifestations lacrymales ? J’ai, à ce propos, Père, une bien mauvaise nouvelle : Harry Potter a pu remonter dans le train avant que celui-ci ne démarre… Je crains que jamais mon souhait ne se réalise, et que je ne puisse jamais voir Potter laissé sur place, voire être oublié comme une valise encombrante.

La lettre me semble être d’une taille correcte, à présent, Père, assez pour qu’elle soit crédible aux yeux de mes comparses. J’espère que votre rendez-vous s’est admirablement bien passé, et vous souhaite bonne réception de ce pli.

En vous souhaitant bonne fortune, à vous, ainsi qu’à Mère, je vous prie d’accepter mes humbles salutations.

Votre héritier, Draco Malefoy »

Le jeune homme plia la lettre, et la glissa dans une grosse enveloppe d’excellente facture. Puis, lentement, laissant tout le soin à son assistance d’admirer la grâce de ses mouvements, il versa de la cire verte émeraude pour la cacheter, et l’imprima de sa chevalière. Ce geste poussa Pansy à se mordre la lèvre inférieure en retenant sa respiration. La jeune fille avait toujours adoré le voir faire ça, c’était si… Si masculin… Digne d’un Lord !

« Je suis certaine que tu parles de moi, dedans ! s’enjoua-t-elle.

— C’est vrai, admit-il en déclenchant un nouveau sourire chez elle. Ce que tu ignores, c’est en quels termes je le fais.

— Ca n’a rien d’amusant, Draco ! Tu pourrais au moins nous dire…

— Mais ça ne vous regarde pas, s’amusa-t-il.

— Alors pourquoi tu le fais sous nos yeux, hein ?

— Parce qu’il veut déclencher ça, Pansy… »

Blaise fixait Draco de ses yeux en amande si particuliers. Il étira sa bouche dans un des rares sourires qu’il accordait aux gens, le rendant plus beau qu’il ne l’était déjà. Zabini était un esthète à la peau sombre, semblable à de l’Onyx pure. Il paraissait avoir été taillé dans cette pierre par les dieux eux-mêmes, et à l’instar de sa mère, fascinait par sa perfection. Mais c’était pour de toute autre raison que Draco lui accordait son estime. Et Blaise le savait parfaitement.

« Je n’en vois pas l’intérêt, réitéra Parkinson en boudant.

— Je crois qu’on arrive. »

Théodore s’était relevé et effectivement, le train ralentissait ostensiblement. Les élèves enfilèrent leurs robes par-dessus leurs vêtements, et commencèrent à se saisir de leur sacoche. Le Poudlard Express crachota encore quelques volutes de fumée blanche en arrivant en gare de Pré-au-Lard et s’immobilisa à quai, non sans avoir donné trois coups de sifflet.

Les Serpentards descendirent dans un mouvement parfaitement discipliné, ignorant superbement Harry Potter et ses amis, lorsqu’ils passèrent devant. Draco se dirigea directement au guichet d’accueil qui proposait l’envoi de courriers, et confia sa lettre.

Quand un hibou Grand-Duc s’en empara pour l’emporter, Susan Bones soupira, circonspecte.

« J’devrais peut-être faire ça, moi aussi… Maman serait contente, je crois de savoir que tout s’est bien passé, avec tout ce qui se passe…

— Pfff, arrête, tu veux ? la coupa Millie. T’auras tout le temps demain matin de lui écrire quelque chose.

— Ouais… Ouais, tu as sans doute raison… »

***

Lucius regardait le corps à ses pieds avec un air impassible. Il était difforme, semblait quelque peu désarticulé, et surtout : toute vie l’avait quitté. S’il n’avait su de qui il s’agissait, le blond aurait été bien en peine de la nommer.

C’était un vrai massacre…

Quand il avait transplané au Manoir Jedusor, il avait tout d’abord salué son Maître, qui l’avait alors informé que, selon ses plans, Bellatrix Lestrange avait capturé et amené Amélia Bones dans leur bastion. Voldemort lui avait conseillé de ne guère trop tarder, car il lui semblait que la Mangemort était très appliquée dans sa préparation initiale.

C’était un doux euphémisme.

En descendant les escaliers qui menaient à la salle de torture, une odeur ferrugineuse prit d’assaut ses sens, puis ce fut la chaleur moite, caractéristique des grosses sueurs, qui l’enveloppa. Et enfin, quand il eut posé un pied au sol, c’était la profusion de teintes carmin, écarlate et vermillon, qui lui tirèrent une grimace. Qu’il réprima rapidement, heureusement. Il s’était alors approché de l’amas de tissus humains, d’os, et de vêtements qui formaient globalement les restes d’une femme recroquevillée sur elle-même. Puis, il avait gardé le silence pendant plus d’un quart d’heure.

Un silence lourd de ressentiment, qui semblait rendre plus folle encore Bellatrix Lestrange qui trépignait à ses côtés. Elle savait qu’il était furieux. Elle savait qu’elle s’attirerait les foudres de son Maître pour avoir désobéi. Mais la sorcière avait refusé de lui dire ce que le blond voulait… Amélia n’avait pas su lui donner les réponses… Bellatrix explosa finalement, toute sa haine, qu’elle n’avait pourtant pas réussi à exprimer dans ses gestes ces huit dernières heures, se déversant avec hargne dans chacune de ses paroles :

« JE ME MOQUE DE TES ORDRES, LUCIUS. JE N’EN RECEVRAI JAMAIS DE TA PART, ET JE ME MOQUE DE CE QUE TU PENSES DE TOUT CECI. TU N’AVAIS QU’À T’EN CHARGER TOI-MÊME, SI TU Y TENAIS TELLEMENT… AH MAIS J’OUBLIAIS ! LUCIUS MALEFOY NE SALIT PAS SES BELLES ET DOUCES MAINS MANUCURÉES ! IL PRÉFÈRE MANIGANCER DANS L’OMBRE, INTRIGUER POUR QU’ON LE FASSE À SA PLACE ! TU N’ES QU’UN LÂCHE, COMME TON COPAIN SANG-MÊLÉ. QUOI QUE LUI, AU MOINS, EST ENCORE CAPABLE DE LANCER UN DOLORIS. ET TOI ? HEIN ? ET QU’EST-CE QUE TU VAS FAIRE, MAINTENANT, HEIN LUCIUS ? »

L’homme la laissa hurler comme ça jusqu’à ce que sa voix se casse légèrement. Il était évident que sa victime n’avait pas été la seule à monter dans les sons. L’aristocrate leva lentement le menton en direction de sa belle-sœur, le visage crispé dans une expression d’une rare sévérité, puis murmura :

« Moi ? Rien. En revanche, tu vas nous débarrasser de ça, et au plus vite. Tu te débrouilles pour le remettre là où tu l’as trouvée.

— ET TU CROIS QUE LES AURORS VONT PRENDRE ÇA COMMENT, HEIN ? EST-CE QUE TON SUPER ESPRIT NE POURRAIT PAS INVENTER UNE PARADE À…

— Une parade à quoi, Bella… ? lui demanda-t-il d’une voix si mielleuse qu’elle suffit à faire taire l’autre sorcière. Le bureau des Aurors peut tout à fait, même en l’état, déterminer avec précision les sorts utilisés, leur nombre… Et même jusqu’à l’heure exacte de sa mort. Ton geste n’aura aucune utilité, s’il n’est pas utilisé à des fins de terreur…

— Et qu’avais-tu en tête de plus utile, au juste ? le coupa-t-elle avec morgue.

