« Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Léa, je ne suis pas disponible pour le moment, veuillez me laisser… »

Thomas renifle et raccroche. « Fait chier » pense-t-il. Il avait envie de proposer à la jeune femme d’aller au cinéma. A peine rentré du boulot, la veste encore sur les épaules, il prévoit son vendredi soir. Changeons de fusil d’épaule, on appelle JC, peut-être qu’il voudra d’un « Call of » avec bières/pizzas ? Composition du numéro, Thomas joue avec ses clefs de voiture pendant que le « Bip » joue avec ses nerfs.

« Ouais ?
– Ouais, JC ? Dis, tu…
– Ouais, je suis pas là, alors laisse un message ! »

Foutu-répondeur-humoristique-à-la-con ! Thomas ne supporte plus ce genre de messages. Ils ne sont plus au lycée, bordel ! En réalité, s’il est autant agacé, c’est essentiellement parce qu’il sent qu’il est « en galère ». Vendredi soir, ni femme, ni pote, la « loose » totale quoi. Le jeune homme pose son téléphone dans un mouvement brusque, et retire enfin sa veste, pour la jeter sur le canapé. Tant pis, il va boire des bières tout seul, et il jouera tout seul.

20h30, après une nouvelle mort dans le jeu, et quatre cadavres de bières sur la table basse, Thomas jette un coup d’œil à son smartphone. Toujours aucune nouvelle de Léa, pas mieux côté « JC ». Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire ces cons ?

21h. Le pack de bières est bien descendu, Thomas joue toujours autant, l’alcool n’altérant en rien ses capacités. C’est qu’il a l’habitude, il faut dire. Le smartphone est en veille, le garçon a renoncé à l’idée de regarder.

21h30. La pizza est en retard, Thomas commence à avoir bien la dalle, il serait temps qu’il arrive ce fichu livreur. Sur l’écran de télévision, les morts s’enchaînent, notre joueur tue un à un les zombies numériques. Il est d’ailleurs très fort à ce jeu.

21h45. Un coup frappé à la porte. Il était temps ! Thomas appuie sur « pause », chancelant et passablement éméché, puis ouvre enfin.

En lieu et place de son livreur de pizzas tant attendu, une femme se tient devant lui. Tête baissée, les cheveux ébouriffés et gras, elle ne lui accorde aucun regard. Il y a une drôle d’odeur dans le couloir, une odeur de pourriture, de déchets, de merde ; un savant mélange qui fait frissonner notre homme.

« Qu’est-ce que vous faites là ? Vous êtes qui ? » Tente vainement Thomas d’une voix mal assurée.

Pas de réponse. La femme garde résolument les yeux rivés au sol, sans piper mot, elle le met mal à l’aise, sans qu’il n’arrive à comprendre pourquoi. Elle n’est pas bourrée, elle n’est pas droguée. Et pourtant, elle tient à peine sur ses jambes. Vacillante, les épaules affaissées. Ses vêtements sont humides, tâchés de boue, et de… Sang.

« Putain, qui t’es ?! » Panique notre héros.

Un râle, guttural, lent, gémissant, menaçant, inquiétant, lui répond. Thomas recule d’un pas, un désagréable frisson remontant long de son dos. La femme relève lentement la tête, assez pour qu’il ait le temps de voir de grands yeux blancs opaques le fixer, et avant qu’elle n’esquisse le moindre geste, Thomas a déjà claqué la porte sur elle.

« Merde, merde, merde ! » Panique-t-il.

Il regarde partout autour de lui, perdu, ne sachant comment réagir. Un immense vide s’emparant de lui. Soudain, c’est le déclic. L’adrénaline fait son effet, ses oreilles bourdonnent, et tout devient clair : il ne voit plus que la réplique réelle du katana de Kill Bill, qui trône au-dessus de sa télévision. Sans une hésitation, l’homme s’en empare, et sort le sabre du fourreau. Il sait exactement quoi faire. Avec JC, ils se sont souvent imaginé cette scène.

