Achronique

Le petit coquet

Son grand-père le presse. Ils vont être en retard pour le début de la partie. Guillaume rassure son papi d’un air légèrement boudeur. S’il avait compris avec le temps que la pétanque était une affaire sacrée, papi pouvait bien comprendre que ce qu’il avait à faire dans la salle de bain l’était tout autant. Après, tout, n’était-ce pas son sympathique vieux qui lui avait ouvert ce champ des possibles ? Guillaume sait que ce n’était pas bien de prendre aux gens sans leur demander l’autorisation, mais papi avait dit l’autre jour qu’il pourrait toujours compter sur lui pour ce genre d’histoires. Alors, dressé sur la pointe des pieds, accroché au lavabo de marbre rose, Guillaume tire le cou pour observer sa frange sous tous les angles. Il boucle légèrement avec la sueur et ça l’agace de voir sa mèche ne pas onduler comme il faut. Papi lui avait montré de vieux films noirs, ceux avec les hommes au chapeau, la gomina et les femmes plantureuses qui cachent toujours un mini-revolver dans leur jarretelle. Les femmes plaisaient à papi, la gomina plaisait à Guillaume. Malgré un front dégarni et quelques longs cheveux barrant savamment son crâne, papi continue d’acheter de la cire qui sent les pins, et l’enfant sait précisément où il la range. Le petit garçon ouvre un des tiroirs, dans le côté qui est à son grand-père, et en extirpe une boîte circulaire en métal. C’est toujours terrible pour l’ouvrir, il a déjà vu son grand-père faire, mais il peste et s’esquinte les doigts sur les rebords affreusement coupants. L’emballage n’est pas homologué, comme dirait son père… !

«Bon, tu te dépêche-oh ! On va vraiment rater la première et ça va me décaler tout mon score !

_ Oui, oui, papi, j’arrive tout de suite !»

Ah, enfin ! Le couvercle pivote et il peut accéder à la petite pâte qui ressemble à de la graisse de coiffeur. Peut-être que c’en est ? Deux doigts plongés généreusement dedans tracent un sillon qu’il tente de lisser au possible, qu’on ne détecte pas le larcin. Puis, Guillaume fait chauffer la pâte dans la paume de sa main et il l’applique en houppette sur sa mèche. Il a déjà vu des acteurs faire ce geste particulier, et il tente maladroitement de le reproduire. Voilà, il a une belle boucle désormais. Une seule. Une grosse. Mais elle est parfaite. Le garçon range la cire à sa place et tente de se redresser sur ses pieds pour arriver à atteindre l’une des étagères murales qui expose la bouteille d’eau de Cologne. Elle est en cristal ciselé, avec un gros cabochon rond, si gros qu’on pourrait y lire l’avenir dedans. Papi en met tous les jours de la Cologne. Après son rasage, il en jette sur ses mains et se donne des claques vigoureuses. Guillaume prend donc le flacon avec précaution, il est surpris par son poids, puis le pose sur le rebord de marbre et le débouchonne. Une forte odeur d’alcool et de vert le prend aux narines. Cela lui tourne un peu la tête et lui tire un franc sourire. Papi a raison quand il dit que ça fait tourner celle des filles. Il penche la bouteille et tente d’en renverser le moins possible. Malheureusement, ça éclabousse partout, ça coule dans le lavabo. C’est cuit, mamie saura ce qu’il a fait dès qu’elle rentrera dans la salle de bain pour laver ses vieilles mains. Tant pis, Guillaume n’a plus le temps de faire attention, il se donne, lui aussi, des claques. Peut-être même aussi fortes que celles qu’il prendra sur le cul quand ses grands-parents comprendront ce qu’il a fait. Il s’en met, de la Cologne, et pas qu’un peu ! Il est un peu étourdi par les vapeurs, et c’est un miracle qu’il parvienne à remettre la bouteille en place. Là-dessus, comme tous les enfants s’imaginant malins, il projette du savon de Marseille un peu partout sur le lavabo et les rebords, et passe un léger coup d’éponge qu’il ne prend même pas la peine de nettoyer ensuite. Ça devrait masquer l’odeur, pense-t-il.

Quand enfin il sort, son grand-père hausse ses épais sourcils si hauts qu’ils en pourraient devenir de nouveaux cheveux.

« Qu’est-ce qu’il y a papi ? lui demande innocemment Guillaume en lissant son t-shirt Avengers.

— Rien, rien. » Répond son vieux avec un sourire goguenard.

Ils avancent vers l’entrée, mamie leur dit de ne pas traîner au retour car elle a prévu de la pizza, et cette raison suffit à s’attacher l’obéissance des deux hommes. Mais une fois qu’il quitte la fraîcheur de la petite maison de campagne, le grand-père ricane et ajoute :

« Rien, si ce n’est que tu t’es mis tout beau, eh…

— Je ne vois pas de quoi tu parles, papi, j’ai fait ma toilette comme mamie l’exige.

— Ouais, ouais, tu es bien coquet dis-moi ! J’espère pour toi que mes affaires sont en ordre et que la partie n’a pas commencé. »

Guillaume serre instinctivement les fesses, comme pour éviter une fessée imaginaire, mais ne dit rien. Il sait qu’il a mis un sacré boxon dans la salle de bain et que le niveau de la Cologne a bien baissé après son passage. Mais tant pis, il assumera la punition pourvu que…

Ils longent le jardin cramé par le soleil et passent derrière la maison de Mme Micot, une vieille un peu zinzin qui blague toujours trop longtemps aux yeux de mamie, au point tel qu’ils arrivent à midi chez le boucher et doivent toujours se presser pour les commissions. Une fois sur le sentier, papi ralentit un petit peu. Guillaume sait qu’il aime prendre son temps au milieu des champs, à la liaison même des courants d’air qui charrient l’odeur des cyprès et de la brousse brûlée par l’été. Le petit en profite pour passer sa main dans les herbes hautes pour refermer la paume sur les tiges en remontant vivement. « tic tic tic » font ces drôles de petits escargots blancs qui s’agglutinent partout sur les grillages et les pousses de blé. Ça doit être long pour eux de grimper jusqu’à parfois un mètre. C’est bête, mais Guillaume adore la sensation de les décrocher. Entre deux maisons, le sentier redevient du bitume, ils arrivent au centre du village et papi jette un oeil agacé au bar où il voit toujours les mêmes avachis sur la terrasse en train de boire quelques bières. Ce sont ses copains, mais papi ne peut pas s’empêcher de les critiquer. Avec le temps, Guillaume comprendra qu’il envie ces gars qui s’offrent parfois des journées à ne rien faire. Mais pour l’heure, son grand-père a une de ses activités favorites en tête. Ils contournent l’église et finisse près de la salle communale, là où un grand terrain de sable tassé s’étend sur une longueur telle que le soleil qui s’y reflète aveugle tout le monde. Il fait une chaleur de tous les diables sur ce morceau blanc et pourtant, tous les vieux s’y pressent pratiquement chaque jour en été. Avec une casquette, un petit chapeau ou bien un vieux béret, les vieux se cassent le dos et se rougissent les épaules pour lancer de grosses boules de métal qui deviendront brûlantes quelques minutes après avoir été sorties de leur étuis. Mais tous ces désagréments ne dérangent plus trop Guillaume. Pour commencer, quand papi va à la pétanque, il lui paie toujours un coca et une glace, et puis… Et puis il faut dire qu’il n’est plus vraiment le seul à accompagner son grand-père depuis quelques jours…

Cela fait maintenant une semaine qu’Anissa s’assoit à côté de lui en mangeant sa glace. Son grand-père à elle prend place sur un banc tordu, avec d’autres vieux qui le sont tout aussi. Il a une bonne allure, se dit Guillaume à chaque fois, avec sa grande veste en tweed, son couvre-chef et sa canne qu’il serre fort de ses deux mains. Mais ce n’est pas le grand-père qui a le plus retenu son attention, non. Avec ses grands yeux bleus lumineux et son épaisse chevelure bouclée, Anissa le transforme pire que s’il était un crapaud. D’abord il bafouille, souvent il dit des bêtises, et parfois il en fait. Mais Anissa ne le juge pas, elle le trouve au contraire très drôle. Elle le lui avait dit, la fois où il s’était mis sa glace sur le nez en cherchant à manger et à la regarder en même temps. Elle avait alors ri. Et il avait semblé à Guillaume que plus aucun autre son ne pourrait le charmer.

Quand ils arrivent au terrain, les copains de papi s’exclament bruyamment et l’accueillent en lui tapant dans le dos. Des boules sont déjà lancées sur le sable, mais un rapide coup d’oeil permet de rassurer Guillaume, aucun point n’a été noté : tout ça n’est que pour du beurre. Papi se tourne alors vers lui et lui glisse un billet plus gros que d’ordinaire :

« Tu te souviens de ce qu’a fait John, l’autre soir, dans L’ivresse de Chicago ?

— Il a conduit Maria au restaurant, c’est ça ?

— Exactement ! »

Sur ce semblant d’explication que Guillaume trouve au contraire très cryptique, son grand-père lui fait un clin d’oeil et lui tourne le dos. Le garçon met quelques instants à fixer le terrain, cherchant à se souvenir de ce qu’il se passait encore après dans le film, avant d’écarquiller des yeux. Il se retourne alors pour filer à la buvette et commande illico la glace préférée d’Anissa.

« En deux boules, s’il vous plaît ! Avec de la chantilly et des petits picots de sucre, aussi !

— Eh bien… ! Tu es bien gourmand, aujourd’hui ! Tu es sûr que tu as le droit ? lui demande le marchand d’un air inquisiteur.

— Bavi-eh, lui répond Guillaume d’un ton très enfantin. Sinon, papi ne m’aurait pas donné ce gros billet ! »

Le marchand semble peser le pour et le contre et, voyant que l’enfant lui commande une seconde glace identique à ses habitudes, comprend alors toute l’affaire. Lui aussi lui donne du clin d’oeil lorsqu’il lui tend sa commande, et lui souhaite bonne chance. Guillaume ne comprend pas bien de quoi le glacier veut parler, mais il a plus important en tête.

Il se retourne et file le plus prudemment possible en direction du petit banc où il s’assoit chaque jour avec Anissa. Mais il ralentit la course en voyant qu’elle n’y est pas. Son cœur ratte un battement, et il sent son nez piquer tandis qu’un chagrin monte sourdement. Il avise rapidement le banc des vieux aux cannes, mais il ne trouve pas le grand-père non plus. Une goutte de glace roule et dégouline sur sa main, elles sont en train de fondre, et il se sent soudain abattu. Il se laisse tomber sur les fesses et mord, dépité, dans sa glace à la vanille qui lui vrille le cerveau. Sous la chaleur du soleil, la Cologne empeste, il a l’impression de transpirer tout ce qu’il a renversé dans la salle de bain. Sa mèche gominée s’affaisse, et il sent une goutte de graisse couler le long de son front pour se figer dans son sourcil droit. Il frissonne de dégoût et de désespoir. Anissa et son grand-père ont dû repartir. Ils ne devaient être que de passage au village. Des vacanciers qui vont et qui viennent, charriant des amis éphémères dont il oublie les noms à la rentrée venue. D’ordinaire, cela ne touche pas Guillaume. Pas même quand Florian et lui avaient passé un été inoubliable à la piscine et à jouer avec des anneaux. Mais, là, assis misérablement sur son banc, ses deux mains disparaissant sous la glace et la chantilly fondues, Guillaume renifle malgré la canicule.

C’est peut-être ça, de grandir ? On apprend à s’attacher aux gens, et après ils nous manquent ? C’est pour ça que papi aime tant aller à la pétanque ? Pace que ce sont ses amis qui lui manquent et pas les boules ?

Guillaume observe le terrain d’un air songeur. Les hommes sont penchés et concentrés, certains rigolent et parient du vent que ça va rater. L’un d’eux semble en mauvaise posture, il rit à s’en étouffer, tandis qu’il tient maladroitement en équilibre sur sa canne. Le petit écarquille les yeux en reconnaissant soudain le grand-père d’Anissa. Son cœur bondit dans sa poitrine et il se redresse bien vite, ses deux cônes poisseux serrés forts dans ses paumes.

« Qu’est-ce que tu fais avec de la glace plein les mains ? »

Guillaume tressaille et se retourne pour croiser le regard surpris d’Anissa. Il ouvre la bouche et se sent ridicule. Il bredouille, sa gorge est sèche, il se maudit.

« Viens, on va aller laver ça au robinet. »

Il la suit docilement, alors que ses jambes en coton le porte jusqu’au mur avec un sourire presque béat. L’image fugace du ravi de la crèche de sa grand-mère traverse son esprit et il sait qu’il a l’air d’un imbécile. Mais d’un imbécile heureux : elle n’est pas encore repartie.

Anissa ouvre le robinet et l’aide à laver ses mains sans rien dire. Leurs petites têtes sont l’une à côté de l’autre et une de ses boucles frôle la joue du garçon qui ferme les yeux de bonheur.

« Tu sens fort, lui dit-elle après un long moment.

— Je… tu n’aimes pas ?

— Tu sens comme mon papi. En beaucoup plus fort. »

Elle le regarde avec un léger sourire perspicace et Guillaume baisse les yeux en rougissant.

« Tu t’es renversé quoi sur les cheveux ?

— … »

A présent, il se sent ridicule, il voudrait partir. Mais Anissa tient toujours ses mains dans les siennes, alors qu’elle a refermé le robinet.

« Je… je voulais… je voulais me faire beau. »

Un éclair de compréhension passe dans les yeux de la petite fille et elle serre tendrement les mains du garçon en lui répondant :

« Tu sais, les autres jours je te trouve très beau. »

Quand il était petit, Guillaume s’asseyait dans le jardin de son grand-père lorsque les herbes et les fleurs étaient hautes. Des centaines de papillons venaient butiner çà et là dans un magnifique ballet de couleurs. Cette simple phrase lui donne l’impression que le jardin s’est niché dans son ventre et qu’à présent les papillons chatouillent ses entrailles. Il sourit à son tour.

« Et… et aujourd’hui ?

— Aujourd’hui, pouffe-t-elle. Tu sens comme mon papi quand ses mains ont trop tremblé à la toilette. »

Il rigole nerveusement, et acquiesce.

« C’est que… j’ai fait tomber la bouteille de mon grand-père, alors…

— C’est pas grave, ça ne m’a jamais empêché de lui faire des bisous. »

Guillaume n’a pas le temps de comprendre ce qu’elle vient de lui dire qu’il sent une chaleur toute douce se répandre sur sa joue. Il ferme les yeux de plaisir et glousse.

Finalement, son grand-père n’a pas toujours raison : les femmes se moquent bien de la gomina et de tout le reste.

Epilogue

« Gazette du Sorcier,

Édition du 14 février 2018,

APRÈS L’HORREUR, PLACE À L’AMOUR : LE MARIAGE SENSATIONNEL DE BILL WEASLEY ET FLEUR DELACOUR ! »

« Véritascriptum,

Édition du 27 février,

OUVERTURE DES PROCÈS DE POUDLARD »

 

« Gazette du Sorcier,

Édition spéciale du 1er mars 2018,

PAS DE RETOUR À L’ÉCOLE POUR HARRY POTTER ET SES AMIS ?! QUE VONT-ILS DEVENIR ? »

 

« Le Chicaneur,

Édition du 15 avril 2018,

DRACO MALEFOY, CRÉATEUR DE MODE DANS LE MONDE MOLDU ! »

 

« Gazette du Sorcier,

Édition spéciale du 22 avril 2018,

SIRIUS BLACK, CÉLIBATAIRE, RICHE ET TRÈS EN VUE ! »

 

« Véritascriptum,

Édition du 22 avril 2018,

SE PRÉPARANT À L’ÉCHEC, SIRIUS BLACK SE TAILLE UN PERSONNAGE D’OPPOSANT »

 

« Gazette du Sorcier,

Édition spéciale du 7 mai 2018,

NOTRE MINISTRE DE LA MAGIE, CE HÉROS DE GUERRE ! »

 

« Le Chicaneur,

Édition du 8 mai 2018,

LES MANGEMORTS SERONT EXÉCUTÉS, LE MINISTRE DE LA MAGIE NE VEUT PAS DE PROCÈS…

L’opinion publique est derrière lui depuis son élection. Veuf, blessé au combat et héros, Lucius Malefoy peut compter sur le soutien des Sorciers et Sorcières de Grande-Bretagne pour lui permettre de clôturer rapidement ce chapitre. Trop rapidement ? Lord Sirius Black met en garde. Dans nos colonnes, il dénonce une machine « à broyer de la Justice » tenant plus de la vengeance expéditive que de procès équitables. Pour recueillir ses propos, notre journaliste Hermione Granger s’est rendue au 12 Square Grimmaurd et a […]»

Tandis qu’elle lisait le dernier exemplaire du Chicaneur dans sa version papier « statique », Severus feuilletait le classeur qu’elle transportait partout depuis leur départ en fronçant les sourcils. Il l’observa un bref instant. Jane lisait, penchée sur le magazine, remuant de temps en temps les lèvres, comme pour commenter le propos. Il esquissa un léger sourire et referma le classeur d’un geste sec.

« Pourquoi tu t’infliges ces torchons, au juste ? »

Pour la énième fois qu’il lui faisait cette réflexion, Jane leva les yeux au ciel et coula ensuite un regard agacé dans sa direction.

« Parce que… commença-t-elle comme si elle s’adressait à quelqu’un de profondément stupide. Le monde ne s’est pas arrêté de tourner à la mort de l’autre psychopathe. D’ailleurs, il tourne même plus mal depuis que…

— Je veux dire : pourquoi tu t’infliges ça alors que nous avons spécialement pris des vacances – bien méritées – loin de tout ça, de Potter, de la pression de la guerre, de Potter et des médias… ? »

Elle eut un rictus amusé à la double nomination du jeune homme et ferma le Chicaneur pour se tourner vers lui.

« D’accord, ça t’énerve que je ne puisse décrocher, je comprends. Mais ce qu’il se passe est grave, Ron se remet à peine de son maléfice, Sirius s’embourbe dans des histoires politiques qui le dépassent, Hermione… d’accord, Hermione est en train de mener un combat qui…

— Ah, c’est donc ça, coupa Severus avec un sourire moqueur. Tu crèves de jalousie de ne pas être à sa place.

— Ne sois pas ridicule, je suis très contente de voyager avec toi !

— De voir des pays que tu n’as jamais vus, de manger et boire des choses que tu n’avais jamais goûtées, de découvrir ton monde sous un angle plus… magique. De faire l’amour n’importe où sauvagement, ajouta-t-il en baissant d’un ton.

— Oui, j’adore tout ça – surtout la dernière partie, glissa Jane d’un air entendu.

— Mais ?

— Il n’y a pas de mais !

— Si, il y en a un : tu trépignes parce que tu te dis que t’aurais pu en écrire des papiers, que t’aurais pu couvrir tout ça et quoi, ensuite ? Te lancer dans la course à l’opposition comme le fait Granger ? Tu sais que cette gamine vise le poste qu’a Malefoy, et elle l’obtiendra certainement après ses Aspics. Mais toi, tu en ferais quoi ? Tu n’es pas une femme politique.

— Ah bon ? Et je suis quel genre de femme, alors ? répliqua Jane un peu piquée au vif.

— La mienne. »

Il avait répondu ça d’un air très sérieux, de sa voix la plus suave. Celle qui l’empêchait toute contestation et qui faisait fondre toutes ses prétentions féministes. La voix qui l’énervait donc le plus, mais elle n’arrivait pas à le lui dire et papillonna des yeux en rougissant.

« J’ai horreur quand tu…

— Veuillez relever vos tablettes et attacher vos ceintures, nous amorçons la descente. »

Severus grimaça à ces mots et redevint immédiatement impassible, se redressant, serrant les genoux et les dents. Il jeta un nouveau regard accusateur en direction de sa compagne :

« Tu peux m’expliquer pourquoi j’ai cédé pour l’avion ?

— Parce que tu voulais quelque chose de différent qui te fasse oublier « tout ça », répondit-elle goguenarde. Ouvre ton hublot ! Je suis certaine qu’on pourra voir Florence !

— Tu la verra de près, laisse-moi ne pas voir l’aile de ce fichu appareil. »

Jane lui tendit alors le Chicaneur :

« Tu peux lire pour te détendre, si tu veux…, lui proposa-t-elle, espiègle.

— Vous me fatiguez, Smith. »

Elle partit à rire et se replongea dans sa lecture, non sans vérifier de temps à autre la verdeur croissante de son ami.

Quand ils sortirent de l’aéroport, Jane mit immédiatement ses lunettes de soleil et leva le nez en l’air, soupirant d’aise. Severus l’observa longuement. Elle avait gardé les cheveux courts, appréciant qu’ils ne soient plus aussi compliqués à coiffer. Ils entouraient son visage en une série de jolies boucles folles et bien dessinées qui allaient à merveille avec la petite robe noire évasée à la taille qu’elle portait sur de grands escarpins sophistiqués. Avec ses lunettes de soleil et son teint de porcelaine, elle ressemblait à une actrice venue prendre des vacances en Italie. Jane soupira une nouvelle fois, murmurant :

« C’est quand même délicieux le soleil, tu ne trouves pas… ?

— Non, sourit-il.

— Tu préfères quand il pleut averse, qu’on est coincés à l’intérieur et qu’on ne peut strictement rien faire… ? »

Elle reporta son regard vers lui, avant d’hausser les sourcils et d’ajouter :

« Quoi ?

— Rien.

— Si, tu as ta drôle de tête.

— Je n’ai pas de drôle de tête.

— Si, tu l’as parfois après qu’on ait…

— Je n’ai pas de drôle de tête, coupa-t-il en tournant les talons. Reprenons, on doit encore trouver un taxi pour mon pied à terre. »

Jane pouffa et tira la poignée de sa valise pour la mettre sur roulettes. Elle le suivit d’un air légèrement moqueur, s’attendant à le voir pester contre le monde qui grouillait dans les rues ou bien la chaleur encore prenante en cette fin d’après-midi, mais il semblait ne pas en faire grand cas. Il héla une voiture qui s’arrêta et surprit une nouvelle fois son amie en parlant cette fois un italien parfait. Ils montèrent et la jeune femme hésita entre lui faire la conversation et dévorer la ville qui s’offrait à ses yeux par la vitre arrière. Il y avait la climatisation dans le véhicule, et elle se fit la réflexion que sa garde-robe « à la Française », bien que plus légère que celle pour chez eux, serait encore trop chaude pour ce mois de mai très estival. Le trajet prit moins d’une demi-heure durant laquelle Jane se régala des villes et places de la cité. Elle ponctua le voyage d’une série d’exclamations, d’injonctions à visiter tel ou tel endroit, et de coups d’œil en direction de Snape qui l’observait faire, sans se départir de son léger sourire. Elle arriva à lui faire promettre de retourner à la place de la liberté qu’ils venaient de longer, et quand la voiture s’engagea dans une petite ruelle à sens unique bordée de voitures qui mangeaient pratiquement la moitié de la chaussée, elle sut qu’ils étaient arrivés. Le chauffeur de taxi s’arrêta devant une grande bâtisse branlante et se retourna :

« Lei è arrivato…, commença-t-il en fixant Snape comme s’il était stupide. Anche se siete da nessuna parte, questo posto non è nemmeno elencato!

— Grazie, saremo in grado di gestire, répondit Severus en donnant quelques billets orange. Allons-y, Jane.

— Qu’est-ce qu’il voulait ? lui demanda-t-elle alors qu’ils se retrouvaient seuls dans la ruelle avec leur valise.

— M’expliquer qu’en gros je nous menais nulle part.

— Comment ça ?

— Je lui ai dit de nous déposer entre le 5 et le 6 via Giraldi…

— Entre… ? C’est comme le Square Grimmaurd ?

— Presque, l’endroit est à la vue de tous, mais personne n’y fait réellement attention. »

Il désigna du menton le bâtiment en pierres apparentes qui ne comportait qu’une grande double-porte en bois et deux grandes fenêtres piquées hautes dans la façade avec des barreaux de métal. En haut, au milieu, un médaillon de ciment était creusé, comme s’il y avait eu un œil de bœuf qui avait été muré. Jane fronça les sourcils en avisant la fine croix plantée sur le sommet du toit.

« C’est une église ?

— Non. Ça, c’est pour éloigner les curieux et les démarcheurs. »

Il regarda de gauche et de droite et tira de la poche de son veston une petite clé en fer rouillé et la glissa dans la serrure. Un drôle de bruit mêlant mécanique et sortilège se fit entendre et alors il se retourna vers elle :

« Après toi. »

Jane passa la porte, intriguée, et immédiatement une odeur de vieille maison lui sauta au nez. C’était une odeur de poussière, de livres, de parchemins enroulés depuis des lustres, de bougies fondues, d’encens et de bois et pierre légèrement humides. Il faisait frais dans le lieu et particulièrement sombre. Elle entendit Severus refermer la porte et mettre une série de sortilèges dessus, avant de lever une dernière fois sa baguette et de l’agiter en direction du plafond. Immédiatement, un immense chandelier s’alluma, dévoilant le bâtiment le plus étrange qu’elle ait vu depuis leur départ. Toute la maison était conçue autour d’un puits central pour accueillir l’énorme lustre qui projetait le plus de lumière. Autour et sur deux étages visibles, des étagères garnies de livres, bibelots Moldu ou sorciers, cassés ou encore ronronnant. Face à eux, une arche permettait de passer à la suite de la maison s’articulant cette fois autour d’un escalier de pierres.

« Au rez-de-chaussée tu as la cuisine, et en haut une chambre et une salle de bain. Attention, car tout est très vieux ici et est d’époque. Ça tient uniquement grâce à mes soins… et à la magie.

— De quelle époque on parle, exactement ? demanda Jane, légèrement ébahie.

— 16e. Cette maison a été conçue à l’époque des Medicis.

— Attends, tu es propriétaire d’un monument historique… ?

— Non, il n’est pas classé. Mais si cela t’impressionne… tu n’en as pas terminé. »

Il ajouta ça en posant sa valise au sol et en s’approchant d’elle d’un air prédateur. Jane esquiva l’étreinte avec un sourire amusé :

« Tu n’as pas besoin de m’impressionner, surtout de ce côté. Dans quel état est la chambre ?

— Tu t’inquiètes pour les meubles ?

— Tu n’as que ça en tête ?!

— Crois-tu que si on avait libéré Tantale il se serait contenté d’un bref repas avant de revenir à une vie normale ? répondit Severus en prenant leurs valises et en l’invitant à le suivre.

— « Bref repas » ? T’as dîné plus que de raison, comment fais-tu pour penser encore à manger… ?

— J’aime ça. Et tu es une excellente cuisinière. La chambre est là, la salle de bain est à droite, à la moitié de la coursive. C’est une baignoire centrale à l’ancienne. Ce n’est, hélas, pas une douche italienne.

— Tu es intenable, j’espère quand même que j’aurais le temps de… oh ! C’est ça que tu appelles un lit ?! »

Severus entra avec elle et déposa les valises près d’une grosse commode en bois. Il ricana en voyant l’expression de sa compagne. Jane faisait face à un grand lit à baldaquin fait de bois sombre sculpté, voilé de lourdes tentures d’un bleu profond. Le lit était large, les draps brodés et chauds, Jane eu immédiatement envie de s’y allonger, tout en ayant peur de s’y endormir tant il avait l’air confortable.

« Vas-y, lui dit Severus en comprenant son hésitation. Nous irons manger au restaurant sur la place tout à l’heure. On a le temps, ici les soirées sont chaudes et longues. »

Jane releva la tête d’un air intrigué alors qu’il disait cela. Severus monta souplement sur le lit pour la rejoindre, se plaçant au-dessus d’elle et l’observant.

« Chaudes et longues, eh… ? répéta-t-elle d’un air entendu. Tu le fais exprès ?

— Non, je t’invite à te changer pour une tenue plus légère. Ici, c’est déjà l’été…

— Oui, c’était un conseil anodin et amical… »

Elle ouvrit ses jambes pour les placer de part et d’autre de ses hanches, avant de resserrer sa prise et de le tenir entre ses cuisses. Elle redressa ensuite le torse pour arriver à capturer ses lèvres, le mordant légèrement.

« Tu n’étais pas fatiguée ? demanda-t-il goguenard.

— Si, mais pas assez pour ignorer ton rentre-dedans peu subtil.

— Dit celle qui se presse contre moi avec avidité.

— Tu parlais de m’impressionner, non ? Tu as toute mon attention… »

Il tenta de lui répondre, mais Jane couvrit ses mots de sa langue et Severus s’exécuta avec grande application.

Elle se releva et fila en vitesse à la douche, priant pour que les améliorations magiques soient à la hauteur de ses besoins. La salle de bain était sobre et plutôt jolie, avec une baignoire qui trônait au centre de la pièce, comme l’avait indiqué Severus. Elle se glissa dedans et tourna les robinets avec une légère appréhension, mais quand elle vit que c’était une eau claire qui s’écoula et non de la boue ou un truc autrement plus glauque, elle se détendit.

« J’ai le temps de visiter la maison avant qu’on aille manger, ou bien je dois me presser ? lui cria-t-elle depuis la salle de bain.

— Tu as tout ton temps, on trouvera toujours un restaurant d’ouvert ici, même après dix heures.

— Comment se fait-il que tu sois si à l’aise avec cet endroit ? Tu avais l’air de passer toutes tes vacances dans ta vieille place forte à Londres.

— J’ai passé du temps ici à une époque, répondit-il en éludant.

— … avec Lily ? lui demanda-t-elle frontalement.

— Non. Je suis toujours venu seul. Mais j’ai eu besoin de me retrancher quelque temps ici après la première chute de Voldemort. »

Il butait sur son nom, comme s’il craignait encore de lui être enchaîné, même après avoir eu son cadavre sous ses yeux. Depuis la bataille, Severus semblait se forcer à vivre plus qu’il ne s’y autorisait, comme quelqu’un voulant profiter avant une nouvelle période sombre. Jane avait renoncé à l’idée de le faire rationaliser à ce sujet, préférant le laisser y aller à son rythme.

« Faire un bain de soleil pour fuir les ténèbres… ?

— En quelque sorte. J’avais besoin d’échapper à une partie de moi-même et d’en retrouver une autre.

— Comment tu as acquis cet endroit ? Ce n’est pas ton salaire de profs ou les rares potions que tu vends qui ont dû t’aider à payer ça…

— Non, en effet. Elle est dans ma famille depuis des siècles. J’en ai hérité.

— Wow ! À la mort de qui, si ce n’est pas indiscret ?

— Ma mère. » Répondit Severus en entrant finalement dans la salle de bain.

Il lui fit un signe de tête et Jane replia ses jambes pour qu’il la rejoigne. Il plongea dans l’eau, avant de se savonner également, la laissant préparer sa prochaine question. La guerre n’avait rien changé à ce trait de caractère qui l’agaçait comme il lui plaisait. Elle était restée tout aussi curieuse des choses et ne se lassait pas de lui poser mille questions. Quand il en avait assez, il lui collait un livre dans les mains où elle trouverait la réponse et profitait de la paix retrouvée pour lire de son côté, ou vaquer au travail de rédaction d’un manuel de potions. Severus s’était laissé tenté par l’aventure, fortement encouragé par une Jane qui en avait eu assez durant les presque deux dernières années de l’entendre se plaindre des inepties recopiées par les élèves dans leurs copies. « Vous n’avez qu’à écrire leur satané bouquin si vous ne voulez plus qu’ils fassent et disent de conneries ! » lui avait-elle un jour seriné, excédée.

« Ta mère ? répéta Jane en le ramenant brutalement dans le présent.

— Oui, Eileen Prince. »

Jane le fixa intensément, avant de répéter :

« Prince ?!

— Quoi ?

— Tu m’avais dit un jour que tu n’étais pas « mon prince », mais « Le prince », tu faisais référence à ça ?

— Oui, aussi. »

Quand elle ouvrit la bouche pour répondre, avant de finalement ressortir ruisselante pour se sécher en vitesse, Severus eut un léger sourire. Elle attacha maladroitement la serviette autour de son torse et se tourna vers lui.

« Comment ça, aussi ? Qu’est-ce que tu essaies de me faire comprendre avec ton étrange maison et ton nom français ?

— Tiens, tu sais que c’est Français…

— J’ai un peu de culture, figure-toi. Allez, raconte-moi un peu ça.

— Non, tu es là pour visiter, non ? Alors, visite. Devine.

— Donne-moi au moins un indice ! Pourquoi tu as un nom français et une maison à Florence ? »

Severus termina de se laver et sortit également. Il arriva à sa hauteur et détacha la serviette qu’elle portait pour se sécher avec, appréciant sa nudité et faisant traîner en longueur les réponses. Jane mit les mains sur les hanches, agacée :

« Stop, tu arrêtes de me reluquer et tu me dis. Donne-moi quelque chose, n’importe quoi ! »

Il la fixa et son regard la fit rougir.

« … sauf ça, on va être en retard.

— Nous allons passer une semaine à Florence, plus si tu le désires. Nous avons tout notre temps.

— Non, non, maintenant on se concentre deux secondes.

— Après toi. »

Elle retourna dans la chambre enfiler rapidement des sous-vêtements et une robe de mousseline verte. Elle attrapa une autre paire d’escarpins quand elle se retourna :

« Bon, tu t’appelles « Severus Snape », commença-t-elle.

— Pas tout à fait.

— … Ah ! Oh ! Oui, c’est vrai ! Severus Cesare Snape. Je sais que tu es sang-mêlé, et cette maison est de famille et est dans un état remarquable, ça fait un moment qu’elle est conservée par de la magie. C’est donc ta mère qui était sorcière, c’est ça ?

— Oui.

— Severus est un vieux prénom romain, continua-t-elle. Et Cesare aussi. Avec ou sans accent, d’ailleurs ?

— Sans.

— Définitivement italien. Donc, si tu avais gardé le nom de ta mère, ça serait Severus Cesare Prince. Le nom a été francisé ou bien au contraire traduit en anglais ?

— Ça revient au même.

— Non, selon, ta famille a fait un détour par la France.

— Je suis un lointain cousin de notre Ministre de la Magie, si tu veux tout savoir. »

Jane arrêta de boucler ses chaussures pour le fixer en fronçant les sourcils.

« Il le sait ?

— Aucune idée. Je suis tombé sur cette information en faisant des recherches sur ma famille, ici. Les Malefoys et les Princes se sont brièvement mélangés à une certaine époque. Et, effectivement par un détour en France. Quand notre nom est passé de Principe à Prince.

— Tu sais à quelle époque ?

— À l’aube du 18e, mais il y a un moment de flou sur ce qui s’est passé en France à cette époque. Tu dois bien comprendre pourquoi…

— Ta famille a dû échapper à la guillotine ? demanda Jane pleine d’espoir.

— Nous n’étions pas nobles pour autant, mais ce n’était pas la meilleure époque pour les anciennes familles, furent-elles sorcières.

— Tu viens d’une lignée de Sang-Purs ?

— Personne ne vient vraiment de Sang-Purs, s’amusa Severus. Surtout les familles avec de puissants Sorciers… Ne me regarde pas comme ça. Nous savons tous les deux que je suis un puissant Sorcier. Plus la lignée est consanguine, plus la concentration en magie disparaît. Les Cracmol sont un des stigmates de ce mode de vie ridicule. Non, nous ne sommes pas des « Sang-Purs », mais ma famille a toujours été intimement liée aux deux mondes.

— Bon, donc, vous êtes Italiens. Romains, peut-être, même ?

— Non, pas jusque-là. Une partie doit être effectivement plus ou moins native, mais une autre vient d’Espagne.

— Incroyable que tu aies autant de détails…, murmura Jane éberluée en l’observant les yeux dans le vague. Habille-toi, je vais fouiller, c’est ici que j’aurai des réponses, non ? »

Il se contenta de lui sourire et enfila rapidement un caleçon et un pantalon. Jane avait déjà tourné les talons pour aller scruter les rayons des bibliothèques. Quand elle se retourna pour lui poser une nouvelle question et qu’elle le vit torse nu elle leva les yeux en l’air.

« Tu peux arrêter deux minutes ?

— Tu ne m’as pas laissé le temps de choisir une chemise.

— Un vrai gamin. D’où viennent ces livres et ces objets ?

— Une accumulation familiale. » Répondit-il alors qu’elle tentait de déchiffrer les reliures tant bien que mal.

Jane fixa un crucifix en or massif qui était accroché à une jonction de bibliothèque et secoua la tête.

« Tu m’avais dit que j’allais être impressionnée, je le suis déjà énormément… J’ai l’impression d’être dans un musée. Merci de m’avoir emmenée, ajouta-t-elle dans un souffle.

— Tu m’as dit vouloir me connaître loin de « toute cette merde », pour reprendre tes mots exacts. »

Jane s’arrêta et l’observa, la mine sincèrement reconnaissante.

« Oui… mais je ne m’attendais pas à ce que tu me dévoiles quelque chose d’aussi privé. J’ai l’impression de pénétrer dans un sanctuaire. De lever le voile sur un énorme secret.

— C’est le cas. Personne d’autre que toi et moi ne saura cela.

— Pas même Dumbledore ?

— Pas même Dumbledore. »

Un autre nom lui vint en tête, mais elle le tut, se contentant de se mordre la lèvre et de reprendre son exploration. Jane continua de longer la coursive qui donnait directement sur la pièce centrale. Fermée par une barrière de bois, elle entourait l’immense chandelier ouvragé qui attira un moment son attention. En plissant des yeux, on pouvait voir des scènes érotiques entre des anges et des…

« Oh, c’est très coquin, ça, Severus…

— C’est très Italien.

— C’est d’époque ?

— Je ne pense pas, pouffa-t-il. Mais ça a dû être ajouté assez rapidement vu la patine et l’ouvrage.

— Je ne sais plus où regarder, reprit-elle. Il y a tant à voir, une seule journée ne suffirait sans doute pas à faire le tour de tous tes trésors. C’est incroyable. Tu dois en avoir pour une fortune, tu le sais ?

— C’est possible.

— Ça t’est égal ?

— Ça m’est égal. Ça t’importe ?

— Ça m’émerveille. »

Elle lui sourit comme une enfant à qui on venait d’annoncer que le jour de Noël était avancé et qu’elle allait recevoir tous les cadeaux de la terre. Continuant de longer la coursive, elle arriva au niveau de l’entrée du bâtiment, juste là où l’œil de bœuf avait été condamné par une couche de ciment et sorte de volet interne en bois. Là trônait un pupitre avec un livre fermé. L’instinct de journaliste de Jane se mit à frétiller et elle jeta un regard excité à Severus qui prit nonchalamment appui sur la rambarde, l’observant. Elle comprit qu’il s’agissait donc de ce secret et qu’elle avait tout intérêt à se montrer vraiment impressionnée pour ne pas décevoir ses attentes. Mais elle comprit à la lecture du titre qu’elle n’aurait pas à mentir. À la reliure de cuir épaisse, avec un dos cerclé de bandes de cuir bouillir, la couverture n’offrait aucun nom. La tranche, en revanche, donna à son pouls des raisons de s’accélérer : « Machiavelli, Il Principe ».

« Merlin, Severus… c’est vraiment ce que je crois ?

— Ouvre.

— Je… je n’ai pas de gants.

— Tu n’en as pas besoin. Ouvre-le. »

Jane s’exécuta lentement, avec respect, n’en croyant pas ses yeux. La couverture grinçait légèrement et le livre révéla alors l’odeur d’une histoire ancienne. Elle tourna les premières pages blanches, s’ébahissant de l’état de conservation de l’objet et confirma sur le titre interne en italien qui surplombait une gravure représentant Nicolas Machiavel. Elle feuilleta quelques pages, tentant de déchiffrer les phrases, sans succès.

« Va à la fin. »

Elle s’exécuta à nouveau et là, inscris à l’encre noire avec une écriture fine, quelques mots en Italien.

« Il y a marqué quoi ? demanda-t-elle dans un souffle.

— Agli eredi del principe.

— Ce qui veut dire… ?

— Aux héritiers du Prince. »

Jane le fixa un long moment, fronçant les sourcils et réfléchissant.

« Tu… es apparenté aux Medicis, par Laurent de Medicis ?

— Pas que je sache.

— Je ne comprends pas.

— Parce que c’est trop évident pour que tu comprennes. Ouvre le panneau derrière toi. »

Elle se retourna, cherchant des yeux ce qu’il entendait par là, avant de penser aux volets internes qui condamnaient la fenêtre ronde. Jane défit le loquet et ouvrit lentement les panneaux avant de souffler bruyamment, profondément surprise.

« Mais c’est… »

Derrière les volets, une grande toile représentait un homme d’une trentaine d’années, aux vêtements riches et aux yeux et cheveux d’un noir corbeau. Son nez crochu ne trompait pas, pas plus que la ligne fine de sa bouche et de sa mâchoire. Jane se retourna pour observer Severus qui s’était alors approché d’elle. Elle compara un long moment l’homme et le portrait avant de s’approcher de plus près de l’œuvre.

« J’ai cru un instant que c’était toi avec des habits d’époque, mais…

— Mais ce n’est pas moi.

— La peinture est contemporaine de cette personne ?

— Oui.

— Faite par qui ?

— Je l’ignore.

— Elle représente qui ?

— Tu n’as toujours pas compris ? »

Jane fronça plus encore les sourcils. Profondément frustrée d’avoir la réponse sous les yeux et de ne parvenir à la lire. Elle se retourna une nouvelle fois vers Severus et plongea son regard dans le sien. Elle resta un moment ainsi, le laissant à loisir d’explorer son esprit et ses hypothèses. Soudain, Jane écarquilla les yeux, il s’était probablement trahit en réagissant à un des noms qu’elle avait cités.

« Le Prince, répéta-t-elle.

— Le Prince…

— Bon sang, Severus… Severus Cesare Prince. »

Il sourit légèrement et posa ses lèvres sur son front.

« Tu y es ?

— C’est… c’est incroyable ! Tu es un des descendants de Cesare Borgia ?

— Le seul. Le dernier, ajouta-t-il en lui jetant un regard entendu.

— Tu sais comment c’est possible et ce qui est arrivé à ta famille ?

— Plus ou moins. On y va ? » Lui demanda-t-il en lui présentant son bras.

Elle le prit et ils retournèrent dans la chambre. Il tira agita sa baguette pour vider leurs valises dans les meubles et tira une chemise blanche à manches trois-quarts. Jane semblait incapable de se sortir de la tête leur conversation, et lorsqu’elle s’approcha de lui pour ouvrir deux boutons au col de sa chemise qu’il venait de fermer, il posa ses mains sur ses hanches.

« Tu veux savoir ou tu préfères retarder notre dîner ?

— Je veux savoir, je voulais juste capter ton attention. Alors, dis-moi… »

Il lui tendit à nouveau son bras et ils descendirent, retournant dans la ruelle alors qu’il fermait à clé ce petit musée privé. La chaleur du début de soirée les surprit et Jane hocha la tête comme si elle poursuivait une conversation :

« Très bien, allons prendre un verre. Je te suis. »

Il lui fit traverser quelques rues, jusqu’à l’amener à une place bordée de musées, de restaurants et d’hôtels. Les murs clairs des bâtiments, tantôt modernes, tantôt dans un style renaissance donnaient à la place une lumière certaine qui contrastait avec la maison des Princes. Ils s’assirent à la terrasse d’un café, sous un grand parasol brun. Jane croisa les jambes et regretta pour la énième fois de ses vacances d’avoir arrêté de fumer. Un serveur vint à leur hauteur et prit leur commande. Après un rapide coup d’œil en direction de Jane, Severus demanda deux Martinis blancs. Ayant compris le mot employé, elle demanda :

« Tu aimes le Martini, toi maintenant ?

— J’en avais envie. Je te ferai goûter le Marsala. Tu devrais adorer.

— J’ai tendance à aimer ce que tu me fais découvrir. »

La réplique le fit légèrement rougir et il détourna les yeux en direction du grand bâtiment ancien qui captivait soudain son attention. Le serveur revint et leur apporta leurs verres et quelques gressins aux herbes aromatiques. Jane s’en saisit d’un et mordit dedans avant d’enchaîner.

« Bon, alors ta famille… comment tu es passé des Borgias aux Princes ? »

Severus observa les alentours et prit le verre pour le porter à ses lèvres.

« Cesare Borgia a eu deux enfants légitimes… et on suppose plus d’une dizaine de bâtards. Sans compter celles et ceux qui sont passés inaperçus.

— Alors comment estimes-tu que tu sois le dernier descendant ?

— Il y a eu… une purge au 19e siècle.

— Une purge ?!

— Un de mes ancêtres, un certain Jack Cesare Prince a mené une sorte de chasse pour élaguer l’arbre.

Élaguer ?!

— Vous appelleriez ça un serial killer, je pense.

— Comment tu as découvert ça ?

— Ses trophées sont dans la maison, répondit Severus en donnant un signe de tête en direction de là d’où ils venaient.

— De… des trophées ? De quelle nature ?

— Des doigts. L’auriculaire droit quand il s’agissait de femmes, et je suppose de cadets et benjamins, et l’annulaire gauche quand il s’agissait d’hommes aînés.

— Qu’est-ce que cela représente ? C’est très précis, surtout l’ordre de naissance… c’est toi qui en as tiré ces conclusions, d’ailleurs ?

— Oui, chez nous, la tradition des chevalières n’est pas tout à fait perdue, et ce sont les doigts où on les met selon le sexe et le rang dans la famille.

— Je vois. Il a donc gardé en trophée ce qui les rattachait à la branche. Bon, tu as trouvé des doigts, et après… ? Il n’y avait quand même pas de lettre de confession, non ?

— Non, mais j’ai pu lire des coupures de Presse de l’époque quand j’ai cherché à retracer mes origines. Et quand j’ai vu qu’à un moment, je ne parvenais plus à remonter, j’ai compris ma découverte.

— Tu connais tout ce qu’il y a dans la maison ?

— Non ! Je pense que je n’effleure que le début de ses mystères… »

Jane fixa son Martini dont les glaçons avaient déjà fondu et en bu une gorgée, pensive.

« Bon, et du coup, tu viens d’où ? Un bâtard, de ce que j’ai compris, mais lequel ?

— Une branche oubliée.

— Pas suffisamment, la dédicace de Machiavel…

— Elle n’est pas de Machiavel. Le livre a été publié à titre posthume. Non. Il s’agit du cadeau de la maîtresse du bâtard. Addalena Strozzi. La nièce de Laurent II de Medicis, l’homme à qui Machiavel a dédié le Prince…

— Incroyable, tu en es certain ?

— Non, c’est une supposition au vu d’un ancien médaillon que j’ai retrouvé de l’époque et qui mentionne une certaine « Addalena de Medicis ». En faisant quelques recherches, j’ai découvert qu’elle avait été mariée à un comte quelconque… Mais c’est aussi le nom qui figure sur les registres de maîtres d’arts concernant la commande de la maison. Addalena a fait bâtir cet endroit et l’a offert en cadeau à un « Vicente Principe », alors âgé de plus d’une trentaine d’années. C’est là que j’ai retracé le nom de Vicente, mais aucun registre n’explique d’où il vient. Il a été élevé chez les moines, avant de devenir un simple condottiere, j’ai supposé que le nom de « Principe » est le nom probablement donné par sa mère au moment de le remettre à l’Église… Une sorte de clin d’œil discret, sans doute.

— Alors comment tu as pu faire le lien entre ça et la famille Borgia ?

— Le portrait. J’ai détaché la toile, une fois de son cadre. À la recherche d’une signature de peintre, pour comprendre qui l’avait fait, qui était sur la toile. Et il y avait toutes les informations nécessaires. »

Severus héla le serveur et demanda cette fois deux marsalas avec quelque chose dedans. Il attendit que le jeune homme revienne avec une assiette de légumes confits à tartiner pour accompagner le tout.

« Je t’ai pris un marsala à l’œuf, l’amande risque de te surprendre un peu, autant y aller en douceur.

— Oui, tu sais que je préfère… mais ne détourne pas le sujet. Qu’est-ce qu’il y avait au dos de la peinture ?!

— Un mot doux. En italien, évidemment. En vieil italien, même. Un mot adressé à une certaine « tigresse », signé par un « valentin ». C’était plus exactement « Ainsi, ma tigresse aura toujours son Valentinois auprès d’elle. » ».

Voyant que Jane ne comprenait pas, Severus ajouta en lui souriant légèrement.

« Cesare Borgia était surnommé « Il Valentino » depuis qu’il fut nommé Duc de Valentinois. Quant à la tigresse… Il s’agit de Catherina Sforza, surnommée « La Tigresse », suite à un siège qu’elle a tenu grâce à sa pugnacité et son intelligence… Mais Cesare le conquérant prit Imola, Forli, puis Ravaldino… je suppose qu’il l’a prise elle, ensuite… ?

— Charmant. Une prise de guerre romancée par un fou de pouvoir.

— C’est possible. Elle a été emprisonnée des années, ça a pu se produire là, ou plus tard. Elle peut aussi avoir décidé de le séduire pour s’en sortir… ou avoir réellement eu une idylle avec lui. Impossible à dire. Elle lui a, en tout cas, fait grande impression pour qu’elle ait le seul portrait ressemblant de Cesare Borgia. »

Il mordit dans un antipasti, tandis que Jane regardait le soleil disparaître derrière les bâtiments. Elle se racla la gorge et remua sur sa chaise. Severus arqua un sourcil, amusé :

« Tu as encore des questions ?

— Tu plaisantes ? Évidemment ! Mais j’étais intriguée par cette histoire de portraits, qu’est-ce que tu veux dire par « le seul portrait ressemblant » ?

— Demande à Google. » Lui répondit Severus avec une certaine délectation.

C’était une de ses phrases préférées depuis qu’il avait un jour entendu deux ados dire ça à un troisième en France. Et il rendait Jane totalement folle avec. Mais, à sa grande déception, elle sortit son smartphone et pianota dessus. Après quelques minutes où elle alternait la contemplation de l’écran et une observation minutieuse de ses traits, elle referma le cuir de protection et hocha la tête :

« D’accord, effectivement, aucune ne lui ressemble. Mais justement, qu’est-ce qui te fait dire que ce n’est pas un faux ou…

— Tu te souviens à un moment que je ne suis pas juste humain, Jane… ? »

Elle rougit de plus belle devant ça et acquiesça. Il leva les yeux au ciel :

« Je parlais de…

— J’avais compris, c’est toi qui es trop orgueilleux. Je me sentais bête de ne pas y avoir pensé. Alors quoi ? Un seul peintre a pu un jour capter son visage ? Pourquoi ?

— Comment me décrirais-tu ?

— … Avec des mots ?

— Très spirituel. Essaie sérieusement.

— Eh bien tu es brun, tu as les yeux noirs… un nez crochu… non, busqué. Non, un peu les deux, en fait. Des lèvres fines, mais sensuelles quand tu veux, cruelles quand tu veux aussi, d’ailleurs. Un teint blanc, parfois cireux quand tu es impassible comme ça. Tu fais peur des fois. Et souvent tu es attirant.

— Suis-je laid ? »

Jane écarquilla les yeux brutalement.

« Encore cette histoire ?! Je t’ai déjà dit que non.

— Mais je ne suis pas beau non plus.

— … Non. Non, tu es charismatique, c’est très différent.

— Demande à ton Google ce qu’Alexandre Dumas disait de Cesare Borgia… »

Jane pianota une nouvelle fois, avant de lire à voix haute en fronçant les sourcils :

« « Quant à son visage, les auteurs même contemporains en ont laissé une description tout à fait diverse ; car les uns l’ont peint comme un monstre de laideur, tandis que les autres vantent, au contraire, sa beauté. » D’accord. C’est pas clair. Mais si je devais te décrire, je ne vanterais pas ta beauté…

— Pourtant tu as du désir pour moi, sourit Severus en coin.

— Oui, et du respect et de l’admiration et… Oh, je vois. Tu veux dire que les gens étaient très influencés par leur propre opinion et que cela se voyait dans les peintures ?

— C’est évident.

— Pourquoi celle-ci aurait été différente, alors ?

— Peut-être parce que cette fois, Borgia voulait apparaître tel qu’il était à Sforza, peut-être qu’il tenait réellement à elle, assez pour qu’il souhaite qu’elle possède une part de lui, tel qu’il était réellement… Peut-être était-ce sa façon de la faire pleinement entrer dans sa vie. De se lier à elle. »

Jane baissa les yeux sur son marsala et le termina avant d’observer, songeuse, la ligne architecturale d’un des musées en face d’elle. Elle sembla réfléchir longuement à cette question, puis sourit lentement.

« Une femme de caractère, eh… ?

— Une femme de caractère. » Répéta Severus d’un air entendu.

 

 


 

 

Explications A la Moldue

 

Le duel entre Harry et Voldemort

Pourquoi Harry laisse Voldemort le posséder ? J’ai décidé de faire rejouer le combat entièrement sur le plan mental, en utilisant ce qu’il s’était passé le soir d’Halloween. Harry et Voldemort retournent à ce moment précis où l’un, comme l’autre, sont morts. Voldemort a été détruit à ce moment, mais a pu survivre parce qu’il avait des horcruxes, Harry aurait dû mourir, mais a été sauvé par sa mère. Harry se laisse détruire par Voldemort. En tant qu’horcruxe, et ce mot « détruire » est très important. Je l’avais employé plus tôt dans les chapitres pour montrer qu’il ne pouvait être tué par Voldemort, seulement détruit en tant qu’objet de secours (pour le tuer, il aurait fallu donc renvoyer un Avada). Là, Harry est ramené à ce soir-là, et à lui de reprendre le cours de sa vie si Voldemort est enfin détruit, ou bien de rester à jamais dans ces limbes mentales (on voit que j’esquisse un Hagrid qui emporte Harry pour le sauver, alors même qu’il est dans les bras de Luna qui l’appelle dans leur réalité).  Quant à Voldemort, il perd sa prise sur Harry en se rendant compte, par leur combat mental, qu’il n’a plus rien. Lui qui était obsédé par l’idée de « rejouer le match » la perdu une seconde fois. Et je lui fais sentir, plus que jamais, le vide de l’amour – notamment maternel. C’est de ce vide dont je parle quand j’explique que même les sortilèges de mort (qu’il reçoit, mais qu’il a lancé tout au long de sa vie aussi, finalement) ne le remplissent pas. En fin de compte, Voldemort perd parce qu’il est resté coincé à ce 31 octobre. Il perd, parce qu’il a déjà été vaincu. Une fois par Harry, et une autre fois par Neville. Sur le plan mental et sur le plan physique.

Je pense que c’est aussi tiré par les cheveux que chez Rowling, mais chez moi ça faisait sens, malgré les imbrications métaphoriques.

Est-ce que Ron va se remettre de son maléfice ?

Oui. Difficilement, mais oui. La honte va l’étreindre, ainsi qu’une énorme confusion intellectuelle. Mais la chose qu’il a le plus à craindre n’est pas tant la santé que la Justice : nous avons vu que Lucius comptait exécuter tous les Mangemorts sans procès…

Lucius Malefoy va-t-il être aveugle ?

Non, seulement borgne. Un beau blond aux cheveux long, avec le physique d’un elfe et un œil en moins. Pour les gens qui connaissent, c’est totalement calqué sur le charadesign de Lor’themar Theron dans World of Warcraft, et ce n’est pas un hasard. Il devient le seigneur régent d’un peuple qui a tout perdu, à commencer par son roi légitime et sa grandeur. C’était ma façon d’entériner le fait que jamais plus la Grande-Bretagne sorcière ne serait pareille… et de faire un clin d’œil à la prochaine grande ff de mon crû.

Draco Malefoy et Blaise Zabini

Nous, nous ne reverrons plus ces deux comparses, et nous venons seulement d’apprendre que Draco serait parti chez les Moldus pour devenir créateur de mode. Comme beaucoup s’en doutait : il est bien le créateur mystère dont on parle, et son aspiration et « centre de labyrinthe » était la possibilité qu’un jour il puisse choisir la vie de ses rêves, et non d’être Mangemort. Draco tient sa promesse à Blaise et en fait son mannequin principal. Ils fuient côté Moldus pour éviter la pression de la guerre, de Lucius devenu Ministre de la Magie… et découvrent une société beaucoup plus ouverte sur la question des relations entre hommes. Ce qui n’est qu’un maëlstrom d’émotions puissantes et interdites pourrait devenir quelque chose de vraiment très fort. Mais c’est une autre histoire 😊

Qu’est-il arrivé à Rémus Lupin ?

Il a cédé à sa part animale et Rémus n’est plus… ou du moins, il n’en reste qu’un veuf qui pense avoir absolument tout perdu. Rémus quitte les Sorciers et devient l’alpha que Greyback voyait en lui. La suite est là aussi laissée ouverte.

Que devient Hermione ?

Comme c’est sous-entendu, elle se lance dans la course politique et journalistique contre Lucius et son gouvernement autoritaire. Tout part de la bataille pour Ron, pour faire reconnaître le fait qu’il était sous Imperium – comme le prétendait d’ailleurs Lucius pour la première guerre – et lui éviter le baiser du détraqueur. Je ne dis pas si elle réussit ou non, j’aime vous laisser avec des « hooks » de fanfiction possible (incepfiction). Elle terminera néanmoins ses études après une première année à se battre, comprenant que pour changer le monde, il faut, hélas, adhérer à certaines règles.

Que deviennent Harry et Luna ?

Suivant l’exemple de Jane et Severus, ils décident de partir en vacances, mais se rendent compte en chemin qu’ils ont un appétit féroce pour l’aventure et l’exploration. Harry apprécie tout particulièrement de pouvoir échapper à sa célébrité, et Luna de pouvoir prouver certaines théories de son père… et faire des découvertes plus extraordinaires encore.

 

 

Remerciements :

Voilà, cette aventure s’achève bel et bien cette fois. Cela a été un véritable plaisir et privilège que de vous raconter cette histoire pendant tant de temps. Cette histoire est née d’un concept que j’ai exploré car j’étais à un croisement de mon existence professionnelle et personnelle, un moment où j’ai envisagé d’arrêter mon métier et l’écriture. Cette histoire m’a portée au-delà de toutes les espérances et m’a tant appris ! Quand je regarde les premiers chapitres, je vous avoue que je n’en suis pas du tout satisfaite, parfois, j’en rougis. Mais je suis en même temps très heureuse du chemin parcouru en matière de style et de narration générale. Et tout cela a été possible parce que vous m’avez lue, soutenue, année après année. Vous avez traversé sans parfois le savoir avec moi mes péripéties personnelles et avez pris part à quelque chose de très intime. Tout comme j’ai pu entrer dans votre vie momentanément avec mes personnages, mon histoire, et mes messages.

Je referme cette parenthèse Harry Potter le cœur un peu lourd. Après tant d’année, me séparer de ces personnages que j’ai appris à connaître et à aimer me fait de la peine, et je sais que je ne pourrai plus jamais revoir la saga ou l’univers de la même manière. ALM est devenue mon canon à moi, de façon tout à fait orgueilleuse, mais je chéris cette impression.

Je vais entamer une longue relecture pour permettre de sortir gratuitement l’histoire en .epub. Je le mettrai sur le Tipeee, en news, et je le partagerai également sur ma page Facebook Achronique. Je vous invite à guetter d’un côté ou de l’autre.

Concernant la version papier, c’est un vrai challenge qui, pour l’instant, semble relever du fantasme. Aucun imprimeur n’accepte le manuscrit sans que je ne le scinde au moins en deux, voire trois parties (nombre initialement prévu dans la narration, d’ailleurs). Mais cela obligerait les gens qui veulent l’obtenir à payer en moyenne 30€ (prix coûtant) le livre… et cela hors coûts de livraison, etc. Autant vous dire que, pour l’heure, cela me semble être un projet qui sera sans doute réalisé à échelle privée.

Enfin, concernant mon avenir en tant qu’auteure et pour répondre à cette question : comme je l’ai dit à certains et certaines, cela sera la seule fanfiction Harry Potter que j’écrirai. J’ai deux projets par ailleurs. Une fanfiction sur l’univers de World of Warcraft. Il s’agira de l’adaptation de la partie de jeu de rôle que nous faisons depuis six ans maintenant. Et le second projet est une histoire originale de mon cru, de l’érotique fantasy dans un monde antique totalement fantasmé et scandaleusement pas historique. Pour suivre les suivre, je vous conseille de zieuter la page Facebook et/ou le Tipeee.

En attendant, et si jamais on ne se revoit pas : prenez soin de vous, et merci. Merci pour tout.

L’Élu

La poussée fit reculer Tonks de quelques mètres. Elle releva son visage masqué en direction de la bête face à elle. Greyback leva sa baguette dans sa direction et lança un nouveau sort en sautant, comme s’il enfonçait une lame, ou un croc acéré, dans son corps. Elle roula rapidement sur le côté, puis amena à elle une chaise de table pour esquiver un autre sort perdu qui allait l’atteindre.

La Grande Salle était un chaos sans nom. Les quelques Mangemorts et loups-garous présents parvenaient tout de même à tenir tête à la Brigade et aux Professeurs qui refusaient de rejoindre Voldemort. Seul Hide se battait contre ses anciens collègues, affrontant le Professeur Miskova en duel. Rémus, rejoint par Sirius, tenait tête à deux jeunes loups enragés. Bientôt, ils furent pris à revers par les Serpentards qui venaient grossir les rangs de Voldemort. Ils durent se mettre dos à dos et tenter de repousser les assauts de toutes parts. Le ciel de la Grande Salle était terriblement orageux, les sortilèges lancés dans toutes les directions excitant la magie qui le maintenant, rendant l’enchantement instable. Sirius dévia un sortilège Impardonnable lancé maladroitement par un vert et argent peu convaincu et lui répondit pas un Expelliarmus brutal. Il écarquilla les yeux quand, au moment de toucher l’enfant, un énorme coup de tonnerre retentit. Une fine pluie commença à tomber du plafond, faisant tomber une à une les torches magiques.

« Rémus ! Le ciel nous tombe sur la tête !! hurla-t-il.

— Tant pis ! cria en retour son ami. Ça puera le chien mouillé ! ATTENTION ! »

Il para pour Sirius un autre assaut, mais, baissant sa garde, un loup lui sauta au visage et s’apprêta à le mordre de ses dents bien humaines. Rémus gronda et un sort bleu l’atteignit, le faisant se relever et crier. Le loup se mit à se gratter dans tous les sens, comme s’il était infesté de vermine. Rémus tourna la tête en direction du lanceur de sort et croisa le regard déterminé de Ginny. En robes rouges, jaunes, bleues et vertes, les élèves étaient venus défendre leur école.

***

Voldemort leva lentement les yeux en direction de Lucius qui regardait le cadavre d’Horace, impassible.

« Je suis très surpris que tu sois resté, Lucius… Serais-tu là pour me supplier d’épargner ton fils ? »

Le blond déglutit lentement, se rendant compte qu’il n’avait pu cacher ses émotions au Seigneur des Ténèbres. Abernathy ricana :

« Quel faible ! Si fier d’ordinaire et le voilà à ramper, comme tous les autres… Et pour quoi ? Pour un chiard qui n’a même pas eu l’intelligence et le courage de rejoindre nos rangs !

— Allons, allons, calma Voldemort en souriant méchamment. Ne te moque pas, Joseph. Il semblerait seulement que notre ami ici présent soit victime du même mal qui les touche tous… l’amour. L’amour… la prétendue puissance absolue de Dumbledore. Et regarde, Lucius. Regarde combien sont morts au nom de l’amour. Ta chère épouse, morte pour sauver votre fils. Et toi… ? Bientôt mort pour sauver également cet imbécile inutile. A-t-il lui-même quelqu’un à protéger ? Je serai ravi de le voir, lui aussi, se sacrifier.

— Vous… Vous ne m’enlèverez plus personne, bredouilla Lucius en tentant de relever le menton.

— Non ? Non, sans doute pas. Sans doute vais-je juste te tuer et tuer ensuite ton fils. Puis j’effacerai le nom des Malefoy des mémoires et toute ta lignée s’éteindra.

— Ouais ! Ta lignée de petits bourgeois Sang-Purs n’existera plus ! renchérit Abernathy avec un plaisir indicible.

— Tout comme celle des Serpentard n’existera bientôt plus, répliqua Voldemort avec une diction anormalement rapide. »

Abernathy et Malefoy le fixèrent d’un air incrédule, avant que le Mage Noir lui-même ne croasse de surprise et s’exclame :

« Je t’interdis de faire ça !!! »

Il se retourna et sembla scruter partout autour de lui, les deux Mangemorts incapables de comprendre ce qu’il se passait. Lucius coula un regard paniqué en direction de la porte encore entrouverte et hésita un bref moment. Voldemort haussa les épaules et ricana :

« Faire quoi ? rit-il. J’y prends beaucoup de plaisir ! » « Silence ! Sors de ma tête ! » Se reprit-il, alternant entre les postures au plus grand effarement de son public. « C’est toi qui es entré le premier. C’est toi qui as voulu ça, Tom. C’est de ta faute… » Voldemort tourna une nouvelle fois sur lui-même, comme jouant un dialogue à lui seul.  « JE TE DÉTRUIRAI ! JE VAIS T’ABSORBER. PRENDRE TON CORPS ET RENAÎTRE COMME JE L’AI TOUJOURS FAIT !

— M-Maître… ? demanda Abernathy, craintif.

— Viens me chercher » Répondit encore une fois Voldemort avec ce sourire qui ne lui ressemblait pas.

Et sans un seul mot, alors même que les deux autres sorciers l’observaient, interdits, Voldemort s’élança directement dans les couloirs, laissant pourtant sain et sauf le disciple qu’il était venu châtier. Lucius jeta un bref coup d’œil en biais à Abernathy qui semblait encore sous le choc de l’attitude de leur Maître. Le blond tira lentement sa baguette et se tourna vers lui, articulant distinctement :

« Alors… ? Ma lignée de petits bourgeois va s’éteindre ? »

***

Le serpent siffla rageusement dans sa direction et Severus inspira profondément. Il avait toujours viscéralement haï cette créature qu’il trouvait anormalement intelligente et puissante. Savoir à présent ce qu’elle était fit monter d’un cran encore son angoisse. Il recula prudemment, descendant les marches avec lenteur, une main derrière lui pour pousser Jane à en faire de même. Un bref moment, il eut envie de la maudire d’être présente, le simple fait d’être obligé de penser à sa sécurité la rendait dangereuse pour lui. La langue de Nagini goûta l’air dans une autre direction que la sienne, et Severus comprit à l’expression du reptile qu’il avait perçu l’odeur de Jane.

Face à eux, Thorfinn et Travers descendaient les marches avec la même lenteur, bien décidés à honorer l’ordre du Maître. Thorfinn plissa des yeux et sourit méchamment :

« Le tranchant de tes paroles est terriblement émoussé par ta peur, Snape. Tu recules devant cette bête, ou bien est-ce devant nous ? »

La trogne de Travers se tordit de plaisir et il leva sa baguette, ajoutant de son timbre rocailleux :

« Nous allons enfin savoir si l’espion du Maître méritait tant son indulgence.

— Bellatrix a eu la même prétention. » Répondit Severus prudemment, continuant de les faire descendre, le serpent avec. Il les amena jusque dans un couloir adjacent. Un couloir faiblement éclairé et bordé d’armures dont les casques étaient tournés vers la scène.

« Et nous avons tranché la question. » Ajouta-t-il d’un air entendu.

Thorfinn cracha, ses yeux bleus de dieu nordique lançant de terribles éclairs :

« Votre créature s’en est mêlée ! Celle chez qui tu t’es réfugié comme le lâche que tu es dit-on !

— Le repaire du serpent, le trou vers lequel il rampe au moindre danger. » Ajouta Travers.

À ces mots, Nagini siffla une nouvelle fois de rage en direction de Jane, toujours dissimulée sous la cape. La jeune femme retint son souffle, reculant une nouvelle fois, jusqu’à avoir le dos collé à un mur, la main serrée sur le sac sans fond.

« Mais pour faire sortir le serpent de son trou, il suffit de le détruire, reprit Thorfinn lentement. Hominum Revelio. »

 

***

« Non… tu n’as pas pu… » Hermione bredouilla, incapable de se résoudre à comprendre ce mystère-là.

Draco secoua la tête et cracha, venimeux :

« Alors c’est ça le meilleur ami de Harry Potter ?! Un traître ?! »

Ron esquissa un sourire pervers et leva sa baguette dans leur direction.

« Cette fois-ci, Malefoy, dit-il. Je ne cracherai aucune limace. »

Ron lança un sort rouge vif dans sa direction et Draco roula à terre pour l’éviter. Le grand arbre craqua sombrement, une plaie béante le scindant en deux alors que son écorce pourrissait à vue d’œil. Hermione hurla de colère et de terreur :

« RON ! REPRENDS-TOI ! REGARDE CE QUE TU ES EN TRAIN DE FAIRE !!

— WEASLEY EST NOTRE ROI ! chantèrent les autres Serpentards en se lançant dans la bataille.

— DISPERSEZ-VOUS ! ON NE VA JAMAIS POUVOIR LES AFFRONTER ICI » Ordonna Neville.

Les jardins étaient un lieu trop exigu. Neville, Luna, Draco, Hermione et Zabini tenaient en respect Ron et une poignée de Serpentards qui n’avaient pas encore franchi le péristyle. Il n’y avait que deux sorties possibles et leurs ennemis les tenaient. La seule solution était d’utiliser le décor à leur avantage. Luna bondit, immédiatement poursuivie par trois aux élèves verts et argent. Neville eut à peine le temps d’esquiver un sort grâce à une colonne que Nott continuait dans sa direction. Zabini jeta un regard à Draco, aux prises avec Ron et hésita un bref moment.

« TU L’AS ENTENDU ? hurla le blond. BARRE-TOI, JE ME CHARGE DE L’AUTRE PAUVRE !

— Draco, est-ce que tu…

— CE N’EST PAS LE MOMENT, BLAISE !

— C’est mignon, susurra Ron. Tu agis exactement comme lui : à penser que tes amis sont des faibles que tu dois protéger, que tu es le seul à pouvoir te battre… Enfin, si tu sais seulement ce qu’est un ami.

— Ron. » Essaya une nouvelle fois Hermione en se contentant de parer les attaques qu’elle recevait sans trop de difficulté. « Ça ne te ressemble pas, qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— Voldemort lui est arrivé ! cria Neville en lançant un sort de ligotage à Nott. VOILÀ ! ajouta-t-il d’un air entendu à Draco. Voilà ce qu’ils font aux gens… Ils…

— Concentre-toi, Londubat. Laisse-moi régler ça !