— Quelque chose qui te dépasse très largement… Maintenant, vas.

— Tu n’as pas…

— Préfères-tu faire immédiatement ton rapport au Maître ? »

Bellatrix perdit ce qui lui restait de couleurs, et donna un coup de baguette impérieux. Le corps de l’ancienne Ministre de la Magie se souleva lentement dans les airs, la tête d’Amélia dodelinant légèrement. Puis la Mangemort la fit léviter en direction de l’escalier, et jeta un dernier regard haineux à son beau-frère, avant de s’éclipser.

Resté seul, Lucius observa un instant la marque rouge que le corps avait imprimée sur le sol. Le Chef de la Maison Malefoy inspira profondément, un immense sourire de satisfaction naissant sur ses lèvres. Il cligna les yeux, les levant au ciel dans une sorte de remerciement muet aux dieux. Bellatrix avait fait exactement ce qu’il attendait d’elle. Puis il expira, dans une sorte de râle de plaisir :

« Aaaah, la famille… »

Passe m’voir Alloc’asion

Les assistés, les parasites, les fainéants, les ratés, les désœuvrés. J’sais plus combien de mots décrivent cet ensemble de situations dans leur bouche. J’sais plus combien d’éléments d’langage ils utilisent pour t’expliquer qu’on vaut que dalle, qu’on est que dalle, et qu’ça fait tâche de n’pas nous haïr.

Parce que c’est c’qu’on te demande : d’nous cracher à la gueule. Pour notre misère. Nos peurs. J’te parle de celles qui tordent le ventre, de celles qui t’empêchent de dormir. De celles qui te font faire n’importe quoi. Manger n’importe quoi. Boire n’importe quoi. Et pour certains : voter n’importe quoi.

C’t’à dire qu’il faudrait pas non plus qu’on nous plaigne, hein. Cette situation, elle est d’not’ faute. La faute à notre poil dans la main. La faute à not’ couleur de peau. Enfin, pas la mienne, celle des autres. La faute à notre sexe. Et là, c’est surtout l’mien. À notre époque, à l’Europe. Mais pas celle des responsables. Non, jamais.

C’t’à dire que toi, tu sais rien au final de ce qui s’cache derrière ces mots. Cet assistanat. T’sais pas combien il y a de rêves brisés, de renoncement, de choix imposés. T’ignores que derrière ce mot, t’as pas juste de la faim mec. Pas juste de la faim au ventre, j’te parle de la faim du cœur. D’la faim de l’espoir. Parce que derrière ces mots, t’en n’as pas. Pis quand t’en as. Tu r’çois un courrier, avec la belle Marianne grimée d’ssus, pis qu’on te dit qu’en fait, Marianne elle t’aime plus.

Si tant est qu’elle l’ait jamais fait.

Mais c’pas d’sa faute à elle. Marianne elle est prisonnière, comme nous. Elle fait sa maligne avec ses tétons à l’air, façon Fémen de la Révolution, mais elle s’fait autant baiser qu’nous. Sauf qu’elle, elle a sa gueule sur les timbres. Toi, tu t’contentes de tirer la tienne quand tu les paies…

J’te disais qu’l’espoir nous était interdit. J’sais pas comment t’expliquer ça, mais t’vois ton angoisse à pas pouvoir t’payer tes vacances de bourges ou tes fringues de connard ? Bah voilà : nous on angoisse de ne plus pouvoir espérer. Pis c’pas juste espérer finir le mois. Dis-toi qu’on est moins stressé que vous devant la pauvreté. P’tet parce qu’on est pauvre, en fait. Ou moitié d’pauvre parfois. Ou ¼ pauvre pour moi. Tu comprends pas c’charabia, c’normal. T’as trop d’sous pour ça. Mais not’espoir, on l’place dans l’av’nir tu vois ? S’dire qu’notre vie va s’améliorer, les efforts vont payer. Pa’sque toi, toi t’es persuadé qu’oui, hein. T’es adepte du « on n’a rien sans rien ». Mais t’sais même pas définir ce « rien ». Et t’sais pas à quel point c’est faux.

L’fric appelle l’fric. L’bonheur procure du bonheur. C’pas moi qui l’dit, c’la vie qui t’l’apprend quand t’as pas les ronds d’la soudoyer pour qu’elle ferme sa gueule !

T’sais c’que c’est la dépression mec ? Pas juste parce qu’ta moitié t’a lourdé. Nan, parce qu’tu vaux rien. Et qu’ta Marianne, la mère de tous les enfants d’cette putain de France, elle pense qu’tu vaux rien. Qu’tu coûtes trop cher. Qu’tu rapportes pas. Bah c’te dépression gars, c’est ta copine avec l’alcool et la drogue. Pis quand t’veux pas tomber d’dans. Ou qu’tu veux plus y rester, ou pis : qu’t’as même plus les sous, t’arrêtes ces barres de bonheurs de pauvres, et il t’reste que la réalité. Et là, mon gars, trouve d’l’espoir ! Trouve d’l’espoir quand tu sens ton corps de lâcher. Qu’te tu vois plus tes proches pa’sque t’as plus l’sous, pa’sque t’es minable.

T’es minable, on t’le dit tout l’temps. Tu peux bosser comme un con, mec, si t’as pas l’costard à Macron, t’es minable. Pis c’est qu’tu finis par le croire. Tu finis par croire que t’es un parasite. Que t’es un poids. Et t’as des bâtards dans ton genre qui l’dise aux autres minables. Qui font en sorte qu’on ait tous un peu moins. Toujours moins.

Ça n’a jamais changé. Tu nous as toujours craché à la gueule. De l’époque où on pouvait encore s’payer des clopes, à celle où on r’nifle la colle des lettres d’mise en demeure pour s’faire un kiff. Tu nous hais. T’sais même pas pourquoi. T’crois qu’on veut juste boire et crever dans un coin, et p’tet’ bien qu’ça plaît d’penser ça. T’crois qu’on en veut à ton fric, qu’on veut ta place, ta vie ; et tu l’espères. Parc’que sinon ça voudrait dire qu’ta vie c’est d’la merde.

Mais on n’en veut pas d’ta vie. On veut la nôtre, t’vois ? On veut avoir c’droit. Pas juste survivre mec. Parce que survivre, c’facile. Not’ corps a moins besoin qu’on l’croit. Nan, mec… J’te parle d’fêter Noël. D’savoir c’qu’est l’amour. D’le transmettre. D’pas être l’dernier. De pas t’éteindre, ton espoir, et ta semence avec. J’te parle de recouvrer ta dignité. D’rel’ver la tête. De red’venir un être humain.

Parce que pour toi on est des bêtes. Mais on vaut moins qu’ton kiki à la queue rapiécée.

On est des bêtes, et t’crois qu’on bouffe avec les doigts. Qu’on dort là où on chie. Qu’on s’bat pas. Mais une bête mon gars, ça fait qu’ça se battre ! Même que ça sait plus rien faire d’autre.

