Et voilà… Dans quelques jours, les fleurs se faneront, les enfants m’auront encore oublié, et les politiques entre-tueront sur leur autel médiatique. Je sens déjà la pluie qui ruisselle sur ma stèle. Mon pauvre soldat a l’air de ployer chaque jour un peu plus sous l’oubli. Parce qu’ils nous ont tous oubliés… Oh, évidemment, il y a bien quelques dates où l’on vient nous rendre visite, en singeant un recueillement que j’espérais – pauvre optimiste que j’étais encore hier – sincère.

« Mais désormais je n’y crois plus. »

J’observe les pétales de lys qui frémissent sous les gouttes ravageuses de cette tempête, et je ne peux que ressentir, en mon fort de granite, qu’il y a là une parfaite image de ce qui arrive à mon pays. Je pleure, comme le ciel, comme mon soldat de bronze, dont les larmes sont apportées par cette météo maussade ; nous pleurons tous, dans le silence de l’éternité de l’Histoire, et personne n’entend cette complainte désespérée que je tente pourtant de faire craquer sous les noms qui garnissent ma façade.

Ces noms, ces morts, du plus Chrétien au plus Musulman, chaque gravure est là pour rappeler à la mémoire de tous que ce fut une Nation entière et unie qui s’est autrefois battue, et non pas un Mohammed ou un Jean-Jacques. Ces morts, sur ma robe, ils n’ont aucune religion. Ils n’ont ni haine, ni parti politique. Ils n’ont ni prétention salariale, ni intérêt financier. Ces morts, les miens, les vôtres, bien qu’ils aient leur nom à jamais scarifiés sur ma chair immortelle, ces noms s’effacent !

Non pas sous l’érosion naturelle du vent, ou de l’eau. Ils s’effacent sous le coup de votre mémoire défaillante. Mémoire sélective, complaisante, et prise d’assaut par des considérations qui, hier encore, ont fait que ces morts ont dû trouver un mémorial pour exister par-delà le temps.

« Pourquoi personne n’écoute lorsque je parle ? Pourquoi ne m’entendez-vous pas ? »

Quel intérêt de déposer des fleurs à mes pieds ? Pourquoi tant de cérémonial, d’embrassades, de poignées de main ? Pourquoi faire défiler des armées belligérantes qui continuent sans cesse de répandre la mort à travers notre monde ? Quelle est donc cette hypocrisie ? Plusieurs fois l’an, vous venez vous prosterner devant moi, devant mon soldat gémissant, devant mes noms oubliés, pour nous jeter à la face de beaux mots de paix, alors même qu’ils seront bravés le soir venu par vous, ou vos opposants.

« N’entendez-vous pas ? »

Dans une grimace figée dans le métal, mon soldat hurle. Vos Maîtres et Maîtresses d’école racontent à nos enfants qu’il s’agit là de la représentation d’une souffrance passée, mais vous n’entendez pas. Vous n’entendez pas cette complainte éternelle et silencieuse qui s’inquiète pour votre présent. Mon soldat hurle, il pleure, et mes morts tremblent. Car cela pourrait bien recommencer.

Je me souviens pourtant du jour où l’on m’a érigé fièrement. Sorte d’érection pacifiste destinée à rappeler à tous la douleur de la guerre et les plaisirs de la paix. Je me souviens parfaitement de m’être senti investi d’une mission sacrée pour le devenir de notre société. Je me devais, par ma simple existence, vous rappeler que Cela était possible.

« Mais vous avez oublié. »

Vous avez oublié, ou n’ai-je pas su vous le rappeler, peut-être ? Pourtant, chaque année, au moins deux fois l’an, vous venez à mes pieds, vous venez me parler, vous venez prétendre m’entendre. Mais il ne se passe rien. Aucune oreille humaine ne peut percevoir le sinistre chant des morts figés dans la pierre. Ils ne sont que des noms. Je ne suis qu’un Mémorial.

Et si vous aviez oublié pourquoi nous existons, alors nous avons tous échoué.

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Ceci est ma réponse au sujet du Bac de Français 2016 de la Série L : Écriture d’invention : imaginez, sous la forme d’un monologue intérieur, les réflexions et la méditation d’un monument installé depuis longtemps dans un lieu de votre choix (au choix)