— Non, Malefoy, tu ne vas pas…

— Hermione, coupa Ron. Laisse-le penser que ce lâche a une seule chance face à moi. Alors ? Toi qui fuyais ton premier duel. Toi qui as peur d’une petite ombre dans la forêt. Toi qui couines face à un Hypogriffe ? Alors, Malefoy ? Montre-moi un peu comment tu te bats, quand tu n’as plus ton papa ou tes gorilles pour te sauver…

— Je suis là, Weasley. Et il n’y aura pas Potter pour te protéger non plus…

— Malefoy, tais-toi, cria Hermione en fronçant les sourcils face à Ron. Quelque chose ne va pas, il… »

Elle ne put terminer sa phrase, une jeune Serpentard lui lança un maléfice qu’elle dût esquiver en quittant les jardins. Draco para une nouvelle attaque de son côté et observa Ron méchamment :

« J’avais pourtant dit à Potter de mieux choisir ses amis… »

Ron beugla en retour, piqué au vif et ses yeux s’exorbitèrent brutalement alors qu’il bondit en direction de Malefoy, sa main argentée en avant comme pour se saisir de lui. Draco hoqueta de surprise et fit un pas en arrière, mais, déjà, la poigne de son vieil ennemi se referma sur son cou et ils basculèrent dans l’herbe. Draco se jeta sur le côté, essayant de rouler pour tenter de reprendre le dessus, mais la prise du roux était trop puissante. Il piqua la main de la pointe de sa baguette et ne vit que des lignes magiques courir le long du métal luisant. Suffocant, il trépignait des pieds et des jambes, cherchant à se libérer. Ron se pencha sur lui et l’obligea à le regarder droit dans les yeux. Draco les écarquilla soudain en voyant la prunelle voilée par la magie.

« Grrr-Grrr-Grrranger… ! » Tenta-t-il.

Les yeux de Ron lancèrent de terribles éclairs à cette simple évocation et il éructa, alors :

« Je t’interdis ! Je t’interdis de me la prendre ! Elle est mienne, il me l’a promise ! »

***

Abernathy avait immédiatement sauté de l’autre côté du bureau de Slughorn, utilisant le cadavre du pauvre homme comme d’un bouclier lorsque Lucius avait lancé l’Impardonnable. Il répliqua immédiatement par le sortilège de Doloris qu’il s’était employé à maîtriser ces derniers jours. Lucius plongea en direction d’une bibliothèque pour esquiver et le sort toucha les innombrables bibelots qu’avait entassés Dumbledore. Certains se mirent à siffler et à faire de la fumée et d’autres explosèrent bruyamment, plongeant la pièce dans une sorte de pénombre magique. Il se releva, profitant de se chaos pour lancer un sortilège en direction d’Abernathy. Mais le rire satisfait du Mangemort lui parvint à l’oreille. Contre lui, il sentit la pointe de la baguette de Joseph s’enfoncer dans ses côtes et une cuisante douleur le força à tomber à genoux. Joseph agrippa ses cheveux blonds dans sa main et releva son visage vers lui, baissant sa baguette dans sa direction.

« Je vais commencer par te dépouiller de ta vanité. » Murmura-t-il avec un sourire sadique.

Lucius sentit la magie d’Abernathy lui brûler lentement les yeux. Le Mangemort avançait inexorablement sa baguette en direction de sa rétine et le blond voyait la pointe scintiller. Il se débattit brutalement, la douleur du sortilège qui lui lacérait le dos lui faisant comprendre qu’il était enchaîné par des liens magiques très puissants.

« Te voilà à genoux devant un gueux, l’aristo. Te voilà aveuglé de mon pouvoir ! »

La pointe de la baguette effleura la rétine et une douleur sans nom lui vrilla le crâne. Lucius eut l’impression que sa tête s’enflammait et que ses deux yeux fondaient sous le sortilège. De grosses larmes se mirent à couler, tentant de noyer ce terrible incendie. Son œil valide peinait à lui montrer la face extatique d’Abernathy, occupé à satisfaire ses désirs longuement refoulés. Il allait mourir lui aussi. Il allait mourir, et tout ça n’aurait alors servi à rien. Lucius sentit la baguette s’enfoncer lentement, son œil se liquéfier comme une bougie, une douleur absolument atroce lui donna le tournis, et il se perdit un bref instant dans la béate contemplation d’une image qui s’imposa à lui. Celle de sa femme, resplendissante, vêtue de sa plus belle tenue et le félicitant. Était-ce quand il était devenu Ministre ? Était-ce à leur mariage ? Cette image n’aurait-elle pas dû être celle de sa victoire éclatante en tant que Ministre de la Magie ? Elle remua des lèvres. Que disait-elle ?

« Tu ne sais rien du pouvoir. » S’entendit-il répondre de façon inaudible.

Abernathy sourit de plus belle.

« Que dis-tu ? Tes cris couvrent tes suppliques. »

Lucius sentit son ventre se contracter, sa gorge le brûler et l’image de Narcissa s’effaça soudain, l’obligeant à revenir dans la réalité. Celle où ses cordes vocales vibraient furieusement pour expier la douleur. Avait-il seulement pu répondre quelque chose ? La sensation froide et douce d’une main se referma sur la sienne, et Lucius serra fort sa baguette qui ne trembla soudain plus.

« Tu. Ne. Sais. Rien. Du. Pouvoir. » Répéta-t-il d’une voix brisée.

Il retourna sa baguette sur son ennemi, elle brilla un bref moment d’une lueur écarlate intense, puis s’enfonça brutalement dans le corps de Joseph qui écarquilla les yeux. Il brisa le sortilège, libérant enfin Lucius qui se redressa difficilement. Joseph observa, choqué, l’instrument fiché dans sa poitrine. Le blond étendit le bras et écarta lentement les doigts dans sa direction, la baguette progressa d’autant plus, transperçant la chair, les muscles et les os comme une lame chauffée à blanc.

« Tu n’as fait qu’effleurer ce sortilège. » Siffla-t-il difficilement.

Comme pour lui donner raison, Abernathy se mit à hurler alors qu’il prenait conscience de ce qui était en train de se passer. Une incroyable brûlure magique s’empara de lui, prenant sa source dans la baguette qui déversait son poison avec vigueur. Sa propre magie se mit à frémir, comme bouillonnant sous le feu mortel. Lucius s’approcha lentement, fixant avec mépris le Mangemort de son œil valide.

« Tu es de basse extraction, rappela Lucius d’un ton glacial. Et ton pouvoir s’en ressent. »

Joseph éructa, voulu lever sa baguette, mais le sortilège l’en empêcha, le moindre appel à sa propre magie sembla aggraver le phénomène. Ses veines s’enflammèrent, ses muscles se tendirent horriblement et sa tête, par Morgane ! Il avait l’impression d’entendre les sortilèges se bousculer aux portes de son crâne, la magie supplier d’être libérée.

« Je… je ne me courberai jamais plus devant quelqu’un… de ton espèce. » Cracha-t-il, se mordant pratiquement la langue de douleur.

Lucius retourna sa main, paume vers le haut, tirant un terrible haut-le-cœur à Abernathy dont les yeux étaient à présent révulsés. Il inspira lentement, la fatigue du sort le prenant :

« Si, tu le feras. Une dernière fois. »

Il referma brutalement la main et le corps d’Abernathy s’arcbouta, la colonne vertébrale craquant terriblement alors qu’il la pliait sur elle-même. Le Mangemort poussa un terrible hurlement d’agonie, la baguette le transperça de part en part, et son corps retomba, atrocement recourbé.

***

Voldemort glissait le long des marches, humant l’air et cherchant de son esprit la présence de Potter. Aveugle à ce qu’il l’entourait, le mage se laissait guider par la magie, cherchant sa proie au plus profond de son âme. Il l’attendait, quelque part. Il était dans l’école, il en était certain. Où était-il ? Un bref instant, il le sentit à l’étage qui renfermait la salle sur demande et il paniqua. Le rire d’un enfant lui parvint et il entendit résonner dans son esprit un « Oui. » Il éructa de rage. Combien lui en restait-il ?!

***

Le sort atteignit le jeune loup en pleine poitrine et toute la fougue d’une nouvelle morsure ne put l’aider à s’en remettre. Rémus hocha la tête gravement, tandis que de grandes zébrures argentées s’enfonçaient à présent dans la chair du malheureux, le loup hurla de panique et se mit à convulser, le poison de l’argent se répandant dans son corps. Sirius écarquilla les yeux :

« Comment tu connais ça ?!

— Je sais comment tuer quelqu’un de ma race, mon ami, répondit gravement Lupin. »

Black voulu répondre quelque chose, mais il fut stoppé net par l’assaut d’un autre Mangemort. Il se détourna de Lupin qui chercha instinctivement du regard sa femme. Tonks venait d’abattre un autre assaillant, et Greyback la chargeait à présent frontalement. Sa puissante carrure s’arqua pour bondir en avant. Lupin gronda et en fit de même. Mais lorsque son bourreau atteignit son épouse, il fut arrêté par le corps projeté d’un brigadier qui venait d’essuyer un cuisant revers. Le corps mort retomba lourdement sur lui et le fit basculer en arrière. Légèrement sonné, Rémus cligna de nombreuses fois les yeux, le bras du brigadier lui barrant à moitié la vue. Par-dessus l’étoffe, il vit des traits verts et argentés fondre sur le lycanthrope. Sa femme connaissait elle aussi ce sortilège et n’hésitait pas à s’en servir. Rémus repoussa le bras qui se rigidifiait et il vit Greyback bondir de côté sur une chaise pour s’agripper à une tenture comme un animal, avant de reprendre appui sur le mur et de fondre sur Tonks qui écarquilla les yeux de surprise. Elle n’avait jamais combattu de loups-garous, n’avait jamais vraiment compris à quel danger elle s’exposait avec Lupin. Rémus cria son nom, tandis qu’elle leva le bras pour se protéger. Elle cria de douleur à son tour, et sa manche déchirée révéla une lacération profonde. Greyback jappa plus qu’il ne rit, se redressant lentement.

« Le vieux guerrier ne t’avait pas tout enseigné… Je l’ai réduit en pièces, j’en ferai de même avec toi, délicieuse sorcière !

— Ne me sous-estime pas ! » Cria-t-elle en retour en se relevant.

Tonks tourna sur elle-même, sa baguette dressée vers le ciel magique, décrivant une série d’arabesques complexes. Momentanément intrigué, Greyback leva les yeux en l’air, grimaçant en cherchant à humer. Ses poils se dressaient sur sa nuque et ses avant-bras, sa magie sorcière comme son instinct animal frémirent, d’épais nuages apparurent et se rassemblèrent dans tonnerre violent. De gigantesques éclairs zébrèrent le plafond de Poudlard, les voûtes tremblèrent derrière l’enchantement et de la poussière tomba lentement, alors qu’un vent furieux se levait. Les nuages s’enroulèrent sur eux-mêmes, prirent une sorte d’inspiration, avant de retomber en trombe, suivant le geste de la baguette de Tonks. Greyback écarquilla les yeux, incapable de comprendre ce qui allait se passer. Rémus ouvrit la bouche, impressionné, et la tornade avala le loup dans un vacarme et un éclair terribles. La vue aiguisée par la malédiction, Lupin distingua dans les volutes de nuages et les scintillements de l’orage le corps de celui qui lui avait volé sa vie, secoué d’électrochocs. Concentrée, Tonks tenait le sortilège d’une main, refermant les doigts comme pour enserrer sa proie entre sa paume et sa baguette. De la sueur perlait sur son front et elle sentait l’électricité faire chauffer à blanc son sang à mesure que sa magie s’enflammait. Elle poussa violemment, projetant la tornade au fond de la Grande Salle, et le corps de Greyback alla s’écraser contre le grand siège directorial, à un bon mètre d’elle. Le tonnerre gronda une nouvelle fois et les nuages se dissipèrent lentement, tandis qu’elle levait peu à peu le sort, s’autorisant à respirer. Tonks avança prudemment, les yeux rivés sur l’énorme dos du Mangemort qui gisait sur le flanc. Rémus sourit légèrement et tourna les yeux en direction de Sirius qui prenait lui aussi l’avantage sur son assaillant. Les Mangemorts étaient en sous-nombre, Voldemort avait péché par orgueil. Lucius Malefoy et Albus Dumbledore avaient créé la plus formidable armée que le monde sorcier avait connu depuis longtemps. Rémus cligna des yeux quand il sentit son cœur se contracter brutalement. Il se retourna d’un geste brusque, mû par un instinct impérieux et sauvage.

« TONKS ! » Hurla-t-il.

Elle se retourna, interloquée par son ton. Et Rémus blêmit, hurlant à nouveau son nom quand le dos du Mangemort s’anima, que la masse se souleva, et qu’elle perçut, bien trop tard, le danger. Elle pivota, levant sa baguette avec une lenteur qui paraissait insoutenable. La peau noircie par le feu de l’orage, le visage entièrement brûlé, Greyback l’observait de ses yeux rendus jaunes par la rage animale, il montra les crocs, grognant. Rémus hurla une nouvelle fois, courant à toutes jambes, trébuchant contre un cadavre, bondissant sur une table, se mettant à courir à quatre pattes. Le Mangemort darda son regard vers lui un bref instant, exactement comme il l’avait fait la nuit où il l’avait réveillé dans son lit. La nuit, juste avant de le mordre. Rémus accéléra, cette salle lui parut plus grande qu’elle ne l’avait jamais été et lorsqu’il bondit en avant, il entendit le hurlement atroce de Tonks. Il la vit se tordre de douleur alors que l’homme enfonçait profondément ses canines dans son cou, déchiquetant sa chair, arrachant d’une morsure humaine et pourtant précise, sa carotide. Un puissant flot de sang jaillit brusquement, baignant le visage satisfait du loup. Et pour la première fois de son existence, Rémus ne repoussa pas la créature qui déchira son âme pour sortir, réclamant vengeance.

***

Travers fixa Jane. La jeune femme, glissée sous la cape d’invisibilité comprit alors qu’elle avait été découverte. Elle jeta un bref coup d’œil à Severus dont le regard était devenu aussi noir que lors de cette fameuse nuit dans la forêt. Elle se maudit.

Thorfinn leva la baguette en voyant l’expression de l’ancien espion et Travers jeta immédiatement un sortilège. Un trait vert fusa dans la direction de Jane et elle vit Severus s’ébrouer au ralenti. Jane donna un grand coup dans l’armure à côté d’elle pour la projeter en avant et attrapa la main de Severus pour le tirer à elle. Il bascula en arrière, le serpent siffla de colère et Thorfinn jeta à son tour un nouveau sort. L’armure couina et retomba au sol, Snape se releva comme dans un film en image par image, donna un coup de baguette et tendit la main loin derrière pour obliger Jane à reculer. Cette dernière fouilla dans le sac, cherchant quelque chose pour les aider. Nagini se dressa sur sa queue et ouvrit grand la gueule avant de menacer, ou de donner des ordres que les Mangemorts semblèrent instinctivement comprendre. Thorfinn se jeta sur Snape et s’engagea alors un terrible combat entre eux deux. Jane fourra pêle-mêle la cape dans le sac, consciente que Travers la verrait quoi qu’il advienne, elle se redressa sur ses jambes et se mit à courir. Le Mangemort éclata de rire et s’élança à sa poursuite. Le cœur de la jeune femme s’emballa, à se voir errer dans un couloir, la mort aux trousses. Cette fois, et elle le comprit, Severus n’arriverait jamais à temps.

Travers était un bon combattant qui tenait tête à l’homme en noir tant bien que mal. Quand un sort de découpe atteignit Severus à l’épaule et l’obligeât à reprendre son souffle, il triompha :

« Alors c’est ça l’atout secret de notre Maître ? Ou bien t’es-tu considérablement affaibli au contact de cette engeance ? Peut-être que c’est Travers qui va avoir plus de difficultés, en fin de compte… ? Peut-être que sa vivacité d’animal traqué la sauvera ? Qui sait ? »

Il se mit à rire et s’avança lentement.

« Ah ah, toi tu sais… N’est-ce pas Severus ? Vous avez assez chassé ensemble lui et toi. Tu sais ce qu’il lui réserve. Tu sais combien de temps son esprit tiendra. Combien de temps avant que son corps ne repose au sol, mort-vivant et vidé de toute volonté. Tu sais ce qu’il fait à ces créatures… »

La main tenant son épaule ensanglantée, Snape gronda et releva la tête. Il planta un regard terrible dans celui de Thorfinn et le Mangemort ouvrit la bouche, anticipant instinctivement la suite.

« Oui. Je le sais. » Répondit Severus en se relevant.

Thorfinn lança le bras, un trait vert fusa dans la direction de Snape qui l’esquiva d’un simple geste.

« Tu l’as dit : nous avons chassé ensemble. »

Il lança un autre, et un autre. Snape s’approchait inexorablement de lui.

« Nous avons torturé ensemble. »

Thorfinn para mal et sa main vola en éclats, tailladée de toutes parts par un Sectumsempra lancé sur son membre directeur.

« Mais ce soir, je te tuerai seul.

— Il va la briser. Il va réduire son corps au monceau de chairs indignes qu’il est, il va la… »

Sa phrase fut avalée par un terrible gargouillis, alors que Snape lui trancha la gorge d’un geste de baguette sec. Le Mangemort tomba au sol et son bourreau se retourna, fondant dans la direction où se trouvait son amie. Il traversa les couloirs, le sang pulsant à ses oreilles, l’adrénaline brûlant ses veines. Cette fois, aucune lune ne pouvait excuser ce qu’il ressentait, le besoin impérieux de détruire ses ennemis. Il beugla de rage lorsqu’il trouva Travers, allongé au sol, les jambes de Jane autour de ses hanches. Il leva sa baguette pour l’annihiler à son tour, mais le Mangemort hurla soudain.

« AAAAH ! Espèce de salope ! »

Il roula, révélant une Jane aux yeux écarquillés, tenant fermement de sa main droite un petit tube de métal. Elle lâcha le spray et se retourna sur elle-même pour plonger la main dans le sac sans fond. Avant même qu’elle ne puisse tirer l’épée du sac, Travers fut transpercé par des lames invisibles et s’effondra au sol dans un flot de sang bouillonnant. Snape se tenait derrière lui, respirant difficilement, incapable pour l’heure de se maîtriser. Jane et Snape s’observèrent un instant dans un silence terrible. Elle avança la main en direction de l’homme en proie à une rage animale qu’elle savait encore prête à exploser. Elle attrapa le bas de sa robe et le tira à lui. Elle plongea son regard dans le sien, l’obligeant à prendre son esprit sur-le-champ à se raccrocher à une pensée humaine. Severus cilla face à son propre reflet. Le sifflement du serpent derrière eux les fit tressaillir, et le regard du Sorcier transmit alors de la peur, une peur que Jane pensait être seule à ressentir.

Nagini bondit, gueule grande ouverte, ses crocs aiguisés et luisants de poison en avant. Severus courba le dos pour protéger la jeune femme, mais la main de Jane le repoussa. Il trébucha brutalement, retombant à la renverse. Jane se redressa d’un bond, tirant d’un coup l’épée du sac. Severus cria. Comme un imbécile enamouré, il cria. Il vit un éclat rougeoyant dans ses mains, et Jane pivota sur elle-même au moment où les crocs se refermaient sur son visage. Severus écarquilla les yeux d’horreur, et le bruit mat de la chair s’effondrant sur le sol se répercuta dans le quasi-silence du couloir. Le corps du serpent continua sa course, décrivant un arc de cercle parfait avant de retomber comme une corde aux pieds de la jeune femme. La tête roula jusqu’à retomber contre le flanc du Sorcier.

***

Il fut stoppé net dans sa course. Sa magie disparaissant soudain comme si elle voulait retourner à l’intérieur de lui, le soutenir. Ses jambes cédèrent. Il gémit, hurla, siffla. Le château tourna autour de lui. Il tenta de se raccrocher à quelque chose. Ses longs doigts griffaient l’air, griffaient des morceaux d’âmes invisibles. Les ténèbres l’engloutissaient lentement. Pris de panique, il projeta son esprit au loin. Très loin. Loin de ce corps mourant qui le trahissait. Loin de cette faiblesse qu’il refusait. Il projeta son âme là où elle serait accueillie.

***

Hermione leva le bras, de grosses larmes dévalant ses joues.

« Arrête ! Arrête, tu ne peux pas continuer ! Tu ne peux pas l’avoir rejoint ! Pas après tout ce que tu as traversé et perdu ! RON ! Pense à Percy qui est mort pour te sauver !!

— Plus. Personne. Ne. Mourra. A. Cause. De. Sa. Guerre. martela-t-il en continuant d’étouffer Malefoy de sa main magique.

— Putain… Granger… !

— Si tu le tues, nous mourrons, je mourrai ! » Ajouta-t-elle d’un ton désespéré.

Son ami tourna la tête dans sa direction, et elle eut le temps de voir son expression. Cela lui déchira le cœur, jamais elle n’avait vu une telle haine et un tel dégoût sur son visage. Draco lui donna un grand coup de genou et roula sur lui-même, échappant à l’étreinte du roux.

« Tu ne peux pas raisonner quelqu’un sous Imperium, Granger ! cria-t-il.

— Je ne le laisserai pas là.

— Viens avec moi, proposa Ron en tendant sa main argentée dans sa direction. »

Hermione ouvrit la bouche et le bout de sa baguette frémit. Autour d’eux, les Serpentards s’étaient dispersés et se battaient Neville et Luna qui les forçaient à quitter les lieux.

« Viens avec moi, répéta Ron. Je te protègerai. Tu vivras et seras reconnue comme des nôtres. Sois mienne et jamais plus tu ne seras traitée de Sang-de-Bourbe. »

L’allusion sembla faire mouche. Hermione jeta un regard douloureux à Draco qui grimaça.

« Qu’est-ce que tu fous ? Granger ?! »

Hermione s’avança en direction de Ron, prit lentement la main et se blottit contre lui.

« Je suis désolée, murmura-t-elle.

— Granger, tu es… »

Mais les Serpentards lancèrent des sorts qui l’empêchèrent de continuer. Il entendit alors la voix d’Hermione murmurer un sort, et il ne comprit que lorsqu’il vit le corps de Ron tomber au sol, les membres raides. Elle pointa ensuite sa baguette en direction du plafond et les colonnes s’effondrèrent derrière eux.

« Je ne peux pas le laisser là ! » Se justifia-t-elle d’une voix qui ne souffrait aucune discussion.

« Ton affection pour lui va nous tuer !

— Tu n’as jamais donc aimé que tu n’aies rien ni personne à protéger ?! » Cracha-t-elle d’une voix stridente.

Draco regarda autour de lui, le mur contre lequel ils étaient, la fenêtre qui donnait sur le jardin et les gravats qui crissaient sous les sorts que lançaient les Serpentard. Il secoua la tête et ouvrit la fenêtre d’un bref coup de baguette.

« Par là ! ordonna-t-il.

— Quoi ?! Mais tu es cinglé !

— ACCIO HYPERION !

— C’est du suicide ! Aucun balai ne peut porter trois corps !

— Alors, débrouille-toi pour que la chute du sien ne soit pas mortelle… »

En moins d’une minute, l’Hypérion sauta dans la main du blond qui jeta un regard courroucé au Gryffondor.

« Mais nous risquons…

— Ou tu me fais confiance, ou tu tentes seule ta chance avec lui. » Lui cria-t-il en lui tendant la main.

Hermione attrapa la main et bondit, levant péniblement sa baguette pour extirper le corps de Ron derrière eux. Tandis qu’il flottait à quelques centimètres du balai, les gravats cédèrent sous les assauts et le balai de Malefoy piqua dangereusement du nez. Hermione s’agrippa fermement au Serpentard en lui hurlant dessus :

« REDRESSE ! TU N’ES PAS HARRY ! REDRESSE BON SANG !

— JE FAIS CE QUE JE PEUX, ESPÈCE DE CHIEUSE ! C’EST TON PETIT AMI QUI EST TROP LOURD !! »

Draco allait ajouter qu’il l’a toujours été quand il gémit en voyant le sol se rapprocher dangereusement, il tira de toutes ses forces sur le manche, sentant le bois craquer, protester sous le geste. Ils étaient trop nombreux, même pour ce superbe objet. Draco sentit nettement la magie du balai pulser sous ses doigts, s’échappant d’un probable fissure.

« Allez, tiens bon, tiens bon ! Redresse, allez !! »

Il se pencha en arrière, tirant plus fort. Hermione manqua de basculer, entourant brusquement sa taille de sa main, tirant de l’autre par la baguette le corps de Ron qui leur tombait inexorablement dessus. Elle se concentra, craignant de ne pas parvenir à arrêter la chute à temps. Le balai céda, une gerbe d’étincelles échappa du bois et brûla légèrement les mains de Draco qui gronda.

« REDRESSE, ALLEZ ! »

Alors qu’il fermait presque les yeux d’anticipation en voyant le sol s’apprêter à les engloutir, il sentit le balai se relever dans un ultime effort, le manche céda entièrement, l’herbe frôla ses pieds, et ils retombèrent brutalement, roulant comme des poupées de chiffon dans un bruit indistinct de craquements et de déchirures diverses. Hermione hurla le prénom de Ron, Draco ferma les yeux, incapable de supporter les couleurs qui valsaient et se mélangeaient autour de lui malgré la nuit. Après quelques secondes, Hermione ouvrit péniblement les yeux, du sang s’écoulant sur son front et son nez, la bouche pleine de terre et commençant à enfler. Dans l’obscurité de la cour de l’école, sous la voûte céleste bordée de nuages, elle perçut une forme se relever lentement et l’éclair léger du métal brossé.

***

Lucius descendit quatre à quatre les marches. Il en rata quelques-unes, manqua de s’effondrer et tomba nez à nez avec une femme brune qui manqua de le percuter dans sa course, une grande épée dans la main. Jane lui jeta un regard mauvais et leva sa lame par réflexe, avant que la voix de son vieil ami ne la stoppe nette :

« SMITH ! Bon sang, Malefoy, que fais-tu ici ?! »

Lucius se releva, incrédule, son œil valide épuisé de ses précédentes épreuves, l’autre se voilant peu à peu derrière une sorte de vitre opaque. Il bredouilla, baguette toujours aussi fermement serrée.

« D-Draco… ?

— Il a ses ordres. Tu es blessé ?

— Aucune importance. Abernathy est mort, où est Draco ? répéta Lucius.

— Neville était après lui, rassura Jane. S’il y a un endroit où se retrouver, ça sera à la Grande Salle. La bataille y fait encore rage. Vous êtes en état ?! ajouta-t-elle en observant son œil d’un regard dubitatif.

— Il l’est, coupa Snape. S’il veut survivre, il va l’être. Descends avec moi. Black et toute ta Brigade y est.

— Potter… ?

— Il fait sa part. Smith, allez à l’infirmerie.

— Quoi ?!

— Je ne veux pas de vous au milieu de loups-garous et de Mangemorts.

— Mais je viens tout juste de… »

Severus lui adressa un regard menaçant. Jane secoua la tête et capitula. Elle allait se retirer, lorsqu’elle hésita un bref moment, faisant un pas dans sa direction. Severus en fit un autre et Lucius les observa douloureusement. Mais ils se fixèrent sans mot dire, incapables de trouver une conclusion appropriée. Elle hocha la tête et tourna les talons, remettant la cape sur elle et disparaissant sous leurs yeux. Severus resta une fraction de seconde à contempler l’endroit où elle se trouvait, en silence. Il se tourna brusquement vers Malefoy et lui demanda :

« Tu peux te battre avec un seul œil ?

— Tu peux te battre avec l’esprit ailleurs ? » Répondit-il du tac au tac.

***

Lorsque l’esprit de Voldemort atteignit celui de Harry, il eut l’impression d’entrer brutalement dans une pièce plongée dans les ténèbres. Il venait de défoncer une porte qui avait volé en éclats et se tenait à présent dans l’embrasure. L’odeur du lys et d’un feu de cheminée lui monta aux narines et il entendit distinctement la voix d’un homme paniquer et une silhouette lui barrer la route.

« Lily, prends Harry et vas-y ! C’est lui ! Vas-y ! Cours ! Je vais le retenir »

Voldemort esquissa un sourire d’anticipation et ricana face à cet étrange souvenir.

« Et ton père ne vous a fait gagner qu’une poignée de secondes… Sa femme est morte cette nuit-là, et son fils… son fils mourra aujourd’hui.

— Non. Car quelques secondes suffiront. »

La silhouette se dévoila, révélant le visage déterminé de James Potter, baguette levée et prête à faire face au plus grand Mage Noir de tous les temps. Voldemort fronça les sourcils, Potter avait-il était si courageux 15 ans auparavant ? Il redressa le bout de sa baguette :

« Avada Kedavra !

— Expelliarmus ! »

Les sorts s’écrasèrent l’un contre l’autre dans une gerbe de couleurs qui éclairèrent l’entrée de la maison de Potter. Voldemort sentit son cœur cogner soudain dans sa poitrine. Il n’était pas dans un souvenir. Ce n’était peut-être pas James Potter.

« Tu ne pourras pas te protéger indéfiniment !

— Quelques secondes suffiront… » Répéta lentement James avec un timbre juvénile.

Voldemort lança un nouveau sort, puis un autre et encore un autre, obligeant l’image écornée de James à reculer en direction des escaliers. L’homme tomba lentement à genoux, épuisé de lutter, il jeta un bref regard en direction de l’étage où se trouvait sa femme et son enfant, quand le sortilège de mort l’atteignit finalement. Il s’effondra comme il l’avait fait 15 ans plus tôt.

Le mage leva sa main gauche et avec un sourire goguenard referma la porte de la maison.

« En effet, quelques secondes m’auront suffi. »

Neville, Luna et Zabini arrivèrent pratiquement en même temps dans le Grand Hall, ils s’apprêtèrent à bifurquer en direction de la Grande Salle quand la silhouette familière de Harry les interpella. Il se tenait là, baguette à la main, au milieu des quatre sabliers. Neville sourit et fit un pas en avant, mais Luna leva le bras qui tenait sa baguette pour l’en empêcher d’un geste impérieux, avant de la pointer en direction de Harry.

« Luna, qu’est-ce que…

— Alors vous avez finalement réussi… » Murmura-t-elle.

Harry leva lentement son visage vers elle et ses yeux vert émeraude étincelèrent de satisfaction derrière ses lunettes. Rouge vif, sa cicatrice semblait prête à s’ouvrir.

« Il est à moi, siffla Harry. Je l’ai fait. Il m’appartient comme tous les autres. »

Neville ouvrit la bouche en comprenant soudain. Zabini le tira par la manche, refusant de prendre part à ce combat. Jane rata la dernière marche et trébucha, retombant sur ses genoux en voyant la scène. Elle jura, se relevant difficilement, la cape ayant glissé sur ses épaules. Harry ne lui accorda aucun regard. Quelques secondes plus tard, Lucius et Severus arrivèrent également, s’arrêtant net face au garçon. Harry releva le menton et leur sourit méchamment :

« Mes fidèles… mes meilleurs éléments… Les plus grands traîtres… Vous mourrez ce soir. Comme les autres. Votre héros n’est plus.

— POTTER ?! hurla Snape en s’avançant.

— Laissez, Professeur, murmura Luna. Il est encore vivant, il ne s’est rien passé. Voldemort a enfilé le mauvais costume. Nous l’en dépouillerons. »

Elle jeta un regard courroucé à son ami, et Harry lui rendit une œillade particulièrement mauvaise :

« Une vraie plaie… toujours à le ramener dans la réalité. Une folle pour aider un fou, n’est-ce pas… ?

— Vous ne comprenez toujours pas, n’est-ce pas… ? répondit Luna calmement.

— Je sais tout ! Je sais ce qu’il est ! Le fait qu’il m’appartienne en est la preuve ! Je vais renaître, RENAÎTRE et le monde acclamera Harry Potter le sauveur ! Et le monde redoutera ensuite Harry Potter le destructeur ! »

***

Jamais Rémus n’avait ressenti une telle chose. Les nuits de pleine lune étaient des moments de pure folie où il perdait l’esprit, où son humanité était remisée dans les tréfonds de son âme, dominée par un instinct animal déchaîné, profondément en colère et assoiffé de liberté et de sang. Un instinct frustré de ne pouvoir sortir qu’une fois par mois. Un instinct qui reprenait le dessus, alors que sa femelle tombait à genoux devant lui, que la pupille de ses yeux dorés se dilata totalement, agrandissant brusquement son champ de vision sur la scène. Il se mit à redoubler d’allure, ses mains agrippant le bois des tables pour se propulser en avant comme un loup. Il poussa puissamment sur ses jambes, alors même que Rémus lâcha irrémédiablement la laisse qu’il tenait depuis des années. Il bondit et fonça droit sur Greyback qui repoussa sa proie de stupéfaction.

Lupin planta ses doigts dans ses épaules, l’attrapant à son tour comme pour le mordre, mais le loup-garou s’arcbouta pour faire une roulade arrière. Il repoussa l’attaque et jappa :

« Tu es de mon sang ! Tu es de ma meute ! Viens te battre ! Tu repousses ce moment depuis trop longtemps ! Viens m’affronter ! Viens disputer le titre d’Alpha ! »

Aveuglé par la rage, Lupin ne répondit que par un grondement terrible et fonça en avant. Il donna un brusque coup de tête dans le ventre du Mangemort qui l’attrapa par les flancs, bloquant ses bras contre lui. Malgré l’attaque de Tonks et ses terribles blessures, il restait un adversaire redoutable et il donna plusieurs coups dans le foie du Maraudeur. Insensible à la douleur, incapable d’ôter de son esprit le hurlement de Tonks. Rémus poussa plus fort encore sur ses jambes et les fit reculer jusqu’à ce que le dos de Fenrir percute un des murs. Le loup-garou se mit à rire, tout en gémissant de douleur, puis abaissa sa gueule sur l’oreille de Rémus qui se débattit avec plus de force. Quand il sentit la chaire lui être arrachée d’un coup de dents, Lupin força de ses bras, jusqu’à entendre le craquement de l’un deux et se libéra de la prise, se recroquevillant sur lui-même, avant de se redresser d’un bond pour asséner un terrible coup sur la mâchoire. La tête de Greyback cogna violemment contre le mur dans un bruit d’écrasement désagréable et les yeux de Lupin s’étrécirent d’excitation à ce simple son.

Il se recula légèrement, observant son bras gauche déboité qu’il remit d’un geste brusque. Cela lui tira un gémissement rauque, avant qu’il ne reporte son attention sur le loup-garou qui gisait à ses pieds. Haletant, Greyback l’observa, hagard, lui murmurant, comme enivré lui-même de la situation :

« La rage, laisse-la… laisse-la t’envahir. Tu n’as pas besoin de la lune pour être un prédateur… Tu es déjà un tueur… Sens… sens l’excitation de la mise à mort… »

Il toussa bruyamment, crachant du sang sur les dalles au sol.

« Tu vas adorer ça. Tu es fait pour ça. Tous mes loups sont choisis pour ça. Tous mes loups sont des chasseurs. »

Lupin abaissa son regard doré sur lui et montra lentement les canines. Il entendit vaguement la voix d’un homme appeler le nom du faible. Il n’écouta pas, repoussant l’âme d’un petit garçon apeuré au loin. Cette fois, c’était lui qui déciderait. Cette fois, c’était l’autre qui serait en cage. Il se pencha et se saisit de sa proie, gueule grande ouverte. Sirius hurla une nouvelle fois le prénom de son ami. En vain.

***

« Ron… Non… »

Hermione voyait la forme s’avancer péniblement vers eux, la main tendue. Elle voulut lancer un sort, mais son bras était cassé. Elle avait tant cherché à le protéger, à lui éviter la chute qu’elle n’avait pu se protéger elle-même. Elle tourna la tête sur le côté, vit Malefoy, le visage contre la terre, ses cheveux blonds ensanglantés. Alors, c’était comme ça qu’ils allaient mourir ? Dans leur école ? Dans cette école qui promettait tant de merveilleuses choses quand elle était petite… ? Hermione ferma les yeux, espérant de toutes ses forces qu’Harry et les autres aient le temps…

« Bon sang, Weasley, qu’est-ce que tu fous ? Stupéfix ! »

Mc Laughlin, flanqué d’une poignée de Serpentards renégats et de quelques Serdaigles venait d’apparaître et tenait encore en joue Ron qui s’était figé.

« Attachez-le. On va faire léviter les deux autres… bon sang… Pomfresh est déjà tellement débordée… ! »

***

Jane observa Harry et l’interpella, l’épée de Gryffondor à la main.

« Tu sais comment ça se finit, Harry ! Tu sais quel destin attend les héros !

— Ah ah ah… la Moldue et ses histoires pour enfants…

— Remettez cette foutue cape et foutez le camp, par Morgane, siffla Snape en lui lançant un regard implorant. »

Jane ne lui en accorda aucun et cria à l’adresse de Neville :

« Prenez ! Le Serpent est mort, allez ! »

L’épée scintilla longuement dans les airs, décrivant une courbe lente, jusqu’à ce que Londubat ne l’attrape d’un geste assuré, dans une posture que seules les tapisseries montrent encore. Harry écarquilla les yeux de stupeur, puis se mit à rire. Un rire d’enfant :

« Quelques secondes… Il suffisait de te retenir quelques secondes. Tu as perdu, Tom. C’est entre toi et moi. »

Luna cligna des yeux et se jeta en avant. Harry voulut lever le bras droit pour lui lancer un sort, mais le gauche l’attrapa et le maintint en arrière, lui tirant un gémissement de douleur.

Dans les ruines imaginaires de la maison des Potter, Voldemort monta quatre à quatre les marches en direction de l’étage. Il fallait tuer coûte que coûte cet enfant. Le détruire une bonne fois pour toutes. Les marches devinrent soudain glissantes, une main attrapa sa cheville. James Potter rampait, yeux morts fixés sur lui, chuchotant « Je vais le retenir… ! »

Dans le Grand Hall, Jane se glissa sous la cape et disparut à nouveau. Lucius bondit en direction de la porte d’où revenait une poignée d’élèves portant trois corps, dont celui qu’il reconnut comme son fils. Snape hésita, et s’élança en direction de la Grande Salle. Chacun fonçant dans une direction, comme dans un film au ralenti, tandis que Luna franchissait les quelques centimètres qui la séparaient de Harry, elle se redressa et posa ses lèvres contre les siennes. Harry ouvrit de grands yeux et hurla. Un hurlement qu’on entendit très loin dans les étages de Poudlard. Un hurlement de rage et de douleur qui s’éteignit presque aussitôt.

Voldemort sentit l’esprit de Harry le repousser. Il sentit le parfum caractéristique du Lys, les suppliques d’une femme résonner à ses oreilles. La maison imaginaire tout entière tremblait des dernières paroles de Lily Potter.

Harry repoussa Luna et se retrouva agenouillé, haletant, tremblant. Il sifflait, du Fourchelangue, parlait. Évoquait de terribles souvenirs, racontait les meilleurs. Il hurla une nouvelle fois et s’arrêta soudain de bouger.

Le Mage Noir eut l’impression de tomber des escaliers, d’être emporté au loin hors des lieux, entendant la porte se claquer brutalement sur lui.

Luna s’approcha de Harry, levant la main pour lui toucher les cheveux, quand il releva soudain le visage vers elle, ses yeux verts emplis de détermination. Il l’attrapa et la repoussa derrière lui, alors qu’une ombre maléfique descendait des escaliers, fondant sur eux comme un cauchemar inévitable. Neville recula, la main fermement tenue sur la garde de la poignée.

De l’ombre jaillit une forme, un être squelettique et inhumain au visage ressemblant terriblement à un crâne de serpent. Voldemort était difforme, méconnaissable, mourant. Il avançait difficilement, presque immatériel, comme coincé entre cette réalité et une autre. L’âme déchirée entre le souvenir de Godric’s Hollow et la réalité de Poudlard.

« Tu… siffla-t-il en Fourchelangue. Tu vas mourir Harry Potter. Il n’y a qu’une prophétie, et Je l’accomplirai.

— Tu l’as déjà fait, sourit Harry. »

Harry abaissa sa baguette, jeta un dernier regard à Luna et hocha brièvement la tête en direction de Neville. Harry murmura :

« Il naîtra de ceux qui l’ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois…

— AVADA KEDAVRA ! »

***

Harry ouvrit les yeux brusquement. De grands barreaux s’élançaient devant ses yeux. Autour de lui, une commode à trois tiroirs longeait le mur, de nombreuses peluches lui adressant des petits signes de la main s’animant doucement dessus. Des cadres photo, des tableaux, de jolies choses montrant un bébé entouré de ses parents, aimé, choyé. L’odeur du lys et de la poudre lui monta immédiatement au nez et il se sentit soudain apaisé. Harry soupira de plaisir, hésitant à se rallonger, rassuré de voir qu’il n’avait fait qu’un cauchemar. Il s’étira dans son petit pyjama « Bébé magique », s’apprêtant à retourner dans les bras de Morphée quand il fronça les sourcils. La petite lumière des histoires était encore allumée. Maman l’éteignait tous les soirs quand elle refermait le livre. Maman… ! Harry se frotta les yeux et se résolut à les baisser. Il trembla soudain de terreur. Son petit corps commençant à se secouer de terribles sanglots. Maman ! Elle gisait aux pieds du lit, les yeux tournés vers lui dans une expression d’angoisse absolue. MAMAN ! Harry se mit à pleurer. Il voulait tellement pouvoir escalader ce fichu lit à barreaux, poser sa petite bouche sur le visage de sa maman, lui faire plein de bisous. Elle se réveillerait s’il faisait plein de bisous, n’est-ce pas ?! Le rire glacial reprit au-dessus de lui, et il leva lentement les yeux. Tout doucement, avec la candeur que seul un enfant peut avoir, il fixa Lord Voldemort. Le mage leva une nouvelle fois la baguette et la pointa dans sa direction. Harry n’avait qu’un an. Mais il comprit pourtant ce qui allait se passer. Il le comprit, avant de l’oublier à jamais.

***

Voldemort se releva, chancelant. Incapable de se rappeler ce qu’il faisait précisément à Poudlard. Quand il avisa le corps inerte de Potter, il leva sa face au ciel et se mit à rire. Un rire dément et satisfait. Il l’avait fait ! Il l’avait finalement fait ! Après quinze années d’errance et d’échec, il avait enfin tué Harry Potter !

Il leva sa baguette et siffla puissamment. Poudlard trembla, les murs projetant son ordre qui se mua en cri de victoire :

« HARRY POTTER EST MORT ! »

Il éclata d’un grand rire, répétant à l’envi « Harry Potter est mort ! » quand une voix l’interrompit :

« Moi, pas. »

Voldemort se retourna lentement, s’attendant à se trouver nez à nez avec son ancien espion. Mais il fixait Neville Londubat qui s’avançait lentement, l’épée à la main. Luna inspira profondément, les yeux rivés sur Harry, remuant des lèvres silencieusement. Voldemort esquissa un rictus dédaigneux avant de répondre :

« Et… qui es-tu ?

— L’autre enfant de la prophétie. »

Neville chargea la pointe de l’épée en avant. Voldemort eut à peine le temps de lancer un sort pour se dégager. Neville le para instinctivement de la lame qui rougeoyait comme jamais. Dans sa main, elle pulsait, s’illuminant doucement et le Gryffondor se laissa guider. Il la leva en l’air et les murs de Poudlard tremblèrent brutalement. Tout autour, les gargouilles et les armures s’animèrent. Tout autour, les statues prirent vie. Voldemort tourna la tête, éberlué, éructant :

« Il suffit ! IL SUFFIT ! JE SUIS LE DERNIER DESCENDANT DES FONDATEURS ! LE DERNIER ! »

Il joua de la baguette, lançant des sorts. Les trognes des gargouilles explosèrent. Les épées des statues se fissurèrent. Les murs tremblèrent derechef. La grande horloge du hall tinta dangereusement, son pendule ballotant de plus en plus vite, avant de se détacher brutalement. Voldemort levant la baguette et lança l’énorme marteau de métal en direction de Neville qui décrivit une arabesque de l’épée. L’air s’épaissit autour de lui alors qu’une grande langue de feu, suivit du grondement du lion fendit le pendule comme une lame chauffée à blanc. Voldemort tituba, incapable d’en croire ses yeux et hurla :

« AVADA KEDAVRA ! »

Neville leva la lame face à lui, présentant le plat sur lequel le sort se refusa de ricocher. La lame l’absorba, et des runes vertes scintillèrent brièvement près de la garde.

« AVADA KEDAVRA ! »

Neville avança lentement dans la même posture, poussant le Seigneur des Ténèbres à reculer. Le forçant à rebrousser chemin face aux escaliers, à repasser l’entrée du hall, à quitter les lieux. Lentement, Voldemort sortit dans la cour, jusqu’à se retrouver sous la voûte étoilée. Lentement, il ployait le genou, son fragment d’âme chancelant devant la puissance qu’il ne pouvait plus maîtriser.

« AVADA KEDAVRA ! »

L’épée gobeline de Gryffondor absorba une nouvelle fois l’Impardonnable qu’aucun bouclier ni sortilège ne pouvait contrer. Voldemort siffla, ses yeux allants et venants autour de lui, se sentant comme un serpent pris au piège dans un terrier. Neville leva la lame devant le Mage Noir, ce dernier s’apprêta à relancer le sort, le souffle lui manquant, sa magie s’échappant de son corps comme sa vie filait, incapable de s’ancrer à nouveau sur cette terre. Il ouvrit de grands yeux, et murmura un « NON ! » désespéré. Son âme tout entière se tendit en direction de cette ultime supplique, ne rencontrant aucun écho, aucune aide. Personne ne criait pour lui, ne suppliait pour lui. L’image de Lily Potter lui revint en mémoire et quelque chose de douloureux s’imprima brutalement dans son cœur. Une profonde blessure se rouvrit. Les runes de la lame scintillèrent à nouveau d’un vert, et un grand éclair la traversa pour s’échapper de la pointe et le frapper en plein cœur. L’écho de la voix du Mage Noir monta en même temps, réminiscence de son précédent sortilège. Un autre éclair fusa, puis un autre. Mais aucun ne put remplir cette plaie béante qu’il avait tant pris soin d’ignorer.

Et Voldemort s’effondra sur le sol, bras en croix, le visage tordu dans une ultime supplique face à la mort.

***

Harry ferma brusquement les yeux, criant comme il le faisait lorsqu’il ne voulait pas dormir. Il cria si fort qu’il dut se mettre les mains sur ses propres oreilles et n’entendit alors plus rien. Lorsqu’il les rouvrit, le Mage Noir avait disparu. Il baissa les yeux vers sa mère et pleura doucement. Le petit garçon tendit une main suppliante à travers les barreaux et ces derniers s’effacèrent comme par enchantement. Il descendit maladroitement de son lit et se blottit contre le corps encore chaud de sa maman. Il enfouit son visage contre sa poitrine, cherchant à respirer son odeur et ferma ses yeux.

Le vrombissement d’une sorte de moto retentit au-dessus de lui, une ombre passa, des mains fermes l’attrapèrent et l’enroulèrent dans une couverture épaisse. Harry cria, il ne voulait pas laisser sa maman là-bas. Mais, déjà, l’ombre l’emmena loin. Loin de tout ça.

***

Luna passa la main sur son visage, fixant la cicatrice avec attention. Elle tenait Harry dans ses bras, assise par terre et semblait attendre. Neville revint, silencieusement, l’épée fermement empoignée. Il s’effondra à côté d’elle.

« C’est terminé, murmura-t-il. C’est enfin terminé.

— Presque… » Répondit-elle en fixant Harry.

Les yeux de leur ami papillonnèrent derrière les paupières et Neville ouvrit la bouche, choqué. Il se redressa, mais Luna secoua la tête négativement. Elle caressa une nouvelle fois la cicatrice qui devenait de plus en plus froide sous ses doigts. Lentement, Harry ouvrit les yeux. Son regard vert s’abîma un instant sur le plafond avant d’arriver à se fixer sur le visage de son amie, comme comprenant soudain où il se trouvait. Il sourit doucement et Luna lui sourit en retour.

« Je n’ai plus à te partager, maintenant » Murmura-t-elle.

Harry tourna la tête et l’enfouit dans ses bras, s’autorisant à pleurer comme le bébé de ses songes en avait eu tant besoin.

***

Lucius hésita un bref instant en regardant Jane lui tendre la potion. Il renifla légèrement, puis s’en saisit et la fit boire à Draco.

« Merci, grommela-t-il.

— De ri… »

La Moldue s’arrêta soudain et releva la tête en l’air. Les Sorciers et les Sorcières en firent de même. Hermione se redressa péniblement dans son lit, incapable de se mouvoir sans souffrir le martyre. Draco gémit piteusement, alors que Ron restait résolument endormi. Jane observa les alentours, l’infirmerie dégueulait de blessés, adultes et enfants dans des états parfois terribles. Quelques pierres s’étaient effondrées et de la poussière ne cessait de tomber. Jusqu’à cet instant. Elle tendit l’oreille et Malefoy fronça les sourcils :

« Vous le sentez, vous aussi ?

— Oui, quelque chose a changé. Poudlard n’est plus la même.

— Mais vous n’êtes même pas…

— Il est mort, le coupa-t-elle. Harry a réussi !

— C’est impossible, le Seigneur des Ténèbres a dit qu’il… HEY ! »

Mais Jane avait bondi, délaissant ses malades pour se précipiter dans le hall, elle tomba nez à nez avec Neville, Luna et Harry qui riaient doucement, encore incrédules d’être en vie. Jane ouvrit la bouche, mais se ravisa et tourna la tête immédiatement en direction de la Grande Salle où elle se précipita.

La pièce était jonchée de débris d’assiettes, de chaises, de tentures déchirées, de peintures arrachées des murs, de bougies fondues et brisées au sol. Quelques corps s’étendaient çà et là, des blessés de tous bords se tordaient au sol. Au loin, elle vit Sirius étreindre Rémus qui pleurait comme un animal blessé au-dessus du corps d’une femme. Elle comprit ce qu’il avait perdu et son cœur s’emballa alors soudain, son ventre se contractant brutalement. Un terrible frisson remonta dans son dos alors que la pièce se mit à tourner autour d’elle. Elle chancela, haletante, le cherchant du regard.

Chaque visage qui se tendait vers elle semblait lui renvoyer toute l’horreur de la bataille qui venait de se dérouler ici. Des élèves au regard à jamais éteint. Des brigadiers écœurés, des professeurs choqués. Un à un, elle scrutait les visages, tentait de reconnaître les postures, les corps. Un à un, elle se tourna dans leur direction, pivotant sur elle-même, à s’en donner la nausée. Son souffle se bloqua dans sa gorge, à mesure qu’elle ne parvenait à le retrouver. Les suppliques d’animal blessé de Rémus lui étaient insupportables, ceux des autres élèves ayant perdu quelqu’un qu’ils aimaient également. Elle gémit, sentant ses jambes se dérober, son monde s’effondrer, sa fin heureuse lui échapper. L’espoir qui l’avait envahi l’instant d’avant se brisa sur lui-même, l’entraînant dans un gouffre d’une tristesse qu’elle aurait tout donné pour ne pas ressentir. Quand un bras l’arrêta soudain.

Un bras auquel elle s’accrocha par réflexe, comme pour ces fichus port-au-loin. Un bras tremblant de fatigue, mais à la prise ferme et déterminée. Les couleurs se figèrent enfin, et elle put retrouver pied. Son regard se planta dans le sien, et Jane avala une grande bouffée d’air. Severus l’attira brusquement à lui et elle l’embrassa. Et par Merlin, quel baiser ! Il l’entoura totalement de ses bras, glissant sa main dans ses cheveux, nouant ses doigts, l’agrippant avec force, planquant son corps de l’autre main pour se fondre en elle, la sentir vivante, se sentir vivant. Il la dévora, sa langue sur la sienne, leurs lèvres scellées, aucune raison de s’arrêter, plus aucun maître à contenter. Il la dévora, répondant avec la même avidité, la même reconnaissance, la même passion. Le même amour.

Un petit rire familier s’éleva, suivit d’une voix étouffée par un pan de peinture déchirée. Une peinture jetée au sol et montrant une paire d’yeux d’un bleu pétillant qui observait la scène d’un regard tendre.

« J’avais donc raison Severus… Ce n’était pas la peine d’en faire toute une histoire… »

FIN.

Collision

« Mon Amour,

Tu es certainement venu t’isoler dans ton bureau après ce que je viens de te révéler, et tu auras besoin de réfléchir longuement aux raisons qui m’ont poussée à trahir ta confiance. Mais tu les comprendras, je sais que tu peux les comprendre, Lucius.

Au moment où tu lis ces lignes, je suis en train de nous faire couler un bain à tous les deux, que tu rejoindras quand tu seras prêt à laisser cette décision derrière nous et l’espoir pour notre fils être notre seul objectif. Car il ne s’agit que de Draco, et uniquement de Draco.

Quant à l’espoir, aussi mince soit-il, il existe et porte le nom de Harry Potter… peut-être oserais-je te dire qu’il porte aussi celui de Severus Snape. Oui, mon Aimé… ton petit protégé malingre et chétif sera sans doute celui qui nous aidera à sauver notre enfant, comme nous l’avions sauvé, lui, lorsqu’il l’était encore. Espérons, car c’est, avec notre amour, tout ce qu’il nous reste, que Potter ait le temps d’accomplir la prophétie.

Espérons, mon Amour, espérons que nos deux trahisons permettent de sauver notre unique fils.

Je t’attends,

Narcissa. »

Une goutte tomba sur le prénom et noya l’encre qui s’étala lentement sur le vélin. Lucius caressa la signature de son pouce et gémit piteusement. Il plia la lettre et la fourra dans la poche intérieure de son veston, puis ouvrit son tiroir secret où il était venu chercher une petite gemme noire. Il ressortit le cœur lourd, retournant dans le cabinet de sa femme, sans oser lever les yeux vers son cadavre et jeta la gemme sur le corps. Un éclat sombre entoura les restes, avant qu’un beau cercueil de verre facetté ne trône à la place. Lucius fit courir sa baguette le long d’une face, lui faisant prendre un aspect quasi opaque. À présent, seule la silhouette de son épouse était visible, protégée à jamais par cet écrin magique. Il agita une dernière fois la baguette et une gigantesque langue de feu s’échappa de la cheminée pour venir lécher le bureau et faire exploser les fenêtres. Lucius en enjamba une, baguette tirée, et sauta. Il laissa derrière lui le manoir Malefoy en flammes, ses salles ayant accueilli des mots d’amour murmurés et des soupirs d’extase partagés partir en fumées.

***

Severus observa gravement Harry et se leva en silence. Surpris, le jeune homme demanda :

« Cela vous touche… ?

— Elle m’a sauvé la vie, une fois, finit-il par répondre. Elle m’a soigné toute une nuit. Et elle a su quelle décision prendre pour préserver ceux qu’elle aimait. Narcissa n’a jamais été une Mangemort. Elle ne méritait pas un tel sort.

— Crois-tu qu’il s’en prendra à leur fils ? demanda Jane en repensant à son ancien élève avec une certaine inquiétude.

— Il va certainement à Poudlard dans ce but. Il cherchera à attirer le père pour le tuer sous ses yeux, Il aime faire ça.

— Attendra-t-il seulement l’aube comme le supposait Harry ? » S’alarma Luna.

Severus les fixa brièvement et porta son regard sur l’horloge qui annonçait à présent 21h30. Son ventre grondait et il sentait déjà ses membres s’engourdir de fatigue. Sa marque était tantôt glaciale, tantôt brûlante et il se sentait incapable de répondre à cette question.

« Pour attaquer à nouveau Poudlard, commença-t-il lentement. Même si l’école Lui est déjà acquise, Il rassemblera certainement ses troupes… Et Il nous appellera sur place via la Marque. Tous. Quant à toi, ajouta-t-il en désigna Harry de l’index, Il t’attirera d’une façon ou d’une autre pour en finir. Il cherchera donc un moyen de te convaincre, et ça sera certainement via votre lien…

— Qu’est-ce que ça change pour Harry que Tom sache ce qu’il est ? Est-ce qu’il peut tirer sur le lien de façon différente ?

— … Au vu de ce qu’Harry nous a dit de l’autre soir, je pense qu’Il essaie depuis quelque temps de le posséder comme Il en est capable avec son serpent.

— Pourquoi ça n’a pas marché, alors ? demanda Harry.

— Parce qu’aussi fortes qu’aient été tes émotions à cet instant, elles étaient surtout positives, murmura Luna. Passionnées et un peu brutales, mais pleines d’amour. Et c’est quelque chose qui le repousse naturellement. Aucune âme déchirée comme la sienne ne peut supporter quelque chose d’aussi puissant. Regarde comme il est si difficile quand on a une âme intacte d’accueillir et de porter l’amour… »

Severus écarquilla les yeux en observa la jeune fille avec respect. Il lui décocha un de ses rares sourires et acquiesça.

« C’est sans doute pour cela qu’Albus vous a légué un de ses immondes chapeaux… Il a dû vous en sentir digne.

— Tout ça c’est très charmant, coupa brutalement Jane. Mais ça ne nous dit pas combien de temps il nous reste. Quand sera-t-Il à Poudlard ? Avec qui ? Viendra-t-Il avec sa bestiole ?! C’est CA que vous devez déterminer. Si c’est la fin, autant qu’on y prenne part correctement. »

Jane semblait profondément en colère et regardait avec dépit le plat de pâtes et de sauce tomate. Elle poursuivit, néanmoins :

« Vous avez dit tout à l’heure que vous Le regardiez, vous pourriez le refaire pour comprendre ce qu’Il a en tête ? Si ça marche dans un sens… ça peut marcher dans l’autre, non ?

— C’est… très risqué, Jane.

— Attendre d’avoir des nouvelles, si elles arrivent, par les autres d’autant plus. Je vais prévenir Black, vous, aidez-le à espionner l’autre fou.

— Mangeons d’abord, il va lui falloir quelque chose dans l’estomac.

— Si vous y tenez. » Soupira Jane qui pianotait déjà.

***

« A mon cousin, Sirius Black,

D’une façon ou d’une autre, tu dois déjà savoir que je n’ai pas tendu de piège à Severus Snape, ou à ton filleul. Tu sais donc que j’ai participé à la chute du Seigneur des Ténèbres, d’une façon ou d’une autre. J’espère ainsi, avec sans doute de la naïveté, pouvoir mettre mon fils, Draco, ton cousin, en sécurité.

Le choix que j’ai fait et les actions de Lucius pourraient nous coûter la vie, et si notre fortune et l’éducation que nous lui avons données mettront Draco à l’abri du besoin, il y a une chose sur laquelle nous ne pourrons rien : il aura besoin de ton intervention pour laver son nom et éviter toutes représailles.

Je te supplie de l’aider. D’user de ton nom et de ta notoriété pour le mettre en sécurité. Je te supplie d’oublier la haine qui nous a lié durant des années et de sauver un innocent.

Respectueusement,

Narcissa Malefoy, née Black »

 

Sirius leva les yeux de la lettre et resta un instant à fixer son verre de Whisky sans rien dire. Le hibou qui la lui avait apportée s’était déjà envolé, Narcissa n’attendait sans doute aucune réponse. Et quelle réponse pouvait-il donner, d’ailleurs… ? Il jeta un regard en coin à Hermione qui grignotait sans faim le sandwich qu’elle s’était fait, le nez plongé dans la Gazette du Sorcier. Peut-être qu’elle ou Tonks avaient raison, finalement ? Peut-être qu’il était temps de… La sonnerie du petit portable à clapet s’éleva et Hermione sursauta, avant de le sortir rapidement de sa poche. La jeune fille le laissait constamment allumé depuis le sms inquiétant de Jane à propos de leur fuite. Ce qui l’obligeait à aller régulièrement au café du coin tenter de le brancher discrètement. Hermione écarquilla les yeux en lisant le sms.

« Que se passe-t-il ? s’inquiéta Sirius en pliant maladroitement la lettre.

— Harry dit que Voldemort sait pour la chasse aux Horcruxes… Apparemment, il aurait attaqué le manoir Malefoy et tué Narcissa Malefoy.

— QUOI ?! »

La main qui tenait le Wisky trembla et Sirius ne se rendit pas immédiatement compte qu’il en avait versé. Il fixait Hermione sans la voir, ses yeux happés soudain par un vieux souvenir.

Il était des années plus tôt, dans cette même cuisine, cherchant désespérément à attraper du pain et un peu de crème. Son ventre le faisait souffrir de faim. Il avait été puni par Mère, il ne se souvenait même plus pourquoi. Alors qu’il tentait d’attraper la nourriture trop haute pour ses petites jambes, les victuailles se mirent à flotter et à descendre doucement dans sa direction. Il s’en saisit avant de se retourner pour tomber nez à nez avec une jolie petite fille blonde qui le fixait. Sirius lui sourit, reconnaissant, tirant une ébauche de réponse de la part de l’inconnue, quand la voix de Mère retentit :

« Narcissa, ma fille, ne traînez donc pas dans la cuisine. Ce sont les domestiques ou les femmes de basse extraction qui restent aux fourneaux. »

Le sourire de la jeune fille mourut aussitôt et elle fixa alors Sirius avec un regard terriblement dur. L’enfant eut l’impression soudain d’être un indésirable qui ne méritait pas de croiser son regard. Elle tourna des talons et Sirius regarda alors son pain avec la terrible impression d’être seul dans cette horrible maison.

« Sirius ? Tu m’écoutes ?! » s’inquiéta Hermione.

Black revint brutalement dans le présent, les yeux rivés sur son verre comme il l’avait jadis fait de la miche de pain. Narcissa, pensa-t-il, l’énigme qu’il n’avait jamais pu percer. Amie ou Ennemie… ?

« Oui, pardonne-moi. Elle était quand même ma cousine.

— Je suis désolée. J’ignorais que tu entretenais de bonnes relations avec elle.

— Non. Mais nous aurions pu. Dans un autre monde, murmura-t-il pour lui-même en vidant d’une traite le verre.

— Le message ne s’arrête pas là, il y a plus grave, pressa Hermione. Ils ne savent pas quand, mais ils sont persuadés que Voldemort va retourner à l’école pour Draco.

— Pourquoi pour lui ?!

— Si Il en a après la famille Malefoy… Il a dû apprendre pour la coupe… et le journal. Malefoy est en grand danger. L’école est en grand danger. Il faut impérativement les prévenir ! Sirius, on doit parler à Phineas ! »

L’Animagus se leva en trombe et se précipita en direction de son bureau, Hermione sur les talons, mais quand ils arrivèrent face à la peinture, elle était vide.

***

Horace Slughorn n’aimait pas être Directeur de Poudlard. Chaque matin, il recevait une lettre de Lucius Malefoy lui exprimant son soutien indéfectible et lui faisant par des changements légaux opérés au Ministère. Chaque matin, il avait sur son bureau un pli ampoulé lui rappelant pourtant qu’il n’était qu’un pion entre les mains de Voldemort. Terrorisé depuis l’attaque, démoralisé depuis qu’il avait investi le bureau et trouvé sur ce dernier une petite boîte d’ananas confits l’enchaînant à sa plus grande erreur, Slughorn tremblait à chaque bruit suspect et dépérissait à vue d’œil. Son front se garnissait, son embonpoint ne cessait de croître. Son seul instant de répit, entre les rappels à l’ordre des Mangemorts et les visites impromptues du portrait de Dumbledore était celles du petit chat blanc qui acceptait bien volontiers des câlins pourvu qu’on lui donne de belles et bonnes choses. Mais, depuis quelques temps, le chat se faisait absent, et le vieux Serpentard regrettait terriblement l’époque mouvementée de sa cavale.

Alors, quand un hibou se percha sur le rebord de sa fenêtre et qu’il détacha une lettre adressée à Draco Malefoy, il craqua. Sa grosse face enfantine disparue entre ses mains, et il pleura. Il pleura longuement Dumbledore qui lui manquait terriblement. Et il pleura, une nouvelle fois de honte, pour ce qu’il avait fait 50 ans plus tôt.

« Séchez vos larmes, Horace. » Lui dit la voix bienveillante du vieil homme qui venait de se glisser dans son portrait. « Une simple lettre ne peut vous mettre dans de pareils états, la visite que vous allez recevoir vous demandera de…

— Pitié, Albus. Pitié, je n’en peux plus de vos secrets, de vos manigances, pitié… Dites-moi que c’est bientôt terminé. »

Trois coups brutaux d’un instrument sur le bois le fit se taire immédiatement. Dumbledore se cacha dans un autre portrait, avant de glisser :

« Bientôt… je vous le promets.

— Entrez… ? »

Lucius Malefoy franchit la porte d’un pas rapide et la claqua derrière lui. Il était essoufflé, ses cheveux s’emmêlaient sur son front par la sueur, ses yeux étaient rougis et cernés et par-dessus tout : il dégageait une horrible odeur de bois et de chaire brûlés.

« Draco. Faites venir Draco. Je dois immédiatement le voir.

— Draco ? Mais, justement, je venais de recevoir une lettre qui lui était adressée et…

— FAITES MANDER MON FILS !

— Heu… Oui, très bien… Wendy ? Appela Slughorn. Amène-nous le jeune Malefoy de toute urgence. »

Lucius s’humecta les lèvres, tenant fermement sa canne comme s’il s’apprêtait à s’en servir. Horace avait très bien connu ce Serpentard ambitieux et d’exception qu’il avait beaucoup apprécié plus jeune. Séduisant, intelligent, venant d’une famille riche et respectable, Lucius avait fait partie de ses pépites de collection, et jamais l’ancien Directeur de maison ne l’avait vu dans un tel état. Il se leva et se dirigea sans un mot vers son bar, pour servir un Whisky Pure-Feu au blond qui le regarda interloqué.

« Que se passe-t-il ? » Demanda Horace, d’un air préoccupé.

Lucius repoussa le verre de la main et continua de se murer dans le silence. Quand le pop sonore de l’elfe retentit, il tira sa baguette de sa canne. Draco semblait tout aussi surpris que Slughorn et il leva les deux mains en signe d’apaisement. L’elfe se tourna vers le Directeur et déclara d’un air entendu :

« Il n’était pas dans sa salle commune, Monsieur.

— Où étiez-v…

— Père ? s’inquiéta Draco. Que se passe-t-il ? Que faites-vous ici ? »

Était-ce l’heure ? Le moment qu’il avait tant redouté ? Allait-il devoir prendre la Marque ? Son père était étrange, et son aspect général l’alarma immédiatement.

« Que s’est-il passé ? Tout va bien ? Mère va bien ? » Enchaîna-t-il comme un enfant.

Lucius ouvrit la bouche et chancela, son regard se voilant soudain. Il s’effondra sur l’un des fauteuils en face de celui du Directeur et il fixa longuement la lettre qu’il savait être de Narcissa, posée sur le bureau.

« Père, répondez ! Que se passe-t-il ?!

— Elle… elle est morte. »

Draco ouvrit la bouche d’horreur et sentit ses jambes se couper sous l’annonce. Slughorn s’affaissa sur lui-même, préférant ne pas intervenir. Il avait beaucoup aimé la petite Narcissa et son intelligence vive sous un sens de l’étiquette imparable.

« C-Comment… ?

— Il l’a tuée. »

Le Directeur attrapa la lettre dans un geste bien inspiré et la tendit à l’enfant qui se refusait à quitter des yeux son père.

« Je… je crois que c’est elle qui vous a écrit, Draco. »

Lucius hocha la tête sans pour autant oser regarder son fils, et Draco dû se faire violence pour baisser les yeux et reconnaître l’écriture de sa mère. Il décacheta la lettre. Un lourd silence tomba sur le bureau, à mesure de la lecture de l’enfant et des larmes qui tombaient lourdement sur le parchemin. Draco inspira plusieurs fois, renifla, et termina par la serrer contre lui, les yeux fermés. L’écho de la Chambre des Secrets lui parvint en tête et un bref instant une horrible culpabilité s’empara de son âme. Elle était morte. Il n’avait pu la sauver. Voldemort avait tué une autre mère, et il ne serait jamais plus le héros de personne. Lucius rompit le silence et se leva lentement, lui jetant un regard dur :

« Il viendra pour toi. Tu viens avec moi.

— Non, répliqua Draco en surprenant l’assistance.

Non ?

— Non, répéta-t-il d’une voix rauque et déterminée. S’Il vient à Poudlard, prévenez la Brigade et Black, prévenez ceux qui s’opposent à Lui et affrontez-Le une bonne fois pour toute.

— Tu… Tu n’as aucune idée de ce que ta mère a fait. Tu ne sais pas la colère qu’elle a fait s’abattre sur nous !

— Ca n’est sans doute rien comparé à ce que j’ai fait, Père. Croyez-moi, j’ai fait mes choix, et ils ne vont pas davantage Lui plaire.

— Ce n’est pas un sujet à débat, Draco ! J’ai perdu ma femme, je ne perdrai pas mon fils !

— POURQUOI FAIRE ?! POUR PERDRE UNE NOUVELLE FOIS LA FACE EN TANT QUE MALEFOY ?! hurla soudain Draco. Tu crois que fuir va changer quoi que ce soit ?! Si on ne le détruit pas, il nous détruira nous ! Tu vas continuer longtemps à obéir ? À plier le genou devant devant un sale sang-mêlé ?!

— Comment tu sais que…

— Je sais tout ! Je sais ce que tu as involontairement commencé ! Je sais ce que moi j’ai décidé de faire. Je me fous de ta carrière, j’en ai rien à cirer d’un pouvoir qui s’évapore devant un fou. Je préfère mourir que de le servir, tu m’entends ?!

— Nous essaierons juste de vous permettre de ne pas en arriver là. »

La voix fit sursauter tout le monde et Lucius glapit en voyant Dumbledore au milieu de son portrait. Il l’observait d’un air pénétrant, et le blond eut l’envie contradictoire de lacérer le tableau et de fondre en larmes devant lui. Même s’il était mort, même s’il n’était plus qu’une croûte coincée dans un château, Lucius eu le sentiment d’être face à l’ancien Directeur, et cela le ramena des années en arrière, alors qu’il lui montrait d’un air accusateur le journal brûlé de Jedusor… l’Horcruxe de Voldemort par lequel tout avait commencé. La peinture sembla comprendre son cheminement mental, car Albus sourit d’un air triste :

« Je suis profondément désolé pour votre perte, Lucius. Votre épouse a fait le bon choix, et le bon n’est jamais le plus aisé…

— Vous nous avez piégés…, murmura Malefoy d’une voix absente. Si vous n’aviez pas…

— Oui, si je ne vous avais pas tenu au secret à propos de mon leg, si je vous avais pas obligé à vous taire sur les artéfacts dont j’ai doté Harry et Severus… si je n’avais pas protégé cette mission cruciale, vous n’auriez jamais pu comprendre et vous auriez toujours en votre possession cette coupe.