Not’ vie est un champ d’batailles, avec nos cœurs en guise d’trous d’obus.

Pas d’espoir d’armistice, ou d’cesser l’feu. Ici, ça tire en continue. Façon Gatling sur cible immobile. Pas d’ONU, pas d’OTAN. Pas d’petit dessins pour dire qu’faut prier pour nous.

Ya rien, mec. Parce qu’un parasite, ça s’tue.

Paie bien ta taxe aux dératiseurs, t’sais pas si t’es pas l’prochain dans l’viseur.

 

Démons intérieurs

« Le Veritascriptum, Edition du xxx 2016,

DANSE MACABRE À POUDLARD

 

Les morts reviennent au château. Non content de faire enseigner l’Histoire à nos enfants par un véritable fantôme au débit plus mortifère que l’éloge funèbre la moins enthousiaste, Albus Dumbledore a décidé de nous ressortir un vieux nom, un nom si oublié qu’on le croyait gravé sur une pierre tombale, je veux bien entendu parler d’Horace Slughorn.

Quel rapport avec Poudlard ? C’est évident, mes chers frères et sœurs : Albus Dumbledore l’aurait fait ressortir de sa retraite pour le faire enseigner les Potions, dès la rentrée prochaine !

« Et le Maître déjà en place ? » me demanderez-vous avec justesse… 

 

UN MANGEMORT POUR MENTOR

Si Severus Snape a été innocenté par Albus Dumbledore lui-même, nous nous souviendrons aisément de l’accusation portée à son encontre. Le Maître des Potions, et actuel Directeur de la maison Serpentard à Poudlard, porte vraisemblablement la Marque des Ténèbres.

Après avoir officié en tant que Professeur des Potions, sans avoir pour autant empoisonné nés-Moldus et autres Gryffondors, voilà que Severus Snape se voit attribué le poste de Professeur de Défense Contre les Forces du Mal. Oui, exactement.

Il est de notoriété publique que Snape briguait depuis un certain temps ce poste, étonnant donc, qu’après tant d’années à le lui refuser, Dumbledore finisse par céder. Et cela explique le retour inopiné d’Horace Slughorn, qui, les plus jeunes l’ignorent, était le Directeur de Serpentard de l’époque.

Mais pourquoi changer d’avis, Albus ? Pourquoi maintenant ? Serait-ce lié au retour de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ? Serait-ce lié au changement de Gouvernement, plus guerrier que naguère ?

 

L’ARMÉE DE DUMBLEDORE

Les lacunes en matière de DCFDM des élèves de Poudlard ne sont plus à démontrer, l’année dernière déjà, beaucoup d’encre coulait à ce propos. Il est donc évident que l’urgence est de rattraper ce retard et de radicalement faire progresser ces adultes en devenir.

Mais jusqu’à en faire des soldats ?

La question peut sembler alarmiste, quelque peu paranoïaque, et pourtant, pourquoi choisir cet instant précis pour changer de poste un homme que l’on connaît tous de réputation ? Pourquoi le faire, si ce n’est pour préparer les jeunes têtes à des jours terribles à venir ?

Interrogé à ce sujet, le nouveau Premier Ministre, Rufus Scrimgeour, est resté désespérément muet. Nous ne saurons pas si cette décision est collégiale, si elle a été validée par le Conseil d’Administration de l’école, ou même si elle est plus anodine que nous le pressentons.

Car, et il aura su le démontrer, Albus Dumbledore est un homme qui annonce les dangers à venir. N’était-il pas celui qui tentait de nous avertir, l’année dernière ? Que cherche-t-il à nous dire cette fois-ci ?

Est-ce que la sécurité des sorciers de Grande-Bretagne ne serait-elle pas assez assurée, que l’on doive faire appel à un repenti ?

Et que penser des compétences de Severus Snape en la matière ? … »

 

Jane haussa un sourcil, lorsque le susnommé la dépassa sans la voir, marchant à grandes enjambées dans le parc de Poudlard. La jeune femme s’était assise sur un banc à l’extérieur pour profiter des derniers rayons de l’été, lisant la nouvelle feuille de choux à la mode : Le Veritascriptum, le canard de Connord Oaken. C’était sa quatrième parution, et après avoir amplement craché son venin au sujet de la reprise de la classe d’Étude des Moldus par Jane, et après avoir fait une longue critique de l’ancien Gouvernement, voilà que le journaliste finissait par remettre en question Snape, non sans avoir tout de même fait une belle volte-face concernant la montée en puissance de Voldemort… À quoi jouait-il ? Pourquoi ces – presque – mots élogieux à l’égard de Dumbledore ? Et puis pourquoi Severus faisait de grandes enjambées ridicules, d’ailleurs… ?

« Hey ! Severus ! » Le héla-t-elle en agitant le journal pour mieux se faire voir.

L’homme en noir arrêta son manège, la fixant, comme surprit de se voir interrompu dans une grande œuvre importante. Il sembla hésiter un instant, avant de hocher brièvement la tête en sa direction, et de reprendre son étrange circuit. La Moldue se décida enfin à se lever et à le rejoindre, trop curieuse pour continuer à rester à lire.

« Dites… Qu’est-ce que vous faites, au juste ? lui demanda-t-elle.

— Je compte, Smith, rétorqua-t-il sans même lui adresser un regard.

— Comment ça, vous…

— Je mesure, plus précisément. » Il s’arrêta, plongeant son regard onyx dans le sien.

Jane arqua un sourcil, par mimétisme, comme elle l’avait vu si souvent faire, et observa les alentours, sans comprendre.

« Je mesure le terrain, Smith, soupira Severus.

— Pourquoi ne pas vous servir de votre baguette, et puis, pourquoi faire au juste ?

— Parce que je veux savoir combien de pas cela représente. Courts, Amples, peu importe, et parce que je n’ai pas toujours besoin de ma baguette pour exécuter des tâches simples.

— Mais vous faites, quoi, au juste ?

— Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre, Smith ? Vous ne pouvez pas me… »

Il s’interrompit. Jane avait eu un mouvement de recul, et il se rendit compte qu’il venait juste de crier. Il perdait pied, c’était anormal. Épuisé par les récents événements, il était particulièrement à cran, et la jeune femme n’avait pas à en pâtir. Alors qu’il allait proposer une justification quelconque, elle lui coupa l’herbe sous le pied :

« Désolée, ce ne sont pas mes oignons, j’voulais juste faire la conversation. Ça fait quelques jours que je ne vous ai pas vu… Depuis… Bon, depuis l’attaque en fait. J’vous ai même pas remercié de m’avoir tirée de là, ni même d’avoir pris soin de…

— Vous n’avez pas à le faire, soupira Severus en balayant de la main son propos. Je mesure le futur terrain d’entraînement de mes élèves. »

Jane lui lança un pauvre sourire, qu’il lui rendit en hochant la tête, avant qu’il ne reprenne ses pas.

« Et vous ? lui demanda-t-il à deux mètres d’elle.

— J’étais en train de m’informer sur votre mangemorosité dans les billets d’Oaken, en tentant de me changer les idées, car je bloque sur mon programme à tenir.

— Comment ça ?