Main sur la poignée de la porte, Thomas avale une grande bouffée d’oxygène avant de la bloquer dans ses poumons. Il ouvre brusquement. Elle est toujours là, elle le fixe. Un raclement résonne dans le corridor de son étage, l’homme voit une autre tête émerger des escaliers. Ils sont au moins deux. La femme ouvre grand une bouche aux lèvres gercées, et tend des mains aux ongles noircis en avant. Thomas expire, et frappe. D’un geste net, il lui enfonce la lame dans le flanc. Il n’entend pas les gargouillis d’agonie, il se précipite sur le suivant, s’engouffrant dans la cage d’escalier. Il pue encore plus que la première. Peu importe, Thomas sait ce qu’il a à faire. Il lève le sabre, l’intrus recule et lève le bras. Une protestation ? Trop tard, Thomas ne l’entendra pas, il n’entend plus rien d’autre que son pouls qui cogne à ses oreilles. Il a déjà frappé. Il le tranche. Le sang commence à gicler, la créature tombe. L’homme lève encore une fois son arme, et décapite d’un coup violent son ennemi. Le sang lui vrille les tempes, son cœur pompe frénétiquement pour lui envoyer tout le jus dont il a besoin pour survivre.

Il enjambe le cadavre, et descend quelques marches, méfiant. Encore un. Cette fois-ci, c’est un blond qui a déjà le crâne ouvert : du sang séché a coulé sur son front. Celui-ci a dû gagner son dernier combat. Dommage pour lui, Thomas n’a pas l’intention de se laisser tuer. Il arme le katana, l’autre chancelle, il est perdu. La créature tente de se protéger, ça ne fait que déclencher un ricanement hystérique de notre protagoniste qui n’hésite pas une seconde avant de lui passer la lame à travers la gorge. Thomas entend un cri de femme, sûrement une future victime. Il pousse le cadavre du blond, et descend quatre à quatre les escaliers. Elle est là, dans un coin, recroquevillée. L’odeur est toujours aussi insupportable. Elle n’est pas une victime, elle en est une, elle aussi. Thomas ne voit que ses cottes apparentes, et ses vêtements déchirés. Pourquoi se cache-t-elle de lui ? Il se précipite sur elle, levant son sabre pour l’éliminer à son tour.

Mais elle le frappe, en criant. Il n’entend pas ce qu’elle dit. Il lui saisit le poignet pour écarter son bras qui lui protégeait le visage, et amorce son geste. Elle hurle de terreur. C’est bien petit zombie, aie peur du chasseur. Thomas la fait taire, avec un certain soulagement. Les cris, l’odeur, le sang, tout ceci lui donnent la nausée. Est-ce que quelqu’un vient de l’appeler ? Non. Il se fait des idées. Il jette un regard circulaire, il doit y en avoir d’autres, il y en a toujours d’autres. Là. Juste ici. Il le fixe bouche grande ouverte, hurle-t-il ? Impossible. Thomas se tourne vers lui, et avance. Le zombie recule. Dos au mur, il est perdu. Il tente de repousser son assaillant, et Thomas renifle de dédain : ça ne le sauvera pas. Son prénom résonne encore, il doit rêver. L’homme frappe, mais le mort a esquivé, il n’a réussi qu’à lui taillader le bras. Il frappe encore, le sang gicle de plus belle. Encore son nom. Thomas n’arrête pas. Son ennemi tombe à genoux, les bras au-dessus de sa tête, lacérés. Il sanglote ? Il supplie ? Un mort vivant ne supplie pas ! Thomas entend encore son nom, il a l’impression de devenir fou. Il voit du sang partout. Ca sent toujours les ordures, la terre humide, et la merde de chien. C’est insupportable, c’est un vrai cauchemar. Il prend son katana à deux mains, et le lève au-dessus de lui, vertical, pointé en direction du crâne de son ennemi.

Il est fou ? Non, c’est le monde qui est fou. Thomas frappe, mais le monstre a tenté de lui échapper. La lame tranche son épaule, et le chasseur peut la sentir racler contre les os. Le corps rampe au sol, il est perdu. On dirait qu’il le sait, parce qu’il se traîne difficilement en directement de la porte du hall. Avec une certaine cruauté, Thomas avance lentement, savourant sa prochaine victoire. Il n’aurait jamais cru que c’était aussi facile. Sa proie hurle dans sa direction. Thomas entend encore son nom, ça commence à l’agacer. Il plaque au sol la créature en lui écrasant la poitrine du pied. Thomas va l’achever. Il est fait pour ça, il l’a toujours su. Il survivra. Au moment où il lève une dernière fois le sabre, il entend distinctement la voix familière de JC :

« Arrête, mon pote, on voulait juste te faire un poisson d’avril… »