— Nous avions la coupe de Poufsouffle ?! s’éberlua Draco. Comment aurions-nous pu avoir deux… Oh… Bellatrix, s’interrompit-il. Quand elle est morte, Mère a hérité de… C’est de ça dont elle parle dans sa lettre. Oh… maman… »

Draco baissa la tête et s’autorisa à pleurer, chose que son père ne l’avait plus vu faire depuis de nombreuses années. Lucius s’avança maladroitement et le prit dans ses bras, enfouissant son visage dans la chevelure de son fils. Albus leur laissa une petite minute, puis il reprit la parole :

« Votre mère et vous avez beaucoup accompli pour lutter contre notre ennemi. Car il est notre ennemi à tous, désormais. Et votre père a probablement raison à propos de Sa venue prochaine. Phineas ? J’ose penser que vous avez été attentif tout ce temps ?

— Oui, ne vous en faites pas, Albus. Je vais les prévenir.

— Dites-leur de prévenir également Harry… bien qu’il doive très certainement le savoir, à l’heure actuelle.

— Qu’est-ce que Draco a…

— J’en ai détruit deux avec Londubat, coupa son fils.

— Deux ? Une coupe ? Bon sang, mais combien en a-t-il fait, intervint soudain Slughorn, livide.

Vous saviez ?! s’écrièrent le père et le fils en même temps.

— O-oui… je… c’est à cause de moi s’Il…

— Il en avait déjà fait un durant sa cinquième année, Horace, coupa Albus abruptement. Il savait déjà comment faire, il ignorait cependant qu’on puisse le faire plusieurs fois.

— Peu importe combien, reprit Lucius. Tu viens avec moi.

— J’ai été très clair, répliqua le jeune homme. Et nous aurons besoin de toutes les meilleures baguettes pour le vaincre.

— Si tu meurs…

— Si je meurs et Lui non, votre vie ne tiendra qu’à un fil. Si je meure et Lui, oui, vous aurez toujours votre carrière. Et si en plus vous l’avez combattu, le poste de Ministre sera à vous.

— Mais que m’importe le pouvoir si les personnes que… »

Lucius se tut, se souvenant soudain qu’il n’était absolument pas seul avec son fils. Il se redressa d’un air digne et plongea son regard dans celui de Draco. Jadis, il lui suffisait de lever un peu le menton pour que son fils ne baisse la tête mais ce soir-là, alors qu’il venait tout juste de perdre sa mère, Draco montra pour la première fois le visage d’un homme adulte et déterminé. Le visage de l’héritier Malefoy qu’il avait tant espéré. Une vague de fierté mêlée à la crainte s’empara de lui et il expira longuement :

« Soit… Soit. Je reste avec toi. Nous L’attendrons ici. Horace, restez discret sur la question. Je vais emprunter votre cheminée. Jones et Lockbin sont de garde, il me semble, non ?

— Comment connaissez-vous les brigadiers en poste à la… Peu importe, oui. Je leur demande de se tenir sur leurs gardes ?

— Vous leur dites en substance que vous redoutez ce qui va suivre. Ce sont des jeunes sympathisants.

— Du Seigneur des Ténèbres ? s’inquiéta Draco.

— Non, de moi. Ils suivront les ordres sans discuter. Prévenez aussi les Professeurs Reser et Miskova que je désire m’entretenir avec eux. Pour Hide… Je devrai le rencontrer en dernier, mais la partie va être délicate.

— Lui il soutiendra clairement les Mangemorts, murmura Draco. Je dois prévenir Londubat. Je ne peux pas le laisser dans l’ignorance, il pourra nous être…

— NON ! Je refuse de te perdre de vue, tu…

— Je sais ce que je fais, père. Il n’y a pas que lui, je vais devoir trouver le moyen d’écarter certains élèves de Serpentard, également, termina Draco sombrement.

— Fais très attention à eux. Ne te fie à personne, Draco. À personne. Dumbledore ? Puis-je compter sur vous et vos… hommes ?

— Naturellement, Lucius. Nous sommes du même côté.

— Nos objectifs convergent, corrigea Malefoy en plissant des yeux. »

La peinture sembla ne pas s’y tromper et lui rendit son regard, malgré la présence d’un léger sourire. Draco fut frappé de la différence de traitement que le tableau faisait entre lui et son père et ça ne fit que renforcer sa détermination.

« De combien de temps disposons-nous ? demanda-t-il.

— Quelques minutes ? Quelques heures ? commença à répondre Albus. Horace, il y a fort à parier que cela soit vous la première cible de Voldemort. Peut-être exigera-t-il directement auprès de vous que vous lui donniez Draco.

— Ou bien le demandera-t-il directement aux élèves. Je suis suffisamment haï pour… »

Il ne termina pas sa phrase et hocha la tête en direction de son père, avant de redescendre immédiatement les escaliers pour contacter Neville.

***

Sirius sortit en trombes de son bureau pour aller dans sa chambre se changer. Il enfila une tenue de combat en cuir et ceint une ceinture contenant quelques anti-poisons et autres bricoles utiles. Hermione remercia le portrait du Directeur Black et se prépara également. Elle rassembla tout ce qu’ils possédaient en matière de décoctions et de poudres étranges et utiles des frères Weasley. Contrairement à Sirius, elle enfila un jean souple et un pull épais et proche du corps, une paire de gants en laine et chaussa des chaussures de courses qu’elle attacha avec grand soin. Elle se fit un chignon de ses cheveux et glissa sa baguette dans l’étui que Harry lui avait offert quelques années auparavant. Sirius les ferait transplaner quelques minutes plus tard devant les grilles, prêts à être cueillis par deux brigadiers complices à Poudlard.

***

« Plus que jamais, j’ai besoin de vous, Auror. Vous êtes mon meilleur élément. Vous avez été formée par le meilleur pour cette tâche. Je vous confie l’exécution de la défense de la contre-attaque. Préparez une offensive-surprise contre nos ennemis.

— Robards est au courant, Monsieur le Ministre ? demanda Tonks en haussa les sourcils.

— Il le sera. Vous avez carte blanche, Auror. Il vous prêtera main forte et sera sous vos ordres.

— Bien, je me prépare et rassemble mes troupes, en ce cas.

— Tonks ? appela Lucius en la fixant intensément. Votre époux pourrait nous être utile. Si vous jugez qu’il sera capable de se comporter en soldat sans penser à votre sécurité… considérez-le comme un de vos hommes.

— Il est mon homme, Monsieur le Ministre, répliqua Tonks d’un air entendu. »

Lucius se contenta d’hocher la tête et les flammes retrouvèrent un aspect normal. La jeune femme se tourna vers la porte et inspira longuement :

« Tu peux entrer. Je sais que tu as tout entendu. »

Rémus franchit le pas de la porte, une oreille à rallonge améliorée des frères Weasley dans la main. Il fixait sa femme d’un air grave.

« Nous y sommes ?

— Oui. Tu es prêt à te battre ?

— Bien entendu, je…

— Et à prendre le risque de me perdre ? le coupa-t-elle.

— Oui. Je sais que nous sommes en guerre. »

Elle le considéra longuement, comme ne croyant pas vraiment à sa lucidité sur la question. Rémus n’était pas un fou, mais il était naïf. Il était un homme qui voyait le bon partout, même dans les pires situations. Et les pires, justement, il n’y avait jamais assisté. Alors qu’elle…

« Soit. Prépare-toi, nous transplanons pour Pré-au-lard dans vingt minutes où la Brigade nous rejoindra. Tu assisteras au discours et au plan. »

Rémus opina du chef, avant de glisser un « à vos ordres » laconique. Il tourna des talons, puis s’arrêta soudain. Tonks qui était déjà en train de préparer la poudre de cheminette pour contacter les troupes écarquilla les yeux quand elle senti son mari la prendre par la taille et l’embrasser comme il ne l’avait plus fait depuis des semaines. Elle le fixa éberluée, comme si elle voyait pour la première fois depuis longtemps et, soudain, elle prit conscience qu’elle avait peur de le perdre.

***

Assis sur ce qui restait du canapé des Dursleys, Harry tenait fermement la main de Luna, gardant les yeux fermés. Severus s’était mis à genoux face à lui, baguette tirée au besoin, et Jane guettait leur attitude générale, la batte de baseball que Dudley avait cassée des années plus tôt sur la poubelle d’un voisin dans les mains.

« Inspirez longuement, puis, quand vous serez prêt, concentrez-vous jusqu’à vous persuader que vous plongez à l’intérieur de Sa tête. Imaginez-vous glisser dans Sa peau avec la plus grande discrétion, comme si vous ne vouliez pas froisser un vêtement, ou corner les pages d’un livre. »

Harry tenta de s’imaginer les choses, en ayant la désagréable impression d’être ridicule, mais soudain, il eut la sensation de plonger dans une eau glacée avec un étrange courant bouillonnant.

« Je suis… je suis dans un lac, je crois, murmura-t-il comme il put.

— Très bien, vous y êtes, visualisez Luna comme une arbre sur la berge auquel vous allez vous accrocher pour avancer. Ne vous laissez pas emporter par le courant, mais suivez-le naturellement. Il ne doit pas remarquer votre présence, soyez léger et discret.

— Je fais ce que je peux…

— Vous vous en sortez très bien, se permit Jane. »

Severus hocha la tête, comprenant que l’enfant avait davantage besoin d’encouragements positifs. Harry serra plus fort la main de Luna et suivit le mouvement, ayant l’impression de flotter dans une eau intense et corruptrice. Puis, quand il sentit qu’il était au bon endroit, il s’accrocha plus fort encore, et plongea mentalement sous la surface. Son corps se raidit instantanément et ses yeux s’ouvrirent dans le vide.

« Il y est, commenta Severus. Observez, écoutez. Vous nous direz plus tard. Luna, serrez en retour, si vous sentez à un moment qu’il s’éloigne…

— Je le repêche comme un miraculé, termina-t-elle tranquillement. »

Le silence était total autour de Harry, durant quelques secondes, il eut l’impression d’être entré dans un profond sommeil dont il serait conscient. Quand, soudain :

« Greyback et sa meute nous rejoignent comme prévu, Maître.

— Très bien, de combien de loups dispose-t-il ?

— … cinq, Maître. Et ils ont l’air fraîchement mordus. Je crains que Fol’Oeil ne nous fasse chier, jusque dans sa tombe.

— Es-tu nerveux, Joseph ? Tu es bien vulgaire, et tu sais que j’ai horreur de cela. »

Harry fixa Joseph Abernathy avec l’impérieuse envie de le torturer. Son bras droit le démangeait atrocement et le bourdonnement à ses oreilles l’agaçait comme jamais. Quelque chose avait changé depuis qu’un de ses Horcruxes avait été détruit. N’était-ce qu’un seul Horcruxe, d’ailleurs… ? Les lèvres d’Abernathy bougeaient, mais il n’entendait rien, ça propulsa sa rage à un stade supérieur :

« VA-TU T’EXPRIMER DE FACON INTELLIGIBLE ?! »

Le Mangemort se tassa sur lui-même, les yeux éberlués, comme incapable de comprendre ce qu’il avait fait de mal. Il était stupide, de toute façon, Lucius l’avait dit lui-même… Lucius… À cette seule pensée, Harry se leva d’un bond et pointa sa baguette sur le pauvre sorcier qui se jeta à ses pieds :

« Mon Seigneur, je sais que c’est une catastrophe, mais ils n’ont rien voulu savoir ! Nous avons même perdu…

— Qui « ils » ?! s’arrêta soudain Harry en plissant des yeux.

— Les… les géants, Maître. Ils… ils refusent de nous rejoindre cette fois, ils disent qu’ils ne sont pas nos créatures.

— QUOI ?! »

Harry lança le sort de torture et ricana de satisfaction, cherchant par tous les moyens à avaler la douleur de sa proie pour calmer la sienne.

« C’est normal son sourire malsain, là ? » Demanda Jane en levant la batte de base-ball.

Snape s’approcha doucement et toucha le front de Harry qui était brûlant. Ses yeux étaient révulsés et son expression terrifiante. Luna secoua la tête :

« Il me broie les doigts. Je ne sais pas ce qu’il voit, mais ça l’emporte au fond, je crois.

— Tenez-le à deux mains, s’il faut, il ne doit pas se noyer. »

Harry se rappela de justesse qu’il ne devait pas tuer son Mangemort. L’attaque était imminente et il aurait besoin de toutes les ressources possibles pour s’en prendre à Poudlard. Il arrêta le sort et ordonna d’une voix rendue sifflante par l’effort :

« Va. Nous partons dès que tout le monde est rassemblé. Dis-leur que nous attaquerons de front dès que j’aurai eu ce que je suis venu chercher.

— Maître… ? Qu’allez-vous chercher à Poudlard ? se risqua Abernathy qui ne comprenait pas un traître mot du raisonnement du Mage Noir.

— Le destin. »

C’était évident, pourtant. Harry sourit d’un air satisfait, repassant en mémoire l’ordre d’attaque qu’il allait donner. Poudlard tomberait une nouvelle fois, et cette fois-ci, il détruirait Harry Potter.

Luna se leva d’un bond en tirant Harry par la main, elle le tira si fort que le garçon se leva à son tour du canapé et tomba à la renverse. Quand il atterrit sur son amie, les yeux grands ouverts, le front perlé de sueur, il s’exclama :

« Il a perdu l’esprit. »

Harry se releva péniblement, une horrible envie de vomir accrochée aux lèvres.

« Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il est incohérent, ses émotions sont vives et ne cessent de changer, ses pensées. Par Merlin, c’est un bordel sa tête !

— La perte de ses morceaux d’âme l’affecte plus qu’Albus ne l’imaginait. Il ne lui en reste que trois, il y a fort à parier que lorsqu’on aura détruit le serpent, il soit plus facile…

— Nagini sera là, coupa Harry. Et Greyback, et toutes leurs recrues, il y aura quelques détraqueurs, s’Il arrive à les contenir dans son état. Les élèves vont être utilisés en « cheval de Troie », termina-t-il en mimant les guillemets.

— Il a pensé à cette histoire ? compris Jane.

— Et Il en est fier, confirma Harry. Je crois… Je crois qu’on peut y arriver Son plan est…

— Fou. Tout comme lui. Jane, envoyez les informations à Black et Granger. Potter, allez vous laver, Lovegood, vous prendrez la suite, et nous après. Nous allons nous préparer, nous retournons à Poudlard.

— On transplanera ?

— C’est le plus simple.

— Tous les quatre… ? »

Harry pris Luna par la main et l’invita à le suivre à l’étage, se moquant apparemment de l’ordre établi par Snape. Severus lança un regard perçant à Jane et hocha lentement la tête :

« Vous préférez nous attendre sagement ici ?

— Non. Je serai incapable d’attendre de voir si vous allez revenir. Et je veux me battre. Je ne sais juste pas trop comment.

— Vous n’y avez jamais songé ?

— Quoi ? Vous croyez que je vais sortir du sac magique une kalash et trouer tous les sorciers à portée ? Et je l’aurais achetée comment, eh ?

— Dimitri…

— Dimitri a beau avoir l’air d’un espion russe au service du Kremlin, ses réseaux et magouilles ne vont pas jusque-là. J’aurais pu nous avoir de la drogue, mais pas des armes. Je n’ai qu’un spray au poivre, sourit pauvrement Jane en le sortant du sac.

— Et vous l’avez vraiment embarqué tout ce temps avec nous… Vous irez avec Pompfresh gérer les blessés, en ce cas. Ça sera toujours utile.

— Ouais, on verra sur place, donc. J’évite les gens qui me connaissent et je rase les murs, je connais.

— On ne vous reconnaîtra pas facilement. Pas plus que moi, Potter ou Lovegood. Grâce à vous, nous avons un léger avantage dans cette attaque. »

Jane lui sourit d’un air entendu et fouilla à nouveau dans le sac pour tirer l’épée de Gryffondor.

« Au pire, dit-elle. Je peux toujours me servir de ça, non ?

— Vous savez manier l’épée ?

— J’ai eu une initiation à l’escrime quand j’étais môme… »

Snape leva les yeux au ciel et prit le sac de ses mains, avant de tirer la cape d’invisibilité de Harry et de la lui tendre :

« Glissez-vous dessous, ça me semble être autrement moins hasardeux.

— Donc, je viens ?

— Mourir à deux sur le champ de bataille n’est-pas une fin digne d’un de vos romans à l’eau de rose ?

— Austen marie ses personnages à la fin de ses histoires, elle ne les exécute pas.

— De mon point de vue, c’est du pareil au même. »

***

Draco descendit directement aux jardins de Serdaigle et une fois qu’il fût certain qu’il était seul, appela d’une voix incertaine :

« Dobby… ? »

Il attendit une petite seconde avant que l’elfe n’apparaisse et lui jette un regard inquisiteur. Le blond hésita, puis se lança :

« Je dois prévenir Neville pour ce qui va suivre, il faut qu’il organise les Gryffondors et tous ceux qui voudront bien se battre. Peux-tu le… heu.. faire venir ? Hum… s’il te plaît ? »

Dobby sourit légèrement et hocha la tête, l’instant d’après, Neville Londubat se tenait à sa place, un livre à la main.

« Que se passe-t-il ?

— Il va attaquer. Mon père est en haut avec Slug et Dumbledore. Ils sont en train de rassembler tout le monde pour lui faire face.

— Mais… que s’est-il passé ? Il s’est rendu compte de ce qu’on faisait ?

— Oui. Oui, et Il a déjà commencé à purger les traitres.

— Purger ?

— Ma mère… »

Draco n’arriva pas à terminer sa phrase et se racla la gorge avant de reprendre.

« Tu dois préparer les autres. Moi je vais… Je sais pas. Rassembler les Serpentards qui ne sont pas dangereux, je crois.

— Il y a quelques premières années qui avaient joué le jeu avec Snape lors de la précédente attaque. Ceux qui étaient encore à l’école pendant les vacances, proposa Neville en s’approchant.

— Bien, je vais les contacter discrètement et leur dire de… qu’est-ce que tu t’apprête à faire, au juste ?

— Tu as l’air bouleversé.

— Garde ta main loin de mon épaule, je n’ai pas besoin de ta sollicitude. C’est la guerre, les gens y meurent, non ? »

Neville pinça les lèvres et secoua la tête.

« Soit, fais le fier Serpentard. Sache que je te présente néanmoins mes condoléances.

— Tu le feras en tant que Lord quand on pourra lui organiser de vraies funérailles. T’as plus urgent à faire, bouge-toi Londubat. »

Draco ne lui laissa pas le temps de répliquer qu’il descendit les escaliers pour se rendre à la salle commune. Comment allait-il pouvoir éviter les autres apprentis-Mangemorts… ? Quand il arriva dans les cachots, l’ambiance était fébrile, beaucoup trop pour une simple soirée. Son entrée fut fortement remarquée, et il se raidit immédiatement quand le caquètement de Pansy le stoppa dans son mouvement.

« Tiens, tiens… Quand on parle du loup… ou plutôt devrais-je dire du petit serpent vicieux. Jamais aux repas, toujours à l’heure pour braver le couvre-feu. »

Draco inspira longuement, cherchant une excuse pour sa nouvelle absence au banquet, mais Pansy enchaîna :

« Tu savais que Monsieur-ton-père était à Poudlard ? »

Draco plissa des yeux froidement, saisissant l’occasion au vol. Lucius n’était pas encore en disgrâce, pour autant qu’elle soit si jalouse qu’elle en devenait méprisante, Parkinson n’oserait pas aller trop loin.

« Je n’ai pas dîné avec vous et le Ministre de la Justice, qui se trouve être également mon père, est dans nos murs. À ton avis, Parkinson ? Quelqu’un peut-il lui expliquer la logique la plus élémentaire ? Car, je suis épuisé de sa stupidité. »

Elle s’empourpra, sous les ricanements bovins de Crabbe et Goyle, et Zabini en profita :

« Il est train de dire qu’il a dîné avec son père.

— JE LE SAIS ! cria Pansy, livide. Vous vous complétez bien tous les deux. A faire vos cachotteries, parfois ensemble…

— Tes fantasmes nous lassent, Parkinson, coupa Draco en quittant la pièce. Vous devriez vous calmer, tous. Le Ministre de la Justice pourrait bien visiter la salle commune pour s’assurer que vous êtes à la… hauteur, des attentes de vos aînés. »

La menace fit mouche, et Draco pu confirmer d’un rapide coup d’œil quels étaient celles et ceux qui étaient marqués, sympathisants, ou tout simplement apeurés par cette possibilité aux gestes que certains pouvaient avoir en direction de leur avant-bras. Il fallait jouer très serré. Combien de temps avant que Voldemort n’arrive et ne réclame sa tête, faisant valser au passage celle de son père… ? Il fit mine de se retirer dans ses appartements de préfet, et attrapa par le bras Zabini qui passa pour l’enfermer dans la salle de bain. Le brun l’observa avec un sourire narquois plaqué aux lèvres :

« Parkinson trouverait à redire à ce genre de choix de lieu.

— C’est pas le moment. Il va attaquer. D’une minute à l’autre, Il va venir pour me tuer, tuer ses opposants, tuer Potter s’il se ramène comme prévu. »

Blaise cligna des yeux lentement, traitant l’information comme il le put. Il ouvrit la bouche un certain nombre de fois, avant de s’approcher de Draco jusqu’à ce que ses yeux ne soient plus que ce qu’il pouvait voir.

« Qu’est-ce qui se passe ?! Qu’est-ce que tu as fait ?!

— Ce qu’il fallait faire pour S’en débarrasser.

— Mais tu es complètement…

— Est-ce que tu es avec moi ?

— Quoi ?!

— Est-ce que tu es avec moi, Blaise !? »

Zabini écarquilla les yeux, tout air cabotin ayant quitté son visage. Il sembla prendre cette décision et annonça :

« Oui. Tant que tu le souhaites, oui. »

Draco fronça les sourcils, incertain de comprendre ce qu’il entendait par là et lui serra la main.

« On doit choper les petits qui sont récalcitrants. Les sangs-mêlés, les nés-moldus aussi… Tous ceux qu’on doit sortir de là avant qu’Il n’arrive et que Serpentard ne devienne un véritable piège à gnomes… Parce que dès qu’Il sera là, les autres vont s’en donner à cœur joie.

— Je m’en charge. Retourne auprès de ton père, ne reste pas aux cachots.

— Parkinson…

— Est une imbécile que je peux gérer. Mets-toi en sécurité. »

Draco lui serra la main une nouvelle fois, et hoqueta quand Zabini l’étreignit épaule contre épaule, en lui donnant une tape franche dans le dos. Le brun lui glissa à l’oreille « Et n’oublie pas ta promesse… », juste avant de le repousser.

***

Remus observa le masque blanc que sa femme lui tendait. Contrairement aux Mangemorts qui arboraient des masques aux motifs uniques et stylisés, ceux de la Brigade étaient identiques. Le mettre était renoncer à son identité, devenir une baguette anonyme au service du Ministère… ou plus précisément du Ministre de la Magie comme Rémus l’avait parfaitement compris. Il jeta un regard aux alentours : les hommes et les femmes s’étaient coulés dans leur rôle juste après le discours et tenaient chacun leur baguette dans leur main, attendant le signal de leur nouveau Commandant. Tonks portait l’exacte même tenue que ses autres coéquipiers, mais il n’était pas difficile de la reconnaître : sa posture était déterminée, sa stature haute malgré sa petite taille. Remus la fixa un bref instant, conscient que le regard de sa femme était tourné vers lui. Elle n’attendait qu’une chose : qu’il obéisse. Il plaça lentement le masque sur son visage.

***

L’image solide du château s’imposa à eux et son immense silhouette qui se découpait dans les ténèbres leur tira un fort sentiment de nostalgie. Harry cligna des yeux, sentant une légère vague de tristesse l’envahir alors qu’il trouvait la bâtisse hostile. Luna releva son col roulé en jetant un regard sévère à la structure. Le souvenir de Dumbledore s’imposa brutalement à Severus qui serra sans s’en rendre compte Jane contre lui. Quant à Jane, elle murmura, surprise :

« Je peux toujours le voir.

— Intéressant…

— Mais comment cela se peut-il ? s’éberlua Harry. Vous n’êtes ni enseignante ni Sorcière, vous…

— Elle est venue protéger Poudlard et son héritage. C’est normal que le château laisse faire, vous ne pensez pas ? »

Jane sourit tendrement à Luna, mais son visage retrouva immédiatement après l’expression qu’elle avait eu la nuit de Noël.

« Combien de temps avant que Black et… »

Un pop coupa Severus et Hermione et Sirius apparurent soudain. Hermione se précipita et étreignit Harry, puis Luna avec émotion, avant de sortir rapidement la carte du Maraudeur et de la pointer de sa baguette.

« On va entrer par là et trouver Neville et les autres, expliqua-t-elle. Il va te falloir un peu de temps pour attirer son attention. Nous devons faire en sorte de le séparer de son serpent pour ensuite que tu puisses… eh bien… »

Elle jeta un regard incertain à Harry qui la considéra gravement. Le brun écarquilla soudain les yeux quand il vit l’expression terriblement triste de son amie. Elle avait compris. Hermione comprenait toujours tout.

« Oui, dit-il lentement. Pour que j’accomplisse la prophétie. »

Sirius grogna mais retint sa langue, posant simplement une main protectrice sur son épaule. Harry comprit qu’Hermione l’avait tenu au secret, et il remercia mentalement son amie pour cela. Il les regarda tour à tour et soupira :

« Vous êtes sûrs de vous ? »

Luna lui sourit en retour, Snape leva les yeux au ciel, Sirius et Hermione hochèrent la tête et Jane le fixa sans rien dire. Harry se racla la gorge.

« Je n’aime pas faire de discours. Et vous n’en avez de toute façon pas besoin. Cette nuit, nous mourront très probablement. En tant que traître, en tant qu’enfant, en tant qu’opposant, en tant que Moldu… Parce que nous nous battons contre quelque chose qui veut détruire ce que l’on aime. Qui nous a déjà tant pris. Mais nous prenons ce risque pour voir un monde meilleur survenir. Pour qu’une aube se lève sur un avenir. Peut-être pas pour nous, mais pour les gens que nous protégeons. Ces personnes que nous aimons. Nous nous battons pour que d’autres n’aient plus à le faire. »

Hermione, Sirius, Luna et Jane lui sourirent avec émotion. Snape renifla et répondit lentement :

« Si vous mourrez, assurez-vous que le maximum d’ennemis vous suive. »

***

Poudlard était vivant. Élèves et Professeurs pouvaient l’attester. Dans chaque pierre, chaque couloir, chaque gargouille, la magie pulsait intensément, emmagasinée pendant des siècles depuis que ses fondateurs l’avait érigé. C’était un rythme lent, une vibration constante qu’on pouvait percevoir si on y était suffisamment attentif. Une impression d’un second cœur plus facilement identifiable dans les cachots, et plus encore dans la Chambre des Secrets. Chaque habitant de l’école, s’il le souhaitait, pouvait entendre vivre le château. Alors, quand soudain l’air devint épais. Quand un silence terrifiant s’abattit sur l’ensemble de ses occupants. Quand plus une âme, qu’elle fut de ce monde ou de l’autre n’osa parler, bouger, respirer. Chacun et chacune eut l’intime conviction que quelque chose de grave allait se produire. Les premiers à réagir furent celles et ceux qui avaient assisté à l’attaque pendant les vacances, mais ils n’eurent que le temps de sortir leur baguette. Un bourdonnement sourd remplaça ce cœur vivifiant, un bourdonnement terrible, comme le sifflement rageur d’un serpent en train d’agonir. Il s’infiltra dans la pierre, rampant sur les murs comme du lierre pourrissant. Il les fit tous frissonner, s’insinuant dans leur esprit et les empoisonnant d’une seule idée fixe.

Malefoy. Draco Malefoy. Il voulait Draco Malefoy. Ils devaient offrir Draco Malefoy.

***

Le regard de Blaise s’arrêta immédiatement sur Mc Laughlin qui pâlissait à vue d’œil. Il vit le jeune Serpentard regarder légèrement à sa droite, et Zabini n’eut pas besoin de se retourner pour comprendre sa peur. Il ferma brièvement les yeux, puis soupira :

« Nous y voilà… Tu auras finalement ce que tu voulais, Parkinson. Quoi qu’à la vérité, non… Ce que tu voulais était en réalité au-delà de ta portée. »

Il se retourna lentement, tirant sa baguette.

« Nous sommes trois, Zabini. Quatre si je compte Mc Laughlin bien qu’il soit encore jeune. Mais il n’est pas stupide, n’est-ce pas, Matthew ?

— Je suis un Serpentard, répliqua le cadet sombrement. »

Zabini prit une profonde inspiration en maugréant mentalement contre Draco. Il passait trop de temps chez les Gryffondors pour croire un seul instant qu’un membre de leur maison serait assez fou pour s’opposer à Lui. Matthew, comme les autres, étaient leurs ennemis. Leurs ennemis… comment avait-il pu laisser ses émotions prendre le dessus, au point de se retrouver jeté dans la même fosse que Malefoy ? Il passa rapidement en revue ses options et comprit à l’expression de la jeune fille qu’aucune de ses ruses pour se tirer de là ne leur ferait jamais croire qu’il livrerait son ami. Quel imbécile !

« Tu vas nous dire où est Draco ! menaça-t-elle en s’approchant lentement.

— Non.

Non ? Tu crois qu’on va hésiter une seule seconde à te faire du mal ? cracha Nott. Tu nous as pris pour quoi ? Tu sais qui on est ?

— Des abrutis, répliqua Zabini d’un ton calme.

— Répète ! grogna Crabbe.

— Vous êtes des abrutis. Des abrutis qui ploient le genou, qui plus est. Un Poufsouffle ne serait pas aussi pathétique…

— Ferme-la ! Je t’ai dit de nous montrer où est Malefoy ! Où se cache-t-il ? Dans votre petite pièce secrète d’amoureux ?! Hein ?! »

Crabbe pouffa bêtement de rire, alors que Nott fronça les sourcils avant de grimacer de dégoût. Zabini observa le visage de Pansy et un léger sourire moqueur s’étira sur ses lèvres.

« Alors c’est ça… Je me demandais pourquoi soudain tu le haïssais. Pourquoi tu ne minaudais plus stupidement dès qu’il ouvrait la bouche. Pourquoi tu ne le suppliais plus de t’emmener aux soirées mondaines… Il ne s’agit que de ça.

— Ferme-la, qu’est-ce que tu racontes au juste ? La seule chose qui m’intéresse est de savoir où il se terre. Si le Maître le veut, alors Il l’aura !

— Ce n’est pas ce qui t’obsède, répondit toujours aussi calmement Zabini en remontant sa manche sur sa baguette cachée dans sa chemise. Tu ne cesses de parler de ça. Serais-tu horrifiée qu’il puisse préférer passer du temps avec un homme qu’une poignée de secondes avec toi ? »

Pansy accusa durement le coup et l’observa comme s’il l’avait giflée. Blaise ricana alors que Nott secoua la tête :

« On s’en fout de ces conneries. S’il est un déviant, le Maître le punira lui aussi, on les livre tous les deux ! »

Pansy cilla puis un sourire mauvais apparu sur ses lèvres :

« Excellente idée. Vous êtes si inséparables que vous devriez adorer l’idée de mourir ensemble… n’est- pas… romantique ?! cracha-t-elle presque.

— Non, murmura Zabini, poursuivant son raisonnement. Ce n’est pas tant du dégoût… que de la jalousie. »

Pansy écarquilla les yeux et leva la baguette, son visage se tordant dans une expression de rage.

« LA FERME ! LA. FERME ! Où est Malefoy ? PARLE !

— Je te conseille de bien prendre conscience de la situation, ajouta Mc Laughlin en pointant sa baguette contre sa nuque.

— Je te l’ai dit, je ne sais pas. Il n’y a jamais eu de « pièce secrète d’amoureux », s’amusa Zabini.

— Tu finiras bien par me le dire d’une façon ou d’une autre, gronda-t-elle en se pourléchant les lèvres. J’aurai ce que je veux.

— Non, sourit encore une fois le brun en la toisant avec mépris. Non, et c’est ça qui t’obsède. Tu n’es pas seulement une femme, Parkinson. Tu es stupide. Et la stupidité tue chez les Serpentards… AVADA KEDAVRA ! »

Pansy écarquilla une dernière fois les yeux, en voyant la baguette de Zabini dépasser légèrement de sa manche et être pointée vers son ventre. Elle fut projetée en arrière et retomba sur le sol, bouche-bée. Crabbe ouvrit la bouche, profondément choqué et incapable d’intégrer ce qu’il venait de se passer, mais Nott répliqua immédiatement avec le même sort. Zabini s’apprêta à repousser Mc Laughlin mais ce dernier le tira par le bras et l’entraîna à l’extérieur, lança d’un rapide coup de baguette un des fauteuils de la salle commune qui prit le maléfice à la place. Ils s’enfuirent dans les couloirs à toute allure.

« Qu’est-ce que tu fais ?! cria Zabini en montant remontant les marches en direction des étages supérieurs. Je croyais que tu…

— J’ai dit que j’étais un Serpentard ! Va chercher Malefoy, je m’occupe de vérifier que les autres sont en sécurité.

— Alors vous allez vraiment…

— Nous l’avions dit au Professeur Snape. Nous sommes fidèles à notre maison. Maintenant, va et méfie-toi des élèves des autres maisons. Personne n’aime ton petit prince blond. »

***

Aux abords de Poudlard, Voldemort fixa le château de ses yeux écarlates et hésita un bref instant à lever sa baguette. Il n’avait aucune patience, il voulait Malefoy. Il voulait Malefoy et le voulait sur le champ. Un Mangemort s’approcha de lui, suivi de près par un élève de sixième année apparemment impressionné. Il portait une robe à l’écusson vert et s’agenouilla en tremblant. Voldemort renifla d’un air de dédain.

« M-Maître…

— Qu’est-ce que tu me ramènes-là, Avery ?

— Un élève de Serpentard qui dit avoir des informations pour vous, Mon Seigneur.

— Je n’ai pas demandé d’informations. J’ai demandé qu’on m’apporte Draco Malefoy ! siffla Voldemort en sentant la rage s’emparer une nouvelle fois de lui.

— J-justement, Maître, balbutia l’enfant. Il… il est introuvable… Mais ! » Ajouta-t-il précipitamment en voyant le Mage Noir ouvrir la bouche dans une expression terrible. « Mais son père… Lucius Malefoy est dans le château.

— Où ?!

— A-Avec le Directeur… Il avec Slughorn.

— Quel est ton nom ?

— Nott, Monseigneur, je fais partie de vos Mangemorts marqués…

— Nott, coupa Voldemort d’un air appréciateur. Rassemble tes amis et prépare-toi à monter à la tour du Directeur avec moi.

— O-oui… C’est un honneur, Monseigneur !

— Avery ! coupa une nouvelle fois le Mange Noir. Donne-moi ton bras. Il est temps. »

***

Severus releva immédiatement la tête et observa Harry intensément. Ils se tenaient dans un des couloirs reliant deux passages secrets, s’éclairant de leur seule baguette. Le jeune homme s’humecta les lèvres :

« Je l’ai senti. Il est fébrile.

— Il nous appelle. »

Snape remonta sa manche et dévoila sa marque noire qui le brûlait atrocement. Il garda les yeux rivés sur Harry, attendant la suite.

« Tous. Il vous appelle tous. Il va attaquer.

— Il lance l’assaut, comme ça ? À l’aveugle ?!

— Il croit qu’Il a déjà gagné. L’école Lui appartient… murmura Severus.

— Non, sourit soudain Harry d’un air goguenard. Techniquement… elle est aussi à moi… »

Jane posa sa main sur la marque des ténèbres tatouée et remit en place la manche d’un geste ferme.

« Alors donnez-nous le signal, Harry. On s’occupera du reste.

— Quand Il sera là, répondit le jeune homme. Quand Il sera entré et que je saurai où est sa bestiole… vous frapperez. »

***

Les jeunes recrues Jones et Lockbin étaient de bons éléments de la Brigade. Prometteurs. Mais, nous l’avons dit : jeunes. Ils ne prirent garde aux élèves qui passaient nonchalamment dans le hall, et ce malgré le couvre-feu. Trop occupés à garder les yeux en direction du pont qui gardait l’entrée principale de Poudlard, ils ne virent pas les deux traits verts qui fusèrent dans leur direction, envoyés depuis des baguettes encore tremblantes de Serpentard. Le plus jeune assassin gémit et vomit presque immédiatement, tandis que le plus âgé s’avança vers les portes et les ouvrirent. Voldemort suivi d’Abernathy, Greyback et un troisième Mangemort encapuchonné passèrent sans même leur accorder un regard.

***

Cette fois, aucun Professeur n’était venu sonner l’alerte. L’ennemi était entré sans encombre et seuls les Serpentards zélés de Voldemort déambulaient dans les couloirs. Les Professeurs furent amenés un à peu dans la Grande Salle, comme la fois précédente, alignés par Greyback qui dardait un regard chargé d’appétit sur les rescapés de la dernière attaque. Mme Pomfresh sanglota doucement, le souvenir encore vif et douloureux de l’exécution de ses amis en mémoire. Voldemort monta directement au bureau du Directeur, flanqué d’un Abernathy qui jubilait. La porte du bureau s’ouvrit avant même qu’il ne l’exige, dévoilant Horace Slughorn blanc comme un linge, assis à son siège.

« Bonsoir, Professeur… » siffla Voldemort avec satisfaction.

***

« A deux mètres de la gargouille ! s’exclama Harry. Le serpent est seul accompagné de deux Mangemorts. Allez-y ! Sirius, préviens Rémus qu’ils sont tous entrés. Greyback est dans la Grande Salle, les élèves sont disséminés… Non, Professeur Slug…

— Potter ? interrogea Snape d’une voix inquiète.

— Il… Il n’a pas trouvé Draco, alors Il a…

— Tout le monde paie ses crimes, je suppose, répondit l’ancien Mangemort d’un air sombre. Nous n’avons plus de temps. Smith, sous la cape, direction l’infirmerie…

— C’est hors de question, coupa-t-elle. On a un serpent à tuer, et vous n’allez certainement pas vous en charger seul alors que ça grouille de types qui veulent votre peau.

— Vous… Soit, capitula-t-il en voyant son expression se durcir. Mais ne vous avisez pas d’être un fardeau. Lovegood et Granger, vous allez récupérer Londubat et Malefoy Jr. Black, retrouve Lupin et Tonks. Chargez-vous des adultes. Potter… Il est temps de sortir le grand jeu. »

***

Rémus suivit la troupe qui se déplaçait silencieusement en direction de Poudlard. Le château semblait encore endormi et rien ne laissait présager qu’une attaque était en cours. Le miroir dans sa poche chauffa et il le tira discrètement pour voir le visage de Sirius apparaître :

« Allez-y, ils sont en sous-nombre dans la Grande Salle. »

Rémus levant les yeux vers Tonks qui l’observait et qui leva le bras silencieusement et l’élança devant elle. Comme un seul homme, la Brigade fondit en direction de Poudlard.

***

Il ne fallut guère de temps aux deux jeunes filles pour remonter en direction de la Chambre Commune. Le portrait leur ouvrit le passage de bonne grâce, et une poignée de minutes plus tard, les Gryffondors étaient réunis autour de l’elfe de maison venu avertir Londubat.

« Dobby, préviens les préfets de Poufsouffle et Serdaigle. Que les élèves qui veulent se battre viennent et que les autres restent profondément cachés dans leur salle commune ! Ginny, récupérez les équipements de Quidditch, que les équipiers et spécialement les batteurs soient en capacité de déchaîner les cognards dans la Grande Salle. Seamus et Dean, vous avez bien compris comment utiliser les boîtes des frères Weasley ?!

— Oui ! répondirent-ils en chœur.

— Bien. Hermione, Luna, vous m’accompagnez aux jardins de Serdaigle. Je pense que notre allié s’y trouve. Aller tous, vous avez vos ordres ! » Termina Neville en levant la baguette.

Les Gryffondors et l’elfe de maison crièrent comme une armée et Hermione cligna des yeux, se souvenant du petit garçon potelé qu’elle avait pétrifié quelques années plus tôt.

***

Les premiers à frapper furent les Brigadiers. Les portes de la Grande Salle s’ouvrirent à la volée pour déverser d’épaisses traînées blanches dissimulant les sorciers et sorcières du Ministère. Les Mangemorts et les loups-garous, les élèves passés à l’ennemi envoyèrent immédiatement des maléfices et rapidement, le ciel magique se mit à gronder. Tonks décrivit un demi-cercle de sa baguette et lorsqu’elle apparut au milieu des tables, devant les Professeurs agenouillés, une langue de feu s’éleva entre elle et les loups-garous. Elle fixa de son masque Greyback et pointa le bout de sa baguette face à lui :

« À nous deux, chien. »

***

Severus fonça en direction de l’étage où se trouvait le bureau du Directeur. Les portraits mirent quelques marches avant de le reconnaître et de murmurer son nom d’un air effaré. Jane suivait péniblement sous la cape, son souffle se perdant dans la précipitation. Ils déboulèrent sans discrétion à l’étage avant qu’un terrible sifflement les arrête nets. Face à eux se dressa lentement un immense serpent dont le regard restait fixe sur Severus.

Soudain, sa marque des ténèbres le brûla comme le soir de la mort de Bellatrix. Deux Mangemorts se dévoilèrent et l’un d’eux ricana :

« Voici le traître qui bientôt sera puni.

— Thorfinn, reconnut Severus d’une voix neutre. Et je suppose Travers. Vous jouez les gardes-ménageries, maintenant ? A moins que cela ne soit cette bête qui vous garde de moi. »

***

« Londubat ? Lovegood ? Granger ?! Qu’est-ce que vous foutez-là ? Depuis quand ces deux sont de retour ?

— Zabini… murmura doucement Neville en levant sa baguette dans sa direction. Qu’est-ce que toi tu fais ici au lieu d’être avec les autres Serpentards dans la Grande Salle ? »

Plantés au milieu des couloirs, ils s’observèrent avec méfiance. Le Serpentard n’avait aucune raison de traîner à l’étage de la Salle Commune des Gryffondor, à moins que…

«  Tu as dit à Malefoy de trouver ceux de notre maison qui allaient aider, non ?

— Que fais-tu ici, répéta Neville d’un air suspicieux.

— Il le cherche, comprit Luna en choquant le Serpentard. Il a peur pour lui, je crois.

— Comment tu… ?

— Suis-nous. »

Neville ne lui laissa pas le temps de répondre qu’il bondit en direction des jardins, jusqu’à y arriver prudemment, baguette levée.

« Tu es prêt ? demanda-t-il à l’arbre.

— Tu es seul ? répondit l’arbre avec la voix de Draco.

— Non. Pas plus que toi, désormais. »

Le blond descendit lentement le long d’une branche, fixant Blaise avec insistance :

« Tu as pu contacter ceux qui pourraient se retourner contre Lui ?

— Oui. Mais on a les autres à nos trousses. Parkinson est morte.

— Comment ?

— Je l’ai tuée. » répondit Blaise en le fixant intensément.

Draco ouvrit la bouche, profondément choqué et recula involontairement d’un pas. Hermione plaça sa main devant sa bouche, horrifiée, tandis que Luna sembla ne pas faire grand cas de cette nouvelle. Neville secoua doucement la tête :

« Je suppose que tu n’as pas eu le choix.

— Si. Mais faire autrement aurait été stupide et dangereux.

— Tu… tu l’as tuée… comme ça… ? balbutia Draco.

— Je ne suis pas un Mangemort, Draco. Mais je ne suis pas quelqu’un de doux pour autant. Pas avec mes ennemis, du moins.

— Ca n’a aucune importance pour l’heure, Malefoy, où se trouve ton père ?

— Avec le Directeur.

— Il est en grand danger, alors. Nous avons encore une chance d’aller l’aider, coupa Neville en hochant la tête.

— Potter est avec vous ? demanda Draco, soudain.

— Il frappera au moment opportun, c’est entre lui et Voldemort, répondit Luna très sérieusement.

— Dommage. Le Seigneur des Ténèbres m’avait spécialement demandé de le lui apporter. »

Les Gryffondors tressaillirent et se retournèrent pour faire face à une poignée de Serpentards menés par un Mangemort encapuchonné. La voix leur était trop familière pour qu’ils puissent l’ignorer, et Hermione déglutit péniblement en tirant lentement sa baguette. Une main de métal abaissa lentement la capuche pour dévoiler une touffe de cheveux roux. Comme un seul rire abominable, une chanson monta des Serpentards, scandée avec une fierté goguenarde :

« WEASLEY EST NOTRE ROI ! »

Black Friday

Impossible. Impossible. Il avait vaincu la mort. Il avait dépassé le stade de la mortalité. Il avait été vaincu, mais jamais annihilé. Il était revenu, il était immortel. Son père était mort d’un simple sortilège, Dumbledore était mort d’un simple sortilège. Même Lily Potter était morte d’un simple sortilège. Et lui… ? Lui survivait. Tant que l’un vivait, lui survivait. Il avait gagné cette guerre ! Ses ennemis étaient à terre, le pouvoir de Potter ne suffirait jamais à le vaincre. Il aurait dû gagner cette guerre. Comment avait-il pu le trahir de la sorte ? Comment avait-il, lui, pu être aussi aveugle ? Lucius savait-il ce qu’il avait fait ?

Voldemort fixa Ron qui était inconscient à nouveau et se repassa mentalement la liste de ses Horcruxes. Un à un, il y pensa, un désagréable frisson remontant dans son dos. Ses yeux écarlates allaient et venaient à droite et à gauche tandis qu’il les imaginait devant lui, et, sans qu’il ne s’en aperçoive, sa main droite se mit à trembler.

***

« Tu as repris connaissance plus vite que je ne l’aurais cru…, murmura Severus.

— C’était… atroce. Je crois que nos amis ont terminé leur mission, eux aussi.

— Comment… ?

— J’ai entendu leurs cris. C’était…

— Harry ?! s’alarma Snape en le fixant. Qu’est-ce qui se passe ?! »

Le jeune homme s’immobilisa et ouvrit la bouche lentement, semblant lire quelque chose au loin. Il comptait lentement, sifflant des chiffres que personne ne comprit. Snape écarta du bras les autres, en leur jetant un regard impérieux.

« Est-ce du fourchelangue ? demanda Luna, fascinée.

— Je crois. Reculez. Il n’est plus ici. »

Harry égrena sa liste, avant de s’arrêter brutalement et de planter son regard dans celui de Severus. Blanc comme un linge, le visage fermé et résolu, il observait intensément son mentor, une lueur de profonde tristesse au fond des yeux. Snape écarquilla les siens, ouvrant la bouche pour dire quelque chose, mais Harry leva la main pour le faire taire.

« Qu’est-ce… qu’est-ce que tu as vu ? demanda Luna, incertaine.

— Ses Horcruxes. Tous.

— Tous ? Est-ce qu’on en a manqué… ? s’inquiéta Jane.

— Le journal, murmura Harry. Le médaillon. La coupe. Son serpent. La bague. Le diadème. Sa vieille médaille à Poudlard…

— Le nouveau pour arriver à sept, pensa comprendre Jane.

— Sauf qu’il en a fait huit, répondit Harry. Huit, et il les connait tous. »

Il jeta à nouveau un regard accusateur en direction de Severus qui s’assit lentement sur le lit, comme sous le coup de l’émotion. Snape hocha la tête en comprenant quelque chose :

« Il n’a pas refait un Horcruxe par erreur… mais par remplacement, murmura-t-il. Il avait l’intention d’en détruire un.

— Lequel… ? Pourquoi faites-vous tant de mystères tous les deux ?!

— Moi, sourit faiblement Harry. Moi, évidemment… Vous le savez depuis longtemps, d’ailleurs, se tourna-t-il vers Snape. Vous savez depuis longtemps que je suis destiné à être détruit. »

***

Lucius survolait des yeux le rapport de commission que sa nouvelle secrétaire lui avait transmis. Devant lui, elle babillait d’une voix enthousiaste la liste des mesures et résultats d’enquêtes, fière d’avoir enfin la possibilité de prouver au Ministre de la Justice ses compétences. En temps normal, Lucius adorait jouer ce jeu et impressionner ses nouvelles recrues, mais pour l’heure, son esprit était dirigé vers sa femme et surtout son fils. Depuis son entrevue avec le Seigneur des Ténèbres, il ne parvenait pas à chasser de ses pensées la menace qui planait au-dessus de Draco. Narcissa refusait qu’il soit marqué, sans comprendre qu’ils ne pourraient indéfiniment dire « non » à Lord Voldemort. Lucius grimaça devant le titre usurpé et une bouffée de colère s’empara de lui, supplantant momentanément la crainte et l’atroce sentiment d’impuissance.

Il allait condamner son fils et blesser à jamais sa douce épouse pour un Sang-Mêlé qui se prenait pour un noble, qui les humiliait de son titre, leur riant au nez en voulant leur montrer que leur nom et leur pouvoir n’étaient rien. Héritier ou non de Serpentard, il restait un fils de Moldu, pauvre, inconnu et en train de sombrer dans une telle folie que toute leur culture était menacée. Un homme qu’il fallait arrêter à tout prix, mais contre lequel ils ne pouvaient rien.

« Votre action est clairement dans une optique d’inclusion des…

— Sortez.

— … Monsieur le Ministre ?

— Ça sera tout pour aujourd’hui Maria.

— Clara.

— Bonne soirée.

— Mais, Lord Malefoy, il n’est que…

— Bonne soirée. » Répéta Lucius avec dureté.

La jeune fille attrapa ses affaires en évitant de le regarder à tout prix, de grosses larmes menaçant de couler. Qu’avait-elle fait de mal ? Est-ce qu’elle n’avait pas été assez intéressante dans son exposé ? Tant d’heures de travail pour se faire… Lucius secoua la tête en s’agaçant de la sensibilité de sa secrétaire. Le temps n’était plus à la pleurnicherie ou à penser à sa seule carrière. Il se leva, hésitant à contacter directement Narcissa, mais se rassit. Pour lui dire quoi ? Qu’il avait pris la décision de faire marquer Draco ? Que leur enfant devrait jouer trouble jeu en espérant que Potter détruise Voldemort… S’il en était seulement capable. Et la coupe ? Qu’allaient-ils faire de la coupe ? Le Seigneur des Ténèbres devait nécessairement savoir qu’elle était aujourd’hui en leur possession. Narcissa était la seule héritière de sa sœur. S’ils venaient à ne plus l’avoir… et le journal ? Son cœur s’emballa brutalement à cette idée. Il était impératif que l’issue de la guerre se décide avant même que Voldemort n’apprenne la vérité.

***

Narcissa s’enferma dans son petit cabinet privé et alluma le grand chandelier qui éclairait son bureau. Elle tira du tiroir un beau morceau de parchemin, une plume lustrée et de l’encre bleue nuit, puis elle prit place et noircit peu à peu de sa belle écriture la lettre.

***

Voldemort transplana directement face à de grandes falaises fouettées par des vagues aussi furieuses qu’il ne l’était. L’écume moussait à gros bouillons autour de lui, projetant des gouttes salines sur sa robe comme autant de larmes suppliantes. Il s’envola à nouveau en direction de la grotte qu’il avait quittée des années auparavant pour se retrouver face au roc qui n’aurait pas dû être ouvert. La peur s’empara brutalement de lui, s’infiltrant dans ses veines comme un poison que son corps ne semblait plus capable d’éliminer. Comment celui-ci avait-il pu être découvert ? Qui aurait pu deviner – et comment ? qu’il avait caché quelque chose ici… ?

Il lança un sort conte la pierre et de légères traces rouges brillèrent un instant dans l’obscurité. Se superposant pratiquement les unes aux autres, trois traînées se détachaient de la roche. La plus vieille, sombre et pratiquement effacée par l’air salin avait une odeur très différente des autres. Voldemort inspira longuement, avant d’hocher la tête, c’était bien le sang de l’elfe. Deux autres sorciers étaient donc venus ici, un pratiquement à la même époque que l’elfe, un autre récemment. Très récemment. Voldemort passa sa baguette sur la dernière trace, mais elle ne vibra pas.

« Ce n’est donc pas toi… serait-ce le vieux, alors… ? »

Voldemort ferma les yeux et avança dans le long corridor, réfléchissant à ce qui avait bien pu se passer. Le lac dormait paisiblement sous une voûte rocheuse noircie par les flammes. Voldemort hocha la tête, reconnaissant là la puissance de son adversaire :

« Tu maîtrisais à la perfection le feu. Tu n’as pu venir seul… Tu étais… TU ÉTAIS AFFAIBLI LORS DE L’ATTAQUE ! » Il éclata alors d’un rire sinistre.

« Mais quelqu’un d’autre est venu… quelqu’un qui a échoué avant toi… Qui… ? Qui n’a pas sa place parmi mes serviteurs… ? »

Il leva sa baguette et les eaux se mirent à frémir, jusqu’à bouillir férocement. Des mains jaillirent de l’écume avant de replonger et de faire émerger un corps boursoufflé par les eaux et le maléfice. Peu à peu, les mains l’amenèrent docilement à sa hauteur et Voldemort plissa des yeux devant le cadavre de ce qu’il semblait être un jeune homme brun au visage trop doux pour n’avoir jamais représenté une menace.

Le Mage Noir écarquilla les yeux, murmurant un nom qu’il n’aurait jamais imaginé voir se retourner contre lui.

***

« Draco,

Quoi que vous pensiez devoir faire pour faire la fierté de votre nom, n’oubliez jamais que si un Malefoy ne manque à aucun de ses devoirs, un Black décide seul de son destin.

Votre père aura veillé à ce que toutes les portes s’ouvrent à votre ordre, quand j’ai veillé à ce que vous puissiez refermer celles dont vous voudriez vous détourner.

De tous les trésors dont nous avons pu vous couvrir, ma plus grande fierté aura été de vous avoir offert la liberté.

De tous les trésors dont j’ai pu être entourée au cours de mon existence, celui qui me fut le plus précieux et que je chéris par-dessus tout aura été de vous avoir. Il n’y a pas eu plus grand honneur et plus grande fierté pour moi que de vous avoir élevé et de vous avoir tant aimé. Et il n’y a pas eu plus grande décision que celle que j’ai prise pour votre avenir.

Je crains de ne pouvoir continuer à vous accompagner, mon fils adoré. Mais je suis certaine que vous saurez disposer de la chance que j’ai tenté de vous octroyer.

Saisissez-la comme aucun autre Malefoy ou Black n’a pu le faire avant vous et vivez l’existence que vous méritez. Et aucune autre.

Avec tout mon amour,

Votre mère,

Narcissa Black, Lady Malefoy »

***

Jane chancela légèrement et se recula en direction de la fenêtre, incapable d’assimiler pour l’instant les propos de Harry. Luna ferma brièvement les yeux, puis sourit avec tristesse, et Harry eut soudain l’envie de pleurer :

« Tu l’avais compris… Depuis quand ? lui demanda-t-il.

— Je ne sais pas. Je l’ai vu dans la salle sur Demande, quand tu l’as vu toi-même. Je l’ai vu chaque fois qu’il s’est emparé de toi. Je n’étais pas certaine qu’il soit nécessaire de…

Le pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore, marmonna Jane. C’est donc cela, ce pouvoir ? Rien d’autre ? Je ne comprends pas, comment est-ce que cela peut être un pouvoir ?

— Harry voit ses émotions, entend ses pensées. Plus Son âme disparaît, plus ils résonnent comme deux lames de diapason, expliqua Severus.

— Destiné à mourir. Une arme à usage unique, soupira Harry. C’était ça mon pouvoir. »

Le jeune homme se sentait étrangement vide face à ce qui n’était pas une révélation. Il s’en était effectivement rendu compte bien plus tôt, douté qu’il n’avait pas qu’un seul lien avec Voldemort, que sa façon de sentir les Horcruxes était anormalement précise… Que la facilité avec laquelle il avait pu jeter le sortilège de la mort était trop révélatrice. Il avait puisé, pendant des années, et de plus en plus, dans la part d’âme de Jedusor pour faire ce que lui, Harry, était fondamentalement incapable de faire… Harry qui pardonnait à sa famille, Harry qui était trop bon d’après ses amis pour faire du mal à qui que ce soit. Il portait en lui le moyen de vaincre Voldemort. Le pouvoir de le faire. Celui d’être ce qu’il devait être. Il soupira à nouveau, sentant une vague de tristesse et de résignation l’étreindre. Il aurait tant voulu pouvoir n’être qu’Harry. Jane se rapprocha de lui, jusqu’à s’accroupir à sa hauteur, l’observant avec inquiétude :

« L’un ne peut vivre tant que l’autre survit, récita-t-elle. La prophétie elle-même dit que vous avez la possibilité de…

— La prophétie n’est pas absolue, coupa Snape. Dumbledore avait été catégorique. Harry doit mourir. »

Il avait dit ça brutalement, comme toujours profondément en colère face à cette réalité. Il repensa à Lily et se surprit à chercher le regard du garçon pour s’y plonger dedans. Lui qui s’était détourné de la tentation de la pierre de résurrection interrogeait à présent les fantômes du passé en se noyant dans l’émeraude de son élève. Il y cherchait une condamnation et un pardon. Il aurait aimé que Lily lui en veuille, puis lui pardonne. Qu’elle comprenne une nouvelle fois ce qu’il avait dû faire. Ce qu’il était et serait à jamais. Mais il ne lut que de la tristesse et cela lui retourna l’estomac. Severus posa sa main sur la nuque du jeune homme, puis son front contre le sien, et murmura tout bas :

« Pardonne-moi. »

***

« Lord Malefoy pour Lady Malefoy. »

Lucius était incertain quant à sa démarche. Il était impossible d’annoncer une telle chose à une mère de façon agréable, mais il allait essayer. À moins que cela ne soit parce qu’il pressentait que le temps leur manquait et qu’il désirait plus que tout profiter des moindres instants avec elle… ?

Ils pourraient passer une soirée et une nuit merveilleuses et puis demain, quand les ténèbres se seraient dissipées, là, dans les prémices de l’espoir que seule l’aube sait offrir, il lui annoncerait. Il lui annoncerait que son fils, leur fils, son bébé, serait offert en tribut.

« Lady Malefoy est indisponible, apparu soudain Moky dans l’âtre.

— Ah… soupira Lucius, déçu. Dis-lui de ne pas manger seule ce soir. Je rentrerai d’ici une heure, deux tout au plus…

— Oui.

— Bien… Bien. »

Lucius rompit le charme et regarda sa montre à gousset. Il avait congédié sa secrétaire bien après l’heure du thé, il lui restait tout juste le temps de filer à la Rosée de Lune exiger une table et la privatisation du restaurant. Une légère vague d’appréhension monta en lui, un frisson qui fit dresser les poils de ses avant-bras, qu’il attribua à l’excitation romantique. Lucius Malefoy n’avait après tout qu’une faiblesse.

***

Harry voulut détourner le regard, refusant de porter en plus ce poids, quand Snape ajouta :

« Pardonne-moi, Harry. »

Le jeune homme écarquilla les yeux, avant de les fermer et de laisser son front reposer contre celui de son professeur dans une proximité qu’il n’aurait jamais plus avec lui.

« Il n’y a rien à pardonner, répondit-il doucement. C’est ainsi. Vous avez fait tout ce que vous avez pu.

— Si je n’avais pas rapporté la prophétie…

— Neville aurait été à ma place, coupa Harry. Et il aurait tout autant souffert, et ça n’aurait pas été plus juste. C’est comme ça, Severus. Toutes les pièces ont un rôle, il faut juste espérer que la main qui les déplace sache ce qu’elle fait. »

Il se redressa péniblement, observant les restes des Horcruxes avec un léger soulagement. Ils étaient proches du dénouement. La perspective de sa mort imminente était un étrange sentiment qu’il ne parvenait encore pas à comprendre. Peut-être avait-il toujours accepté cette possibilité ? Jane s’approcha de lui et le prit dans ses bras dans une étreinte maternelle qui ne lui ressemblait pas.

« J’aimerais tellement avoir du jus de citrouille à te proposer. » Murmura-t-elle avec mélancolie.

Harry sourit et hocha la tête.

« Oui, tout semblait plus facile dans votre bureau, quand nous ne parlions juste que de mes amours ratés. »

Luna prit sa main lentement et lui baisa le dos. Elle jeta un œil à la fenêtre qui montrait le soleil en train de se coucher et soupira :

« Et soudain, il me semble impossible de dire si j’ai froid. »

***

Moky disposait avec soin la tasse, la théière, sucre et lait. L’elfe ajouta les petits sablés au gingembre et à l’anis qui sortaient tout juste du four, tout en sachant que sa maîtresse n’y toucherait pas, se contentant d’en apprécier l’odeur. Il se sentait triste pour elle, quelque chose n’allait pas. Elle s’était pressée toute la matinée pour se préparer à un événement qui semblait secret, même aux yeux de son mari, s’était absentée en début d’après-midi et était revenue plus distante que jamais. S’enfermant dans son cabinet, elle avait travaillé dès lors à l’élaboration de lettres que Moky n’avait pu encore lire. Le vieil elfe avait alors vu l’aristocrate raturer plusieurs fois, froisser les parchemins, alors même que d’ordinaire elle semblait trouver si facilement les mots pour plaire. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose avait changé dans le rythme parfaitement millimétré et immuable du manoir Malefoy.

L’elfe transplana en silence dans le cabinet et posa le plateau avec la même discrétion. Trois lettres figuraient sur le bureau, parfaitement cachetées et Moky leva des yeux interrogatifs en direction de sa maîtresse qui hocha la tête.

« Porte ces deux à la volière et celle-ci dans son bureau.

— Oui, Maîtresse. »

Moky laissa le plateau et repartit avec une lettre adressée à Lord Malefoy, une à Draco Malefoy, et une dernière à Lord Black.

***

Lucius arriva à la Rosée de Lune en début de soirée. Le soleil avait déjà disparu derrière les gratte-ciels moldus et quelques badauds faisaient la queue pour espérer avoir une place. Il se présenta devant la porte qui restait désespérément fermée et frappa trois coups, puis un, et enfin un autre. La porte s’ouvrit et il s’engouffra à l’intérieur.

Le long du couloir, il gardait un œil sur sa montre à gousset, voulant se presser avant que Narcissa ne pense qu’il ne rentrerait une nouvelle fois pas à l’heure du repas. Il lui fallait pouvoir la contacter avant qu’elle ne passe à table, l’invitant à le rejoindre pour ce dernier instant.

***

« Je vais voir ce qu’on peut faire à manger, proposa Jane après un moment. Nous allons rester ici pour la nuit, je suppose ? »

Harry s’était rapproché de Luna et avait passé son bras droit autour de ses épaules et regardait lui aussi à travers la fenêtre la nuit s’étendre sous leurs yeux.

« Oui, je viens avec vous. »

Severus se releva et partit en laissant les deux jeunes gens seuls.

« Il a besoin d’encaisser, murmura-t-il inutilement.

— Personne ne peut digérer, ça, Severus. Il n’y a que dans les films que les héros acceptent doctement leur sort. »

Snape s’arrêta un instant dans les escaliers et se retourna. Avec une marche de différence, elle était presque plus grande que lui. Il releva le menton pour planter son regard dans le sien.

« Il l’a déjà accepté, Jane. Il n’a juste pas encore choisi comment mourir. »

Elle cligna des yeux et sentit son ventre se contracter à cette idée. Une vague impression flottant dans son esprit.

« V… tu as fait ton choix ? lui demanda-t-elle, brusquement.

— Et toi, tu es prête ? »

Jane se retourna et lança un pauvre regard en direction de la chambre de Harry, une vague impression de regret, de tristesse et de pitié mélangées.

« Tu m’avais promis un monde magique… » Murmura-t-elle en se retournant vers lui.

Severus se redressa lentement en prenant son visage dans sa main pour l’abaisser à sa hauteur.

« Je t’avais aussi promis de graves dangers. » Ajouta-t-il avant de l’embrasser.

***

Narcissa regarda sans envie la tasse de thé qu’elle venait de se servir. Plus que tout, elle aurait préféré que Lucius ne soit pas au Ministère à cet instant en train de jouer au Noble Jeu. Plus que tout, elle aurait souhaité l’avoir près d’elle, pouvoir lui donner directement cette lettre, en finir au plus vite. Tout lui avouer. Tout lui dire.

Que c’était terminé. Que Draco ne serait jamais un Mangemort. Qu’il fallait à présent le cacher… qu’il fallait espérer que le mage que leur maison avait jadis un jour servi soit enfin détruit. Qu’il fallait espérer survivre jusque-là.

Un bref instant, elle repensa à Snape. À ce qu’il lui avait dit deux heures plus tôt. À ce qu’il lui avait montré également. Comment pouvait-il vivre ainsi, sans craindre de perdre… Cette simple idée lui tira des larmes et elle se sentit plus impuissante que jamais. Elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour protéger sa famille. Elle n’avait plus qu’à attendre.

Le craquement d’une latte derrière la porte de son cabinet la fit frissonner. Son cœur bondit soudain dans sa poitrine. Elle se retourna pour voir que la lumière sous la porte vacillait. Elle sourit, rendant grâce à Merlin d’avoir entendu ses prières muettes. Narcissa replaça sa robe sur ses épaules et marcha rapidement en direction de la porte. Elle inspira profondément, cherchant le courage d’affronter ce qui allait suivre, s’humectant les lèvres qu’elle savait rougir à l’instant même. Elle ferma les yeux, puis les ouvrit, en même temps qu’elle ouvrit la porte pour se jeter au cou de son mari.

***

« Le rouge sera parfait. Je ne veux pas d’autre couleur. Pas même de l’or. Usez de rubis s’il le faut. Le coût n’est pas un frein. »

La petite patronne rousse de la Rosée de Lune roucoula de plaisir.

« Il ne l’est jamais avec vous. »

Lucius hocha la tête et observa la salle entièrement vide où trônaient table et chaises, encadrées de tentures et de voilages, bougies, chandeliers, perles et gemmes de décoration. Il se demanda brièvement s’il avait fait faire pareille table à son épouse pour la demander en mariage, mais ce qu’il avait à lui dire était sans doute bien plus important. Et le rouge, sombre, ne pouvait être que la couleur dominante.

Un œil à sa montre à gousset lui montra qu’il était aux alentours de 21h, et qu’il était temps de demander à Moky si sa femme était prête. Il se dirigea à la cheminée centrale du restaurant et jeta de la poudre dans la cheminée.

« Lord Malefoy pour Lady Malefoy. »

Il attendit avec impatience, jusqu’à ce que Moky ne reparaisse enfin. Le vieil elfe le fixait d’un regard vague et répéta une nouvelle fois :

« Lady Malefoy est indisponible.

— Je t’avais dit de la prévenir ! tonna Lucius qui sentait une sourde colère monter. Où est-elle ?!

— Ici.

— Fais-la mander immédiatement.

— Non. »

Lucius devint soudain aussi écarlate que les tentures et inspira profondément pour tenter de garder un semblant de calme.

« Ose me dire une nouvelle fois « non », et je viendrai te rappeler pourquoi tu te dois de m’appeler « Maître », menaça-t-il d’un ton acide. Où. Est. Ma. FEMME ?!

— Ici, répéta Moky. »

L’elfe marqua un temps, avant d’ajouter d’un ton pâteux :

« Je viendrai te rappeler pourquoi tu te dois de m’appeler Maître. »

Les flammes moururent et le regard de Lucius s’éteignit immédiatement. La pièce tourna autour de lui et Lord Malefoy dut s’agripper au manteau de la cheminée pour ne pas chanceler.

***

« Il nous reste plus qu’à attendre dix minutes, soupira Jane, épuisée. Ne vous fiez pas à l’horloge, elle avance. Il est à peine 19h sur mon smartphone…

— Elle avance de deux heures ! » S’agaça Severus qui la décrocha du mur pour bouger les aiguilles.

Jane l’observa faire, intriguée de l’anachronisme du geste. Ils étaient descendus tous les deux dans la cuisine chercher quelque chose d’encore comestible chez les Dursleys et étaient tombés sur une réserve de conserves et sacs de riz et pâtes secs suffisante pour tenir un siège.

« Quelle importance, finalement ? demanda-t-elle. L’heure est venue pour tout le monde. Ici, le temps s’est arrêté en octobre, là-haut pour Harry le temps sera à jamais…

— Les pendules peuvent se redémarrer, murmura Severus en raccrochant celle de la cuisine. La trotteuse peut reprendre son cours avec la bonne impulsion. »

Il lui jeta un regard entendu, mais elle sembla sourde à son discours. Elle posa la sauce tomate qu’ils avaient bricolée sur la table et haussa les épaules.

« Oui… ‘fin… si on meurt, impulsion ou non, la trotteuse s’arrête.

— Tu as peur de mourir ?

— Tout le monde a peur de mourir ! cria-t-elle presque.

— Non. Lui a peur de mourir. Mais Dumbledore ne craignait pas la mort. Il y a un conte sorcier qui parle de…

— Les trois frères ? coupa Jane. Ne te fatigue pas, je l’ai lu. Ça a fait partie des livres que Minerva a ajouté à ta liste interminable de choses à savoir sur ton monde. Sauf que le dernier frère a accepté la mort, parce qu’il est mort… de vieillesse. Et ça ne semble pas tellement être notre destin, je te signale. J’aurais cru que tu pouvais comprendre ce que je voulais dire.

— Pourquoi ? Parce que tu crois que je suis pareil au deuxième frère ? »

Jane remua les pâtes pour tenter d’éluder la question.

« Même si je te répondais, tu ne me croirais pas, sourit-il en s’approchant d’elle. Le troisième frère accepte la mort non pas parce qu’il est vieux et a bien vécu, mais parce qu’il reconnait qu’elle fait partie de la vie.

— Comment peux-tu dire ça après celle que tu as menée ? Les vies que tu as prises… celles que tu as aimées et que tu as pourtant perdues ! »

Severus lui enleva la cuillère des mains pour qu’elle laisse les pattes enfin en paix et l’observa gravement.

« La mort est l’amie de tout assassin, Jane. La seule vraie maîtresse qui nous suit et nous couve d’un œil maternel… Avant de nous prendre à son tour quand elle n’a plus besoin de nous. On ne peut tuer en ignorant qu’on finira par être tué.

Qui vit par l’épée, périra par l’épée…, récita Jane, d’un air sombre.

— Encore un de tes comics ?

— Non, la Bible.

— Il s’est servi des Horcruxes pour survivre, il périra via l’un d’eux, acquiesça Severus. J’ai vécu en Mangemort, je serai sans doute…

— Je te l’interdis, souffla-t-elle horrifiée.

— Ah ! N’oublie pas que tu es Moldue, Jane… tu n’as hélas aucun pouvoir, pas même celui de m’empêcher de mourir si je dois le faire.