— Albus a été assez vague, il voulait que j’aborde la question de la génétique avec les sixièmes années. Alors moi j’veux bien, mais encore faut-il qu’on arrive à leur faire comprendre le cheminement nécessaire à la compréhension d’un tel truc. Et comme il refuse de me donner plus d’informations… Ou tout simplement de me recevoir…. J’sais pas ce qu’il a, Severus, mais parfois, j’ai l’impression qu’on est seuls tous les deux dans un immense château. »

Cette dernière phrase stoppa net l’espion qui dévisagea la jeune femme. Il revint dans son périmètre, l’observant longuement, avant de pincer les lèvres dans une moue qu’elle avait appris à reconnaître : celle où il déterminait s’il lui répliquait, ou non, quelque chose de mesquin. Il semblait avoir tranché quand il fut interrompu par un « pop » sonore. Entre eux, totalement paniqué, se tenait Dobby.

« Pardonnez-moi Severus Snape, Monsieur, et Grande Maîtresse, mais Monsieur le Directeur a besoin de vous, Monsieur. C’est très urgent, et très grave, il… »

Severus ne laissa pas la créature terminer, et s’élança en direction du château. La Moldue resta une fraction de seconde interdite, avant de partir sur ses talons. Elle regretta immédiatement d’être fumeuse, à mesure que ses poumons brûlaient, et qu’elle voyait la silhouette de Severus la distancer, pour finalement disparaître. La gorge en feu, les jambes cotonneuses et la tête tournant, Jane arriva enfin à passer ces satanées portes, et jura quand elle jaugea l’immense escalier.

Loin devant, Snape courait à grandes enjambées en direction du bureau du Directeur. Il monta quatre à quatre les marches de tous les escaliers qu’il croisa, en ayant pris soin d’en stupéfixer deux ou trois, après les avoir insultés ; et il buta presque contre la gargouille, le souffle devenu court, et vociféra le mot de passe. Lorsque la statue de pierre s’anima et pivota, il termina sa course en gravissant celui en colimaçon, et tenta d’ouvrir la porte du bureau d’Albus Dumbledore. Mais elle resta désespérément fermée.

« Albus, de grâce, ouvrez ! » hurla Severus en tambourinant.

L’homme en noir sentit ses entrailles se contracter, son cœur rata un battement. Que se passait-il ? Est-ce que le vieil homme serait… ?

« OUVREZ, PAR MERLIN ! »

Il était blanc comme un linge, une goutte de sueur glacée roulait le long de sa tempe, et son poing qui martelait le bois était rendu froid et tremblant par la peur. Alors qu’il pointait sa baguette en direction de la serrure – en sachant pertinemment qu’il n’y pouvait rien – la porte finit par s’ouvrir, et Severus s’y engouffra.

Le bureau était faiblement éclairé, et il y régnait une odeur écœurante de… De souffre, ou de cochon grillé. Quelque chose d’acre, qui prit à la gorge l’ancien Mangemort, qui ne put que reconnaître : la chaire brûlée. Il avança, avec crainte, vers une silhouette courbée sur le bureau, et haletante. Les cheveux et la barbe tombant devant son corps, commençant à s’emmêler à cause de la sueur, Albus gémissait, replié au-dessus d’une son bras droit, comme pour le protéger.

« Monsieur le Directeur… ? » demanda faiblement Severus sans avoir pour autant de réponse.

Le vieux mage bougea enfin et bascula doucement dans son fauteuil, tandis que son protégé s’approchait, comme soulagé de ne pas être seul dans cette épreuve. Lorsqu’il s’assit totalement, Snape pu voir ce qu’il tenait fermement : sa main droite, calcinée. L’espion eu un haut-le-cœur. Pas à cause de la vision qui lui était offerte – il avait vu bien pire –, mais parce qu’il avait peur pour son mentor. Peur de le perdre. Il s’approcha doucement, braquant sa baguette contre le membre qui se nécrosait sous ses yeux. Severus jeta immédiatement un sort de stase, en sachant qu’il n’avait qu’une ou deux minutes pour trouver le moyen de contrer le maléfice. Car il lui semblait qu’il avait bel et bien affaire à de la magie noire.

« Albus… ? Bon sang, que s’est-il passé ? »

Il avait bredouillé. Severus Snape avait bredouillé ! D’une voix blanche, aussi défaillante que lui. Le vieux mage ne répondit pas, se contentant de lever un regard vitreux, absent, en direction de son bureau. Et c’est là qu’il la remarqua : une bague, fendue, qui avait déversé du charbon sur toute la surface, brûlant et dévorant le bois magique du bureau. Ouvrant la bouche dans un accès d’horreur perdue, Severus laissa ses yeux s’accrocher à la lame brillante et victorieuse de l’épée de Gryffondor. L’espace d’un instant, son éclat le rassura, comme une vieille amie lui chuchotant qu’il n’était pas seul dans la bataille, mais le gémissement du Directeur le ramena brutalement à la réalité.

« Qu’est-ce que c’est ? Albus ?

— … fice…

— Je vois bien que c’est un maléfice, par les moires, je ne suis pas stupide ! »

Snape se retourna en direction de la bague, elle était plutôt laide : avec un anneau d’or épais et une sorte de pierre onyx grossièrement taillée, elle semblait ancienne et pataude, présomptueuse même, absurdement riche pour un ouvrage médiocre. Pour l’heure, son sein était béant, et il semblait s’en échapper encore une sorte de fluide malfaisant. L’homme ne reconnaissait pas cette matière, en revanche, le charbon qui s’étalait et qui entreprenait de grignoter l’encrier du Directeur l’interpella.

Sans même se donner la peine d’arrêter le phénomène, l’homme fit volte-face et commença à glisser sa baguette presque contre la brûlure du vieil homme, tout en murmurant. Albus se raidit sur son fauteuil en gémissant avec l’impression que sa main était à nouveau en proie aux flammes le dévorant. Il laissa échapper un cri de douleur lorsque Severus atteignit la jonction entre son index et son majeur. L’espion trembla à ce cri, mais continua son office, le vieil homme étant incapable de s’opposer physiquement. Lorsqu’il put terminer sa bénédiction, l’homme en noir tomba à genoux et regarda gravement son mentor. Leur regard se croisèrent, mais Albus rompit le lien, en baissant les yeux de honte. Il se passa peut-être une dizaine de minutes, durant laquelle ni l’un, ni l’autre ne parla. Après avoir avalé une goulée d’air, pour tenter de formuler ce qui lui donnait des sueurs froides, Severus finit par prononcer :

« Vous allez mourir, Albus… »

Enfin arrivée au chambranle de cette fichue porte, Jane perdit le peu de souffle qui lui restait.

« … Qu..Quoi ?!?

— N’APPROCHEZ PAS ! » Ordonna Severus avec un mouvement instinctif qui pétrifia la jeune femme.

Elle avait avancé une jambe sans s’en rendre compte, et observait la scène sans savoir quoi faire. Le bureau du Directeur continuait de dégueuler son sortilège, le charbon ayant brûlé jusqu’à ses pieds. D’un geste rapide, l’espion détruisit ce qui restait du meuble, empêchant toute progression possible. Le fait qu’il ait choisit de le supprimer, plutôt que d’arrêter l’enchantement, alarma la Moldue au plus haut point. Elle voulut demander au vieillard d’infirmer les propos de celui qui était devenu son protecteur, mais sa question se coinça dans sa gorge avec violence, lui lacérant l’œsophage en même temps que sa peur lui martelait les tripes. Jane jeta un regard implorant à Severus qui détourna le sien, comme incapable de partager ça avec qui que ce soit.

« Sortez, s’il vous plaît. »

Elle aurait préféré que cela soit la demande du vieil homme que celle de l’espion, mais elle obtempéra sans mot dire, et s’éclipsa en silence. Elle redescendit les escaliers en colimaçon, et là, aux pieds de la gargouille qui la jaugeait d’un air hautain, elle s’effondra, et fondit en larmes sans pouvoir se retenir.

Restés seuls dans le bureau, le vainqueur de Grindelwald, et le l’espion de l’Ordre du Phoenix croisaient le regard dans un duel muet, jusqu’à ce que le plus vieux rompe le lien, avec une grimace de souffrance.

« Ne me jugez pas trop sévèrement, Severus…

— Po… Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Est-ce une attaque, un piège ? »

Le vieil homme soupira longuement d’épuisement, comme quelqu’un à court de souffle de l’avoir que trop retenu pour emprisonner un secret au fond de sa poitrine. Il agita sa propre baguette de la main gauche, et fit léviter la bague fendue des cendres auxquelles elle semblait appartenir. L’amenant sous les yeux de son cadet, Dumbledore sentait un certain poids disparaître doucement de sa poitrine.

« Savez-vous ce que c’est, Severus ?

— Non.

— Ce bijou appartenait à la famille Gaunt, expliqua le vieil homme, avant d’ajouter : La famille de la mère de Tom Jedusor. »

Snape hésita, puis saisit le bijou entre son pouce et son index, et l’examina longuement en fronçant les sourcils.

« Mais pourquoi mettre une telle malédiction, sur… ?

— … Severus. Severus, vous reconnaissez, cela ? »

Dumbledore tira de sous sa barbe une petite pierre noire, taillée en trillion. Assez petite pour être contenue dans le sertissage brisé de la bague… Le vieil homme le lui montra, et Severus put nettement distinguer un symbole qu’il avait vu dans les livres d’Histoire, ainsi que ceux de…

« Est-ce… ? Impossible !

— Parce que ça ne serait qu’un conte… ? No…n ! Non, Dumbledore toussa. Vous savez que ça a été le symbole de Grindelwald, n’est-ce pas ? Ce n’est pas pour rien : il recherchait les Reliques de la Mort. Et elles existent.

— Mais… Si cela appartenait à la famille du Seigneur des Ténèbres, pourquoi ne l’a-t-il pas… ?

— Gardée ? Parce qu’il ignorait ce que c’était. Han ! Il… »

L’homme en noir tressaillit une nouvelle fois en le voyant manifester de la souffrance, et il tira de ses poches un flacon qu’il conservait en permanence pour lutter contre la douleur. Il l’offrit au Directeur, avant de lui proposer d’en rester là, et de ne reprendre que le lendemain. Mais Severus crevait d’envie d’en savoir plus. D’où venait cette bague ? Pourquoi pressentait-il que c’était au-delà de la simple magie noire ? Pourquoi Albus avait-il pris de tels risques ?

Cela avait dû se refléter sur son habituellement impassible visage, car son mentor acquiesça gravement, et continua après n’avoir pris qu’une seule gorgée :

« Tom croyait que c’était là simplement une bague de famille… Il ignorait qu’elle contenait la pierre de résurrection. Je… J’ignore même s’il croit en les Reliques de la Mort.

— Pourquoi la protéger, alors ? Ce qu’il y avait sur cette bague est un maléfice rare, Albus, rarement employé. Vous aviez dû sentir son application, n’est-ce pas ? Pourquoi avoir pris ce risque ?

— La tentation. Non, ne me regardez pas comme ça, Severus : si je vous la confiais, une nuit, ou même une heure… Que feriez-vous avec ? »

La réponse de l’homme en noir mourut en même temps que son air de bravade. Tous deux se regardèrent, comme interrogeant chacun les fantômes du passés, inlassables boulets qu’ils traînaient et expiaient en permanence.

« Je ne sais pas, avoua l’espion. Mais je ne suis pas certain que j’aurais pris de tels risques dans votre position.

— Mais vous n’êtes pas dans ma position, Severus. »

Dumbledore avait eu beau le lui dire avec beaucoup de douceur, Snape prit la remarque comme si elle lui avait été crachée à la figure. Mais le vieil homme ne le laissa pas s’offusquer, et continua :

« Vous n’avez pas la moindre idée de ce que cela peut être ? »

Quand l’espion secoua négativement la tête, le mage blanc agita doucement à nouveau sa baguette, et des cendres sortit un autre artefact. Un vieux journal cramé et détrempé, écorché en son centre, comme s’il avait implosé. Le plus remarquable était qu’il ait pu supporter le maléfice. A l’instar de la bague, d’ailleurs… Snape reconnut immédiatement de quoi il s’agissait.

« Non… ! NON !

— Je vois que nous avions tiré les mêmes idées folles à l’époque. »

Oh, oui… L’un, comme l’autre, en voyant le journal de Tom Jedusor, même éventré par le crochet de basilic ; l’un, comme l’autre, en entendant le récit du jeune Harry Potter, et puis celui de Ginny Weasley, avaient pensé à cette possibilité. Cette folle et catastrophique possibilité : celle que Lord Voldemort soit à ce point terrorisé par sa fin, qu’il aille jusqu’à créer ce que la Magie Noire avait de plus nécromantique.

« Vous pensez que c’était un Horcruxe, Albus. N’est-ce pas ?

— J’en suis certain… À dire vrai, la bague aussi.

— DEUX ?!?

— Et peut-être même plus encore… Sev… Severus… Regardez dans ma pensine… »

Jane avait été incapable de bouger, pendant deux, ou trois heures, peut-être même plus ? Elle était restée assise sur la pierre froide du sol, se raidissant le dos et le bassin à un point tel qu’elle n’était pas persuadée de pouvoir bouger à nouveau. Pendant tout ce temps, elle n’avait eu de cesse de revoir la main atrophiée, le bureau s’affaissant, et pire que tout : la sentence prononcée par Snape. La gargouille s’anima, et Jane entendit distinctement les pas d’un homme chancelant. Elle leva un regard inquiet, et lorsqu’elle croisa celui de l’espion, ce dernier reprit immédiatement contenance, n’affichant qu’un masque impassible. La Moldue tenta de se lever, sentant ses hanches crier de protestation, et son dos rendu glacé par la posture, craquer sous l’effort, elle perdit l’équilibre sous la douleur, et Severus l’attrapa par réflexe, la remettant sur pied, sans même lui accorder un regard. Mais avant qu’il ne puisse s’écarter, Jane attrapa ses poignets et l’obligea à la regarder.

« Severus, dites-le moi…

— Oui, murmura l’espion dans un souffle. Oui, il va mourir, dans six mois ? Un an peut-être… Je ne sais pas.