— J’ai déjà pu le faire, rappela-t-elle. J’ai déjà pu te sauver, une fois.

— Tu ne sais pas compter.

— Les pâtes !

— Oui, aussi. »

***

Narcissa referma ses bras autour du cou, son cœur battant la chamade d’appréhension face à la discussion qui allait venir. Elle avança son visage pour embrasser son mari et ses lèvres rencontrèrent une bouche scellée, aux lèvres pincées et dures comme de la pierre. Elle s’écarta vivement, comme baisée par un Détraqueur et regretta immédiatement que ce ne fut pas le cas.

Elle balbutia, incapable de trouver quoi dire. Son cœur battait de façon anarchique, trop rapide, marquant de légers arrêts, lui faisant peu à peu atrocement mal dans la poitrine. Autour d’elle, les couleurs dansaient et se mélangeaient alors que la pièce chavirait au même rythme que ses espoirs. Elle recula d’un pas, puis deux, face à l’intrus dont elle ne pouvait se détourner. Elle se cogna à son bureau, sa tasse de thé cliquetant dans sa petite coupelle, éclaboussant le bois. La gorge sèche, Narcissa rassembla tout son courage et ordonna dans un soupir :

« M… Moky ! »

L’ombre noire écarta un bras pour laisser apparaître le vieil elfe qui avança mécaniquement, les yeux dans le vague. La belle aristocrate frissonna, sentant une sourde panique s’emparer d’elle, tentant néanmoins :

« Lucius… préviens Lucius, qu’il… Qu’il protège… qu’il ne vienne… »

Le Mage Noir étira sa bouche légèrement rosie par le rouge à lèvres de la blonde et siffla avec délectation :

« Moky veillera à ce que ton époux ne nous dérange pas. »

Narcissa sentit ses jambes céder sous leur poids et elle s’effondra à genoux. Il sourit plus largement, s’apprêtant à se moquer d’elle quand il la vit se redresser péniblement, avant de lui lancer un regard digne de celui de sa défunte sœur. Elle était une Black, et même face à Lord Voldemort, les Black ne supplient pas.

***

Lucius sortit en trombe de la salle, bousculant pratiquement la petite tenancière qui lui demanda vaguement si elle avait fait quelque chose de mal. Il entendit sa question comme s’il était appelé au travers d’un épais brouillard. Ses oreilles bourdonnaient, son sang battait violemment à ses tempes, pompé avec frénésie par un cœur qui se savait sur le point de se briser. La phrase prononcée par l’elfe tournait en continu dans sa tête, comme un tourbillon furieux prêt à avaler sa raison tout entière. Un nom monta lentement au milieu de ce maelstrom, œil cyclonique de sa panique. Et, sans s’en rendre compte, il le répéta doucement à voix haute alors qu’il courait dans la rue, faisant se retourner les infortunés qui n’auraient jamais une place à la Rosée de Lune.

« Narcissa, Narcissa… Narcissa ! »

Il bifurqua à la première ruelle puante qu’il trouvât, et, sans même vérifier qu’il n’avait été vu de personne, il transplana immédiatement au manoir Malefoy. Narcissa était avec Lui.

***

Elle retomba au sol, ses cheveux blonds tenus fermement par la main arachnéenne, alors qu’il relâchait le sortilège. Jamais elle n’avait ressenti la morsure du Doloris et elle pensa brièvement à toutes les victimes des atroces tortures dont elle avait entendu parler et dont sa sœur avait été accusée. Pendant une poignée de minutes qui lui parut être un calvaire éternel, Narcissa avait oscillé entre d’horribles regrets à propos de sa décision et une détermination croissante face à l’impérieuse nécessité d’arrêter ce fou.

La respiration rendue sifflante à cause de l’Impardonnable, elle fixa le tapis de sol qu’elle avait fait spécialement faire en Syrie après qu’ils aient reçu un prince du pays qui l’avait ravie. Elle repensa à cette magnifique soirée mondaine qui avait manqué de terminer dramatiquement. Alors qu’elle revoyait sous ses yeux un jeune Severus en proie à des convulsions sur son canapé à cause de ce même sort, elle entendit nettement Voldemort se servir un thé d’une autre main et le boire sans autre forme de procès.

« Pardonne-moi de ne pas m’être annoncé, Lady Malefoy. Mais je voulais être certain que ton mari ne serait pas là pour nous interrompre… Et puis, je crois que toi et moi avons beaucoup de choses à nous raconter. »

Narcissa ferma les yeux, les épaules tremblantes et attendant ce qui allait inévitablement suivre, se replongeant dans ce vieux souvenir, cette nuit où Lucius avait ramené chez eux une jeune recrue qui avait déplu à leur Maître. Cette nuit où elle avait pensé que Snape avait dû faire quelque chose de terrible pour recevoir une telle punition. Cette nuit où elle n’avait alors pas compris ce qu’être Mangemort impliquait. Ce qu’être Mangemort demanderait à son fils. Cette nuit qui avait fini par la hanter à mesure qu’elle voyait Draco grandir…

« Je viens tôt, poursuivit Voldemort, pour échanger quelques confidences avec toi… Ou plutôt, que tu m’en fasses. Veux-tu du thé, très chère ? »

Elle se risqua à l’observer à travers les mèches blondes qui lui barraient le regard et il partit à rire. Un rire glacial qui lui rappela celui de sa sœur. Elle eut une vague de haine intense à son égard, mêlée d’une pitié incroyable. Que ne s’était-elle pas à attachée à un monstre, en fin de compte… ?

« Ah… Bellatrix…, murmura Voldemort en lisant dans son esprit. La plus fidèle de mes serviteurs. La plus compétente. La seule n’ayant voulu que la réalisation de mon noble projet. Bellatrix qui m’a été enlevée à cause de ce traitre de Severus. Et qui me trahit par-delà la tombe. À travers toi, son propre sang. »

Il resserra sa prise et tordit la tête de sa captive en arrière pour qu’elle le regarde bien. Il porta à ses lèvres la tasse de thé, avant de se raviser et d’en verser lentement le contenu sur son visage. Narcissa ferma les yeux tandis que le thé chaud nettoyait ses larmes et emplissait ses narines. Elle crachotait, toussa, mais continua de refuser de montrer le moindre signe de faiblesse.

« Il n’a pas supplié. » Avait dit Lucius en explication ce soir-là, se souvint-elle. « Il est fier et orgueilleux, alors il n’a pas supplié. Au début ça a amusé le Seigneur des Ténèbres qui voulait voir jusqu’où il pouvait tenir… puis ça l’a profondément mis en colère. Et il a essayé de le briser.

Il est mourant, avait-elle alors chuchoté, interloquée de la bêtise manifeste de Snape.

Il a tenu plus longtemps que quiconque, avait répondu Lucius. Il a gagné son droit parmi nous. Et le respect de notre Maître…

C’était un pari risqué.

Cela n’avait rien d’un pari, c’est une question de fierté. »

Quand elle rouvrit les yeux avec détermination, Voldemort l’observait avec curiosité et elle sentit sa magie voler avidement ce souvenir. Il ricana et jeta la tasse au feu.

« Tu ne tiendras pas aussi longtemps que lui, tu peux me croire… Et j’ai besoin que tu répondes à ma question. Après, je te le promets, tu pourras me montrer quand ta voix se brisera. Maintenant, dis-moi. Où sont la coupe et le journal ?! »

Narcissa voulut détourner les yeux, mais la main de Voldemort attrapa ses joues et les enserra comme des griffes qui l’obligèrent à le regarder. Elle ferma immédiatement les yeux et tenta de penser à toute autre chose.

« Ouvre-les ou je t’arrache les paupières. »

La menace, mélangée au sortilège d’Imperium qu’elle sentit appuyer brutalement sur son esprit la fit obtempérer, et Voldemort s’empara alors de son âme.

***

Jane passa ses mains autour du cou de Severus et l’embrassa soudain passionnément. Il fronça les sourcils un bref instant, s’apprêtant à répliquer qu’il fallait appeler les petits pour passer à table, mais la façon dont elle se pressa contre lui et l’urgence de leur situation le convainquirent de poser ses mains sous ses fesses pour la faire asseoir sur l’évier. Tant pis pour les pâtes, il apprendrait à se servir d’un micro-ondes. Jane verrouilla ses jambes autour de ses hanches et se rehaussa à la hauteur de son bassin qui répondit par automatisme. Severus posa une main sur ses reins et une autre sur sa nuque, la poussant à se cambrer contre lui, leur tirant un soupir à tous deux.

« Je sais que c’est pas le moment, souffla-t-elle entre deux baisers. Que les gosses peuvent débarquer à tout instant, mais…

— Mais il n’y en aura pas d’autre et tu meures d’envie que je te… »

Un bruit mat, suivi d’une série de pas précipités dans les escaliers le coupa dans sa phrase. Severus s’arracha brutalement à leur étreinte et sortit en trombes de la cuisine, la baguette tirée.

« HARRY ?! hurla-t-il

— Professeur ! apparu soudain Harry essoufflé. Il se passe quelque chose. Il est en train de faire quelque chose de terrible, je crois.

— Où est Luna ? s’inquiéta Jane qui sauta de l’évier aussitôt.

— Tout va bien, répondit la jeune fille. Nous n’avons rien. Harry me racontait juste l’histoire des barreaux quand il a commencé à mélanger notre conversation et celle qu’il tenait avec une autre femme.

— Harry parlait… ?

— Non, coupa Harry. Non, je crois qu’Il a compris pour Malefoy. Je crois qu’Il est…

— Qu’avez-vous vu ?

— Bellatrix, la coupe, je vous ai vu, vous aussi… Vous étiez jeune et en train de… Attendez.

— Harry ?

— Attendez. Il… »

Son regard se fit lointain tandis qu’un sourire de plaisir illumina son visage. Jane et Severus froncèrent les sourcils alors que Luna pâlit brusquement, lui ayant déjà vu cette expression.

« Ne va pas trop loin ! lui cria-t-elle.

— C’est si… si bon. » Roucoula Harry en leur tirant un horrible frisson de dégoût.

***

Narcissa repensa au prince syrien qui l’avait fait danser toute la nuit. La beauté de son visage, la grâce de ses gestes. Elle n’avait jamais aimé d’autre homme que Lucius et pourtant, ce soir-là, elle avait nourri un fugace et pourtant intense désir à l’égard d’un autre. Et ce qui avait été un moment unique s’était transformé en horrible soirée à panser les plaies d’un jeune adulte qui avait vomi de douleur sur son canapé. Le nez contre le tapis d’Orient, sentant avec précision les odeurs de bougie, d’encens, de bile et de sang, elle repensa à cette soirée qui semblait symboliser à cet instant sa vie. Une merveilleuse soirée dans les bras d’un homme magnifique, se soldant par un intense cauchemars dont elle ne pouvait s’extirper. Mais Severus avait fini par se relever et quitter le manoir en vie, et elle avait retrouvé les bras aimant de son mari. Alors que cette nuit… elle tourna la tête, reposant son front contre le sol, tandis que des larmes d’infinie tristesse se mêlaient à celles de douleur. Depuis quand était-elle là, d’ailleurs ?

Voldemort était penché au-dessus d’elle, essoufflé. De la sueur perlait sur son front tandis qu’il relevait sa baguette. Fouiller l’esprit de sa captive, la torturer, et maintenir son emprise sur l’elfe l’épuisait. Mais il sentait une profonde libération venir, celle d’une tension sourde qui l’avait habité depuis l’attaque du Ministère et que sa victoire sur Poudlard n’avait pu totalement l’en délivrer. Le soleil avait enfin disparu et il ne lui restait plus beaucoup de temps pour son œuvre. À ses pieds, Narcissa rampait, la voix brisée d’avoir tant hurlé. Elle ne semblait pas s’en rendre compte, mais elle parlait d’une voix aphone, qu’aucune oreille ne pouvait à présent entendre. Elle n’avait pas supplié, elle s’était débattue, furieusement, intellectuellement, physiquement. Et à présent, son corps et son esprit meurtris se raccrochaient tant bien que mal aux bords de ce ridicule tapis bleu nuit qu’elle avait souillé de son agonie.

Narcissa avança la main en direction de la porte quand elle entendit la voix de Lucius et de Moky et elle supplia. Elle supplia. Mais elle le supplia lui. Voldemort sentit la colère exploser et agita brutalement la baguette, un désagréable sentiment d’échec chevillé à l’âme.

***

Harry cligna des yeux, et l’instant d’après regarda Severus gravement. Jane avança d’un pas, mais Luna lui fit signe de ne pas bouger, elle pressa la main de son ami et attendit avec patience qu’il s’explique.

Le jeune homme tira une des chaises de la cuisine où il avait eu l’habitude enfant de servir le repas. Il jeta un pauvre regard au dîner qui avait été fait notamment pour lui et soupira de lassitude.

« Poudlard. Il retourne à Poudlard.

— … Quand ? Pour y faire quoi ?!

— Je ne sais pas vraiment. J’ai vu le visage de Draco. J’ai vu celui de Ron. Je n’en sais pas plus.

— Weasley est en vie ? demanda brutalement Snape en se penchant vers lui. Vous en êtes certain ?

— Oui. Je l’ai vu aller à Poudlard avec lui. À ses côtés.

— Impossible, marmonna Jane. Il ne pouvait être chez les Malefoys à un instant et celui d’après marcher sur Poudlard. Et, du reste, Ron ne trahirait jamais.

— Non, je sais. Il fait ça pour m’attirer à Poudlard.

— Alors, c’est la fin… ? murmura Jane. Tout se joue effectivement dans cette école dont il est le dernier héritier en vie… »

Elle baissa les yeux et Severus secoua la tête lentement.

« Vous n’êtes pas responsable de l’erreur de Dumbledore, Miss. » Lui rappela-t-il en remettant les formes.

« Il aurait de toute façon choisi Poudlard, expliqua Harry. C’était sa seule maison, le seul endroit où il n’ait jamais échoué. Qu’il use des défenses de Poudlard ou non ne changera pas grand-chose. Il ne nous reste plus que Nagini, et… moi.

— Quand veux-tu qu’on parte ? demanda Luna en regardant l’heure sur la pendule.

— Est-ce au moins imminent son attaque ? N’a-t-il pas l’intention de…

— Demain, à l’aube, sans doute ? Après avoir laissé le temps à Malefoy de réaliser ce qu’il se passe. Je crois…

— Mais…, balbutia Jane. Que s’est-il passé ? »

***

Lucius apparut aux grilles du manoir Malefoy et un instant se demanda si tout ceci n’était pas un piège destiné à l’attirer chez lui dans le but de tester sa loyauté. Mais les poils dressés sur sa nuque et la douleur croissante de sa marque ne laissaient planer aucun doute. Il se passait quelque chose et il pensait ne plus avoir beaucoup de temps l’en empêcher.

Il leva sa baguette et traversa directement les grilles qui s’effacèrent à son passage comme des fumées. Les yeux rivés sur l’immense manoir dont seule une fenêtre projetait de la lumière, il courait à vive allure en maudissant l’orgueilleuse allée de la demeure. Ils étaient dans l’aile ouest, à l’étage, probablement au cabinet privé de Narcissa. Pourquoi son épouse avait eu besoin de s’y rendre était un mystère que son esprit dopé par l’adrénaline laissa flotter un bref instant, net, au-dessus de toutes considérations : la coupe. Voldemort était venu pour la coupe.

Il monta quatre à quatre les marches du perron, hurlant à pleins poumons le nom de son elfe, un mince espoir encore attaché au cœur. Le crépitement d’un feu dans la cuisine l’attira et il s’y engouffra, trouvant Moky face aux flames, le regard rivé au brasier mourant.

« OÙ EST-ELLE ?! » Hurla Malefoy.

L’elfe releva lentement la tête en direction du plafond et il vit clairement les yeux globuleux éteints derrière un voile laiteux. Il avait lui-même suffisamment lancé l’Imperium pour le reconnaître, et leva les yeux à son tour, confirmant sa première impression : le cabinet. Il se retourna, prêt à monter les marches quand l’elfe se mit à rire. Un rire que Lucius avait entendu ailleurs, dans d’autres circonstances, d’une autre bouche.

Il paniqua et bondit sur les escaliers, les grimpants à vive allure, murmurant le prénom de sa femme sans relâche. Il passa le couloir, les deux portes de leur bibliothèque et de son propre bureau et ouvrit à la volée la porte du petit cabinet bleu. Il étouffa un cri d’effroi, sa main se plaquant sur sa bouche et son nez alors que l’horrible odeur de chair brûlée, de sang, d’urine, de sueur et de bile ne s’imprima durablement dans sa mémoire olfactive.

Chancelant, il s’approcha lentement, les yeux incapables de voir clairement derrière le rideau de larmes qui noyait la scène macabre. Il murmura, incertain. Il appela, suppliant. Voldemort était parti. Et il était parti depuis longtemps.

« Non… Non, non, non, NON ! NON ! »

Lucius tomba à genoux sur le beau tapi d’Orient, ses doigts cherchant instinctivement ceux calcinés de son épouse, s’entremêlant lentement, la chaire crissant sous la sienne. Il la souleva avec délicatesse, prenant le cadavre dans ses bras, la tête reposant contre sa poitrine. Il abaissa son visage vers le masque mortuaire le plus douloureux et difficile à supporter qu’il eût à reconnaître. Derrière ses larmes, les yeux de sa femme l’observaient encore de leur éclat qu’il aimait tant, ses lèvres pleines l’appelaient dans un sourire mutin auquel il ne pouvait jamais résister. Derrière ses larmes, son visage était celui de sa magnifique épouse. Derrière ses larmes, il pouvait fuir cette horrible réalité.

Lucius abaissa son visage et posa sa bouche contre les dents mises à nues de sa femme et l’embrassa tendrement, goûtant pour la première fois de sa vie à la plus grande des pauvretés. Il était vendredi 21h30, et le temps, pour lui, s’arrêta à jamais.

« Narcissa… »

En âme et conscience

Chapitre 61 : En âme et conscience

Le changement se fit dans la démarche de Draco. Il cessa de glisser au sol avec légèreté et décontraction pour retrouver ce porté beaucoup trop étudié pour être naturel. Son regard gris redevint perçant et le léger sourire de fierté qui avait fleuri sur ses lèvres se mua en un rictus crispé. Neville hocha la tête, tandis qu’ils remontaient quatre à quatre les escaliers pour retrouver Dumbledore.

« La potion a été extrêmement efficace. » Glissa-t-il tandis qu’ils vérifiaient à chaque palier que personne ne remarquait leur manège.

« Nous avons surtout eu de la chance que ça dure assez longtemps… grommela Draco en fronçant les sourcils. Un peu plus et je n’aurai pas pu terminer cette rencontre convenablement.

— Vraiment ? Tu n’aurais vraiment pas été capable de faire semblant de respecter des elfes ?

— Ce n’est pas qu’une question de les respecter, Londubat. Il a fallu savoir quoi dire et faire au bon moment. Tu les respectes et pourtant tu n’y arrivais pas, non ?

— Je voulais dire…

— Laisse tomber, on a un but commun, c’est tout.

— C’est pourtant beaucoup ! »

Dumbledore les surprit en apparaissant dans un des cadres qui bordaient les escaliers. Il passa au travers d’une scène de repas antique, puis sautilla dans une savane aux herbes hautes, avant de reparaître près d’une sorcière en train de lire qui n’apprécia pas tellement l’intrusion. L’ancien Directeur se déplaça sur plusieurs tableaux avant d’ajouter, d’un air plus sérieux :

« Vous pouvez déjà être fiers de vous, Messieurs, vous avez su travailler en bonne intelligence pour le Bien Commun. Indépendamment de vos désaccords. C’est la marque d’une très grande maturité.

— Pour des Gryffondor, sans doute, marmonna Draco, goguenard. Vous êtes les seuls à ne pas avoir compris que les buts sont plus importants que les amitiés larmoyantes…

— Vous avez encore des choses à apprendre, sourit Albus en accélérant son saute-cadres. Retrouvez-moi aux jardins, nous en reparlerons. »

Il les planta sans plus de cérémonie et les jeunes gens accélèrent le pas, prenant bien garde de ne pas continuer cette désagréable conversation. A leur arrivée, Helena Serdaigle flottait assise dans les airs près du grand arbre, lisant un livre bien réel. Neville haussa les sourcils, surpris, mais Draco le coupa dans son élan en s’inclinant en silence. Il passa ensuite devant elle et se posta près du portrait où ils avaient vu Dumbledore quelques jours plus tôt. Le fantôme de Serdaigle sembla apprécier de ne pas être dérangée durant sa lecture et continuant, sans lui prêter plus d’attention.

« Nous sommes là, vieil homme, annonça Draco en perdant patience.

— Oh… je ne suis plus vieux, je suis mort, corrigea Albus en apparaissant. Nous pouvons parler en toute sécurité devant notre éternelle amie.

— Nous l’avons, Professeur, la mission est un succès ! s’enthousiasma Neville.

— Évidemment qu’elle l’est, vous avez fait appel à moi, non ? Quand m’avez-vous vu échouer ?

— Quand tu as dénoncé par erreur l’Armée d’Ombrage sans comprendre que c’était un stratagème de notre part pour nous en débarrasser ?

— Ca n’a finalement pas été un échec, j’ai eu la confiance de Fudge… pour ce que ça m’était utile, d’ailleurs. Et ne dis pas « notre stratagème », c’était trop intelligent pour émaner du cerveau d’un Gryffondor lambda, vous avez forcément reçu l’aide de… »

Draco se tut, se souvenant avec précision du moment où on lui avait suggéré d’en parler au Premier Ministre… Il ferma les yeux et soupira d’admiration. Dans son cadre, Dumbledore souriait en le regardant par-dessus les lunettes en demi-lunes.

« Vous allez commencer à voir les choses sous un autre angle, Monsieur Malefoy. Mais l’heure n’est pas aux épiphanies. Vous pouvez êtes fiers de vous. Mais ne relâchez pas vos efforts, le plus dur reste à faire…

— Oui, il va falloir le détruire, acquiesça Neville.

Les détruire, corrigea une nouvelle fois Albus en les fixant intensément.

— Nous n’en avons qu’un…

— Qu’est-ce que vous nous avez caché ? pâlit brusquement Draco.

— Il y en a un autre à Poudlard. »

L’information fit l’effet d’une bombe. Les deux élèves s’observèrent, muets d’horreur, se demandant comment récupérer le nouvel Horcruxe sans aucune autre potion à disposition. Alors que Draco s’apprêtait à vilipender le portrait comme l’aurait sans doute fait son ancien directeur de maison, Neville reprit à voix haute la liste qu’il connaissait :

« C’est impossible, Sirius ne nous a jamais parlé d’un autre Horcruxe à Poudlard. A moins que la coupe de Poufsouffle n’y soit… ? termina-t-il plein d’espoir.

— Non, il s’agit d’un Horcruxe dont ni Sirius, ni Severus et pas même Harry n’en ont connaissance. En réalité, j’ignorais tout de son existence avant que notre ami ronronnant ne m’en parle. Tom en a fait un le jour où Poudlard a été attaquée… très certainement grâce à ma propre mort, ajouta-t-il d’un air sincèrement désolé.

— QUOI ?! Et où est-il ?

— Dites-nous qu’il n’est pas gardé comme l’était le médaillon.

— Nullement, rassurez-vous. Il est dans la salle des trophées.

— Vous êtes certain qu’il n’a tout simplement pas mis la coupe de Poufsouffle dans la vitrine… ? demanda Neville en fronçant les sourcils.

— Hélas, oui. Il s’est servi de la médaille du mérite magique qui lui a été décernée…

— Oh, comme c’est ironique, chuchota Draco.

— N’est-ce pas ?

— Mais pourquoi en a-t-il fait un ? Ne devait-il pas s’arrêter à 7 morceaux d’âmes ?

— Si, et je pensais qu’il ne ferait que 6 Horcruxes, c’était en tout cas mon raisonnement lorsqu’Harry m’avait posé la question. Pour Tom, le chiffre 7 étant puissant, il intégrait nécessairement le morceau d’âme dont il avait la possession dans ce chiffre. Mais…

— Mais soit vous vous êtes trompé, soit il a changé d’avis…

— En effet. Pour une raison que j’ignore, il a décidé d’en faire un nouveau.

— Difficile de résister à l’envie d’utiliser la mort d’Albus Dumbledore, comprit Draco. Peut-être sait-il que certains sont détruits ? Peut-être veut-il s’assurer de garder ce chiffre intact ?

— J’espère bien que non, soupira le vieil homme en s’appuyant contre le cadre. Il ne pourra de toute façon pas indéfiniment recourir à ce procédé sans être détruit lui-même.

— Que se passerait-il s’il allait trop loin ? demanda Neville.

— … Je suppose qu’il serait proche de l’état dans lequel sont les victimes du baiser du Détraqueur, répondit Dumbledore après un court instant de réflexion.

— On s’en fiche ! coupa Draco en balayant la conversation d’un geste sec de la main. Comment on s’en débarrasse ?

— La plupart des sortilèges ne fonctionnent pas dessus.

Fantastique.

— Mais un Feudeymon marcherait à coups sûrs.

Rien que ça, un Feudeymon… Snape nous avait fait travailler sur une version beaucoup plus soft et facile à maîtriser et il y a eu des blessés graves, même moi je ne me sens pas d’en lancer un sans qu’il ne m’échappe ! Comment fait Potter ? C’est Snape qui s’en charge ?

— Oh, non…, assura tranquillement Dumbledore. Il a l’épée de Gryffondor, avec lui.

— On pourra extrader les Horcruxes et les lui donner pour qu’il s’en occupe, alors ? proposa Neville.

— C’est stupide ! Ca nous mettrait en danger et obligerait Potter à s’approcher d’un peu trop près de Poudlard. Qu’est-ce qu’elle a de particulier, cette épée ? S’il ne s’agit que d’avoir une lame gobeline, je peux nous en procurer une avant le week-end. Il me faudra seulement trouver un mensonge acceptable pour Mère…

— C’est une bonne idée, Monsieur Malefoy, félicita Albus. Mais l’enchantement qui nous intéresse concernant les lames gobelines est celui qui permet à l’arme d’absorber le pouvoir qui ne l’a pas détruit.

— Et… alors ?

— Merde ! s’exclama Neville en s’assombrissant soudain. Vous plaisantez ?

— Absolument pas. A moins que Madame votre Mère n’ait du venin de basilic parmi ses trésors, la mêler à tout ça sera sans grand intérêt. »

Draco jura et se retourna en pestant. Il marcha quelques pas pour se calmer, réfléchissant à l’impasse dans laquelle ils se trouvaient.

« On doit pouvoir faire autrement qu’en passant par Potter, enfin ! Dites-moi, cette foutue Chambre des Secrets, elle renfermait bien un basilic, n’est-ce pas ? C’est comme ça que la lame a pu récupérer les propriétés magiques de cette bestiole, non ?

— Ah, c’est vrai que tu ne sais pas… oui, Harry a combattu et tué le basilic en le transperçant de l’épée de Gryffondor pour sauver Ginny.

— N’importe quoi, commenta Draco agacé. On dirait un mauvais conte de Beedle le Barde : un enfant de 12 ans qui sauve une demoiselle en détresse grâce à une lame magique…

— C’est pourtant ce qui s’est passé, Monsieur Malefoy.

— Ouais, bon… Très bien, il est le héros dont Poudlard à besoin, on le sait. Ce n’est pas mon propos : la dépouille du basilic, vous avez dû la dépecer, non ? Snape a forcément dû récupérer du venin, des écailles, quelque chose pour ses potions ?

— …Non. Il m’en avait fait la demande à l’époque, mais…

— Mais quoi ?! Vous me dites qu’il y a le cadavre d’un basilic dans l’école, qu’il y a forcément le venin dont nous avons besoin sous nos pieds ?! Mais pourquoi par Morgane n’avez-vous pas été récupérer cette fichue bestiole ?!

— Harry avait traversé assez d’épreuves et…

— Et vous ne souhaitiez pas que l’information de l’existence de la Chambre des Secrets ne circule trop, au risque que tous les détails ne soient rendus publics… et la destruction du journal avec, coupa Neville en comprenant soudain. Pourtant, Oaken savait que la Chambre avait été ouverte…

— J’ignorais encore avec certitude à l’époque ce que c’était, bien que m’en suis immédiatement douté… mais personne ne pouvait apprendre ce qu’il s’était passé précisément. J’ai déjà eu fort à faire avec les demandes du Ministère pour la faire rouvrir, et s’ils avaient appris que Harry pouvait…

— Mais ils n’ont pas pu être dupe ! Ils ont dû comprendre que Potter, étant Fourchelangue, était en mesure de passer les barrières. Qu’est-ce que vous avez dit ?

— Que seul l’héritier de Serpentard pouvait s’en charger, et qu’il était désormais détruit. Cela n’a pas été très compliqué d’agiter le nom de Voldemort pour que Fudge ne prenne peur et décide de ne pas creuser davantage. Mais ne regrettez rien, Monsieur Malefoy, si j’avais dû faire autrement, la destruction du journal aurait été rendue publique également et votre famille serait aujourd’hui probablement détruite.

— Et pourquoi ça ? grinça Draco, glacial.

— Parce que c’est votre père qui l’a mis entre les mains de Ginevra Weasley… ignorant de quoi il s’agissait, sans doute. Mais Tom, lui, n’aurait jamais pardonné. »

Draco blêmit terriblement, et il chancela, devant s’appuyer contre l’arbre. Il balbutia :

« Est-ce… est-ce pour ça qu’il a refait un Horcruxe ? Parce qu’il le sait et attend le moment opportun de nous détruire, ma famille et moi ?

— J’en doute. Tom n’a plus autant le contrôle sur ses émotions qu’il ne voudrait le croire. Mais, voyez, Monsieur Malefoy, mes décisions ne sont jamais prises au hasard…

— Cela ne change rien à notre problème, on doit trouver du venin de Basilic, et on a un serpent mort géant avec des crochets certainement encore efficaces sous nos pieds. Comment on accède à cette Chambre sans Harry ?

— Personne ici ne parle le Fourchelangue, en espérant que cela soit bien la seule condition pour entrer… et on ne transplane pas dans Poudlard…

— Sauf les elfes de maison, s’éclaira soudain Neville.

— Quoi ?

— Brillant ! Brillant, Monsieur Londubat ! C’est une idée à exploiter !

— C’est ça votre plan ? Demander à un elfe de nous y emmener et… de juste récupérer un crochet pour détruire deux Horcruxes, dont un que nous devons voler dans la vitrine des trophées de Poudlard… ?

— Oui, c’est tout à fait ça, Monsieur Malefoy.

— Et la vitrine n’aurait pas des enchantements, par hasard… ?

— Non, Monsieur Rusard faisait beaucoup trop nettoyer les trophées en guise de punition pour que nous passions notre temps à enlever et remettre les protections. Et depuis son meurtre, personne ne s’y est intéressé.

— Mais, mais, mais ! Pas même Lui ?!

— Non, ça aurait attiré l’attention sur ce qu’il y avait dedans si ce fait avait soudainement changé, vous ne pensez pas ?

— C’est logique, approuva Neville.

— Ca n’a rien de logique ! répliqua Draco au bord de l’hystérie. C’est imprudent, totalement imprudent de la part du Seigneur des Ténèbres de croire que son objet est en parfaite sécurité ! Comment peut-il faire preuve d’une telle négligence ?!

— En se croyant invincible : Poudlard venait de tomber, il avait tué Dumbledore de ses mains, il créait un nouvel Horcruxe. C’est un péché d’orgueil, c’est fréquent chez les Serpentards… »

Neville observa Draco d’un air entendu, s’amusant de l’expression du blond qui semblait avoir avalé un citron. Draco haussa finalement les épaules d’un air las.

« Soit. Soit… Tu vas convaincre tes amis les elfes, puisque c’est ton idée ridicule, et moi je vais récupérer Sa médaille.

— Vous connaissez le vrai nom de Voldemort ? s’étonna Dumbledore.

— Vous n’arrêtez pas de dire « Tom », je finirai bien par trouver…

— Ah ! se moqua Neville goguenard, tu ne sais pas ce qu’il est, alors… Tu dois chercher Tom Elvis Jedusor. »

Draco fronça les sourcils et fit légèrement la grimace en comprenant lentement.

« C’est un sang-mêlé, souffla-t-il. Son père était un fichu Moldu.

— Comme Severus Snape, ajouta Albus d’un air entendu.

— Ou comme Harry, même si c’était sa mère qui était Moldue…

— Ca suffit, j’ai compris. Et ne me parlez pas de Granger, elle a forcément de la famille Sorcière dans son arbre, vous le savez.

— Si ça peut t’aider avec tes croyances…

— Ferme-la, Londubat, et va voir ton pote Dobby. »

Draco tourna des talons d’un air sombre, laissant seuls Neville et le portrait de Dumbledore qui semblait amusé. Le vieil homme se décala légèrement pour laisser apparaître Phineas Black.

***

Severus n’apprécia pas le regard entendu que lui jeta la vendeuse lorsqu’il entra dans le sexshop. Il ignora superbement son bonjour, les rayons de sextoys et les mannequins de lingerie fine pour se rendre directement à l’étage où il savait que Jane, Harry et Luna l’attendaient. Il fronça les sourcils lorsqu’il passa devant une pièce noire où était projetée un film X, et allait redescendre illico lorsque la main de Jane se posa sur la sienne pour l’attirer à elle. Il voulu insinuer un manque de discernement, mais lorsqu’elle l’amena dans un couloir éclairé d’une petite fenêtre, il comprit. En effet, la lucarne donnait bien sur l’entrée de l’entrepôt, et ils avaient eu tout le loisir de monter correctement la garde.

« Allons-nous en, souffla Harry, gêné du lieu.

— Non, nous sommes en sécurité, ici, répondit Jane. Alors ? » Demanda-t-elle en donnant un signe de tête en direction de Snape.

Il hocha la tête calmement, jetant de temps à autres des regards en direction de la rue.

« Il va falloir contacter Lafayette pour les mettre au courant de notre avancée, ainsi que de notre nouveau lieu de location.

— Je m’en occupe.

— Est-ce vraiment important qu’ils sachent où on couche ? demanda Luna. Si notre piste a déjà été remontée, elle le sera une nouvelle fois. Évitons de laisser nos cailloux partout, vous ne pensez pas ?

— … Elle a raison, concéda Severus. Restez vague. Dites juste que nous avons dû changer de lieu et que nous nous occupons de détruire ce que nous venons de récupérer. Vous avez une idée de l’endroit où nous allons pouvoir aller pour nous occuper de…

— Chaque chose en son temps, coupa Jane. Je vais déjà envoyer un sms, au pire, vous le relirez.

— Dites, là-haut ? Vous êtes très silencieux, mais si vous voulez mater, il faut payer sa place ! cria la vendeuse agacée.

— Est-ce qu’on ne pourrait pas faire ça dehors, franchement ? redemanda Harry.

— Ca me prend deux minutes.

— Pressez-vous.

— Sinon, payons, elle cessera de nous interroger, proposa Luna.

— Calmez vos ardeurs de jeunette, Miss. Vous n’avez certainement pas l’âge de regarder de telles choses, si tant est qu’il y en ait un.

— Ce que vous êtes coincé du cul, Cesare… ! Voilà, j’ai terminé, vous en pensez quoi ?

— Que vous changez décidément bien vite d’avis à mon sujet, lâcha-t-il en la faisant rougir. Montrez-moi ça… »

« Mission réussie, objet sous contrôle. Cache compromise, groupe en mouvement. Contact dès qu’il n’y a plus de mission. »

Hermione regarda le sms d’un air interdit, et papillonna des yeux en les reposant sur le portrait de Phinéas Black qui s’agaça immédiatement :

« Si mon rapport ne vous intéresse pas, Miss, vous pouvez vous passer de son exécution et je me contenterais de le faire à mon héritier, seul.

— Excusez-moi, Monsieur le Directeur. » Tempéra Hermione en donnant du titre pour calmer la peinture. « Je viens d’être notifiée d’une nouvelle importante, et…

— Je doute qu’elle soit aussi importante que ce que j’ai à vous dire ! Lord Londubat, aidé par le futur Lord Malefoy, a récupéré l’objet de vos convoitises. La mission à Poudlard est un franc succès, et Albus tient à vous dire que tout est sous contrôle.

— Qu’est-ce qui ne s’est pas passé comme prévu ? anticipa Sirius qui commençait à comprendre comment fonctionnait Dumbledore.

— Le Seigneur des Ténèbres aurait fait un Horcruxe inattendu que les jeunes gens vont également récupérer et détruire en même temps que le médaillon.

— Comment compte-t-ils s’en charger ? demanda Hermione, préoccupée.

— Albus a été vague, il a seulement dit « qu’ils seront détruits comme le premier l’avait été »… quoi que cela veuille dire, vous n’avez pas à douter de votre ancien Directeur, Miss. Il sait probablement ce qu’il fait.

— Qu’est-ce que ça veut dire… ? murmura Sirius, perdu.

— Que Voldemort a peut-être compris la prophétie… Merci Monsieur le Directeur. »

Phinéas se choqua de se voir congédié par une mineure qui n’avait ni rang ni même l’âge légal de faire de la magie en dehors de Poudlard, mais Sirius se détourna lui aussi de lui sans autre forme de procès, observant Hermione d’un œil critique.

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

— Que le temps presse, Sirius. Lis ça, c’est important. Ils sont en grand danger, et les derniers instants sont imminents… »

Elle lui tendit le petit téléphone et alla faire bouillir de l’eau pour se préparer un thé. Sirius soupira en la fixant intensément.

« Je dois contacter Tonks, elle peut peut-être faire quelque chose pour brouiller les pistes au Ministère.

— Elle a sans doute autre chose à faire… les attaques se multiplient sur les Moldus et Sorciers, la Terreur règne, Sirius.

— On doit donner à Harry le maximum de temps ! Réponds-leur, dis-leur que ça avance de notre côté et que nous allons Le vaincre. Dis-leur… »

Hermione hocha la tête et ils s’observèrent en silence. D’une maison pleine de baguettes, de rires et de personnes capables de se soutenir ils étaient passés à deux pauvres âmes qui erraient de concert dans la cuisine ou la bibliothèque de la famille Black. Sirius allait et venait dans la demeure, sa vie rythmée par les cessions toujours plus extraordinaires à la Chambre des Lords, luttant décret par décret contre l’irrésistible ascension de Lucius Malefoy. Les élections anticipées du Ministre de la Magie étaient sans cesse repoussées, tantôt par Black, tantôt par Malefoy qui trouvaient l’un et l’autre un moyen de bloquer l’adversaire dans cette prise de pouvoir. Mais Sirius n’avait ni les connaissances Politiques ni le réseau de Lucius et il perdait du terrain. Au profit d’une ligne autoritaire et liberticide qui semblait pourtant très largement soutenue par l’opinion publique. Lord Sirius Black plaisait : il était séduisant, jeune, dynamique… mais jugé naïf et idéaliste. Il était l’ancien prisonnier qui voulait une ère de paix en pleine guerre… Là où Lord Lucius Malefoy était l’homme providentiel, fort, inflexible, calme et déterminé. Hermione l’avait déjà appelé le « Dictateur » au cours d’une de leurs quotidiennes discussions nocturnes, et Sirius avait alors appris le principe romain qui en découlait. La même Hermione qui ne cessait de lui être vitale grâce à ses recherches juridiques, elle qui savait exactement comment répondre à Malefoy et à quel moment, lui avait permis de tenir bon tout ce temps. Mais la jeune femme pâtissait physiquement de cet enfermement, à passer ses journées, confinée seule dans la bibliothèque, à ignorer sa terreur croissante devant l’absence de nouvelles de Ron, s’interdisant tout désespoir. Hermione qui le portait pratiquement à bout de bras comme elle l’avait fait des années durant avec ses deux autres amis. Magicienne de l’ombre qui voyait son travail être attribué à d’autres, et pourtant profiter à tous… Sirius ouvrit la bouche pour tenter de lui dire quelque chose de sympathique, mais elle pianotait déjà sur le petit téléphone. Il leur servit le thé et se leva :

« Je vais contacter Tonks dans mes appartements. Je préfère que la sécurité soit la plus…

— Tu n’as pas à te justifier, Sirius. Le sms est envoyé.

— Bien, heu… merci. Merci pour tout, Her…

— De rien. »

Elle le coupa un peu plus rudement qu’elle l’aurait voulu et il ne lui en tint pas rigueur. Il comprenait qu’elle puisse en avoir assez. Un bref instant, elle lui rappela Rémus, et il soupira, triste pour son ami qui avait ses propres problèmes. Il remonta dans sa chambre et après avoir jeté une série de sortilèges sur la cheminée, lança une poignée de poudre dans l’âtre. Quand les flammes prirent une teinte anormale, il demanda :

« Lord Black pour l’Adjointe Tonks. »

Et il attendit un instant. En seulement quelques semaines, elle était passée du statut de jeune Auror, ancienne protégée de Maugrey, à véritable soldate inspirante pour ses troupes. Devenant même le bras droit du Chef actuel du Bureau des Aurors. Certains à la Chambre l’appelait même « La main de la Justice », car il se murmurait qu’elle recevait ses ordres directement de Lucius. Mais cela, Sirius n’y croyait absolument pas, pensant connaître suffisamment Tonks pour l’imaginer loyale à l’Ordre, qui n’existait pourtant plus.

« Nous avons deux minutes, pas une de plus. » Le coupa-t-elle dans sa rêverie quand elle apparue soudain au milieu des flammes.

« Harry et les autres sont poursuivis par des baguettes du Ministère.

— Et qu’en sais-tu ?

— Nous sommes toujours en contact discret, j’ai reçu l’information aujourd’hui. Ils ont dû quitter leur planque en urgence pour une autre, dont ils taisent la location par peur de fuites éventuelles. Est-ce que tu sais qui est à leurs trousses ?

— Le Ministère cherche à les récupérer pour les mettre en sécurité. L’ordre a été donné par mon supérieur.

— Robards ?

Malefoy, corrigea Tonks d’un air entendu. L’ordre a été donné de les ramener sans encombre au Ministère pour leur éviter d’être pris par une escouade de Mangemorts.

— Tu sais très bien qu’il agit sur ordres de Voldemort, s’agaça Sirius. Le Ministère est le dernier lieu qui serait sûr pour Harry.

— Square Grimmaurd est bien pire, contra-t-elle. Tu y as perdu Ron Weasley.

— Tu étais tout autant sur place que moi !! s’indigna Sirius en se levant de sa chaise.

— Parce qu’Hermione a eu l’intelligence de nous contacter pour qu’on vienne. Que se serait-il passé si cela n’avait pas été le cas ? Vous seriez morts tous les trois ? La maison serait tombée aux mains des Mangemorts, et ses secrets avec ? »

Sirius lui lança une œillade furieuse et la pointa d’un doigt accusateur :

« Je ne te demande que de brouiller les pistes que reniflent les chiens du Ministère. Harry court un grave danger à cause de Malefoy et…

— Harry est en danger car il a choisi de fuir au lieu de rester se battre à nos côtés. Sa disparition nous cause des problèmes dont tu ne sembles pas saisir la gravité. Que crois-tu que les gens pensent de l’issue de la guerre quand celui qui est officiellement la personne destinée à Le vaincre se terre ?

— … Harry est parti sur ordre de Dumbledore, et…

— Je le sais. Mais Dumbledore est mort, et la guerre prend une tournure de plus en plus difficile. Tu as les chiffres chaque jour à la Chambre, Sirius. Les morts et disparitions sont en train de dépasser celles de la première guerre. Harry doit rentrer et montrer qu’il y a de l’espoir, il doit…

— Ne me sers pas la propagande de ton Chef-Mangemort ! tonna Sirius. Harry ne doit rien à personne. Il a une mission cruciale qu’il mènera à terme et il reviendra quand le moment sera opportun, pas quand le Ministère voudra l’enfermer et ne le ressortir que pour quelques séances photos. Tu crois que je ne comprends pas la manœuvre de Malefoy à son sujet ?! Mais dans quel camp tu es, au juste ?! »

L’Aurore le considéra gravement.

« Oui, je crois que tu n’as rien compris, Sirius. Tu continues de te comporter comme un Gryffondor de 16 ans. Les Serpentards sont tes ennemis pour la vie, peu importe à quel point on peut avoir besoin d’eux… ? Il ne s’agit pas de camp, il s’agit de gagner une guerre.

— Alors c’est ça « la main de la Justice », eh ? Si tu ne veux pas nous aider, je n’ai pas d’autre choix que de considérer que tu n’es pas digne de confiance. Tu diras à Rémus que je suis désolé de m’éloigner par la même de lui, sa loyauté envers toi m’empêcherait de pouvoir le contacter.

— … Ton absolutisme ne vaut pas mieux que celui des Mangemorts, souffla Tonks, glaciale. Tout mort qu’il soit, Dumbledore avait compris qu’on pouvait faire confiance à Malefoy.

— Tout mort qu’il soit, Dumbledore se fichait bien de l’après-guerre pourvu qu’on ait détruit Voldemort, contra Sirius d’une voix rude. Sauf que moi je ne fais pas que me battre pour le présent. J’espère offrir un avenir à Harry.

— S’il se fait tuer parce qu’il est dans la nature, ça risque de ne pas arriver…

— Si c’est le cas, c’est que tes collègues l’auront retrouvé et vendu à leur vrai maître. Et Rémus seul ne suffira pas à protéger le bureau des Aurors. »

Hermione ouvrit la bouche derrière la porte de la chambre. Elle écoutait avec grande attention la conversation, attentive à la moindre information utile pour le groupe. Jamais elle n’aurait cru entendre Sirius menacer ainsi son amie et épouse de son meilleur ami, mais il semblait que la situation devenait incontrôlable. Elle pianota à nouveau sur le téléphone et laissa la conversation entre Sirius et Tonks mourir sur ces menaces à peines voilées. Sirius avait raison de se méfier des décisions de Malefoy et de son utilisation du bureau des Aurors, il avait vu très clair dans son jeu et Hermione partageait avec lui la conviction qu’un autre combat serait à mener une fois Voldemort tué… mais elle comprenait aussi la loyauté de Tonks qui tentait de défendre le plus grand nombre de personnes en soutenant la seule figure d’autorité valable face aux Mangemorts… Mais Sirius qui peinait à accepter de confier Harry à Snape, alors que ce dernier avait clairement prouvé son allégeance, ne pouvait certainement pas faire confiance à un homme qui avait réussi à échapper à la justice et qui, lui, avait déjà tenté de tuer une enfant de onze ans, et de mettre en danger toute une école pour ses propres ambitions. Hermione hocha la tête, c’était presque impossible de faire confiance à Malefoy… encore heureux pour eux qu’il en existât deux.

***

Draco passa le couloir aux armures, une désagréable impression d’être observé. Il avait en horreur ces ornements aux formes humanoïdes qu’il soupçonnait d’être en réalité habités d’âmes magiques. Rien ne disait dans les livres de Poudlard que les armures ne soient animées d’une volonté propre, mais il s’était toujours imaginé qu’elles faisaient partie des yeux et des oreilles des Directeurs, ce qui expliquait sans doute comment Dumbledore semblait absolument tout savoir. Et ce n’était pas le grincement sinistre qu’elles produisaient à son passage qui allait le rassurer. Il hésitait à entrer directement dans la salle, se demandant si cela n’allait pas paraître suspect qu’il y aille soudain après sept années d’études à Poudlard.

Draco s’y était rendu lors de ses premiers jours à l’école, cherchant des yeux les noms de ses ancêtres, ravi de s’approprier un lieu qui l’impressionnait tant. Il y avait également défié en duel Harry, lui donnant rendez-vous dans cette salle, avant de refermer le piège sur lui pour le faire punir. A ce souvenir, le blond grimaça, se traitant mentalement d’enfant attardé. Sa jalousie envers Potter l’avait poussé à faire une quantité de caprices et de coups qui ne lui avaient rien valu d’autre qu’une profonde solitude. Et Harry s’en était toujours sorti. A la vérité, la seule chose dont il avait su tirer fierté et plaisir au cours de ces sept années, était bien uniquement de son fait, à lui. Rien à voir avec Potter, certainement pas grâce à son père, rien à voir avec la guerre… Et le rappel de ce quelque chose qu’il avait à défendre le fit franchir le seuil de la salle d’un air décidé.

La pièce était baignée de la lueur de la lune d’hiver perçant à travers l’immense fenêtre gothique qui s’élevait sur le mur latéral. Les rayons de l’astre se reflétaient dans un étrange lustre de cristal sans bougies qui projetait alors la lumière sur les baies vitrées et les trophées, médailles, écussons, plateaux et coupes qui s’entassaient depuis des siècles à Poudlard.

Depuis la fondation de Poudlard, les récompenses s’étaient multipliées, à des rythmes inégaux, variant en fonction des époques, des Directeurs, mais aussi des personnes vraiment exceptionnelles. À la réflexion, Malefoy se rendit compte que Dumbledore n’avait jamais attribué aucune récompense de la sorte à qui que ce soit, pas même à Harry lors du Tournois des Trois Sorciers. Il fronça les sourcils, se demandant si le trophée n’aurait pas dû se trouver dans une des vitrines, comme certains autres d’édition précédentes, mais il comprit alors que le vieux Directeur envoyait ici un signal fort : le retour de Voldemort n’était en rien une victoire. Et ce pour personne. Les idées progressistes et larmoyantes du mage l’énervaient toujours, mais Draco devait lui reconnaître le mérite d’avoir été un fin politicien… et probablement l’artisan le plus important de la chute du Mage Noir.

Son attention se reporta sur les vitrines, alors qu’il parcourait des yeux les différentes récompenses en espérant tomber plus ou moins par hasards sur celle qui cherchait. Il n’y avait pas d’enchantement dans la salle, mais il savait qu’un Accio serait inutile vu la nature de l’objet. Il allait probablement devoir revenir plusieurs fois pour passer en revue…

« Tu essaies de trouver une récompense que tu pourrais obtenir facilement pour laisser ton empreinte dans cette école… ? »

Draco ferma un instant les yeux, agacé et inquiet. Il avait bien senti qu’il était observé, et il fallait que cela soit ce curieux de Zabini… Qu’allait-il lui répondre ? Il les rouvrit pour les poser sur son comparse qui le fixait calmement avec une expression d’ennui qu’il savait feinte et savamment étudiée.

« Tu me suis beaucoup en ce moment, commença-t-il, lentement.

— Tu fais beaucoup de choses étranges en ce moment…

— Ce moment est étrange. »

Ils s’observèrent en silence, immobiles, laissant deux à trois bons mètres entre eux tandis qu’ils essayaient l’un et l’autre de deviner leurs pensées. Blaise s’anima et s’approcha, laissant un doigt glisser négligemment le long d’une vitrine tandis qu’il avançait.

« Que cherches-tu, ici ?

— …

— Très bien. Est-ce que cela a un rapport avec tes escapades avec Londubat ?

— …

Soit. Pour quelqu’un qui, d’ordinaire, adore qu’on lui porte de l’attention, tu es bien secret ces temps-ci… »

Draco rougit légèrement. De honte, principalement, d’être perçu comme une sorte de diva en mal de reconnaissance, et, c’était plus complexe à le déterminer, de gêne. Zabini était à présent à sa hauteur et le scannait de ses yeux d’amande parfaits. Il pinça les lèvres avant de sourire légèrement.

« Je finirai bien par comprendre… je devine toujours.

— Je vais finir, moi, par penser que je t’obsède.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? »

Draco lui répondit par un sourire moqueur, que Blaise lui rendit immédiatement. Cette conversation n’aurait donc pas lieu. Peut-être qu’elle ne pourra jamais être menée, d’ailleurs… Le blond fit une légère moue en balayant la vitrine qui était à leurs côtés du regard, puis haussa les épaules.

« Je cherche une médaille donnée à un type.

— Pourquoi ?

— Pour la récupérer.

— C’est pour Londubat ?

— Pas lui exactement, mais c’est quelque chose que nous faisons ensemble.

Ensemble ?

— Ca implique aussi le portrait d’un Directeur récemment décédé.

— Ah ! »

Blaise sourit légèrement en prenant appui sur la vitre. Draco cilla en le voyant faire, surpris de déceler du soulagement. Zabini était terriblement plus expressif que d’ordinaire, et cela le fit prendre une grande décision.

« Je ne peux pas t’expliquer, je le ferai quand je serai certain que cela ne te mettra pas en danger… ou que cela ne mettra pas en danger ma mission.

— Tu parles comme un espion, chuchota Blaise du bout des lèvres. Avec une intéressante façon de hiérarchiser les dangers.

— Va-t’en, s’il te plaît, répliqua Draco en détournant les yeux pour chasser les propos du Serpentard. Fais comme si tu ne m’avais pas vu.

— Mais je t’ai vu. A qui appartenait cette médaille ?

— … Un certain Tom Jedusor.

— Un né Moldu ? Un Sang-Mêlé ? Intéressant… Accio médaille de Tom Jedusor ! »

Il ne se produisit évidemment rien, et Draco ne cessa pas de fixer Blaise avec insistance pendant les quelques minutes durant lesquelles le Serpentard attendit que l’objet vienne à lui. Zabini sourit alors très largement.

« Vraiment intéressant… Est-ce réellement une médaille que tu cherches ?

— Oui. Ca a la forme d’une médaille, répondit Draco d’un air entendu. Je ne peux t’en dire plus, soit tu t’en vas, soit tu m’aides à la trouver.

— En quelle année était scolarisé ton Jedusor, au juste ?

— Heu… je ne sais pas, se rendit compte Draco qui ignorait tout de Voldemort. Avant que Dumbledore ne soit Directeur, je crois… ?

— Il a eu le poste fin années 70, répondit Blaise, surprenant son comparse. Le gars que tu cherches est encore en vie ?

— Oui, et il était élève après la guerre contre Grindelwald.

— Bien, ça réduit le champ des possibles. Tu vas partir sur cette vitrine, désigna-t-il du doigt. Et moi celle-ci. On se rejoindra à mi-chemin. On devrait normalement tomber dessus. »

Draco s’exécuta, lisant nom après nom les gravures sur les récompenses. Certaines étaient si patinées par le temps qu’il se demanda combien de fois leur propriétaire les avait tenues entre les mains pour se remémorer la gloire passée. Beaucoup de récompenses de Quidditch, quelques récompenses pour comportement studieux, une ou deux inventions au sein de l’école, mais rien…

« LA ! Je l’ai. Tom Elvis Jedusor, une belle médaille pour « Service rendu à l’école » en 1962… c’est pas la date approximative de l’ouverture de la Chambre des Secrets, au juste… ?

— …

— C’est qui ton Jedusor ? Quel service il a rendu à l’école ? »

Draco ne répondit pas et fixa la médaille en argent. Elle semblait complètement inoffensive vue d’ici et il manqua de faire une grave erreur en avançant directement la main. Ce fut Blaise qui le rattrapa au vol, sans s’en rendre compte.

« Attends, tu vas commencer par m’expliquer ce qu’il se passe, tu es bien étrange. »

Draco repoussa doucement sa main en tirant une étoffe de soie de sa veste, puis il ouvrit la vitrine d’un simple coup de baguette et s’empara de la médaille qu’il enveloppa immédiatement. Devant tant de précautions, Blaise s’apprêta à reposer ses questions quand Draco leva une main impérieuse pour le faire taire. Il allait tourner des talons quand Zabini lui attrapa le poignet :

« Non, attends. Tu ne peux pas partir comme ça… »

Draco soupira et s’approcha de lui, assez pour lui murmurer à l’oreille :

« Tom Elvis Jedusor est une anagramme. Mais c’est aussi le vrai nom de… »

La main de Blaise se serra soudain autour de son poignet, sans même qu’il n’ait eu à terminer sa phrase. Le Serpentard était terriblement habile avec les mots et les lettres, assez pour comprendre en un éclair une incroyable évidence. À présent, la main tremblait légèrement et Draco recula son visage pour l’observer, pratiquement nez à nez. Jamais il n’avait plongé ses yeux d’aussi près dans ceux de quelqu’un d’autre et se retrouver avec une telle intimité avec Blaise, pour cette raison-là, le troubla. Il sentit au fond de lui que la fin était très proche. Son souffle se bloqua dans sa gorge alors que Zabini écarquillait les yeux, le fixant avec une peur réelle. Draco ouvrit lentement la bouche pour répondre à la question muette quand un ricanement le ramena brutalement dans la réalité :

« C’est pour ça qu’on te voit pratiquement plus à la salle, Draco ? Pour que tu puisses faire des Gryffondorneries avec Zabini ? »

Draco tressaillit et voulu s’écarter vivement de son collègue, mais Blaise le maintient fermement par le poignet et se contenta de se retourner calmement en direction d’une Pansy Parkinson qui jubilait. Il lâcha sa prise et croisa les bras avec flegme :

« Tu as l’air très renseignée sur ce que font les Gryffondors entre eux…

— Et toi pas du tout gêné d’être pris sur le fait.

— Quel fait, Parkinson ? Celui de tenir une conversation de laquelle tu es exclue ? grinça Draco en feignant l’ennui.

— Vous savez très bien ce que je veux dire. Les deux « meilleurs amis », eh ? C’est quoi la prochaine étape, Draco ? Aller sauver ta demoiselle en détresse au fond d’un lac ? »

Elle semblait satisfaite de sa répartie, car elle éclata de rire. Draco fronça les sourcils, mais Blaise fut le plus rapide. Il répliqua, aussi glacial que les eaux dudit lac :

« Tu crèves de n’être la demoiselle de personne, Parkinson. De n’être que la détresse de tes géniteurs. Va promener tes fantasmes ailleurs. »

Le sourire de Pansy mourut soudainement, avant de revenir de plus belle :

« Tu devrais te méfier, Blaise, ce genre d’amitié ne réussit jamais à celui qui est dans l’ombre… Il y en a un qui doit amèrement regretter d’être « le meilleur ami » d’Harry Potter, ça serait dommage de… »

Elle les planta sur cette menace à peine voilée, et Draco s’écarta vivement de Zabini. Le brun ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais son ami secoua la tête.

« Elle a raison sur un point : tu te mets inutilement en danger, et tu ignores combien. Retourne avec eux. » Ajouta-t-il en quittant la salle.

« Tu m’as fait une promesse, Malefoy !

— Justement, si tu veux qu’elle se réalise, ne suit pas le même destin que Weasley. »

***

Ron regardait le vieux Directeur d’un air incrédule :

« Comment ça, « m’endormir et me mettre à l’eau parce qu’il tient à moi » ?! En quoi ça serait logique ?! »

Albus observa le jeune Gryffondor d’un air amusé. Il était le seul à avoir du mal à accepter cette idée. Gabrielle, la sœur de Fleur Delacourt, Cho Chang ou encore Hermione avaient tantôt sourit, tantôt rougit devant l’annonce qui leur avait été faite. Mais Ron, lui, restait interdit. Albus l’observa longuement et répondit :

« Chaque champion tient à une personne en particulier, et parce qu’il ou elle voudra la sauver, il est important de…

— Non, mais ça j’ai très bien compris, coupa Ron en rougissant des oreilles quand il s’en rendit compte. Je veux dire, M’sieur le Directeur, que je suis surpris que Harry…

— Tu es son meilleur ami, moi ça ne me surprend pas, s’amusa Hermione. T’sais, il était anéanti quand toi et lui… »

Elle laissa sa phrase en suspend en voyant l’expression de son ami, comprenant alors toute l’étendue de sa gêne : Ron se sentait terriblement coupable pour l’attitude qu’il avait eue avec Harry, et d’apprendre qu’il était malgré tout la personne à laquelle il tenait le plus renforçait ce sentiment de culpabilité.

— Cette manie de se sentir redevable alors que tu es clairement un atout qui a tant à offrir…

— F… Fermez-la. »

Ron était tendu en direction de Lord Voldemort qui était revenu dans sa cellule fouiller son esprit. Un grand festin à peine entamé fumait encore sur le bureau que le Mage Noir avait fait porter. Voldemort pinça les lèvres et répliqua :

« Il y a un étrange sentiment contradictoire dans ce souvenir… Tu es jaloux. Pas de Potter, pour une fois. D’un autre. Un benêt, si je comprends bien ton opinion. »

Ron baissa sa garde mentale brièvement, soulagé que la discussion ne s’oriente pour une fois plus sur Harry et livra sans guère de résistance le nom de Viktor Krum, soulagé de pouvoir se reposer un bref instant.

« Ah ! Champions, riches, célébrités… tous te passent devant, hein… ? Que crois-tu qu’ils aient fait après la deuxième tâche, d’ailleurs ? »

Une puissante colère s’empara de Ron qui releva les yeux de défi, et Voldemort profita de cette erreur pour replonger dans ses souvenir. Le jeune homme l’entendit caqueter dans son esprit :

« Et maintenant qu’elle est seule avec un ancien prisonnier, si riche, si charismatique… Un homme adulé par tous… ?

— FAUDRAIT SAVOIR ! Hurla mentalement Ron de toute sa rage. Sois je suis un atout à ne pas négliger, soit je suis un raté qui ne peut rivaliser avec qui que ce soit !

— Ah ah ! Tu es clairement un guerrier, Ronald Weasley. Tu es clairement un homme fort à l’esprit brutal et plein de vie, je le sens… Mais peuvent-ils voir ce que je perçois de toi… ? Peuvent-ils comprendre ta valeur comme je la comprends… ? »

Une voix féminine, celle d’une Hermione sensuelle et éthérée termina :

« Peuvent-ils aimer ce que j’aime de toi ? »

Ron donna un grand coup en avant de sa main enchantée, son poing heurta le bouclier que Voldemort avait dressé par réflexe.

« Si seulement j’avais plus d’hommes comme toi…, murmura-t-il. La guerre se terminerait vite. Tu aurais le temps de la sauver, et tu pourrais la protéger…

— Quand Harry te détruira, il n’y aura plus besoin de la protéger de qui que ce soit, répliqua Ron entre ses dents.

— Oh… oh, comme tu te trompes, mon jeune ami. Comme tu te trompes en pensant que je suis ton véritable ennemi. »

Voldemort leva le menton de Ron et l’obligea à croiser une nouvelle fois les yeux, le jeune homme eut la bêtise de soutenir son regard dans un ultime défi. Les couleurs dansèrent une nouvelle fois autour d’eux et pièce laissa place à un tout autre décor.

Ron se trouvait pratiquement allongé sur le sol, reculant lentement, la main qu’il avait perdue le faisant souffrir atrocement. Sur son bras et ses doigts brûlés, le sortilège noir continuait de progresser, alors qu’il tentait de l’endiguer. Un trait vert fila dans sa direction, mais au lieu d’être dévié, il entendit le cri terrifié de sa mère, et le murmure mourant de son frère.

« Pourquoi suis-je mort, Ronald… ? »

Ron cligna des yeux, des larmes perlant aux cils alors qu’il n’arrivait pas à se détourner du cadavre de Percy. Il était de retour dans cette maudite nuit. Cette soirée qui avait viré au drame en un clin d’œil. Sa mère pleurait au-dessus du corps de son fils qui venait de se sacrifier pour lui, et lui restait pétrifié.

« Serait-il mort si Harry Potter n’avait pas été des vôtres… ? » Susurra Voldemort en avançant lentement vers lui.

« Ce sont vos Mangemorts qui l’ont tué.

— Mais non sous mon ordre. Jamais je ne me serais risqué à m’attaquer à une famille de Sang-Pur, Ronald. Tu sais quelle valeur j’attache à cela.

— Même si nous sommes des traîtres à notre sang ?! cracha le jeune homme, se tenant sa main de fer comme s’il revivait l’événement.

— Les Sang-Purs avant tout autre. Tu ne serais pas encore en vie s’il en était autrement. Je n’ai jamais ordonné cette attaque. C’est Bellatrix qui est venue chercher Potter. Et que faisait Harry Potter pendant que ton frère se faisait tuer ?

— Il était en train…

— Que faisait Harry Potter pendant que la femme de ton frère se faisait attaquer ? »

L’image d’un Harry en train de festoyer au repas pendant que Ron et sa famille restaient dans le jardin, tombant les uns après les autres sous l’horrible caquètement de Lestrange lui tira un haut le cœur. Il beugla, furieux :

« Ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé !

— Non ? N’a-t-il pas choisi la liste des invités, le lieu, les festivités ? N’a-t-il pas, de lui-même, décidé de vous mettre en danger plutôt que d’accepter l’idée de faire un humble repas dans sa propre maison ?

— Nous étions heureux de faire Noël avec lui, nous…

— Et vois comment vous avez été remerciés. Vois ce qu’il coûte d’être ami avec Harry Potter ! »

Comme des couteaux de lancer, un à un les souvenirs assaillirent le jeune homme. Les moqueries de Malefoy, les dangers de la pierre Philosophale, le jeu d’échecs et le coma qui avait suivi, la sœur de Ron et son corps glacé ; Hermione, étendue, pétrifiée, l’infâme Croûtard se tortillant contre lui, sa jambe cassée par la gueule d’un chien animagi. Les images venaient d’elles-mêmes, sans que Ron ne puisse les empêcher. Intactes, telles qu’elles s’étaient réellement passées. Avec la plus grande des malices, Voldemort lui rappela les faits. Et ils lui rongeaient l’esprit comme le maléfice l’avait fait de sa main. Ron voulu se détourner des images, mais son épuisement était à son comble, sa rage croissante. Il revit l’humiliation de sa robe rose pour le bal du Tournois des Trois Sorciers, tandis que Harry recevait une belle robe achetée par sa mère. Il revit l’humiliation d’avoir été obligé de prendre la cavalière que Harry lui avait trouvé, celle de voir une nouvelle fois son meilleur ami briller. Il vit Harry s’éloigner de lui et d’Hermione, devenir un étranger concentré sur sa quête, insensible à la souffrance des autres.

« Toi qui as tant de potentiel. Toi que personne ne voit à sa juste valeur, te rends-tu compte que tu auras été serviteur durant toute ta vie, Ronald ? Comprends-tu seulement que je t’offre le pouvoir de t’affranchir ? Le pouvoir d’être bien plus que ce que tu voyais dans le miroir… ? »

Les images s’arrêtèrent soudain, Ron se trouvait face au miroir du Risèd, la main posée contre son reflet. Il ne tenait pas la coupe de Quidditch, n’était pas un Préfet-en-Chef. Il avait une trentaine d’années, il était grand et fort, un Sorcier bien bâti au regard dur et assuré, à la barbe impeccable qui lui donnait l’air d’un guerrier de vieux contes. Sa main argentée était poing serré alors qu’il tenait de sa main droite une baguette neuve. Ses robes étaient parfaitement ajustées et derrière lui se tenait sa famille. Toute sa famille. Aucun ne manquait à l’appel, Percy lui-même était en vie. Ron voulu protester, dire que cela ne pouvait être réel puisque son frère était présent, mais son reflet eu un sourire charmeur, avant qu’une Hermione aussi magnifique que sensuelle ne se détache du fond et ne vienne à se coller à lui.

« Tu peux avoir bien plus que leur vie, Ronald. Tu peux avoir leur respect. Leur âme. »

***

 Severus attrapa Jane par la taille et la colla à lui, avant de glisser son visage contre son cou. Jane devint soudain écarlate, écarquillant les yeux et balbutiant, incapable de regarder Harry et Luna qui marchaient devant eux sans se soucier de ce que les deux adultes faisaient.

« Il y a peu de chance que des hommes louches nous suivent parce que nous sortons de ce sordide endroit, n’est-ce pas ? murmura Severus en les faisant avancer enlacés.

— … Très peu.

— Mettez-les à l’abris, je m’en charge.

— … On se retrouve à Brick Lane.

— ALLER ! »

Il la repoussa violemment en avant et Jane attrapa les deux mains de ses anciens élèves, se mettant soudain à courir. Harry et Luna n’eurent pas besoin d’explication pour comprendre. Severus se retourna derrière eux et jeta un informulé qui entrava immédiatement le premier poursuivant. Une série de pop sonores se fit entendre et cela confirma ses doutes : sa propre baguette était bien surveillée par le Ministère. Aux deux hommes louches qui le suivaient s’ajouta soudain un homme et une femme, qui déboulèrent cette fois habillés de blanc, le visage dissimulé par un masque.

« Hé hé… on me fout la Brigade au cul… Voldemort ? » Osa-t-il l’appeler pour la toute première fois.

Sa marque le brûla brièvement et il sut que son Maître comprendrait alors qu’il avait été retrouvé. Il fonça en avant en direction de ses assaillants, mais au lieu de les combattre fila en direction du sexshop, jusqu’à s’engouffrer dans par la porte d’entrée. La vendeuse cria de surprise, attrapant maladroitement par réflexe une arme cachée sous son comptoir.

« Baissez-vous, aucun bruit ! » Lui ordonna-t-il en montant quatre à quatre les marches qui menaient à la salle de cinéma. Il ne prit pas la peine de vérifier que la petite obéissait, et entra dans la pièce uniquement éclairée par ce qui semblait être le début d’un très mauvais film X. Les spectateurs ne s’intéressaient pas le moins du monde à lui, il longea les rangées pour aller se poster au premier rang, se retournant lentement vers l’entrée, baguette pointée. Il observa les alentours, repéra l’espace entre l’écran et le mur, et les quelques mètres qui le séparaient de l’entrée de la salle. Il aurait tout le temps de jeter quelques sorts, filer, et… Les Brigadiers déboulèrent bruyamment, faisant sursauter les hommes déjà pleinement happés par l’intrigue principale. L’un d’eux qui se révéla être un ado se leva brusquement, le pantalon glissant à ses chevilles, et balbutiant vainement les mains en l’air :

« Je savais pas ! Je savais pas ! »

Les Brigadiers pointèrent leur baguette dans sa direction pour le menacer et le pauvre Moldu s’évanouit aussitôt. Severus leva la sienne, prêt à frapper lorsque tous seraient assez avancés dans la pièce pour qu’il puisse les piéger. La troupe passa lentement en revue les spectateurs qui les regardaient interloqués :

« Mais qu’est-ce que c’est que c’bordel ? Qui êtes-vous au juste ?

— Pour qui vous prenez-vous ?! On a payé pour…

— La ferme !

— C’est un scandale ! Nous sommes des adultes dans notre bon droit, nous !

— Ferme-la, le Mol…

Je connais un moyen de te faire taire, ma cochonne… »

La réplique du film coupa net le Brigadier dans sa répartie qui tourna vivement son masque sur l’écran avant, semble-t-il, de se choquer durablement face à ce qu’il voyait. Snape inspira lentement pour rester concentré sur son plan et ne pas se perdre en moqueries inutiles, remerciant mentalement les Moldus et leur société d’obsédés de lui offrir une telle diversion. Les trois Brigadiers s’approchaient de l’écran, ahuris, échangeant des regards à d’incompréhension à travers le masque. Les dialogues du film avaient laissé place à une série de gémissements et de bruitages qui ne laissaient aucun doute quant à la solution trouvée par l’acteur pour réduire au silence sa partenaire.

D’un geste discret de la baguette, Severus lança un sort d’engorgement au premier qui glapit d’inquiétude devant l’énormité de son membre. Il en profita pour bondir derrière l’écran, le contournant, jeta un second sort à la suivante, la pétrifiant, tandis que les acteurs rivalisaient à présent de vocalises. Un dernier coup de baguette et Severus rendit le son de la machine assourdissant, emplissant la pièce de « Ooooh yeah ! » et de « Fuck Yeah ! » stridents. Il se précipita sur la porte, la referma d’un geste sec, la réduisit à la taille d’un minuscule trou de souris et monta sur le rebord de la fenêtre. Quand le quatrième Brigadier, celui qu’il avait en premier lieu entravé dans la rue, arriva par les escaliers, Severus fondit sur les carreaux dans une ombre noire et disparut dans les airs. Jones se précipita au cadre, scrutant la rue et les toits, sans succès. C’était la deuxième fois que Snape et Potter leur échappaient, et cette fois ils allaient devoir en informer le Ministre de la Justice…

Jane ne cessait de regarder en direction des tourniquets, tandis que Harry surveillait les quais. Luna semblait fixer une grande publicité de parfum avec le blond musculeux qui avait déjà attiré son attention plus tôt, mais elle siffla soudain pour attirer l’attention d’un Severus essoufflé et décoiffé qui fendait pratiquement la foule. Jane fonça droit sur lui, et il eut à peine le temps d’écarter les bras et d’écarquiller les yeux qu’elle l’enlaça.

« Qui était-ce ? murmura-t-elle contre sa mâchoire.

— Ministère. Je vais bien.

— Je me doute, se recula-t-elle. On doit trouver un autre endroit.

— On doit surtout avancer, précisa Harry en jetant un regard entendu au veston de Severus. Nous n’aurons jamais le temps de quitter la ville pour la campagne, où pouvons-nous… ?

— Qui irait chercher refuge dans un endroit qu’il déteste ? coupa Luna en l’observant.

— Brillante, Miss… Elle relève décidément le niveau pour vous deux. Comment se rend-t-on dans le Surrey ?

Dans le Surrey ?! On va louer une voiture. Jamais on ne s’en sortira par les transports, surtout avec ces mecs aux fesses.

— Ils vont nous tracer par votre nom et…

— Cesare, sérieusement ? Tu crois vraiment qu’on ne peut pas payer en cash et voyager sous des alias encore de nos jours ?

— Et votre permis, vous allez faire comment pour… »

Jane lui sourit mystérieusement et tira de son sac une carte qui fit siffler d’admiration l’ancien espion.

« Et c’est lequel de vos amis qui vous a déniché ça ? Et pourquoi, d’ailleurs ?

— Ca peut être utile selon les moments… Quand on est une femme qui vit seule à Londres, faut savoir se protéger d’absolument tout le monde. On va reprendre le métro dans l’autre sens, on sortira dans quatre stations. Là, je trouverai une agence de location.

— Vous… Tu n’as rien laissé à l’appart’ que tu as loué ?

— Non. J’ai préféré faire comme si la mission allait mal se passer. Je sais que nous sommes en fuite perpétuelle, je ne suis pas stupide.

— Ca, je le sais. »

Elle lui répondit par un sourire radieux tandis qu’ils montaient dans les rames, légèrement rassurés par la relative maîtrise de la situation. Une fois que le métro se remit en marche, Jane les amena dans un espace où tous les quatre pouvaient s’asseoir correctement. Luna sauta sur un des sièges en prenant la main de Harry et en l’obligeant à prendre place à ses côtés, Jane et Severus durent en faire de même.

« Que s’est-il passé ? demanda finalement Harry d’un air aussi détaché que possible.

— Ils ont pu remonter notre piste. Comment ? Sans doute à cause… de moi. »

Jane arqua un sourcil et posa sa tête sur son épaule dans un geste intime qui le mit mal à l’aise. Severus regarda autour de lui et vit que personne ne leur prêtait attention. Il s’attendait pourtant à ce que d’autres Sorciers soient en train de les espionner. Sans doute était-ce la réflexion de Jane, car elle n’osait se détendre elle-même.

« J’ai peut-être… tué quelqu’un là-bas. »

Harry ouvrit la bouche, choqué, articulant silencieusement un « peut-être », tandis que Jane releva la tête et fixa le schéma du métro au-dessus d’eux. Seule Luna ne paraissait ni surprise ni affectée par la réponse. Elle poursuivit à leur place :

« Auraient-ils pu surprendre votre conversation ?

— Non, tout est resté secret. Et je préfère qu’ils se concentrent sur l’idée d’avoir pu nous retrouver que… et Il est au courant également.

— Mais comment… ?

— Là aussi j’ai fait en sorte qu’Il se sache, répondit-il tranquillement.

— Qu’as-tu en tête ? demanda Jane en acceptant de le regarder, enfin.

— Sa colère va les ralentir. Il ne va pas apprécier cet échec, et je n’ai pas l’intention de laisser mon ancien camarade croire que je vais retenir mes coups. C’était un avertissement de ma part.

— Sa femme l’a déjà tellement mis dans la merde…, répondit Harry avec une certaine délectation.

— On ne va pas plaindre un type qui n’a pas hésité à mettre en danger des enfants, quand même. Si ? De toute façon… »

Mais Jane s’interrompit en fronçant les sourcils, surprise d’arriver à capter dans le métro alors qu’ils filaient rapidement. Elle mit soudain la main devant sa bouche en fixant l’écran du smartphone, avant de le tendre à Severus.

« Ils ont avancé aussi là-bas, expliqua-t-il pour Harry et Luna. Très bien avancé, mais… »

Il se tut à son tour et observa Harry intensément. Ce dernier s’agita sur sa chaise et tendit la main pour pratiquement arracher le téléphone de celles de Snape. Il poussa un juron quand il termina de lire le sms.

« C’est impossible ! C’est une putain de catastrophe ! Est-ce qu’Il sait ? Est-ce qu’Il a compris ? Mais dans quelle merde nous sommes…

— On descend, coupa Jane. Reprends-toi, on loue la caisse, tu t’énerveras dedans. »

L’agent d’accueil au garage locatif sembla hésiter un long moment devant la vieille photo de Jane la montrant avec d’épais cheveux mal coiffés, les yeux cernés de noir et bon sang ! un percing au nez ?! Il fixait le portrait d’une jeune femme d’à peine 20 ans et avait devant lui une trentenaire active et responsable qui le regardait avec méfiance.

« Bon, vous vous décidez, oui ? s’énerva Severus. C’est elle. Je peux attester qu’il s’agit de la même femme, maintenant donnez-nous ces fichues clés ! »

L’argument qui n’en était certainement pas un sembla faire mouche, car le pauvre garçon les tendit en balbutiant des excuses, incapable de résister au ton autoritaire de l’homme en noir. Ils montèrent tous en voiture et bientôt se retrouvèrent dans les bouchons. Le silence régnait dans l’habitacle et Severus jeta un coup d’œil à Jane quand ils arrivèrent au feu qui précédait l’entrée sur la voie rapide. Ses mains tremblaient sur le volant et Severus posa la sienne sur sa cuisse :

« Il n’y a pas de pont pour aller dans le Surrey » Glissa-t-il d’un air entendu.

Jane embraya et démarra en trombe quand le feu passa au vert. Snape alla retirer sa main quand elle s’en saisit et la serra longuement.

« Bon, maintenant on doit aller où, Harry ? » Demanda-t-elle en regardant le jeune homme à travers le rétroviseur central.

« Little Whinging, un quartier résidentiel un peu…

— Plan-plan pour les gens plan-plan. Je vois où c’est, j’ai eu un ex qui… »

Severus sourit d’un air moqueur.

« Harry, tu peux demander à Hermione des précisions sur la façon dont ils pensent détruire l’Horcruxe ? Ca me paraît très bizarre cette histoire, reprit-elle, rapidement.

— Oui, attends que j’attrape… Ah ! Il y a un autre sms : « Poison Ivy et Fouine ont trouvé le moyen d’entrer dans la tanière du Serpent – elle a écrit ça avec une majuscule. Objets bientôt pacifiés. » Attendez… elle parle de la Chambre, là, comment comptent-ils y entrer ?

— Nous avons notre mission, ils ont la leur. Concentrez-vous sur ce que nous devons accomplir et méditez.

— Vous pensez que je vais encore…

— Harry, coupa Luna, tendue. Je crois que tu sais mieux que personne ce qu’il va se passer.

— Quant à la Chambre des Secrets, poursuivit Snape, ce n’est plus votre problème. »

***

Draco était en retard, et cela ne lui ressemblait pas. Londubat lui avait fixé une date une heure précises pour se retrouver dans les jardins de Serdaigle, et à présent qu’il voyait la lune monter haut, il se demanda si le Serpentard ne s’était pas fait attraper, ou bien n’avait tout simplement pas…

« Je suis là, annonça la voix légèrement essoufflée du blond. Parkinson et les autres me surveillent plus que jamais. »

Neville soupira et jeta un œil entendu à Dobby qui semblait surtout très impressionné par l’endroit.

« Tu as cru que je vous avais trahi et que la médaille était entre leurs mains… ?

— Non, je m’inquiétais.

— Peuh. Tu mens mal, se moqua Draco. Et tu fais bien de te méfier. Mais je l’ai ici. Vous êtes prêts ?

— Dobby va vous mener, Messieurs, mais Dobby ne va pas rester dans cet endroit maudit. On raconte des choses terribles sur la Chambre des Secrets, Messieurs.

— Ce n’est pas grave, je te l’ai dit, c’est déjà une énorme aide que tu nous app…

— De quelle nature ? coupa Draco en fronçant les sourcils.

— Dobby ne sait pas. Mais Dobby vous met en garde, Messieurs : la Chambre est faite pour tuer.

— Ceux qui ont un sang impur, corrigea Malefoy en relevant le menton. Londubat et moi n’avons rien à craindre, nous faisons partie des Sept sacrés.

— Dobby vous met juste en garde, Messieurs. Si vous voulez bien prendre la main de Dobby… »

L’elfe semblait apeuré, mais déterminé, un trait de caractère que Draco commençait à respecter chez lui. Après tout, n’avait-il pas bravé son père pour tenter de sauver Harry ? Depuis longtemps, l’elfe était très engagé dans la lutte contre Voldemort, et Draco dû reconnaître qu’il était normal que ces créatures se sentent concernées par l’issue de la guerre… Il marmonna, plus froid qu’il ne l’aurait souhaité :

« Merci de ton aide. »

Dobby se contenta de lui faire un grand sourire et ils transplanèrent immédiatement. La sensation n’avait rien de comparable avec le sort des sorciers. L’impression d’être morcelé était remplacée par celle d’être évaporé en poussière. La différence était minime, mais Draco put la percevoir nettement, avant que ses pieds ne se reposent droits sur un sol de dalles humides.

Immédiatement, une forte odeur de mousse et de chaires en décomposition leur sauta aux narines. Dobby grimaça de concert, avant de secouer négativement la tête. Il murmura, comme souhaitant ne pas réveiller quelque chose :

« Appelez-moi quand vous voudrez rentrez. Si elle vous en laisse la possibililté… »

Il disparut aussitôt sur ces paroles sybilines qui firent frissonner Draco malgré lui. Plantés seuls au milieu de la Chambre des Secrets, Draco et Neville faisaient face aux ténèbres les plus complètes.

« Qu’a-t-il voulu dire ? murmura à son tour Neville en cherchant à voir au travers du noir.

— Je l’ignore, peut-être une superstition d’elfe. Lumos ! »

Harry avait déjà décrit à Neville, Ron et Hermione l’aspect de la salle principale de la Chambre des Secrets et cela ne correspondait en rien à ce qu’ils avaient sous leurs yeux. Devant eux se dressait un gigantesque mur percé d’une porte encadrée de deux serpents menaçants. Draco renifla, agacé :

« Ne devait-il pas nous éviter ce genre de désagréments en nous faisant transplaner à l’endroit même de la Chambre ?

— Je ne sais pas… répondit lentement Neville en examinant les serpents. Harry avait parlé d’un porte gardée par deux serpents entrelacés qu’il fallait ouvrir en parlant le fourchelangue… Là, il semblerait que la porte soit déjà ouverte…

— Ou bien il ne s’agit pas de la même porte. Sors ta baguette, nous n’allons pas ignorer les avertissements de Dobby. »

Neville s’exécuta et fit jaillir une petite lueur de sa baguette, ils avancèrent ensuite prudemment et la porte se referma derrière eux dans un bruit de raclement de pierre morbide. L’odeur de décomposé se fit plus forte et ils eurent la désagréable impression d’être observés à travers les ombres.

« Il n’y avait qu’un seul basilic, n’est-ce pas… ?

— D’après Harry, oui, mais qui sait ce que renfermait la Chambre DES Secrets ? Après tout, personne n’a jamais rien su de son existence ni de ce qu’elle renfermait avant que…

— Ca, coupa Draco en ricanant, c’est uniquement parce que personne n’a jamais compris la devise de Poudlard. »

Neville tourna sa tête sans comprendre dans sa direction et Draco releva un sourcil intrigué :

« Granger ne vous avait jamais fait la remarque ? Draco dormiens nunquam titillandus ça veut dire…

Ne chatouillez jamais un dragon qui dort, termina Neville. Oui, je sais, j’ai lu l’histoire de Poudlard, comme tous les élèves en deuxième année.

— Sauf que tous les élèves de deuxième année n’ont pas de connaissance des langues latines, ricana Draco. En Latin, le mot dragon se dit draco. Mais c’est un dérivé du mot grec drakon.

— Comment se fait-il que tu connaisses des langues anciennes, comme ça ?

— Mère estimait cela essentiel pour la maîtrise des sortilèges. C’est comme ça qu’on peut en créer, d’ailleurs. C’est surprenant que Lady Londubat ne t’ait jamais obligé à avoir un précepteur… Quoi qu’il en soit, drakon peut tout autant être traduit par dragon… ou serpent. La devise de Poudlard dit explicitement que l’école a un « serpent qui dort » en son sein. »

Neville arrêta d’avancer dans le corridor qui ne semblait plus finir pour l’observer, interloqué. À présent que le blond le lui disait, il lui semblait impensable que qui que ce soit ait pu manquer une telle information, Dumbledore…

« Je crois juste que l’hypothèse d’avoir un serpent caché, voire un basilic, terrifiait tout le monde, ajouta Draco en comprenant son malaise. Peut-être même cette devise a-t-elle été comprise comme étant la métaphore du conflit avec Serpentard, qui, trop chatouillé sur ses positions, s’est éveillé et a brisé la bonne entente des fondateurs ?

— C’est…

— Peu probable, acquiéça Malefoy en se méprenant sur la réaction de son comparse. Puisqu’en réalité, c’est Serpentard qui a choisi cette devise. Le mythe autour de la création de la Chambre des Secrets doit d’ailleurs découler directement de ça, rumeur lancée par les premières personnes à avoir compris ces mots tels que je les comprends. Sinon, comment aurions-nous pu imaginer une telle chose ? Serpentard n’a pas quitté Poudlard en fanfaronnant à propos de son plan secret, cela aurait été stupide et dangereux. Il a sans doute laissé cet indice pour ses héritiers, afin qu’ils accomplissent sa vengeance ? Son œuvre ?

— Tu es…

— Brillant, je sais. Tu ne dois pas être habitué à fréquenter quelqu’un qui réfléchit autrement qu’avec ses émotions, son estomac, ou bien uniquement via des livres. »

Neville hocha la tête, concédant ce point. Il sourit brièvement et ajouta :

« Tu es peut-être quelqu’un de plus intéressant que tu ne voulais bien nous le montrer, murmura-t-il. Quel dommage que tu aies tant tenu à nous masquer ta réelle personnalité.

— Il n’y a qu’un Gryffondor pour ne pas comprendre que ce qu’est une personne est l’exacte arme à retourner contre elle.

— C’est très juste, Draco Malefoy. »

Draco s’arrêta net en entendant cette réplique. La voix n’était pas celle de Neville et elle sembla lui transpercer l’âme. Il se tourna en direction du Gryffondor, mais ne vit que la pierre autour de lui. Éberlué, il regarda devant, derrière, pour se rendre compte qu’il était seul dans un long couloir qui n’avait ni début, ni fin. L’odeur de pourriture était toujours présente et il ne percevait aucun bruit, si ce n’est l’écoulement lointain de gouttes et une sorte de pulsation cardiaque qui semblait traverser le sol. Aucune trace de Neville et Draco sentit la panique monter lentement en lui.

« Londubat ?! cria-t-il, incertain.

— Londubat ?! répéta la voix en se moquant.

— Je vois… Qui est là ?

— Qui est là ? Londubat ?! »

Draco continua d’avancer lentement, la baguette dirigée droit devant lui, sa nuque baignée d’une légère pellicule de sueur froide qui commençait à lui glacer le sang. Cette voix… il avait l’impression de la connaître et elle faisait ressurgir en lui une sorte de terreur infantile. Où était le Gryffondor, bon sang ? Depuis quand ne marchaient-ils plus côtes à côtes ? Il s’arrêta et respira profondément, se repassant mentalement ce qu’il venait de se passer. Il fit demi-tour et couru soudain, mais le couloir semblait interminable. Là, une conviction s’imposa à lui : ils étaient au milieu d’un piège de la Chambre. Exactement comme l’elfe avait tenté de les avertir.

« Très bien, murmura Draco en cherchant à se persuader qu’il était dans un des cours de Snape. Jouons-la comme un vrai Serpentard, alors.

— Mais tu n’es pas un vrai Serpentard… »

« Tu n’as jamais été à ta place. »

Neville chassa d’un geste de la main ce que l’étrange voix venait de lui dire. Il courait depuis maintenant cinq minutes en sens inverse sans retrouver ni l’entrée, ni Draco. Impossible d’entendre le blond marcher et parler, et chaque appel se soldait par des moqueries de la part de la voix. Il ferma les yeux et marmonna :

« Je vais encore devoir ma vie à Severus Snape, j’ai l’impression…

— Tu n’en as pas assez d’être l’éternelle demoiselle en détresse ?

— Qu’est-ce que tu es ?

— Et toi ? Un Gryffondor, vraiment ? Toujours la peur au ventre, toujours besoin de te planquer dans les jupes d’un autre. »

« La ferme ! cria Draco en sentant qu’il s’y prenait de la mauvaise manière. Si tu essaies de me faire perdre mon sang-froid, tu peux d’ores et déjà…

— Seuls les serpents ont le sang-froid. Et toi tu bouillonnes comme un enfant pris au piège dans ses petits draps. Tu t’agites dans ton lit, aux prises avec tes cauchemars et tu paniques. Où est le haut ? Où est le bas ? Sens-tu l’étau qui se resserre ? Tu dois sortir, vite.

— Il n’y a pas de sortie, ce couloir n’existe pas.

— Ce couloir n’existe pas, se moqua la voix en geignant comme un enfant. Le serpent qui le parcourt à tes trousses non plus n’existe pas… »

Le sifflement caractéristique qu’il entendit derrière lui le fit frissonner et, immédiatement, il se mit à courir pour lui échapper. Il ne pouvait y avoir deux basilics dans une seule et même Chambre, se pouvait-il que Harry n’ait pas vraiment tué la créature… ? Neville accéléra, jusqu’à débouler dans une immense salle voûtée qui abritait une statue titanesque d’un sorcier aux cheveux et à la barbe longue. Le souvenir de la description de Harry lui revint en mémoire et il regarda immédiatement aux pieds de la statue pour constater que le cadavre attendu du basilic n’y était pas… Il ferma immédiatement les yeux quand le sifflement redoubla d’intensité.

« Il est impossible que le monstre soit encore en vie, cria presque Draco, incapable de calmer sa peur. Qui le commanderait, hein ? Un vieux piège mental destiné à chasser les non-parleurs ?

— Tu réfléchis trop, ce n’est pas ce qu’on demande à un bon serviteur, s’énerva la voix. Tu réfléchis trop et regarde où ça te mène ! »

Draco hocha la tête en direction de la statue de Serpentard qu’il avait devant lui et se retourna lentement. Il porta machinalement la main à la poche de son veston qui contenait la médaille de Jedusor et ricana.

« À me battre conte toi, répondit-il. »

Du couloir dont il venait de sortir se détacha une ombre vivante qui prit corps. Une silhouette encapuchonnée glissant sur le sol comme il l’avait vue faire des années auparavant dans la forêt interdite. Draco frissonna de tout son être, serrant fermement sa baguette tout en espérant ne pas se tromper.

« Est-ce la Chambre ou l’Horcruxe qui se défend ? demanda à voix haute Neville comme si Draco pouvait l’entendre. Dumbledore nous avait bien mis en garde contre cette éventualité.

— Dumbledore, Dumbledore ! railla la voix. Tu es l’homme de Dumbledore, alors ?

— Non, Harry l’était, corrigea tranquillement Neville en se tournant enfin vers la voix. Et je ne suis pas Harry.

— Tu n’es pas l’Élu. » Ricana une silhouette sombre qui se détacha du couloir baigné de ténèbres.

Neville hocha négativement de la tête et rangea sa baguette tranquillement. Il eut une brève bouffée de reconnaissance envers Severus qui les avait décidément bien préparés, et répondit :

« Non, et je n’ai pas à l’être. Ne prends pas la grosse tête à jouer les héros.

— Comme si tu en étais capable ! »

La silhouette rejeta la tête en arrière pour rire et Neville pu voir son double le scruter avec malice, son regard moqueur surplombé d’une cicatrice en forme d’éclair. Se voir ainsi lui tira une sorte de frisson dans le ventre. Il s’observa un bref instant, ne sachant quoi répondre au double qui le fixait goguenard.

« Terrorisé, tétanisé… exactement comme lors de l’attaque, sussurra le double. Et tu es tombé, incapable de te défendre alors même que Harry, lui, faisait ce qu’il y a à faire. En seras-tu un jour capable ? »

Avant même que Neville ne puisse répondre, le double leva la baguette et cria « Avada Kedavra » dans sa direction. Neville ferma les yeux brusquement avant de les rouvrir avec stupeur. Derrière lui, Dean Thomas, en robes de Mangemorts, était allongé les bras en croix.

« Ce… ce n’est pas un des leurs…, murmura Neville incertain.

— Et si c’était le cas ? Et si tu n’avais pas le choix ?

— Harry n’est pas comme ça.

— Harry a déjà tué.

— Je ne suis pas Harry.

— Tu devras tuer. »

Neville déglutit, observant le corps de l’illusion de son ami.

« Je te fais peur ? »

Draco inspira profondément et abaissa sa baguette, puisant dans le rationnel pour nourrir un semblant de courage.

« Oui. Il faudrait être fou ou stupide pour ne pas avoir peur de vous.

Vous ? Je suis seul. Je te terrifie au point que tu me vois pluriel ? »

La silhouette leva ses mains pour retirer lentement le capuchon qui la coiffait, et Draco recula instinctivement d’un pas. En face de lui, son double ouvrit la bouche dans une reproduction parfaite et ironique de son ébahissement.

« Oh… Pas de Seigneur des Ténèbres ?! Tu ne saurais te tenir face à lui. Tu es un faible. Un faible rongé par la peur.

— J’ai peur… d’être un Mangemort ? demanda Draco, surpris de ce dénouement. Au cours de Snape je croyais avoir fui…

— Tu fuis ton potentiel, Draco ! cracha le double. Tu fuis tes responsabilités ! Tu fuis l’inévitable ! Crois-tu vraiment que tu vas rester encore longtemps le seul à ne pas être marqué ?

— Blaise…

— Oh, Blaise… Oui, Blaise… Blaise ton ami, c’est ça ? Blaise qui n’est pas marqué, mais qui est tout autant un tueur que moi.

— Blaise n’a jamais…

— Blaise sait survivre ! Blaise est un vrai Serpentard, c’est bien pour ça que tu l’aimes tant, hein Draco ? »

Le blond cilla, incapable de trouver une réplique à la hauteur. Son double-Mangemort poursuivit :

« Blaise prendra la marque quand il n’y aura plus d’échappatoires, et il n’y en aura plus quand tu seras obligé d’en faire de même…

— Je refuse de…

— Tu obéiras à ton père. Tu lui obéiras comme il obéit au Seigneur des Ténèbres. Vous lui obéirez parce que vous savez ce qu’il se passera si vous ne faites pas ce qui est attendu… »

Neville secoua doucement la tête, cherchant du regard une solution, une aide. Il reporta son attention sur son double et le considéra gravement :

« Je ferai ce qu’il y a à faire, murmura-t-il avec conviction. Ce qu’il faut pour gagner cette guerre. Mais je sais que je n’aurai jamais à porter le poids qu’Harry porte lui-même.

— Tu en es sûr… ? répliqua, goguenard, son double.

— Non. Sinon tu ne serais pas là. Sinon, je n’aurai pas si peur. Est-ce donc ça le piège de la chambre ? Sombrer face à ses peurs ? Ne pas les dépasser… ? C’est trop Gryffondor pour Salazard Serpentard, c’est vraiment étrange.

— Crois-tu pouvoir me dépasser, vraiment ? Crois-tu que tu pourras échapper à ce destin ?

— Oui, répondit Neville après réflexion. Je parviendrai à faire ce qu’il faut sans devenir ce que je crains. J’y arriverai.

— Oh, vraiment ? Devoir tout sacrifier, avoir du sang sur les mains, prendre le risque de mourir, es-tu certain d’arriver à ne pas devenir ce symbole que tu crains tant ?

— Sûr, non. Mais j’en ai l’ambition, du moins. »

Neville tourna la tête pour chercher Draco des yeux, et quand il revint fixer son double, ce dernier n’était plus là. Il se trouvait face à la Statue de Serpentard, et à ses pieds, Draco était en train de pleurer, penché sur le sol. Il gémissait et fixait le sol, comme s’il se trouvait quelque chose.

« Maman… murmurait-il.

— Oh maman, maman… Ma jolie maman ! pleurnicha son double. Si seulement j’avais le cran de prendre la marque pour te sauver. Ma maman qui se fera tuer à cause de toi…

— LA FERME ! LA. FERME ! Je ne veux pas être Mangemort, je ne peux pas le devenir !!

— Alors tu perdras tout, absolument tout… »

Draco se leva et pointa sa baguette en direction de Neville, le menaçant très clairement. Le Gryffondor leva les mains en signe d’apaisement, mais son comparse hurla de plus belle :

« ASSEZ ! ASSEZ de tes mensonges et des illusions !

— Tu as raison Draco, cesse de te mentir : tu es trop lâche pour sacrifier ton existence pour sauver les autres. Tu la feras tuer parce que tu es lâche.

— Je… la lâcheté serait de… de prendre cette marque. Mon père… »

Neville ouvrit la bouche et comprit immédiatement le problème du blond. Il bondit sur lui, lui arrachant sa baguette des mains. Draco se débattit violemment, l’insultant, l’accusant de vouloir le détruire.

« Ouvre les yeux, Malefoy ! Ce n’est pas ce que tu crois ! Tu n’es pas un Mangemort, tu n’as pas la marque !

— Je n’ai pas le choix, sinon Il la tuera !

— Il la tuera quoi qu’il advienne, répondit Neville sans être certain du sujet. Voldemort tue les gens, les Mangemorts tuent les gens, c’est pour ça que tu te bats, que tu es là pour le vaincre ! Draco, tu as déjà fait ton choix, il n’y aura aucun retour en arrière : tu ne seras jamais Mangemort. Aide-moi à détruire les Horcruxes ! »

Neville tira de sa poche le médaillon de Serpentard et le leva bien haut. Draco sembla le voir un bref instant et une lueur de conviction revint dans son regard.

« Tu pourrais le Lui apporter, sinon… ? proposa le Draco-Mangemort en souriant. Il te pardonnerait tout. Pardonnerait à ta famille, l’épargnerait…

— Je…

— Ressaisit-toi Malefoy ! le ramena brutalement Neville dans la réalité. L’Horcruxe se défend, il joue de nos peurs ! Ce n’est pas la Chambre le problème, ce sont ces saloperies, aide-moi à les détruire !

— Mais si je les détruis, Il traquera…

— Si tu les détruis, Il sera à nouveau mortel. Et on le détruira. Tu as ma parole, Malefoy que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour Le détruire. »

Disant cela, il lui sembla qu’un écho se faisait dans la pièce, comme si son double-Elu avait prononcé les mêmes paroles. Neville frissonna, reconnaissant-là que sa peur avait un fondement : il était bel et bien loin du petit garçon grassouillet et empoté qui avait franchit les portes de Poudlard… Et Malefoy était loin du petit con arrogant qui voulait tout faire comme papa. Il fallait détruire les objets, et vite… ! Mais il n’y avait aucune trace du basilic… seulement cette chambre glacée et puante.

« Par Merlin, l’odeur ! Malefoy, concentre-toi sur l’odeur de cadavre ! Laisse tes peurs, nous les vaincrons, concentre-toi sur l’odeur de cadavre !

— Ma mère…, commença Draco en fixant le corps sans vie de Narcissa.

— Non, c’est beaucoup plus dégueulasse que ça, plus vieux. Malefoy, le cadavre du basilic est juste là, nous devons briser l’illusion, aide-moi ! Bats-toi par Merlin ! Bats-toi à mes côtés !

— Jusqu’où comptes-tu trahir, Draco ? menaça le double. T’allier à un Gryffondor et puis quoi ? Aider Potter ? Trahir le Seigneur des Ténèbres… ? Détruire son bien le plus précieux ? »

A ces mots, Draco fronça les sourcils, entendant un drôle d’éco au loin. L’écho de la voix de Neville. Le double sembla se rendre compte qu’il avait fait une grave erreur car il balbutia presque :

« Il te détruira, Il vous détruira tous avant même que vous ne parveniez à vos fins… Vous détruisez ses Horcruxes et après ? Crois-tu pouvoir lui tenir tête baguette à la main ?

— Ce n’est pas la Chambre qui se défend, murmura Draco.

— C’est ce que je me tue à te dire ! Tu m’entends, maintenant Malefoy ? Détourne-toi de tes peurs, nous allons le faire ensemble ! »

Draco cilla et le regarda pour la première fois dans les yeux. Son double vociférait :

« Ne l’écoute pas ! Ses promesses sont vaines ! Il ne peut absolument pas…

— Que m’as-tu promis ? demanda Draco, lentement.

— Je ferai tout pour te permettre d’être libre, Malefoy. Pour nous permettre à tous de Le vaincre.

— J’ai ta parole ?

— Tu as ma parole. Nous nous battrons ensemble, nous perdrons nos proches ensemble… mais nous Le vaincrons aussi ensemble. Sors la médaille et vois enfin le seul cadavre de cette pièce ! »

Draco tourna la tête dans la même direction que Neville et vit l’énorme corps du serpent encore suintant. L’illusion de son double avait disparue, laissant les deux jeunes gens seuls face à un monstre dont la décomposition avancée empuantait toute la Chambre des Secrets.

« Qu’est-ce que c’était… ?

— Les Horcruxes, rien qu’eux.

— Il n’y avait pas de pièges ? Pas de dangers ?

— Techniquement, si, répondit Neville en s’avançant pour détacher un crochet du monstre. Mais nous les avions apportés avec nous. Je suppose que la magie de ces lieux n’a fait que renforcer leur pouvoir…

— C’était…

— Très convaincant, je sais. Comme dans le labyrinthe de Snape.

— C’était bien pire, nous n’étions pas en plein cours. Là, c’était réel… »

Draco sembla perdu un bref instant, et Neville lui donna une tape sur l’épaule.

« Ressaisis-toi. Ne laisse pas ta peur te dominer, c’est terminé.

— Comment… comment fais-tu pour être aussi calme ? Qu’as-tu vu ?

— L’inévitable. »

Draco le considéra gravement et posa la médaille au sol, à côté de l’autre Horcruxe. Neville hocha la tête en lui souriant avec chaleur.

« On fait ça à trois, prévint Neville en levant l’arme au-dessus du médaillon.

— TROIS ! »

***

Jane gara la voiture de location à l’endroit même où Vernon Dursley garait la sienne. Cette image serra le cœur de Harry qui jeta sans le vouloir un regard noir à Snape. L’ancien Mangemort resta silencieux et ouvrit la portière rapidement. La maison était toujours inoccupée, la porte d’entrée fermée et barrée par un ruban de Scotland Yard. Jane et Severus s’arrêtèrent au perron, laissant Harry leur ouvrir la marche. Le jeune homme arracha le ruban et chercha dans un des pots creux dégarnis de fleurs une petite clé d’argent qu’il glissa dans la serrure.

Harry s’attendait à retrouver l’intérieur impeccable du foyer Dursley et s’immobilisa devant le chaos des meubles renversés, des cadres photos jetés au sol et brisés.

« Bellatrix, murmura Severus la gorge sèche. Elle cherchait un portrait de toi…

— Et elle a dû retourner la maison, en vain. »

Jane leva un sourcil interrogateur en direction de Severus qui secoua négativement la tête. Luna s’avança et se dirigea vers le placard sous l’escalier qu’elle ouvrit d’un geste surprennament sec. Elle contempla longuement la paillasse qui avait servi de lit à un Harry trop naïf pour être malheureux. Jane resta silencieuse, une sourde colère montant en elle. Severus avait connaissance de cet endroit, il avait vu assez de souvenirs d’un petit Harry tentant de calmer lui-même des terreurs nocturnes en serrant fort une couverture élimée contre lui. Il repensa à sa propre mère qui avait su le garder d’un tel destin, et le souvenir de Lily le hanta brutalement. Pouvant pratiquement l’entendre hurler dans ses oreilles devant ce que son fils avait dû vivre.

« Ouaip…, lâcha Harry, amère. J’ai passé dix ans dans cette chambre.

— Chambre… ? grinça Jane. Tu appelles ça…

— Et maintenant qu’ils sont morts, coupa Luna d’une voix froide. Ils ne pourront plus payer pour leur crime.

— Ils ont payé, répliqua Severus avec brutalité. Je me suis personnellement chargé de Petunia.

— Ils ne méritaient pas ce que Bellatrix et toi avez fait, contrat Harry.

— Tu as trop bon cœur, Harry, murmura Jane en colère. Ce qu’ils t’ont fait…

— Ne méritait pas ce qu’ils ont subi. Vous savez Professeur, le monde est plein d’enfants qui traversent bien pire. Je ne sais pas quelle enfance vous avez eu, mais Luna a perdu sa mère, Severus a dû…

— Ne me mêlez pas à ça, et surveillez tous votre langage. Vos émotions vous poussent à vous dévoiler. Nous sommes là dans un but précis, commençons.

— Non, maintient Harry. Je sais que ma mère serait de mon avis, elle aurait été…

— Elle aurait été horrifiée de ce qui vous serait arrivé et aurait veillé elle-même à ce que votre tante paie, cher. Elle aurait sans doute accepté que je m’en charge en fermant les yeux sur ma sentence.

— Jamais… maman était…

— Votre mère était aimante et douce, mais elle comprenait plus que tout les gens. Elle ne m’a jamais jugé lorsqu’elle a appris pour mon père. Ne demandez pas à vos proches de faire preuve de la même noblesse de cœur que vous voulez vous imposer, nous n’avons pas à jouer les héros, n’essayez pas de nous rendre plus vertueux que nous le sommes.

— Luna, tu… ? demanda Harry avec espoir.

— Je te comprends. Et je comprends aussi leur réaction. Tu as besoin de pardonner à ta famille, car c’est le chemin que tu as choisi de vivre, car c’est ainsi que tu vis, Harry. C’est aussi de cette façon que j’avance, le rassura-t-elle en prenant doucement sa main. Mais tout le monde n’est pas miséricordieux.

Certainement pas moi, glissa Severus entre ses dents. Où voulez-vous faire ça ? »

Harry balaya du regard le salon qui était retourné, puis il leva les yeux en direction des escaliers.

« Dans ma chambre, ça me semble tout indiqué.

— Ah, ils ont fini par vous en donner une, alors…, grinça encore une fois Jane.

— Oui, quand les lettres marquaient comme adresse « dans le placard sous l’escalier ».

— Adresse inscrite par un sort, n’est-ce pas ?

— Oui, d’après le Directeur, il n’en avait jamais rien su.

— Foutue magie, et personne de mon genre n’avait remarqué quoi que ce soit ?!

— Quelques maîtresses, répondit Harry en montant à l’étage. Mais ça n’a jamais été suivi de quoi que ce soit. Mon oncle et ma tante avaient réussi à convaincre le corps enseignant que j’étais bizarre et que j’étais globalement problématique. Et puis j’ai fini par en prendre l’habitude et par comprendre qu’il ne servait à rien de…

— Faire confiance à des adultes, termina Severus en prenant soudain conscience de quelque chose de crucial à propos de Harry. Ce qui explique pourquoi vous n’aviez pas été touché de mon traitement…

— Je voyais bien que vous me haïssiez, mais vous n’étiez tellement pas le premier à… voilà. Tiens, ils n’ont touché à rien. »

Snape hésita à dire quelque chose à Harry mais Luna le dissuada d’un signe de tête. Ils pénétrèrent dans une chambre pratiquement vide où un lit miteux trônait. Une chambre avec une fenêtre qui semblait avoir eu des barreaux à une époque. Jane s’exclama :

« Ils sont sérieux ?! Vous avez vraiment été… ?

— En deuxième année. Pour que je ne retourne pas dans « cette école de fous ». Et Dobby qui m’empêchait d’avoir mes lettres pour que je crois que personne ne m’aimait et que je n’ai plus envie d’y retourner. Il voulait me protéger à cause de la Chambre mais…

— Mon Dieu, Harry… Tu as été si malheureux…, murmura Jane éberluée.

— Oui, pauvre petit garçon adoré d’un monde tout entier, au compte en banque garni et entouré d’amis qui l’aimaient jusqu’à donner leur vie…

— Sev… Cesare !

— Il a raison, sourit Harry. J’ai eu une enfance autrement plus heureuse que la sienne… ou encore celle de Tom. Je n’ai pas à être plains.

— Vous plaisantez ?! C’est typiquement le genre de discours d’enfants maltraités que…

— C’est terminé, coupa Harry. Mon passé est derrière moi, il ne me reste qu’à me battre pour me construire un avenir. »

Ces mots mirent Severus profondément mal à l’aise qui ne put s’empêcher de fixer le lit plutôt que le jeune garçon. Jane s’en rendit compte et fronça les sourcils, incapable de percer ce mystère. Harry chercha dans le sac l’épée de Gryffondor qu’il leva devant eux.

« Aller, il est temps. Cela risque de me toucher une nouvelle fois, donc je vais me mettre dos au lit, d’accord… ? Et puis nous attendrons que nos amis de l’école se soient chargés des deux autres, j’ai peur que…

— Que cela soit de plus en plus difficile ? demanda Severus.

— Ça l’est. Le journal ou la bague ne m’avaient rien fait, le diadème était douloureux mais j’ai le pressentiment que…

— Nous aurions peut-être dû nous coordonner pour que les trois soient détruits en même temps, songea Luna à voix haute. Tu ne dois pas être le seul à ressentir cela, et il y a peu de chances qu’Il ne sache pas compter.

— C’est juste, mais c’est trop tard. Quand vous serez prêt, Harry. »

Snape dévoila la coupe et la posa au sol. Il s’écarta légèrement du garçon qui secoua la tête :

« Faites-le. Je n’ai pas envie que ça recommence comme la dernière fois.

— Affrontez vos peurs.

— Je m’en charge, bondit Luna. Nous sommes tous là pour faire notre part. Et puis j’ai pleinement le droit de Lui rendre la pareille, après ce qu’il nous fait subir.

— Tu as raison, à trois…

— TROIS ! »

***

Une cacophonie de hurlements indistincts avait résonné à ses oreilles. Trois voix du même timbre hurlaient, maudissaient, menaçaient, suppliaient. La puissance du cri conjoint lui vrilla les tympans et le fit chanceler, avant que la sensation douloureuse d’avoir le crâne qui se fendait sous un coup brutal d’une lame ne lui fasse tourner la tête. Il bascula dans les ténèbres, se prenant la tête à deux mains, hurlant terriblement à son tour tandis qu’il sentait chaque parcelle de son être brûler comme autant de supernovas explosant dans l’univers. L’impression même de mourir et de se faire néant fit éclore un vent de panique qui poussa son cœur dans ses derniers retranchements. Il avait déjà ressenti cela quelques jours auparavant, l’étrange sentiment d’être aux portes de la mort, et il pouvait presque voir qu’il s’apprêtait à les traverser. Les voix se brisèrent soudainement, mourant dans d’atroces borborygmes et mises en garde qui lui étaient toutes destinées. Vaguement, il entendit la voix douce d’une jeune fille l’appeler, et celle, grave et soyeuse de son ancien serviteur s’inquiéter pour lui. Où était-il ? Il était incapable de le dire. Il se savait juste mourant. Et c’était impossible. Il sombra totalement dans l’inconscience.

Il ouvrit soudain les yeux, et il mit un instant avant de se rappeler qu’il était dans les cachots de la demeure Jedusor, en train d’explorer l’esprit de Ronald Weasley. Ce dernier était à genoux, le menton reposant contre sa poitrine, inconscient. Voldemort se releva péniblement, tirant sa baguette avec rage et lui attrapa les cheveux pour relever son visage à sa hauteur :

« Tu vas me dire, siffla-t-il avec difficulté. Tu vas me dire… »

Il s’engouffra brutalement dans son esprit, avec un mot en tête, un mot qu’il hurlait aux souvenirs, guettant les échos, jusqu’à ce que là, dans un coin enfoui profondément, il déniche ce que le jeune homme avait tant cherché à lui dissimuler. La voix de Sirius Black lui parvint à travers le brouillard :

« … finalement, s’il n’avait pas tant détesté ton père, nous n’aurions jamais eu le journal et Dumbledore n’aurait rien su des plans de notre ennemi.

— J’aurais pu perdre Ginny, rappela le Ron de l’époque.

— Oui, et nous la guerre. Maintenant, nous avons une chance. Infime, mais une chance de Le vaincre. »

Le souvenir s’effondra sur lui-même, Voldemort se retirant. Le mage noir recula de quelques pas, tournant la tête de gauche et de droite. Son cœur, cet organe pathétique qui trahissait le commun cognait dans sa poitrine, le faisait atrocement souffrir. Brûlant dans ses veines comme un poison, son sang pulsait, sous les coups erratiques de la pompe qui s’emballait. Une étrange sensation de froid s’empara alors du dos de Voldemort, une sorte de frisson qui lui prit les reins et remonta lentement, dévalant sur son ventre pour lui tordre les entrailles, lui rappeler qu’elles étaient, elles aussi, des viscères palpitantes. Le froid se propagea dans ses bras, engourdissant ses mains, glaçant jusqu’à ses doigts qui ne sentaient plus la caresse de sa baguette. Voldemort la levant lentement et constata, avec un terrible effroi, qu’elle tremblait. Légèrement, presque imperceptiblement, sa baguette et sa main toute entière étaient secouées d’un léger tremblement. Il se tourna vivement vers Ron qui l’observait à présent avec un regard perçant et lucide. Le jeune Gryffondor esquissa un rictus qui lui tordit la bouche et ricana, goguenard :

« Personne n’est immortel. »

Marchand’âme

« Jane Smith… JANE SMITH ! Jane, Merlin, Smith ! Sait-il combien il existe de Jane Smith ne serait-ce qu’à Londres ?! Comment sommes-nous supposés trouver la bonne Jane Smith, hein ? Est-ce qu’on doit prendre celles qui ont des noms composés ? Whitney-Smith, Smith Curtaiins… ? Jane Smith Design, qu’est-ce que c’est que ce nom ridicule, d’ailleurs ? Je n’ai pas lustré autant de chaudrons pour me retrouver à fouiller dans des bottins Moldus à la recherche d’une personne inconnue ! »

Rolland leva les yeux au ciel, l’énervement de Jones commençait vraiment à l’étouffer. Lui aussi en avait marre d’être coincé dans ce cagibi à éplucher des listes dans le vague espoir de trouver leur cible. Lui aussi vivait plutôt mal l’inadéquation de ses compétences et de leur utilisation. Lui aussi aurait voulu pouvoir partir à 18h comme tout le monde, et lui aussi ne comprenait pas qu’on s’intéressa à une Moldue. Mais Rolland était un vrai bureaucrate, de ceux qui savaient quand il fallait se taire et obéir, et donc il prenait son mal en patience, persuadé que leur supérieur avait nécessairement une bonne raison de leur assigner cette tâche. Jones, de son côté…

« J’en ai marre, je fais une pause ! cracha-t-il en jetant le lourd volume de numéros téléphoniques. On sait même pas si nos infos sont à jour. Tu savais, toi, qu’ils avaient plusieurs heu… guildes de téléphone ?

Des compagnies, et oui. C’est le principe de la concurrence sur les marchés.

— Ah, oui, c’est vrai que t’as de la famille Moldue, non ?

— Oui… mais j’ai surtout étudié parce que je veux être affecté au Département…

— Ouais, ouais, tu as très certainement des raisons d’avoir été mis sur cette affaire, coupa Jones en sortant une boîte de gâteaux. Moi, je ne comprends pas. Je suis spécialisé dans les ordonnances tactiques. Je voulais me rapprocher de la Brigade, et je me retrouve dans un placard.

— Lord Malefoy t’a certainement mis avec moi pour préparer l’intervention au vu des éléments qu’on aura trouvés, je pense. Ou bien tu lui as déplus d’une quelconque manière.

— C’est ça. Ben à ce rythme, je peux te dire qu’ils vont se retrouver à visiter des lieux les uns après les autres. Les Moldus ont un vrai problème d’originalité.

— Ils sont simplement beaucoup plus nombreux, Jones. Est-ce qu’il t’est possible de t’y remettre ? Londres est immense et nous n’avons pas toute la semaine.

— Pff… Ouais, ouais, ça va. Heureusement qu’au moins il a délimité les recherches à Londres uniquement.

— Certes, mais le Londres Moldu est densément peuplé, ça n’a rien à voir avec le Chemin de Traverse, tu sais. »

***

Malgré le froid de cette fin de janvier, il y avait foule sur la grande place couverte du marché. Les odeurs de plats indiens préparés se mélangeaient à celle des fishs’n’chips grillés sous les yeux des gourmands. De temps à autre, le fumet d’un poisson tranchait net avec celui d’un café fort en train d’être goûté par des acheteurs potentiels. La vue et l’ouïe n’étaient pas non plus en reste avec les couleurs des vêtements, des livres et vinyles d’occasion, le bruit des tasses et des chopines qui s’entrechoquaient, et des rires insouciants des gens qui l’entouraient. Jane s’autorisa un bref sourire et s’arrêta un instant dans la grande allée, observant les alentours pour capturer cette tranche de normalité. Comme ça lui manquait. Faire son marché pour acheter de quoi faire des burgers frais, trouver à la volée un vieux bouquin qu’elle n’avait pas encore dans sa bibliothèque… Vivre sans regarder par-dessus son épaule, sans se demander si la personne qu’elle avait en face d’elle « en était, ou pas ». Vivre sans tout ça.

« C’est surprenant de voir une jeunette comme vous utiliser encore une carte. »

Jane sursauta presque, se rendant compte qu’elle avait oublié le marchand de Presse. Elle reporta son attention sur lui et lui sourit par automatisme.

« Ça reste fiable, une carte, répondit-elle vaguement.

— Oh, oui ! Mais comme vous êtes toujours sur vos smartphones avec vos GPS-là…

— Et ça ne se décharge pas, compléta-t-elle en avançant de la monnaie pour s’échapper.

— C’est tout à fait vrai ! Aussi maligne que jolie, en tout cas un plaisir !

— Heu, merci ? Au revoir, bonne journée.

— Bonne journée, Mademoiselle, et… ne vous perdez pas ! Ah ah ah. »

Jane se maudit de faire semblant de rire à cette blague qui n’avait rien d’amusant. Elle détestait avoir toujours ces réflexes de concorde. Pourquoi se sentir obligée de sourire ou de rire à des choses qu’elle trouvait en réalité gênantes, voire lourdingues… ? Elle tourna les talons et se décida à retourner à l’appartement, ses pensées revenant brutalement dans sa réalité, celle qui l’obligeait à se hâter de passer le moins de temps à découvert. Severus avait protesté contre l’idée de la voir sortir seule, mais elle avait argué qu’elle irait beaucoup plus vite sans eux dans les pattes. Et puis, s’il ne voulait pas prendre de risque, il utilisait le GPS, et on n’en parlait plus… ! Car, malgré ce qu’elle avait pu dire au vieux marchand de journaux, elle trouvait que les cartes n’avaient rien de pratique ou de précis. C’est uniquement parce qu’il était encore réfractaire à la technologie que Severus tenait absolument à faire ça « normalement ». Comme si son déplacement avait quelque chose de normal, d’ailleurs… Harry et elle s’étaient violemment opposés à ce qu’il y aille seul, ce fut Luna qui se rangea du côté de l’ancien espion et qui avait su trouver les mots pour les rassurer. Ou du moins, essayer. Car, quand Jane avait reçu le sms d’Hermione, elle n’avait su quoi penser sur l’instant. La jeune fille avait laissé tomber les surnoms et avait écrit noir sur blanc :

« Narcissa Malefoy vient de nous contacter, elle demande à ce que le Professeur Snape la rencontre à « L’Impasse » à 15 heures, aucune info supplémentaire, Lucius Malefoy ne semble pas être au courant, Sirius était contre le fait de vous transmettre avant d’en savoir plus. Elle avait l’air paniquée. Dites-moi ce que vous décidez…

— Ça pourrait être un piège, commenta Harry en réfléchissant.

— Et c’est sans doute pour ça qu’il ne voulait pas prévenir Severus, ajouta Luna. Mais si Hermione a pris cette décision, c’est qu’elle doit être certaine que c’est la bonne.

— Ce qui ne veut pas dire que c’est le cas, contra Jane. Qu’est-ce que c’est que L’Impasse ? Et est-ce que cette femme est aussi dangereuse que son mari ?

— Que veut-elle ? Que vous vous livriez, en lien avec l’attaque du Ministère ?

— Que vous aidiez Draco ? Il est peut-être en danger…

— Aucun risque, il est à l’école, et comment Snape pourrait l’aider, au juste ?

— Si vous comptez y aller, il va falloir me dire où c’est que je puisse vous prévoir un plan d’accès discret et par moyens normaux… à moins que ça ne soit dans votre Londres, auquel cas, je ne pourrai que vous rapprocher. Mais je n’aime vraiment pas ça, Severus.

— Moi non plus, j’ai pas trop mon mot à dire, mais c’est dangereux.

— C’est peut-être moins dangereux qu’il y aille seul que tous ensemble. Mieux vaut qu’une seule cible aux mains de notre Ennemi que toutes.

— Il risquerait sa vie, Luna !

— Et toi, la tienne. Severus sait ce qu’il fait, puisqu’il le fait depuis des années.

— Sauf que maintenant, il est catalogué comme traître et recherché, je n’aime pas davantage ce plan, mais ce n’est pas comme si je pouvais vous protéger, moi… »

Severus ricana, et ce bruit les fit immédiatement taire. Il les avait laissés s’embourber dans une conversation sans lui, tentant de réfléchir, mais leur boucan empêchait toute sérénité. D’un ricanement, ça devint un rire, nerveux, fatigué. Puis un rire plus franc, qui se termina légèrement amer.

« Ça vous fait marrer mes états d’âme ? demanda Jane, vexée.

— Les vôtres, les leurs. Et vous me fatiguez tous les trois. Taisez-vous.

— Mais…

— Silence ! Cinq minutes complètes de silence, vous vous en sentirez capables ? »

Adulte et adolescent boudèrent, même Luna qui n’apprécia pas d’être remisée au même niveau qu’un nargole grignotant les pensées. Car, et elle l’avait bien compris, Severus n’arrivait tout simplement pas à réfléchir avec leur bavardage. Ils lui octroyèrent donc ces cinq minutes ordonnées, non sans lire et relire chacun le sms d’Hermione pour tenter de le comprendre et d’en tirer le maximum. À la fin du délai, Severus se leva et mit la bouilloire en chauffe.

« Pour commencer, dit-il en préparant son sachet de thé, jusqu’ici, je ne dois ma vie qu’à vous, Jane. Ce qui n’est pas le cas des deux autres agitateurs de baguette ici présents. Ensuite, comme l’a fait remarquer Miss Lovegood, je suis tout à fait capable de m’en sortir si cela dégénère. Par ailleurs, elle a également raison sur le fait que Draco est certainement en danger, mais je ne pense pas que ça soit l’objet de son appel à l’aide.

— Vous avez deviné quelque chose ou… ?

— Et enfin, interrompit-il en versant l’eau dans la tasse. L’Impasse est un bouge côté « humains » qui regroupe rebuts et autres « sans héritage », quelques « humains » y traînent parfois, quand ils ont des liens – souvent sordides – avec les autres. Je n’y suis jamais allé, pas la peine de me demander. J’en avais juste entendu parler.

— Et comment on trouve, si vous ne savez pas où est l’endroit ? Qu’est-ce que Malefoy pensait en vous donnant rendez-vous là-bas ?

— Que je connaîtrais. Ce qui signifie que c’est un repaire mal famé et dangereux où on obtient certainement des informations et des armes.

— D’accord, vous allez vous jeter dans la gueule du loup… à condition de savoir où elle se trouve, comment on va faire ?

— Vous manquez l’essentiel, Potter. Comme toujours.

— C’est Harry, et je suis fatigué que vous n’alliez pas droit au but, Jane ? Pouvez-vous le décrypter ? »

La jeune femme rougit en regardant son ami rosir très légèrement. Le sous-entendu n’était même plus voilé, il n’était donc pas question de bredouiller. Le moins possible, disons.

« Il a dit que c’était dans le Londres normal et que des humains y arrivaient parfois. Ça doit avoir une vraie adresse trouvable sur Internet. Ça ne sera pas compliqué de vous sortir l’adresse exacte. »

Et ça ne l’avait pas été. L’Impasse avait bien une adresse sur le bottin, même Google avait un petit encadré avec des notes, toutes mauvaises et faisant état d’une vieille usine fermée et puante. Jane avait évidemment suggéré la possibilité d’imprimer un itinéraire, d’utiliser GoogleMap depuis le smartphone, mais Severus avait catégoriquement refusé, et elle se retrouvait donc en train d’acheter un plan de Londres pour tenter de satisfaire aux délires technophobes de son amant. Elle jeta un regard accusateur à la carte pliée dans sa main, avant de la dérouler pour tenter de se repérer immédiatement. Il lui fallut trouver une plaque pour le nom de la rue, arriver à repérer les lieux les plus connus aux alentours, avant d’enfin localiser l’endroit où elle se tenait… ou du moins un point proche. Quand elle vit que sur la carte elle était censée avoir une bouche de métro non loin, Jane fronça les sourcils en la cherchant activement. Avait-elle raté cette information tout ce temps où elle habitait dans le coin, ou bien était-elle vraiment incapable de lire une carte ? Elle passa en revue tout ce qu’elle avait devant elle, des petites rues étroites aux devantures de magasins un peu glauques en passant par la foule qui s’écoulait difficilement dans la grande artère. Pas même au milieu des énormes casques Bose et des gros bonnets de tricot, ne dépassait le panneau caractéristique de « L’Underground ». Soit elle ne savait pas lire soit il y avait bel et bien une bouche pas loin à laquelle elle n’avait jamais fait attention. Elle esquissa un sourire de connivence en voyant deux hommes plantés au milieu de la rue maugréer, un plan à la main, et cherchant du regard à trouver leur destination. Jane avait presque envie d’aller les saluer et de monter un collectif de personnes incapables de se repérer à l’ancienne quand sa Raison l’a rappela à l’ordre : les deux comparses n’avaient pas l’air plus âgés qu’elle, ils portaient chacun des costumes gris foncé et des gants noirs. Ils donnaient l’impression d’être des personnes bossant dans un building administratif, ou bien dans un secteur de la comptabilité. Des gens qui auraient dû être plutôt du genre « connecté ». Du genre à utiliser un smartphone. Du genre à demander à Google, plutôt qu’à un foutu plan. Elle fronça les sourcils en les observant avec attention, les poils de ses avant-bras se dressant instinctivement. L’un d’eux, celui qui semblait être le plus nerveux tira de son costume quelque chose que l’autre attrapa fébrilement avant de l’engueuler les dents serrées. Jane écarquilla quand elle vit distinctement une baguette et fonça tête baissée dans la foule pour rejoindre à toute vitesse l’appartement.

Elle fendit la masse, tentant d’éviter à tout prix de heurter qui que ce soit qui protesterait assez pour attirer l’attention et se jeta pratiquement sur le digicode de l’immeuble, qu’elle tapa avec une rare célérité. Puis l’entrée l’avala et elle délaissa l’ascenseur pour monter quatre à quatre les marches, comme si elle avait arrêté de fumer depuis bien plus longtemps que quelques semaines. Là, elle ouvrit la porte de son appartement en trombe et se précipita dans le salon. Harry et Severus étaient en train d’élaborer un plan pour se rendre à l’Impasse en toute discrétion, tandis que Luna s’évertuait à comprendre le fonctionnement du smartphone pour utiliser la fonction carte.

« Vous en avez mis du temps, se plaignit Severus sans même relever la tête de la liste qu’il établissait. Les Moldus ont renoncé au papier qu’il soit si difficile de trouver une carte ?

— Il y a deux mecs pour nous dans la rue. »

Severus cligna des yeux et fondit sur la fenêtre, baguette tirée. Il observa en contrebas au travers des stores tirés.

« A quoi ressemblent-ils ?

— Deux hommes, costume gris foncé, gants noirs, entre vingt et trente-cinq ans. Ils ont une carte et l’un d’eux a l’air facilement irritable. C’est lui qui a voulu utiliser sa… son instrument, se reprit-elle en censurant tout mot compromettant.

— Ils sont où, précisément ?

— Quelques mètres. J’en sais pas plus. Vous deux, ajouta Jane. Prenez vos affaires et mettez tout dans le sac sans fond.

— Vous êtes sûre qu’ils sont là pour nous ? demanda Harry.

— Ca n’a aucune importance, je prends pas le risque, répliqua Jane en commença à fourrer dans le sac ses papiers, cartes et autres chargeurs. Rangez le canapé, ne laissez aucune trace de votre passage chez moi. Je sais pas pourquoi ils sont là, mais je préfère…

— Je les ai, coupa Severus, tendu. Ils cherchent le nom de la rue, je crois. C’est une adresse qu’ils ont, pas une indication précise comme Al… le vieux m’avait donné. Dépêchez-vous nous n’avons plus beaucoup de temps. Vous souvenez-vous de vos noms d’emprunt ?

— James, acquiesça Harry.

— Elisabeth, soupira Jane en fourrant dans le sac une grosse trousse qu’elle tira de sa chambre.

— Miroslava…

— Cesare.

— Ouais… Vous deux côté discrétion, on repassera, commenta Jane. Ils en sont où, du coup, Césare ?

— Dépêchez-vous ! »

Jane balaya d’un regard son appartement et hocha la tête en se mordant la lèvre.

« On n’a plus le temps, vous avez tout ?

— DÉPÊCHEZ-VOUS ! répéta Snape plus fortement.

— Okay, on dégage ! »

Elle ouvrit la porte et leur fit signe de foncer dans le couloir. Elle referma à clef et s’arrêta un instant pour réfléchir. Croisant le regard de Severus, puis de Harry, elle hocha la tête.

« On va prendre l’ascenseur. »

Ils s’y engouffrèrent tous les quatre, le cœur battant la chamade alors même qu’ils entendaient nettement la sonnette du hall indiquer que quelqu’un avait ouvert la porte. Ils étaient persuadés qu’il s’agissait des Sorciers à leurs trousses. Sans doute avaient-ils eux aussi utilisé un charme sur le malheureux digicode. Coincés dans la cage d’ascenseur à écouter Taylor Swift leur ordonner : « Look What You Made Me Do », les quatre comparses sentaient la tension monter à mesure que l’élévateur descendait. Et si les Sorciers n’avaient pas peur de prendre une machine Moldue et attendaient en bas de pouvoir l’emprunter ? Jane attrapa le bras de Severus pour l’obliger à le passer autour d’elle, tandis qu’elle donna un coup de coude à Harry pour qu’il fasse de même avec Luna. Elle tira son portable de sa poche, prête à inventer n’importe quelle conversation Moldue tout à fait passionnante. La porte s’ouvrit soudain, et ils expirèrent avec soulagement. Personne ne les cueillait. Jane se dirigea en direction de l’entrée tandis que Severus s’approcha des escaliers et tendit l’oreille avec attention. Il hocha la tête et fit signe que les Sorciers étaient bien en train de monter les étages en pestant. Jane le pressa de sortir avec eux et bientôt, la foule dense les avala parmi les anonymes.

« Venez ! cria Jane. On va se poster au café veggy pour les épier.

— Vous plaisantez Pro…

— James, coupa Severus en grimaçant devant le prénom. Tu ferais bien de lui faire confiance, elle ne s’est pas trompée jusqu’ici. »

Jane écarquilla les yeux de surprise, et sourit avec tendresse.

« Merci, allez, venez, on pourra très bien les entendre d’ici. »

Ils s’installèrent en terrasse, malgré le froid et l’incroyable passage. Le serveur à la barbe impeccable les regarda de travers en demandant s’ils étaient certains de vouloir absolument être dehors, ce à quoi Jane répliqua qu’elle était fumeuse. Il capitula, non sans leur rappeler que les cuisines étaient fermées et qu’ils n’auraient que des boissons, froides.

« Tu es sûre qu’on les entendra d’ici ? demanda néanmoins Severus.

— Je ne sais pas, c’est hyper bruyant. Mais si on se rapproche à quatre, ça sera suspect.

— Restez ici et moi j’y vais, proposa Harry.

— C’est ça, quelle idée brillante. Non, toi, Elisabeth et Miroslava vous buvez votre jus de cassis…

— Fenouil.

— Peu importe et je…

Non. Nous y allons tous les deux, Césare, parce qu’ils s’attendent certainement à ce que celui qu’ils cherchent en prio soit précisément en train d’espionner, tout seul. »

Jane ne lui laissa pas le temps de réfléchir et se leva, lui prenant la main pour l’amener dans la foule. Harry inspira soudainement alors qu’il les voyait disparaître par intermittence parmi les gens. Luna posa une main rassurante sur sa cuisse et prit le verre de jus étrange pour trinquer avec lui.

« On va jouer les gens normaux. » Proposa-t-elle d’un ton excessivement sérieux.

Jane et Severus s’arrêtèrent en plein milieu, juste devant la porte d’entrée, et la jeune femme chercha sur son smartphone un restaurant dans le coin.

« Qu’est-ce que vo-tu fais ? chuchota Severus en regardant en coin la porte d’entrée.

— J’agis normalement.

— En t’arrêtant en plein milieu pour regarder ton écran ?

— Exactement. »

La porte s’ouvrit à la volée, les deux Sorciers ressortant rouges de colère. Ils regardèrent partout autour d’eux, cherchant du regard leurs cibles. Ils détaillèrent avec attention les visages des Moldus qui passaient, cherchant manifestement des gens correspondant à la description qu’on leur avait donnée. Severus se tendit contre Jane, les observant du coin de l’œil en faisant mine de regarder le portable de son amie. Jane coula un regard en biais, et quand elle vit le petit nerveux froncer les sourcils en les fixant avec une trop grande attention, elle éclata de rire et pressa ses lèvres contre celles de Severus. Il écarquilla les yeux de surprise, avant de la prendre dans ses bras dans une étreinte passionnée lorsqu’il comprit.

« Eh ben…, murmura Harry. Ils poussent loin la couverture… ! »

Jones se désintéressa immédiatement du grand maigre occupé à échanger ses miasmes avec une femme, et pesta :

« Par Merlin ! J’t’ai dit que c’était une mission impossible !

— Shhhht, le corrigea son comparse. Fais attention à ton langage.

— Et après ? Regarde-les tous, on dirait des… des… je sais pas des fantômes errants, ils passent. Comment tu veux qu’on trouve quoi que ce soit ici ?

— C’est pourtant bien ici, j’en suis certain. J’ai épluché les signalements d’activité anormale, il y a eu quelques pics ces deux dernières années.

— Mais pas depuis qu’ils sont en escapade. Laisse tomber Rolland. La Brigade n’a qu’à s’en charger elle-même, pour ce que ça me change… »

Jones commença à partir, passablement agacé. Il s’arrêta soudain en plein milieu, donnant des sueurs froides à Harry qui crut qu’il avait été repéré :

« Hey, hurla-t-il à l’adresse de son collègue. T’as d’quoi payer pour ici, ou pas ? J’en ai marre de bouffer des sandwichs du Ministère, là…

— Tu devrais hurler plus fort encore, imbécile… Oui, j’ai de l’argent, s’approcha Rolland de mauvaise grâce. Mais on est en mission, on n’a pas le temps.

— C’est bon, on peut se mettre au chaud deux secondes, il y a… »

Jones s’arrêta soudain en observant Harry. Jane et Severus virent la scène et se tendirent, prêts à bondir à la moindre occasion. Le gentil couple que les Sorciers voyaient en terrasse était mignon, pour des Moldus. Elle avec ses cheveux roses et lui avec son col roulé… Mais sa tête lui disait quelque chose, Jones en était convaincu. Un jeune homme, bien battit, brun et aux yeux d’un vert aussi extraordinaire, est-ce que ça ne serait pas… Ses yeux allèrent lentement en direction de la cicatrice, tandis qu’Harry se rendit compte qu’il ne l’avait cette fois pas masquée, il paniqua. Et alors que Severus lâchait précipitamment Jane pour foncer en direction des Sorciers, Luna jeta le contenu de sa boisson au visage d’Harry en criant :

« Comment ça tu as oublié notre anniversaire ?!? »

Elle se leva en trombes et fit mine de partir, tandis qu’Harry se lança à sa poursuite, se reprenant de justesse :

« Chérie, attends ! »

Jane traversa rapidement la rue, leur indiquant le kiosque où elle était venue acheter plus tôt sa carte et leur fourra des magazines pris au hasard dans les mains. Snape resta en arrière, guettant la réaction des deux Sorciers qui semblaient sonnés par la situation.

« En voilà un qui va passer une sale journée s’il ne se rattrape pas… commenta Rolland en levant les yeux au ciel.

— Le gosse, j’ai cru que…

— Quoi ?

— J’sais pas, on aurait dit que c’était Potter.

— Pas de lunettes, l’air d’avoir vingt-cinq ans et se faisant martyriser par sa petite copine ? Tu crois vraiment que dans la situation dans laquelle il est ça serait lui ?

— J’sais pas… »

Severus se retourna, tendant l’oreille encore par acquit de conscience.

« On cherche une garde rapprochée, je te signale. Si tu n’as pas vu l’autre taré…

— Qui dit qu’ils sont ensemble, finalement ?

— Toutes les infos en notre possession. Jones, détends-toi, on va surveiller leur planque maintenant qu’on sait où ils sont. Quoi encore ?! s’agaça le Sorcier la main sur la poignée du bistrot.

— Rien… Une impression. L’impression d’être surveillé. J’dois être parano.

— Si seulement c’était là ton seul défaut… »

Severus tourna les talons et traversa la rue.

***

Draco agita sa baguette et ouvrit sa vieille malle. Dedans, il repoussa un livre sur les sortilèges avancés, une petite boîte fermée où il rangeait les lettres qu’il recevait, quelques sachets de soie entourant certains vêtements, et un vieux cristal de résonnance qui ne vibrait plus, serti de pierres d’onyx. Quand il arriva au fond, il fit courir la pointe de sa baguette contre le cuir qui se craquela dans un léger flash lumineux, révélant un autre fond dans lequel reposait un coffre cerclé de fer. Draco apposa sa main contre la serrure, prononçant un mot à voix basse et il s’ouvrit. Il ne contenait qu’une seule chose, une chose que le jeune homme ne pouvait garder en sécurité auprès de lui ou dans sa tête : un écrin qu’il avait fait faire spécialement pour son contenant, qui était lui aussi fermé par un sortilège. Il l’ouvrit d’un dernier tour de magie et retira la minuscule fiole de Felix Felicis qui semblait bien ridiculement anodine au regard de toute la sécurité l’entourant. C’est que Draco Malefoy était loin d’être un imbécile, et il savait avec raison qu’aucun Serpentard n’aurait dit non à la chance. Il l’ouvrit et la bue immédiatement. Draco ne savait pas trop à quoi il s’attendait avec cette potion, les effets étant très peu explicités dans les livres puisqu’apparemment chaque expérience était unique, mais il apprécia tout particulièrement l’impression d’être totalement libre et certain de lui pour la première fois depuis une éternité. Il attrapa le cristal cassé et détacha d’un geste sec les onyx, prit une des écharpes de costume pliée dans un papier de soie, avant de remettre sa cachette en place et de se relever, retrouvant nez à nez avec Blaise Zabini.

« Il n’y a personne dans la Salle Commune, lui dit ce dernier.

— …

— Et je ne t’ai pas vu.

— Pourquoi me dis-tu cela ? »

Draco regardait ce qui s’approchait le plus d’un ami pour lui, avec la suspicion propre à tout Serpentard dans sa situation. Blaise le fixa de son regard perçant, et le blond se surprit une nouvelle fois à se dire que les rumeurs à propos de sa mère étaient probablement vraies.

« Une rixe avec Londubat… ? Aucun de vous n’a intérêt à perdre son sang-froid.

— …

— Et ils te pressent de plus en plus pour prendre la Marque.

— Tu ne l’as pas non plus, répondit Draco qui se rendit compte qu’il ignorait en réalité ce fait.

— Non. Mais je ne suis un enjeu pour personne.

— Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que t’as à y gagner ?

— Et toi ? Tu sais très bien que la vraie question est « qu’est-ce qu’on a à perdre ». Tâche seulement de te souvenir de moi au moment opportun. »

Draco esquissa un léger sourire, était-ce là l’effet de la potion ou bien la preuve qu’il avait vu juste sur Zabini depuis des années ? Il avança la main en direction de Blaise et hocha la tête :

« J’ai de toute façon des projets pour toi, promit-il.

— Je ne suis pas un mannequin.

— Nous en reparlons. »

Draco le dépassa et hésita brièvement sur le seuil de la porte. Un Gryffondor aurait sans doute dit « merci », avec des trémolos dans la voix, et quelque chose le poussait à le faire. Il hésita longuement et Blaise ricana :

« Tu me remercieras quand tu me donneras ce que je veux. »

Draco cligna des yeux et rougit, l’impression que la potion dansait dans son ventre en chantonnant une sérénade dont il n’avait jamais soupçonné l’existence. Il passa la porte d’un air guilleret, confiant pour la suite.