— Que s’est-il passé ? Est-ce que je peux faire quelque chose ? Qu’est-ce que…

— Rien. Absolument rien. Vous ne pouvez rien faire, Jane. Excusez-moi »

Il se dégagea doucement, s’écartant pour remettre de la distance, et braqua son regard noir vers le couloir.  La jeune femme ne sut dire comment, ni pourquoi elle le savait, mais quand elle le vit la dépasser, tenant fermement son poing droit serré, il lui semblait qu’il souffrait atrocement. De ces souffrances que seul l’amour sait faire naître. Il ne parla pas, partant au loin, poing serré, dans un geste infiniment solitaire. Cela glaça la jeune femme, lui fit beaucoup plus mal qu’elle ne pouvait l’admettre. Elle repensait au vieil homme mourant coincé dans sa tour, et à l’expression de désarroi qu’elle avait entraperçue chez l’espion. Jane jeta un regard à la gargouille de pierre, hésitant à monter voir le vieil homme, mais se ravisa.

Rien. Elle ne pouvait rien faire, et ne servait strictement à rien. Elle était restée comme une idiote dans ce couloir, sans d’autre perspective que de ne pas savoir quoi faire. La Moldue n’eut d’autre choix que de tourner les talons et de se réfugier dans ses appartements, en espérant sincèrement que son chat serait lové sur le sofa prêt à ronronner nonchalamment.

Mais Merlin lui faisait de grosses infidélités depuis son retour. Était-ce parce qu’il n’avait pas apprécié son absence ? Était-ce à cause de Severus ? Bien que Jane ignorât cordialement ce point… Lorsque Snape arriva en trombe dans ses appartements, le chat sursauta : il s’était une nouvelle fois couché à un endroit interdit, mais parfaitement en hauteur. L’homme en noir ne croisa pas le regard comme de coutume, ni même n’amorça un geste en sa direction. Il semblait absent, choqué.

Severus tenait fermement son poing serré. Serré autour d’une pierre qui commençait à lui rentrer dans la chair, à imprimer sa marque de la même manière que la tentation commençait à lui lacérer l’âme. Ce qu’avait dit Albus l’avait tétanisé. Pas seulement les Horcruxes, pas seulement leur nombre… C’était… Non. Il ne pouvait même le formuler mentalement. L’espion trébucha contre le guéridon qui jouxtait son canapé. Merlin en profita pour sauter de son perchoir, prêt à prodiguer ses soins, quand il s’arrêta. L’homme en noir était vraiment ailleurs. Severus fondit vers son bar, et sans pour autant se défaire de l’artefact légendaire, se servit un Whisky sec si absurdement généreux qu’il le saoula presque immédiatement. Il se racla la gorge, et recommença l’opération, les mots du vieil homme tournoyant dans son esprit, la sentence qu’il avait prononcé gravée dans la mémoire.

« Putain… Ton fils, Lily… »

L’insulte mêlée à la plainte avait fusé, entre deux gorgées brûlantes. Il se tenait contre son bar, le corps pratiquement collé au meuble en bois massif, comme tentant de reprendre pied avec une réalité qu’il ne comprenait plus. Mais il avait beau déployer des trésors de maîtrise de soi, toutes ces années d’entraînement ne l’avaient pas préparé à cette épreuve.

« Je… Je voudrais tellement. Je pourrais tellement… »

La pierre commença à lacérer sa paume. Il la tenait beaucoup trop fort, et sa main encerclait l’artefact comme pour l’empêcher d’y succomber. Albus ne lui avait même pas dit s’il l’avait utilisée. Il s’était contenté de la lui confier, comme pour lui faire partager ce fardeau. Le mage blanc lui avait donné une série de révélations, l’avait alourdi de ces poids nommés respectivement « Vérité » et « Devoir », et l’avait mis au défi de résister à ses premiers instincts.

« Bon sang, ton fils ! Par Merlin… Lily, j’ai tellement besoin de te parler… »

Mais que pouvait-il lui dire ? Qu’il était désolé ? Qu’il avait cru qu’il lui suffisait de protéger le gamin, alors même que par sa faute il hébergeait en son sein ce qui le tuerait ? Qu’il ne savait pas s’il devait le lui dire, ou non ? Qu’après tout ce temps, il ignorait même ce qu’il ressentait, et qu’il se mortifiait pour ce simple fait ? Non. Il était ridicule.

Trois gouttes de sang tombèrent au sol dans un bruit mat que seul le félin put percevoir. Severus tenait toujours aussi résolument la pierre dans sa paume, à tel point que ses arrêtes tranchaient sa chair. Merlin donna un coup de tête contre le membre, en ronronnant, réclamant un câlin. Severus eut un mouvement de recul, et observa l’animal. Il ne pouvait pas tourner cette pierre. Il ne le devait pas. Personne ne revenait d’entre les morts. Ce qu’il invoquerait ne serait probablement que l’ombre issue de son esprit. Et que lui dirait alors cette Lily ?

Il grimaça. Son seul ami, et mentor était en train de mourir, le gosse qu’il haïssait et pour lequel il se battait était voué au sacrifice, et lui était coincé dans son passé, tourmenté par un avenir insondable. La pierre ne lui apporterait que du mal. Elle n’appellerait que ses démons intérieurs, alors qu’il aspirait lui-même à la paix, bien qu’il l’imaginât moralement interdite. Merlin miaula, et cela tira un rictus à l’espion qui dû reconnaître que l’animal avait un certain instinct à son égard. Puis il relâcha la main, et déposa l’objet sur le guéridon. Là, entre les pattes d’un chat décidément trop joueur pour leur bien à tous. Là, d’un geste nonchalant, Severus Snape venait de se détourner de la pierre de résurrection.

Lorsque Jane parvint à son salon, et lorsque ses appels répétés pour retrouver son compagnon à fourrure demeurèrent sans réponse, elle se sentit plus seule qu’elle ne l’avait jamais éprouvé en arrivant à Poudlard. Ce qui était jusqu’ici une formidable aventure faite de magie et de créatures extraordinaires se transformait peu à peu en cauchemar dont elle n’arrivait pas à s’extirper. Elle avait beau feindre l’amusement, l’insolence, le détachement, le cauchemar grouillait sous elle, rampant, la touchant, la contaminant à son tour. Elle devenait peu à peu prisonnière, si ce n’est actrice involontaire d’un film détestable où tous les protagonistes ne sont plus que désespoir et incertitudes.

À quel moment cela avait dérapé ? Comment Albus, qui devait être le fameux Merlin-tout-puissant, pouvait-il mourir ? Qu’était-elle supposée faire dans cet univers qui récusait totalement l’absence de pouvoirs magiques ? Et pourquoi ? Pourquoi, par tous les fondateurs, son chat avait-il décrété qu’elle n’avait plus besoin de lui ?!

Jane aurait tant voulu enfouir son visage sans ses poils et l’entendre ronronner jusqu’à ce qu’il miaule d’agacement parce qu’elle le trempait de ses larmes. Il détestait cela, et la Moldue pensait que c’était à cause de l’inconfort humide, mais à la vérité, le chat n’aimait pas voir sa Maîtresse triste au point d’en pleurer. Mais il n’était pas là. Alors, comme beaucoup de grandes personnes dans ces cas-là, bipèdes profondément humains, elle se dirigea vers son ébauche de bar personnel, contenant deux bouteilles d’hydromel et une de Martini – mystérieusement glissée dans sa valise au retour de son précédent Noël chez ses parents – et Jane se servit un généreux verre, avant de se poster près de sa cheminée et de rouler une cigarette qui, dès les premières bouffées, lui donna l’illusion que ses problèmes insolvables devenaient soudainement plus supportables. Douce illusion et belle magie typiquement moldues. Elle coupla cela d’une nouvelle gorgée du vin cuit, et releva à peine le regard quand on frappa à la porte. Elle hésita. Était-ce une nouvelle mauvaise nouvelle ? Était-ce un événement encore plus grave que ceux dont elle était dernièrement témoins ?

Jane se traîna de mauvaise grâce jusqu’à l’entrée, et ouvrit la porte qui dévoila le visage grave de Severus Snape. Son souffle chaud charriait le Whisky dont il apportait la bouteille, et ses yeux noirs d’encre la fixaient dans une demande muette. S’il n’avait eu l’air si désemparé, elle aurait pu le trouver incroyablement beau de dramatisme, on aurait dit un personnage de roman fleuve, le genre assez tourmenté et inaccessible, typiquement le genre… Elle chassa son propre cheminement mental en s’écartant de l’entrée pour le laisser passer, mais il ne bougea pratiquement pas. Il semblait hésiter.

Il était quoi ? 19-20h peut-être ? Ils n’avaient même pas mangé, les événements les obligeant à finir leur journée ensoleillée dans cette maudite tour. Jane ne se demanda pas longtemps ce qu’il pouvait bien faire là, sa seule présence lui redonna un semblant de souffle. C’était plus facile. Beaucoup plus facile à deux. Severus la frôla en entrant, et la Moldue l’observa de dos, remarquant le paquet qu’il tenait fermement contre lui, et la bouteille quasi-vide pendue dans son autre main. Les épaules de l’homme étaient relevées, trahissant son malaise. Puis l’espion se reprit, et lorsqu’il se retourna pour lui faire face. Il affichait un de ces sourires qu’il avait lorsqu’ils passaient du temps à « s’entraîner » … Oui, c’était plus facile comme ça. Ils n’en parleraient pas, ils se contenteraient de…

« Prête à vous faire dominer, Smith ? murmura-t-il en feignant la séduction.

— J’aurais pu trouver ça excitant si je n’avais pas vu le jeu d’échecs sous votre bras.

— Tssk. Vous êtes une femme difficile à satisfaire, Jane. »

Divine Comédie

« QUOI ?! »

La voix tonitruante, habituellement joyeuse, se répercuta avec force contre les colonnes de marbre et les fit vibrer. On entendit çà et là les pas précipités des serviteurs, quelques gloussements de rire du côté de la fontaine étincelante : les nymphes l’aimaient beaucoup en colère, ça les amusait.

« Eh bien… Monseigneur, c’est que… C’est qu’habituellement, ce genre de fêtes est réservé à…

— JE NE VEUX PAS LE SAVOIR ! »

Il avait accompagné ça d’un mouvement de main dédaigneux, tournant les talons en maugréant, une migraine pointant le bout de sa douleur. La peste soit cette affliction ! Son oncle, vexé de n’avoir pu assister à l’une de ses fêtes, avait fini par la lui lancer : le ressac éthylique. Car, à cet instant, cela faisait approximativement quelques minutes que le dieu s’était éveillé d’une de ses innombrables sauteries, probablement capable de faire péter n’importe quel éthylotest, et malheureusement pour lui, il devait en payer le prix.

Oui, Dionysos, roi des cépages et de la dramaturgie, avait, pour l’heure, une gueule de bois somme toute très mortelle.

« ET QUE L’ON M’APPORTE IMMEDIATEMENT UN VERRE D’EAU ! »

Ariane jeta un regard mi-choqué, mi-amusé à son compagnon. L’heure était grave pour qu’il en soit à de telles extrémités.

« Arrête de hurler, bois un coup, et fais-nous quelques vacances, s’il te plaît. »

Elle l’observait, accoudée à un coffre en or massif, et lui jetait un de ses regards que le dieu ne pouvait soutenir.

« Et si tu ne peux réellement supporter la douleur, prends donc un Doliprane.

— C’est hors de question ! tempêta-t-il, j’ai offert ça aux hommes pour qu’ils puissent m’honorer, pas pour m’en gaver à mon tour. JE n’en ai pas besoin, JE suis le dieu de…

— CA SUFFIT ! Ou tu invites Hadès en te confondant en excuses pour régler ça, ou tu prends quelque chose, mais tu arrêtes d’effrayer le personnel. Tu es… Merde, Dion, tu es imbuvable ! »

Avec un soupir à fendre une âme éternelle, le colosse s’assit sur un des bancs qui bordaient le Pastas. Il secoua la tête, faisant frémir ses boucles épaisses et dorées qu’Ariane adorait tant, et lui lança un regard implorant. La fille de Minos fronça les sourcils, sentant que son époux avait quelque chose de désagréable à lui dire. Habituée à ses frasques, elle ne chercha guère loin :

« Qu’est-ce que tu as fait hier soir ?

— Rien.

— Avant-hier ?

— Rien ! Enfin, si, mais on a nettoyé avec Basile.

— Dion… !

— C’était il y a vingt-cinq ans ! répondit-il précipitamment.

— Selon quelle métrique ?

— … Humaine, ma douce. »

Oh, qu’il était penaud à ce stade ! Dionysos n’appelait son épouse comme ça qu’en deux occasions : les plus festives, et les plus délicates. Ariane, connaissant parfaitement son bonhomme, ne s’y trompa pas, et comprit immédiatement où il voulait en venir. Elle eut une pensée fugace pour ces mortels qui devaient la plupart du temps s’accommoder de pension, et autres arrangements financiers en ces circonstances. Par chance, Zeus n’avait jamais songé mettre ce genre de rétributions en place. Peut-être parce que lui-même…

« C’est fou ce que tu as pu prendre de ton père… !

— Eh oh ! C’est pas toi qui va me juger, hein. Madame « Oh, Thésée, laissez-moi donc vous guider dans ce… »

— Ne recommence pas, Dionysos ! Tu ne vas pas en faire un poème à chaque fois ! »

Le dieu rentra légèrement la tête dans les épaules, ce n’était vraiment pas malin de remettre cette vieille histoire sur le tapis, surtout que c’était lui qui était en tort à l’heure actuelle. Tout ce qu’il réussissait à faire était de rendre sa femme plus furieuse encore. Et si elle en était à prononcer son nom en entier, c’est qu’il valait mieux qu’il fasse profil bas.

Ariane était habituée à ce genre de révélations, et les mortels n’en connaissaient que les plus connues, celles qui avaient mérité qu’on écrive ou qu’on peigne à leur sujet. D’ailleurs, les mortels ignoraient que ce n’était certainement pas l’apanage des dieux de nature masculine, elle-même et ce fameux Thésée…

« Et c’est pour ça que tu es irascible aujourd’hui ? Parce que tu devais m’annoncer ça ? Tu ne crois pas que ça aurait été plus délicat de me le dire avant… Oh ! Vingt-cinq ans, tu dis ?