Zabini avait dit la vérité : il n’y avait personne dans la Salle Commune et il put sortir sans être remarqué. Les couloirs étaient déserts et Draco remercia une nouvelle fois la politique ultra-répressive de l’école pour avoir su mater la quasi-totalité des élèves. Surprenamment, c’était même les Gryffondors qui s’étaient montrés les plus abattus et les plus faciles à faire rentrer dans le rang. Oh, bien sûr, ils s’étaient montrés insolents, avaient eu quelques revendications au début, mais… les punitions vicieuses et toujours à la limite de la loi avaient eu raison pour la plupart de leur bravade. À ce jeu, c’était les Serdaigles qui s’étaient montré les plus retors, rivalisant même avec les Serpentards quand il s’agissait de jouer avec les règles de l’école et d’énerver au plus haut point l’équipe enseignante. Pour autant, ils n’allaient pas dans les couloirs en dehors des heures autorisées, n’ayant aucun intérêt à cela. Draco put donc se glisser jusque dans le Grand Hall sans difficulté, où l’attendait Londubat qui tentait de se fondre derrière une armure. Il pouffa de rire :

« Tu fais une tête de plus qu’elle, crois-tu vraiment qu’on ne te remarque pas ?

— Tu devrais parler plus fort… Tu l’as ?

— Je l’ai pris, oui, ronronna Draco en s’approchant de l’armure.

— Donne-la moi.

— Je veux dire que je l’ai bue.

— QUOI ?! Mais tu…

Tututut, c’est ma potion qui a permis de gagner cet élixir, c’est donc moi qui dois expérimenter. Où dois-je aller, maintenant ?

— Aux cuisines, et laisse-moi parler dans l’immédiat, s’il te plaît, je te rappelle qu’il y a Dobby.

— Je sais. Tu peux faire confiance à cette potion et donc au vieux, un peu ? Nous savons ce que nous faisons. »

Draco le dépassa, donnant l’impression de glisser sur le sol et Neville comprit que son attitude nonchalante était seulement un des effets secondaires. Lui se sentait particulièrement anxieux. Pas seulement parce qu’il craignait qu’on ne les découvre, mais parce qu’il sentait au plus profond de ses tripes que la résolution qu’il attendait tant à ce propos était à sa portée. Et cette idée l’angoissait autant qu’elle le grisait : il allait se retrouver en contact avec quelque chose d’une rare malfaisance. Il les amena devant le tableau qui conduisait aux cuisines et chatouilla le fruit qui leur ouvrit le passage. Durant toute l’opération, Draco ne cessa pas de glousser comme un enfant en se promettant à voix haute de revenir chiper quelques douceurs. Ils arrivèrent enfin aux cuisines, et alors que Neville pensait les annoncer, Draco lui passa devant et héla directement son ancien serviteur. Dobby pâlit brusquement en le voyant, se tassant instinctivement face à lui, avant de se reprendre et d’adopter immédiatement après une posture très agressive et de tenter de se grandir.

« Vous n’avez rien à faire ici ! Je vous ai déjà dit que vous ne pouviez plus venir Lord Londubat ! Et vous osez venir avec lui ?! »

Neville allait bredouiller quelque chose quand Draco s’agenouilla lentement en baissant la tête.

« Je suis là pour te présenter mes excuses, Dobby. J’aurais dû le faire il y a longtemps, mais je ne pouvais le faire jusqu’ici. »

L’elfe écarquilla ses grands yeux globuleux, avant de froncer à nouveau les sourcils et rougir de colère.

« Je ne vous crois pas ! Je sais très bien comment vous êtes, c’est terminé, Dobby est un elfe libre, Dobby n’a plus à entendre des mensonges de ceux qui ne seront plus jamais ses maîtres ! »

Draco plaça alors l’écharpe soigneusement emballée dans le papier de soie devant lui, à même le sol, et, toujours les yeux baissés ajouta.

« Je sais ce que je t’ai fait. Je me suis montré cruel, colérique, méchant et injuste. Et par-dessus tout : je me suis montré ingrat, alors même que tu as pris soin de moi quand j’étais bébé puis tout jeune enfant. Je sais que je ne pourrai jamais me faire pardonner, mais je te prie de croire que je regrette la façon dont je t’ai traité, et que je reconnais et respecte ta liberté. »

Ce faisant, il déplia le papier, révélant une magnifique écharpe tissée de laine si fine qu’elle en brillait légèrement. Draco la poussa en avant, sentant chaque impulsion de la potion dans ses gestes et ses mots, regardant avec une certaine distance ce qu’il venait de dire. Une part de lui se demanda : avait-il jamais eu conscience de ce que lui et sa famille avaient fait à Dobby ? Mais il n’était pas là pour se poser ce genre de questions, il avait un but précis en tête. L’elfe, lui, sembla oublier cette possibilité, car il s’approcha, les mains tremblantes.

« C’est… c’est pour moi ?

— Oui. Cela ne réparera jamais mes torts, mais je souhaitais te… remercier pour tout ce que tu as fait. » Ajouta Draco très inspiré.

Neville n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles et il continua de se taire, observant avec une certaine fascination les effets de la potion sur quelqu’un comme Draco. Il se demanda si le Felix Felicis aurait agi autrement si quelqu’un d’autre l’avait bue. Qu’est-ce que la potion aurait fait pour lui ?

« Tu n’es pas la seule personne auprès de qui je dois faire repentance. » Ajouta le blond tandis que Dobby enroulait déjà son écharpe autour de son cou. « Je suis également là pour Kreattur. »

Les elfes relevèrent la tête et regardèrent Neville avec suspicion, Dobby fronça à nouveau les sourcils.

« Pourquoi Kreattur ? Il n’a jamais été à vous.

— Non, mais il a été à… mon cousin, qui ne l’a pas bien traité non plus.

— Vous avez une écharpe pour lui aussi ? demanda Dobby avec un léger soupçon de jalousie dans la voix.

— Non, nous avons… des souvenirs en commun. »

Draco empêcha sa voix d’aller trop vers les aigus, ce qui aurait trahi sa surprise. Il avait l’impression de perdre pied dans un léger fleuve argenté. Il n’était pas certain de devoir lâcher prise, et un rapide coup d’œil de la part de Neville lui confirma que ça commençait à se voir. Pouvait-il annuler les effets de la potion en luttant contre ? Il inspira profondément et tenta de replonger à nouveau dans un état presque comateux. Dobby n’avait manifestement rien remarqué parce qu’il finit par hocher la tête, avant de menacer de son index :

« Très bien, Draco, Monsieur. » Commença-t-il en lui marquant pour la première fois une formule de politesse. « Mais si cela se passe de la même manière qu’avec Lord Londubat, je vous mettrais dehors moi-même. »

L’assurance du petit elfe qu’il avait connu si misérable et si triste durant toutes les années de servitude au manoir Malefoy surprit Draco et le mit légèrement mal à l’aise. Comme si le fait de le voir se comporter comme un égal lui faisait prendre conscience de l’injustice qu’il avait pu vivre. Draco chassa ça de sa tête, agacé profondément que le Felix Felicis se transforme davantage en potion d’empathie qu’en réelle solution. Il n’était pas là pour ça, et pourtant, sa langue se délia d’elle-même :

« Tu es seul maître ici, si j’ai bien compris. Nous nous plierons à tes règles. »

Cette phrase parut être le sésame qu’ils attendaient tous, car Dobby sourit pour la première fois et les présenta presque immédiatement à la porte qui enfermait Kreattur. Il frappa et annonça :

« Kreattur, c’est Dobby, deux Sorciers veulent te voir : Lord Londubat…

— Je n’ai rien à dire à ce traitre à son sang, ce…

— Et Monsieur Draco Malefoy. »

Les vociférations s’arrêtèrent immédiatement et la porte s’ouvrit, révélant le vieil elfe renfrogné et sa pile de légumes à éplucher. Il les observa méchamment, d’un œil particulièrement méfiant, comme si Dobby avait dit cela dans le but de le manipuler, mais quand il vit Draco, qu’il repérât son blond cendré, ses yeux gris glacés et son port noble, il reconnut ici le sang des Malefoy… et évidemment certains traits de Black. Sa voix et son visage s’adoucirent instantanément, comme un vieux parchemin que l’on repasserait.

« Kreattur est honoré de recevoir l’héritier de la noble et ancienne maison Malefoy. Kreattur est enchanté de rencontrer enfin l’enfant de Madame Narcissa Black. »

***

Cela faisait déjà un bon quart d’heure qu’ils marchaient dans la foule, suivant Jane sans broncher. Cette dernière les éloigna très rapidement de l’endroit où les deux Sorciers les avaient repérés, et les amenait semble-t-il en direction d’une bouche de métro.

« Attendez ! l’arrêta soudain Severus en la fixant avec inquiétude. Vous nous conduisez où au juste ?

—  Loin d’ici, rien ne dit qu’ils sont seuls et s’ils quadrillent actuellement les parages dans le but de nous trouver, nous avons tout intérêt à changer de quartier… pour ne pas dire de ville. » Termina-t-elle en marmonnant.

Severus aurait aimé la contredire, mais Jane avait parfaitement raison, ils étaient traqués et manifestement leurs ennemis – le Ministère ou bien Voldemort – savaient qu’ils se cachaient dans le monde Moldu. C’était à prévoir, Voldemort avait deviné la nature même de Jane lorsqu’il l’avait vue à Poudlard. Snape fronça les sourcils en regardant son amie. Voldemort avait même deviné la nature de leur relation. Un léger soulagement s’empara de lui quand il se dit que sa couverture avait été révélée au bon moment, si Jane avait été un quelconque moyen de pression…

« Bon, le problème est qu’il faut qu’on puisse dormir quelque part, maintenant. Et je ne roule pas sur l’or non plus, il me reste quelques économies, mais hors de question d’aller à l’hôtel pendant des jours et des jours… À moins d’en finir dans le mois… ? »

Elle jeta un regard plein d’espoir à Severus, occupé à ressasser la faiblesse que cette femme représentait pour lui et le danger qu’elle faisait donc planer sur sa propre vie. Il ne lui répondit pas.

« Se-Cesare ? Vous m’écoutez ?

—  Non.

—  Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle en s’approchant.

—  Pas ici. Vous… tu sais où l’on va ?

—  Eh bien… Je suppose à l’hôtel le temps que je trouve une autre solution, mais comme je te disais, si ça dure des semaines, on va vite être à la rue. On pourrait faire autrement, mais je ne compte pas impliquer mes amis ou ma famille davantage, même s’ils… »

Elle pâlit brusquement et échangea un bref regard avec lui. Il sembla comprendre son cheminement de pensées, et se rendit compte brutalement qu’ils avaient probablement tous les mêmes inquiétudes. Le fait d’être concerné également par ce genre de dangers l’agaça profondément.

« C’est ainsi, Elisabeth. Nous prenons tous le risque de voir des gens qu’on aime mourir. À nous de ne pas nous laisser submerger par ces craintes, car c’est exactement ce que nos ennemis attendent de nous. »

Luna jeta un bref coup d’œil entendu à Harry qui lui fit signe qu’il fermait sa bouche à clé. Les deux jeunes gens suivaient docilement Jane et Severus dans le métro, donnant presque l’impression d’ados derrière leurs parents. Jane ne répondit pas durant l’attente du métro, préféra attendre qu’ils montent dans une rame. Contre Severus, elle lui glissa à l’oreille, assez bas pour que le roulement des rails empêche Harry et Luna d’entendre :

« C’est à ça que vous pensiez, lorsque je vous ai interrompu ? Que fuir sans nous serait autrement plus simple, que vous preniez moins de risque émotionnellement, seul ? »

Severus cligna des yeux, conscient du regard scrutateur de Harry sur lui. Potter comprenait-il la teneur de leur conversation ? Il abaissa le visage pour le cacher dans les cheveux de Jane :

« Ma vie était effectivement plus simple.

—  Vous avez peur de me perdre ?

—  Vous ne croyez pas que vous avez plus urgent à penser ? Comme nous trouver un lieu d’atterrissage et réfléchir à la façon dont on va rencontrer notre « amie » ? gronda-t-il.

—  J’arrive à y réfléchir en même temps, éluda-t-elle. Vous évitez la question.

—  Je n’ai pas à vous répondre. Est-ce que je vous harcèle sur votre peur de perdre vos amis et votre famille ?

—  Ça n’a rien à voir, murmura-t-elle en tournant finalement son visage vers lui. J’ai toujours eu des amis et une famille, ça n’a rien de nouveau pour moi de me lier à des gens. »

Snape pinça des lèvres, accusant le coup et lui répliqua, glacial :

« Je me suis déjà lié à quelqu’un… »

Harry sentait la tension entre deux et voulait intervenir, mais encore une fois, Luna l’intima au silence.

« Je ne suis pas Lily, trancha Jane calmement. La situation n’a d’ailleurs rien à voir.

—  Oui, le Seigneur des Ténèbres veut notre mort à tous les deux.

—  Je ne lui ai rien fait… On descend au prochain, annonça-t-elle à voix haute aux deux jeunes gens.

—  Vous êtes Moldue, et vous êtes… »

Il se tut, l’observant intensément. Pouvait-elle arrêter de faire ça ? Ne pouvait-elle pas tout simplement accepter qu’il ne veuille pas en parler ? Le train ralentit et les portes s’ouvrirent alors que la dame au timbre clair annonça la station en trois langues différentes. Jane fit un signe de tête et ils redescendirent. Severus profita de cette coupure pour ne plus terminer sa phrase et Jane les emmenèrent encore une fois à l’extérieur. Luna laissa échapper un gloussement de plaisir quand la surface leur révéla ses secrets. S’ils avaient trouvé que le quartier où vivait Jane était peuplé, ce n’était pourtant rien en comparaison avec celui-ci. Une foule compacte de gens qui allaient et venaiet, portant des vêtements et des coiffures plus hétéroclites et insolites encore que près de chez elle, les submergea. En fait, Severus fut même assez surpris de voir qu’il y avait beaucoup de personnes de couleur, des jeunes qui faisaient passer Luna pour quelqu’un d’habillé sobrement, et des vieux parcheminés qui s’habillaient soit de façon traditionnelle, soit avec des vêtements de punks issus des années 70.

« Où sommes-nous ? demanda-t-il, curieux.

—  Brick Lane. C’est pas très loin de chez mes parents, finalement, mais c’est surtout pas loin de votre lieu de rendez-vous. C’est dense, donc ça sera plus difficile encore de nous trouver, les gens sont très variés et se fichent de votre look… et c’est quand même financièrement abordable.

—  Vous comptez finalement prendre une chambre ?

—  Si nous n’avons pas le choix. Un appart’ à la semaine si on peut se le permettre. Je n’allais pas nous expatrier à l’extérieur de la ville pour aller faire du camping, quand même ! Vous croyez qu’on va trouver par hasard ce qu’on cherche dans les bois ? »

Jane éclata de rire, mais sa nervosité était palpable. Elle était perdue, et il était évident qu’elle restait dans Londres parce que cette ville était la dernière chose de familier pour elle. Son monde s’écroulait, et Severus mésinterpréta son choix :

« Nous n’irons pas voir…

—  Je sais, coupa-t-elle. Et de toute façon si j’avais voulu les surveiller, j’aurais pris une piaule à Newham. Bon, cessez de me tarauder avec ça, vous voulez pas parler de vos inquiétudes, on n’évoquera pas les miennes. Je vais nous trouver quelque chose, vous, posez-vous dans un bistro pour manger un bout.

—  Et on vous contacte comment… ? »

Jane s’arrêta dans son élan et s’agaça. Elle les regarda comme s’ils étaient des enfants en bas âge collants et incapables de se débrouiller seuls. Ce qu’étaient finalement des Sorciers en monde Moldu sans utilisation de la Magie.

—  Très bien ! lâcha-t-elle de mauvaise grâce. Vous allez aller… » Elle pianota sur son téléphone et trouva quelque chose qui sembla la satisfaire, avant d’indiquer sur son écran un plan, puis une direction : « Faites-vous un Indien. Vous traversez la rue, contournez le marché aux puces qui doit encore être actif, par la droite, et vous y arriverez.

—  Notez-le moi sur le plan.

—  Vous et votre plan… Okay, James, tu sauras le guider si besoin ?

—  Je suis parfaitement capable…

—  Oui, oui, s’amusa Harry en regardant à son tour le smartphone pour reporter l’adresse comme il put avant de commencer à ouvrir la marche.

—  Normalement, à midi, je devrais être revenue. Essayez de ne rien faire de stupide. »

Snape allait répliquer que c’était plutôt sa réplique, mais Luna le prit de court de façon tout à fait désarmante :

« Aucune inquiétude, Lise, on sera là pour qu’il ne se perdre pas. »

Jane fila dans un éclat de rire qui lui fit le plus grand bien, laissant seuls les deux ados et leur chaperon qui se renfrognait à vue d’œil. Severus s’attendit à ce qu’Harry lui lançât une œillade moqueuse, mais le jeune homme le fixait avec gravité :

« Il reste quatre heures avant votre… ton rendez-vous. Nous devons nous hâter si nous voulons pouvoir repérer les lieux calmement.

—  Vous ne viendrez pas, trancha Severus en cherchant du regard la direction par rapport au plan.

—  Elle ne vous laissera pas y aller seul et moi non plus, c’est dans cette direction.

—  Et moi non plus, tout compte fait. Les quartiers sont grands, ajouta Luna. Nous pouvons très bien faire du tourisme en vous attendant.

—  L’endroit va grouiller de gens comme nous, rien ne dit que ça n’est pas un piège de notre Ministre de la Justice sur ordres, et…

—  Encore faut-il qu’ils nous reconnaissent, coupa Harry. Non, c’est encore après cette rue.

—  Fichue carte approximative… Les deux envoyés ont eu des doutes à ton sujet, ta cicatrice est visible, surtout si tu continues de ne pas la masquer.

—  Oui, oui, je sais. J’ai commis une erreur, mais…

—  Une erreur qui aurait pu nous coûter la vie. »

Snape s’arrêta en plein milieu et le dévisagea froidement. Harry fronça les sourcils et mit les poings sur les hanches :

« Stop, on ne se lance pas dedans. Je n’ai pas envie, et je n’ai pas à vous servir de cible pour que vous passiez vos nerfs. Ouais, j’ai fait une erreur et je vais la corriger, mais vous croyez qu’aller les espionner était plus sage ?

—  Je pensais que vous ne vouliez pas de dispute. » Répliqua Snape, goguenard, adoptant à son tour le vouvoiement qui les ramena dans les cachots.

— Vous cherchez l’affrontement, parce qu’elle vous a agacé tout à l’heure, je ne suis en rien responsable de vos problèmes de couple ! »

Harry savait qu’il visait juste et que le dire à voix haute était sans doute la pire erreur à commettre en pareille situation. Un tic nerveux agita la joue de son ancien Professeur et ses yeux s’assombrirent tant qu’ils devinrent des billes d’onyx semblables à des yeux d’animaux. Le jeune homme vit qu’il l’avait profondément mis en colère.

« Ne vous avisez plus jamais de me parler de ça, martela Snape d’une voix dangereusement basse. Vous n’avez aucune idée de ce dont vous parlez et vos fantasmes d’ados à propos des relations humaines ne m’intéressent pas. Assumez de nous avoir mis en danger avec votre négligence et trouvez-nous cet Indien dont elle parle. »

Harry se tut et retourna à la carte, sachant pertinemment que son mentor était incapable de reconnaître quoi que ce soit quand il était dans ce genre d’états. Luna, qui semblait n’avoir aucune notion du danger, répondit néanmoins :

« C’est le fait qu’il vous fasse remarquer que vous êtes injuste, ou c’est le fait qu’on ne fasse plus semblant de ne pas avoir compris pour vous et Elisabeth qui vous énerve autant ? »

Harry sentit ses entrailles se contracter, il aurait tant voulu qu’elle se taise, mais il aima davantage son amie pour sa lucidité et son audace. Severus, lui, était devenu livide :

« Je vous demande pardon, Miss ?

—  James sait comment vous mettre en colère, c’est vrai ; mais non, il ne se moquait pas de vous et de votre relation en parlant de vos problèmes de couple.

—  Je ne…

—  Oui, je sais, coupa-t-elle d’un ton presque tendre. Vous n’êtes pas du tout en couple avec elle, et non, vous ne vous êtes pas sentis en insécurité parce que James a évoqué certaines de vos dissensions. Tout comme je ne suis pas davantage en train de vous faire remarquer que James n’est pas responsable de vos inquiétudes et que nous avons tous très faim, ce qui n’arrange en rien les humeurs. »

Severus ouvrit la bouche, une foule de répliques plus mesquines et cinglantes les unes que les autres passèrent dans sa tête, mais il se sentit aussi démuni face à Luna que face à ses étranges copies écrites. Comme toujours, il comprenait la logique inhabituelle et pourtant implacable de la jeune fille, et bien qu’il aurait aimé balayer d’un geste de la main ses paroles, il était obligé de reconnaître qu’elle avait raison. Il n’était cependant pas obligé de le faire à voix haute. Il jeta un œil à Harry et hésita. Ce dernier haussa les épaules :

« C’est pas grave, je comprends, Cesare, adoucit Harry. N’en parlons plus si tu veux et concentrons-nous sur la suite de notre journée.

—  Vous ne venez toujours pas.

—  Il a dit qu’il ne fallait plus en parler, c’est que c’est entendu, s’amusa Luna. Oh, c’est ici, non ? »

Ils étaient arrivés dans une sorte d’échoppe minuscule avec une devanture aux couleurs délavées. L’endroit ne payait pas de mine et ils hésitèrent.

« Elle a donné un nom ?

—  Non, elle m’a dit « l’Indien », s’assombrit plus encore Severus.

—  Il y en a d’autres dans la rue, fit remarquer Luna.

—  Ce qu’elle peut m’agacer… ! Entrons, c’est forcément celui qu’elle a noté exactement et elle nous y cherchera.

—  Tu la connais bien, en fait… »

Harry avait glissé ça, l’air de rien, et Snape grogna pour la forme. Si l’entrée ne laissait rien présager de fabuleux, l’intérieur était vraiment très sympathique. Le Meraz ressemblait à une sorte de brasserie lounge avec des tables hautes de bois et des tabourets qui se glissaient dessous. Un jeune homme à peine plus âgé que Harry au teint foncé et à la beauté ravageuse les accueillit, chemise blanche en lin impeccable et pantalon de serveur à pinces noir. Severus demanda une table juste devant la grande vitrine pour pouvoir surveiller les allées et venues des passants dans la rue et on leur apporta bientôt une carte et quelques amuse-bouches épicées.

« C’est incroyable, murmura Luna, qui aurait cru que cela soit si confortable à la devanture ? Et puis c’est délicieux !

—  C’est la première fois que tu manges Indien ? » S’étonna Harry qui avait pu en goûter une fois chez les Dursley, un jour que Dudley n’avait pas voulu toucher à son assiette, prétextant que c’était trop bizarre pour lui.

« Il est rare que les… gens comme nous testent autre chose que leur nourriture traditionnelle, tu sais, répondit Severus avec un soupçon d’agacement dans la voix.

—  Donc, c’est ta première également ?

—  Non. Ta mère adorait manger Indien. »

Harry avala de travers sa boulette de lentilles et allait demander à Severus de répéter, mais il comprit en voyant son ancien Professeur fixer la vitre qu’il avait répondu ça plus par réflexe, que volontairement, il était inutile de lui faire davantage remarquer que certaines choses chez lui avaient changé. On leur demanda ce qu’ils voulaient boire et manger, et alors que les jeunes gens s’apprêtaient à faire bombance, Severus les rappela à l’ordre en le faisant remarquer qu’ils devaient faire attention à leurs économies. Ils prirent donc un grand plat pour plusieurs, simple et copieux, et tâchèrent d’en garder pour Jane.

« À quoi ressemble l’Impasse ? demanda finalement Luna en terminant son assiette.

—  Je l’ignore, Elisabeth m’a dit que, d’après son Gogole, l’endroit ressemblait à un vieux hangar désaffecté, mais dans cette partie-là de la ville, il y en a beaucoup. Je verrai une fois arrivé sur place.

—  C’est Google, c’est facile à dire, j’y arrive très bien… s’amusa Luna.

—  Oh, je sais… »

Severus laissa sa phrase en suspens, un léger sourire en coin, et Harry comprit que ce n’était pas pour eux que le Sorcier s’acharnait à déformer le nom de la firme américaine. La légèreté de leur conversation contrastait énormément avec ses propres inquiétudes. Il plia sa serviette en papier en petits carrés, bords à bords, avant d’ouvrir la bouche :

« Non. Je ne sais pas de quoi tu veux parler, mais je pense que ce n’est ni le lieu ni l’endroit. »

Severus l’avait coupé dans son élan, continuant de fixer la vitre, ne touchant pourtant pas au repas. Harry fut légèrement surpris que son mentor comprenne à ses manières qu’il avait quelque chose de délicat à dire. Il repensa à Ron qui lui disait qu’ils passaient trop de temps ensemble. Son ventre se serra brutalement à l’évocation mentale de son ami. Ron… Ron qui était aux mains de Voldemort, combien de temps tiendrait-il ?

« Bon, qu’est-ce qui t’agite comme ça, James ?

—  Je repense à mon ami… et puis je voulais te demander…

—  Il n’y a rien à faire pour lui dans l’immédiat. Tu dois te concentrer sur ta tâche et laisser ce sur quoi tu ne peux agir suivre son cours. Peu importe l’issue.

—  … Tu crois que notre Ennemi va se contenter de… de le… »

Harry prétexta leur discrétion pour éviter de le dire à voix haute, mais en réalité, il ne pouvait admettre que Ron ne meure. Il repensa à sa deuxième tâche lors du Tournois des Trois Sorciers et se demanda un instant si aujourd’hui Luna prendrait sa place sous l’eau.

« Tu penses à trop de choses en même temps, lui dit-elle en lui servant de l’eau. Ta respiration a changé trois fois de rythme.

—  … Il n’y a que toi pour remarquer ça.

—  Non, on est souvent attentif aux personnes qu’on aime, c’est tout. Regarde, Cesare a les yeux rivés sur la vitre. »

Harry se mordit la lèvre pour s’empêcher de rire quand il vit Snape contracter les mâchoires avant de décocher impassible :

« Si elle passe devant sans nous voir, je pourrai au moins lui courir après pour qu’elle nous retrouve.

—  C’est très romantique. »

Harry commençait assez bien à connaître l’un et l’autre pour savoir que Luna était simplement sincère, et que Severus commençait à rougir. Ce dernier détourna les yeux, répondant avec mauvaise foi :

« L’heure de notre rendez-vous approche, et je n’ai pas le temps de la chercher dans tout Londres sous prétexte qu’elle donne des explications nébuleuses !

—  Tu n’aurais pas cette inquiétude si tu te décidais à utiliser Google Map… »

Jane était revenue, les joues rougies par le froid et la tension, elle semblait légèrement soulagée et prit place à leur table.

« Tu as trouvé où nous loger ?

—  Oui, c’est réglé. On mange vite et on y va, je préfère qu’on prenne les devants pour repérer les lieux et savoir où on peut se planquer pour t’épauler.

—  Il est hors de question que vous veniez, j’ai été très clair, il me semble.

—  Ça, c’était avant qu’il n’y ait des traqueurs à nos basques. Je vais pas te laisser errer dans Londres avec ton plan de vieux, alors que je peux t’aider à trouver facilement. Et si c’est un piège, et qu’il y a du grabuge, tu pourras nous prévenir et soit on t’aidera, soit…

—  Et vous ferez quoi, hein ? Ils ont la Trace, et toi tu es…

—  Soit on avisera ! coupa Jane fermement en lui lançant un regard noir. Oui, je ne sais pas faire les mêmes choses que vous, mais je connais bien mieux Londres que vos comparses. S’il faut se fondre, on se fondra.

—  S’il tombe entre les mains de…

—  Notre mission est globalement foireuse, Se-sare. On n’est plus à ça près. Arrête de rejeter l’aide quand tu en as besoin.

—  Je sais ce que je fais, je l’ai fait pendant seize ans !

—  En fait, non, rectifia Harry qui savait qu’il n’aurait pas dû les interrompre. Pendant longtemps, Il n’était plus là, et…

—  Et je n’ai jamais baissé ma garde, car ses adeptes étaient tout aussi dangereux, voire pire. Si j’en avais fait autrement, je n’aurais jamais pu revenir auprès de Lui et alors vous auriez manqué l’essentiel des informations de l’Ordre ! »

Il semblait sur le point de se lever et de partir sans eux, Jane parut le croire, car elle posa une main sur la sienne et coupa court :

« Personne ne te dit que tu as tort de te méfier de tout, surtout en pareille situation. Mais la donne a changé, tu es officiellement un traître pour tout le monde. Tu n’as pas que ses sbires au cul, tu as aussi les fonctionnaires. On fait comment s’ils t’embarquent ou pire, hein ?

—  Oh, c’est mignon, vous ne pouvez plus vivre sans moi…

—  Bon, ça suffit, t’es chiant aujourd’hui. On est tous tendus par ce qui nous attend, ce n’est pas le meilleur moment pour discuter.

—  Je suis bien d’accord, taisez-vous tous, et prenons le café. »

Jane et Severus s’évitèrent du regard pendant les quelques minutes d’attente. Harry et Luna discutaient à voix très basse, se murmurant des choses dans les oreilles, ce qui acheva l’humeur de l’ancien Maître des Potions.

« Vous avez fini de vous comporter comme deux imbéciles enamourés ?! Vous ne pouvez pas être concentrés, silencieux et immobiles un quart d’heure ?!

—  Eh bien, votre papa a l’air pas commode. » Commenta le serveur à l’adresse de Harry.

Il déposa les cafés et thés sur la table, tandis qu’Harry et Luna riaient à gorge déployée. Incapables de s’arrêter, relâchant la tension des dernières heures, ils riaient et donnaient soudain l’air de deux ados parfaitement normaux. Jane pinçait des lèvres en évitant tant bien que mal de ne pas rire, avant de se pencher vers Severus pour lui glisser quelque chose à l’oreille. Ce dernier fronça les sourcils d’agacement, avant de rougir, puis d’esquisser un léger sourire et de hocher la tête.

« Admettons, glissa-t-il discrètement.

—  Je vais payer, lâcha Jane en se levant.

—  Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?! craqua Harry qui n’avait guère d’espoir quant à la réponse.

—  Que c’était cocasse qu’on pense que je sois ton père.

—  Quoi ?! Mais non ! Elle sait que… ?

—  Oui.

—  Tu ne vois pas qu’il se moque de toi, James ? Je ne crois pas que parler de ton père le fasse rougir. Elle a dû lui faire comprendre que les chuchotements n’avaient rien de désagréable. »

Harry fronça les sourcils et observa Severus pour voir s’il confirmait, mais ce dernier s’était levé. Luna avait visé juste et s’il fuyait la conversation, c’est que Jane avait vraiment dit quelque chose qui ne devait pas dépasser le murmure et qui n’avait rien à voir avec la liaison qu’il avait eu avec sa mère…

***

« Tu as bien connu ma mère, Kreattur, et je suis heureux de te rencontrer à mon tour. »

Draco avait légèrement incliné la tête tandis que le vieil elfe lui montrait avec déférence l’unique minuscule chaise pour qu’il s’y assoie.

« Le plaisir et l’honneur sont pour moi, Maître Draco. Narcissa Black n’était pas une enfant de ma chère et hélas disparue Maîtresse, mais elle l’aimait comme sa propre fille, je peux vous l’assurer. Oh oui, elle l’aimait tant ! « Sa petite fleur blanche », comme elle l’appelait. C’était sa nièce préférée, vous savez ? »

Neville était muet d’incompréhension. Comment cet elfe si mesquin, si imperméable à toute conversation pouvait soudain s’animer de mélancolie, voire de douceur et se révéler être un vrai livre concernant la famille Black ? Draco le regardait avec emphase, comme s’il rencontrait un membre de sa famille et le Gryffondor ne s’y trompa pas : la potion était à l’œuvre et uniquement la potion. Mais Kreattur ne s’en rendait pas compte, et c’était le principal. Felix Felicis influait-elle également sur les autres ?

« Et son attachement était réciproque. Mère me parlait beaucoup de ma grande tante Lady Black. Une femme d’exception à l’âme forte et au verbe acéré. »

Draco n’avait probablement jamais rencontré cette femme, ou bien était-il trop jeune au moment de sa mort pour pouvoir s’en souvenir. Neville savait donc qu’il ne s’agissait là aussi que de politesses. Lui connaissait bien le portrait de cet odieux personnage et les mots employés par le blond lui tirèrent un léger rictus. Durant son bref passage à Square Grimmaurd, il avait entendu le portrait les insulter copieusement, en particulier leur ancien professeur Smith qui, pour une raison qu’il ignorait, semblait canaliser la haine de la peinture. Les mots employés par Draco étaient de sacrés euphémismes, mais cela sembla plaire à Kreattur qui hocha la tête avec ravissement.

« Oui, oui ! Une femme d’exception que ma Maîtresse. Hélas pour elle, hélas pour nous, elle n’est plus et son héritage a disparu…

— Souillé, même, commenta Draco sombrement.

— Oui, oui ! Souillé par celui-là même qui lui a brisé le cœur ! Quelle honte que cet ingrat jouisse encore de cette maison qu’il ne mérite pas ! Et qui s’occupe du portrait de ma pauvre Maîtresse ? Qui l’ouvre de temps à autre pour lui permettre de voir le jour ? Oh… comme je suis triste pour elle…

— Triste, oui… elle qui a perdu ses deux uniques fils, restée sans descendance. Un trop tôt au service d’un noble combat et un autre par égoïsme pur qui détruit son héritage.

— Oui-oui… ce pauvre Maître Régulus… Il était le préféré, vous savez ? Il était le fils aîné que ma Maîtresse aurait dû avoir. C’est à lui que le titre de Lord devait revenir. Si seulement il… »

Kreattur se tut, soudain, de grosses larmes vinrent à brouiller son visage ridé comme un pruneau, avant que ses yeux ne lancent des regards inquiets de part et d’autre. Neville retint sa respiration, sentant qu’il mettait en péril la mission par sa simple présence. Il regretta immédiatement d’avoir tenu tête à Draco et d’avoir tant insisté pour venir. Puis, il se souvint que la potion était à l’œuvre et qu’il devait faire confiance au blond, coûte que coûte. Draco brisa la tension qui s’installait en soupirant :

« Je sais… J’aurais aimé le rencontrer, dit-il. Comment était-il ? »

L’attention de Kreattur se détourna de Neville pour revenir vers le blond, et l’elfe s’adoucit à nouveau.

« Maître Régulus… Maître Régulus était le meilleur Sorcier qu’il m’ait été donné de rencontrer. Et j’avais l’honneur d’être son ami. »

Draco sourit pleinement, tandis qu’en son for intérieur il se sentait particulièrement surpris. Comment l’elfe pouvait-il dire une telle chose ? A sa connaissance, le seul à avoir tissé un semblant d’amitié avec un de sa race était Potter, et il imaginait mal le cadet Black, élevé dans l’idée d’un suprémaciste Sorcier, s’attacher à un serviteur. Il aurait pensé de prime abord que c’était plutôt le genre de Sirius Black. Mais d’après Dumbledore et Neville, l’aîné avait, au contraire, été infect avec l’elfe, le traitant aussi injustement qu’il ne l’avait lui-même fait avec Dobby. Une sincère curiosité s’empara de lui, et la potion n’eut pas beaucoup à le pousser pour répondre :

« C’est un cadeau inestimable qu’il t’a fait. Tu as dû être très présent pour le mériter.

— J’étais là. Tout le temps, confirma Kreattur. Quand il est né, quand il pleurait la nuit, quand il avait des cauchemars… Maître Regulus était un petit garçon discret et très sage, poli, travailleur et qui avait à cœur de faire la fierté des Black. Il connaissait la valeur de son nom, il savait ce qu’il avait à faire. Contrairement à son ingrat de frère qui n’avait que de la colère, de l’anarchie et des insultes dans les veines pour Madame sa Mère et Monsieur son père.

— Il a eu de la chance que tu prennes tant soin de lui.

— J’ai été là, car c’était mon devoir ! De l’ingrat aussi je me suis occupé, mais il n’avait aucune reconnaissance, seulement le mépris qu’ont ceux qui se croient supérieurs alors qu’ils ne sont rien, cracha Kreattur.

— Mais Maître Regulus était très différent, répondit Draco en poussant l’elfe à lui parler. Il était devenu la fierté de ta Maîtresse en prenant la Marque. Mère m’a beaucoup parlé de notre estimé cousin et de ce jour glorieux pour leur famille. Père y a assisté et lui a tout raconté, à son tour, elle m’a raconté son intronisation à 16 ans. »

Neville jeta un bref coup d’œil à Draco en comprenant soudain une chose : ce dernier approchait de sa 17e année et n’était toujours pas marqué. La pression de ses camarades Serpentards-Mangemorts devait être écrasante et il fut surpris de sentir une once de respect l’étreindre en pensant que Draco avait enduré cela sans fléchir, continuant de résister coûte que coûte.

« Maître Regulus était très très fier ! confirma l’elfe. Même qu’il a été honoré d’une mission et a montré toute l’étendue de la confiance qu’il me portait… »

Kreattur passa soudain de la fierté à une infinie tristesse et tous comprirent alors que le nœud se trouvait là, que derrière ce silence se cachaient enfin les réponses à leurs questions. Neville eut soudain peur : et si les effets de la potion se dissipaient et qu’ils ne parvenaient pas à terminer ce pour quoi ils étaient venus ? Mais Draco prit immédiatement le relai :

« Je suis désolé Kreattur. Je sais qu’il est mort durant cette mission. La perte de ton ami doit être vraiment douloureuse.

— C’est… Il… Maître Regulus est mort à cause de moi, Monsieur. Il est mort, parce qu’il tenait au misérable et insignifiant Kreattur.

— Je sais, confirma Draco. C’est pour ça que je suis là, pour te permettre de livrer ton fardeau. De t’en débarrasser. Il est temps que tu te pardonnes, Kreattur, comme Maître Regulus l’aurait souhaité. »

L’elfe le regarda soudain légèrement méfiant et une alarme tinta dans l’esprit de Neville qui se demanda s’ils n’avaient pas atteint les limites de la potion. Mais Draco sortit alors une pierre d’onyx qu’il tendit à Kreattur avec un léger sourire d’apaisement.

« Je voulais te donner ceci pour t’aider. Puisqu’il n’y a plus d’héritier digne de ce nom de la maison Black, permets-moi de poursuivre son œuvre, au nom de ma mère et de mon cousin que je n’ai jamais pu honorer moi-même…

— Vous offrez une onyx à ce pauvre Kreattur ? s’émerveilla-t-il un instant. Vous… Vous êtes aussi généreux que…

— Je sais ce que tu as dû porter tout seul, Kreattur. Je sais que tu portes sur toi quelque chose d’aussi dangereux que douloureux.

— C…Comment ?!

— Oui, je sais que tu as avec toi cette chose maléfique que ton maître voulait détruire. Peut-être même est-il mort en essayant… ? Mon cousin, le dernier des Blacks, termina Draco théâtralement.

— Il est mort parce que… parce qu’il ne voulait pas… Il ne voulait pas… »

Kreattur semblait soudain accablé par de terribles souvenirs qui revenaient le hanter. Ses yeux voilés s’agitaient dans tous les sens tandis qu’il tremblait, aux prises avec un sanglot qu’il avait retenu pendant toutes ces années. Draco se pencha vers lui et referma sa petite main sur la gemme, l’enserrant des siennes avec une empathie que Neville n’aurait jamais soupçonnée.

« Prends ton temps, puise dans la pierre, tu connais son pouvoir, je te l’ai amenée pour ça. Il est temps pour toi de guérir, tu l’as amplement mérité. Il est temps pour toi de troquer la souffrance pour la paix. »

L’elfe ferma les yeux un bref instant, les larmes lavant son visage courroucé durant d’interminables minutes. Jusqu’à ce qu’il semble soudain épuisé et vidé, et qu’il ne s’assoie à même le sol, fatigué, repu de son chagrin. Il hocha alors la tête et sa voix reprit, assurée et douce pour la toute première fois :

« Maître Regulus a confié une mission au pauvre Kreattur, et Kreattur n’a pas pu la remplir. Kreattur est fatigué, Draco, Monsieur. Très fatigué. Maître Regulus me manque. Il aurait su comment détruire cette chose, mais il ne l’a pas dit à Kreattur. Et Kreattur a échoué. Il est tellement fatigué, maintenant.

— Je sais. Je prendrai le relai. Je t’aiderai à remplir cette mission, à travers moi, et nous honorerons la mémoire de mon cousin, du dernier des Blacks.

— Vous… vous savez comment faire ? renifla l’elfe en regardant cette fois Draco et Neville en même temps.

— Oui, répondit finalement Neville après un court instant d’hésitation. Nous l’avons déjà fait. Regulus a été le premier à découvrir ce secret, c’est lui qui a ouvert la voie et nous comptons bien terminer ce qu’il a commencé. Ce pour quoi il est mort. »

Neville n’était pas certain d’avoir utilisé les bons mots, mais Kreattur ne l’invectiva pour une fois pas, hochant simplement la tête. Il tira de sa tunique une grosse pomme de terre pourrie qu’il sembla dévisser entre ses doigts crochus. Dedans, était niché le médaillon de Serpentard qu’ils étaient venus chercher. Il le tendit à Draco, la main tremblante.

« Attention, Maître Draco, l’avertit-il. Il pourrit l’âme comme il pourrit les fruits.

— Je ne lui en laisserai pas le temps, promit le blond en le rangeant soigneusement dans la poche intérieure de sa veste. Merci pour ta confiance, je reviendrai te voir quand ça sera terminé. Tu sauras alors que toi et ton Maître pouvez aller en paix. »

***

Severus fixait l’entrepôt qui dissimulait l’Impasse depuis une dizaine de minutes déjà, totalement immobile. Planqués de part et d’autre d’une vieille cabine téléphonique aux vitres brisées, Harry, Luna et Jane l’observaient sans un bruit. Jane jetait de temps en temps des regards à son smartphone, vérifiant l’heure. Quand le rendez-vous approcha, elle se releva pour aller prévenir Severus, mais il l’anticipa et revint alors vers eux.

« Trouvez un meilleur endroit pour m’attendre. Même le plus imbécile de ces gens vous repèrerait.

— On va aller là-haut. » Montra Jane d’un coup de tête, désignant un immeuble dont la porte d’entrée était noire et où un étrange néon clignotait.

— Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?

— Un sexshop. Pas l’idéal vu les petits, mais la boutique est à l’étage et il a des fenêtres qui semblent donner sur l’entrée de l’entrepôt.

— Et comment savez-vous une telle chose ?! Vous êtes déjà venue ?

— Non, j’ai vu sur le Google Street View. Laisse tomber, Cesare, ça n’a aucune importance.

— Vous… Tu es certaine de ton coup ?

— Et toi ? »

Ils se fixèrent un bref instant, avant que Snape ne reporte son attention sur Harry et ne le considère gravement :

« Si je ne reviens pas, ou que ça dégénère, fuis. Ta sécurité est primordiale. Préviens ton parrain s’il faut, uniquement à la…

— Oui, coupa Harry. Comme des gens « normaux », je sais. Si seulement je n’avais pas oublié les miroirs à l’école… Sois très prudent, on ne sait pas ce qu’elle nous veut.

Si, je sais. C’est bien pour ça que je ne voulais pas que vous veniez. Restez en planque pendant une heure, une heure et demie maximum. Si ça traîne trop, repliez-vous…

— On se retrouvera à la station où nous sommes descendus. Ça sera facile pour toi de la voir sur la carte, et la foule nous dissimulera. Il est l’heure, leur signifia Jane.

— Tu es pressée de te débarrasser de moi. » Sourit légèrement Severus.

Un bref instant, Harry se demanda s’ils échangeraient bien plus que cela, mais il semblait que cela leur suffisait, qu’ils n’aient pas besoin de se dire les choses. La petite voix dans sa tête, celle qui avait le timbre de son mentor, lui rappela que lui, mièvre et romantique qu’il était, aurait perdu un temps précieux en séparations dramatiques. Snape avait tourné les talons dignement et à présent, Jane les faisait entrer dans la boutique qui leur était pourtant légalement interdite.

Severus s’engouffra dans la minuscule ruelle qui menait à la porte de l’entrepôt. Il se savait difficilement reconnaissable grâce aux transformations de Dimitri, mais restait pourtant sur ses gardes. Il frappa à la porte, et le judas révéla une paire d’yeux gris surplombés d’épais sourcils menaçants. Le portier le jaugea de pieds en cape, avant de grommeler :

« Casse-toi.

— Je suis attendu.

— Qu’est-ce que ça peut me foutre, ta tête me revient pas. Casse-toi.

— Je suis attendu pour 15h tapante, répéta-t-il. Si tu n’es pas au courant, c’est que tu n’es d’aucune utilité. Ouvre, avant de le regretter.

— Ah ah ah, c’est ça. »

Severus ne bougea, ni ne parla, le toisant de son regard le plus noir, avant de sortir lentement sa baguette et de la pointer vers le portier.

« Et alors ? Tu vas faire quoi ? La porte est protégée contre les sorts, abruti ! »

Snape esquissa un rictus et d’un coup sec, planta le petit bout de bois dans l’orbite du portier, de son autre main, il donna un grand coup de paume dans le manche et enfonça l’outil profondément. Il attrapa rapidement l’extrémité avant que le portier ne s’effondre et attendit. Un glapissement se fit entendre et une autre paire d’yeux, voilés et plus jeunes se manifesta.

« Qu… Qu…

— Je suis attendu. »

Cette fois, on lui ouvrit et il enjamba le cadavre avec souplesse. La petite junky qui tenait fermement la porte s’effaça à son entrée, préférant ne pas contrarier cet homme et subir le même sort que l’autre. Snape se moqua intérieurement de cet endroit qui accueillait des Moldus et qui oubliait pourtant un tel détail concernant la sécurité. Il dépassa les échoppes, tandis qu’on ne lui prêtait guère d’attention, comme si l’entrée et le sort de son gardien n’intéressaient personne. Mais il ne s’y trompa pas, il savait que des regards indiscrets seraient sur lui. Il en cherchait seulement un, qu’il ne trouva pourtant pas. Il se rapprocha de ce qui semblait être le bar, et prit place au comptoir, lorgnant du côté de la minuscule porte à l’arrière gardée par deux autres malabars. L’absence de Narcissa et ce qu’il avait dû faire pour entrer commencèrent à lui faire sentir qu’il tombait très certainement dans un piège. Assis sur un tabouret miteux et collant, il affectait d’avoir l’air habitué à ce genre d’endroits, alors même qu’il portait un costume de créateur et qu’il semblait davantage apprêté pour se rendre à la première d’un film dont il serait à l’affiche. Et certains l’observaient de temps à autre, se demandant ce qu’un Moldu de cette stature sociale faisait chez eux. Le barman finit par s’intéresser à lui et aboya derrière sa barbe emmêlée :

« Et l’veut quoi le trader, eh ?

—  Ne pas être dérangé pendant mon rendez-vous.

— Oh-oh, c’est que ça s’prend pas pour d’la merde. Il est à quel heure ton pointage, dis ?

— 15h.

— Il est 14h59, t’es en avance. C’est pas poli, ça… Ça fait dire à la Maîtresse de maison qu’elle n’était pas prête.

— J’attendrai.

— T’veux la faire passer pour une mauvaise hôte ? Va derrière, mes gars te laisseront passer.

— Qu’est-ce qui te fait croire que je suis la personne qu’elle attend ?

— Peuah ! Elle m’a dit qu’un mec chelou aux cheveux longs dégueulasses et au caractère de tueur d’mauvais poil viendrait. T’as p’tet pas la coupe, mais des connards dans ton genre, on n’en voit pas tous les jours. Morthy était à quelques mois d’sa retraite.

— J’étais à quelques minutes de mon rendez-vous.

— Fais pas trop l’malin… ta gueule m’revient pas.

— C’est également ce que Morthy a dit. »

Severus se leva sur cette simple menace et avança en direction des gardiens qui s’écartèrent non sans jouer des bras pour tenter de l’intimider. Mais de toute évidence, personne ne savait qui il était ici, ou du moins, semblait ne pas comprendre ce qu’il était. Il entra dans l’arrière-salle et ne fut pas surpris de voir qu’il était seul. Il ricana face aux ténèbres et resta droit, boudant ostensiblement les tabourets face à lui. Il patienta, écoutant attentivement le silence autour de lui, avant de ricaner à nouveau.

« Je t’entends respirer. »

Ce n’était pas la respiration rauque d’un animal, pas celle d’un homme tendu. C’était celle d’une femme, légère, un peu saccadée, qui tentait de dissimuler sa présence, mais qui oubliait qu’elle ne pouvait masquer son odeur. Et le nez aiguisé du Maître des Potions reconnaissait très facilement les parfums, surtout une fragrance aussi marquée que celle-ci.

« Ne te parfume pas, la prochaine fois. Il est trop sophistiqué pour être acheté en échoppe, c’est forcément un sur-mesure et le cœur de narcisse est beaucoup trop évocateur, Narcissa. »

Elle sortit de l’ombre, rejetant la capuche qu’elle portait, dévoilant un visage fermé, déterminé, et terriblement fatigué.

« Tu es décidément un espion hors pair, Severus.

— Si tu voulais que cette rencontre soit secrète, tu aurais dû t’abstenir de jouer les coquettes.

— Et toi les assassins.

— Qu’on me reconnaisse ou non, ça envoie le message qu’il faut.

— Tu croyais que je te tendais un piège ? C’est pour cela que tu as changé d’apparence ?

— Je fuis, je n’allais pas le faire sous les traits que vous me connaissez. Quant à notre rendez-vous, je n’ai écarté aucune possibilité. Pas même celle que tu sois sincère et que l’endroit soit pourtant truffé de personnes dangereuses à qui je devais rappeler ma propre détermination. »

Elle se tenait devant lui, aussi digne que la situation le lui permettait, mais rien dans le décor ou son épuisement manifeste ne l’aidaient. Dans un geste sympathique, Snape prit un des tabourets et s’y assit, lui permettant d’en faire de même sans crainte. La faible lueur projetée par la bougie tremblotante sur son pauvre tonneau suffisait à donner toutes les informations nécessaires : Narcissa avait besoin de lui pour quelque chose qui la terrorisait. Il se tut, la laissant venir à lui.

« J’aurais préféré que tu me poses cette question, murmura-t-elle en s’asseyant à son tour.

— Ce n’est pas moi qui ai demandé à l’autre de venir.

— Pourquoi as-tu accepté ?

— Parce que je vous sais dans une situation désespérée, répondit Severus avec calme.

— Grâce à Dumbledore ?! s’alarma-t-elle.

— D’une certaine façon, oui. En partie. Mais je me souviens très bien de Ses exigences pour les jeunes d’un certain âge. »

Narcissa cilla, son beau visage se figeant plus encore. La lumière projetée par la bougie lui donnait presque l’air d’une statue de cire, et elle resta muette et immobile plusieurs dizaines de secondes.

« Qu’as-tu compris d’autre ? demanda-t-elle, finalement.

— M’obliger à faire cette conversation seul ne changera rien à ton choix, Narcissa. »

Severus tentait de ne pas la brusquer. Il n’était pas totalement certain de ses conclusions et refusait de prendre le risque de se tromper et de passer à côté de ce qui était, dans tous les cas, une opportunité.

« Nous avons besoin de ton aide, soupira-t-elle.

Nous ?

— Draco, moi… Lucius, même s’il ne l’admet pas.

— Il ne sait pas que tu es ici ?

— Il ne sait pas que je connais cet endroit et que je sais qu’il lui appartient.

— Qu’est-ce qui t’a décidé ? Est-ce bien ce que je crois ?

— Tu es intelligent, Severus. Tu l’as toujours été. Il veut que Draco prenne la Marque. Il presse Lucius à ce sujet, et Lucius…

— Lucius envisage de céder, comprit l’homme en noir en l’observant gravement. Tu savais que ça arriverait, vous saviez qu’en mettant au monde un enfant cela se passerait ainsi. Vous saviez qu’il deviendrait un tribut, qu’il ne vous appartiendrait plus.

— Est-ce là un jugement, Severus ? haussa-t-elle le ton. Toi qui n’as ni femme ni enfant, es-tu réellement en train de juger notre choix ? Tu ne sais rien de la famille. Rien de l’amour. Tu n’as pas de nom à perpétuer, pas d’envie de créer… »

Elle baissa soudain la tête, refusant de lui laisser voir son émotion de mère, mais Snape entendait chaque changement dans sa respiration, chaque fluctuation de sa voix.

« J’ai fait un choix, Narcissa. J’ai choisi de ne m’attacher à personne pour n’avoir personne à perdre.

— Et pourtant tu as bien perdu Evans, non ? » Lui lança-t-elle rudement.

Severus ouvrit légèrement la bouche, choqué de sa réponse. Narcissa releva le menton d’un air triomphal.

« Nous avions cinq ans de différence, mais tu appartenais à ma maison, Severus. Crois-tu que cela soit passé inaperçu qu’un jeune Serpentard passe tout son temps libre avec une petite Gryffondor qu’il regarde avec adoration ? Je n’ai jamais négligé ce genre de détails. Et depuis que ta trahison est avérée, tu peux croire que j’ai compris… Tu vois Severus, tu dis ne t’être attaché à personne, et pourtant, leur perte t’a profondément touché. Et cela continue. D’abord elle, puis Dumbledore… Et maintenant qui ? Son fils ? »

Snape ne répondit pas, il baissa pour la première fois les yeux, se refusant à cette conversation. Mais Narcissa semblait avoir tant de colère et d’émotions contenues qu’elle poursuivit, comme ayant le besoin impérieux de vider une bonne fois pour toutes son sac.

« Tu as risqué ta vie pour un amour de jeunesse, puis pour une morte, cela en dépit du danger. Tu n’as pas à juger notre choix. Surtout pas au regard des tiens.

— Je ne peux rien pour Draco, coupa-t-il court, d’une voix tendue. Si tu es venue me supplier de le sortir de Poudlard d’une quelconque manière que ce soit, tu peux repartir. Tu me parles de votre choix, c’est exactement ce qu’il est : le vôtre.

— Potter n’est-il pas le choix de sa mère et de son père ? contra Narcissa, s’emportant. Tu protèges cet enfant par sentimentalisme ? Par amour ? Par devoir ?

— Par Raison, Narcissa ! répliqua Severus piqué au vif. Potter doit être protégé parce qu’il est la clef pour Le vaincre ! »

Il regretta immédiatement ses paroles quand il vit la légère lueur de triomphe dans le regard de la blonde. Il se renfrogna, se maugréant d’avoir sous-estimé cette femme.

« Alors c’est vrai. Il y a bien une prophétie qui dit qu’il peut le vaincre. Que peut faire cet enfant face à la puissance qu’Il a déployée ? Que peut-il faire que personne ne peut accomplir ?

— Qu’es-tu venue me demander, Narcissa ? Le contenu de la prophétie ? À quoi ça t’avancerait ? Que cherches-tu à faire en m’enfermant dans une arrière-salle miteuse avec tes craintes de mère ?

— Dis-moi simplement… dis-moi pourquoi Potter et pas un autre ? Qu’est-ce qu’il peut y faire, au juste ?

— Le Seigneur des Ténèbres l’a désigné, ce qui rend… « y faire » ? s’interrompit-il. De quoi parles-tu Narcissa ? »

C’était grossier, et elle sembla comprendre la manœuvre, car elle balaya d’un geste de la main sa question.

« Réponds-moi. Est-ce que Potter sait comment faire ? »

Severus se recula légèrement, soupirant avec contentement. Il avait visé juste. Lucius avait fini par comprendre, Dumbledore lui avait donné toutes les cartes pour ce faire et l’avait obligé à garder le secret de leur ambitieux projet, et, n’ayant pour seule amie que son épouse, Lucius s’était ouvert à elle. Le vieil homme, depuis sa tombe, avait su en faire des complices tacites. Et il était temps de sceller l’alliance.

« Oui.

— Il n’y a que lui qui peut le faire ?

— Oui, et je ne t’expliquerai pas pourquoi.

— Est-ce que… est-ce que tu sais pourquoi je te demande ça… ?

— Oui. Mais tu vas l’exprimer clairement, Narcissa. Tu vas le dire à voix haute, car tu as pris une grave décision. »

L’aristocrate se releva lentement, semblant choisir mentalement sa prochaine réponse. Severus l’observa, elle était pressée, acculée, mais elle conservait cette beauté et cette noblesse, même en venant supplier. Il pinça légèrement les lèvres, une légère vague d’empathie montant à son égard, comprenant une partie de ses sentiments : elle allait tourner le dos à sa vie entière, à tous ses principes, toutes les décisions prises qui l’avaient conduite jusqu’ici, tout ce qui justifiait son existence.  Tout ceci pour sauver la personne qui lui importait le plus. Elle finit par le regarder à nouveau et fronça les sourcils.

« Me tromperais-je sur ton imperméabilité aux femmes ? glissa-t-elle froidement.

— Oui. Tout comme tu te trompes sur l’objet de ma contemplation. As-tu trouvé les mots qu’il te manquait ? Car le temps commence à nous faire défaut, cesse de repousser cet instant.

— Vous devez L’arrêter, capitula-t-elle. Vous devez L’arrêter avant qu’il ne soit… trop tard. »

Elle avait presque gémi cela, la fin de sa phrase mourant dans le quasi-silence de la pièce, comme si elle se refusait à le dire distinctement, refusant la possibilité de perdre son unique enfant. Severus l’observa d’un œil critique :

« Tu n’es pas venue me dire ce que je sais déjà, n’est-ce pas ?

— Non, souffla-t-elle. Je suis venue vous… aider. »

Elle semblait toute aussi stupéfaite que l’aurait été n’importe qui d’autre dans cette situation. Elle avait pourtant pris cette décision à l’instant même où Lucius lui avait annoncé les intentions du Seigneur des Ténèbres. Mais malgré l’assurance et le calme dont elle avait fait preuve jusqu’ici, malgré la froide méthode qu’elle avait employé pour contacter le tenancier de l’Impasse et Sirius, Narcissa n’en croyait presque pas ses oreilles. Elle venait vraiment de dire qu’elle aiderait à défaire Lord Voldemort. Elle inspira longuement et reposa son regard perçant sur Snape.

« Tu sais comment, n’est-ce pas ? lui demanda-t-elle en relevant le menton.

— Est-ce que cela te soulagerait de garder l’effet de surprise ?

— … Quand as-tu compris ?

— Il y a quelques jours. J’ai supposé que tu l’avais en ta possession, depuis la mort de ta sœur.

— … Comment as-tu pu deviner ?

— Parce que nous savions pour le journal. C’est le journal qui a lancé Dumbledore sur cette piste.

— Morgane ! Lucius avait raison ! »

Elle pâlit plus encore, ses yeux s’abîmant un instant dans le vague. Severus ne sut dire si la lueur des bougies était responsable de l’éclat dans ses yeux, ou si des larmes menaçaient de rouler sur ses pommettes hautes, mais elle semblait bouleversée. Il hocha la tête gravement.

« Oui, vous êtes foutus. S’Il apprend que le journal est détruit, vous êtes foutus. C’est un heureux miracle que personne ne lui ait encore expliqué…

— Tu ne l’as jamais… ? Severus ? Tu ne lui as jamais dit ce qu’il s’était passé lors de la deuxième année ?! »

Il écarquilla soudain les yeux, avant d’éclater de rire. Un rire franc qu’elle n’avait jamais entendu chez lui.

« Il n’a jamais posé la moindre question à ce sujet. Pas même quand les journaux ont évoqué la Chambre récemment… Maintenant que tu as en ta possession un fragment de son âme, tu dois imaginer l’état de son esprit, Narcissa. Il n’a rien à voir avec le Mage que nous servions avant la Chute. Et Quand Il est revenu, la seule chose qui l’obsédait était Potter. Comment Potter avait-il pu survivre à sa première année. Puis, comment Potter avait-il pu survivre à son terrible piège lors de la quatrième année. Il a ensuite repris la prophétie en pensant y trouver des réponses absolues et mystiques à quelque chose qui le dépassait, et maintenant qu’il l’a, le garçon est toujours son sujet d’intérêt principal. Ta sœur avait raison sur quelque chose, tu sais : c’est bien cette obsession qui leur fait perdre la guerre. Et on ne peut enlever à Lucius d’avoir su se débarrasser d’elle comme il le fallait.

— Bella est morte à cause de votre animal de compagnie. » Grinça Narcissa avec dégoût.

Le sourire de Severus mourut instantanément, et cela tira une œillade moqueuse à la blonde.

« Tiens, tiens… roucoula-t-elle. On aurait trouvé une nouvelle raison de se battre ? »

Un bref instant, Severus eut envie de la frapper. Son sourire et son ton lui rappelèrent tant sa sœur qu’il sentit une puissante rage vriller ses tempes. Il contracta les mâchoires si fort que Narcissa redevint immédiatement sérieuse, pâlissant à vue d’œil.

« Tu n’es pas en position de refuser mon offre, gémit-elle pratiquement.

— Pas plus que tu n’es en position de me manquer de respect. Ce n’est pas Le vaincre qui t’importe, n’oublie pas. Tu veux sauver ton fils.

— Tu… Tu n’oserais pas ?!

— Tu as l’air d’oublier le choix que j’ai pu faire concernant Evans et la Marque. Ne te méprends pas à mon sujet, Narcissa. Jamais. »

La mère déglutit péniblement, puis baissa les yeux. Elle resta muette quelques instants avant de hocher la tête.

« Tu es très sérieux, je te prie de bien vouloir excuser mes insinuations de tout à l’heure… ou encore mes accusations précédentes. »

Severus resta raide sur son tabouret, mais il inclina la tête légèrement.

« Je te pardonne.

— Je ne dirai pas à…

— Lucius doit le savoir. Il le sait, et nous avons déjà eu la visite de chasseurs. Que cela soit ton mari ou le Seigneur des Ténèbres, ils savent où nous nous cachons, parce qu’Il m’a vu avec elle.

— … Ils ne savent peut-être pas ce que tu viens de me montrer. »

Severus pinça les lèvres et tourna la tête légèrement de côté.

« Donne-moi la coupe qu’on en finisse, Narcissa. »

Elle sembla hésiter, puis eut un léger sourire tendre à son sujet. Elle porta ses mains à sa cape et en tira l’artéfact qui semblait dissimulé sous une étole de velours.

« Tu lui ressembles beaucoup, tu sais ? lui demanda-t-elle en lui dévoilant l’Horcruxe sans aucune cérémonie.

— A Lui ?

— Non, Lucius.

— Ça m’étonnerait. Je n’ai rien d’un époux aimant. Que diras-tu à Lucius quand il te demandera ce que tu en as fait ?

— La vérité. Et j’espère qu’il sera trop tard et que vous l’aurez détruite. Vous savez comment… ?

— Dumbledore a veillé à ce que l’on ait tout ce qu’il nous fallait.

— Dans combien de temps pensez-vous le faire ?

— Cela dépendra de Potter.

— Est-ce le dernier ?

— Non.

— … Combien y en a-t-il ?!

— Ce n’est pas ton combat, Narcissa.

— Pourquoi une Moldue ?! changea-t-elle de sujet subitement

— Encore 3. Les autres sont détruits, concéda-t-il.

— Et après ? Une fois que c’est fait ?

— On fait la seule chose qu’il reste à faire : on Le tue.

— Et c’est un enfant qui s’en chargera ?

— Lui, ou un autre.

— Mais la prophétie…

— N’a aucun intérêt. Du moins pour moi. S’il faut que je m’en charge, je n’hésiterais pas.

— Et ta Moldue ?

— Elle est grande. »

Narcissa esquissa un sourire et lui tendit la coupe d’un air entendu. Severus grimaça légèrement en la prenant avec précaution. Il se leva et lâcha d’un air pincé :

« Elle n’est pas ma Moldue.

— Ça m’est égal. Détruisez notre problème. »

Mauvaises fréquentations

Ses frères l’avaient planté dès l’entrée du train. Même s’il s’en doutait, il ne pouvait nier que ça lui avait fait légèrement mal au cœur. Rêver d’être à ce jour n’enlevait rien à l’angoisse qu’il pouvait générer et là, à traîner son rat de compartiment en compartiment, il sentait peu à peu la solitude l’étreindre. Et si là aussi il continuait d’être invisible ? Finalement, il poussa la porte d’un qui semblait occupé uniquement par un petit garçon malingre et blafard aux cheveux en bataille et aux lunettes cassées. Il avait l’air plus misérable et déplacé que lui avec ses vêtements trop grands et son regard perdu vers le paysage, cela le rassura quelque peu et il trouva le courage de grimacer :

« Désolé, je peux venir ? Tous les autres compartiments sont pleins, alors…

— Oui, bien sûr ! » S’enthousiasma le garçon en lui désignant de la main le siège d’en face.

Il prit donc place avec soulagement et débita d’une traite ce qu’il pensait être la présentation la plus adulte qu’il eut trouvée :

« Hey, j’suis Ron, Ron Weasley, au passage.

— Harry, Harry Potter. » Lui répondit l’autre enfant tout sourire.

Le roux ouvrit de grands yeux et siffla d’admiration, incrédule face à sa chance. Alors c’était donc vrai, Harry Potter allait bien étudier à Poudlard et c’était même lui qui le rencontrait le premier ! Il lui posa mille questions sur sa cicatrice, ce qu’il savait de la mort de ses parents, sur ce que ça faisait d’être célèbre et fut étrangement déçu et rassuré de voir qu’Harry était un enfant somme toute plutôt banal, ne semblait pas meilleur que lui ou plus à l’aise à l’idée de passer les portes de l’école. Leur rencontre se déroulait même extrêmement bien jusqu’à ce que la dame au chariot ne passe leur proposer d’acheter des friandises, Ron grommela qu’il avait déjà de quoi manger en montrant ostensiblement les sandwichs faits par sa mère, et il tourna la tête en direction de la fenêtre pour cacher son embarra. Il n’avait pas envie qu’Harry ne comprenne sa gêne. Il lui paraissait évident qu’Harry Potter n’avait pas une mère qui lui ferait des sandwichs à la viande au lieu de lui donner quelques sous comme tous les autres pour profiter des délices du chariot. S’il avait été plus âgé, il aurait sans doute eu de la peine pour ce jeune Harry qui n’avait tout simplement plus de maman, mais le Ron de 11 ans ne pensa pas un instant à cela, et, quand le brun sortit de sa poche une poignée de pièces dorées et argentées en décrétant qu’il prendrait de tout, il sentit le rouge lui monter aux joues. Tout ridicule qu’il soit avec ses lunettes pétées et son vieux sweat délavé, Harry Potter restait « Le Garçon qui a survécu » et semblait être « Le Garçon qui n’aurait jamais de problème d’argent ». Le pincement de jalousie qui l’étreignit fut le premier d’une longue série, et Ron se surprit à se rendre compte d’à quel point il avait toujours été envieux vis-à-vis de son ami.

« Qui ne le serait pas ? » Lui demanda une voix glaciale à ses côtés.

Ron fit un bond sur son siège et glapit en se rendant compte qu’assis juste à la droite de Harry se trouvait Lord Voldemort qui le scrutait de ses yeux rougeoyants. Le jeune Harry ne semblait pas remarquer la présence du meurtrier de ses parents et continuait de lui parler avec émerveillement de ce que les sucreries lui procuraient comme sensations. Ron, de son côté, comprit que quelque chose n’allait pas. Ça n’était pas comme ça que s’était passée sa rencontre : il s’en serait souvenu si le Mage Noir avait été présent.

« Foutez le camp d’ici ! » Cria un Ron dont la voix d’adulte tranchait avec son corps d’élève de 11 ans. « Sortez de ce souvenir !

— À ta guise… »

Le décor ne changea guère, la nuit était seulement tombée et Harry et Ron étaient assis au milieu d’une pile de papiers et boîtes de bonbons, ils venaient d’être interrompus par trois silhouettes engouffrées dans le compartiment. Ron sentit son ventre se contracter en se remémorant cet autre moment et fut une nouvelle fois surpris de ses pensées « quelle journée de merde ! ». Draco Malefoy souriait méchamment de son petit air d’enfant gâté à un Ron dont les taches de rousseur disparaissaient sous l’effet de la colère.

« Mon nom te fait rire ? Inutile de me donner le tien… mon père m’a dit que tous les Weasley avaient les cheveux roux, des taches de rousseurs… et beaucoup trop d’enfants pour pouvoir les nourrir. Tu ferais bien de prendre garde à qui tu t’allies, Potter, si tu veux éviter les gens décevants, je peux te donner des conseils. »

Le petit Malefoy tendit une main impérieuse à un petit Harry qui le regardait très froidement. Ron se souvint avec précision de la peur et de la honte qu’il avait ressenti à ce moment-là. Cette question l’avait obsédé depuis leur rencontre : et si Harry avait serré cette main… ? Harry aurait-il seulement pu le faire… ? Harry, le Harry qui leur avait expliqué vouloir partir seul dans le labyrinthe, le Harry qui semblait savoir des choses sur Malefoy, aurait-il pu… ?

« Draco et Harry avaient beaucoup plus en commun, que toi et lui. Tous deux fils de Lord, tous deux riches, tous deux promis à de grandes choses… Tu as dû craindre longtemps qu’ils ne puissent être finalement bons amis, non… ? »

***

Draco leva les yeux au ciel en maugréant pour la quatrième fois.

« C’est juste un chat, Londubat… laisse-le…

— Personne ne t’oblige à nous suivre. Et toi, attends-moi ! »

Neville arriva à la hauteur de Merlin et s’attendait à ce que le chat reparte, mais ce dernier ne bougea pas.

« Quoi ?! lui cria presque dessus Draco d’un air excédé. C’est moi l’Élu de ta minable escapade, c’est ça ?

— Chuuut, arrête de piailler et d’être désagréable avec lui, il ne t’a rien fait. Mais, dis-moi le chat, qu’est-ce que tu attends comme ça ? Tu veux vraiment qu’il nous colle au train ? »

Merlin ne répondit pas et Neville fronça les sourcils.

« Monte les marches, pour voir.