— …Voui. »

Dionysos tripotait un pan de sa toge en faisant la moue, le dieu du vin était écarlate, comme toujours lorsqu’il était question de sa parentalité. Très « papa gâteux », hélas, ce fêtard invétéré gardait pourtant un œil en permanence sur sa marmaille, ce qui, avec le reste de ses nombreuses et importantes activités, faisait qu’il disposait de peu de temps pour dormir ou se reposer. Impossible donc de faire passer une migraine naturellement, et l’affliction d’Hadès n’en était que plus cruelle. Mais s’il veillait toujours de loin sur sa descendance mortelle, c’était peut-être la première fois qu’il se mettait dans de tels états. Ariane s’accroupit en face de lui, et prit ses mains dans les siennes.

« Dion, qu’est-ce qu’il y a ? Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude et je crains que cela ne soit notre lot onirique à tous…

— Non, tu ne comprends pas. Elle a vingt-cinq ans, et je ne suis même pas capable de lui offrir ce qu’elle mérite. »

Allons bon ! Qu’est-ce qu’il lui avait encore inventé ? En soi, cela ne dérangeait pas la demie-déesse d’être la belle-mère d’une tripotée d’enfants, créatures, et autres choses mythologiques : elle ne se privait pas de rendre la pareille à son époux, mais de le voir dans cet état était trop inhabituel pour qu’elle ne s’inquiète pas. Ariane allait répondre lorsque le bruit d’un dérapage l’interrompit.

« Désolé, je n’ai vraiment pas l’habitude avec elles. »

Habillé de vêtements de mortels, Hermès jetait un regard dubitatif à une paire de Stan Smith gravées d’ailes dorées. Le messager des dieux n’arrivait pas à se défaire de sa manie de vouloir adapter toutes les pompes humaines à ses besoins. Apparemment, il avait quelques réglages à faire.

« La jeune Aster n’a apparemment pas prévu de ripailler ce soir. Enfin, pas particulièrement. J’ai intercepté un des messages de proches, justement : quelques verres tout au plus dans un bar à vins… UN BON, Dion, panique pas ! Mais pour l’heure, elle doit surtout…

— QUOI ? beugla encore le pourfendeur de la bière sans alcool.

— Aster ? demanda Ariane, surprise.

Estelle, précisa Hermès d’un geste rapide, c’est lui qui tient à ce que j’utilise son nom grec, tu l’connais…

— TU VOIS ? hurla le blond, TU VOIS POURQUOI JE DOIS FAIRE QUELQUE CHOSE ? ET RIEN N’EST PRÊT !

— M’enfin, de quoi tu parles ? Attends, t’es pas sérieux ? »

Le roi des cépages, du théâtre et des plaisirs lui lança un regard perçant, en redressant le torse. D’une carrure héroïque remarquable, malgré tous les millénaires passés, Dionysos inspira profondément, gonflant les pectoraux plus encore, la fibule tenant sa toge grinça. Hermès se mordit la joue, et Ariane toussota pour dissimuler un ricanement. Apparemment, c’était – au contraire – une affaire de la plus haute importance, et son époux semblait déterminé à avoir gain de cause.

« Je braverais mon père, si cela était nécessaire, tonna le dieu de sa voix grave et épique, peu importe l’opinion du Dieu des dieux à ce sujet, cette soirée aura lieu ! »

C’était donc bien ça. Ariane et Hermès échangèrent un regard de connivence : Dionysos était donc en colère parce qu’il n’avait pas le droit de faire une fête d’anniversaire pour l’un de ses enfants, ici, au Mont Olympe.

« Dion, ça n’a rien de nouveau, aucun mortel n’a le droit de venir. Et pourquoi tu t’acharnes à vouloir transgresser un interdit pour un simple résultat naturel de… »

Mais elle se tut en voyant le regard fier de son époux.

« Aster est bien plus qu’une conséquence !

— C’est à cause de sa mère ? coupa l’épouse, une pointe de jalousie piquant la phrase.

— Pas du tout, tu ne comprends pas. Elle a le don.

— … Tu en es certain ? balbutia Ariane, d’un ton respectueux.

— Hermès ? Est-ce que ma fille a le don ?

— Oh, oui !

— Dion, c’est du jamais vu… Aucun mortel, ou même demi-mortel n’a jamais pu te rendre hommage à ce point, tu… Tu te rends compte ? Dion ! Ils en meurent normalement !

— Eh bien pas elle ! répliqua le dieu avec une fierté palpable, c’est pour ça que je veux organiser des Dionysies ! Rendre hommage à celle qui rétablira mon culte sur cette terre, menacée par les campagnes de santé. Il est temps que quelqu’un se dresse devant ce Mister Cocktails !

— Ce n’est qu’une marque, Dion, rappela le messager qui avait l’habitude du monde mortel.

— Peu importe ! Elle menace tout ce que j’ai pu construire. Mais nous nous attaquerons aussi à certaines, comment tu dis ? « Chaînes de télévision » ? Nous rétablirons la gloire que l’Art doit avoir ! Nous…

— Oui, OUI ! coupa sa femme avant de le voir repartir pour une de ses tirades anti-inculture dont il avait le secret, en attendant, tu peux oublier le Mont Olympe.

— Mais c’est un événement grandiose ! Il mérite un lieu divin, sacré, il mérite…

— J’peux en parler à Hadès, si tu veux. »

Le jeune messager avait dit ça d’un air détaché, en relaçant ses Stan Smith. Il releva la tête et haussa les épaules, comme pour dire que c’était une simple proposition. Dionysos avait un air proprement scandalisé, tandis qu’Ariane, elle, acquiesçait.

« Il a raison…

— Certainement pas !

— Mais si ! Les Enfers sont sacrés, et puis je suis certaine que ton oncle serait ravi de faire ça, c’est encore une bonne occasion de faire enrager son frère. Peut-être même accepterait-il ensuite de te délivrer de la gueule de bois… ?

— Mais… Tu crois que Zeus va le prendre comment ? Quand Père saura ça, il me tuera, ou pire, transformera tout le vin du palais en eau, je ne peux pas faire ça !

— Demande-lui d’abord pour l’Olympe… proposa Hermès de son air espiègle qui justifiait à lui seul l’attribution du domaine des voleurs, et puis, comme ça, s’il refuse, hop, t’as une excuse. Zeus se mettra en colère, mais comprendra que la faute revient à lui. Peut-être même qu’Héra en profitera pour lui rappeler qu’il n’avait qu’à pas engendrer une descendance multiple s’il ne voulait pas avoir ce genre de problèmes familiaux. Non, c’est un plan parfait.

— À condition que tu te rabiboches avec ton oncle…

— Et que tu t’excuses, évidemment !

— Alors, là… ! CERTAINEMENT PAS !

— Dion ! Tu veux renverser Mister Cocktails, oui ou non ?! »

Comme toujours, Ariane avait le dernier mot sur lui. Et sans attendre la réponse finale du dieu, en voyant simplement ses boucles lui tomber devant le visage en guise de reddition, Hermès claqua ses immondes Stan Smith au sol, et décolla en pétaradant.

C’est que les Enfers, c’était loin…