— C’est ridicule…

— Mrreow. »

Merlin se remit à trottiner, la queue haute, amplement satisfait. Les deux Sorciers s’observèrent un bref instant, légèrement ahuris avant de le suivre sagement. Il leur sembla que l’animal leur fit traverser tout Poudlard. Ils empruntèrent plus de quatre escaliers, passèrent un nombre incalculable de coins, franchirent diverses portes, avant de traverser une tenture vaguement tirée sur une arche au moment même où l’horloge de la grande porte signala l’heure du repas. Le château trembla soudain et un bourdonnement s’éleva jusque dans les tours. Poudlard frissonna comme une fourmilière vibrant sous les petites pattes de ses occupants, les élèves marchaient en rangs serrés, d’un pas quasi unique de petits soldats en formation. Là où quelques semaines auparavant on aurait entendu une cacophonie de rires et de discussions ne montaient que quelques murmures et le bruit de bottes qui martelaient avec discipline les dalles du château. À l’heure et bien alignés pour le repas, les élèves de Poudlard rejoignaient la Grande Salle.  Derrière leur tenture, Merlin semblait tendre l’oreille et attendre la fin du vacarme. Quand les couloirs redevinrent silencieux, il passa la tête à l’angle comme pour s’assurer que personne ne les verrait, moustaches frémissantes, avant de reprendre la route d’un pas rapide et guilleret.

« Ca suffit, ils vont se poser des questions s’ils ne nous voient pas au repas.

— Je suis souvent absent, Mme Pince n’hésite pas à nous couvrir, s’il le faut. Je pense qu’elle a horreur de…

— Toi, on s’en fiche, Londubat, je te parle de mes autres camarades, grinça Draco en mettant l’emphase sur le dernier mot.

— Tu ne rates jamais un repas ?

— Je préfère éviter qu’on s’intéresse à moi.

— Eh bien tu devras trouver une excuse, parce que même si tu y vas maintenant, ton retard sera suspect. Tu ne veux pas savoir ce que ce chat cherche à nous faire faire ?

— Je… C’est stupide comme raisonnement, et la curiosité est une caractéristique de…

— De quoi ? Les dragons, l’Armée d’Ombrage… Tu as toujours été curieux, Malefoy, alors prends garde à ce que tu vas dire. » Se moqua Neville en fronçant les sourcils devant la direction que prenait Merlin. « Pourquoi tu nous amènes aux jardins de… oh. »

Neville avait entendu parler de ces jardins et de leur occupante principale. Il hésita presque à s’incliner en ayant la désagréable impression de déranger. Devant eux se tenait, flottant, le fantôme d’Helena Serdaigle qui leur faisait dos, semblant converser avec on ne sait qui. Quand ils arrivèrent, elle se retourna lentement et les observa en silence. Si Neville se semblait soudainement humble, Draco, lui, avait l’air perdu. Il ressemblait à un petit garçon pris en faute et il baissa la tête, dans une posture de respect que Neville ne lui avait jamais vu.

« Tu as été plus rapide que la dernière fois, jeune Merlin, s’amusa l’ectoplasme de sa voix éthérée.

— Vous nous attendiez… ? se risqua Draco en retrouvant sa voix.

— Non. Pas moi. »

Elle glissa devant lui et disparut dans un mur sans une autre parole. Draco et Neville eurent l’impression d’avoir raté une épreuve et ils se fusillèrent du regard, s’accusant pratiquement muettement.

« Qu’est-ce qui t’a pris de l’ouvrir ? Tu ne sais donc pas qui c’était ?! s’emporta Neville.

— Helena Serdaigle, la fille de Rowena Serdaigle. Son esprit, du moins. Quoi ? ajouta Draco d’un ton hautain. Tu crois que vous êtes les seuls à connaître Poudlard ? Je te signale que le Baron Sanglant est le fantôme de ma maison.

— Je ne vois pas le rapport…

— Ah ? Alors, c’est que tu ferais bien de perdre ce ton méprisant avec moi à son sujet. Essayons plutôt de trouver ce chat, nous ne sommes pas ici par hasard.

— Peut-être qu’il faudra reprendre demain, autrement, sans poser des questions stupides, grinça Neville.

— Il n’y a pas de question stupide pour la maison Serdaigle. Qu’est-ce qu’on fait ici ? » continua Draco en regardant autour de lui.

Mais les jardins étaient aussi calmes que d’ordinaire, bien qu’il ignorât cela. L’eau de la fontaine et la lueur magique produisaient un effet apaisant qui lui firent le plus grand bien. Il se surprit à avoir envie de s’asseoir et de caler son dos contre le gros arbre qui était étrangement décoré. Il allait se laisser à son désir de paix quand il remarqua le cadre de peinture vide qui était accroché à un mur. Draco ferma les yeux et tenta de se remémorer la scène de leur arrivée.

« Elle parlait au cadre, murmura-t-il.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— La Dame Grise parlait à ce qu’il y a dans le cadre. D’ailleurs, pourquoi y a-t-il un cadre ici ? C’est le seul, non ? »

Il n’attendit pas la réponse de Neville et regarda aux alentours. Les murs étaient uniquement décorés de torches ou bien habillés de tentures.

« Ce n’est pas elle qui nous attendait… répéta-t-il.

— Tu penses qu’il y a quelque chose de caché, ici ?

— Non, c’est quelque chose sous nos yeux, forcément. C’est Helena Serdaigle, forcément…

— Tu as l’air de bien connaître Serdaigle… s’intrigua le Gryffondor un instant.

Hum hum, répondit Draco vaguement en continuant de chercher autour de l’arbre et de la fontaine. J’ai beaucoup appris depuis mon arrivée ici, je voulais comprendre.

— Comprendre quoi ?

— Je suis un choixpeauflou.

Quoi ?!

— Ah ? Ça ne m’étonne pas le moins du monde, Monsieur Londubat. »

Le rire dans la voix les fit tressaillir. Draco ouvrit la bouche en observant Neville qui semblait durablement ému. Ils se retournèrent très lentement, comme craignant que leur esprit ne leur joue un tour.

« Ressaisissez-vous, Messieurs ! On dirait que vous avez vu un mort… »

***

« Lord Malefoy, pardonnez mon intrusion, mais une journaliste de la Gazette du Sorcier et une journaliste du Veritascriptum souhaitent s’entretenir avec vous à propos de l’attaque. »

Lucius leva des yeux fatigués vers Narcissa qui fixait toujours le feu avec détermination.

« ‘Cissa, ne dis plus rien à ce sujet, je t’en conjure. Nous en reparlerons quand je saurai…

— Monsieur… ? répéta l’elfe, craintif. Qu’est-ce que je dois… ?

— J’AI ENTENDU ! Fais-les patienter dans le jardin d’intérieur, et prépare un repas pour nous tous. Je vais les recevoir quand je serai prêt. Mon amour, ajouta-t-il à l’attention de sa femme, est-ce que tu m’as compris ?

— Oui, répondit-elle froidement. Pas un mot tant que tu n’as pas trouvé de solution. »

Cela sembla satisfaire Lucius qui hocha la tête comme pour sceller lui-même ce pacte, et il se leva pour se préparer à ce qui allait être une interview délicate. Il avait déjà imaginé ce qu’il dirait aux gratte-papiers, mais ce qu’il venait d’apprendre l’avait pour l’heure trop déboussolé pour qu’il ne puisse s’y présenter immédiatement. Il devait reprendre contenance, se glisser à nouveau dans son costume de Lord. Il changea pour ce faire de vêtements, signifiant physiquement qu’il n’était plus le père désespéré, mais bien le Ministre de la Justice qui venait d’échapper à un terrible attentat. Quoi qu’il advienne, il ne devait pas se laisser distraire de son objectif, surtout pas maintenant que la vie de Draco était en jeu.

Restée seule dans le salon, Narcissa passa beaucoup de temps à fixer les flammes, réfléchissant intensément aux options qui s’offraient à eux. Les ambitions de Lucius les mettaient en danger, c’était un risque qu’ils avaient tous deux accepté de prendre. Leur récente découverte des Horcruxes et de la perte de l’un d’entre eux par la faute de son mari avait irrémédiablement signé leur arrêt de mort. Si le Seigneur des Ténèbres l’apprenait, ils seraient exécutés. Ou pire : seul leur fils le serait en représailles. Draco était dans tous les cas en grave danger et l’évidence la frappa une nouvelle fois, comme quelques secondes auparavant, il fallait faire un choix.

Elle se leva lentement, lissant sa robe avec soin et passa sur ses épaules un châle pour se réchauffer. Elle rajusta sa coiffure comme si elle devait rejoindre son mari pour son interview et se dirigea avec calme dans le bureau de Lucius. Elle n’y entrait jamais. Non pas qu’il le lui ait interdit, mais de la même manière qu’il n’allait pas dans son boudoir, elle n’allait pas dans son bureau. Mais elle savait ce qu’elle y trouverait, Lucius n’avait aucun secret pour elle. Ce qu’il ne lui disait pas, elle le devinait. Ce qu’il faisait loin de ses yeux, elle finissait par le comprendre. D’une façon ou d’une autre, Narcissa connaissait tout de la vie et des aspirations de son mari. Elle était l’épouse discrète et dévouée à sa maison, elle était par conséquent celle qui savait le mieux comment elle tenait. Passant la porte, elle apprécia un instant l’odeur caractéristique de son mari qui y flottait. Un savant mélange de parfum d’ambre caramélisé et de l’odeur légère du Whisky-pur-Feu. Le foyer dans l’âtre dégageait légèrement des notes de bois chauffé et les monceaux de parchemins et encres laissaient flotter dans l’air des fragrances fraîches et un peu acidulées. Elle aimait cette odeur qu’elle sentait avec plus ou moins de force sur Lucius, chaque touche se faisant plus intense selon l’activité qu’il avait faite avant. Cela l’apaisa instantanément. Elle se sentit immédiatement en confiance et se dirigea naturellement vers l’immense bureau de noyer qui se dressait devant une vaste bibliothèque. Il n’y avait aucune fenêtre dans le bureau de Lucius, rien qui ne permettait de voir depuis l’extérieur ce qu’il y faisait, ou gardait. Le sens de la sécurité de son mari allait si loin que Narcissa savait qu’il était inutile de formuler un quelconque Accio pour avoir l’information dont elle avait besoin. Mais elle savait se montrer patiente. L’entretien de Lucius durerait tout l’après-midi. Elle ne serait pas conviée au repas qu’ils feraient ensemble, devrait certainement faire une apparition pour l’heure du thé, en épouse soulagée de voir son mari en vie, et soudée dans cette épreuve difficile.

Dans un coin de sa tête, elle commença à réfléchir à la tenue qu’elle devrait porter, à l’attitude qu’elle présenterait alors aux deux journalistes. Avec ses mains, elle se mit à ouvrir et à fouiller le bureau pour trouver ce pourquoi elle était venue. Ils étaient dans une impasse, il ne leur restait donc plus que ce choix.

***

« Je n’ai pas choisi d’être orphelin ! Je n’ai pas choisi d’être champion de Poudlard ! Je n’ai pas choisi d’être riche ! Je n’ai pas choisi d’être dans l’équipe de Quidditch ! Tu veux ma place, Ron ? Prends-la ! Et prends ce qu’il y a avec ! Toi aussi sois poursuivi par un fou qui veut te tuer depuis que tu es bébé ! Toi aussi renonce à toute ta famille et sois enfermé dans un placard toute ton enfance parce que ta famille d’adoption te hait. Toi aussi passes ton temps à être épié et scruté dans tes moindres faits et gestes, à ne pouvoir avoir de vie privée, à ne pouvoir être librement toi-même, uniquement une image, un symbole que tout le monde porte aux nues ou rejette l’instant d’après. Je n’ai pas choisi d’être Harry Potter !! Alors, arrête avec ta jalousie maintenant !

— Mais il aurait pu choisir de t’aider toi et ta famille financièrement, de s’effacer de temps en temps pour te faire un peu de place… de te rendre hommage lorsque que tu as très largement contribué à son succès…

— Je sais ce que vous essayez de faire, et vous perdez votre temps. Je ne trahirai pas Harry. Vous aurez plus vite fait de me tuer.

— Ca n’aurait plus aucune utilité. Et je crois que tu es au contraire très utile. Harry a su choisir ses amis. La Sang-de-Bourbe pour son intelligence et toi… eh bien toi, je crois que tu es le roc sur lequel il a besoin de s’appuyer, Ronald Weasley. Je crois que tu es la raison pour laquelle Harry parvient à être Potter depuis tout ce temps.

— N’importe quoi ! Harry n’a pas besoin de moi. Nous sommes amis, et après ?! Je ne suis pas à ses côtés, que je sache, c’est bien la preuve que je lui suis dispensable, non ?!

— Serait-ce de la colère que j’entends-là… ? »

Ron ferma la bouche, reportant son attention sur sa main de métal et pensant à Harry avec toute l’affection qu’il pouvait avoir à cet instant. Il tenait à s’éloigner de ses idées revanchardes que Voldemort attisait avec ardeur depuis quelques heures. Il savait pertinemment qu’il ne pouvait le vaincre sur le terrain de la Légimancie, il n’avait pour lui que les quelques bribes qu’il avait entendues de la part de Snape quand ce dernier reprenait Harry en public à ce sujet. En d’autres termes, il ne savait pas grand-chose pour se protéger, si ce n’est qu’il fallait dominer ses émotions. Chose que Ron n’avait jamais eu à apprendre à faire. Voldemort le scrutait avec patience, semblant attendre le dénouement naturel des choses.

« Personne n’a dit que tu étais dispensable, Ronald Weasley. Et je suis certain que Harry ne le pense pas un seul instant. »

La voix de Voldemort était douce, réconfortante. Comme celle d’un ami ou d’un thérapeute qui ne cherchait qu’à aider. Un souvenir douloureux s’imposa à Ron et le poussa à relever la tête de défi. Il comprit trop tard son erreur quand le décor dans lequel le Ron et le Harry d’hier se disputaient s’effaça. À la place, de grandes haies vertes entouraient Harry, Ron et Hermione, le bruit d’un ruisseau coupait le silence pesant qui semblait s’être installé entre eux.

« N’y pense même pas.

« Je n’ai pas l’intention de vous laisser tomber.

— Mais tu aimerais…

— Ron… Le jeu est fait comme ça.

— Le jeu ? C’est un jeu pour toi ? J’aurais pu mourir et c’est un jeu pour toi ?! Qu’est-ce qui te prend ? Harry Potter veut prouver qu’il aurait pu remporter le Tournois des Trois Sorciers, c’est ça ? Et c’est quoi la suite ? Tu sautes par-dessus la rivière et tu nous laisses, tu…

— CA SUFFIT ! » Hurla le Ron du présent en plaquant tour à tour ses mains sur ses yeux et ses oreilles.

Voldemort sembla réprimer un léger rire et la scène s’accéléra tant que les couleurs s’effacèrent pour ne laisser que de la lumière, jusqu’à ce que tout s’arrête à un instant précis, un peu plus loin dans cette fameuse journée.

« Personne n’est blessé ?

— Parce que tu t’y…

— TAISEZ-VOUS ! Monsieur Weasley, nous nous passerons de vos commentaires. Non, Monsieur Potter, tout le monde va bien, soyez rassuré. Tout le monde a été soigné, si c’est votre question.

— C’était donc réel…

— Oui, buvez ceci. »

L’homme en noir lui tendit une potion qui puait le soufre, et Harry la prit sans hésitation. Quand il termina de la boire, il regarda Snape avec une certaine inquiétude, et l’espion lui répondit, comme s’il lisait dans son esprit :

« Oui, cela aurait été plus sage de vérifier que c’était bien moi. Mais trêve de paranoïa, je vous ai poussé loin cette fois. Et vous m’avez donné plus que vous n’en avez jamais été capable. »

Il avait murmuré la dernière phrase de telle sorte que seul Harry entende. L’Attrapeur se releva, chancelant, et garda les yeux au sol, incapable de regarder ses amis en face.

« Est-ce que vous avez retrouvé vos esprits, tous ? Bien. Comme certains l’ont compris, ce labyrinthe était un piège mental. Les murs n’étaient que vos projections, et oui, Miss Granger, oui, se regrouper faisait bien entrer en collision vos imaginaires, et ne faisaient que rendre la zone plus dangereuse.

— Genre, c’est pour nous sauver que tu es parti… Hein ? demanda Ron avec venin.

— J’ai pensé à ça, mais j’ai pensé aussi à ce que moi je… Enfin, merde, sois pas con pour une fois, j’ai pas envie d’en parler.

— Et vous n’en avez jamais reparlé, n’est-ce pas ? » Demanda Voldemort en coupant la parole au Severus du souvenir.

Il fixait ce dernier avec tant d’intensité que sa colère était nettement visible. Ron, il en était certain à cet instant, voyait bien que le Mage Noir ne digérait pas la trahison de Snape. Une idée lui vint.

« Vous êtes à sa recherche, non ?

— Bien entendu que nous recherchons ton ami…

— Je parlais de Snape. »

La précision déstabilisa légèrement Voldemort qui esquissa une grimace d’agacement.

« Comme on peut rechercher un traître pour le punir. Que s’est-il passé ensuite ? A-t-il seulement repris le cours de la journée comme s’il ne vous avait pas sacrifiés ou bien…

— Snape l’a pris à part pour lui parler, comme il le faisait de plus en plus. Ils ont développé une relation que même Dumbledore ne semblait avoir avec lui. » Répliqua Ron en savourant la colère croissante de son vis-à-vis. « Je sais pas ce qu’il lui a dit à ce moment-là, mais Harry était calme en revenant. Très calme. Snape a eu beaucoup d’influence sur lui.

— Et c’est ce que tu lui reproches ? De se rapprocher de tes ennemis, Ronald ? rebondit Voldemort les dents serrées. Severus, ou même Draco… ? »

Ron tourna la tête un instant trop tard. Il avait fait mouche en amenant la conversation sur Snape, mais Voldemort était trop fort. Malgré tout son ressentiment, il restait le seul Maître de cette conversation. La pièce changea encore, les amenant à la soirée de Noël de Slughorn, cette soirée où Lord Potter, Lord Black et le futur Lord Malefoy s’étaient amplement passés de Monsieur Weasley.

***

Neville bredouilla. Il aurait préféré que cela ne soit Draco qui se sente autant gêné, mais c’était lui qui était le plus ému. Ou bien peut-être que le Serpentard le montrait moins, car ce dernier fixait le cadre où venait d’apparaître Albus Dumbledore comme s’il parlait à un des nombreux portraits de Poudlard.

« Allons, allons, mon garçon, rassura doucement le vieil homme en peinture. C’est compréhensible, vous me saviez mort, et me voilà.

— Vous avez eu bien vite votre portrait, commenta Draco en retrouvant enfin la parole.

— Vous restez toujours aussi intelligent, Draco, flatta Albus en l’observant avec attention. Quelle conclusion en tirez-vous ?

— Professeur…, commença Neville avant d’être interrompu d’un geste de la main par le portrait.

— Que vous aviez préparé votre tableau. Que vous saviez donc que vous alliez mourir… Vous étiez souffrant ?

— Mourant, acquiesça Albus en souriant. Mourant à cause de la guerre et de ce qui nous amène à discuter aujourd’hui. »

Neville écarquilla les yeux, hésitant à avertir le vieil homme du risque qu’il prenait, mais il pinça des lèvres, s’abstenant. Le Dumbledore du portrait plongea son regard bleu par-dessus ses lunettes en demi-lune en lui souriant.

« Ma mise en format portrait n’a pratiquement pas altéré mes facultés, rassura-t-il. Si ce n’est que je ne peux plus me déplacer ou manger de bonbons… hélas. Vous comprenez ce que vous faites ici, Messieurs ?

— Non, répondit Malefoy calmement.

— Oui.

— Mais vous désapprouvez Neville, c’est cela ?

— Oui, je pense que Malefoy… Malefoy n’est… »

Le jeune homme s’arrêta, observant le blond avec méfiance et réfléchissant. Mais à la vérité, il ne pouvait terminer sa phrase. Il connaissait la situation du Serpentard, connaissait ses craintes vis-à-vis des autres étudiants, avait vu qu’il ne portait pas la Marque. Il l’avait même prévenu pour l’attaque de Square Grimmaurd.

« Je ne suis pas quoi ? le coupa Draco dans ses pensées. Digne de confiance ? Fiable ? Un Gryffondor ? Des vôtres ? Je ne suis pas venu ici pour me faire insulter.

— Pourquoi êtes-vous venu, Draco ? demanda avec douceur le vieil homme.

— Parce que cet imbécile suivait cet imbécile de chat.

— Merlin n’est pas un imbécile, précisa Dumbledore.

— Merlin ?! Qui appelle son chat « Merlin » ?!

— Oh ! soupira Neville en comprenant.

— À votre avis, Draco ?

— Vous voulez vraiment me faire jouer aux devinettes ? Très bien, il traînait près des appartements de Snape. Mais je ne l’imagine pas avoir un animal de compagnie.

— L’imaginais-tu trahir ton… Voldemort ? demanda Neville après s’être repris sur l’appellation.

—  Non, frissonna Draco. Mais il était très secret et difficile à cerner.

— Il n’est donc pas impossible qu’il ait pu avoir un chat…

— Pas du nom de Merlin, c’est ridicule ! Et puis quelle importance ? On s’en fiche du chat, non ?

— Vraiment ? Vous l’avez pourtant suivi, Draco.

— Mais parce que Londubat le suivait, lui aussi !!

— Pourquoi me suivais-tu, dans ce cas ? entra Neville dans le jeu en comprenant où Dumbledore voulait en venir.

— MAIS PARCE QUE JE NE SAIS PLUS OÙ ALLER ! »

Son cri partit pour s’élever dans les jardins et mourir lentement dans la lumière magique. Draco sentait son cœur battre à tout rompre et l’envie de s’asseoir le prit à nouveau. Il n’y résista pas cette fois et s’affala lentement, posant la tête entre ses mains.

« Je sais plus quoi faire, ajouta-t-il pour lui-même. Les autres me scrutent, me soupçonnent, me traitent comme si j’étais coupable de trahison. Et je ne sais plus, d’accord ? Enfin, si, je sais. Je ne veux pas être Mangemort, voilà, je le redis ici. Mais je ne sais plus… Je ne sais plus quoi faire, où aller. Où puis-je aller… »

Merlin s’approcha à cet instant de lui et frotta ses moustaches contre son coude. Ce simple contact fit tant de bien au jeune homme qu’il en sentit les larmes lui monter aux yeux. Il avait tant envie de se laisser aller, lui qui n’avait pu qu’être Draco Malefoy voulait juste…

« C’est ce que j’avais cru comprendre et attendais, Draco. J’attendais que vous le compreniez de vous-même.

— Que je ne suis pas un meurtrier ?

— Que vous n’avez pas envie de marcher dans les mêmes pas que votre père. Que charmer les politiques et espionner vos ennemis vous éloigne de vos vraies aspirations… et que ces dernières ne se réaliseront que si vous et votre famille, êtes libérés. »

Draco pâlit légèrement, et Neville se demanda immédiatement quel pouvait être l’aspiration dont parlait l’ancien Directeur.

« Je dois y aller, je ne peux rater le repas ET les cours de l’après-midi, bredouilla précipitamment Malefoy en se levant.

— Personne ne vous attend, aucun de vous deux, car l’un comme l’autre êtes retenus par le Directeur suite à une rixe.

— Professeur… comment ?

— Horace a beaucoup de choses à faire pardonner, il a beaucoup de services à me rendre encore, répondit très froidement Dumbledore. Si vous êtes rassuré sur ce point Draco, pouvons-nous poursuivre ?

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda piteusement le blond en craignant la réponse. Je ne serai pas votre prochain espion, sachez-le.

— Je sais, ce n’est pas ce que je vous demande, je vous demande d’aider Monsieur Londubat. »

Neville écarquilla les yeux, incrédule.

« Mais, Professeur…

— Draco a exactement ce qu’il faut pour vous aider dans votre tâche. Reste à savoir s’il souhaite participer.

— Participer à quoi, précisément, Professeur Dumbledore ? demanda Draco en utilisant pour la première fois le titre de son ancien Directeur.

— Mais détruire définitivement Lord Voldemort, mon garçon. »

***

« Difficile de dire qui est vraiment derrière tout ça. » Avoua Tonks dont les cheveux noirs faisaient ressortir les cernes. « Les Moldus pensent qu’il s’agit d’un attentat politique ou religieux, nous n’avons pas encore décidé de la piste qu’ils allaient suivre.

— Ce n’est pas à leur Premier Ministre d’en décider ? s’interrogea Sirius, surpris.

— Non. Il ne sait pas que c’est lié à notre existence. Ce n’est pas une décision de mon bureau, Sirius, c’est…

— Malefoy. Il a encore pris les devants sans en parler à la Chambre !

— Il fait ce qu’il faut pour nous protéger ! Comment crois-tu que les Moldus nous voient avec toutes ces attaques ?! Des gens disparaissent voire meurent pratiquement toutes les semaines, maintenant. Tu crois que leur Premier Ministre continuerait longtemps de rester inactif ? Malefoy a raison de limiter notre impact officiel sur leurs vies. On ne peut pas prendre le risque qu’ils décident de nous faire la guerre d’une façon ou d’une autre. Rien ne dit, d’ailleurs, que leurs agents secrets ne sont pas à notre recherche, ou n’essaient pas de percer nos secrets, Malefoy…

— Malefoy te retourne le cerveau, Tonks, qu’est-ce qui te prend de te mettre à considérer normal qu’on mente aux Moldus ?

— Merci, Sirius, mais je peux penser par moi-même. Et le Ministère n’a pas attendu Malefoy pour leur mentir. Tu crois que les Moldus savaient précisément qui tu étais quand tu t’es évadé ? Tu crois que ça se passait comment pendant la Première Guerre ? Tu commences à peine la Politique et à peine la lutte. T’as passé ta vie en prison pour un crime que tu n’avais pas commis parce que tu as laissé tes émotions prendre le dessus, tu viens à peine de commencer à rejoindre la cour des grands et tu crois que t’as des choses à m’apprendre ?

— Calme-toi, je suis à la Chambre des Lords, je sais quand même un peu comment…

— Non. T’as un siège parce que tu es né pour l’avoir. Je suis Auror, parce que j’ai décidé de le devenir et que j’ai été formée à cela. Et je le suis depuis plus longtemps que tu ne chauffes ton banc sous les arcades, alors crois-moi quand je te dis que c’est normal, voire souhaitable. Tu n’as pas bien l’air de comprendre le danger potentiel que peuvent représenter les Moldus si…

Danger ? Tu t’entends en parler ? Ose me dire que ce n’est pas un propos digne de Malefoy !

— Fol’Oeil pensait la même chose ! Tu sais quoi ? Laisse tomber…, s’énerva-t-elle. T’es pas prêt à prendre le poste que tu brigues, manifestement.

— Attends, t’es sérieuse ?! T’es quand même pas en train de me dire que…

— Je te recontacte quand on a du nouveau, et si j’estime que c’est nécessaire que tu sois tenu informé. »

Le feu redevint normal et Sirius frappa un coup dans la pierre du manteau de la cheminée. Il savait qu’Hermione avait écouté la conversation et ce simple fait l’agaça davantage.

« Sors de là, pas la peine de faire comme si j’ignorais que tu étais une Gryffondor… »

Il s’assit sur une des chaises dans la cuisine et se remit à touiller avec sa fourchette son repas qui était désormais froid. Quand ses pommes de terre furent réduites en purée, il balança le couvert dans l’assiette ce qui fit un vacarme assourdissant. Hermione s’était glissée à l’intérieur, mal à l’aise avec Sirius depuis qu’ils étaient désormais seuls. L’Animagus lui avait toujours paru gentil, mais très émotif et, maintenant qu’elle était coincée avec lui, se rendait compte qu’il n’avait pas toujours des réactions très mesurées.

« Quoi ? aboya-t-il en la dévisageant. Tu es d’accord avec elle, c’est ça ?

— Oui, soupira Hermione à contrecœur. J’ai peine à le dire, mais oui : les Moldus sont dangereux pour la communauté Sorcière, et oui, ils auraient les moyens de s’en prendre à nous. Je pense que Lucius a raison de ne pas submerger leur Premier Ministre de mauvaises nouvelles, aucun dirigeant ne réagit bien dans ces cas-là, pas la peine que le bouc émissaire devienne public.

— Alors on leur ment, et on les laisse mourir dans l’anonymat le plus total, les victimes méritent au moins que la réalité de leur sort soit connue.

— Dans quel but ? protesta Hermione. Qu’est-ce que ça apporterait de bon, Sirius ? Parfois, il faut simplement opter pour le moindre mal pour servir le plus grand bien…

— C’est ce que tu t’es dit quand tu as contacté Malefoy l’autre jour ? Je sais que la Brigade n’est pas arrivée par hasard, je le vois quand on utilise les cheminées de ma demeure.

— Il fallait faire quelque chose ! s’alarma Hermione. Je ne pouvais pas vous laisser vous faire tuer ou…

Ou kidnapper ? Dis ça à Ron ! »

Hermione le regarda, bouche bée, profondément choquée qu’il ose lui dire cela. Sirius sembla se rendre compte qu’il était allé trop loin car il se précipita vers elle dans un geste maladroit :

« Je suis désolé, je voulais dire que… que… que… tu ne peux pas faire confiance à Malefoy, c’est un Mangemort.

— Mais Tonks, non, et c’est elle qui est venue. Lucius Malefoy devait savoir qu’on aurait plus de facilités si c’était quelqu’un que nous connaissions qui venait.

Ou qu’on croyait connaître… je ne reconnais plus Tonks, pas plus que Rémus ne le fait, je le sais. Elle passe beaucoup de temps en mission. En fait, elle passe plus de temps auprès de Malefoy que de son mari.

— Nous sommes en guerre, Sirius. Elle est Auror, Rémus est… eh bien… il est à la maison, quoi… »

Hermione rougit en disant cela, comme gênée pour son ancien Professeur qu’il ne soit pas davantage dans l’action, mais qu’était-elle, se rappelait-elle ? Hermione se leva et débarrassa son assiette dans l’évier.

« Et puis, oui, Malefoy est Mangemort, mais n’oublie pas dans quelle position le Professeur Dumbledore l’a mis. On doit faire confiance au Professeur, il savait ce qu’il faisait et comment nous protéger de…

— Chut ! » Interrompit Sirius en lui faisant signe de se cacher.

Le craquement caractéristique des flammes l’informa que quelqu’un d’autre allait le contacter et Hermione s’effaça derrière le manteau de la cheminée. Quelques secondes plus tard, c’est une voix qui s’éleva, une voix étrangement rocailleuse, d’une vieille dame qui semblait emprisonnée dans la pierre :

« Narcissa Black, dernière femme de la noble et ancienne maison Black souhaite user de son droit de parole pour s’entretenir directement avec le maître des lieux. »

Sirius parvint de justesse à ne pas couler un regard en direction d’Hermione et, après un bref instant de réflexion, hocha la tête :

« Je ne conteste pas ce droit. »

Le crépitement changea et ce fut bientôt la jolie voix hautaine et légèrement tendue de Narcissa qui résonna dans la cuisine :

« Merci d’accepter d’entendre ce que j’ai à te dire. Écoute-moi bien sans m’interrompre, Sirius. Je sais que tu es forcément en contact avec ton filleul qui doit lui-même être en contact avec Snape. J’ai besoin de le voir, en face à face. Attends ! ajouta-t-elle alors que Sirius ouvrait déjà la bouche. C’est une question de vie ou de mort. Pour nous tous. Ce n’est pas ta confiance que je veux, dis-lui simplement de me rencontrer à l’Impasse dans deux jours, à quinze heures. Pas avant, pas après. Est-ce que tu peux faire ça ?

— Narcissa, qu’est-ce que tu…

— Je t’en prie, Sirius, c’est notre seul espoir !

— Mais… »

Hermione sut à sa tête que les flammes étaient redevenues normales et que la discussion avait pris fin. Sirius semblait abasourdi et ses yeux allaient et venaient de part et d’autre de la pièce tandis qu’il cherchait à se remémorer la conversation. Hermione s’avança lentement :

« L’attaque du Ministère l’a poussée à agir, tu penses ? Est-ce qu’elle veut attraper Snape pour le livrer ?

— Je ne sais pas. Elle avait l’air paniquée. Elle a supplié. Supplié, Hermione. Les Black ne supplient jamais.

— De quoi aurait-elle peur, alors ? Et quoi dire à Snape ? Comment ? Est-ce qu’on va le lui dire ?

— Je ne sais pas… Je ne sais pas. C’est notre ennemie. On ne peut pas faire confiance aux Malefoy, mais elle était…

— Peut-être est-ce à lui d’en décider ? Quel risque prenons-nous à lui transmettre le message ?

— Que veux-tu lui dire ? Il aura des questions, forcément ! Non. Je vais réfléchir. »

Hermione leva les yeux au ciel et s’en alla presque aussitôt, agacée que Sirius pense toujours avoir le dernier mot concernant la marche à suivre. Elle non plus ne faisait pas confiance aux Malefoy, mais elle savait reconnaître la peur dans une voix. Du reste, elle ne voyait pas bien en quoi faire passer le mot mettrait en danger qui que ce soit. Narcissa ne devait pas s’imaginer un seul instant qu’ils communiquaient via objets Moldus, si c’était un piège pour retrouver Snape, ils n’auraient aucun moyen de tracer le processus. Elle monta dans ce qui était devenu sa chambre et tira son portable de son sac, et l’alluma.

***

Draco ferma les yeux longuement, reposa sa tête contre le tronc de l’arbre, comme cherchant à puiser dans sa force. Autour de lui, le monde semblait devenir plus dense et complexe qu’il ne l’avait jamais soupçonné. Jamais la pierre ne lui avait parue si froide, le sol si dur, et la lumière magique qui baignait les jardins lui était pareille à un projecteur. Ah, il ne savait plus où aller quelque temps auparavant ? Désormais, il savait qu’il ne pourrait plus jamais changer de voie. Suivre Merlin et Neville n’avait pas été qu’un rapide cheminement dans Poudlard, s’il l’avait lu, il aurait pensé au petit lapin blanc et à Alice. Mais il n’atterrissait pas au Pays des Merveilles.

« Vous êtes certain de ce que vous avancez… ? demanda-t-il la gorge sèche.

— À ton avis ? s’agaça Neville qui était toujours aussi dubitatif devant le choix du Directeur.

— Sur certains points, oui. Notamment le nombre de morceaux d’âmes qu’il visait.

— Visait ? Comment ça ? »

Le portrait sourit au Serpentard et un étrange reflet passa sur ses lunettes. Draco comprit qu’il avait soulevé un point crucial que le vieil homme n’expliquerait sans doute jamais. Il inspira profondément.

« Soit, et pourquoi m’en parler à moi, alors ?

— Neville a de grandes difficultés à convaincre Kreattur, et je pense que toi, tu peux y parvenir.

— Comment pourrait-il… ?

— Au-delà de ça, pourquoi me faire confiance à moi ?

— Parce que tu n’as pas vraiment le choix, Draco, lui annonça très calmement Dumbledore. Pas plus que je n’en ai laissé à ton père. »

Le garçon apprécia de le voir jouer cartes sur table. Il se releva lentement et hocha la tête, réfléchissant.

« Admettons. Vous allez prévenir votre Ordre de ma coopération ?

— L’Ordre n’existe plus, il a été absorbé par la Brigade créée par ton père. Et non… je ne vais pas le mettre au courant. Ce qu’il ignore le plus longtemps possible est ce que Voldemort ignorera lui-même.

— Vous craignez qu’il ne découvre votre chasse, n’est-ce pas ?

— Il le découvrira. Tout l’enjeu pour toi, Neville, Harry et Severus sera de les trouver et de les détruire avant qu’il ne comprenne et contre-attaque. »

Neville arqua un sourcil, surpris que Dumbledore ne mentionne ni Jane ni Luna, mais il en comprit la raison quand Draco reprit la parole :

« Où cherchent-ils, eux ?

— Là où les pistes les mènent et où ils sont en sécurité, répliqua Dumbledore en souriant énigmatiquement. »

Draco comprit qu’il n’en saurait pas davantage et ses pensées allèrent en direction de Potter. Est-ce que le vieil homme faisait également de la rétention d’informations avec lui, ou bien était-il maintenu plus encore dans le noir ?

« Soit, accepta Draco. Je vais réfléchir à comment parler à Kreattur… bien que je ne pense pas être la personne la mieux indiquée avec les elfes de maison.

— Sa présence pourrait même ruiner l’opération, ajouta Neville. Dobby va très mal réagir si le fils de son ancien Maître se met à fouiner dans les cuisines.

— Oh, il n’y a pas besoin que Draco soit là, répondit avec assurance Dumbledore en commençant à tresser sa barbe nonchalamment.

— Pourquoi m’avoir fait rentrer dans le coup, alors ?

— Parce que tu as en ta possession le moyen d’y parvenir.

— Professeur, commença Neville. Avec tout le respect que nous vous portons, du moins, pour ma part, ni Malefoy ni moi ne sommes Harry. Nous n’allons pas nous contenter de vagues énigmes à déchiffrer en espérant qu’il ne soit pas trop tard. »

Draco cligna des yeux, surpris de l’audace de Londubat qu’il n’aurait jamais imaginé capable de tenir tête à l’ancien Directeur de la sorte. Mais il avait raison, ils n’étaient pas Potter, et lui certainement pas. Il se permis d’ajouter :

« D’autant que nous n’avons pas de Granger pour nous sortir de l’impasse au moment opportun, avant de se faire voler la vedette par… Oh. »

Il se tut, et sourit, un sourire admiratif et satisfait. Celui du Serpentard qui aurait compris une idée brillante. Dumbledore termina sa tresse et noua sa barbe, l’air innocent.

« J’ai raté quelque chose d’important, apparemment.

— La solution, tu as raté la solution à ton problème avec l’elfe. La raison même pour laquelle Dumbledore pensent que je peux t’aider à le résoudre.

— Quel rapport avec Hermione et son absence de reconnaissance ?

Tout, Potter et Weasley ne sont pas les seuls à briller à ses dépens… bien que parfois, ça soit simplement par talent.

— Attends, quand est-ce que tu aurais pu être meilleur que… AH !

— Ca y est, tu as compris.

— Mais c’est tellement évident ! Tu l’as toujours, au moins ?

— Tu crois que j’aurais gaspillé ma fiole de Felix Felicis à quelle occasion, au juste… ? »

***

« ASSEZ ! Pourquoi vous continuez ?! Vous voyez bien qu’il n’y a que les souvenirs d’un enfant un peu trop jaloux de son ami, non ?! »

Ron se sentait épuisé, désespéré. Il savait que son esprit recelait des informations utiles et donc dangereuses. Il cherchait par tous les moyens de ne pas y penser, de laisser Voldemort s’abîmer dans les détails de certains moments de vie, mais il sentait qu’il perdait pied. Le fil des souvenirs l’amenait inexorablement jusqu’à ce fameux moment où Sirius leur avait tout révélé. Quels imbéciles ils avaient été ! Harry avait pourtant prévenu que cela pouvait arriver, que c’était pour cette raison qu’ils ne devaient jamais rien savoir. Et c’était sans doute pour cela qu’il était parti seul, avec Luna, Snape et…

Voldemort ricana :

« Nous savons tous les deux que tu as des choses intéressantes à me montrer. Pourquoi toi et la Sang-de-Bourbe n’êtes pas avec Potter ? Pourquoi le trio inséparable a éclaté ? L’a-t-il fait seulement ? Est-ce que Potter ne serait pas à Square Grimmaurd et nous l’aurions raté… Te serais-tu sacrifié pour garder cette information secrète ?

— Bouffez donc des veracrasses, j’préfère encore crever que de vous le dire.

— Tu me le diras. Et tu mourras très certainement, confirma Voldemort avec amusement. Je sais très aisément exaucer les désirs des gens, et si ce sont là les tiens… »

Voldemort chercha du regard dans la scène qui montrait à présent Hermione, Sirius et lui aux funérailles de Maugrey.

« Il n’est pas venu… et quand vous êtes rentrés à Square Grimmaurd, Potter n’a pas été repéré par mes hommes. Où était-il ? Harry n’aurait pas pu résister à l’envie de vous aider, s’il avait été là. Était-il déjà parti ? Où ?! »

Il perdait patience, et son esprit écrasait violemment celui de Ron qui plia douloureusement, montrant leur scène de retour. Ron tenta de la retenir, assez pour que le début soit flou, on n’y voyait que des formes échangeant des sorts, mais la douleur devint insupportable, et le cours du souvenir reprit soudainement, comme si on avait mis un décodeur et monté le son. Hermione se trouvait dans la cuisine, lisant un papier griffonné à la hâte.

« Ils ont bien reçu mon message, ils sont partis à Londres.

— Où ?! s’inquiéta Sirius restant dans le couloir.

— Probablement chez elle… ? proposa Neville. Des nouvelles de Tonks et Rémus ? Je crois qu’elle avait repéré quelque chose et qu’elle essayait de me prévenir… Merde, on n’a rien vu venir.

— Elle ? De qui parle le fils Londubat ? »

Ron ferma les yeux si fort qu’il avait l’impression que ses cils colleraient les uns aux autres. Il tenta de penser à autre chose, à Tonks, à Luna, à Hermione, même… n’importe quelle autre « elle » qui ne répondrait pas à sa question, mais ça lui était impossible. Un seul nom continuait de tourner en boucle, lentement, brumeux, mais les lettres se détachaient une à une dans les ténèbres.

Voldemort avança dans la cuisine immatérielle qui vacillait sous les tentatives du garçon de lui tenir tête. Les occupants changeaient à grande vitesse, bougeaient dans tous les sens. Tour à tour, on voyait les femmes auxquelles il essayait de penser se tenir sous une lumière artificielle. Mais la pression que maintenait le Mage Noir sur son esprit le forçait peu à peu à plier. Il pensa à Snape, à ce qu’il disait à Harry et par association d’idées, cela ne fit que précipiter l’inévitable. Tandis que le nom s’imposait à lui, une forme s’esquissa dans la cuisine branlante, les couleurs s’y agglutinèrent comme des gouttes de peinture jetées sans raison. Peu à peu, on y distingua nettement un corps, des mains, des jambes, des cheveux, et un visage qui se défroissa sous l’effet de la fouille impitoyable de Voldemort. La lumière baigna le visage rieur qui se tournait vers une autre forme floue en arrière-plan, et il était impossible de ne pas la reconnaître pour qui l’avait déjà vue.

« Elle… répéta Voldemort. La Moldue de Severus. »

Il étira lentement un sourire horrible qui fit frissonner de terreur le garçon.

« Merci, Ronald Weasley. Repose-toi, tu l’as mérité. »

La scène s’effaça soudain pour laisser place au cachot, et Ron retomba sur son ventre, comme si Voldemort l’avait tenu par le col tout ce temps. Les larmes et le désespoir l’envahirent, alors que la fraîcheur de la pierre se diffusait doucement dans son corps, comme pour lui promettre que tout serait bientôt fini. Voldemort fit volte-face en direction de la porte et avant que Ron ne sombre dans l’inconscience, il l’entendit ordonner :

« Fais mander Lucius. Je sais dans quelle direction ses limiers doivent chercher, à présent. »

Instinct de Survie

« Ploc. Ploc. Ploc. »

Ce n’est pas l’humidité de la pièce qui le frappa en premier, ni même la froideur de la pierre contre laquelle il reposait. Ce qui le tira d’une sourde torpeur dont il ne pouvait estimer la durée était bien la sensation troublante de ne plus sentir son corps. Mais cela ne dura que l’espace d’un instant. Un minuscule fragment de vie durant lequel Ronald Weasley n’avait plus l’impression d’être un être fait de chair et de sang. Le fragment d’après, l’instant qui suivit immédiatement, chaque fibre musculaire, chaque parcelle de ses os le fit intensément souffrir. Comme si la moindre once de vie en lui s’animait soudain et le secouait pour le faire réagir. Car, pour l’heure, il était incapable de bouger. Terrassé sans doute par la douleur, certainement par l’hébétement de sa situation. Il était allongé face contre terre, le nez éclaté et en sang contre une pierre qui sentait la pisse et l’humus. Sa jambe droite était tirée en équerre contre la gauche, comme lorsqu’il dormait sur le ventre. À ceci près que son genou n’était d’ordinaire pas aussi gonflé. Il n’arrivait pas à remettre en ordre ses idées. Que s’était-il passé ? Ne lui revint en mémoire que la fugace impression de devoir protéger des gens, l’impérative nécessité de tenir un lieu et l’urgence à rester alerte, quoi qu’il advienne. Il fouilla dans ses souvenirs immédiats et il entendit distinctement la voix de Tonks leur ordonner de se replier. Il entendit celle de Sirius lui dire qu’il ne pouvait faire ça. Faire quoi, d’ailleurs ? Il trembla brutalement, dans une tentative maladroite de se relever. Ah oui. Jouer les héros. C’était sans doute ça, ça.

S’imprima alors à lui le regard inquiet d’Hermione et il grogna sourdement. Il aurait aimé se dresser sur ses bras, tenir sur ses jambes, mais son corps endolori ne semblait plus lui répondre. Avait-il précisément subi le sortilège interdit ? Il n’en gardait aucun souvenir. De sa capture, à vrai dire, il n’avait en mémoire que quelques bribes. Il avait été percuté par un sortilège dont il n’arrivait pas à se souvenir de la formule, et les ténèbres l’avaient avalé pour ne le recracher qu’ici, misérable, désorienté et au bord de la panique. Quand il rassembla assez son esprit pour réaliser qu’il était captif des Mangemorts, il gémit piteusement, et son corps s’affaissa à nouveau.

***ALM***

« Et voici les dossiers, vous faut-il autre chose pour Lord Malefoy ? »

La jolie voix appartenait à Madison Bowl, une jeune préposée aux archives d’à peine 21 ans. Toujours souriante et des vêtements colorés, elle était le rayon de bonheur quotidien d’Owen Bennett, secrétaire particulier de Lucius Malefoy. Un secrétaire qui ne ratait jamais une occasion de descendre au département des archives pour exhumer un dossier ou une simple lettre, quand bien même son supérieur n’en avait nul besoin. C’est que depuis qu’il avait découvert Madison en entrant au service de Malefoy, Owen n’arrivait toujours pas à trouver le courage d’inviter la demoiselle à boire une bierre-au-beurre après le travail. Alors, il passait chaque jour à son bureau comme on pourrait se languir devant une vitrine sans un sou dans la poche. Il passait avec ses joues rougissantes et son balbutiement dont il avait honte. Mais allez savoir pourquoi, ce jour-ci, il se décida enfin à briser sa routine frustrante.

« Heu… Non, c’est… parfait. Heu…

— Oui ? lui demanda-t-elle en voyant qu’il restait planté devant son guichet.

— Rien ! Enfin… rien pour le heu… le travail.

— Et… en dehors du travail ? » Osa-t-elle en rougissant presque autant que lui.

Owen sentit ses entrailles se contracter et ses joues prendre feu. Son cœur battit à tout rompre et ses mains devinrent moites sur les dossiers qu’il tripotait maladroitement. Il se racla la gorge, fut tenté brièvement de battre en retraite, avant de sortir dans un seul souffle à s’assécher le gosier :

« Je-finis-à-17h-est-ce-que-vous-voulez-qu’on-se-retrouve-à-un-pub-pour-boire-et-manger-quelque-chose-enfin-si-vous-avez-faim-et-soif-sinon-on-peut-très-bien-aller-à-une-gallerie-ou-bien-au-chemin-de-traverse-ou…

— Je finis aussi à 17h, le coupa-t-elle en souriant très largement. Disons qu’on se retrouve aux cheminées pour transplaner ensemble au Chaudron Baveur… ?

— Oh ! Oh… O-oui !! À tout à l’heure, alors ! Heu… je vous laisse travailler et je retourne… eh bien je vais aller donner mes dossiers à Lord Malefoy ! »

Le léger rire qu’elle eut fut comme une envolée de papillons dans sa poitrine, et il eut l’impression que le chemin de retour jusqu’à son petit bureau était soudain plus court. « Ensemble au Chaudron Baveur » et « Transplaner ensemble » revenaient sans cesse dans son esprit embrumé par les vapeurs d’affection qu’il nourrissait depuis des mois pour l’archiviste. Quand il arriva à son bureau, il avait l’impression de flotter dans un confortable nuage de bonheur, se projetant mentalement dans cette soirée qui s’annonçait merveilleuse. Il avait osé ! Il avait enfin eu le courage de lui demander, et ce soir, il allait enfin faire sa connaissance et pouvoir lui dire combien elle illuminait ses journées. Quoique c’était peut-être trop tôt… ? Oh, il s’en fichait ! Il verrait bien sur le moment.

Déposant la pile d’archives concernant la liste des lois d’exception accordées aux Aurors lors de la précédente guerre, il ne s’intéressa pas dans l’immédiat au gros paquet que l’on avait déposé sur son bureau. Il préféra griffonner sur une feuille de parchemin une rapide lettre de réservation à l’attention du Chaudron Baveur, pour leur garantir des places assises autour d’un tonneau, et l’envoya d’un rapide coup de baguette au département des courriers urgents. Owen n’était pas le genre d’employés à utiliser ses privilèges à mauvais escient, mais il lui sembla que cette occasion justifiait à elle seule d’apposer le sceau du Ministre de la Justice, garantissant le traitement secret et rapide de sa missive. Il ne se doutait alors pas un seul instant que cela déclencherait une réaction en chaîne impliquant la fuite de l’information à un journal local, et un sitting de journalistes au Chaudron Baveur. Journalistes persuadés d’y cueillir Lucius Malefoy et son invité mystère.  Il ne s’en doutait pas, et n’aurait jamais l’opportunité de le savoir. Car, tandis qu’il se disait avec bonheur que jamais sa vie n’avait été si heureuse, il entreprit de sectionner les liens qui retenaient le paquet adressé « Uniquement à Monsieur le Ministre de la Justice, Lord Malefoy, en personne », révélant alors une boîte de métal brossé. Quand il ouvrit le couvercle et entendit un étrange « clic », Owen n’eut pas le réflexe de se mettre à couvert sous son bureau. Pas étonnant de la part d’un ancien Poufsouffle qui s’était acharné à postuler au rôle de gardien dans son équipe de Quidditch, en vain. Malheureusement pour lui, ce n’était pas un but qu’il laissa passer, mais bien une énorme déflagration qui balaya entièrement leur bureau.

***ALM***

« Attention Lord Neville Londubat, les autres elfes ne voient pas d’un bon œil vos visites. Dobby sait que c’est forcément important, mais Dobby ne va pas pouvoir empêcher les autres de tout raconter au Directeur très longtemps. »

Neville soupira en avisant la moue déconfite de l’elfe. Il balaya du regard la cuisine et ne manqua pas les œillades mauvaises des autres occupants. L’ancien serviteur de Lucius Malefoy disait vrai : la plupart des elfes de maison grimaçaient et fronçaient les sourcils. Il n’avait pas le droit d’être là en tant qu’étudiant… et la loyauté des créatures les poussait à ne pas vouloir aider un opposant aussi ouvert à Lord Voldemort. Sirius avait été très clair sur cette question quand il avait tout expliqué dans la cuisine : fidèles à l’école et au Directeur, les elfes et Poudlard en général étaient en priorité fidèles à son ou ses propriétaires. Hélas pour eux, c’était lui qu’ils combattaient. Dobby avait raison, il prenait de gros risques en leur rendant visite. Sans parler du fait qu’il avait, par deux fois, manqué de se faire repérer par Draco. Neville était cependant persuadé que le Serpentard n’avait rien dit aux autres. Cela, à cause de sa révélation de l’avant-veille. Le temps lui manquait, et il lui semblait que l’issue de la guerre n’avait jamais été aussi incertaine. Il hocha la tête, d’un air résolu.

« Je sais. Tu as raison. Mais je dois lui parler. Dis-lui que… Dis-lui que je sais tout, que je sais pour son Maître. »

Les oreilles de Dobby frémirent légèrement d’incompréhension, mais il s’inclina et disparut derrière la grande porte en bois que Neville ne parvenait pas à franchir depuis son retour à Poudlard. Resté avec les autres elfes, le Gryffondor tenta de masquer sa tension en affichant un léger sourire poli à leur égard, et il entendit clairement l’un d’eux grincer des dents. Le ton sembla monter soudain derrière la porte qui s’ouvrit brutalement sur un Dobby pratiquement jeté dehors, des pelures de pommes de terre sur la tête et les épaules.

« MENSONGES ! MENSONGES ! » Hurlait la voix grincheuse de Kreattur. « SORS D’ICI AMI DES TRAITRES A LEUR SANG ET DES SANGS DE BOURBES ! SORS D’ICI AVANT QUE KREATTUR NE TE DÉNONCE ! »

Neville ouvrit la bouche d’inquiétude et se précipita sur l’entrée qui lui fut claquée au nez. Contre la porte, il répliqua, la voix presque suppliante :

« Kreattur ! Ne fais pas ça ! Si tu parles de ça, tu sais ce qu’il se passera…

— Laissez-le Lord Londubat, Monsieur. Il ne veut rien entendre, et il ne changera pas.

— Tu avais bien réussi à aider Winky, répliqua Neville sans renoncer pour autant.

— Plus jeune, plus douce, elle n’avait pas le cœur aussi sec et les mots aussi tranchants que ce vieil elfe. Il n’a plus toute sa tête.

— Et vous le perturbez ! intervint une voix d’elfe autoritaire.

— Vous nous dérangez, même !

— Vous n’avez rien à faire ici.

— Retournez à votre dortoir avant que…

— Très bien, très bien ! coupa Neville en battant en retraite. Dobby, merci d’avoir essayé… On trouvera bien une solution. C’est important.

— Si vous le croyez, Lord Londubat. » Répondit doucement l’elfe avec amabilité.

Il le raccompagna jusqu’à la sortie des cuisines, et ferma très rapidement le passage secret sur lui. Assez pour qu’il comprenne que l’avertissement des autres elfes était très sérieux. Il se sentit dans une impasse. Impossible pour lui d’écrire à Sirius concernant cette affaire, il avait échoué et son ressenti vis-à-vis de son ancien elfe de maison était bien trop grand pour qu’il puisse l’aider. En retournant à Poudlard, il pensait qu’il arriverait, à force de patience et de diplomatie, à faire plier Kreattur. Mais il n’avait pas songé un seul instant qu’il ne parviendrait même pas à lui parler. Encore moins que les elfes se ligueraient contre lui.

« Merde… lâcha-t-il dans un souffle.

— Mrrrrow ?

— Encore en train de me surveiller, toi ? »

L’agacement de Neville monta d’un cran. D’ordinaire, il appréciait Merlin qu’il avait appris à connaître à force de le voir lui traîner autour, mais le Gryffondor continuait de se méfier de ce beau chat blanc rendu dodu par les soins du nouveau Directeur. Il lui semblait que ce chat était à Smith, sans grande certitude, cependant, et dans sa frustration générale, il n’apprécia pas de le voir dans le Hall. Pourquoi s’obstinait-il à rôder près de lui quand il allait aux cuisines, au juste ?!

« Que fais-tu au juste à chaque fois pour que tu croies que je te surveille ? »

Neville fusilla du regard la personne à qui appartenait cette voix traînante qui l’avait tant traumatisé lors de ses premières années.

« Et toi ? Tu n’as pas une salle commune où te terrer ? » Cracha Neville en perdant son sang-froid.

La coupe était pleine. Il toisa Malefoy, prêt à en découdre et à régler certains différends qui traînaient entre eux depuis leur première année. Frustré, fatigué, terriblement inquiet, Neville serra les poings et s’approcha menaçant. Tout aussi à fleur de peau, Draco ne recula pas et leva le menton.

« C’est toi qui dis ça ?! Tu es toujours ici, ou à la bibliothèque, ou dans le parc en train courir sur le terrain d’entraînement de DCFDM. T’as l’air paumé depuis que Potter et sa bande ne sont plus là. T’as perdu tes repères, c’est ça ? Tu n’as plus d’ordres auxquels obéir ?! »

Les entrailles de Draco se contractèrent quand il dit cela, se demandant à quel moment il ne parlait pas de lui. Les mots que Parkinson avait dits et qui l’avaient fait quitter une fois de plus la salle commune avec précipitation résonnaient encore « Tu es un lâche, comme ton idole l’était avant toi. Des lâches qui avancent dans l’ombre sans qu’on ne sache vraiment à qui ils sont fidèles. Mais on ne fera pas la même erreur deux fois, Malefoy ! ».

« Tout le monde n’est pas l’esclave d’un autre Sorcier, gronda Neville d’un air entendu.

— Je ne suis l’esclave de personne ! » cria alors Draco en relevant brutalement sa manche. « Un Malefoy ne s’agenouille devant personne !

— Lord Malefoy serait-il mort… ? se moqua le Gryffondor dans une saillie digne de son interlocuteur.

— Arrête, tu ne sais rien de mon père !

— Il n’est pas Mangemort, peut-être ?!

— Tu… Tais-toi. TAIS-TOI ! Tu ne comprends rien à rien !

— Je sais qu’il hait les nés-Moldus, je sais qu’il les torture, je sais… je sais tout ce que Harry et d’autres ont pu raconter à son sujet. »

Neville s’avança, lentement, baissant d’un ton à mesure que sa colère débordait. Draco ne recula pas pour autant.

« J’ai déjà assisté à des réunions de l’Ordre, mentit Neville. Je sais très bien ce qu’il s’y dit. Tu n’as jamais eu à entendre un rapport de Snape, n’est-ce pas ? Le soir de l’attaque à Godrics Hollow, tu n’as jamais eu à entendre l’exacte vérité de ton camp, hein ?!

— Mon père n’a pas…

— Ton père est un des leurs, coupa Neville. Tu n’as jamais eu à supporter le sortilège Doloris, hein ? Moi oui. Et c’était ta tante qui me l’a lancé, Malefoy. J’ai vu ma grand-mère se faire tuer sous mes yeux. Toi, qu’est-ce que tu sais de ce qu’ils font au juste ?

— … Je…

— Tais-toi. Tu ne sais pas ce que c’est que d’être la cible de ton camp. Tu ne sais pas ce que vous faites à vos ennemis, à de vieilles dames, à de jeunes enfants. À des gens sans défense, sans pouvoirs magiques. Juste parce que vous pensez que vous en avez le droit, et qu’eux, n’en ont aucun. Tu ne sais rien de ce qu’un Mangemort, un mec comme ton père ou Snape, peut faire. »

***ALM***

La porte de sa cellule s’ouvrit brutalement. Il entendit quelques rires, son nom être vaguement prononcé. Ron voulut voir ce qu’il se passait, mais ses yeux étaient gonflés par des coups dont il n’avait aucun souvenir. Sa gorge était sèche et il avait faim. Lui apportait-on à manger ? Il avança la main, à l’aveugle, celle qui lui appartenait encore, quand une violente douleur lui vrilla les nerfs du bras et du coude. Il la ramena rapidement contre lui et son autre main de métal en caressa le dos, certains doigts étaient tordus, quelqu’un venait de lui marcher dessus.

« Ne nous touche pas avec ton sang souillé par la traîtrise ! » Grogna une voix terrifiante que Ron n’avait jamais entendue.

Il voulut parler, répondre quelque chose. Dans sa tête, son instinct animal lui dictait de se taire, sa raison de réclamer à boire. Il ne put que croasser en guise de réplique et ça sembla amuser son tortionnaire.

« Quoi ? Qu’est-ce que t’essayes de nous dire, sale roux ?

— …u…

— QUOI ? Aller, parle, espèce de morveux pathétique, parle clairement !

— …eau…

— Ta salope de mère a pondu 7 bâtards sans leur apprendre la politesse, ou quoi ?! Demande mieux, ou j’te laisse crever ici.

— … s’il… eau… s’il vous… plaît…

— AH BEN, TU VOIS ?! »

La satisfaction dans l’intonation du Mangemort fut comme un coup dans l’estomac pour Ron qui sentit son sang battre plus fort encore dans sa tête terriblement douloureuse. Mais sa gorge et sa bouche lui brûlaient trop pour qu’il ne réponde quoi que ce soit. Un liquide coula sur sa joue et son nez, il ouvrit immédiatement la bouche, désespéré, et se maudit de se sentir même reconnaissant. Mais la tiédeur du liquide, l’aigreur sur sa langue le tirèrent brutalement de sa torpeur et il s’ébroua comme un animal. Le Mangemort jappa de rire, fier de son tour.

« BAH ALORS ? T’AS PAS SOIF ?! »

Ron força ses yeux à s’ouvrir et il distingua péniblement une énorme carrure chevelue devant lui, un cou massif et de grandes cuisses qui disparurent derrière une robe de Mangemort rabattue. Il se recroquevilla contre le mur, essuyant son visage de sa manche, les nerfs et l’esprit à vif. Pour l’instant, il était en vie, mais cela ne semblait pas être la priorité de son Ennemi.

***ALM***

« Nous en savons désormais davantage sur l’explosion survenue dans le centre de Londres ce matin vers 10h. Sur place, retrouvons notre envoyé spécial Adam Burnwood. Adam, vous avez des informations supplémentaires de Scotland Yard ?

— … Tout à fait, James, notre équipe a pu se faufiler près des lieux pour interroger l’Inspecteur en Chef qui renâclait à répondre à nos questions. Je vous propose de visionner notre microreportage à ce sujet :

« De la fumée s’élève encore de ce qui reste de vieilles toilettes publiques désaffectées. Longtemps sujettes à controverse dans le voisinage et plaintes nombreuses déposées auprès de la mairie pour se voir enfin rasées, les toilettes ne gêneront désormais plus les Londoniens. Autour d’un cratère de 4 mètres de large et d’une profondeur encore inconnue, Scotland Yard a dressé un cordon de sécurité qu’il nous est impossible de franchir, taisant les dommages réels de cette étrange explosion. Stupéfaits, les habitants et les personnes travaillant aux alentours racontent tous la même chose : un léger tremblement de terre avant que le sol ne s’ouvre sous leurs pieds, engloutissant ces W.C tant détestées. Explosion de canalisation ? Attentat raté visant en réalité les bouches du métro ? Nous avons posé nos questions à l’Inspecteur en Chef chargé, semble-t-il de l’affaire.

« Il n’y a, pour l’heure, aucune raison de conclure à un attentat. Bien qu’à cette heure le centre de Londres soit très fréquenté, le rayon limité de l’explosion ainsi que sa localisation laisse peu de doute quant à la piste accidentelle.

— Pourtant, nous voyons bien que Scotland Yard est déployée sur une affaire relevant normalement de la City of London Police…

— Devant le contexte actuel extrêmement tendu, nous apportons tout notre soutien à nos collègues de la City pour gérer cette crise sur le plan communication, vous n’êtes pas sans savoir que…

— Pouvez-vous donc expliquer pourquoi certains de vos hommes et femmes ici présents portent l’uniforme de la SCO19, alors que de votre aveu même, la piste terroriste est à écarter ?

— … Pour la sécurité de tous nos concitoyens, nous ne pouvons nous permettre de prendre le moindre risque, le contexte actuel… » »

Harry fronça les sourcils en regardant le reportage, quelque chose n’allait pas. Il sentait instinctivement que ce qu’il se passait était lié à leur guerre et le pauvre homme semblait s’empêtrer dans des explications confuses, les yeux voilés comme seul un sortilège Impardonnable pouvait faire. Il avait allumé la télévision après qu’ils aient reçu un sms d’Hermione quelques jours auparavant, les informant de ce qu’il s’était produit à Square Grimmaurd. Depuis, les jeunes gens restaient presque exclusivement branchés sur la BBC pour tenter d’apprendre quelque chose en direct à ce sujet, mais si l’affaire de Square Grimmaurd s’était transformée en « attaque au couteau de terroristes », ce qu’il venait de se passer allait être plus difficile à étouffer. Des toilettes qui explosent mystérieusement ? La magie était forcément dans le coup.

« C’est le Ministère qui a été attaqué, précisa Severus par-dessus son café noir. Étrange que Grang… Lafayette n’ait envoyé un message à ce sujet. Difficile de croire qu’ils ne sont pas déjà au courant avec Sinistros.

— MERLIN ! s’ébroua Harry, est-ce qu’il…

— Calmez-vous ! coupa Snape. Nous ne pouvons rien faire de plus ici, Jane enverra un message pour avoir de leurs nouvelles. Le sort de votre parrain n’a guère plus d’intérêt que de savoir qui aurait fait une telle chose, et pourquoi.

— Ce n’est pas évident, Severus ? Nos ennemis ont tenté d’atteindre Sinistros chez lui, ils ont tout à gagner à s’en prendre directement…

— Non. À moins qu’Il n’ait changé d’avis concernant le rôle que doit jouer le concurrent de votre ami, Il n’a aucune raison de faire du Ministère une cible d’attaque.

— Assez de ces noms ! Sirius est en danger, Ron a été enlevé et Merlin sait ce qu’ils sont en train de faire. Vous croyez vraiment que je vais le laisser se faire torturer, ou que sais-je encore, sans réagir ?!

— Ca suffit Harry ! tonna Severus excédé. Vous oubliez ce qu’il s’est passé l’année dernière ? Ce que le Seigneur des Ténèbres a voulu faire en vous faisant miroiter que Sinistros était entre ses mains ?! N’avez-vous pas compris qu’Il utilise les émotions de ses ennemis pour les retourner contre eux ? Vous n’aiderez jamais autant votre ami qu’en gardant votre calme et vos distances. Et ça passe par le respect de l’anonymat le plus total. Nous sommes recherchés, dois-je vous le rappeler… ? ajouta-t-il de sa voix doucereuse.

— Non, commença Harry la voix pleine de colère. Mais s’Il s’en est pris à Ron, c’est pour…

— Vous atteindre, coupa une nouvelle fois Snape. Oui, votre ami connaît certaines choses à votre sujet mais, Morgane nous en préserve, il ne sait pas l’essentiel, et encore moins l’objet de votre mission. Voilà à quoi servait toutes les cachoteries que vous avez fait cette année, voilà à quoi servait la distance que vous avez pris avec lui : à le protéger. Vous avez risqué votre amitié pour lui sauver la vie. Continuez sur cette voie, car il n’y en a pas d’autre. Face au Seigneur des Ténèbres, il n’y a que la solitude qui permet de sauver des vies…

— De la même façon que vous maintenez une distance avec…, répliqua méchamment Harry en plissant des yeux.

— Hey, mais c’est Tonks ! » Les coupa Luna sans faire grand cas des surnoms.

Elle pointait du doigt une partie de l’écran. Derrière le Commandant toujours en train de subir le pire interrogatoire de sa vie, on pouvait voir, dans un uniforme Moldu, une silhouette familière aller et venir en arrière-plan. Si les cheveux de Tonks étaient d’un noir très discret, ils reconnurent son visage de jeunette coincée dans le corps d’une militaire de 30 ans. Elle avait l’air épuisée, ses traits étaient tirés et elle semblait être là pour surveiller le déroulé des opérations Sorcières, tout en gardant un œil attentif sur le Moldu qui était interrogé.

« Pourquoi n’a-t-elle pas davantage transformé son visage ? demanda Harry.

— Ils ont dû se laisser surprendre. Les Moldus réagissent trop vite désormais, surtout vos journalistes, ajouta Severus en donnant un coup de tête en direction de Jane. Je suppose que c’est la B.I.T.E qui est en opération, ils doivent la déployer systématiquement, désormais.

— Ah vous arrivez à dire « bite », vous ?

— Pas « bite », Miss, la B.I.T.E… Peu importe. Je ne souhaite pas m’avancer, mais je pense peu probable que l’attaque vienne de Lui. Ou alors perd-Il définitivement la tête.

— Il n’est plus comme avant, confirma Harry. Quelque chose se passe de son côté.

— Vous pensez à quoi, au juste, Severus… ?

— Rien, une simple intuition. »

***ALM***

« Pourquoi nous n’avons pas été appelés, à ton avis ? » Demanda Belloc en se grattant paresseusement la tête avec le bout de sa baguette.

Son comparse referma la porte sur leur prisonnier misérable, haussant les épaules.

« Ch’sais pas. P’tet’ que c’est un autre escadron qui y est allé. Des recrues nouvelles-nouvelles, t’vois ? Comme pour une mission kamikaze ?

— Une quoi ?

— Une mission kamikaze, un truc de suicidaires-là. Tu viens, tu poses ta bombe, t’exploses et après tu gagnes tout plein d’trucs selon tes croyances.

— Kevin, t’es vraiment le pire Mangemort qui soit. T’as trop trempé chez tes p’tites moldues, elles t’ont pourri la tête avec leurs conneries.

— Ouais, ouais, p’tet’ ben qu’suis un vrai queuetard de Sang-de-Bourbe, mais ya pas tout à j’ter chez eux. À commencer par leurs meufs, si tu vois c’que j’veux dire… »

Un léger gémissement dans la geôle coupa le rire gras du Mangemort, qui tapa contre la porte pour faire taire leur captif.

« Ouais, ouais, je vois, répondit Belloc agacé. Et pour toi ça serait ça que fait Abernathy et les autres ? Prendre des nouveaux pour les faire exploser partout ?

— ‘La pas explosé le Ministère ?

— Si… je crois.

— Bah, voilà ! »

Le dénommé Kevin releva le menton fièrement comme s’il avait démontré quelque chose d’extraordinaire au prix d’un argumentaire poussé et impressionnant. Son comparse ne paraissait pas plus convaincu, mais en l’absence de réplique, il accepta l’idée qu’il n’était peut-être pas totalement dans le faux. Ils laissèrent seul le prisonnier qui, malgré son épuisement et sa souffrance, n’avait pas perdu une miette de la conversation. Ainsi, Ron apprenait que le Ministère avait été la cible d’une attaque qui laissait les Mangemorts perplexes. Il pensa immédiatement à Sirius, qu’il imagina être la personne principalement visée, compte tenu de l’échec de l’attaque de Square Grimmaurd. Mais, très vite, il pensa surtout à son père. Travaillait-il ce jour-là ? Avait-il été touché ? Il s’abîma dans son angoisse et sa faim, se laissant happer par les ténèbres glaciales de sa cellule, jusqu’à ce qu’une étrange impression ne le tire de sa rêverie. Il ouvrit légèrement les yeux, observant le judas qui était ouvert sur une paire d’yeux gris acier qu’il ne parvenait pas à remettre sur un visage. Il tenta de dire au Mangemort de décamper, mais retourna dans les limbes de l’inconscience.

Lucius referma le judas et fronça les sourcils. Que venait faire Weasley dans le plan du Maître ? Il voulait certainement l’utiliser pour atteindre Potter, mais dans quel but ?

« Tu te fais du souci pour le rouquin ? »

Malefoy se retint de ne pas sursauter et se détesta de n’avoir pu entendre l’importun arriver. Il devait être plus que jamais sur ses gardes et pourtant, ce genre de détails fuyaient son attention tant elle était accaparée par le tableau général qui ne cessait de prendre de l’ampleur.

« Tu poses des questions d’une rare imbécilité, Abernathy. »

Il ne prit pas la peine de se retourner et reprit sa route en direction du salon principal, laissant son interlocuteur lui courir après pour lui parler. Il avait en horreur cet homme qu’il considérait comme dangereux et sans éducation. Et cet ancien Gryffondor avait curieusement su prendre avantage de la mort de Bellatrix pour tenter de se glisser à sa place. Sans avoir la confiance et l’oreille du Maître, il avait néanmoins cette formidable capacité à semer le chaos autour de lui et à coordonner les Mangemorts pour les attaques. De quoi satisfaire amplement Voldemort qui les envoyait aux quatre coins du Royaume-Uni répandre la terreur sur les Moldus, ainsi que sur les Sorciers soupçonnés de les aider. Lucius savait que le premier cercle était très peu concerné par ces raids, pour la bonne raison que le Mage Noir gardait ses meilleurs éléments pour traquer Potter et ses alliés. Mais après quelques semaines infructueuses, il perdait de plus en plus patience et Abernathy en profitait pour glisser l’idée d’utiliser ce qu’il n’hésitait pas à appeler en coulisse « ses hommes ».

Malefoy le fit clopiner derrière lui jusqu’à la grande cheminée centrale. Ils étaient seuls, et cette idée ne lui plut pas particulièrement. Si Voldemort avait été présent, Abernathy aurait sans doute hésité à venir lui chercher des noises. Ce qu’il prenait l’habitude de faire depuis quelques semaines, particulièrement à propos d’un sujet.

« Tu sembles en tout cas en très bonne forme, Malefoy, siffla-t-il en se lovant dans un des grands fauteuils.

— Joseph, j’ai conscience que ton absence d’éducation ne soit pas de ton fait, mais tu serais bien avisé de ne pas oublier comment on s’adresse à quelqu’un de mon rang.

— Très bien, Monsieur le Ministre, se moqua Abernathy en omettant sciemment le titre de Lord. Justement, tu gambades bien pour un mec rescapé d’un grave attentat. Comment t’as fait pour ne pas y être ? Ce n’est pas comme si nous aurions pu te donner l’info, le Maître n’a pas commandité cette attaque.

— Les ordonne-t-Il toutes ? contra Lucius d’un air dédaigneux.

— Depuis la mort de Bellatrix, oui. Et Il les planifie même dans leurs moindres détails.

— Alors l’échec de Square Grimmaurd est un défaut de plan ou de mise en œuvre… ?

— Tu fais le malin vu qu’Il ne t’entend pas, mais…

Oh, tu penses que c’est un problème de préparation, donc ? »

Lucius ne put s’empêcher de lancer une œillade satisfaite à son cadet qui grinça des dents. Mais le nouveau Mangemort changea de tactique en même temps qu’il se décida à croiser les jambes.

« Je n’ai jamais préparé d’attaque, je n’ai aucun jugement à faire en la matière. Qu’en penses-tu, toi ? C’est bien toi le grand cerveau, pas cet imbécile de Robards. À moins que ça ne soit Tonks, qu’on sait tous être la petite chienne enragée du Ministère.

— Qu’est-ce que ton vocabulaire limité tente de me dire ? soupira Lucius feignant l’agacement, alors que sa main droite se raidissait sur le pommeau de sa canne.

— Que le Ministère c’est toi.

— Comment et pourquoi ferais-je une telle chose ?

— Ta Brigade a dû t’aider d’une façon ou d’une autre. Tu dois avoir dans ta poche des partisans qui…

— Des Aurors ayant faits le serment de combattre le mal et notre Maître accepteraient, d’après toi, de tuer des Sorciers et Sorcières innocents ? Et dans quel but ?

— Celui de te disculper, celui d’apparaître comme une victime. Tu n’as pas pu laisser Black prendre l’avantage sympathie dans les journaux. Être rescapé d’une attaque de l’Ennemi est si bon pour la côte populaire… être rescapé d’une attaque contre l’institution elle-même que tu souhaites représenter… C’est tellement plus puissant. »

Lucius cilla, fixant le feu d’un air interdit.

« Je crois que toi et le traitre avez beaucoup trop sous-estimé les Gryffondors, tonna la voix glaciale de Voldemort.

— Maître… s’inclina Lucius avec tout le calme dont il fut capable.

— Merci, mon Maître, se prosterna Abernathy.

— Ils sont plus malins que vous ne le pensiez, je suis curieux de connaître ta réponse, Lucius.

— Il… je dois admettre qu’il a vu juste, concéda le blond lentement. Néanmoins, je n’ai pas impliqué la Brigade dans cette attaque, mais des Moldus.

— AH ! tonna Joseph d’un air triomphant. Et il pactise avec cette fange de la race Humaine, il…

— Malin…, coupa Lucius en reprenant ses marques, mais il reste de basse extraction. Et son intelligence s’en ressent. »

L’insulte fit mouche sur cet homme immensément piqué de haine à l’égard des bourgeois, Lucius en profita pour continuer de s’adresser directement et uniquement à Voldemort.

« Vous devez déjà avoir compris, Maître. Mais il n’était pas question que l’on puisse remonter jusqu’à moi, encore moins que la Brigade soit salie. Mettre un Moldu sous imperium et lui ordonner de déposer un paquet piégé à la centrale de hiboux de Londres n’était guère compliqué. Le supprimer sans qu’il ne manque à personne non plus. Il me suffisait ensuite de ne pas être présent, ou du moins pas trop loin et de laisser le cours des choses filer.

— Tu ne t’impliques jamais, ne te montre jamais. Un vrai serpent qui reste tapi dans l’ombre pour attendre de frapper au bon moment, changeant de mue selon ses besoins.

— Merci, Maître. »

La voix de Lucius semblait assurée, mais quelque chose dans ses entrailles remuait. Des serpents, sans doute, tandis qu’il voyait Voldemort glisser vers lui comme l’un d’entre eux. Son instinct le mettait en garde.

« Un vrai serpent tapi dans l’ombre, répéta Voldemort en le regardant droit dans les yeux.

— Maître… ?

— Draco a quel âge ? »

Lucius sentit son ventre se tordre et il sut, sans même le regarder, qu’Abernathy peinait à contenir un sourire satisfait. Car cette conversation, celle-ci précisément, était le sujet avec lequel il le harcelait depuis quelque temps. Voldemort les avait-il déjà entendus ? Partageait-il sincèrement les mêmes inquiétudes ? Ou bien Joseph lui avait persiflé aux oreilles… ?

« Bientôt 17 ans, Monseigneur.

— Le même âge que les fils Goyle et Crabb, n’est-ce pas ?

— Oui, Maître.

— Qui ont reçu la Marque cet hiver, pour rejoindre nos rangs dans cette période charnière.

— C’est exact.

— Ton fils ne devrait donc guère tarder à en faire de même, alors. Tiens-moi informé de la date que tu auras choisie. »

Lucius ne put soutenir davantage le regard écarlate de son vis-à-vis, sachant pertinemment qu’il l’interpréterait pour ce que c’était : de la peur, et une volonté de fuir.

***ALM***

« Tu ne sais rien, Malefoy. Rien de la guerre. Rien parce que tu n’as jamais été au front. Et c’est pour ça que tu n’as aucun allié. »

Neville termina sa tirade avec les dents et les poings serrés. Toute sa frustration à l’égard de son échec avec Kreattur, son inquiétude vis-à-vis de Ron, sa haine sourde pour le blond qui avait enflé avec le temps ; tout ceci ressortait au moment le moins opportun, alors même que les cours du matin allaient se terminer et que les élèves débouleraient par centaine pour les cueillir dans cette empoignade. L’heure du déjeuner arrivait à grands pas et il ne restait qu’une poignée de minutes de calme à Poudlard avant de reprendre sa vie normale. Une vie qui serait à nouveau perturbée par l’annonce de l’attaque que tous ignoraient pour l’heure. C’est donc un Draco inconscient des enjeux actuels qui répondit, balbutiant presque :

« Stupide Gryffondor, il n’y a pas que le combat qui compte il y a aussi… on risque tous notre vie avec cette guerre, peu importe… peu importe…

— Tu es lâche, le coupa Neville, agacé. Le Professeur Smith avait dit que vous alliez être en grand danger, vous les Serpentards, mais ce que je vois là, c’est juste un lâche. Tu n’as pas la Marque, et après ? Que feras-tu quand tu devras la prendre, eh ? Quand ton père…

— Mon père… » Tenta d’interrompre Draco avant de se taire soudain.

Il se rendit compte qu’il ignorait les intentions de son père à ce sujet. L’obligerait-il ? Penserait-il que Draco les suivrait ? Les suivrait-il, d’ailleurs ? Merlin interrompit ses pensées par un miaulement qui se transforma en bâillement. Le jeune homme se sentit soudainement épuisé, écrasé par l’Histoire. Il s’appuya sur le sablier contre lequel Neville l’avait acculé.

« Je ne veux pas. »

Il avait expiré ça comme s’il s’agissait de son dernier souffle. Le Gryffondor fronça les sourcils et demanda brutalement :

« Tu ne veux pas quoi, Malefoy ?

— Je ne veux pas… Je ne veux pas être Mangemort, s’entendit-il avec effroi formuler ça à voix haute. Je ne suis pas un Mangemort. »

Il releva la tête avec un semblant de certitude dans les yeux, croisant le regard de Neville qui paraissait sceptique.

« Tu n’as peut-être pas le choix. »

Il avait répondu ça sans animosité aucune et Draco le prit comme un coup de poing dans l’estomac. Il cilla, sentit sa gorge devenir sèche. La phrase tournait dans son esprit tandis qu’il cherchait une réponse qui ne vint jamais. Peut-être, peut-être qu’il n’avait pas le choix. Pas le choix. Pas. Le. Choix.

Merlin miaula une nouvelle fois et bondit sur deux marches plus hautes, avant de se retourner vers les étudiants et de miauler en continu jusqu’à ce que Neville vienne à sa hauteur pour tenter de comprendre ce qu’il n’allait pas. Le chat miaula de plus belle en l’évitant, dardant son regard sur Draco qui ne voyait plus trop l’intérêt de se poser des questions à propos de cet animal ou de son prétendu propriétaire.

« Attends, je crois qu’il veut un truc. » Murmura Neville.

À peine eut-il dit ça que le chat bondit dans les escaliers, les invitants clairement à le suivre.

Pas le choix ?

***ALM***

Une délicieuse odeur de lard en sauce et de pois cassés le réveilla brutalement. À moins que cela ne soit la terrible crampe que cela ne déclencha dans son estomac ? Ron chercha d’un regard brumeux l’origine de cette torture et vit clairement qu’on avait installé dans un coin de la pièce un bureau, une chaise sur laquelle était un Sorcier et un repas complet et chaud. Il se redressa tant bien que mal, son poignet le faisant toujours atrocement souffrir, incapable de dire depuis combien de temps il était là. Le Sorcier avait le visage caché par la pénombre, mais il amena d’un geste simple de la baguette le plat à se mouvoir à la portée du jeune homme. Ron voulu rejeter la nourriture, voyant là un danger potentiel, mais sa faim et sa soif lui ôtèrent tout jugement. Il se jeta dessus avec gloutonnerie, chérissant chaque goutte de sauce qui inondait à présent ses dents et hydratait ses lèvres gercées.

« J’espère que tu sauras nourrir ma curiosité en retour, Ronald Weasley. »

Ron tressaillit en entendant cette voix. Pendant des années, Harry la lui avait décrite, tout d’abord avec les mots d’un enfant traumatisé de 11 ans, puis peu à peu avec ceux d’un jeune homme qui savait qui il devait affronter et vaincre. Bien qu’elle ait résonné dans les voûtes de Poudlard lors de l’attaque, elle le transperça comme s’il entendait pour la première fois. Cela lui coupa instantanément l’appétit, et il repoussa l’assiette encore à moitié pleine, ce qui déclencha le rire suraigu qu’Harry connaissait depuis le meurtre de ses parents.

« Mange, tu vas avoir besoin de forces pour survivre à cette longue nuit qui nous attend. »

Voldemort se pencha légèrement en avant, dévoilant son visage à la lumière et ses yeux écarlates se plongèrent dans le regard de son cadet. Ron hoqueta quand il sentit l’esprit du plus grand mage noir de ce siècle écraser le sien avec violence.

***ALM***

Depuis qu’il avait ramené la coupe à la maison et qu’ils avaient compris de quoi il s’agissait, Narcissa ne parvenait plus à se sentir en sécurité au manoir. À chaque instant, elle sursautait au moindre bruit en s’attendait à voir débarquer le Seigneur des Ténèbres ou un de ses sbires. Sans cesse, son esprit revenait avec une terreur sourde sur cet objet qu’ils avaient caché dans un mur enchanté de leur demeure. Était-il vraiment introuvable à cet endroit ? Est-ce que l’elfe de maison n’allait pas tomber dessus par inadvertance ? Et si Voldemort voulait récupérer la coupe après la mort de Bellatrix ? À cette idée, Narcissa se redressa immédiatement de son fauteuil, la colonne vertébrale traversée d’un frisson glacial horriblement désagréable. Il allait venir, c’était évident ! Voldemort devait se douter que le leg allait lui être transmis… À moins qu’il ne veuille pas intervenir de peur de leur mettre la puce à l’oreille… ? Cette oscillation entre terreur et soulagement lui faisait battre le cœur à vive allure et lui donnait le tournis.

Quand la porte d’entrée claqua sur son époux, Narcissa se leva d’un bond en tirant sa baguette, prête à faire face. Lucius la cueillit dans un salon qui sentait légèrement la transpiration et l’angoisse. Cela faisait des heures que sa femme ressassait ses pensées sans trouver d’échappatoire.  La voir dans cet état ne fit qu’augmenter sa propre détresse quand il sentit qu’il ne pourrait pas se reposer sur son calme et sa sagesse habituels. Il eut l’impression de flancher, que son être tout entier était prêt à s’effondrer. Elle le comprit immédiatement et gémit d’angoisse :

« Que se passe-t-il ? Quelqu’un a compris pour l’attaque ? »

Lucius lui jeta un regard plein d’amour, esquissant un bref sourire. Bien sûr que Narcissa savait que c’était lui. Comment cette femme pleine d’intelligence et qui le connaissait si bien n’aurait pas pu deviner ses desseins ?

« Tu es vraiment quelqu’un d’extraordinaire. » Murmura-t-il avant de s’asseoir avec lassitude dans un fauteuil en face.

Il leva sa baguette et l’agita pour conjurer des verres et une bouteille qu’il tendit à son épouse. Narcissa ne goûta ni le compliment ni l’amour de son mari, certaine que quelque chose de très grave se passait.

« Bois, s’il te plaît, assieds-toi, et bois quelque chose. Tu as mangé, aujourd’hui ?

— Ça suffit, lui répondit-elle d’une voix tendue. Qu’est-ce qui se passe ? »

Il hésita à tout lui raconter, voulant sans doute éviter de se montrer trop brutal, mais l’information tournait en boucle dans son esprit. Il n’arrivait plus à penser. D’ordinaire, il aurait déjà trouvé une solution, imaginé mille plans, mais ça lui était impossible. Non, ce soir, Lucius Malefoy était incapable de sortir son fils de cette impasse. Lui qui avait su éviter Azkaban, la mort et gravir les échelons politiques se sentait impuissant face à la situation. Le désespoir l’envahit soudain, et des larmes douloureuses montèrent à ses yeux. Avec la disparition du Mage Noir 16 ans auparavant, il avait tant espéré que son fils…

« Il veut que Draco prenne la Marque. »

Le choc se lisait sur le visage de Narcissa qui sentit ses jambes céder sous son poids. Ce que cette mère avait tant redouté se produisait bel et bien. Elle tomba à genoux au sol, incapable d’articuler de parler. Dans son esprit se bousculait une supplique : « Pas Draco, pas Draco, je vous en supplie, pas lui ! »

« Je dois décider une date. » Ajouta Lucius d’un air absent en vidant d’une traite son verre.

Toujours incapable de parler, Narcissa serra ses bras autour de son ventre comme pour protéger son enfant. Elle ne put retenir ses larmes.

« Je n’ai pas su quoi répondre… » Avoua Lucius avec honte.

Narcissa serra les dents, eut envie de hurler contre son mari, de l’accuser de les avoir mis dans cette situation, d’avoir pris les mauvaises décisions, mais elle savait au fond d’elle-même qu’ils avaient tous deux emprunté cette voie en pleine connaissance de cause. Tous deux avaient cru dans ce Mage aux idées brillantes et pleines de bon sens pour le monde Sorcier. Et tous deux avaient compris l’intérêt qu’ils avaient à jouer cette partie-là. Ils n’avaient juste pas compris qu’ils avaient misé leur bien le plus précieux : leur unique enfant. Elle gémit comme si elle était blessée physiquement. Quand Draco était né, ils n’avaient guère pensé à cette éventualité, prétendant qu’ils seraient même fiers. Mais il n’avait pas deux ans quand Voldemort disparut pour laisser place à une ère de paix et de tranquillité. Ce qu’ils n’avaient jamais connu eux-mêmes, puisqu’ayant vécu la guerre contre Grindelwald puis celle de Voldemort, Narcissa et Lucius s’étaient surpris à espérer pouvoir l’offrir à leur fils. Alors, quand le Seigneur des Ténèbres avait fait son grand retour…

« Je ne sais pas quoi faire. » Se lamenta son mari à voix haute. « Il n’a pas le choix. Nous n’avons pas le choix. »

Narcissa trembla à cette assertion, le visage ravagé de larmes tandis qu’elle laissait son regard s’abîmer dans les flammes du foyer, cherchant une chaleur qu’elle ne parvenait pas à ressentir. Si seulement Dumbledore n’était pas mort, pensa-t-elle, peut-être aurait-il pu protéger Draco… ? Et Severus… Si Severus était toujours… Elle hoqueta.

« Non. »

Lucius releva la tête, choqué, en direction de sa femme. Il la vit serrer les poings, dardant le feu d’un regard déterminé et rageur. Il ne comprit pas.

« Non ! » Répéta-t-elle avec une conviction infaillible. « Non. Il n’aura pas notre fils. Il ne nous prendra pas notre fils.

— ‘Cissa, nous…

— J’ai dit « Non ».

— Mon Aimée… Il nous tuera tous si nous… Nous n’avons pas le choix.

— Si. Si, nous l’avons, maintenant. »

Âmes sœurs

Enfoncé dans l’énorme fauteuil qui faisait face à l’âtre, Draco Malefoy affectait de ne pas s’intéresser à la conversation qui se tenait entre Pansy Parkinson et Théodore Nott. Tout aussi silencieux et apparemment désintéressé, Blaise Zabini nettoyait sa baguette avec application en gardant les yeux rivés sur son ouvrage. La salle commune des Serpentards était pratiquement vide à cette heure d’interclasse et celles et ceux qui auraient pu lézarder avec eux se tenaient à l’écart, conscients de ne pas être les bienvenus dans ce petit cercle restreint.

« C’est une perte de temps ! se plaignit Pansy pour la quatrième fois de la soirée. Pourquoi doit-on faire ces stupides devoirs sur ces stupides Moldus ?! Ce n’est pas nous qui nous intégrons, c’est aux Sang-de-Bourbe d’apprendre, non ?

— Et puis qu’est-ce qu’on s’en fiche de leur pollution ? De leurs guerres…, renchérit Nott. Ils n’ont qu’à étouffer sous leur bêtise et s’entre-tuer, pour ce que ça me concerne !

— Smith ne nous faisait pas faire de devoirs au moins !

— Parce que lire ces stupides comiques et être coincés à ses stupides séances de ciné ne te suffisaient pas, peut-être ?

— Des comics, corrigea Zabini sans relever les yeux de sa baguette.

— Peu importe, c’était de la merde. Voilà ce que c’était ! De stupides images pour nous dire que c’était mal la guerre, et qu’il ne fallait pas détester les gens… C’est vrai, elle racontait n’importe quoi, mais au moins, on n’avait pas des rouleaux entiers de parchemins pour décrire les facteurs d’autodestruction de ces imbéciles.

— Hyde est vraiment bizarre, si vous voulez mon avis… Je ne crois pas qu’il soit réellement de notre côté pour nous surcharger comme ça, compléta Nott. Après tout, ces cours sont là normalement pour les Nés-Moldus, non ? Pourquoi nous obliger à faire autant de paperasse pour quelque chose d’aussi insignifiant que l’impact du plastique dans l’océan. Du plastique ! répéta-t-il. Quelle invention débile, franchement !

— Tu ne dis rien, Draco, minauda soudain Parkinson en tournant son attention vers le blond. Tu regrettes les cours de l’autre Australienne ? »

Malefoy esquissa un rictus déplaisant et répliqua sans pour autant concéder à Parkinson le regard qu’elle attendait tant.

« Je ne dis rien parce que comme toujours, vous ne comprenez rien à la Politique. »

Le simple rappel de la position de son père agaça les deux autres qui se raidirent en attendant la suite. Zabini tira un carré de soie sauvage pour terminer de polir sa baguette.

« Il ne s’agit pas de nous intéresser, nous, au plastique, mais de faire prendre conscience aux Nés-Moldus qu’ils échappent à une civilisation décadente et vouée à l’autodestruction. »

Il avait dit ça comme s’il s’agissait d’une évidence, et cela sembla frustrer Pansy au plus haut point.

« Pourquoi nous donner à nous les devoirs, alors ? Il ne pourrait pas se contenter de les filer uniquement à ces…

— Pas étonnant que tu n’aies rien noté dans ton projet d’après ASPICs, se moqua Draco avec cruauté. Tu crois vraiment que filtrer les devoirs et les sujets est pertinent dans une guerre de propagande ? Sais-tu au moins ce que ce mot veut dire, Parkinson ? »

Il plongea son regard gris acier dans le sien, affichant un mépris tel que la jeune fille s’enfonça un peu dans son fauteuil pour y échapper.

« Hey, calme-toi le Petit Ministre, cracha presque Nott. Elle pose une question légitime. Pourquoi on devrait se cacher ? Ton père ne contrôle-t-il pas pratiquement tout le Ministère ? Pourquoi on devrait faire dans la Politique Politicienne, hein ?

— Pourquoi tant de pincettes, de quoi on devrait avoir peur ? renchérit Pansy rassurée dans ses positions.

De quoi ? De l’opinion publique peut-être, qui n’est pas prête… de l’opposition possible aux idées du Seigneur des Ténèbres… ? Des résistants qui continuent de…

— C’est une tactique de lâches ! Dumbledore est mort, Scrimgeour est mort, Black n’est pas près de devenir Premier Ministre et Potter est au pire en fuite, au mieux mort également ! coupa Pansy. Il n’y a aucune raison de continuer cette mascarade plus longtemps. Qu’on tolère ces Sang-de-Bourbes dans l’école le temps de la transition, soit. Mais qu’on se retrouve à fouiller les mêmes merdes qu’eux c’est…

— La guerre est très loin d’être finie ! s’ébroua soudain Draco. Et crier victoire alors même qu’on n’a pas le corps refroidi de nos ennemis est la pire des erreurs. Du reste, Parkinson, ce ne sont pas les Sang-de-Bourbe que le Ministère cherche à faire plier, mais les Sorciers à convaincre. Ces devoirs, entre autres, sont aussi là pour nous rappeler notre supériorité.

— Et en quoi ça sert les intérêts du Seigneur des Ténèbres ?

— Sont-ce vraiment les siens, d’ailleurs ? »

Nott avait marmonné ça d’un air rogue en fixant Draco comme s’il était le représentant même de son père. Zabini s’arrêta immédiatement, guettant avec la plus grande attention la réaction du blond. Ce dernier plissa des yeux en reniflant de dédain.

« Les intérêts de mon père sont ceux du Seigneur des Ténèbres, puisque c’est votre question.

— Vraiment ? Ne brigue-t-il pas le poste de Premier Ministre pour son bénéfice seul ? continua Nott.

— À qui profiterait sa nomination, hein ? Le Seigneur des Ténèbres a besoin d’une interface policée pour ses idées, c’est précisément ce dont il a manqué lors de la dernière guerre et c’est une erreur qu’il ne semble pas vouloir reproduire, il…

— Es-tu en train de dire qu’il s’est trompé ? le coupa, horrifiée, Parkinson.

— Il a décidé de changer de tactique, contra Draco la gorge sèche. Père ne serait pas à son poste si le Seigneur des Ténèbres ne le désirait pas. Du reste, il ne serait pas le premier Premier Ministre qu’on ait eu dans la famille, ça n’a rien à voir avec l’argent ou le prestige, nous, Malefoy, n’en manquons pas. »

Cette dernière saillie était assez vulgaire pour que les deux l’entendent pour ce qu’elle était et la prennent fort justement pour eux-mêmes. Ça eut le mérite de faire cesser la conversation, du moins sur l’instant. Sous le regard bien trop intelligent de Zabini, Draco prit congé de ses collègues et s’enfuit dans les couloirs, prenant soin d’afficher la mine satisfaite du gosse privilégié qu’il devait être. Mais quand il put enfin sortir des cachots, il expira soudainement, s’affalant légèrement sur lui-même. Il était épuisé de cette tension perpétuelle entre lui et les autres Serpentards. De tout temps, Draco avait été persuadé qu’il aurait tiré grand bénéfice d’une haute position de son père. Maintenant que la guerre était à nouveau là et qu’il n’était plus question que de Politique, qu’on scrutait ses moindres faits et gestes comme ceux d’un fils de, ou d’un potentiel futur Mangemort de premier cercle, il sentait sur ses épaules un poids considérable. Et pour la énième fois depuis quelque temps, le jeune homme se surprit à repenser à sa némésis en fuite. Potter avait-il vécu ça toute sa vie ? Connaissait-il cette solitude ? Draco se secoua mentalement, il n’était pas l’heure des apitoiements de Gryffondor. Il était né pour ce rôle et saurait le tenir. Mais dans quel but ? Lui souffla une petite voix mentale et mesquine. Était-ce seulement ses intérêts à lui qu’il servait en jouant cette comédie ? Instinctivement, il caressa l’arête du petit carnet qui était dans la poche de son veston et médita un moment sur cette question. Une sorte de soupir le tira de sa réflexion. Draco remis les bras le long de son corps et se tendit, prêt à accueillir l’impudent qui croisait sa route. Mais il attendit quelques secondes sans que rien ne vienne, jusqu’à ce qu’un petit éternuement lui fît plisser les yeux, il s’approcha, tirant doucement sa baguette jusqu’à voir derrière une statue un petit chat blanc renifler le bas d’une tenture. Draco resta immobile, observant le chat se frotter au tissu, puis lui faire dos avant de lever la queue. Une forte odeur d’ammoniaque s’éleva et le Sorcier comprit que l’animal venait de marquer son territoire. Il eut une brève pensée pour Miss Teigne qui n’allait pas apprécier, avant de se souvenir que la créature avait subi un sort similaire à son maître.

« Ce n’est pas chez toi. » Lui dit de but en blanc Draco en se disant qu’il passerait sans doute pour un fou à parler avec un simple chat.

Merlin se retourna et le toisa de ses grands yeux en lui lançant un regard que Malefoy avait déjà vu chez quelqu’un. Puis, il tourna le dos au Sorcier et s’en fut d’un pas nonchalant.

« Hey ! Mais… Je t’interdis de m’ignorer ! » Bredouilla le blond en se sentant de plus en plus ridicule.

Il suivit l’animal qui trottait désormais dans les couloirs, jusqu’aux abords des anciens quartiers de Snape. Là, Merlin marqua une nouvelle fois, non sans jeter un regard de défi à Draco, puis il reprit sa route, se pavanant avec un toupet qui couperait la chique à plus d’un. Le jeune homme ouvrit la bouche, incertain quant à l’origine du chat, puis il décida de tenter tout de même :

« Tu connais Severus ? »

Les chats ne roulent pas des yeux, pourtant, ils semblent parfaitement capables d’en donner l’impression. Et Draco se sentit aussi stupide que s’il eut été confronté à l’homme en noir après une question malhabile. Il se raidit soudain. Si cet animal était proche du traitre, il était peut-être dangereux de traîner dans ses pattes. Mais s’il était effectivement proche, il n’avait désormais plus de maître et déambulait dans les couloirs sans…

« Tu étais son chat ? » Lui demanda-t-il en le suivant bêtement.

Merlin s’arrêta, sembla réfléchir un instant, puis retourna le dos à Draco.

« D’accord, mais tu savais que c’était ses appartements, n’est-ce pas ? À qui appartiens-tu ? As-tu un maître, seulement ? »

Merlin s’arrêta à nouveau et le fixa avec un air plus féroce, désormais. Draco se sentait incapable d’interpréter de tels comportements. Il n’avait jamais eu d’animaux domestiques, sa mère estimant cela sale pour un enfant et son père voyait cela comme une lubie prolétaire. Avec le temps, il s’était persuadé que les créatures magiques et non magiques n’avaient aucun intérêt si ce n’est de servir les Sorciers. Et c’était tout juste s’il accordait deux sous d’intelligence aux hiboux et autres chouettes qui apportaient les courriers. Pourtant, au fond de lui, Draco restait un petit garçon à qui on avait refusé d’acheter un Boursouf pour son cinquième anniversaire. Il se vexa de l’attitude du chat.

« Très bien, ben reste seul, puisque c’est comme ça, je m’en fiche !

— Je n’avais pas forcément envie de ta compagnie, Malefoy. »

Draco se mordit la langue pour s’empêcher de jurer et se retourna très lentement, composant un masque parfait pour faire face à Neville. Le Serpentard ne s’était pas rendu compte qu’il était arrivé au niveau du Grand Hall et qu’à présent, lui et Londubat se faisaient face sous les sabliers colorés. Pourquoi le Gryffondor traînait dans les couloirs à cette heure ? Pourquoi ici, alors que nous étions loin du repas, et que personne ne se souciait plus des scores ? Merlin ronronna, montant quelques marches du grand escalier et les toisant avec suffisance. Neville cligna légèrement des yeux, mais tenta de rester fixe sur Malefoy qui comprit pourtant immédiatement :

« Tu connais ce chat ! accusa-t-il. À qui il est ?

— Pas à moi, en tout cas.

— Il traînait dans les cachots, à marquer partout avec sa pisse. Il connaît Snape, j’en suis certain. À qui est ce chat ?!

— Tu es parano, il est au Directeur, je crois. Je le vois souvent redescendre de son bureau. »

Draco manqua de se tourner vers Merlin pour lui demander confirmation, mais il se retint. De toute façon, le félin remontait déjà les escaliers comme pour donner raison à Neville. Le blond fronça les narines et réattaqua :

« Que fais-tu ici ?

— La même chose que toi : je passe.

— Tu allais où ?

— Tu es préfet de Serpentard, Malefoy, pas de Gryffondor. Alors, lâche-moi avec ton interrogatoire. »

Draco s’apprêtait à répliquer quelque chose de puéril, quand il vit Neville monter les marches à la suite du chat sans lui prêter la moindre attention. Ça l’agaça au plus haut point, Potter, lui, avait au moins la décence de terminer proprement les joutes verbales.

« Tu ne sais pas ce qu’est un vrai interrogatoire, lança-t-il méchamment, il paraît qu’au Ministère, les gens craquent… et il n’y a personne pour témoigner des conditions dans lesquelles ils le font. »

Neville s’arrêta un instant et redescendit lentement quelques marches. Il se posta plus ou moins à la hauteur du blond et lui murmura :

« Oui, on raconte qu’au Ministère, on a appris des meilleurs pour inspirer la terreur. Et que leurs méthodes sont aussi efficaces que troubles. Le Ministère ne doit combattre que ceux qui portent la Marque, ou hésitent à le faire, n’est-ce pas Draco ? »

Il releva ses manches lentement, avant d’ajouter :

« Est-ce vraiment moi qui dois trembler à l’évocation de la Brigade ?

— Qu’insinues-tu ?

— Qu’il serait temps que tu décides de la posture officielle que tu vas adopter, Malefoy. Car tu es pour l’instant l’ennemi de tous et l’ami de personne. »

Neville remonta les marches, pensant que le jeune homme ne prendrait pas la peine de répondre.

« Et que sais-tu de mes amitiés, au juste ?!

— Qu’elles sont inexistantes, sinon tu n’aurais pas couru après un chat dans les couloirs. »

Il accéléra le pas, coupant court à toute réplique et plantant là Draco qui observa un instant les marches, songeur. Il aurait aimé répondre qu’il n’en avait pas besoin, que la recherche du lien amical était une quête de Poufsouffle en mal d’affection, mais seul dans le hall de Poudlard et avec pour unique perspective les cachots humides et pleins de suspicion, les mots ne vinrent pas. Pire, il savait parfaitement que Londubat avait pleinement raison, et qu’il devenait de plus en plus dangereux pour lui de ne pas clairement s’identifier. Son père jouait un jeu qui semblait peu à peu plus personnel, et lui devenait la cible des questions toujours plus pressantes concernant son engagement. La position importante de Lucius écartait la possibilité de prendre la Marque, pour des raisons politiques évidentes, mais Draco l’aurait-il prise de toute façon ? Aurait-il pu être un bon Mangemort ?

***

Son corps trembla soudain et elle ouvrit les yeux, paniquée. Avait-elle crié ? Dans la noirceur de la chambre, elle ne distinguait pas grand-chose. Il lui fallut quelques instants pour se souvenir où elle était. Avec qui elle était. Une main se posa sur son torse, entre ses deux seins, contre son cœur qui semblait vouloir sortir de sa poitrine. Elle était encore sous le choc de son cauchemar et ce geste lui fit énormément de bien.

« Vous ne dormez pas ? chuchota-t-elle du bout des lèvres.

— Ça m’est difficile avec votre agitation.

— Je suis désolée.

— Qu’avez-vous vu ? »

Jane frissonna à nouveau et elle se serra instinctivement contre lui. Severus sembla perdu un bref instant, avant d’ouvrir ses bras et de l’accueillir. Il allait répéter sa question quand elle daigna répondre du bout des lèvres.

« C’était confus. Cette fois-ci, je cours dans Poudlard toute nue pour échapper à Sebastian. Il rit. Mais c’est le rire de Bellatrix. Je trébuche et je tombe. Je ne sais pas où je suis, ça sent l’herbe et le feu, le sang et la sueur. Je suis seule et désespérée, Bellatrix-vampire se rapproche et je rampe pour lui échapper. Je rampe et je finis par tomber sur un couteau, je le sens du bout des doigts. J’entends votre voix. Vous… Vous hurlez. Vous suppliez. Vous me suppliez de faire ce qu’il y a à faire. Votre voix change. Elle… Votre ton… C’est un ordre, doucereux. Vous… Vous me dites de le faire. Que c’est facile. Que ça… »

Jane attrapa les poignets de Severus pour l’obliger à passer ses bras autour d’elle. Elle se verrouilla dans son étreinte, s’enfonçant contre sa poitrine comme s’il pouvait à lui seul éloigner ces images. Le Sorcier se garda de la couper, écoutant avec attention pour la première fois quelqu’un raconter ce qu’il avait l’habitude de prendre dans les pensées des gens. Jane inspira, tendit l’oreille pour vérifier que les enfants dormaient toujours à côté, puis continua en baissant plus encore la voix.

« … que ça me soulagerait, souffla-t-elle. Alors je lève le bras. Je lève le bras et au moment où ils me tombent dessus, je tranche, je taillade, je m’agite et je sens le sang couler à flots sur moi. J’en ai partout, il s’infiltre dans ma gorge, il me brûle les yeux. Quand il cesse de couler, je baigne dans une rivière pourpre. Et j’entends votre voix à nouveau. « Vous êtes mienne, maintenant », me dites-vous. Je regarde partout et je n’ai plus le couteau dans les mains, seulement une tête sans corps. Je hurle et je la jette au loin. Elle roule, et quand son visage se tourne vers moi…

— C’est le vôtre, termina Severus d’une voix profonde. »

Jane acquiesça en silence et posa sa tête contre son épaule. L’homme la tourna légèrement contre lui, et posa ses lèvres sur ses tempes avant de lui murmurer :

« C’est normal. Vos rêves sont parfaitement normaux, Jane.

— Pour une meurtrière, vous voulez dire… ?

— … oui.

— Je sais. Je sais que c’est mon esprit qui tente de digérer tout ça. Mais…

— Vous cauchemardez souvent ?

— Depuis Halloween, en fait. Avant, ça tournait autour de Sebastian et de…

— De moi. Nous échangions de rôle selon la nuit, n’est-ce pas ?

— Comment savez-vous…

— Je vous ai fait peur ce soir-là. Le contraire me choquerait. Votre esprit ne dissocie pas les deux monstres que vous avez vus. Il tente de vous mettre en garde. »

Jane se redressa lentement dans le lit et sembla hésiter un instant à se lever. Mais Harry et Luna dormaient toujours paisiblement à côté, elle ne pouvait aller et venir comme bon lui semblait dans son appartement. L’impression d’être envahie la saisit brutalement, et elle se trouva perdue dans ses décisions l’espace d’un instant.

« Ne me faites pas le laïus sur l’homme dangereux à fuir, s’il vous plaît, soupira-t-elle, épuisée. Je n’ai vraiment pas envie de jouer ce couplet dramatique.

— Je ne le ferai pas. Vous êtes adulte et lucide. J’ai déjà été stupide la dernière fois en évoquant le béguin pour votre sauveur donc…

— Je n’avais pas attendu cet évènement pour… »

Elle se tut. Severus hocha la tête sans qu’elle ne le voie et répondit.

« Je sais. Je pense même que je le savais, et que c’est précisément la raison de cette mauvaise phrase. Vous rêvez souvent ? changea-t-il légèrement de sujet.

— Pratiquement tous les soirs. Quand ça n’est pas sur lui, elle ou vous, c’est toujours le pont qui cède, je me réveille en ayant l’impression de tomber.

— L’attaque du Hungerford Bridge, comprit-il. Je n’avais pas réalisé que ça pouvait vous choquer.

— Je n’avais jamais survécu à un attentat, avant ça. Vous savez, avant votre entrée dans ma vie, le plus grave que j’ai pu vivre a été une agression dans le métro, donc…

— Une agression ? »

Severus semblait tendu et perplexe, comme comprenant difficilement la possibilité que la femme ait pu avoir une vie avant cette aventure. Jane se mordit légèrement la langue, se maudissant d’aborder la question, elle n’avait pas envie de s’étendre en détail ou même de se justifier. Elle répondit néanmoins :

« Oui. Une agression sexuelle, Severus. Quand quelqu’un vous touche alors que vous ne le voulez pas.

— J’ai compris. Qui est-ce qui… ?

— Je n’ai pas envie d’en parler, coupa-t-elle. Mais avec le recul, je crois que j’aurais cyniquement préféré que cela reste le point culminant de mes traumatismes. »

Elle se dégagea tout à fait et Snape accusa le coup, comme si elle le rejetait soudain, lui. Il tendit une main incertaine vers elle, jusqu’à toucher du bout des doigts son poignet. Jane ne bougea pas, il laissa ses doigts glisser le long de sa main, avant de la lui prendre délicatement. Elle serra ses doigts et s’approcha.

« Ça va. Pour cette histoire, ça va. Ça fait longtemps que j’ai réglé ça. Même si cette soirée d’Halloween, je n’ai pas su si Sebastian allait me dévorer ou…

— Ou les deux. Il aurait pu.

— Si vous n’aviez pas été là…, murmura Jane en se lovant à nouveau contre lui. Je n’ai pas compris comment ai-je pu me retrouver dans cette situation. Pourquoi n’ai-je pas eu le réflexe d’aller voir Minerva ou…

— Le charme du vampire, coupa Severus. Il vous pousse à agir comme la créature le désire, c’est même surprenant que vous ayez pu vous enfuir, même si c’était toujours sous son emprise. Peut-être est-ce que votre expérience Moldue vous a permise d’y faire face ?

— Vous n’avez pas hésité une seconde, souffla-t-elle. Pas une seconde, vous lui avez foncé dessus, vous étiez… Bon sang, vous étiez… »

Jane s’humecta les lèvres, comme à la recherche du bon mot. Il remua contre elle, la conversation qu’il avait eue avec Voldemort lui revenant désagréablement en tête.

« Vous étiez terrifiant. Mais aussi terriblement envoûtant. Peut-être même plus que lui. Bon sang, je parle vraiment comme une ado dépressive. »

Les doigts de l’espion remontèrent pour se nicher dans son cou, prenant son pouls d’une simple caresse. Jane sembla le comprendre, car elle soupira.

« C’est… je ne sais pas si je suis…

— Je crois que vous êtes normale, Jane. Les ténèbres sont fascinantes. C’est comme cela que l’on tombe dans la Magie Noire, que l’on prend la Marque. »

Dans la rue, un scooter passa en pétaradant, son phare projetant une lumière qui filtra à travers les volets. Snape croisa brièvement le regard de Jane, et se saisit de son menton.

« … Et que l’on peut se lier à quelqu’un de mauvais.

— Ce n’est pas le Mangemort qui m’attire. Pas particulièrement. C’est l’homme qui me faisait jouir hier soir. Celui qui me fait rire, parfois à mes dépens. Celui qui essaie de sauver les gens auxquels il a appris à s’attacher.

— Je suis tous ces hommes, Jane.

— C’est pour ça que vous êtes dans mes cauchemars. »

Elle posa un bref baiser sur sa bouche et il sentit un poids descendre dans son estomac, puis s’y dissoudre étrangement. Comme si le fait de faire enfin face à cela le libérait.

« Mais c’est aussi pour ça que vous êtes dans mon lit, que je me suis blottie dans vos bras quand j’en ai eu besoin. Vous pouvez comprendre ce que je ressens, vous pouvez comprendre que…

— Que vous avez pris du plaisir à la tuer. Que vous ne ressentez aucun remords à l’avoir fait. Et que vous êtes même… satisfaite de pouvoir partager ça avec moi. D’avoir cela en commun.

— C’est… malsain. Je sais.

— Je ne suis pas le mieux placé pour vous dire si c’est sain ou non. Je ne peux que recueillir vos confidences si vous en avez besoin. Je les comprends. »

Ils s’observèrent dans les ténèbres. Severus abaissa son visage à sa hauteur et caressa ses lèvres des siennes. La langue de la jeune femme effleura sa bouche, qu’il entrouvrit pour l’accueillir. Lorsqu’il la sentit soupirer contre lui, il la bascula à nouveau dans le lit, la couchant tout à fait sous lui. Il l’embrassa avec possessivité, puis piqua ses lèvres d’une série de baisers de plus en plus effacés. Jane releva légèrement ses cuisses, pressant ses hanches contre elle en le poussant de ses genoux. Elle se redressa et l’embrassa pleinement, sa langue goûtant la sienne avec avidité, mais Severus passa une main sur son front, comme pour l’enjoindre à la retenue. Il murmura, incertain quant à la justesse de ses mots, une inquiétude nouvelle lui tiraillant le ventre :

« Vous n’êtes pas seule.

— Vous non plus. »

Ils se pressèrent l’un contre l’autre, prêt à terminer cette conversation en muets.

« À L’AIDE ! »

Le cri douloureux de Luna les interrompit brutalement et ils se relevèrent pour passer chacun une robe de chambre. Severus fut le plus rapide à rejoindre le salon et ils trouvèrent Luna nue, tentant manifestement de plaquer Harry par les épaules au sol.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda immédiatement Severus en inspectant le visage de Harry.

— Nous faisions l’amour et il a… d’un coup, il a ralenti avant de ricaner. Et là il a repris et…

— Il vous a fait du mal ?

— Non, répondit Luna avec le visage fermé. Mais on aurait dit qu’il le souhaitait.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’il convulse ainsi ? s’alarma Snape qui ne comprenait pas pourquoi le jeune homme s’agitait les yeux fermés.

— Je l’ai frappé. Quand j’ai vu son regard, j’ai attrapé la statuette de… je ne sais pas et je l’ai frappé avec.

— Je crois que vous avez bien fait, souffla Jane en jetant un regard au buste de Nazgûl éclaté au sol.

— Vous dites que vous étiez en pleins ébats. Ils étaient tendres ou au contraire…

— Severus ?! À quel putain de moment ça nous regarde ?!

— À partir du moment où ça peut nous mettre tous en grave danger. Miss Lovegood, est-ce que oui ou non vous en étiez à des ébats sauvages ?

— Mon Dieu Severus, essayez…

— Oui. Plutôt. Vous pensez que ça serait Lui qui en profiterait pour… ?

— Oui. Et il m’est impossible d’aider Harry par l’Occlumancie cette fois. Potter, écoutez-moi. Écoutez-moi bien. Calmez vos émotions, oubliez la peur que vous avez de lui avoir fait du mal, elle va très bien. Calmez vos hormones et votre ardeur générale, ne repensez qu’à Luna, qu’à elle et seulement elle. Pensez… »

Un instant, Severus chercha du regard une réponse, les mains posées sur chaque tempe du jeune homme pour tenter de le rattacher à la réalité. Il jeta un œil à Jane qui semblait toute aussi désemparée que lui, quand Luna reprit la suite :

« Tu te souviens de notre première fois ? Juste la première fois, Harry, juste à l’instant où nous nous sommes couchés dans le grand lit de la Salle sur Demande. Tu te souviens de nos gestes ? De la douceur des draps ? »

Jane et Severus échangèrent un bref regard, profondément gênés d’entendre ça. Ils comprirent où la Serdaigle voulait en venir et ils l’aidèrent comme ils purent.

« Les émotions ressenties à ce moment, Harry. La joie de découvrir l’autre, le plaisir de cette connexion, de cette compréhension.

— La puissance de votre amour, l’ivresse de le partager sans avoir à le formuler. Pensez à cette sensation d’être submergé par ce sentiment, Potter. Focalisez-vous dessus. »

Harry ouvrit brutalement les yeux et les posa sur Luna, avant de voir enfin Snape et de les écarquiller d’horreur. L’homme n’eut pas besoin de lire dans ses pensées pour comprendre et se releva, tirant un des draps pour le lui jeter sur le corps. Luna prit Harry dans ses bras, sans s’inquiéter le moins du monde d’être toujours sans vêtements.

« Reprends ton souffle, lui dit-elle impérieuse. On a le temps de te questionner.

— Non… Je crois que non… Il était…

— Calmez vos émotions Potter, vous l’avez repoussé, mais vous êtes encore vulnérable. »

Jane alla dans la cuisine et lui servit un verre d’eau fraîche, donnant un coup de tête en direction des placards pour demander silencieusement à son compagnon si le temps réclamait du chocolat. Il hocha la tête et attrapa un des tabourets de bar pour s’asseoir près des jeunes gens.

« Vous faites énormément de progrès.

— Il est toujours là, je Le sens. Il rôde. Luna ? Passe-moi le Gallion s’il te plaît ! Jane ? Y a-t-il un message sur le portable ?

— Je l’ignore, pourqu…

— Vérifiez, s’il vous plaît ! Je crois qu’Il a eu son compte. Je ne sais pas ce qu’Il venait faire là, Il était très… très excité par quelque chose, je crois. Par Merlin, Luna, je…

— Tout va bien. Le Gallion ne dit rien.

— Le téléphone non plus, confirma Jane. Qu’est-ce que vous avez en tête, Harry ?

— Je ne sais pas. Ça m’avait déjà fait cela avant, de le sentir pas loin. De sentir parfois ses émotions, mais là, on aurait dit… Tu es nue, se coupa-t-il en observant la demoiselle.

— Toi aussi, répliqua-t-elle comme si c’était absolument normal. »

Elle passa néanmoins un t-shirt et continua de fixer Harry, rappelant à tous l’importance de ce qu’il allait dire plutôt que de ce qu’ils étaient en train de faire.

« On aurait dit quoi, Potter ?

— Ça ressemblait à l’année dernière, au début. Quand j’étais tout le temps en colère et que je le sentais l’être aussi souvent. Comme si nous nous nourrissions l’un de l’autre, vous voyez ? Comme si nos émotions s’attisaient à travers nous. J’ai cru qu’il y avait une attaque ou quelque chose dans le genre, car il était excité comme avant un assaut. Je me demande si…

— Si cette excitation n’a pas été attisée par la vôtre et inversement, au point qu’il s’infiltre à nouveau en vous, termina Snape en refusant le chocolat d’un geste de la main et en se dirigeant vers les placards pour prendre un verre à pied.

— J’ai eu le même problème à Noël après l’Impardonnable. Et face à l’Hor… son morceau d’âme, j’ai senti des choses, une fois encore. J’ai l’impression qu’Il m’observe en permanence. Là, c’était comme s’Il nous regardait vraiment, essayait vraiment de prendre possession de moi pour… je ne sais pas, faire quelque chose de terrible.

— Psychopathe et frustré, grommela Jane en tentant de détendre l’atmosphère sans grand succès. Peut-être aurait-Il simplement besoin de s’envoyer en l’air.

— Smith, ce n’est…

— Et si elle avait raison ? demanda Luna très sérieuse. Et si, justement, Il était curieux de certaines expériences à cause de Harry et cherchait à le dominer pour les comprendre ?

— Sans vouloir vous vexer tous les deux, je pense qu’Il a autre chose en tête que de goûter aux ébats d’adolescents qui découvrent à peine ces questions. Il a une guerre à mener et à moins de chercher à atteindre Harry par ce biais, Il n’a… »

Severus se tut immédiatement en écarquillant les yeux légèrement. Assez pour que ceux qui le côtoyaient en permanence se rendent compte de la différence. À savoir les personnes présentes dans la pièce.

« Quand avez-vous « senti la douceur des draps » de la Salle sur Demande au juste ?

— Severus, est-ce qu’on est à ce point obligé de s’introduire dans leur vie privée ?

— Juste avant Noël, je suis arrivé en train en retard à cause de ça, mais vous saviez que c’était avant, vous l’aviez déjà vu, non ?

— Oui, mais je voulais une date précise. Votre connexion se renforce, il est impossible de le nier, et elle se tisse à mesure des émotions très vives que vous éprouvez. Je ne pense pas que ça soit anodin que le meurtre et le sexe aient déclenché des attaques aussi violentes. Il connaît votre lien depuis l’année dernière et a déjà cherché à en tirer avantage, Il prend peut-être conscience du fait que la guerre vous pousse à faire des choses susceptibles de vous éloigner de l’enfant que vous étiez jusque-là.

— Le meurtre, d’accord, mais le sexe… Enfin, Severus, la guerre n’a pas grand-chose à voir avec ça, ils sont ados, c’est normal.

— Ça a tout à voir. On n’est jamais plus enclin à la passion que lorsque sa vie est hautement menacée. Ça ne fait que les ancrer dans des émotions animales puissantes qui génèrent des magies puissantes. Il s’en sert pour vous atteindre. J’ignore encore le but. »

Il avait murmuré cela, songeur, se versant finalement un Porto comme il l’avait prévu, sans pour autant le boire. Il le fit tournoyer au fond du verre tout en regardant Jane qui s’ébroua pour donner les deux chocolats chauds. Elle revint ensuite près de l’îlot de sa cuisine, et opta, elle aussi, pour un alcool. En versant son verre, elle se racla la gorge :

« Bon, admettons qu’Il se prenne de curiosité pour les expériences de Harry… Vous avez déjà dit par le passé qu’Il aimait s’identifier à vous, non ? demanda-t-elle en s’adressant au jeune homme.

— Oui, il a plusieurs fois sous-entendu que nous étions faits du même bois. Que nous étions tous deux des orphelins, par exemple…

— À ceci près que votre mère est morte pour vous. Lui a grandi dans un orphelinat, non ? Il était abandonné, peut-être ?

— Pas vraiment, sa mère est morte en couches et son père Moldu ne voulait rien avoir à faire avec lui. Où voulez-vous en venir, Jane ?

— Je ne sais pas. Qu’il n’est pas rare de voir les psychopathes s’identifier à leur antagoniste principal. Il est possible qu’Il se cherche à travers vous. Peut-être souhaite-t-Il vous salir en vous contrôlant et en vous poussant à quelque chose d’atroce pour vous ? Peut-être cherche-t-Il à se rassurer sur sa monstruosité ? Peut-être est-Il seulement jaloux de certaines choses que vous vivez… Je ne sais pas si le repousser est une bonne chose pour comprendre ses motivations, peut-être que…

— Vous plaisantez ?! s’étrangla Severus, soudain. Est-ce vous qui suggérez d’utiliser Harry comme appât ? Ça n’a rien à avoir avec l’attaque du Ministère, là, nous parlons de son esprit, de son essence, de son… »

Harry inspira brutalement et fixa durement son Maître Occlumens. Il chercha le contact visuel que l’aîné prit grand soin de lui refuser. Il se leva avec fureur et le força à le regarder :

« De mon âme, c’est ça que vous alliez dire. Que je pourrais y perdre mon âme dans ce combat ? »

Un bref éclair passa dans les yeux d’onyx et il daigna les poser enfin sur l’enfant de son premier amour.

« Tout, je pense que vous pourriez tout y perdre et qu’Il a l’intention de vous dépouiller de tout. »

Harry frissonna, se souvenant brièvement de l’impression de s’être noyé dans lui-même quelques semaines auparavant et jamais la sensation de ne pouvoir être pleinement lui ne l’avait autant submergé.

***

Le sort rebondit sur le couvercle de poubelle que tenait fermement Sirius. Jamais de sa vie l’héritier honni des Black n’aurait pu s’imaginer combattre dans sa propre rue, se cachant derrière le métal d’un container de poubelle parfaitement moldue. Des traits verts, orangés, bleus et parfois d’un blanc étincelant fusaient autour de lui et tentaient tant bien que mal de l’atteindre. Là, habillé aussi richement que son rang le demandait, il se prostrait contre son portail grinçant, devant le 12 Square Grimmaurd, salissant ses capes et transpirant dans ses gants qui tentaient de maintenir une poigne ferme sur ce petit capuchon manufacturé qui le séparait de la mort. Les Mangemorts hurlaient les sorts sans se soucier un seul instant des oreilles moldues qui pouvaient les entendre, frappant parfois aveuglément les femmes et les enfants qui passaient encore dans le Square habituellement bondé à cette heure. Comment en était-on arrivé là ? Qui avait frappé le premier parmi les zélotes de Voldemort ? Abernathy avait-il vraiment donné le premier ordre ou avait-il lancé le sortilège en voyant Black s’avancer conquérant vers sa demeure ? Pourquoi ce dernier rentrait-il à visage découvert en direction de l’ancestral hôtel particulier, alors même que la guerre battait son plein et que les ennemis ne manquaient pas à leurs portes ? Sirius se maudit pour son orgueil, alors que l’impact du dernier sort déforma le métal du couvercle dans sa direction. Il savait la porte ouverte, prête à l’accueillir et certainement les enfants derrière, en posture de combat. Mais pouvait-il lever, même temporairement, le sortilège de protection pour s’abriter ? Pouvait-il prendre ce risque ?

Et il n’y avait plus d’Ordre du Phoenix à contacter, il n’y avait que la Brigade, la Brigade à la solde du Ministère, de Lucius Malefoy. Et donc peut-être à Voldemort… ?

« Il va crever si on le laisse tout seul, Hermione ! » Beugla Ron en observant brièvement par le judas magique.

Sirius avait vu juste, contre le bois se terraient Ron et Hermione qui surveillaient les autres entrées et tentaient tant bien que mal d’échafauder un plan.

« Il faut contacter la Brigade ! Il faut que le Ministère envoie des hommes. Peut-être Tonks ? Et Snape… ? Doit-on… ?

— NON ! coupa Ron. Ni lui ni Harry ne doivent être détournés de leur mission. Voldemort nous attaque parce qu’il sait que ça pourrait fragiliser Harry s’il nous arrive quelque chose. Prends la poudre de cheminette, chope Tonks, donne-lui notre situation.

— Tu ne vas tout de même pas…

— Je vais faire ce qu’il y a à faire. »

Il se redressa et planta son regard dans le sien. À cet instant, Hermione revit la même détermination qui brillait 5 ans plus tôt dans les yeux d’un enfant qui s’apprêtait à se sacrifier dans une partie d’échecs. Elle frissonna. Ce n’était plus un enchantement de McGonagall qu’il allait affronter. Elle aurait aimé trouver quelque chose à lui dire, un mot d’encouragement, un geste fort, mais rien ne lui vint en tête. Rien qui ne soit pas cliché et mièvre, et à les voir si résolus tous deux, si résignés, elle comprit qu’ils n’étaient pas de ce genre. Qu’ils n’auraient jamais besoin de ces instants. Ron serra fermement sa baguette tandis que sa main de métal encerclait la poignée de l’entrée. Il fit un signe de tête à Hermione qui se mit en position pour contrer tout sort et refermer la porte d’une flexion de poignet. Dans la seconde qui précéda son action, le roux lui sourit et glissa :

« T’es sacrément épatante comme nana, tu sais… ? »

Elle n’eut pas le temps de répondre qu’il ouvrit la porte et que dans un flash de lumière vive, se propulsa dans la rue. Il lui fallut un peu moins d’une seconde pour s’ébrouer mentalement et filer droit en direction de la cuisine prendre la poudre… Mais après ? Devait-elle vraiment contacter Tonks, ou bien… ? Elle hésita, consciente que chaque seconde de retard pouvait tuer ses amis. Puis elle jeta la poudre dans l’âtre et cria d’une voix forte :

« Manoir Malefoy !

— Qui demande à contacter le Manoir de la Noble et très ancienne famille Malefoy ? s’éleva une voix aigrelette et bien trop pompeuse au goût de la jeune fille.

— Hermione Granger, dites à Lucius Malefoy que c’est urgent.

Le Ministre et Lord Lucius Malefoy n’est pas…

— FAIS CE QU’ON TE DEMANDE ! » Hurla-t-elle en faisant trembler jusqu’aux badges de la S.A.L.E. stockés dans sa chambre.

Il fallut un court d’attente durant lequel Hermione tendait l’oreille en direction de la rue, morte d’inquiétude. Quand elle hésita à tourner les talons pour aller prêter main-forte, c’était la voix, glaciale de Lucius qui s’éleva :

« Miss Granger, que se passe-t-il ?

— Vous le savez ! cracha-t-elle, sans s’embarrasser de faux-semblants. L’attaque est en cours, Sirius Black est sous les feux des Mangemorts, et après notre conversation pour prévenir le Ministre de la Justice et lui demander d’envoyer officiellement la Brigade, je préviendrai le Chicaneur et le…

— Inutile, coupa-t-il brutalement. Je contacte la Brigade immédiatement. Une estimation des forces ennemies ?

— Vous les connaissez mieux que moi.

— …Vous êtes combien ?

— Trois. Sirius et Ron sont tous les deux dehors contre… je ne sais pas combien.

— Vous avez fait le bon choix, Granger. »

Les flammes redevinrent jaunes sous ces mots sibyllins et Hermione cria à la cheminée :

« MAIS C’EST TOUT ?! »

Incapable de savoir ce qu’il allait se passer ou quelles étaient les conclusions de Malefoy, elle retourna dans le vestibule pour observer à travers le judas. Ron et Sirius tenaient tant bien que mal en respect les Mangemorts, cachés de par et d’autres de l’entrée, faisant face à un feu nourrit.

« Il va te falloir rentrer ! hurla le plus jeune. Tu dois te mettre en sécurité !

— As-tu perdu l’esprit, Ronald ?! À quel moment on laisse la jeune…

— Derrière toi, Diffindo ! »

Il eut un cri de douleur et une éclaboussure de sang s’étala sur le couvercle de la poubelle que tenait toujours Sirius. Un Mangemort éructa et retomba au sol, s’éloignant pour se soigner. Ron pensant à Snape et se surprit à se demander si ce sort n’était pas la base du… Il secoua la tête.

« La jeune génération s’en sort bien, et on a besoin de toi pour mener la bataille politique ! Alors, tu bats en retraite et on se replie tous.

— C’EST CA, FUIS COMME LE CHIEN QUI NE SAIT QUE SE PLANQUER » Railla Abernathy du côté du parc.

Frustré de n’arriver à atteindre Sirius directement, l’homme s’en prenait aveuglément aux Moldus qui passaient encore dans la rue, faisant du lieu de l’attaque un carnage égalant presque celui de Hungerford Bridge. Les cadavres d’enfants et de mères qui jouaient au parc jonchaient les environs et Sirius savait que leurs suppliques et cris resteraient à jamais gravés dans sa mémoire. Son sang ne fit qu’un tour, il abaissa le couvercle, s’apprêtant à se relever pour faire face à cet homme qui le haïssait tant qu’il répandait aveuglément la mort autour de lui.

Abernathy ricana en voyant Black mordre à l’hameçon et, contre tous les ordres de son Maître, arma le bras pour lancer une nouvelle fois l’Impardonnable. D’autres Mangemorts profitèrent de l’occasion et dans un concerto de hurlements, une salve multicolore fusa en direction du Maraudeur. Ron plongea en avant et repoussa Sirius de sa puissante main enchantée, roulant à terre et tentant de se protéger comme il le pouvait d’un sort de bouclier. Mais un trait orangé l’atteint à l’estomac, il cracha du sang. Hermione hurla derrière le judas, ouvrant la porte presque à la volée. Sirius envoya le bras pour tenter de prendre la main du plus jeune quand un coup de pied le repoussa et que la voix autoritaire de Tonks filtra derrière un masque blanc terriblement impassible.

« Dans la maison, vite !

— Ron, il…

— REPLIS IMMEDIAT ! »

De part et d’autre de la ruelle, des flashs blancs aveuglèrent les Mangemorts qui se retrouvèrent bien vite en sous-nombre tandis qu’un à un, les membres de la Brigade d’Intervention Tactique d’Elite arrivaient sur les lieux du combat. Indissociable des autres membres de la Brigade, Tonks se plaça devant Sirius pour faire bouclier et lui permettre de retourner à l’intérieur de la maison. Hermione cria qu’il fallait aider Ron, resté à terre, mais sa supplique ne fut entendue que par les murs délabrés du 12 Square Grimmaurd. Une ombre fonça dans leur direction, et Tonks para l’attaque sans effort, poussant Sirius contre la porte :

« RENTRE PAR MERLIN !

— Mais le petit, il…

— SOUVENEZ-VOUS DES ORDRES DU MAÎTRE ! » Hurla un des masques noirs.

L’ombre redevint consistante le temps de laisser apparaître un bras et un masque de métal représentant une fureur sans nom. Sirius put à peine entrapercevoir du coin de l’œil le mouvement, qu’Hermione ouvrait la porte et que Tonks le poussait d’un coup de pied sec à l’intérieur. Le bras du Mangemort se referma sur celui de Ron Weasley, resté à terre, et les deux transplanèrent. Tonks esquiva d’une roulade une attaque d’Abernathy qui lui lança, goguenard avant de transplaner :

« Le cabot ne pourra rester indéfiniment dans sa niche… »

Hermione pressa les épaules de Sirius :

« Tu n’as rien ? Où est Ron ? On en est Tonks ? »

Sirius ouvrit la bouche et eut le bon réflexe de prendre la jeune femme fermement dans ses bras. Quand il lui répondit, il eut toutes les peines du monde à la retenir de se ruer dehors.

« Il a été emmené. Je suis désolé, il a été emmené. »

***

Dans la salle commune des Serpentards, la tension était palpable. Enfoncé dans l’énorme fauteuil qui faisait face à l’âtre, Draco Malefoy attendait, comme les autres, les premières informations. Silencieux et immobiles, les étudiants des dernières années patientaient dans une sorte de messe improvisée d’avoir la confirmation ou non des derniers évènements. Ceux qui savaient ce qui se tramait présidaient face à d’autres qui ne faisaient que pressentir. Soudain, un élève bougea légèrement de son fauteuil et se leva, tenant fermement un miroir dans la main. Il se replia dans un recoin de la salle, jetant un sortilège pour que personne n’entende la conversation. Sans même relever les yeux dans sa direction, Draco savait qu’il prenait le soin de remuer les lèvres le moins possible malgré le sortilège mis en place. Justin Rollers revint et sa face de comptable avant l’heure s’anima enfin. Draco ne l’aimait pas celui-là. Son père était un de ces nouveaux Mangemorts recrutés par cet intrigant Abernathy. Rollers était moyen en tout, discret, peu loquace et surtout : difficile à cerner. Il découpait avec un soin et une précision chirurgicale ses ingrédients de potion, arborait une raie de cheveux parfaitement au milieu et respectait scrupuleusement les étiquettes. À bien y réfléchir, Rollers lui faisait l’effet d’un Percy Weasley Serpentard. Autrement plus dangereux, donc.

« Une attaque de Mangemorts a eu lieu au 12 Square Grimmaurd, à Londres. Au domicile de Lord Sirius Black, expliqua-t-il comme s’il faisait une annonce devant des actionnaires à une AG. La Brigade d’Intervention Tactique d’Elite s’est rendue sur les lieux pour protéger Lord Black et Ronald Weasley. »

Draco ne put s’empêcher de lever les yeux en direction de Justin pour l’observer un bref instant. Son intérêt ne passa pas totalement inaperçu et il s’imposa de justesse de ne pas baisser les yeux par réflexe. Il assuma au contraire et se redressa dans son fauteuil. Justin continua son rapport avec la concentration et la rectitude que la fonction qu’il s’était créée l’imposait.

« La Brigade a permis à Lord Black de se replier en direction de son domicile, mais Ronald Weasley a été emmené par les forces du Seigneur des Ténèbres. »

Draco se sentit bizarre à cette annonce. Il aurait cru qu’il aurait été satisfait de savoir Weasley entre les mains de ses ennemis et pourtant, à cet instant, il eut l’étrange pensée que le jeune homme devait se sentir bien seul.

« Peut-être qu’il perdra plus qu’à Noël ? se moqua Nott méchamment.

— Rien ne permet de préciser son état, répondit Rollers d’un ton absent.

— Peu importe, ce n’est que Weasley, cracha Parkinson. Ils devaient vouloir atteindre Black et au lieu de ça…

— Au lieu de ça, ils obtiennent le meilleur ami de Potter, coupa une Serpentarde aux cheveux corbeau. Ce n’est pas anodin non plus.

— Peuh ! On ne sait même pas où est Potter, qu’est-ce que ça changerait ?

— Cette attaque va renforcer la position de Black face à Malefoy-père, il risque d’avoir la faveur des médias, après ça.

— Ou alors, il comprendra qu’il n’est pas inattaquable et qu’on…

— Il n’y a pas de « on » !

— La demeure Black était dans un quartier Moldu, il me semble, tu sais s’il y a des blessés ou des morts dans les environs, Rollers ?

— Rien ne me permet d’affirmer ou d’infirmer que…

— Et toi, tu en penses quoi, Draco ? »

Il sursauta presque. Pansy avait demandé ça sans même élever la voix par-dessus le brouhaha qui commençait à monter dans la salle. Le silence retomba immédiatement, en même temps que le poids dans l’estomac du blond. Il inspira légèrement, cherchant ses mots, sous les yeux scrutateurs de Zabini.

« Cette opération est un semi-échec pour les Mangemorts… » Commença-t-il alors que certaines bouches s’ouvraient déjà pour protester. « Reste à savoir ce qu’ils pourront tirer de Weasley pour rentabiliser l’opération. Penser que c’est par rapport à Potter me semble un peu tiré par les cheveux, rien ne dit qu’il apprendra la nouvelle. Déstabiliser les forces autour de Black me semble plus logique.

— Ce n’est pas parce que ton père est obsédé par lui que le Seigneur des Ténèbres place la priorité au même endroit ! contra Nott, agacé.

— Peut-être que tu devrais arrêter de croire que leurs intérêts diffèrent et alors, tu commencerais à mieux comprendre les desseins du Seigneur des Ténèbres.

— Prétends-tu les comprendre ?

— Non, je ne…

— Quelle connaissance tu as de ses projets, au juste ? Tu n’es même pas marqué. »

Draco dévisagea Nott avec froideur, une sourde colère transparaissait dans ses yeux. Les Serpentards n’abordaient jamais frontalement ces questions. Surtout pas celle-ci. Il se leva brutalement, leur faisant face, sachant que c’était un sujet qui brûlait entre eux depuis quelque temps en coulisse.

« Je ne me contente pas d’avoir des informations de second cercle, cracha-t-il en faisant référence au rang du père de Rollers. Et je réfléchis au-delà de mes détestations d’étudiant. Parce que je sais que nous n’allons pas rester à Poudlard éternellement, que dehors, la guerre peut aussi se mener au Ministère, dans un combat où la baguette ne sert à rien. Dans un combat de coulisses, où il faut savoir être subtile et avancer à visage dissimulé, malgré les projecteurs. »

Il tourna des talons sur cette phrase, espérant avoir su taire les discussions à venir à ce sujet, mais entendit nettement Nott évoquer le nom de son père. Draco s’enfuit presque des lieux, espérant mettre de la distance entre cette conversation et lui. Entre les informations qu’il venait d’avoir et lui. Entre ce camp… et lui.

Il ne se rendit pas compte qu’il retournait vers les sabliers de Poudlard, et quand il se trouva au milieu d’eux, dans le Grand Hall, à contempler les grains s’amonceler devant chaque bannière, il fut pris d’une étrange sensation de vide. Pour la première fois de sa vie, Poudlard lui sembla être un lieu étranger, où il errait sans savoir où il pouvait se permettre d’aller. La sensation de tournis s’intensifia, assez pour qu’il prenne appui contre le pilier qui soutenait le sablier de Serpentard.

« Tu essaies de faire tomber d’autres grains pour gagner la coupe, Malefoy ? »

Draco sursauta. Une fois encore, il n’avait pas vu Neville et ne comprit pas d’où il pouvait provenir à cette heure perdue de la nuit. Que faisait le Gryffondor, d’ailleurs ? Y avait-il une tradition chez eux qui les poussait à braver les interdits et à déambuler dans les couloirs ? Il repensa alors au trio d’or, et la tête qu’il fit sembla suffisamment éloquente pour que Londubat fronce les sourcils. Draco ouvrit la bouche, se disant qu’il allait répliquer quelque chose à propos des points volés par les Gryffondors grâce à un certain vieux sénile, mais au lieu de ça, sa bouche asséchée répliqua :

« Weasley est aux mains des Mangemorts. »

Neville écarquilla les yeux de stupeur et fit un pas en avant, Draco un pas en arrière, mais le sablier le bloqua. Il se sentit acculé et hésita à fuir. Mais pour aller où ? La salle commune n’était pas envisageable.

« Qu’est-ce que tu dis ?!

— Ron Weasley a été pris par les Mangemorts lors d’une attaque au domicile de Black. Black va bien, de ce que j’en sais.

— Et comment tu…

— Je le sais. C’est tout.

— Et pourquoi tu me le dis ?

— Parce que… Parce que… »

Draco chercha du regard la réponse, il le posa sur chacun des sabliers avant de comprendre pourquoi il se sentait si vide à cet instant.

« Parce que c’était ton ami. »